Louis Aldonze Donatien

SADE

Donatien Alphonse François

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La Nouvelle Justine,
ou
les Malheurs de la vertu,
suivie de
l’Histoire de Juliette, sa sœur


[Ouvrage orné d’un frontispice et de cent sujets gravés avec soin]



On n’est point criminel pour faire la peinture
Des bizarres penchants qu’inspire la nature.



TOMES V À X
[SECOND LIVRE]

()



* Les tomes V à X de l’édition originale, rassemblés, constituent le second livre.
** Les gravures de l’édition originale ne sont pas reproduites ici.








Avis


Juliette, faisant suite et servant de conclusion à La Nouvelle Justine dont les aventures forment quatre volumes, le tome Ier de Juliette, dont l’histoire en contient six, a été coté tome V, et ainsi de suite jusqu’au tome X inclusivement.

Les ouvrages, quoique se liant ensemble, se vendent séparément.

Les quatre premiers volumes contiennent un frontispice et 40 gravures.

Les six derniers 60 gravures.


Juliette,
ou
les Prospérités du vice

[1801]






Tome cinquième


Ce fut au couvent de Panthemont que Justine et moi fûmes élevées. Vous connaissez la célébrité de cette abbaye, et vous savez que c’était de son sein que sortaient depuis bien des années les femmes les plus jolies et les plus libertines de Paris. Euphrosine, cette jeune personne dont je voulus suivre les traces, qui, logée dans le voisinage de mes parents, s’était évadée de la maison paternelle pour se jeter dans le libertinage, avait été ma compagne dans ce couvent ; et comme c’est d’elle et d’une religieuse de ses amies que j’avais reçu les premiers principes de cette morale qu’on est surpris de me voir, aussi jeune, dans les récits que vient de vous faire ma sœur, je dois, ce me semble, avant tout, vous entretenir de l’une et de l’autre… vous rendre un compte exact de ces premiers instants de ma vie où, séduite, corrompue par ces deux sirènes, le germe de tous les vices naquit au fond de mon cœur.

La religieuse dont il s’agit s’appelait Mme Delbène ; elle était abbesse de la maison depuis cinq ans, et atteignait sa trentième année, lorsque je fis connaissance avec elle. Il était impossible d’être plus jolie : faite à peindre, une physionomie douce et céleste, blonde, de grands yeux bleus pleins du plus tendre intérêt, et la taille des Grâces. Victime de l’ambition, la jeune Delbène avait été mise à douze ans dans un cloître, afin de rendre plus riche un frère aîné qu’elle détestait. Enfermée dans l’âge où les passions commencent à s’exprimer, quoique Delbène n’eût encore fait aucun choix, aimant le monde et les hommes en général, ce n’avait pas été sans s’immoler elle-même, sans triompher des plus rudes combats, qu’elle s’était enfin déterminée à l’obéissance. Très avancée pour son âge, ayant lu tous les philosophes, ayant prodigieusement réfléchi, Delbène, en se condamnant à la retraite, s’était ménagé deux ou trois amies. On venait la voir, on la consolait ; et comme elle était fort riche, l’on continuait de lui fournir tous les livres et toutes les douceurs qu’elle pouvait désirer, même celles qui devaient le plus allumer une imagination… déjà fort vive, et que n’attiédissait pas la retraite.

Pour Euphrosine, elle avait quinze ans lorsque je me liai avec elle ; et elle était depuis dix-huit mois l’élève de Mme Delbène, lorsque l’une et l’autre me proposèrent d’entrer dans leur société, le jour où je venais d’entrer dans ma treizième année. Euphrosine était brune, grande pour son âge, fort mince, de très jolis yeux, beaucoup d’esprit et de vivacité, mais moins jolie, bien moins intéressante que notre supérieure.

Je n’ai pas besoin de vous dire que le penchant à la volupté est, dans les femmes recluses, l’unique mobile de leur intimité ; ce n’est pas la vertu qui les lie, c’est le foutre ; on plaît à celle qui bande pour nous, on devient l’amie de celle qui nous branle. Douée du tempérament le plus actif, dès l’âge de neuf ans j’avais accoutumé mes doigts à répondre aux désirs de ma tête, et je n’aspirais, depuis cet âge, qu’au bonheur de trouver l’occasion de m’instruire et de me plonger dans une carrière dont la nature précoce m’ouvrait déjà les portes avec autant de complaisance. Euphrosine et Delbène m’offrirent bientôt ce que je cherchais. La supérieure, qui voulait entreprendre mon éducation, m’invita un jour à déjeuner… Euphrosine s’y trouvait ; il faisait une chaleur incroyable, et cette excessive ardeur du soleil leur servit d’excuse à l’une et à l’autre sur le désordre où je les trouvai : il était tel, qu’à cela près d’une chemise de gaze, que retenait simplement un gros nœud de ruban rose, elles étaient en vérité presque nues.

— Depuis que vous êtes entrée dans cette maison, me dit Mme Delbène, en me baisant assez négligemment sur le front, j’ai toujours désiré de vous connaître intimement. Vous êtes très jolie, vous m’avez l’air d’avoir de l’esprit, et les jeunes personnes qui vous ressemblent ont des droits bien certains sur moi… Vous rougissez, petit ange, je vous le défends ; la pudeur est une chimère ; unique résultat des mœurs et de l’éducation, c’est ce qu’on appelle un mode d’habitude ; la nature ayant créé l’homme et la femme nus, il est impossible qu’elle leur ait donné en même temps de l’aversion ou de la honte pour paraître tels. Si l’homme avait toujours suivi les principes de la nature, il ne connaîtrait pas la pudeur : fatale vérité qui prouve, ma chère enfant, qu’il y a certaines vertus qui n’ont d’autre berceau que l’oubli total des lois de la nature. Quelle entorse on donnerait à la morale chrétienne, en scrutant ainsi tous les principes qui la composent ! Mais nous jaserons de tout cela. Aujourd’hui, parlons d’autre chose, et déshabillez-vous comme nous.

Puis, s’approchant de moi, les deux friponnes, en riant, m’eurent bientôt mise dans le même état qu’elles. Les baisers de Mme Delbène prirent alors un caractère tout différent…

— Qu’elle est jolie, ma Juliette ! s’écria-t-elle avec admiration ; comme sa délicieuse petite gorge commence à bondir ! Euphrosine, elle l’a plus grosse que toi… et cependant à peine treize ans.

Les doigts de notre charmante supérieure chatouillaient les fraises de mon sein, et sa langue frétillait dans ma bouche. Elle s’aperçut bientôt que ses caresses agissaient sur mes sens avec un tel empire que j’étais prête à me trouver mal.

— Oh, foutre ! dit-elle, ne se contenant plus et me surprenant par l’énergie de ses expressions. Sacredieu, quel tempérament ! Mes amies, ne nous gênons plus : au diable tout ce qui voile encore à nos yeux des attraits que la nature ne nous créa point pour être cachés !

Et jetant aussitôt loin d’elle les gazes qui l’enveloppaient, elle parut à nos regards belle comme la Vénus qui fixa l’hommage des Grecs. Il était impossible d’être mieux faite, d’avoir une peau plus blanche… plus douce… des formes plus belles et mieux prononcées. Euphrosine, qui l’imita presque tout de suite, ne m’offrit pas autant de charmes ; elle n’était pas aussi grasse que Mme Delbène ; un peu plus brune, peut-être devait-elle plaire moins généralement ; mais quels yeux ! que d’esprit ! Émue de tant d’attraits, vivement sollicitée, par les deux femmes qui les possédaient, de renoncer comme elles à tous les freins de la pudeur, vous croyez bien que je me rendis. Au sein de la plus tendre ivresse, la Delbène m’emporte sur son lit et me dévore de baisers.

— Un moment, dit-elle, tout en feu ; un instant, mes bonnes amies, mettons un peu d’ordre à nos plaisirs, on n’en jouit qu’en les fixant.

À ces mots, elle m’étend les jambes écartées, et, se couchant sur le lit à plat ventre, sa tête entre mes cuisses, elle me gamahuche pendant qu’offrant à ma compagne les plus belles fesses qu’il soit possible de voir, elle reçoit des doigts de cette jolie petite fille les mêmes services que sa langue me rend. Euphrosine, instruite de ce qui convenait à Delbène, entremêlait ses pollutions de vigoureuses claques sur le derrière, dont l’effet me parut certain sur le physique de notre aimable institutrice. Vivement électrisée par le libertinage, la putain dévorait le foutre qu’elle faisait à chaque instant jaillir de mon petit con. Quelquefois elle s’interrompait pour me regarder… pour m’observer dans le plaisir.

— Qu’elle est belle ! s’écriait la tribade… Oh ! sacredieu, qu’elle est intéressante ! Secoue-moi, Euphrosine, branle-moi, mon amour ; je veux mourir enivrée de son foutre ! Changeons, varions tout cela, s’écriait-elle le moment d’après ; chère Euphrosine, tu dois m’en vouloir ; je ne pense pas à te rendre tous les plaisirs que tu me donnes… Attendez, mes petits anges, je vais vous branler toutes les deux à la fois.

Elle nous place sur le lit, à côté l’une de l’autre ; par ses conseils nos mains se croisent, nous nous polluons réciproquement. Sa langue s’introduit d’abord dans l’intérieur du con d’Euphrosine, et de chacune de ses mains elle nous chatouille le trou du cul ; elle quitte quelquefois le con de ma compagne pour venir pomper le mien, et recevant ainsi chacune trois plaisirs à la fois, vous jugez si nous déchargions. Au bout de quelques instants la friponne nous retourne. Nous lui présentions nos fesses, elle nous branlait en dessous en nous gamahuchant l’anus. Elle louait nos culs, elle les claquait, et nous faisait mourir de plaisir. Se relevant de là comme une bacchante :

— Rendez-moi tout ce que je vous fais, disait-elle, branlez-moi toutes les deux ; je serai dans tes bras, Juliette, je baiserai ta bouche, nos langues se refouleront… se presseront… se suceront. Tu m’enfonceras ce godemiché dans la matrice, poursuit-elle en m’en donnant un ; et toi, mon Euphrosine, tu te chargeras du soin de mon cul, tu me le branleras avec ce petit étui ; infiniment plus étroit que mon con, c’est tout ce qu’il lui faut… Toi, ma poule, continua-t-elle en me baisant, tu n’abandonneras pas mon clitoris ; c’est le véritable siège du plaisir dans les femmes : frotte-le jusqu’à l’égratigner, je suis dure… je suis épuisée, il me faut des choses fortes ; je veux me distiller en foutre avec vous, je veux décharger vingt fois de suite si je le puis.

Ô Dieu ! comme nous lui rendîmes ce qu’elle nous prêtait ! il est impossible de travailler avec plus d’ardeur à donner du plaisir à une femme… impossible d’en trouver une qui le goûtât mieux. Nous nous remîmes.

— Mon ange, me dit cette charmante créature, je ne puis t’exprimer le plaisir que j’ai d’avoir fait connaissance avec toi ; tu es une fille délicieuse ; je vais t’associer à tous mes plaisirs, et tu verras qu’il est possible d’en goûter de bien vifs, quoiqu’on soit privé de la société des hommes. Demande à Euphrosine si elle est contente de moi.

— Oh, mon amour ! que mes baisers te le prouvent ! dit notre jeune amie en se précipitant sur le sein de Delbène ; c’est à toi que je dois la connaissance de mon être ; tu as formé mon esprit, tu l’as dégagé des stupides préjugés de l’enfance : c’est par toi seule que j’existe au monde ; ah ! que Juliette est heureuse, si tu daignes prendre d’elle les mêmes soins.

— Oui, répondit Mme Delbène, oui, je veux me charger de son éducation, je veux dissiper dans elle, comme je l’ai fait dans toi, ces infâmes prestiges religieux qui troublent toute la félicité de la vie, je veux la ramener aux principes de la nature, et lui faire voir que toutes les fables dont on a fasciné son esprit ne sont faites que pour le mépris. Déjeunons, mes amies, restaurons-nous ; lorsqu’on a beaucoup déchargé, il faut réparer ce qu’on a perdu.

Un repas délicieux, que nous fîmes nues, nous rendit bientôt les forces nécessaires pour recommencer. Nous nous rebranlâmes… nous nous replongeâmes toutes trois, par mille nouvelles postures, dans les derniers excès de la lubricité. Changeant à tout moment de rôle, quelquefois nous étions les épouses de celles dont nous redevenions l’instant d’après les maris, et, trompant ainsi la nature, nous la forçâmes un jour entier à couronner de ses voluptés les plus douces tous les outrages dont nous l’accablions.

Un mois se passa de la sorte, au bout duquel Euphrosine, la tête perdue de libertinage, quitta le couvent et sa famille pour se jeter dans tous les désordres du putanisme et de la crapule. Elle revint nous voir, elle nous fit le tableau de sa situation, et trop corrompues nous-mêmes pour trouver du mal au parti qu’elle prenait, nous nous gardâmes bien de la plaindre ou de la détourner.

— Elle a bien fait, me disait Mme Delbène ; j’ai voulu cent fois me jeter dans la même carrière, et je l’eusse fait infailliblement, si le goût des hommes l’eût emporté chez moi sur l’extrême amour que j’ai pour les femmes ; mais, ma chère Juliette, le ciel, en me destinant à une clôture éternelle, m’a créée assez heureuse pour ne désirer que très médiocrement toute autre sorte de plaisirs que ceux que me permet cette retraite ; celui que les femmes se procurent entre elles est si délicieux, que je n’aspire à presque rien au-delà. Je comprends pourtant qu’on aime les hommes ; j’entends à merveille qu’on fasse tout pour s’en procurer ; je conçois tout sur l’article du libertinage… Qui sait même si je n’ai pas été beaucoup au-dessus de ce que peut saisir l’imagination ?

Les premiers principes de ma philosophie, Juliette, continua Mme Delbène, qui s’attachait plus particulièrement à moi depuis la perte d’Euphrosine, sont de braver l’opinion publique ; tu n’imagines pas à quel point, ma chère, je me moque de tout ce qu’on peut dire de moi. Et que peut faire au bonheur, je t’en prie, cette opinion de l’imbécile vulgaire ? Elle ne nous affecte qu’en raison de notre sensibilité ; mais si, à force de sagesse et de réflexion, nous sommes parvenues à émousser cette sensibilité au point de ne plus sentir ses effets, même dans les choses qui nous touchent le plus, il deviendra parfaitement impossible que l’opinion bonne ou mauvaise des autres puisse rien faire à notre félicité. Ce n’est qu’en nous seules que doit consister cette félicité ; elle ne dépend que de notre conscience, et peut-être encore un peu plus de nos opinions, sur lesquelles seules doivent être étayées les plus sûres inspirations de la conscience. Car la conscience, poursuivait cette femme remplie d’esprit, n’est pas une chose uniforme ; elle est presque toujours le résultat des mœurs et de l’influence des climats, puisqu’il est de fait que les Chinois, par exemple, ne répugnent nullement à des actions qui nous feraient frémir en France. Si donc cet organe flexible peut se prêter à des extrêmes, seulement en raison du degré de latitude, il est donc de la vraie sagesse d’adopter un milieu raisonnable entre des extravagances et des chimères, et de se faire des opinions compatibles à la fois aux penchants qu’on a reçus de la nature et aux lois du gouvernement qu’on habite ; et ces opinions doivent créer notre conscience. Voilà pourquoi l’on ne saurait travailler trop jeune à adopter la philosophie qu’on veut suivre, puisqu’elle seule forme notre conscience, et que c’est à notre conscience de régler toutes les actions de notre vie.

— Quoi ! dis-je à Mme Delbène, vous avez porté cette indifférence au point de vous moquer de votre réputation ?

— Absolument, ma chère ; j’avoue même que je jouis intérieurement beaucoup plus de la conviction où je suis que cette réputation est mauvaise, que je n’aurais de plaisir à la savoir bonne. Ô Juliette ! retiens bien ceci : la réputation est un bien de nulle valeur, il ne nous dédommage jamais des sacrifices que nous lui faisons. Celle qui est jalouse de sa gloire éprouve autant de tourments que celle qui la néglige : l’une craint toujours que ce bien précieux ne lui échappe, l’autre frémit de son insouciance. S’il est donc autant d’épines dans la carrière de la vertu que dans celle du vice, d’où vient se tourmenter autant sur le choix, et d’où vient ne pas s’en rapporter pleinement à la nature sur celui qu’elle nous suggère ?

— Mais en adoptant ces maximes, objectai-je à Mme Delbène, j’aurais peur de briser trop de freins.

— En vérité, ma chère, me répondit-elle, j’aimerais autant que tu me disses que tu craindrais d’avoir trop de plaisirs ! Et quels sont-ils donc, ces freins ? Osons les envisager de sang-froid… Des conventions humaines presque toujours promulguées sans la sanction des membres de la société, détestées par notre cœur… contradictoires au bon sens : conventions absurdes, qui n’ont de réalité qu’aux yeux des sots qui veulent bien s’y soumettre, et qui ne sont que des objets de mépris aux yeux de la sagesse et de la raison… Nous jaserons sur tout cela. Je te l’ai dit, ma chère : je t’entreprends ; ta candeur et ta naïveté me prouvent que tu as grand besoin d’un guide dans la carrière épineuse de la vie, et c’est moi qui t’en servirai.

Rien n’était effectivement plus délabré que la réputation de Mme Delbène. Une religieuse à laquelle j’étais particulièrement recommandée, fâchée de mes liaisons avec l’abbesse, m’avertit que c’était une femme perdue ; elle avait gangrené presque toutes les pensionnaires du couvent, et plus de quinze ou seize avaient déjà, par ses conseils, pris le même parti qu’Euphrosine. C’était, m’assurait-on, une femme sans foi, ni loi, ni religion, affichant impudemment ses principes, et contre laquelle on aurait déjà vigoureusement sévi, sans son crédit et sa naissance. Je me moquais de ces exhortations ; un seul baiser de la Delbène, un seul de ses conseils, avaient plus d’empire sur moi que toutes les armes qu’on pouvait employer pour m’en séparer. Eût-elle dû m’entraîner dans le précipice, il me semblait que j’eusse mieux aimé me perdre avec elle que de m’illustrer avec une autre. Ô mes amis ! il est une sorte de perversité délicieuse à nourrir ; entraînés vers elle par la nature… si la froide raison nous en éloigne un moment, la main des voluptés nous y replace, et nous ne pouvons plus nous en écarter.

Mais notre aimable supérieure ne tarda pas à me faire voir que je ne la fixais pas toute seule, et je m’aperçus bientôt que d’autres partageaient des plaisirs où le libertinage avait plus de part que la délicatesse.

— Viens demain goûter avec moi, me dit-elle un jour ; Élisabeth, Flavie, Mme de Volmar et Sainte-Elme seront de la partie, nous serons six en tout ; je veux que nous fassions des choses inconcevables.

— Comment ! dis-je, tu t’amuses donc avec toutes ces femmes ?

— Assurément. Eh quoi ! tu t’imagines que je m’en tiens là ? Il y a trente religieuses dans cette maison : vingt-deux m’ont passé par les mains ; il y a dix-huit novices : une seule m’est encore inconnue ; vous êtes soixante pensionnaires : trois seulement m’ont résisté ; à mesure qu’il en paraît une nouvelle, il faut que je l’aie, je ne lui donne pas plus de huit jours de réflexion. Ô Juliette, Juliette ! mon libertinage est une épidémie, il faut qu’il corrompe tout ce qui m’entoure ! Il est très heureux pour la société que je m’en tienne à cette douce façon de faire le mal ; avec mes penchants et mes principes, j’en adopterais peut-être une qui serait bien plus fatale aux hommes.

— Eh ! que ferais-tu, ma bonne ?

— Que sais-je ? Ignores-tu que les effets d’une imagination aussi dépravée que la mienne sont comme les flots impétueux d’un fleuve qui déborde ? La nature veut qu’il fasse du dégât, et il en fait, n’importe comment.

— Ne mettrais-tu pas, dis-je à mon interlocutrice, sur le compte de la nature ce qui ne doit être que sur celui de la dépravation ?

— Écoute-moi, mon ange, me dit la supérieure, il n’est pas tard, nos amies ne doivent se rendre ici que sur les six heures ; je veux répondre avant qu’elles n’arrivent à tes frivoles objections.

Nous nous assîmes.

— Comme nous ne connaissons les inspirations de la nature, me dit Mme Delbène, que par ce sens que nous appelons conscience, c’est en analysant ce qu’est la conscience que nous pourrons approfondir avec sagesse ce que sont les mouvements de la nature, qui fatiguent, tourmentent ou font jouir cette conscience.

On appelle conscience, ma chère Juliette, cette espèce de voix intérieure qui s’élève en nous à l’infraction d’une chose défendue, de quelque nature qu’elle puisse être : définition bien simple, et qui fait voir du premier coup d’œil que cette conscience n’est l’ouvrage que du préjugé reçu par l’éducation, tellement que tout ce qu’on interdit à l’enfant lui cause des remords dès qu’il l’enfreint, et qu’il conserve ses remords jusqu’à ce que le préjugé vaincu lui ait démontré qu’il n’y avait aucun mal réel dans la chose défendue.

Ainsi la conscience est purement et simplement l’ouvrage ou des préjugés qu’on nous inspire, ou des principes que nous nous formons. Cela est si vrai, qu’il est très possible de se former avec des principes nerveux une conscience qui nous tracassera, qui nous affligera, toutes les fois que nous n’aurons pas rempli, dans toute leur étendue, les projets d’amusements, même vicieux… même criminels, que nous nous étions promis d’exécuter pour notre satisfaction. De là naît cette autre sorte de conscience qui, dans un homme au-dessus de tous les préjugés, s’élève contre lui, quand, par des démarches fausses, il a pris, pour arriver au bonheur, une route contraire à celle qui devait naturellement l’y conduire. Ainsi, d’après les principes que nous nous sommes faits, nous pouvons donc également nous repentir ou d’avoir fait trop de mal, ou de n’en avoir pas fait assez. Mais prenons le mot dans l’acception la plus simple et la plus commune : alors le remords, c’est-à-dire l’organe de cette voix intérieure que nous venons d’appeler conscience, est une faiblesse parfaitement inutile, et dont nous devons étouffer l’empire avec toute la vigueur dont nous sommes capables ; car le remords, encore une fois, n’est que l’ouvrage du préjugé produit par la crainte de ce qui peut nous arriver après avoir fait une chose défendue, de quelque nature qu’elle puisse être, sans examiner si elle est mal ou bien. Ôtez le châtiment, changez l’opinion, anéantissez la loi, déclimatisez le sujet, le crime restera toujours, et l’individu n’aura pourtant plus de remords. Le remords n’est donc plus qu’une réminiscence fâcheuse, résultative des lois et des coutumes adoptées, mais nullement dépendante de l’espèce du délit. Eh ! si cela n’était pas ainsi, parviendrait-on à l’étouffer ? Et n’est-il pas pourtant bien certain qu’on y réussit, même dans les choses de la plus grande conséquence, en raison des progrès de son esprit et de la manière dont on travaille à l’extinction de ses préjugés ; en sorte qu’à mesure que ces préjugés s’effacent par l’âge, ou que l’habitude des actions qui nous effrayaient parvient à endurcir la conscience, le remords, qui n’était que l’effet de la faiblesse de cette conscience, s’anéantit bientôt tout à fait, et qu’on arrive ainsi, tant qu’on veut, aux excès les plus effrayants ? Mais, m’objectera-t-on peut-être, l’espèce de délit doit donner plus ou moins de violence au remords. Sans doute, parce que le préjugé d’un grand crime est plus fort que celui d’un petit… la punition de la loi plus sévère ; mais sachez détruire également tous les préjugés, sachez mettre tous les crimes au même rang, et, vous convainquant bientôt de leur égalité, vous saurez modeler sur eux le remords, et, comme vous aurez appris à braver le remords du plus faible, vous apprendrez bientôt à vaincre le repentir du plus fort et à les commettre tous avec un égal sang-froid… Ce qui fait, ma chère Juliette, que l’on éprouve du remords après une mauvaise action, c’est que l’on est persuadé du système de la liberté, et l’on se dit : Que je suis malheureux de n’avoir pas agi différemment ! Mais si l’on voulait bien se persuader que ce système de la liberté est une chimère, et que nous sommes poussés à tout ce que nous faisons par une force plus puissante que nous, si l’on voulait être convaincu que tout est utile dans le monde, et que le crime dont on se repent est devenu aussi nécessaire à la nature que la guerre, la peste ou la famine dont elle désole périodiquement les empires, infiniment plus tranquilles sur toutes les actions de notre vie, nous ne concevrions même pas le remords ; et ma chère Juliette ne me dirait pas que j’ai tort de mettre sur le compte de la nature ce qui ne doit être que sur celui de ma dépravation.

Tous les effets moraux, poursuivit Mme Delbène, tiennent à des causes physiques auxquelles ils sont irrésistiblement enchaînés. C’est le son qui résulte du choc de la baguette sur la peau du tambour : point de cause physique, c’est-à-dire point de choc, et, nécessairement, point d’effet moral, c’est-à-dire point de son. De certaines dispositions de nos organes, le fluide nerval plus ou moins irrité par la nature des atomes que nous respirons… par l’espèce ou la quantité de particules nitreuses contenues dans les aliments que nous prenons, par le cours des humeurs, et par mille autres causes externes, déterminent un homme au crime ou à la vertu, et, souvent dans le même jour, à l’un et à l’autre : voilà le choc de la baguette, le résultat du vice ou de la vertu ; cent louis volés dans la poche de mon voisin, ou donnés de la mienne à un malheureux, voilà l’effet du choc, ou le son. Sommes-nous maîtres de ces seconds effets, quand les premières causes les nécessitent ? Le tambour peut-il être frappé sans qu’il en résulte un son ? Et pouvons-nous nous opposer à ce choc, quand il est lui-même le résultat de choses si étrangères à nous, et si dépendantes de notre organisation ? Il y a donc de la folie, de l’extravagance, et à ne pas faire tout ce que bon nous semble, et à nous repentir de ce que nous avons fait. Le remords n’est donc, d’après cela, qu’une faiblesse pusillanime que nous devons vaincre, autant que cela peut dépendre de nous, par la réflexion, le raisonnement et l’habitude. Quel changement, d’ailleurs, le remords peut-il apporter à ce que l’on a fait ? Il n’en peut diminuer le mal, puisqu’il ne vient jamais qu’après l’action commise ; il empêche bien rarement de la commettre encore, et n’est donc, par conséquent, bon à rien. Après que le mal est commis, il arrive nécessairement deux choses : ou il est puni, ou il ne l’est pas. Dans cette seconde hypothèse, le remords serait assurément d’une bêtise affreuse : car à quoi servirait-il de se repentir d’une action, de quelque nature qu’elle pût être, qui nous aurait apporté une satisfaction très complète et qui n’aurait eu aucune suite fâcheuse ? Se repentir, dans un tel cas, du mal que cette action aurait pu faire au prochain, serait l’aimer mieux que soi, et il est parfaitement ridicule de se faire un chagrin de la peine des autres, quand cette peine nous a fait plaisir, quand elle nous a servis, chatouillés, délectés, en quelque sens que ce puisse être. Conséquemment, dans ce cas-ci, le remords ne saurait avoir lieu. Si l’action est découverte, et qu’elle soit punie, alors, si l’on veut bien s’examiner, on reconnaîtra que ce n’est pas du mal arrivé au prochain par notre action que l’on se repent, mais de la maladresse que l’on a eue en le commettant, de manière à ce qu’elle ait pu être découverte ; et alors il faut se livrer sans doute aux réflexions produites par le regret de cette maladresse… seulement pour en recueillir plus de prudence, si la punition vous laisse vivre ; mais ces réflexions ne sont pas des remords, car le remords réel est la douleur produite par celle qu’on a occasionnée aux autres, et les réflexions dont nous parlons ne sont que les effets de la douleur produite par le mal que l’on s’est fait à soi-même : ce qui fait voir l’extrême différence qui existe entre l’un et l’autre de ces sentiments, et, en même temps, l’utilité de l’un et le ridicule de l’autre.

Quand nous nous sommes livrés à une mauvaise action, de quelque atrocité qu’elle puisse être, que la satisfaction qu’elle nous a donnée, ou le profit que nous en avons recueilli, nous console amplement du mal qui en a rejailli sur notre prochain ! Avant que de commettre cette action, nous avons bien prévu le mal qu’en ressentiraient les autres ; cette pensée ne nous a pourtant point arrêtés : au contraire, le plus souvent elle nous a fait plaisir. Lui permettre plus de force après l’action commise, ou une manière différente de nous agiter, est la plus grande sottise que l’on puisse faire. Si cette action influe sur le malheur de notre vie, parce qu’elle a été découverte, appliquons tout notre esprit à démêler, à combiner les causes qui ont pu la faire découvrir ; et sans nous repentir d’une chose qu’il n’a pas été en nous de pouvoir arranger autrement, mettons tout en œuvre pour ne pas manquer de prudence à l’avenir, tirons du malheur qui a pu nous arriver de cette faute l’expérience nécessaire à améliorer nos moyens, et nous assurer dorénavant l’impunité, au moyen de l’épaisseur des voiles que nous jetterons sur l’involontaire dérèglement de notre conduite. Mais, par de vains et inutiles remords, n’entreprenons point d’extirper les principes, car cette mauvaise conduite, cette dépravation, ces égarements vicieux, criminels ou atroces, nous ont plu, nous ont délectés, et nous ne devons pas nous priver d’une chose agréable. Ce serait ici la folie d’un homme qui, parce qu’un grand dîner lui aurait fait mal, voudrait à l’avenir se priver à jamais de ce repas.

La véritable sagesse, ma chère Juliette, ne consiste pas à réprimer ses vices, parce que les vices constituant presque l’unique bonheur de notre vie, ce serait devenir soi-même son bourreau que de les vouloir réprimer ; mais elle consiste à s’y livrer avec un tel mystère, avec des précautions si étendues, qu’on ne puisse jamais être surpris. Qu’on ne craigne point par là d’en diminuer les délices : le mystère ajoute au plaisir. Une telle conduite, d’ailleurs, assure l’impunité, et l’impunité n’est-elle pas le plus délicieux aliment des débauches ?

Après t’avoir appris à régler le remords né de la douleur d’avoir fait le mal trop à découvert, il est essentiel, ma chère amie, que je t’indique à présent la manière d’éteindre totalement en soi cette voix confuse qui, dans le calme des passions, vient encore quelquefois réclamer contre les égarements où elles nous ont portés ; or, cette manière est aussi sûre que douce, puisqu’elle ne consiste qu’à renouveler si souvent ce qui nous a donné des remords, que l’habitude, ou de commettre cette action, ou de la combiner, énerve entièrement toute possibilité d’en pouvoir former des regrets. Cette habitude, en anéantissant le préjugé, en contraignant notre âme à se mouvoir souvent de la manière et dans la situation qui primitivement la gênaient, finit par lui rendre le nouvel état adopté facile, et même délicieux. L’orgueil vient à l’appui ; non seulement on a fait une chose que personne n’oserait faire, mais on s’y est même si bien accoutumé, qu’on ne peut plus exister sans cette chose : voilà d’abord une jouissance. L’action commise en produit une autre ; et qui doute que cette multiplication de plaisirs n’accoutume bien promptement une âme à se plier à la manière d’être qu’elle doit acquérir, quelque pénible qu’ait pu lui sembler, en commençant, la situation forcée où cette action la contraignait ?

N’éprouvons-nous pas ce que je te dis dans tous les prétendus crimes où la volupté préside ? Pourquoi ne se repent-on jamais d’un crime de libertinage ? Parce que le libertinage devient très promptement une habitude. Il en pourrait être de même de tous les autres égarements ; tous peuvent, comme la lubricité, se changer aisément en coutume, et tous peuvent, comme la luxure, exciter dans le fluide nerval un chatouillement qui, ressemblant beaucoup à cette passion, peut devenir aussi délicieux qu’elle, et par conséquent, comme elle, se métamorphoser en besoin.

Ô Juliette, si tu veux, comme moi, vivre heureuse dans le crime… et j’en commets beaucoup, ma chère… si tu veux, dis-je, y trouver le même bonheur que moi, tâche de t’en faire, avec le temps, une si douce habitude, qu’il te devienne comme impossible de pouvoir exister sans le commettre ; et que toutes les convenances humaines te paraissent si ridicules, que ton âme flexible, et malgré cela nerveuse, se trouve imperceptiblement accoutumée à se faire des vices de toutes les vertus humaines et des vertus de tous les crimes : alors un nouvel univers semblera se créer à tes regards ; un feu dévorant et délicieux se glissera dans tes nerfs, il embrasera ce fluide électrique dans lequel réside le principe de la vie. Assez heureuse pour vivre dans un monde dont ma triste destinée m’exile, chaque jour tu formeras de nouveaux projets, et chaque jour leur exécution te comblera d’une volupté sensuelle qui ne sera connue que de toi. Tous les êtres qui t’entoureront te paraîtront autant de victimes dévouées par le sort à la perversité de ton cœur ; plus de liens, plus de chaînes, tout disparaîtra promptement sous le flambeau de tes désirs, aucune voix ne s’élèvera plus dans ton âme pour énerver l’organe de leur impétuosité, nuls préjugés ne militeront plus en leur faveur, tout sera dissipé par la sagesse, et tu arriveras insensiblement aux derniers excès de la perversité par un chemin couvert de fleurs. C’est alors que tu reconnaîtras la faiblesse de ce qu’on t’offrait autrefois comme des inspirations de la nature ; quand tu auras badiné quelques années avec ce que les sots appellent ses lois, quand, pour te familiariser avec leur infraction, tu te seras plu à les pulvériser toutes, tu verras la mutine, ravie d’avoir été violée, s’assouplissant sous tes désirs nerveux, venir d’elle-même s’offrir à tes fers… te présenter les mains pour que tu la captives ; devenue ton esclave au lieu d’être ta souveraine, elle enseignera finement à ton cœur la façon de l’outrager encore mieux, comme si elle se plaisait dans l’avilissement, et comme si ce n’était réellement qu’en t’indiquant de l’insulter à l’excès qu’elle eût l’art de te mieux réduire à ses lois. Ne résiste jamais, quand tu en seras là ; insatiable dans ses vues sur toi, dès que tu auras trouvé le moyen de la saisir, elle te conduira pas à pas d’écart en écart ; le dernier commis ne sera jamais qu’un acheminement à celui par lequel elle se prépare à se soumettre à toi de nouveau ; telle que la prostituée de Sybaris, qui se livre sous toutes les formes et prend toutes les figures pour exciter les désirs du voluptueux qui la paye, elle t’apprendra de même cent façons de la vaincre, et tout cela pour t’enchaîner plus sûrement à son tour. Mais une seule résistance, je te le répète, une seule te ferait perdre tout le fruit des dernières chutes ; tu ne connaîtras rien si tu n’as pas tout connu ; et si tu es assez timide pour t’arrêter avec elle, elle t’échappera pour jamais. Prends garde surtout à la religion, rien ne te détournera du bon chemin comme ses inspirations dangereuses : semblable à l’hydre dont les têtes renaissent à mesure qu’on les coupe, elle te fatiguera sans cesse, si tu n’as le plus grand soin d’en anéantir perpétuellement les principes. Je crains que les idées bizarres de ce Dieu fantastique dont on empoisonna ton enfance ne reviennent troubler ton imagination au milieu de ses plus divins écarts : ô Juliette, oublie-la, méprise-la, l’idée de ce Dieu vain et ridicule ; son existence est une ombre que dissipe à l’instant le plus faible effort de l’esprit, et tu ne seras jamais tranquille tant que cette odieuse chimère n’aura pas perdu sur ton âme toutes les facultés que lui donna l’erreur. Nourris-toi sans cesse des grands principes de Spinoza, de Vanini, de l’auteur du Système de la Nature, nous les étudierons, nous les analyserons ensemble ; je t’ai promis de profondes discussions sur ce sujet, je te tiendrai parole : nous nous remplirons toutes deux de l’esprit de ces sages principes. S’il te survient encore des doutes, tu me les communiqueras, je te tranquilliserai : aussi ferme que moi, tu m’imiteras bientôt, et, comme moi, tu ne prononceras plus le nom de cet infâme Dieu que pour le blasphémer et le haïr. L’idée d’une telle chimère est, je l’avoue, le seul tort que je ne puisse pardonner à l’homme ; je l’excuse dans tous ses écarts, je le plains de toutes ses faiblesses, mais je ne puis lui passer l’érection d’un tel monstre, je ne lui pardonne pas de s’être forgé lui-même les fers religieux qui l’ont accablé si violemment, et d’être venu présenter lui-même le cou sous le joug honteux qu’avait préparé sa bêtise. Je ne finirais pas, Juliette, s’il fallait me livrer à toute l’horreur que m’inspire l’exécrable système de l’existence d’un Dieu : mon sang bouillonne à son nom seul ; il me semble voir autour de moi, quand je l’entends prononcer, les ombres palpitantes de tous les malheureux que cette abominable opinion a détruits sur la surface du globe ; elles m’invoquent, elles me conjurent d’employer tout ce que j’ai pu recevoir de forces ou de talent, pour extirper de l’âme de mes semblables l’idée du dégoûtant fantôme qui les fit périr sur la terre.

Ici, Mme Delbène me demanda où j’en étais sur ces choses-là.

— Je n’ai point encore fait ma première communion, lui dis-je.

— Ah ! tant mieux, me répondit-elle en m’embrassant ; va, mon ange, je t’éviterai cette idolâtrie ; à l’égard de la confession, réponds, lorsqu’on t’en parlera, que tu n’es pas préparée. La mère des novices est mon amie, elle dépend de moi, je te recommanderai à elle, et tu n’en seras point tracassée. Quant à la messe, malgré nous il faut y paraître ; mais, tiens, vois-tu cette jolie petite collection de livres ? me dit-elle en me montrant une trentaine de volumes reliée en maroquin rouge ; je te prêterai ces ouvrages, et leur lecture, pendant l’abominable sacrifice, te consolera de l’obligation d’en être témoin.

— Ô mon amie ! dis-je à Mme Delbène, que d’obligations je t’aurai ! Mon cœur et mon esprit avaient devancé tes conseils… non sur la morale, tu viens de me dire des choses trop fortes et trop neuves pour qu’elles se fussent déjà présentées à moi ; mais je ne t’avais pas attendue pour détester, comme toi, la religion, et ce n’était qu’avec le plus extrême dégoût que j’en remplissais les affreux devoirs. Que de plaisirs tu me fais en me promettant d’étendre mes lumières ! Hélas ! n’ayant rien entendu dire sur ces objets superstitieux, tous les frais de ma petite impiété ne sont encore dus qu’à la nature.

— Ah ! suis ses inspirations, mon ange… voilà celles qui ne te tromperont jamais.

— Sais-tu, poursuivis-je, que tout ce que tu viens de m’apprendre est bien fort, et qu’il est rare d’être instruite à ce point à ton âge. Me permets-tu de le dire, ma bonne, il est difficile que la conscience soit au degré où tu peins la tienne, sans quelques actions très extraordinaires ; et comment, pardonne à ma question, comment, dans ton intérieur, as-tu eu l’occasion des délits capables de t’endurcir à ce point ?

— Un jour tu sauras tout cela, me répondit la supérieure en se levant.

— Et pourquoi ces retards ?… crains-tu ?

— Oui, de te faire horreur.

— Jamais, jamais !

Et la compagnie qui se fit entendre empêcha Delbène de m’éclaircir sur ce que je brûlais de savoir.

— Chut, chut ! me dit-elle, pensons au plaisir maintenant… Baise-moi, Juliette ; je te promets ma confiance un jour.

Mais nos amies paraissent ; il faut que je vous les peigne.

Mme de Volmar venait de prendre le voile, il y avait environ six mois. À peine âgée de vingt ans, grande, mince, élancée, fort blanche, les cheveux châtains, et le plus beau corps possible, Volmar, douée de tant de charmes, était avec raison une des élèves les plus riches de Mme Delbène, et, après elle, la plus libertine de toutes les femmes qui allaient assister à nos orgies.

Sainte-Elme était une novice de dix-sept ans, d’une figure charmante, très animée, de beaux yeux, une gorge moulée, et l’ensemble excessivement voluptueux. Élisabeth et Flavie étaient deux pensionnaires, dont la première avait à peine treize ans, la seconde seize. La figure d’Élisabeth était fine, des traits fort délicats, des formes agréables et déjà prononcées. Pour Flavie, c’était bien la plus céleste figure qu’il fût possible de voir au monde : on n’avait point un plus joli rire, de plus belles dents, de plus beaux cheveux ; on ne possédait point une plus belle taille, une peau plus douce et plus fraîche. Ah ! mes amis, si j’avais la déesse des fleurs à peindre, je ne choisirais jamais d’autre modèle.

Les premiers compliments ne furent pas longs ; toutes, sachant bien la cause de leur réunion, ne tardèrent pas à en venir au fait ; mais leurs propos, je l’avoue, m’étonnèrent. On ne saisit pas, au milieu même d’un bordel, tous ceux du libertinage, avec l’aisance et la facilité de ces jeunes personnes ; et rien n’était plaisant comme le contraste de leur modestie, de leur retenue dans le monde, et de leur énergique indécence dans ces assemblées luxurieuses.

— Delbène, dit Mme de Volmar en entrant, je te défie de me faire décharger aujourd’hui ; je suis épuisée, ma chère ; j’ai passé la nuit avec Fontenille… J’adore cette petite friponne ; de ma vie je ne fus mieux branlée… je n’ai jamais versé tant de foutre, avec tant d’abondance… avec tant de délices ! Oh, ma bonne, nous avons fait des choses !

— Incroyables, n’est-ce pas ? dit Delbène. Eh bien, je veux que nous en fassions ce soir de mille fois plus extraordinaires.

— Oh, foutre ! dépêchons-nous donc, dit Sainte-Elme ; je bande, moi : je ne suis pas comme Volmar, j’ai couché seule.

Et se troussant :

— Tiens, vois mon con… vois comme il a besoin de secours !

— Un moment, dit la supérieure ; ceci est une cérémonie de réception. J’admets Juliette dans notre société : il faut qu’elle remplisse les formalités d’usage.

— Qui ? Juliette ? dit étourdiment Flavie qui ne m’avait point encore aperçue ; ah ! je connais à peine cette jolie fille… Tu te branles donc, mon cœur ? continua-t-elle en venant me baiser sur la bouche… Tu es donc libertine… tu es donc tribade comme nous ?

Et la friponne, sans plus de préliminaires, me prit le con et la gorge à la fois.

— Laisse-la donc, dit Volmar, qui, me troussant par derrière, examinait mes fesses ; laisse-la donc, il faut qu’elle soit reçue avant que nous ne nous en servions.

— Tiens, Delbène, dit Élisabeth, regarde donc Volmar qui baise le cul de Juliette : elle la prend pour un petit garçon ; la garce veut l’enculer !

(Et remarquez que c’était la plus jeune qui parlait ainsi.)

— Ne sais-tu pas, dit Sainte-Elme, que Volmar est un homme ? Elle a un clitoris de trois pouces, et, destinée à outrager la nature, quel que soit le sexe qu’elle adopte, il faut que la putain soit tout à tour tribade ou bougre ; elle n’y connaît pas de milieu.

Puis, s’approchant elle-même et m’examinant de tous côtés, attendu que Flavie montrait mon devant et Volmar mon derrière :

— Il est certain, poursuivit-elle, que la petite coquine est bien faite, et je jure qu’avant la fin du jour je saurai le goût de son foutre.

— Un moment donc, un moment, mesdemoiselles ! dit Delbène en cherchant à rétablir l’ordre.

— Eh, sacredieu ! presse-toi, dit Sainte-Elme, je bande ! Qu’attends-tu donc pour commencer ? Faut-il que nous fassions nos prières avant que de nous branler le con ? À bas les robes, mes amies !…

Et, dans l’instant, vous eussiez vu six jeunes filles, plus belles que le jour, s’admirer… se caresser nues, et former entre elles les groupes les plus agréables et les plus variés.

— Oh ! pour à présent, reprit Delbène avec autorité, vous ne pouvez me refuser un peu d’ordre… Écoutez-moi : Juliette va s’étendre sur ce lit, et vous irez, chacune à votre tour, goûter le plaisir qui vous conviendra le mieux avec elle ; moi, bien en face de l’opération, je vous prendrai toutes à mesure que vous la quitterez, et les luxures commencées avec Juliette s’achèveront sur moi ; mais je ne me presserai point, mon foutre n’éjaculera que quand je vous aurai toutes les cinq sur le corps.

L’extrême vénération que l’on avait pour les ordres de la supérieure fit mettre à leur exécution la ponctualité la plus entière. Toutes ces créatures étant fort libertines, peut-être ne serez-vous pas fâchés d’entendre ce que chacune exigea de moi.

Comme elles arrivaient par rang d’âge, Élisabeth passa la première. La jolie friponne m’examina partout, et, après m’avoir couverte de baisers, elle s’entrelaça dans mes cuisses, se frotta sur moi, et nous nous pâmâmes toutes deux. Flavie vint après ; elle y mit plus de recherches. Après mille délicieux préliminaires, nous nous couchâmes en sens inverse l’une et l’autre, et, de nos langues frétillantes, nous fîmes jaillir des torrents de foutre. Sainte-Elme approche, elle s’étend sur le lit, me fait asseoir sur son visage, et, pendant que son nez branle le trou de mon cul, sa langue s’enfonce dans mon con. Courbée sur elle par mon attitude, je puis la gamahucher de même : je le fais ; mes doigts chatouillent son cul, et cinq éjaculations de suite me prouvent que le besoin qu’elle annonçait n’était pas illusoire. Je le lui rendis complètement ; jamais encore je n’avais été plus voluptueusement sucée. Volmar ne veut que mes fesses, elle les dévore de baisers, et, préparant la voie étroite avec sa langue de rose, la libertine se colle sur moi, m’enfonce son clitoris dans le cul, se secoue longtemps, retourne ma tête, baise ardemment ma bouche, suce ma langue et me branle en m’enculant. La gueuse ne s’en tient pas là : m’armant d’un godemiché qu’elle-même fixe le long de mes reins, elle se présente à mes coups, et, les dirigeant au derrière, la coquine est sodomisée ; je la branlais, elle pensa mourir de plaisir.

Après cette dernière incursion, je fus prendre le poste qui m’attendait sur le corps de la Delbène. Voici comment la putain disposa le groupe :

Élisabeth, sur le dos, était établie au bord du lit. Delbène, étendue dans ses bras, s’en faisait branler le clitoris. Flavie, à genoux, les jambes sous le lit, la tête à la hauteur du con de la supérieure, la gamahuchait et lui pressait les cuisses. Au-dessus d’Élisabeth, Sainte-Elme, le cul sur le visage de cette dernière, présentait en plein son con aux baisers de Delbène, que Volmar enculait de son clitoris brûlant. On m’attendait pour compléter le groupe. Mise un peu courbée auprès de Sainte-Elme, j’offrais à lécher à l’envers ce que celle-ci faisait gamahucher par-devant. Delbène passait avec inconstance et rapidité du con de Sainte-Elme au trou de mon cul, léchait, pompait ardemment l’un et l’autre, et, se remuant avec l’agilité la plus incroyable sous les doigts d’Élisabeth, sous la langue de Flavie et sous le clitoris de Volmar, la tribade n’était pas une minute sans répandre des torrents de foutre.

— Oh ! sacredieu ! dit Delbène en se retirant de là rouge comme une bacchante, double Dieu ! comme j’ai déchargé ! N’importe, suivons nos opérations ; que chacune de vous maintenant se place sur le lit ; Juliette exigera d’elle tour à tour ce qui lui conviendra, vous serez contraintes à vous y prêter ; mais comme elle est encore bien neuve, je la conseillerai ; le groupe se formera sur elle ensuite, comme il vient de se former sur moi, et nous ferons éjaculer son foutre jusqu’à ce qu’elle demande grâce.

Élisabeth est la première offerte à mon libertinage.

— Place-la, me dit Delbène qui me conseillait, de manière à ce que tu puisses baiser sa jolie petite bouche pendant qu’elle te branlera ; et, pour que tu sois chatouillée de partout, je vais, pendant toute la séance, me charger du trou de ton cul.

Flavie remplace Élisabeth.

— Je te recommande les jolis tétons de cette petite fille, me dit l’abbesse ; suce-les-lui, pendant qu’elle te chatouille… À cause des goûts de Volmar, il faut que tu lui enfonces ta langue dans le cul, pendant que, courbée sur toi, la friponne te gamahuchera… Pour Sainte-Elme, poursuivit la supérieure, sais-tu ce que j’en ferais ? Je m’arrangerais de manière à pouvoir lui sucer à la fois le cul et le con, pendant qu’elle te le rendrait… Et quant à moi, commande, ma mie, je suis à tes ordres.

Échauffée de ce que j’avais vu faire à Volmar :

— Je veux t’enculer, dis-je, avec ce godemiché.

— Fais, ma bonne, fais, me répond humblement Delbène en se présentant à mes coups, voilà mon cul, je te le livre.

— Eh bien ! dis-je en sodomisant mon institutrice, puisque le groupe doit s’arranger sur moi, qu’il commence tout de suite. Chère Volmar, continuai-je, que ton clitoris rende à mon cul ce que je fais à celui de Delbène ; tu ne saurais à quel point mon tempérament s’irrite de cette manière de jouir. De chacune de mes mains, je voudrais branler Élisabeth et Sainte-Elme, pendant que je sucerais le con de Flavie.

Les ordres de la supérieure étant de m’épuiser, je n’eus la peine de rien dire : les situations varièrent sept fois, et sept fois mon foutre coula dans leurs bras.

Les plaisirs de la table succédèrent à ceux de l’amour une superbe collation nous attendait. Différentes sortes de vins ou de liqueurs ayant vivement échauffé nos têtes, on se remit au libertinage ; trois groupes se dessinèrent. Sainte-Elme, Delbène et Volmar, comme les plus âgées, se choisirent chacune une branleuse ; par hasard ou par prédilection, Delbène ne me manqua pas ; Élisabeth était devenue le choix de Sainte-Elme, et Flavie celui de Volmar. Les groupes étaient arrangés de manière à ce que chacun jouissait de la vue des plaisirs de l’autre. On n’a pas l’idée de ce que nous fîmes. Oh ! comme Sainte-Elme était délicieuse ! Ardemment passionnées l’une pour l’autre, nous nous branlâmes toutes deux jusqu’à l’extinction : il ne fut rien que nous n’imaginâmes, rien que nous ne fîmes. Enfin, tout se remêla, et les deux dernières heures de cette voluptueuse débauche furent si lascives, que dans aucun bordel peut-être il ne se commit tant de luxures.

Une chose m’avait paru singulière : c’était l’extrême ménagement qu’on avait pour le pucelage des pensionnaires. On n’observait pas sans doute les mêmes lois vis-à-vis de celles dont les vœux étaient prononcés ; mais on respectait à un point que je ne pouvais comprendre celles qui se destinaient au monde.

— Leur honneur y tient, me dit Delbène, que j’interrogeai sur cette réserve ; nous voulons bien nous amuser de ces jeunes filles, mais pourquoi les perdre ? pourquoi leur faire détester les moments qu’elles ont passés auprès de nous ? Non, nous avons cette vertu, et quelque corrompues que tu nous supposes, nous ne compromettons jamais nos amies.

Ces procédés me parurent superbes ; mais créée par la nature pour l’emporter de scélératesse, un jour, sur tout ce qui devait m’entourer, le désir de flétrir une de mes compagnes m’échauffa dès ce moment la tête pour le moins autant que celui d’être flétrie moi-même.

Delbène s’aperçut bientôt que je lui préférais Sainte-Elme. J’adorais effectivement cette charmante fille ; il m’était impossible de la quitter ; mais comme elle était infiniment moins spirituelle que la supérieure, un penchant naturel me ramenait invinciblement vers celle-ci.

— Avec la passion dont je te vois dévorée pour dépuceler une fille, ou pour l’être, me dit un jour cette charmante femme, je ne doute pas que Sainte-Elme, ou ne t’ait accordé ces plaisirs, ou ne te les promette bientôt. Il n’y a sûrement point de risque avec elle, puisqu’elle est destinée à passer comme moi ses jours dans le cloître ; mais, Juliette, si elle t’en faisait autant, tu ne trouverais jamais à te marier, et que de malheurs pourraient devenir les suites de cette faute ! Cependant, écoute-moi, mon ange, tu sais que je t’adore, fais-moi le sacrifice de Sainte-Elme, et je te satisfais à l’instant sur tous les plaisirs que tu souhaites. Tu choisiras dans le couvent celle dont tu voudras cueillir les prémices, et ce sera moi qui flétrirai les tiens… Les déchirements : les blessures… tranquillise-toi, j’arrangerai tout. Mais ceci sont de grands mystères ; pour y être initiée, il faut ta parole sacrée que, dès ce moment-ci, tu ne parleras plus à Sainte-Elme : autrement je ne mets point de bornes à ma vengeance.

Aimant trop cette charmante fille pour la compromettre, brûlant d’ailleurs de goûter les plaisirs qu’on me faisait espérer si je renonçais à elle, je promis tout.

— Eh bien ! me dit Delbène au bout d’un mois d’épreuve, ton choix est-il fait ? Qui veux-tu dépuceler ?

Et ici, mes amis, vous ne devineriez de la vie sur quel objet mon imagination libertine s’arrêtait avec complaisance ! Sur cette fille que voilà sous vos yeux… sur ma sœur. Mais Mme Delbène la connaissait trop bien pour ne pas me détourner de ce projet.

— Eh bien ! dis-je donne-moi Laurette.

Son enfance (à peine avait-elle dix ans), sa jolie petite mine éveillée, l’éclat de sa naissance, tout m’irritait… tout m’enflammait pour elle ; et la supérieure y voyant d’autant moins d’obstacles que cette jeune orpheline n’avait pour protecteur au couvent qu’un vieil oncle demeurant à cent lieues de Paris, m’assura que je pourrais regarder comme déjà sacrifiée la victime qu’immolaient d’avance mes perfides désirs.

Le jour était pris, lorsque Delbène m’ayant fait venir la veille pour passer la nuit dans ses bras, remit la conversation sur les matières religieuses.

— Je crains, me dit-elle, que tu n’ailles trop vite, mon enfant ; ton cœur, trompé par ton esprit, n’est pas encore au point où je le voudrais. Ces infamies superstitieuses te gênent toujours, je le parierais. Écoute, Juliette, prête-moi toute ton attention, et tâche qu’à l’avenir ton libertinage, étayé sur d’excellents principes, puisse avec effronterie, comme chez moi, se porter à tous les excès sans remords.

Le premier dogme qui s’offre à moi, lorsqu’on me parle de religion, est celui de l’existence de Dieu : comme il est la base de tout l’édifice, c’est par son examen que je dois raisonnablement commencer.

Ô Juliette ! n’en doutons pas, ce n’est qu’aux bornes de notre esprit qu’est due la chimère d’un Dieu ; ne sachant à qui attribuer ce que nous voyons, dans l’extrême impossibilité d’expliquer les inintelligibles mystères de la nature, nous avons gratuitement placé au-dessus d’elle un être revêtu du pouvoir de produire tous les effets dont les causes nous étaient inconnues.

Cet abominable fantôme ne fut pas plus tôt envisagé comme l’auteur de la nature, qu’il fallut bien le voir également comme celui du bien et du mal. L’habitude de regarder ces opinions comme vraies, et la commodité que l’on y trouvait pour satisfaire à la fois la paresse et la curiosité, firent promptement donner à cette fable le même degré de croyance qu’à une démonstration géométrique ; et la persuasion devint si vive, l’habitude si forte, qu’on eut besoin de toute sa raison pour se préserver de l’erreur. De l’extravagance qui admet un Dieu à celle qui le fait adorer, il ne devait y avoir qu’un pas : rien de plus simple que d’implorer ce que l’on craignait ; rien que de très naturel au procédé qui fait fumer l’encens sur les autels de l’individu magique que l’on fait à la fois le moteur et le dispensateur de tout. On le croyait méchant, parce que de très méchants effets résultaient de la nécessité des lois de la nature ; pour l’apaiser, il fallait des victimes : de là les jeûnes, les macérations, les pénitences, et toutes les autres imbécillités, fruits résultatifs de la crainte des uns et de la fourberie des autres ; ou, si tu l’aimes mieux, effets constants de la faiblesse des hommes, puisqu’il est certain que partout où il y en aura, se trouveront aussi des dieux enfantés par la terreur de ces hommes, et des hommages rendus à ces dieux, résultats nécessaires de l’extravagance qui les érige. Ne doutons pas, ma chère amie, que cette opinion de l’existence et du pouvoir d’un Dieu dispensateur des biens et des maux ne soit la base de toutes les religions de la terre. Mais laquelle préférer de toutes ces traditions ? Toutes allèguent des révélations faites en leur faveur, toutes citent des livres, ouvrages de leurs dieux, et toutes veulent exclusivement l’emporter l’une sur l’autre. Pour m’éclairer dans ce choix difficile, je n’ai que ma raison pour guide, et dès qu’à son flambeau j’examine toutes ces prétentions, toutes ces fables, je ne vois plus qu’un tas d’extravagances et de platitudes qui m’impatientent et me révoltent.

Après avoir rapidement parcouru les absurdes idées de tous les peuples sur cette importante matière, je m’arrête enfin à ce qu’en pensent les juifs et les chrétiens. Les premiers me parlent d’un Dieu, mais ils ne m’en expliquent rien, ils ne m’en donnent aucune idée, et je ne vois sur la nature du Dieu de ce peuple que des allégories puériles, indignes de la majesté de l’être dans lequel on veut que j’admette le créateur de l’univers ; ce n’est qu’avec des contradictions révoltantes que le législateur de cette nation me parle de son Dieu, et les traits sous lesquels il me le peint sont bien plus propres à me le faire détester que servir. Voyant que c’est ce Dieu même qui parle dans les livres qu’on me cite pour me l’expliquer, je me demande comment il est possible qu’un Dieu ait pu donner de sa personne des notions si propres à le faire mépriser des hommes. Cette réflexion me détermine à étudier ces livres avec plus de soin : que deviens-je, lorsque je ne puis m’empêcher de voir, en les examinant, que non seulement ils ne peuvent être dictés par l’esprit d’un Dieu, mais qu’ils sont même écrits très longtemps après l’existence de celui qui ose affirmer les avoir transmis d’après Dieu même ! Eh ! voilà donc comme on me trompe ! m’écriai-je au bout de mes recherches ; ces livres saints qu’on veut me donner comme l’ouvrage d’un Dieu ne sont plus que celui de quelques charlatans imbéciles, et je n’y vois, au lieu de traces divines, que le résultat de la bêtise et de la fourberie. Et, en effet, quelle plus lourde ineptie que celle d’offrir partout, dans ces livres, un peuple favori du souverain qu’il vient de se forger, annonçant à toutes les nations que ce n’est qu’à lui que Dieu parla ; que ce ne fut qu’à son sort qu’il put s’intéresser ; que ce n’est que pour lui qu’il dérange le cours des astres, qu’il sépare les mers, qu’il épaissit la rosée : comme s’il n’eût pas été bien plus facile à ce Dieu de pénétrer dans les cœurs, d’éclairer les esprits, que de déranger le cours de la nature, et comme si cette prédilection en faveur d’un petit peuple obscur, abject, ignoré, pouvait convenir à la majesté suprême de l’être auquel vous voulez que j’accorde la faculté d’avoir créé l’univers ? Mais quelle que soit l’envie que j’aurais d’acquiescer à ce que ces livres absurdes m’apprennent, je demande si le silence universel de tous les historiens des nations voisines sur les faits extraordinaires qui y sont consignés, ne devrait pas suffire à me faire révoquer en doute les merveilles qu’ils m’annoncent. Que dois-je penser, je vous prie, lorsque c’est dans le sein du peuple même qui m’entretient si fastueusement de son Dieu que je trouve le plus d’incrédules ? Quoi ! ce Dieu comble son peuple de faveurs et de miracles, et ce peuple chéri ne croit pas à son Dieu ? Quoi ! ce Dieu tonne sur le haut d’une montagne avec l’appareil le plus imposant, il dicte sur cette montagne des lois sublimes au législateur de ce peuple, qui, dans la plaine, doute de lui, et des idoles s’élèvent dans cette plaine pour narguer le Dieu législateur tonnant sur la montagne ? Il meurt enfin, cet homme singulier qui vient d’offrir aux Juifs un Dieu si magnifique, il expire ; un miracle accompagne sa mort : tant de motifs vont pénétrer sans doute de la majesté de ce Dieu le peuple témoin de sa grandeur que ne doivent point admettre les descendants de ceux qui ont tout vu. Mais, plus incrédules que leurs pères, l’idolâtrie culbute en peu d’années les autels chancelants du Dieu de Moïse, et les malheureux Juifs opprimés ne se souviennent de la chimère de leurs ancêtres que quand ils recouvrent leur liberté. De nouveaux chefs leur en parlent alors : malheureusement les promesses qu’ils leur font ne s’accordent pas avec les événements. Les Juifs, selon ces nouveaux chefs, devraient être heureux tant qu’ils seraient fidèles au Dieu de Moïse : jamais ils ne le respectèrent davantage, et jamais le malheur ne les opprima plus durement. Exposés à la colère des successeurs d’Alexandre, ils n’échappent aux fers de ceux-ci que pour retomber sous ceux des Romains, qui, las enfin de leur perpétuelle révolte, culbutent leur temple et les dispersent. Et voilà donc comment leur Dieu les sert ! voilà comme ce Dieu, qui les aime, qui ne trouble qu’en leur faveur l’ordre sacré de la nature, voilà comme il les traite, voilà comme il leur tient ce qu’il leur a promis !

Ce ne sera donc plus chez les Juifs que je chercherai le Dieu puissant de l’univers ; ne rencontrant chez cette misérable nation qu’un fantôme dégoûtant, né de l’imagination exaltée de quelques ambitieux, j’abhorrerai le Dieu méprisable offert par la scélératesse, et je jetterai les yeux sur les chrétiens.

Que de nouvelles absurdités se présentent ici ! Ce ne sont plus les livres d’un fou sur une montagne qui doivent me servir de règles : le Dieu dont il s’agit maintenant s’annonce par un ambassadeur bien plus noble, et le bâtard de Marie est bien autrement respectable que le fils délaissé de Jochabed ! Examinons donc ce polisson : que fait-il, qu’imagine-t-il pour me prouver son Dieu ? quelles sont ses lettres de créance ? Des gambades, des soupers de putains, des guérisons de charlatans, des calembours et des escroqueries. Il est le fils du Dieu qu’il m’annonce, ce malotru qui ne sait pas même m’en parler et qui, dès ce jour, n’écrivit une ligne ; il est Dieu lui-même, je dois le croire dès qu’il l’a dit. Le coquin est pendu, qu’importe ? sa secte l’abandonne, tout cela est égal : c’est là, c’est là seul qu’est le Dieu de l’univers. Il n’a pu prendre racine que dans le sein d’une Juive, il n’a pu naître que dans une étable ; c’est par l’abjection, la pauvreté, l’imposture, qu’il doit me convaincre : si je n’y crois point, tant pis pour moi, d’éternels supplices m’attendent ! Vous voyez bien que tout cela peint un Dieu, et qu’il n’est pas un seul trait dans le tableau qui n’élève l’âme et ne la persuade ! Ô comble de contradiction ! c’est sur l’ancienne loi que la nouvelle loi s’étaye, et la nouvelle, cependant, anéantit l’ancienne. Quelle sera donc la base de cette nouvelle ? Christ est donc à présent le législateur qu’il faut croire ? Lui seul va m’expliquer le Dieu qui me l’envoie ; mais si Moïse avait intérêt à me prêcher un Dieu dans lequel il prenait sa puissance, quel plus grand intérêt n’a pas le Nazaréen à me parler de Dieu dont il dit qu’il descend ! Certes, le législateur moderne en savait bien plus que l’ancien ; il suffisait au premier de causer familièrement avec son maître : le second est du même sang. Moïse, content de s’étayer des miracles de la nature, persuade à son peuple que la foudre ne s’allume que pour lui ; Jésus, bien plus adroit, fait le miracle lui-même ; et si tous deux méritent à jamais le mépris de leurs contemporains, il faut convenir au moins que le nouveau sut, avec plus de friponnerie, prétendre à l’estime des hommes ; et la postérité qui les juge en assignant à l’un une loge aux petites-maisons, ne pourra cependant s’empêcher de donner à l’autre une des premières places au gibet.

Tu vois, Juliette, dans quel cercle vicieux tombent les hommes, dès que leur tête s’égare sur ces inepties… La religion prouve le prophète, et le prophète, la religion.

Ce Dieu ne s’étant point encore montré, ni dans la secte juive, ni dans la secte bien autrement méprisable des chrétiens, je le cherche de nouveau, j’appelle la raison à mon secours, et je l’analyse elle-même, pour qu’elle me trompe moins. Qu’est-ce que la raison ? C’est cette faculté qui m’est donnée par la nature de me déterminer pour tel objet et de fuir tel autre, en proportion de la dose de plaisir ou de peine reçue de ces objets : calcul absolument soumis à mes sens, puisque c’est d’eux seuls que je reçois les impressions comparatives qui constituent ou les douleurs que je veux fuir, ou le plaisir que je dois chercher. La raison n’est donc autre chose, ainsi que le dit Fréret, que la balance avec laquelle nous pesons les objets, et par laquelle, remettant sous le poids ceux qui sont éloignés de nous, nous connaissons ce que nous devons penser, par le rapport qu’ils ont entre eux, en telle sorte que ce soit toujours l’apparence du plus grand plaisir qui l’emporte. Cette raison, enfin, tu le vois, dans nous comme dans les animaux qui en sont eux-mêmes remplis, n’est que le résultat du mécanisme le plus grossier et le plus matériel. Mais comme nous n’avons point d’autre flambeau, ce n’est donc qu’au sien seul qu’il faut soumettre la foi impérieusement exigée par des fourbes pour des objets ou sans réalité, ou si prodigieusement vils par eux-mêmes, qu’ils ne sont faits que pour nos mépris. Or, le premier effet de cette raison est, tu le sens, Juliette, d’assigner une différence essentielle entre l’objet qui apparaît et l’objet qui est aperçu. Les perceptions représentatives d’un objet sont encore de différente espèce. Si elles nous montrent les objets comme absents et comme ayant été autrefois présente à notre esprit, c’est ce que nous appelons alors mémoire, souvenir. Si elles nous offrent les objets sans nous avertir de leur absence, c’est alors ce qu’on nomme imagination, et cette imagination est la vraie cause de toutes nos erreurs. Or, la source la plus abondante de ces erreurs vient de ce que nous supposons une existence propre aux objets de ces perceptions intérieures, et qu’ils existent séparément de nous, de même que nous les concevons séparément. Je donnerai donc, pour me faire entendre de toi, je donnerai, dis-je, à cette idée séparée, à cette idée née de l’objet qui apparaît, le nom d’idée objective, pour la différencier de celle qui est apparue, et que je nommerai réelle. Il est très important de ne pas confondre ces deux genres d’existence ; on n’imagine pas dans quel gouffre d’erreurs on tombe, faute de caractériser ces distinctions. Le point divisé à l’infini, si nécessaire en géométrie, est dans la classe des existences objectives ; et les corps, les solides, dans celle des existences réelles. Quelque abstrait que ceci te paraisse, ma chère, il faut pourtant me suivre, si tu veux arriver avec moi au but où je veux te conduire par mes raisonnements.

Observons d’abord ici, avant que d’aller plus loin, que rien n’est plus commun ni plus ordinaire que de se tromper lourdement entre l’existence réelle des corps qui sont hors de nous et l’existence objective des perceptions qui sont dans notre esprit. Nos perceptions elles-mêmes sont distinguées de nous, et entre elles, autant qu’elles aperçoivent les objets présents, et leurs rapports, et les rapports de ces rapports. Ce sont des pensées, en tant qu’elles nous rapportent les images des choses absentes ; ce sont des idées, en tant qu’elles nous rapportent les images des objets qui sont en nous. Cependant toutes ces choses ne sont que des modalités, ou manières d’exister de notre être, qui ne sont pas plus distinguées entre elles ni de nous-mêmes que l’étendue, la solidité, la figure, la couleur, le mouvement d’un corps, le sont de ce corps. On a ensuite forcément imaginé des termes qui convinssent généralement à toutes les idées particulières qui étaient semblables ; on a nommé cause tout être qui produit quelque changement dans un autre être distingué de lui, et effet, tout changement produit dans un être par une cause quelconque. Comme ces termes excitent en nous au moins une image confuse d’être, d’action, de réaction, de changement, l’habitude de s’en servir a fait croire que l’on en avait une perception nette et distincte, et l’on en est venu enfin à imaginer qu’il pouvait exister une cause qui ne fût pas un être ou un corps, une cause qui fût réellement distincte de tout corps, et qui, sans mouvement et sans action, pût produire tous les effets imaginables. On n’a pas voulu faire réflexion que tous les êtres, agissant et réagissant sans cesse les uns sur les autres, produisent et souffrent en même temps des changements ; la progression intime des êtres qui ont été successivement cause et effet a bientôt fatigué l’esprit de ceux qui veulent absolument trouver la cause dans tous les effets : sentant leur imagination épuisée par cette longue suite d’idées, il leur a paru plus court de remonter tout d’un coup à une première cause, qu’ils ont imaginée comme la cause universelle, à l’égard de laquelle les causes particulières sont des effets, et qui n’est, elle, l’effet d’aucune cause.

Voilà le Dieu des hommes, Juliette ; voilà la sotte chimère de leur débile imagination. Tu vois par quel enchaînement de sophismes ils sont venus à bout de la créer ; et, d’après la définition particulière que je t’ai donnée, tu vois que ce fantôme, n’ayant qu’une existence objective, ne saurait être hors de l’esprit de ceux qui le considèrent, et n’est par conséquent qu’un pur effet de l’embrasement de leur cerveau. Voilà pourtant le Dieu des mortels, voilà l’être abominable qu’ils ont inventé, et dans les temples duquel ils ont fait couler tant de sang !

Si je me suis étendue, poursuivit Mme Delbène, sur les différences essentielles entre les existences réelles et les existences objectives, c’est, tu le vois, ma chère, parce qu’il était urgent que je te démontrasse les variétés qui se trouvent dans les opinions pratiques et spéculatives des hommes, et que je te fisse voir qu’ils donnent une existence réelle à beaucoup de choses qui n’ont qu’une existence spéculative : or, c’est au produit de cette existence spéculative que les hommes ont donné le nom de Dieu. S’il ne résultait de tout cela que de faux raisonnements, l’inconvénient serait médiocre ; mais malheureusement on va plus loin : l’imagination s’enflamme, l’habitude se forme, et l’on s’accoutume à considérer comme quelque chose de réel ce qui n’est l’ouvrage que de notre faiblesse. On ne s’est pas plus tôt persuadé que la volonté de cet être chimérique est cause de tout ce qui nous arrive, que l’on emploie tous les moyens de lui être agréable, toutes les façons de l’implorer.

Que de plus mûres réflexions nous éclairent, et, ne nous déterminant sur l’adoption d’un Dieu que d’après ce qui vient d’être dit, persuadons-nous que toute l’idée de Dieu ne pouvant se présenter à nous que d’une manière objective, il ne peut résulter d’elle que des illusions et des fantômes.

Quelques sophismes qu’allèguent les partisans absurdes de la divinité chimérique des hommes, ils ne vous disent autre chose, sinon qu’il n’y a point d’effet sans cause ; mais ils ne vous démontrent pas qu’il faille en revenir à une première cause éternelle, cause universelle de toutes les causes particulières, et qui soit elle-même créatrice, et indépendante de toute autre cause. Je conviens que nous ne comprenons pas la liaison, la suite et la progression de toutes les causes ; mais l’ignorance d’un fait n’est jamais un motif suffisant pour en croire ou déterminer un autre. Ceux qui veulent nous persuader l’existence de leur abominable Dieu osent effrontément nous dire que, parce que nous ne pouvons assigner la véritable cause des effets, il faut que nous admettions nécessairement la cause universelle. Peut-on faire un raisonnement plus imbécile ? Comme s’il ne valait pas mieux convenir de son ignorance que d’admettre une absurdité ; ou comme si l’admission de cette absurdité devenait une preuve de son existence. L’aveu de notre faiblesse n’a nul inconvénient, sans doute ; l’adoption du fantôme est remplie d’écueils contre lesquels nous ne ferons que heurter si nous sommes sages, mais où nous nous briserons si nos têtes s’exaltent : et les chimères échauffent toujours.

Accordons, si l’on veut, un instant, à nos antagonistes l’existence du vampire qui fait leur félicité1. Je leur demande, dans cette hypothèse, si la loi, la règle, la volonté par laquelle Dieu conduit les êtres, est de même nature que notre volonté et que notre force, si Dieu, dans les mêmes circonstances, peut vouloir et ne pas vouloir, si la même chose peut lui plaire et lui déplaire, s’il ne change pas de sentiment, si la loi par laquelle il se conduit est immuable. Si c’est elle qui le conduit, il ne fait que l’exécuter : de ce moment, il n’a aucune puissance. Cette loi nécessaire, qu’est-elle alors elle-même ? est-elle distincte de lui ou inhérente à lui ? Si, au contraire, cet être peut changer de sentiment et de volonté, je demande pourquoi il en change. Assurément, il lui faut un motif, et un bien plus raisonnable que ceux qui nous déterminent, car Dieu doit l’emporter sur nous en sagesse, comme il nous surpasse en prudence ; or, ce motif peut-il s’imaginer sans altérer la perfection de l’être qui y cède ? Je vais plus loin : si Dieu sait d’avance qu’il changera de volonté, pourquoi, dès qu’il peut tout, n’a-t-il pas arrangé les circonstances de manière à ce que cette mutation toujours fatigante, et prouvant toujours de la faiblesse, ne lui devînt nullement nécessaire ? et s’il l’ignore, qu’est-ce qu’un Dieu qui ne prévoit pas ce qu’il doit faire ? S’il le prévoit, et qu’il ne puisse se tromper, comme il faut le croire pour avoir de lui une idée convenable, il est donc arrêté, indépendamment de sa volonté, qu’il agira de telle ou telle façon : or, qu’est-elle, cette loi que sa volonté suit ? où est-elle ! d’où tire-t-elle sa force !

Si votre Dieu n’est pas libre, s’il est déterminé à agir en conséquence des lois qui le maîtrisent, alors c’est une force semblable au destin, à la fortune, que des vœux ne toucheront point, que des prières ne fléchiront point, que des offrandes n’apaiseront pas davantage, et qu’il vaut mieux mépriser éternellement qu’implorer avec aussi peu de succès.

Mais si, plus dangereux, plus méchant et plus féroce encore, votre exécrable Dieu a caché aux hommes ce qui devenait nécessaire à leur bonheur, son projet n’était donc pas de les rendre heureux ; il ne les aime donc pas, il n’est donc alors ni juste ni bienfaisant. Il me semble qu’un Dieu ne doit rien vouloir que de possible, et il ne l’est pas que l’homme observe des lois qui le tyrannisent ou qui lui sont inconnues.

Ce vilain Dieu fait encore plus : il hait l’homme pour avoir ignoré ce qu’on ne lui a point appris ; il le punit pour avoir transgressé une loi inconnue, pour avoir suivi des penchants qu’il ne tient que de lui seul. Ô Juliette ! s’écria mon institutrice, puis-je concevoir cet infernal et détestable Dieu autrement que comme un tyran, un barbare, un monstre, auquel je dois toute la haine, tous les courroux, tout le mépris que mes facultés physiques et morales peuvent exhaler à la fois !

Ainsi, vînt-on même à bout de me démontrer… de me prouver l’existence de Dieu ; dût-on réussir à me convaincre qu’il a dicté des lois, qu’il a choisi des hommes pour les attester aux mortels ; me fît-on voir que le plus harmonieux accord règne dans toutes les relations qui viennent de lui : rien ne pourrait me prouver que je lui plais en suivant ses lois, car, s’il n’est pas bon, il peut me tromper, et ma raison, qui ne vient que de lui, ne me rassurera pas, puisqu’il peut alors ne me l’avoir donnée que pour mieux me précipiter dans l’erreur.

Poursuivons. Je vous demande maintenant, ô déistes, comment ce Dieu, que je veux bien admettre un moment, se conduira vis-à-vis de ceux qui n’ont aucune connaissance de ses lois. Si Dieu punit l’ignorance invincible de ceux auxquels ses lois n’ont pu être annoncées, il est injuste ; s’il ne peut les en instruire, il est impuissant.

Il est certain que la révélation des lois de l’Éternel doit porter des caractères qui prouvent le Dieu dont elles émanent or, de toutes les révélations qui nous sont parvenues, je demande laquelle porte ce caractère aussi évident qu’indispensable. C’est donc par la religion même que se détruit le Dieu qu’annonce la religion : or, que deviendra cette religion, quand le Dieu qu’elle établit n’aura plus d’existence que dans la tête des sots !

Que les connaissances humaines soient réelles ou fausses, peu importe au bonheur de la vie : il n’en est pas de même en matière de religion. Lorsque les hommes ont une fois réalisé les objets imaginaires qu’elle présente, ils se passionnent pour ces objets ; ils se persuadent que ces fantômes qui voltigent dans leur esprit existent réellement, et, de ce moment, rien ne peut plus les retenir. Chaque jour, nouveaux sujets de trembler : tels sont les uniques effets produits en nous par l’idée dangereuse d’un Dieu. C’est cette idée seule qui cause les maux les plus cuisants de la vie de l’homme ; c’est elle qui le contraint à la privation des plus doux plaisirs de la vie, dans la frayeur de déplaire à ce fruit dégoûtant de son imagination en délire. Il faut donc, mon aimable amie, se délivrer le plus tôt possible des terreurs que cette chimère inspire ; et pour cela, sans doute, il ne faut que porter la faux sur l’idole, il ne faut que la pulvériser d’un bras ferme.

L’idée que les prêtres veulent nous donner de la divinité n’est autre chose que celle d’une cause universelle, et de laquelle toutes les autres sont des effets. Les imbéciles, auxquels ces imposteurs se sont adressés, ont cru qu’une telle cause existait… pouvait exister séparément des effets particuliers qu’elle produit, comme si les modalités d’un corps pouvaient être séparées de ce corps, comme si la blancheur étant une des qualités de la neige, il était possible de séparer d’elle cette qualité. Les modifications quittent-elles les corps qu’elles modifient ! Eh bien ! votre Dieu n’est qu’une modification de la matière perpétuellement en action par son essence : cette action que vous croyez pouvoir en séparer, cette énergie de la matière, voilà votre Dieu. Examinez maintenant, sots adorateurs d’un tel être, de quel hommage il peut être digne !

Ceux qui ne font produire à la première cause que le mouvement local des corps, et qui donnent à nos esprits la force de se déterminer, bornent étrangement cette cause et lui ôtent son universalité, pour la réduire à ce qu’il y a de plus bas dans la nature, c’est-à-dire à l’emploi de remuer la matière. Mais comme tout est lié dans la nature, que les sentiments spirituels produisent des mouvements dans les corps vivants, que les mouvements des corps excitent des sentiments dans les âmes, on ne peut avoir recours à cette supposition pour établir ou pour défendre le culte religieux. Nous ne voulons qu’en conséquence de la perception des objets qui se présentent à nous ; les perceptions ne nous viennent qu’à l’occasion du mouvement excité dans nos organes : donc la cause du mouvement est celle de notre volonté. Si cette cause ignore l’effet que produira le mouvement en nous, quelle idée indigne d’un Dieu ! S’il le sait, il en est complice, et il y consent ; si, le sachant, il n’y consent pas, il est donc forcé de faire ce qu’il ne veut pas ; il y a donc quelque chose de plus puissant que lui : donc il est contraint de suivre des lois. Comme nos volontés sont toujours suivies de quelques mouvements, Dieu est par conséquent obligé de concourir avec notre volonté : il est donc dans le bras du parricide, dans le flambeau de l’incendiaire, dans le con de la prostituée. Dieu n’y consent-il pas, le voilà moins fort que nous, le voilà contraint à nous obéir. Donc, quelque chose que l’on dise, il faut avouer qu’il n’y a point de cause universelle ; ou si vous voulez absolument qu’il y en ait une, il faut que nous convenions qu’elle consent à tout ce qui nous arrive et ne veut jamais autre chose ; il faut que vous avouiez encore qu’elle ne peut aimer ni haïr aucun des êtres particuliers qui émanent d’elle, parce que tous lui obéissent également, et que, d’après cela, les mots de peines, de récompenses, de lois, de défenses, d’ordre, de désordre, ne sont que des mots allégoriques, tirés de ce qui se passe parmi les hommes.

Si l’on n’est pas obligé de regarder Dieu comme un être essentiellement bon, comme un être qui aime les hommes, on peut croire qu’il a voulu les tromper. Ainsi, quand même tous les prodiges sur lesquels se fondent ceux qui prétendent connaître les lois qu’il a révélées à quelques hommes seraient véritables, comme tout nous confirme que c’est un être injuste, inhumain, nous n’avons pas d’assurance qu’il n’ait pas fait ces prodiges exprès pour nous tromper, et rien ne nous autorise à croire que l’observation la plus stricte de ses lois puisse jamais me rendre son ami. S’il ne punit pas ceux qui ont observé ces lois, leur observance devient inutile ; et comme cette observance est pénible, votre Dieu, en la promulguant, s’est à la fois rendu coupable d’inutilité et de méchanceté : je vous demande dès lors si c’est là un être digne de nos hommages. Ces lois, d’ailleurs, n’ont rien de respectable : elles sont absurdes, contraires à la raison, elles répugnent au moral, affligent le physique ; ceux qui les annoncent les violent à tout moment ; et s’il est quelques individus dans le monde qui s’avisent d’y ajouter foi, scrutons avec soin leur esprit : nous les reconnaîtrons bientôt pour des imbéciles. Veux-je approfondir les preuves de ce fatras de mystères et de lois dictées par ce Dieu ridicule, je ne les trouve appuyées que sur des traditions confuses, incertaines, et toujours victorieusement combattues par les adversaires.

Disons-le avec vérité : de toutes les religions établies parmi les hommes, il n’en est aucune qui puisse légitimement l’emporter sur l’autre ; pas une qui ne soit remplie de fables, de mensonges, de perversités, et qui n’offre à la fois les dangers les plus imminents, à côté des contradictions les plus palpables. Des fous veulent-ils établir leurs rêveries, ils appellent les miracles à leur secours : d’où il résulte que, toujours dans le même cercle, à présent c’est le miracle qui prouve la religion, tandis que tout à l’heure la religion prouvait le miracle. Encore s’il n’en était qu’une qui pût s’étayer de prodiges : mais toutes en citent, toutes en offrent.

Et le beau cygne de Léda

Vaut bien le pigeon de Marie.

Si, néanmoins, tous ces miracles étaient vrais, il résulterait nécessairement que Dieu aurait permis qu’il en fût fait pour les fausses religions comme pour les bonnes, et que, d’après cela, l’erreur ne le toucherait guère plus que la vérité. Ce qu’il y a de plaisant, c’est que chaque secte est également persuadée de la réalité de ses prodiges. Si tous sont faux, on doit en conclure que des nations entières ont pu croire des prodiges supposés : donc sur le chapitre des prodiges, la persuasion vive d’une nation entière n’en prouve pas la vérité. Mais il n’y a aucun de ces faits dont on puisse autrement prouver la vérité que par la persuasion de ceux qui les croient maintenant : donc il n’y en a aucun dont la vérité soit suffisamment établie ; et comme ces prodiges sont les seuls moyens par lesquels on puisse nous obliger à croire une religion, nous devons conclure qu’il n’en est aucun de prouvé, et les regarder comme l’ouvrage du fanatisme, de la fourberie, de l’imposture et de l’orgueil.

— Mais, interrompis-je ici, s’il n’y a ni Dieu, ni religion, qui gouverne donc l’univers ?

— Ma chère amie, reprit Mme Delbène, l’univers est mû par sa propre force, et les lois éternelles de la nature, inhérentes à elle-même, suffisent, sans une cause première, à produire tout ce que nous voyons ; le mouvement perpétuel de la matière explique tout : quel besoin de supposer un moteur à ce qui est toujours en mouvement ? L’univers est un assemblage d’êtres différents qui agissent et réagissent mutuellement et successivement les uns sur les autres ; je n’y découvre aucune borne, je n’y aperçois seulement qu’un passage continuel d’un état à un autre, par rapport aux êtres particuliers qui prennent successivement plusieurs formes nouvelles, mais je ne crois point une cause universelle, distinguée de lui, qui lui donne l’existence et qui produise les modifications des êtres particuliers qui le composent : j’avoue même que j’y vois absolument tout le contraire, et que je crois l’avoir démontré. Ne nous inquiétons donc nullement de mettre quelque chose à la place des chimères, et n’admettons jamais comme cause de ce que nous ne comprenons pas quelque chose que nous comprenons encore moins.

Après t’avoir démontré l’extravagance du système déifique, poursuivit cette charmante femme, je n’aurai pas grand-peine, sans doute, à détruire en toi les préjugés inculqués dès l’enfance sur le principe de notre vie. Est-il rien de plus extraordinaire en effet que la supériorité que les hommes s’arrogent sur les autres animaux ? Dès qu’on leur demande ce qui fonde cette supériorité : Notre âme, répondent-ils imbécilement. Les prie-t-on d’expliquer ce qu’ils entendent par ce mot : âme ? Oh ! pour lors, vous les voyez balbutier, se contredire : C’est une substance inconnue, disent-ils ; c’est une force secrète distinguée de leur corps ; c’est un esprit dont ils n’ont nulle idée. Demandez-leur comment cet esprit, qu’ils supposent, comme leur Dieu, totalement privé d’étendue, a pu se combiner avec leur corps étendu et matériel, ils vous diront qu’ils n’en savent rien, que c’est un mystère, que cette combinaison est l’effet de la toute-puissance de Dieu. Voilà les idées nettes que l’imbécillité se forme de sa substance cachée, ou plutôt imaginaire, dont elle a fait le mobile de toutes ses actions.

À cela je ne réponds qu’une chose : si l’âme est une substance essentiellement différente du corps et qui ne peut avoir aucune relation avec lui, leur union est une chose impossible ; d’ailleurs cette âme, étant d’une essence différente du corps, devrait nécessairement agir d’une façon différente de lui ; cependant nous voyons que les mouvements éprouvée par les corps se font sentir à cette âme prétendue, et que ces deux substances, diverses par leur essence, agissent toujours de concert. Vous nous direz encore que cette harmonie est un mystère, et moi je vous répondrai que je ne vois pas mon âme, que je ne connais et ne sens que mon corps, que c’est le corps qui sent, qui pense, qui juge, qui souffre, qui jouit, et que toutes ses facultés sont des résultats nécessaires de son mécanisme et de son organisation.

Quoique les hommes soient dans l’impossibilité de se faire la moindre idée de leur âme, quoique tout leur prouve qu’ils ne sentent, ne pensent, n’acquièrent des idées, ne jouissent et ne souffrent que par le moyen des sens ou des organes matériels du corps, ils se persuadent pourtant que cette âme inconnue est exempte de mort. Mais, en supposant même l’existence de cette âme, dites-moi, je vous prie, si l’on peut s’empêcher de reconnaître qu’elle dépend totalement du corps, et qu’elle subit conjointement avec lui toutes les vicissitudes qu’il éprouve lui-même. Et cependant on porte l’absurdité jusqu’à croire qu’elle n’a, par sa nature, rien d’analogue à lui ; on veut qu’elle puisse agir et sentir sans le secours de ce corps ; en un mot, on prétend que, privée de ce corps et dégagée des sens, cette âme sublime pourra vivre pour souffrir, éprouver le bien-être ou sentir des tourments rigoureux. C’est sur un pareil tas d’absurdités conjecturales que l’on bâtit l’opinion merveilleuse de l’immortalité de l’âme.

Si je demande quels motifs on a de supposer l’âme immortelle, on me répond aussitôt : C’est que l’homme, par sa nature, désire d’être immortel. Mais, répliquerai-je, votre désir devient-il une preuve de son accomplissement ? Par quelle étrange logique ose-t-on décider qu’une chose ne peut manquer d’arriver, seulement parce qu’on la souhaite ? Les impies, continue-t-on, privés des espérances flatteuses d’une autre vie, désirent d’être anéantis. Eh bien ! ne sont-ils pas autant autorisés à conclure, d’après ce désir, qu’ils seront anéantis, que vous vous prétendez autorisés à conclure, vous, que vous existerez simplement parce que vous le désirez ?

Ô Juliette, poursuivait cette femme philosophe avec toute l’énergie de la persuasion, ô ma chère amie, n’en doute pas, nous mourons tout entiers, et le corps humain, après que la Parque a coupé le fil, n’est plus qu’une masse incapable de produire les mouvements dont l’assemblage constituait la vie. On n’y voit plus alors ni circulation, ni respiration, ni digestion, ni parole, ni pensée. On prétend que, pour lors, l’âme s’est séparée du corps ; mais dire que cette âme, qu’on ne connaît point, est le principe de la vie, c’est ne rien dire, sinon qu’une force inconnue est le principe caché de mouvements imperceptibles. Rien de plus naturel et de plus simple que de croire que l’homme mort n’est plus ; rien de plus extravagant que de croire que l’homme mort est encore en vie.

Nous rions de la simplicité de quelques peuples dont l’usage est d’enterrer des provisions avec les morts : est-il donc plus absurde de croire que les hommes mangeront après la mort, que de s’imaginer qu’ils penseront, qu’ils auront des idées agréables ou fâcheuses, qu’ils jouiront, qu’ils souffriront, qu’ils éprouveront du repentir ou de la joie, lorsque les organes, propres à leur porter des sensations ou des idées, seront une fois dissous et réduits en poussière ? Dire que les âmes humaines seront heureuses ou malheureuses après la mort, c’est prétendre que les hommes pourront voir sans yeux, entendre sans oreilles, goûter sans palais, flairer sans nez, toucher sans mains, etc. Des nations qui se croient très raisonnables adoptent pourtant de pareilles idées.

Le dogme de l’immortalité de l’âme suppose que l’âme est une substance simple, en un mot, un esprit : mais je demanderai toujours ce que c’est qu’un esprit.

— On m’a appris, répondis-je à Mme Delbène, qu’un esprit était une substance privée d’étendue, incorruptible, et qui n’a rien de commun avec la matière.

— Mais si cela est, reprit avec vivacité mon institutrice, comment ton âme naît-elle, s’accroît-elle, se fortifie-t-elle, se dérange-t-elle, vieillit-elle, dans les mêmes proportions que ton corps ?

À l’exemple de tous les sots qui ont eu les mêmes principes, tu me répondras que tout cela sont des mystères. Mais, imbéciles que vous êtes, si ce sont des mystères, vous n’y comprenez donc rien, et si vous n’y comprenez rien, comment pouvez-vous décider affirmativement une chose dont vous êtes incapables de vous former aucune idée ? Pour croire ou pour affirmer quelque chose, il faut au moins savoir en quoi consiste ce que l’on croit et ce que l’on affirme. Croire à l’immortalité de l’âme, c’est dire que l’on est persuadé de l’existence d’une chose dont il est impossible de se former aucune notion véritable, c’est croire à des mots sans y pouvoir attacher aucun sens ; affirmer qu’une chose est telle qu’on la dit, c’est le comble de la folie et de la vanité.

Que de théologiens sont d’étranges raisonneurs ! Dès qu’ils ne peuvent deviner les causes naturelles des choses, ils inventent des causes surnaturelles, ils imaginent des esprits, des dieux, des causes occultes, des agents inexplicables, ou plutôt des mots bien plus obscurs que les choses qu’ils s’efforcent d’expliquer. Demeurons dans la nature quand nous voudrons nous rendre compte des effets de la nature ; ne nous écartons jamais d’elle quand nous voudrons expliquer ses phénomènes ; ignorons les causes trop déliées pour être saisies par nos organes, et soyons persuadés qu’en sortant de la nature nous ne trouverons jamais la solution des problèmes que la nature nous présente.

Dans l’hypothèse même de la théologie, c’est-à-dire en supposant un moteur tout-puissant à la matière, de quel droit les théologiens refuseraient-ils à leur Dieu de donner à cette matière la faculté de penser ! Lui serait-il plus difficile de créer ces combinaisons de matière dont résultât la pensée, que des esprits qui pensent ? Au moins, en supposant une matière qui pensât, nous aurions quelques notions du sujet de la pensée ou de ce qui pense en nous ; tandis qu’en attribuant la pensée à un être immatériel, il nous est impossible de nous en faire la moindre idée.

On nous objecte que le matérialisme fait de l’homme une pure machine, ce que l’on juge très déshonorant pour l’espèce humaine ; mais cette espèce humaine sera-t-elle bien plus honorée, quand on dira que l’homme agit par les impulsions secrètes d’un esprit ou d’un certain je ne sais quoi qui sert à l’animer sans qu’on sache comment ?

Il est aisé de s’apercevoir que la supériorité que l’on donne à l’esprit sur la matière, ou à l’âme sur le corps, n’est fondée que sur l’ignorance où l’on est de la nature de cette âme, tandis que l’on est plus familiarisé avec la matière ou le corps, que l’on s’imagine connaître et dont on croit démêler les ressorts ; mais les mouvements les plus simples de nos corps sont, pour tout homme qui les médite, des énigmes aussi difficiles à deviner que la pensée.

L’estime que tant de gens ont pour la substance spirituelle ne paraît avoir pour motif que l’impossibilité où ils se trouvent de la définir d’une manière intelligible ; le peu de cas que nos théologiens font de la matière ne vient que de ce que la familiarité engendre le mépris. Lorsqu’ils nous disent que l’âme est plus excellente que le corps, ils ne nous disent rien, sinon que ce qu’ils ne connaissent aucunement doit être bien plus beau que ce dont ils ont quelques faibles idées.

On nous vante sans cesse l’utilité du dogme de l’autre vie ; on prétend que, quand même ce serait une fiction, elle serait avantageuse, parce qu’elle en imposerait aux hommes et les conduirait à la vertu. À cela je demande s’il est bien vrai que ce dogme rende les hommes plus sages et plus vertueux. J’ose affirmer, au contraire, qu’il ne sert qu’à les rendre fous, hypocrites, méchants, atrabilaires, et qu’on trouvera toujours plus de vertus, plus de mœurs chez les peuples qui n’ont aucune de ces idées, que chez ceux où elles font la base des religions. Si ceux qui sont chargés d’instruire et de gouverner les hommes avaient eux-mêmes des lumières et des vertus, ils les gouverneraient bien mieux par des réalités que par des chimères ; mais fourbes, ambitieux, corrompus, les législateurs ont partout trouvé plus court d’endormir les nations par des fables que de leur enseigner des vérités… que de développer leur raison, que de les exciter à la vertu par des motifs sensibles et réels… que de les gouverner enfin d’une façon raisonnable.

Ne doutons pas que les prêtres aient eu leurs motifs, pour imaginer la fable ridicule de l’immortalité de l’âme : eussent-ils, sans ces systèmes, mis les mourants à contribution ? Ah ! si ces dogmes épouvantables d’un Dieu… d’une âme qui nous survit, ne sont d’aucune utilité pour le genre humain, convenons qu’ils sont au moins de la plus grande nécessité pour ceux qui se sont chargés d’en infecter l’opinion publique2.

— Mais objectai-je à Mme Delbène, le dogme de l’immortalité de l’âme n’est-il pas consolant pour les malheureux ? quand ce serait une illusion, n’est-elle pas douce, n’est-elle pas agréable ? n’est-ce pas un bien pour l’homme que de croire qu’il pourra se survivre à lui-même, et jouir quelque jour au ciel d’un bonheur qui lui est refusé sur la terre ?

— En vérité, me répondit mon amie, je ne vois pas que le désir de tranquilliser quelques malheureux imbéciles vaille la peine d’empoisonner des millions d’honnêtes gens. Est-il raisonnable d’ailleurs de faire de ses souhaits la mesure de la vérité ? Ayez un peu plus de courage, consentez à la loi générale, résignez-vous à l’ordre du destin dont les décrets sont qu’ainsi que tous les êtres, vous retombiez dans le creuset de la nature pour en sortir sous d’autres formes. Car, dans le fait, rien ne périt dans le sein de cette mère du genre humain ; les éléments qui nous composent se réuniront bientôt sous d’autres combinaisons ; un laurier perpétuel croit sur le tombeau de Virgile. Cette transmigration glorieuse n’est-elle pas, sots déistes, aussi douce que votre alternative de l’enfer ou du paradis ? Car si ce dernier est consolant, on m’avouera que l’autre est affreux. Ne dites-vous pas, imbéciles chrétiens, qu’il faut, pour se sauver, des grâces que votre Dieu n’accorde qu’à très peu de gens ? Certes, voilà des idées fort consolantes ; et ne vaut-il pas mieux cent fois être anéanti que de brûler éternellement ? Qui osera donc soutenir, d’après cela, que l’opinion qui débarrasse de ces craintes ne soit mille fois plus agréable que l’incertitude où nous laisse l’admission d’un Dieu qui, maître de ses grâces, ne les donne qu’à ses favoris, et qui permet que tous les autres se rendent dignes des supplices éternels ? Il n’y a que l’enthousiasme ou la folie qui puisse faire préférer un système évident qui tranquillise à des conjectures improbables qui désespèrent.

— Mais que deviendrai-je ? dis-je encore à Mme Delbène ; cette obscurité m’effraye, cet éternel anéantissement m’effarouche.

— Et qu’étais-tu, je te prie, avant que de naître ? me répondit cette femme pleine de génie. Quelques portions pleines de matière non organisée, n’ayant encore reçu aucune forme, ou en ayant reçu dont tu ne peux te souvenir. Eh bien ! tu redeviendras les mêmes portions de matière, prêtes à organiser de nouveaux êtres, dès que les lois de la nature le trouveront convenable. Jouissais-tu ? Non. Souffrais-tu ? Non. Est-ce donc là un état si pénible, et quel est l’être qui ne consentirait pas à sacrifier toutes ses jouissances à la certitude de n’avoir jamais de peines ? Que serait-il alors, s’il pouvait conclure ce marché ? Un être inerte, sans mouvement. Que sera-t-il après la mort ? Positivement la même chose. À quoi sert-il donc de s’affliger, puisque la loi de la nature vous condamne positivement à l’état que vous accepteriez de bon cœur si vous en étiez le maître ? Eh ! Juliette, la certitude de n’être pas toujours est-elle plus désespérante que celle de n’avoir pas toujours été ? Va, va, tranquillise-toi, mon ange ; la frayeur de cesser d’être n’est un mal réel que pour l’imagination créatrice du dogme absurde d’une autre vie.

L’âme, ou, si l’on veut, ce principe actif… vivifiant, qui nous anime, qui nous meut, qui nous détermine, n’est autre chose que de la matière subtilisée à un certain point, moyen par lequel elle a acquis les facultés qui nous étonnent. Toutes les portions de matière, sans doute, ne seraient pas capables des mêmes effets ; mais combinées avec celles qui composent nos corps, elles en deviennent susceptibles, ainsi que le feu peut devenir flamme quand il est combiné avec des corps gras ou inflammables. L’âme, en un mot, ne peut être considérée que sous deux sens, comme principe actif et comme principe pensant ; or, sous l’un et sous l’autre rapport, nous allons la démontrer matière par deux syllogismes sans réplique. 1° Comme principe actif, elle se divise ; car le cœur conserve encore son mouvement longtemps après sa séparation d’avec le corps. Or, tout ce qui se divise est matière ; l’âme, comme principe actif, se divise : donc elle est matière. 2° Tout ce qui périclite est matière ; ce qui serait essentiellement esprit ne saurait péricliter. Or, l’âme suit les impressions du corps : elle est faible dans l’âge tendre, affaissée dans l’âge décrépit ; elle éprouve donc les influences du corps ; cependant, tout ce qui périclite est matière : l’âme périclite, donc elle est matière.

Osons le dire et le redire sans cesse : rien d’étonnant dans le phénomène de la pensée, ou du moins rien qui prouve que cette pensée soit distincte de la matière, rien qui fasse voir que la matière, subtilisée ou modifiée de telle ou telle façon, ne puisse produire la pensée ; cela est infiniment moins difficile à comprendre que l’existence d’un Dieu. Si cette âme sublime était effectivement l’ouvrage de Dieu, pourquoi subirait-elle tous les différents changements ou accidents du corps ? Il me semble que, comme l’ouvrage de Dieu, cette âme devrait être parfaite, et c’est ne l’être pas que de se modifier à l’égal d’une matière aussi remplie de défauts. Si cette âme était l’ouvrage d’un Dieu, elle n’aurait pas besoin de sentir ni d’éprouver ses gradations ; elle ne le pourrait, ni ne le devrait ; elle se joindrait à l’embryon toute formée, et dès le berceau, Cicéron aurait pu composer ses Tusculanes, Voltaire son Alzire, etc. Si cela n’est pas ni ne peut être, l’âme observe donc les mêmes gradations que le corps. Elle a donc des parties, puisqu’elle croît, baisse, augmente ou diminue ; or, tout ce qui a des parties est matière : donc l’âme est matière, puisqu’elle est composée de parties. Convenons qu’il est absolument impossible que l’âme puisse exister sans le corps, et celui-ci sans l’autre.

Rien de merveilleux, au reste, dans l’empire absolu de l’âme sur le corps ; ce n’est qu’un même tout, composé de parties égales, j’en conviens, mais dans lequel néanmoins les parties grossières doivent être soumises aux parties subtiles, par la même raison de l’empire qu’a la flamme, qui est matière, sur la cire qu’elle consume, qui est également matière ; et voilà, comme dans nos corps, l’exemple de deux matières aux prises, dont la plus subtile domine la plus grossière.

En voilà plus qu’il ne t’en faut, Juliette, pour te convaincre, à ce que j’imagine, du néant de l’existence de Dieu et de celui du dogme de l’immortalité de l’âme. Quelle adresse dans ceux qui inventèrent ces deux monstrueux dogmes ! Et que n’entreprenait-on pas sur un peuple, en se disant les ministres d’un Dieu dont la haine ou l’amour était d’un si grand intérêt pour la vie future ! Quel crédit n’avait-on pas sur l’esprit de gens qui, redoutant des peines ou des récompenses futures, étaient obligés de recourir à ces fourbes, comme aux médiateurs d’un Dieu, seuls capables d’éviter les unes et de valoir les autres ! Toutes ces fables ne sont donc que le fruit de l’ambition, de l’orgueil et de la démence de quelques individus, nourries par l’absurdité de quelques autres, mais qui ne sont faites que pour nos mépris… que pour être éteintes… absorbées dans nous, au point de ne jamais reparaître. Oh ! combien je t’exhorte, ma chère Juliette, à les détester comme moi ! Ces systèmes, dit-on, mènent à la dégradation des mœurs. Eh ! mais les mœurs sont-elles donc plus importantes que les religions ? Absolument soumises au degré de latitude d’un pays, elles n’ont et ne peuvent avoir rien que d’arbitraire. Rien ne nous est défendu par la nature : les lois seules se sont crues autorisées d’imposer de certaines bornes au peuple, relatives à la température de l’air, à la richesse ou à la pauvreté du climat, à l’espèce d’hommes qu’elles maîtrisent. Mais ces freins, purement populaires, n’ont rien de sacré, rien de légitime aux yeux de la philosophie, dont le flambeau dissipe toutes les erreurs, ne laisse exister dans l’homme sage que les seules inspirations de la nature. Or, rien n’est plus immoral que la nature : jamais elle ne nous imposa de freins ; elle ne nous dicta jamais de lois. Ô Juliette ! tu vas me trouver bien tranchante, bien ennemie de toutes les chaînes ; mais je vais jusqu’à repousser sévèrement cette obligation aussi enfantine qu’absurde, qui nous enjoint de ne pas faire aux autres ce que nous ne voudrions pas qu’il nous fût fait. C’est précisément tout le contraire que la nature nous conseille, puisque son seul précepte est de nous délecter, n’importe aux dépens de qui. Sans doute, il peut arriver, d’après ces maximes, que nos plaisirs troubleront la félicité des autres : en seront-ils moins vifs pour cela ? Cette prétendue loi de la nature, à laquelle les sots veulent nous astreindre, est donc aussi chimérique que celles des hommes, et nous savons, en foulant aux pieds les unes et les autres, nous persuader intimement qu’il n’est de mal à rien. Mais nous reviendrons sur tous ces objets, et je me flatte de te convaincre en morale comme je crois t’avoir persuadée en religion. Mettons maintenant nos principes en pratique, et après t’avoir démontré que tu peux tout faire sans crime, commettons tant soit peu de crimes, pour nous convaincre que l’on peut faire tout.

Électrisée par ces discours, je me jette dans les bras de mon amie ; je lui rends mille et mille grâces des soins qu’elle veut bien prendre de mon éducation.

— Je te devrai bien plus que la vie, ma chère Delbène ! m’écriai-je ; qu’est-ce que l’existence sans la philosophie ? Est-ce la peine de vivre quand on languit sous le joug du mensonge et de la stupidité ? Va, poursuivis-je avec chaleur, je me sens digne de toi maintenant, et c’est sur ton sein que je fais le serment sacré de ne jamais revenir aux chimères que ta tendre amitié vient de détruire en moi ! Continue de m’instruire, de diriger mes pas vers le bonheur ; je me livre à tes conseils ; tu feras de moi ce que tu voudras, bien sûre que tu n’auras jamais eu d’écolière ni plus ardente, ni plus soumise que Juliette.

La Delbène était dans l’ivresse : il n’est point, pour un esprit libertin, de plaisir plus vif que celui de faire des prosélytes. On jouit des principes qu’on inculque ; mille sentiments divers sont flattés, en voyant les autres se gangrener à la corruption qui nous mine. Ah ! comme on chérit cette influence obtenue sur leur âme, unique ouvrage de nos conseils et de nos séductions ! Delbène me rendit tous les baisers dont je l’accablais ; elle me dit que j’allais devenir une fille perdue, comme elle, une fille sans mœurs, une athée, et qu’unique cause de mon désordre, elle aurait à répondre devant Dieu de l’âme qu’elle lui enlevait. Et ses caresses devenant plus ardentes, nous allumâmes bientôt le feu des passions au flambeau de la philosophie.

— Tiens, me dit Delbène, puisque tu veux être dépucelée, je vais te satisfaire à l’instant.

Ivre de luxure, la friponne s’arme aussitôt d’un godemiché ; elle me branle pour endormir en moi la douleur qu’elle va, dit-elle, me causer, et me porte ensuite des coups si terribles, que mon pucelage disparut au second bond. On ne se peint point ce que je souffris ; mais, aux douleurs cuisantes de cette terrible opération, succédèrent bientôt les plus doux plaisirs. Delbène, que rien n’épuisait, était loin de se fatiguer ; me limant à tour de reins, sa langue enfoncée dans ma bouche, et de ses mains chatouillant mon derrière, il y avait une heure que je déchargeais dans ses bras, lorsqu’à la fin je lui demandai grâce.

— Rends-moi tout ce que je viens de te faire, me dit-elle aussitôt… Je suis dévorée de luxure, je n’ai pas joui, moi, pendant que je te foutais ; je veux décharger à mon tour.

De maîtresse chérie je devins bientôt l’amant le plus passionné : j’enconne Delbène, je la lime. Dieu ! quel égarement ! Nulle femme n’était aussi aimable, aucune n’était emportée comme elle dans le plaisir ; dix fois de suite la friponne se pâma dans mes bras, je crus qu’elle se distillerait en foutre.

— Ô ma bonne, lui dis-je, n’est-il pas vrai que plus l’on a d’esprit et mieux l’on goûte les douceurs de la volupté ?

— Assurément, me répondit Delbène, et la raison de cela est bien simple : la volupté n’admet aucune chaîne, elle ne jouit jamais mieux que quand elle les rompt toutes ; or, plus un être a d’esprit, plus il brise de freins : donc l’homme d’esprit sera toujours plus propre qu’un autre aux plaisirs du libertinage.

— Je crois que l’extrême finesse des organes y contribue beaucoup aussi, répondis-je.

— Cela n’est pas douteux, dit Mme Delbène : plus la glace est polie, mieux elle reçoit, et mieux elle réfléchit les objets qui lui sont présentés.

Enfin, épuisées toutes deux, je rappelai à mon institutrice la promesse qu’elle m’avait faite de dépuceler Laurette.

— Je ne l’ai point oubliée, me répondit Mme Delbène, c’est pour cette nuit. Dès que l’on sera remonté dans les dortoirs, tu t’échapperas, Volmar et Flavie en feront autant. Ne t’inquiète pas du reste ; te voilà maintenant initiée dans nos mystères : sois ferme, sois courageuse, Juliette, et je te ferai voir d’étonnantes choses.

Je quittai mon amie pour reparaître dans la maison ; mais jugez quelle fut ma surprise lorsque j’entendis raconter qu’une pensionnaire venait de se sauver du couvent ; je demande aussitôt son nom : c’est Laurette.

— Laurette ! m’écriai-je ; puis à part : Ô Dieu ! elle sur qui je comptais ; elle qui m’avait si bien échauffé la tête !… Perfides désirs, vous aurai-je donc conçus vainement ?

Je demande des détails, personne ne peut m’en donner ; je vole chez Delbène pour l’instruire, sa porte est fermée, il m’est impossible de la joindre avant l’heure qu’elle m’a indiquée. Qu’elle me parut longue, cette heure ! Elle sonne enfin ; Volmar et Flavie m’avaient devancée ; elles étaient déjà chez Delbène3.

— Eh bien, dis-je à la supérieure, comment me tiendras-tu la parole que tu m’as donnée ? Laurette n’est plus ici : par qui la remplacer maintenant ?

Et puis avec un peu d’aigreur :

— Ah ! je vois bien que je ne jouirai jamais du plaisir que vous m’avez promis.

— Juliette, me dit Mme Delbène d’un air très sérieux, la première des lois de l’amitié est la confiance : si tu veux être des nôtres, ma chère, il faut et plus de retenue et moins de soupçons. Est-il vraisemblable que je t’eusse promis un plaisir que je ne saurais te faire goûter ? et ne devais-tu pas me supposer assez d’adresse… me croire assez de crédit dans cette maison, pour que, les moyens de ces voluptés ne dépendant que de moi, tu ne dusses jamais craindre de n’en pas jouir ? Suis-nous, tout est calme. Ne t’avais-je pas dit que je te ferais voir des choses singulières ?

Delbène allume une petite lanterne ; elle marche devant nous ; Volmar, Flavie et moi la suivions. Arrivées dans l’église, quel est mon étonnement de voir la supérieure ouvrir un tombeau et pénétrer dans l’asile des morts ! Mes compagnes, au fait, la suivent en silence ; je témoigne un peu de frayeur, Volmar me rassure ; Delbène rabaisse la pierre. Nous voilà dans les souterrains destinés à servir de sépulture à toutes les femmes qui mouraient dans le couvent. Nous avançons, une nouvelle pierre se lève, et quinze à seize marches à descendre nous font parvenir dans une espèce de salle basse très artistement décorée, et qui prenait de l’air par des ventouses correspondant au milieu des jardins. Ô mes amis ! je vous laisse à penser qui je trouvai là… Laurette, parée comme les vierges qu’on immolait jadis au temple de Bacchus… l’abbé Ducroz, grand vicaire de l’archevêque de Paris, homme de trente ans, d’une très jolie figure, spécialement chargé de la police de Panthemont, et le père Télème, récollet, beau brun de trente-six ans, confesseur des novices et des pensionnaires.

— Elle a peur, dit Delbène en s’avançant vers ces deux hommes et me présentant à eux ; apprends, jeune innocente, continua-t-elle en me baisant, que nous ne nous réunissons ici que pour foutre… que pour nous livrer à des horreurs… à des atrocités. Si nous nous engloutissons au fond de la région des morts, c’est pour être le plus loin possible des vivants. Quand on est aussi libertins, aussi dépravés, aussi scélérats, on voudrait être dans les entrailles de la terre, afin de mieux fuir les hommes et leurs absurdes lois.

Quelque avancée que je fusse dans la carrière de la lubricité, j’avoue que ce début m’interdit.

— Ô ciel ! dis-je tout émue, qu’allons-nous donc faire dans ces souterrains ?

— Des crimes, me dit Mme Delbène ; nous allons nous en souiller à tes yeux, nous allons t’apprendre à nous imiter… Redouterais-tu quelques faiblesses ?… Aurais-je eu tort de répondre de toi ?

— Ne le crains point, répondis-je avec vivacité, je fais serment entre tes mains de ne m’effrayer de quoi que ce puisse être.

Aussitôt, Delbène ordonne à Volmar de me déshabiller.

— Elle a le plus joli cul du monde, dit le grand vicaire dès qu’il m’eut vue toute nue.

Et des baisers… des attouchements couvrirent aussitôt mes fesses ; puis, passant une de ses mains sur ma motte, l’homme de Dieu tâchait que son membre pût frotter assez hermétiquement mon derrière pour en être lubriquement chatouillé : bientôt il y pénètre presque sans peine, et dans le même instant Télème enfile mon con. Tous deux déchargent, et j’avoue que je les suivis de près.

— Juliette, me dit la supérieure, nous venons de vous procurer les deux plus grands plaisirs dont une femme puisse jouir : il faut que vous nous disiez franchement duquel des deux vous avez été le mieux délectée.

— En vérité, madame, répondis-je, l’un et l’autre m’ont donné tant de plaisir, qu’il me serait impossible de prononcer. J’éprouve encore, par réminiscence, des sensations en même temps si confuses et si voluptueuses, que je leur assignerais bien difficilement leur véritable place.

— Il faut la faire recommencer, dit Télème ; l’abbé et moi nous varierons nos attaques, nous prierons la belle Juliette d’interroger ses sensations, et de nous en rendre un compte plus exact.

— Eh bien ! volontiers, répondis-je ; je crois comme vous que ce n’est qu’en recommençant qu’il me sera possible de décider.

— Elle est charmante, dit la supérieure ; il y a bien là de quoi nous faire la plus jolie petite putain que nous ayons formée depuis longtemps. Mais il faut arranger tout ceci non seulement pour que Juliette décharge délicieusement, mais pour qu’il rejaillisse quelque chose sur nous des plaisirs qu’elle va goûter.

En conséquence de ces libertins projets, voici comment le tableau se dessina :

Télème, qui venait de foutre mon con, s’arrangea dans mon cul ; il l’avait un peu plus gros que son confrère, mais, toute novice que j’étais, la nature sans doute m’avait si bien créée pour ces plaisirs, que je ne souffris point de la différence. J’étais couchée à plat ventre sur la supérieure, de manière à ce que mon clitoris posât sur sa bouche, et la friponne, mollement étendue sur des carreaux, le suçait en écartant les cuisses. Entre ses jambes, Laurette, courbée, lui rendait ce qu’elle me faisait, et le plaisir que la coquine recevait, elle le faisait voluptueusement refluer sur Volmar et Flavie, qu’elle masturbait de droite et de gauche. Ducroz derrière Laurette, se branlait légèrement sur ses fesses, mais sans y pénétrer : l’honneur de l’un et l’autre pucelage de cette petite fille ne regardait absolument que moi.

Toutes les scènes de fouterie commencent par un moment de calme : il semble que l’on veuille savourer la volupté tout entière et qu’on craigne de la laisser échapper en parlant. Il m’était recommandé de jouir avec attention, afin de comparer ; j’étais dans une extase silencieuse ; et, je l’avoue, les plaisirs incroyables que je recevais des secousses vives et réitérées du vit de Télème dans le trou de mon cul, les angoisses lubriques où me plongeaient les frétillements de la langue de l’abbesse sur mon clitoris, les scènes luxurieuses dont j’étais entourée, la réunion enfin de tant d’épisodes lascifs, tenaient mes sens dans un délire où j’aurais voulu vivre éternellement.

Télème essaya de parler le premier, mais ses bégaiements, ses soupirs entrecoupés, exprimaient bien moins ses idées que son désordre. Tout ce que nous pûmes comprendre, c’est qu’il jurait beaucoup, et que l’extrême chaleur, le resserrement de mon anus, lui faisaient goûter de bien grands plaisirs.

— Je suis prêt à décharger dans le plus divin des derrières ! s’écria-t-il enfin ; je ne sais si Juliette sera plus délectée de recevoir mon foutre dans son cul qu’elle ne l’a été de le sentir éjaculer dans son con ; mais pour moi, je jure que j’ai mille fois plus de plaisir à la sodomiser que je n’en ressentis au fond de son vagin.

— C’est histoire de goût, dit Ducroz, qui se branlait fortement sur le cul de Laurette en baisant Flavie.

— C’est philosophie, c’est raison, dit Volmar nerveusement branlée par Delbène et langotant Ducroz ; quoique femme, je pense de même, et je proteste bien que, si j’étais homme, je ne foutrais jamais qu’en cul.

Et la voluptueuse créature décharge en prononçant ces paroles impures. Télème la suit de près ; il devient furieux ; retournant ma tête vers lui, il enfonce d’un pied sa langue dans ma bouche ; Delbène me suce si voluptueusement pendant ce temps-là, que je m’abandonne. Je veux crier de plaisir, la langue chatouilleuse de Télème repousse mes paroles, le libertin avale mes soupirs ; j’inonde les lèvres et le gosier de ma suceuse qui, elle-même, lance des torrents dans la bouche de Laurette ; Flavie se joint bientôt à nous, et la charmante libertine perd son foutre en jurant comme un charretier.

— Passons à autre chose, dit Delbène en se relevant. Ducroz, enconnez Juliette ; elle se couchera dans vos bras ; Volmar, également à plat ventre, lui gamahuchera le cul ; je me coulerai sous Volmar pour lui sucer le clitoris ; pendant que Télème m’enconnera, Flavie donnera la diligence à Télème, qui chatouillera le con de Laurette, et cela tout en me foutant.

De nouvelles libations à Cypris terminèrent cette seconde épreuve et l’on m’interrogea.

— Ô mon amie, dis-je à Delbène qui me questionnait, j’avoue, puisqu’il faut que je réponde avec vérité, que le membre qui s’est introduit dans mon derrière m’a causé des sensations infiniment plus vives et plus délicates que celui qui a parcouru mon devant. Je suis jeune, innocente, timide, peu faite aux plaisirs dont je viens d’être comblée ; il serait possible que je me trompasse sur l’espèce et la nature de ces plaisirs en eux-mêmes, mais vous me demandez ce que j’ai senti, je le dis.

— Viens me baiser, mon ange, me dit Mme Delbène, tu es une fille digne de nous. Eh ! sans doute, poursuivit-elle avec enthousiasme, sans doute, il n’est aucun plaisir qui puisse se comparer à celui du cul : malheur aux filles assez simples, assez imbéciles pour n’oser pas ces lubriques écarts ; elles ne seront jamais dignes de sacrifier à Vénus, et jamais la déesse de Paphos ne les comblera de ses faveurs4 !

— Ah ! qu’on m’encule, s’écrie la putain, en s’agenouillant sur un canapé. Volmar, Flavie, Juliette, armez-vous de godemichés ; vous, Ducroz et Télème, bandez ferme, et que vos vits mutins entrelacent les membres postiches de ces coquines ; voilà mon cul : foutez-le tous ! Laurette sera devant moi pendant ce temps-là, et je lui ferai tout ce qui me passera par la tête.

Les ordres de la supérieure s’exécutent. À la manière dont la libertine reçoit ces attaques, il est facile de voir à quel point elle y est habituée ; à mesure qu’un des acteurs la travaille, un autre, se courbant sous elle, lui chatouille le clitoris ou l’intérieur de la motte. C’est de la réunion de ces deux actes que la volupté s’améliore ; elle n’est vraiment entière qu’autant qu’une douce masturbation du devant vient prêter, aux intromissions du cul, le sel piquant qui peut résulter de cette jouissance. À force d’irritation, Delbène devint furieuse ; les passions parlaient impétueusement dans cette femme ardente, et nous ne tardâmes pas à nous apercevoir que c’était bien plutôt à ses fureurs qu’à ses caresses que servait la petite Laurette ; elle la mordait, elle la pinçait, elle l’égratignait.

— Sacredieu ! s’écria-t-elle à la fin, sodomisée par Télème, chatouillée par Volmar, oh ! foutre, je décharge ! vous m’avez fait mourir de volupté ! Asseyons-nous, et dissertons. Ce n’est pas tout que d’éprouver des sensations, il faut encore les analyser. Il est quelquefois aussi doux d’en savoir parler que d’en jouir, et quand on ne peut plus celui-ci, il est divin de se jeter sur l’autre. Faisons cercle. Juliette, calme-toi, je lis déjà ton inquiétude dans tes regards ; as-tu donc peur que nous te manquions de parole ? Voilà ta victime, continua-t-elle en me montrant Laurette ; tu l’enconneras, tu l’enculeras, cela est sûr : les promesses des libertins sont solides comme leurs dérèglements. Télème, et vous, Ducroz, soyez près de moi ; je veux manier vos vits en parlant, je veux les faire rebander, je veux que l’énergie qu’ils retrouveront sous mes doigts se communique à mes discours, et vous verrez mon éloquence s’accroître, non comme celle de Cicéron, en raison des mouvements du peuple entourant la tribune aux harangues, mais comme celle de Sapho, en proportion du foutre qu’elle obtenait de Damophile.

J’avoue, nous dit Delbène dès qu’elle se fut mise en état de discourir, qu’il n’est rien au monde qui m’étonne comme l’éducation morale que l’on donne aux jeunes filles : il semble que l’on ne s’attache, dans les principes qu’on leur inculque, qu’à contrarier dans elles tous les mouvements de la nature. Je voudrais bien que quelqu’un me répondît à quoi sert une femme sage dans le monde, et s’il existe quelque chose de plus inutile que ces pratiques de vertu dont on ne cesse d’étourdir notre sexe : nous existons dans deux situations où ces pratiques nous sont recommandées, et c’est dans l’une et l’autre époque de notre vie où je vais entreprendre de prouver leur inutilité.

Jusqu’à ce qu’une fille se marie, à quoi sert-il, je le demande, qu’elle conserve sa virginité ? Et comment peut-on porter l’extravagance au point de croire qu’une créature féminine devrait valoir mieux, pour avoir une partie de son corps un peu plus ou un peu moins ouverte ? Pour quel but la nature a-t-elle créé tous les humains ? N’est-ce pas pour se donner mutuellement tous les secours, et par conséquent tous les plaisirs qui dépendent d’eux ? Or, s’il est vrai qu’un homme doive attendre de très grands plaisirs d’une jeune fille, ne contrariez-vous pas les lois de la nature, en composant à cette pauvre fille une vertu féroce qui lui défend de se prêter aux désirs impétueux de cet homme ? Pouvez-vous vous permettre une telle barbarie sans la justifier par quelque chose ? Or, que m’alléguez-vous pour me convaincre que cette jeune fille fait bien de garder sa virginité ? Votre religion, vos mœurs, vos usages ? Et qu’y a-t-il, je vous prie, de plus méprisable que tout cela ? Je ne parle pas de la religion, je vous connais assez tous pour être bien persuadée du peu de cas que vous en faites. Mais les mœurs, qu’est-ce que les mœurs, j’ose vous le demander ? On appelle ainsi, ce me semble, le genre de conduite des individus d’une nation, entre eux et avec les autres. Or, les mœurs, vous en conviendrez, doivent être basées sur le bonheur individuel ; si elles n’assurent pas ce bonheur, elles sont ridicules ; si elles y nuisent, elles sont atroces, et une nation sage doit travailler sur-le-champ à la prompte réforme de ces mœurs, dès qu’elles ne servent plus au bonheur général. Or, je demande qu’on me prouve qu’il y a quelque chose dans nos mœurs françaises qui, relativement au plaisir de la chair, puisse coopérer au bonheur de la nation : en vertu de quoi contraignez-vous cette jeune fille à conserver son pucelage, malgré la nature qui lui dit de le perdre, et malgré sa santé que sa sagesse dérange ! Me répondrez-vous que c’est pour qu’elle arrive pure dans les bras de son époux : mais cette prétendue nécessité est-elle autre chose que l’histoire des préjugés ? Quoi ! pour faire jouir un homme du frivole plaisir de moissonner des prémices, il faut que cette malheureuse se sacrifie dix ans ; il faut qu’elle fasse de la peine à cinq cents individus, pour en délecter tristement un seul ? Existe-t-il quelque chose de plus barbare et de plus mal combiné que cela ? Où, je vous prie, l’intérêt général est-il plus cruellement immolé que dans des lois aussi absurdes ! Vivent à jamais les nations qui, loin de ces puérilités, n’estiment au contraire les jeunes personnes de notre sexe qu’en raison de leurs désordres ! Dans cette seule multiplicité réside la véritable vertu d’une fille : plus elle se livre, plus elle est aimable ; plus elle fout, plus elle fait d’heureux, et plus elle est utile au bonheur de ses concitoyens. Qu’ils renoncent donc, ces maris barbares, au vain plaisir de cueillir une rose, droit despotique qu’ils ne s’arrogent qu’aux dépens du bonheur des autres hommes ; qu’ils cessent de mésestimer une fille qui, ne les connaissant pas, n’a pu les attendre pour leur faire présent de ce qu’elle a de plus précieux, et qui certainement ne l’a pas dû si elle a consulté la nature ! Examinerons-nous la nécessité de la vertu des êtres de notre sexe sous le second rapport, je veux dire quand nous sommes mariées ? Ceci nous ramène à l’adultère, et c’est ce prétendu délit que je veux traiter à fond.

Nos mœurs, nos religions, nos lois, toutes ces viles considérations locales ne méritent aucun égard dans cet examen : l’objet n’est pas de savoir si l’adultère est un crime aux yeux du Lapon qui le permet, ou du Français qui le défend, mais si l’humanité et la nature sont offensées de cette action. Pour pouvoir admettre une hypothèse semblable, il faudrait méconnaître l’étendue des désirs physiques dont cette mère commune des hommes a doué les deux sexes. Sans doute, si un homme suffisait aux désirs d’une seule femme, ou qu’une seule femme pût contenter les ardeurs d’un seul homme, dans cette hypothèse alors, tout ce qui violerait la loi outragerait aussi la nature. Mais si l’inconstance et l’insatiabilité de ces désirs sont telles, que la pluralité des hommes soit aussi nécessaire à la femme que celle des femmes le devient aux hommes, vous m’avouerez que, dans ce cas, toute loi qui s’oppose à leurs désirs devient tyrannique et s’éloigne visiblement de la nature. Cette fausse vertu qu’on nomme chasteté, étant certainement le plus ridicule de tous les préjugés, en ce que cette manière d’être ne coopère en rien au bonheur des autres et nuit infiniment à la prospérité générale, puisque les privations qu’impose cette vertu sont nécessairement très cruelles, cette fausse vertu, dis-je, étant l’idole qu’on encense, dans la crainte qu’on a de l’adultère, doit d’abord être mise, par tout être sensé, au rang des freins les plus odieux dont il a plu à l’homme de grever les inspirations de la nature. Osons arracher le voile ; le besoin de foutre n’est pas d’une moins haute importance que celui de boire et de manger, et l’on doit se permettre l’usage de l’un et de l’autre avec aussi peu de contrainte. L’origine de la pudeur ne fut, soyons-en bien sûrs, qu’un raffinement luxurieux : on était bien aise de désirer plus longtemps pour s’exciter davantage, et des sots prirent ensuite pour une vertu ce qui n’était qu’une recherche du libertinage5. Il est aussi ridicule de dire que la chasteté est une vertu, qu’il le serait de prétendre que c’en est une de se priver de nourriture. Qu’on le remarque bien : c’est presque toujours la sotte importance que nous mettons à certaine chose qui finit par l’ériger en vertu ou en vice ; renonçons à nos imbéciles préjugés sur cela ; qu’il soit aussi simple de dire à une fille, à un garçon, ou à une femme, qu’on a envie de s’en amuser, qu’il l’est, dans une maison étrangère, de demander les moyens d’apaiser sa faim ou sa soif, et vous verrez que le préjugé tombera, que la chasteté cessera d’être une vertu, et l’adultère un crime. Eh ! quel mal fais-je, je vous prie, quelle offense commets-je, en disant à une belle créature, quand je la rencontre : Prêtez-moi la partie de votre corps qui peut me satisfaire un instant, et jouissez, si cela vous plaît, de celle du mien qui peut vous être agréable ?

En quoi cette créature quelconque est-elle lésée de ma proposition ? En quoi le sera-t-elle en acceptant la mienne ? Si je n’ai rien de ce qu’il lui faut pour lui plaire, que l’intérêt tienne lieu du plaisir, et qu’alors, pour un dédommagement convenu, elle m’accorde sur-le-champ la jouissance de son corps, et qu’il me soit permis d’employer la force et tous les mauvais traitements qu’elle entraîne, si, en la satisfaisant comme je peux, ou de ma bourse, ou de mon corps, elle ose ne pas me donner à l’instant ce que je suis en droit d’exiger. Elle seule offense la nature, en refusant ce qui peut obliger son prochain : je ne l’outrage point, moi, en proposant d’acheter d’elle ce qui m’en convient, et de payer ce qu’elle me cède au prix qu’elle peut désirer. Eh ! non, non ! encore une fois, la chasteté n’est point une vertu ; elle n’est qu’une mode de convention, dont la première origine ne fut qu’un raffinement du libertinage ; elle n’est nullement dans la nature, et une fille, une femme, ou un garçon, qui accorderait ses faveurs au premier venu, qui se prostituerait effrontément en tous sens, en tous lieux, à toute heure, ne commettrait qu’une chose contraire, j’en conviens, aux usages du pays qu’habiterait peut-être cet individu ; mais il n’offenserait en quoi que ce puisse être, ni son prochain, qu’il servirait bien plutôt que de l’outrager, ni la nature, aux desseins de laquelle il n’a fait que complaire en se livrant aux derniers excès du libertinage. La continence, soyez-en bien certains, n’est que la vertu des sots et des enthousiastes ; elle a beaucoup de dangers, aucuns bons effets ; elle est aussi pernicieuse aux hommes qu’aux femmes ; elle est nuisible à la santé, en ce qu’elle laisse corrompre dans les reins une semence destinée à être lancée au-dehors, comme toutes les autres sécrétions. La corruption la plus affreuse des mœurs, en un mot, a infiniment moins d’inconvénients, et les peuples les plus célèbres de la terre, ainsi que les hommes qui l’illustrèrent le plus, furent incontestablement les plus débauchés. La communauté des femmes est le premier vœu de la nature, elle est générale dans le monde, les animaux nous en donnent l’exemple ; il est absolument contraire aux inspirations de cette agente universelle d’unir un homme avec une femme, comme en Europe, et une femme avec plusieurs hommes, comme dans certaine pays de l’Afrique, ou un homme avec plusieurs femmes comme en Asie et dans la Turquie d’Europe ; toutes ces institutions sont révoltantes, elles gênent les désirs, elles contraignent les humeurs, elles enchaînent les volontés, et, de toutes ces infâmes coutumes, il ne peut résulter que des malheurs. Ô vous, qui vous mêlez de gouverner les hommes, gardez-vous de lier aucune créature ! Laissez-la faire ses arrangements toute seule, laissez-la se chercher elle-même ce qui lui convient, et vous vous apercevrez bientôt que tout n’en ira que mieux.

Quelle nécessité y a-t-il donc, diront tous les hommes raisonnables, que le besoin de perdre un peu de semence me lie à une créature que je n’aimerai jamais ? De quelle utilité peut-il être que ce même besoin enchaîne à moi cent infortunées que je ne connais seulement pas ! Pourquoi faut-il que ce même besoin, avec quelque différence pour la femme, l’assujettisse à une contrainte et à un esclavage perpétuels ? Eh quoi ! cette malheureuse fille brûle de tempérament ; le besoin de se rassasier la consume, et vous allez, pour la satisfaire, lier son sort à celui d’un homme… peut-être fort loin du goût de ces plaisirs, et qui, ou ne la verra pas quatre fois dans sa vie, ou ne se servira d’elle que pour la soumettre à des plaisirs dont le partage deviendra impossible à cette jeune personne ? Quelle injustice de part et d’autre ! et comme elle est évitée en abrogeant vos ridicules mariages, en laissant les deux sexes libres de se chercher et de se trouver réciproquement ce qu’il leur faut ! Quel bien établissent les mariages dans la société ? Bien loin de resserrer les nœuds, ils les brisent. Lequel, selon vous, paraît le plus uni, ou d’une seule et même famille, comme le serait alors chaque gouvernement de la terre, ou de cinq ou six millions de petites, dont les intérêts, toujours personnels, divisent nécessairement l’intérêt général et le combattent perpétuellement ? Quelle différence d’union… de tendresse entre tous les hommes, si tous également, frères, pères, mères, époux, en cherchant à se combattre ou à se nuire, nuisaient ou combattaient alors ce qu’ils auraient de plus cher ! Mais cette universalité, direz-vous, affaiblirait les liens ; il n’y en aurait plus, à force d’en avoir. Eh ! qu’importe ? il vaut bien mieux qu’il n’y en ait d’aucune espèce, que d’en avoir dont le but ne peut être que de troubler ou que de nuire. Jetons un coup d’œil sur l’histoire. Que seraient devenus les ligues, les différente partis qui ont déchiré la France, parce que chacun suivait sa famille et s’unissait à elle pour combattre ; que tout cela, dis-je, serait-il devenu, s’il n’y eût eu qu’une seule famille en France ? Cette famille se serait-elle divisée par troupes pour se combattre réciproquement, pour adopter, les unes le parti d’un tyran, les autres le parti contraire ? Plus d’Orléanais contre les Bourguignons, plus de Guises contre les Bourbons, plus de toutes ces horreurs qui ont déchiré la France, et dont l’unique objet était l’orgueil et l’ambition des familles. Ces passions s’anéantissent avec l’égalité que je propose ; elles s’oublient avec la destruction de ces liens ridicules appelés mariages. Plus qu’une vue, plus qu’un projet, plus qu’un désir dans l’État : vivre heureux ensemble, et défendre ensemble la patrie. Il est impossible que la machine subsiste longtemps avec les usages adoptée jusqu’à ce jour. Les richesses et le crédit s’étayant, se cherchant sans cesse, il y aura nécessairement avant un siècle une portion de l’État si puissante et si riche qu’elle culbutera l’autre, et voilà encore la patrie désolée6.

Que l’on y réfléchisse bien, on verra que tous les troubles n’ont jamais eu d’autres causes. Une puissance sourdement accrue a toujours fini par essayer de culbuter l’autre, et elle y a réussi. Que d’obstacles levés, que d’inconvénients prévenus, en abolissant les mariages : plus de chaînes abhorrées, plus de repentirs amers, plus aucun des crimes, fruits de ces abus monstrueux, puisque c’est la loi seule qui fait le crime, et que le crime tombe dès que la loi n’existe plus. Aucune cabale dans l’État, plus d’inégalité choquante de fortune. Mais les enfants… la population ?… C’est cela que nous allons traiter.

Nous commencerons par établir un fait auquel nous croyons difficile de répondre : c’est que, pendant l’acte de la jouissance, assurément l’on s’occupe fort peu de la créature qui peut en résulter ; celui qui serait assez bête pour y penser aurait assurément la moitié moins de plaisir que celui qui ne s’en occupe pas. C’est un ridicule outré, sans doute, ou de ne voir une femme que dans cette idée, ou que de concevoir même cette idée en la voyant. C’est à tort que l’on suppose que la propagation est une des lois de la nature : notre seul orgueil nous a fait imaginer cette sottise. La nature permet la propagation, mais il faut bien se garder de prendre sa tolérance pour un ordre. Elle n’a pas le plus petit besoin de la propagation ; et la destruction totale de la race, qui deviendrait le plus grand malheur du refus de la propagation, l’affligerait si peu qu’elle n’en interromprait pas plus son cours que si l’espèce entière des lapins ou des lièvres venait à manquer sur notre globe. Ainsi, nous ne la servons pas plus en propageant, que nous ne l’offensons en ne propageant pas. Soyons bien persuadés que cette intéressante propagation, que notre orgueil érige sottement en vertu, devient, relativement aux lois de la nature, la chose la plus inutile et qui doit le moins nous inquiéter. Deux êtres de sexe différent, que l’instinct du plaisir rapproche, doivent donc s’attacher à goûter le plaisir unanimement dans toute l’étendue qu’il peut avoir, et y mettre, tant pour son augmentation que pour son amélioration, toutes les recherches qui peuvent dépendre d’eux, puis se moquer absolument des suites, et parce que ces suites ne sont nullement nécessaires, et parce que la nature s’en embarrasse on ne saurait moins7.

À l’égard du père, il devient totalement dégagé du soin de cette progéniture, si elle a lieu. Et comment pourrait-il s’en inquiéter, avec la communauté que je suppose ? Un peu de semence jetée par lui dans une matrice commune, où ce qui peut germer germe, ne peut lui devenir une obligation de prendre soin de l’embryon germé, et ne peut pas plus lui imposer de devoirs envers cet embryon qu’envers celui de l’insecte que ses excréments déposés au pied d’un arbre auraient fait éclore quelques jours après : c’est, dans l’un et dans l’autre cas, de la matière dont le besoin oblige de se débarrasser, et qui devient ce qu’elle peut. La femme seule, dans le cas supposé, devient maîtresse de l’embryon ; comme unique propriétaire de ce fruit plaisamment précieux, elle en peut donc entièrement disposer à son gré, le détruire au fond de son sein, s’il la gêne, ou après qu’il est né, si l’espèce ne lui convient pas, et dans tous les cas l’infanticide ne peut jamais lui être défendu. C’est un bien entièrement à elle, que personne ne réclame, qui n’appartient à personne, dont la nature n’a aucun besoin, et que, par conséquent, elle peut ou nourrir ou étouffer si elle veut. Eh ! ne craignons pas de manquer d’hommes ; il y aura plus qu’on ne voudra de femmes envieuses d’élever le fruit qu’elles portent ; et vous aurez toujours plus de bras qu’il ne vous en faudra pour vous défendre et pour cultiver vos terres. Formez, pour lors, des écoles publiques, où les enfants soient élevés dès qu’ils n’ont plus besoin du sein de leur mère ; que, déposés là comme enfants de l’État, ils oublient même jusqu’au nom de cette mère, et que, s’unissant ensuite vulgivaguement à leur tour, ils fassent comme leurs parents.

Voyez, d’après ces principes, ce qu’est maintenant l’adultère, et s’il est possible ou vrai qu’une femme puisse faire mal en se livrant à qui bon lui semble. Voyez si tout ne subsisterait pas également, même avec l’entière destruction de nos lois. Mais, d’ailleurs, sont-elles générales, ces lois ? Tous les peuples ont-ils le même respect pour ces liens absurdes ? Faisons un examen rapide de ceux qui les ont méprisés.

En Laponie, en Tartarie, en Amérique, c’est un honneur que de prostituer sa femme à un étranger.

Les Illyriens ont des assemblées particulières de débauches, où ils contraignent leurs femmes à se livrer au premier venu, devant eux.

L’adultère était publiquement autorisé chez les Grecs. Les Romains se prêtaient mutuellement leurs femmes. Caton prêta la sienne à Hortensius, qui désirait une femme féconde.

Cook découvrit une société à Otaïti où toutes les femmes se livrent indifféremment à tous les hommes de l’assemblée. Mais si l’une d’elles devient enceinte, l’enfant est étouffé au moment de sa naissance : tant il est vrai qu’il existe des peuples assez sages pour sacrifier à leurs plaisirs les lois futiles de la population ! Cette même société, à quelques différences près, existe à Constantinople8.

Les nègres de la côte de Poivre et de Riogabar prostituent leurs femmes à leurs propres enfants.

Chez les anciens Bretons, huit ou dix maris se rassemblaient et mettaient leurs femmes en commun. Les intérêts, les partis différents s’opposent chez nous à ces trafics délicieux. Quand serons-nous donc assez philosophes pour les établir ?

Singha, reine d’Angola, avait fait une loi qui établissait la vulgivaguibilité des femmes. Cette même loi leur enjoignait de se garantir de grossesse, sous peine d’être pilées dans un mortier : loi sévère, mais utile, et qui doit toujours suivre la défense des liens et la communauté, afin de mettre des bornes à une population dont la trop grande abondance pourrait devenir dangereuse.

Mais on peut tarir cette population par des moyens plus doux : ce serait en accordant des honneurs et des récompenses au saphotisme, à la sodomie, à l’infanticide, comme Sparte en décernait au vol. Ainsi la balance s’égaliserait sans avoir besoin, comme à Angola ou à Formose, d’écraser le fruit des femmes dans leur propre sein.

En France, par exemple, où la population est beaucoup trop nombreuse, en établissant la communauté dont je parle, il faudrait fixer le nombre des enfants, faire impitoyablement noyer tout le reste, et, comme je viens de le dire, vénérer les amours illégitimes entre sexes égaux. Le gouvernement, maître alors et de ces enfants et de leur nombre, compterait nécessairement autant de défenseurs qu’il en aurait élevé, et l’État n’aurait point, par grandes villes, trente mille malheureux à soulager dans les temps de disette. C’est pousser trop loin le respect pour un peu de matière fécondée, que d’imaginer qu’on ne puisse pas, quand il en est besoin, la détruire avant terme ou même beaucoup après.

Il y a, en Chine, une société pareille à celles d’Otaïti et de Constantinople. On les appelle les maris commodes. Ils n’épousent de filles qu’à la condition qu’elles se prostitueront à d’autres : leur maison est l’asile de toutes les luxures. Ils noient les enfants qui naissent de ce commerce.

Il existe des femmes au Japon qui, quoique mariées, se tiennent, avec l’agrément de leurs époux, aux environs des temples et des grands chemins, le sein découvert, comme les courtisanes d’Italie, et sont toujours prêtes à favoriser les désirs du premier venu.

On voit une pagode à Cambaye, lieu de pèlerinage où toutes les femmes se rendent avec la plus grande dévotion ; là, elles se prostituent publiquement, sans que leurs maris y trouvent à redire. Celles qui ont amassé une certaine fortune à ce métier achètent, avec cet argent, de jeunes esclaves qu’elles dressent au même usage et qu’elles mènent ensuite à la pagode pour se prostituer à leur exemple9.

Un mari, au Pégu, méprise souverainement les premières faveurs de sa femme ; il les fait prendre par un ami, souvent même par l’étranger qu’il considère. Mais il n’en ferait pas de même pour les prémices d’un jeune garçon : cette jouissance est, pour les habitants de ces pays, la plus délicieuse de toutes.

Les Indiennes du Darien se prostituent au premier venu. Si elles sont mariées, l’époux se charge de l’enfant ; si elles sont filles, ce serait un déshonneur d’être grosses, et elles se font alors avorter, ou prennent, dans leur jouissance, des précautions qui les délivrent de cette inquiétude.

Les prêtres de Cumane ravissent la fleur des jeunes mariées : l’époux n’en voudrait pas sans cette cérémonie préalable. Ce précieux bijou n’est donc qu’un préjugé national, ainsi que tant d’autres choses sur lesquelles nous ne voulons jamais ouvrir les yeux.

Combien de temps la féodalité usa-t-elle de ce droit dans plusieurs provinces de l’Europe, et particulièrement en Écosse ? Ce sont donc des préjugés que la pudeur… que la vertu… que l’adultère.

Il s’en faut bien que tous les peuples aient également estimé les prémices. Plus une fille, dans l’Amérique septentrionale, avait eu d’aventures galantes, plus elle trouvait d’époux qui la recherchaient. On n’en voulait point si elle était vierge : c’était une preuve de son peu de mérite.

Aux îles Baléares, le mari est le dernier qui jouisse de sa femme : tous les parents, tous les amis le précèdent dans cette cérémonie ; il passerait pour un homme fort malhonnête, s’il s’opposait à cette prérogative. Cette même coutume s’observait en Islande, et chez les Nazaméens, peuple de l’Égypte : après le festin, l’épouse nue allait se prostituer à tous les convives et recevait un présent de chacun.

Chez les Massagètes, toutes les femmes étaient en commun : lorsqu’un homme en rencontrait une qui lui plaisait, il la faisait monter sur son chariot, sans qu’elle pût s’en défendre ; il suspendait ses armes au timon, et cela suffisait pour empêcher les autres d’approcher.

Ce ne fut point en faisant des lois de mariage, mais en établissant, au contraire, la parfaite communauté des femmes, que les peuples du Nord furent assez puissants pour culbuter trois ou quatre fois l’Europe et l’inonder de leurs émigrations.

Le mariage est donc nuisible à la population, et l’univers rempli de peuples qui l’ont méprisé. Il est donc contraire au bonheur des individus, aux yeux de la nature, et généralement à toutes les institutions qui peuvent assurer la félicité de l’homme sur la terre. Or, si c’est l’adultère qui le pulvérise, l’adultère qui détruit ses lois, l’adultère qui rentre si énergiquement dans celles de la nature, l’adultère pourrait donc bien, au lieu d’être un crime, facilement passer pour une vertu.

Ô tendres créatures, ouvrages divins, créées pour les plaisirs de l’homme ! cessez de croire que vous ne soyez faites que pour la jouissance d’un seul ; foulez aux pieds, sans nulle frayeur, ces liens absurdes qui, vous enchaînant dans les bras d’un époux, nuisent au bonheur que vous attendez de l’amant qui vous est cher ! Songez que ce n’est qu’en lui résistant que vous outragez la nature : en vous formant le plus sensible, le plus ardent des sexes, elle gravait dans vos cœurs le désir de vous livrer à toutes vos passions. Vous indiquait-elle de vous captiver à un seul homme, en vous donnant la force d’en lasser quatre ou cinq de suite ? Méprisez les vaines lois qui vous tyrannisent ; elles ne sont l’ouvrage que de vos ennemis, sitôt que ce n’est pas vous qui les avez faites : dès qu’il est sûr que vous vous seriez bien gardées de les approuver, de quel droit prétendrait-on vous y astreindre ? Songez qu’il n’est qu’un âge pour plaire, et que vous verserez dans votre vieillesse des larmes bien cruelles, si vous l’avez passé sans jouir : et quel fruit recueillerez-vous de cette sagesse, quand la perte de vos charmes ne vous laissera plus prétendre à nuls droits ? L’estime de votre époux, quelle faible consolation ! quels dédommagements pour de tels sacrifices ! Qui, d’ailleurs, vous répond de son équité ? qui vous dit que votre constance lui soit aussi précieuse que vous l’imaginez ? Vous voilà donc réduites à votre propre orgueil. Ah ! femmes aimables, la plus mince des jouissances que donne un amant vaut mieux que celles de soi-même : ce sont de pures chimères que toutes ces jouissances isolées, personne n’y croit, personne ne s’en doute, personne ne vous en sait gré, et, toujours destinées à être victimes, vous mourrez celles du préjugé, au lieu de l’avoir été de l’amour. Servez-le, jeunes beautés, servez-le donc sans crainte, ce Dieu charmant qui vous créa pour lui ; c’est au pied de ses autels, c’est dans les bras de ses sectateurs que vous trouverez la récompense des petits chagrins que vous fait éprouver une première démarche. Songez qu’il n’y a que celle-là qui coûte ; elle n’est pas plus tôt faite que vos yeux se dessillent : ce n’est plus la pudeur qui colore de roses vos joues fraîches et blanches, c’est le dépit d’avoir pu respecter une minute le frein méprisable dont l’atrocité des parents ou la jalousie des époux osa vous lier un seul jour.

Dans l’état cruel où les choses sont, et c’est ce qui doit faire la seconde partie de mon discours, dans cet état de gêne affreux, dis-je, il ne reste plus qu’à donner aux femmes quelques conseils sur la manière de se conduire, et qu’à examiner si réellement il résulte un inconvénient de ce fruit étranger que se trouve contraint d’adopter le mari.

Voyons d’abord si ce n’est pas une vaine chimère pour un mari que de placer son honneur et sa tranquillité dans la conduite d’une femme.

L’honneur ! et comment un autre être que nous peut-il donc disposer de notre honneur ? Ne serait-ce pas ici un moyen adroit que les hommes auraient employé pour obtenir davantage de leurs femmes, pour les enchaîner plus fortement à eux ? Eh quoi ! il sera permis à cet homme injuste de se livrer lui-même à toutes les débauches qui lui plairont, sans entamer cet honneur frivole ; et cette femme qu’il néglige, cette femme vive et ardente dont il ne contente pas le quart des désirs, le déshonore en ayant recours à un autre ? Mais ceci est positivement le même genre de folie que celui de ce peuple où le mari se met au lit quand la femme accouche. Persuadons-nous donc que notre honneur est à nous, qu’il ne peut jamais dépendre de personne, et qu’il y a de l’extravagance à imaginer que jamais les fautes des autres puissent y donner la moindre atteinte.

Si donc il devient absurde d’imaginer qu’il puisse résulter, pour un homme, du déshonneur de la conduite de sa femme, quel autre chagrin pouvez-vous prouver qu’il puisse en revenir ? De deux choses l’une : ou cet homme aime sa femme, ou il ne l’aime point ; dans la première hypothèse, dès qu’elle lui manque, c’est qu’elle ne l’aime plus ; or, dites-moi si la plus haute de toutes les extravagances n’est pas d’aimer quelqu’un qui ne vous aime plus ? L’homme dont il s’agit doit donc, dès ce moment, cesser d’être attaché à son épouse, et, dans cette supposition, l’inconstance doit être parfaitement permise à cette épouse. Si c’est le second cas, et que, n’aimant plus sa femme, l’homme ait donné lieu à cette inconstance, de quoi peut-il se plaindre ? Il a ce qu’il mérite, ce qui devait nécessairement lui arriver en se comportant comme il le fait. Il commettrait donc la plus grande injustice en s’en plaignant, ou le trouvant mauvais : n’a-t-il pas dix mille objets de dédommagement autour de lui ? Eh ! qu’il laisse s’amuser en paix cette femme, assez malheureuse déjà d’être obligée de se contraindre, pendant que lui n’a besoin d’aucun voile, et qu’aucune opinion ne le condamne. Qu’il la laisse goûter tranquillement des plaisirs qu’il ne peut plus lui procurer, et sa complaisance peut encore lui faire une amie d’une femme… outragée par des procédés contraires. La reconnaissance, alors, fera ce que le cœur n’avait pu opérer, la confiance naîtra d’elle-même, et tous deux, parvenus au déclin de l’âge, se dédommageront ensemble dans le sein de l’amitié de ce que leur aura refusé l’amour.

Époux injustes, cessez donc de tourmenter vos femmes, si elles vous sont infidèles. Ah ! si vous voulez bien vous examiner, vous vous trouverez toujours le premier tort, et ce qui persuadera le public que ce tort est véritablement toujours de votre côté, c’est que tous les préjugés sont contre l’inconduite des femmes ; c’est qu’elles ont, pour être libertines, une infinité de liens à franchir, et qu’il n’est pas naturel qu’un sexe doux et timide en vienne là sans d’excellentes raisons. Mon hypothèse est-elle fausse ? L’épouse seule est-elle coupable ? Eh ! qu’importe au mari ? Qu’il serait dupe de mettre là sa tranquillité ! Éprouve-t-il, des sottises de sa femme, quelques peines physiques ? Hélas ! non ; elles sont toutes imaginaires ; il ne se fâche que d’une chose qui l’honorerait à cinq ou six cents lieues de Paris. Qu’il foule aux pieds le préjugé ! Pense-t-on aux torts de l’hymen au sein des plaisirs de la luxure ? Voilà les plus sensuels de tous, qu’il s’y livre, et toutes les fautes de sa femme seront bientôt oubliées.

C’est donc ce fruit… ce fruit qu’il n’a point semé, et qu’il lui faut pourtant recueillir, voilà donc ce qui fait sa désolation ? Quelle enfance ! Deux choses se présentent ici : ou vous vivez avec votre femme, quoique infidèle, de manière à vous donner des héritiers, ou vous n’y vivez pas ; ou vous y vivez comme certains époux libertins, de manière à être sûr que le fruit n’est pas de vous. N’ayez point de frayeur dans ce dernier cas-ci : votre femme est assez fine pour ne pas vous donner d’enfants ; laissez-la faire, vous n’en aurez pas ; une telle gaucherie ne sera jamais hasardée par une femme assez adroite pour conduire une intrigue. Dans l’autre cas, dès que vous travaillez comme votre rival à la multiplication de l’espèce, qui peut vous assurer que le fruit ne vous appartient pas ? Il y a autant à parier pour que contre, et c’est une extravagance à vous de ne pas adopter le parti rassurant. Ou cessez entièrement de voir votre femme, sitôt que vous lui soupçonnez une intrigue, ce qui est la plus sûre et la meilleure façon de la jouer ; ou, si vous continuez à cultiver le même jardin que son amant, n’accusez pas celui-ci, plutôt que vous, d’avoir semé le fruit qui germe. Voilà donc les deux objections répondues : ou vous n’aurez sûrement point d’enfants ; ou, si vous en avez, il y a autant à parier qu’ils vous appartiennent qu’à votre rival ; il y a même, en faveur de cette dernière opinion, une probabilité de plus : c’est l’envie que votre femme doit avoir de couvrir son intrigue par une grossesse, ce qui, soyez-en bien sûr, lui fera faire tout au monde pour y parvenir avec vous, parce qu’il est constant qu’elle ne sera jamais plus tranquille que quand elle vous aura vu mettre le baume sur le mal, et qu’elle retirera de ce procédé la certitude de pouvoir désormais tout hasarder avec son amant. Votre inquiétude sur cela est donc une folie : l’enfant est à vous, soyez-en certain ; votre femme a le plus grand intérêt à ce qu’il vous appartienne, vous y avez d’ailleurs travaillé. Eh bien ! de ces deux raisons réunies, arrive à vous la certitude de ce que vous désirez savoir : l’enfant est à vous, cela est clair, et il y est par le même calcul qui doit faire parvenir au but celui de deux coureurs payé pour y arriver le premier, lorsque son camarade ne gagne rien à la même course. Mais supposons un instant qu’il ne soit pas de vous : que vous importe dans le fait ? Vous voulez un héritier, le voilà : c’est l’éducation qui donne le sentiment filial, ce n’est pas la nature. Croyez que cet enfant, désabusé par rien d’être votre fils, accoutumé à vous voir, à vous nommer, à vous chérir comme son père, vous révérera, vous aimera tout autant, et peut-être plus, que si vous aviez coopéré à son existence. Il n’y aura donc plus en vous que l’imagination de malade : or, rien ne se guérit facilement comme ces maux. Donnez à cette imagination une secousse plus vive, agitez-la par quelque chose qui ait plus d’empire, plus d’activité sur elle, vous l’assouplirez bientôt à ce que vous voudrez, et sa maladie se guérira. Dans tous les cas, ma philosophie vous offre un moyen. Rien n’est à nous autant que nos enfants ; on vous donne celui-là, il vous appartient encore mieux ; il n’y a rien de si bien à nous que ce qu’on nous donne. Usez de vos droits, et souvenez-vous qu’un peu de matière organisée, soit qu’elle nous appartienne ou qu’elle soit la propriété des autres, est bien peu chère à la nature, qui nous donna dans tous les temps le pouvoir de la désorganiser à notre gré.

À vous maintenant, épouses charmantes, à vous la leçon, mes amies. J’ai tranquillisé l’esprit de vos maris, je leur ai appris à ne se fâcher de rien avec vous ; je vais à présent vous instruire dans l’art de les tromper adroitement. Mais je veux vous faire frémir avant : je veux exposer à vos yeux le tableau sinistre de toutes les peines imposées à l’adultère, autant pour vous faire voir qu’il faut que le prétendu délit donne de grands plaisirs, puisque tous les peuples le traitèrent avec tant de rigueur, que pour que vous ayez à rendre grâce au sort du bonheur que vous avez d’être nées sous un gouvernement doux, qui, s’en rapportant de votre conduite à vous-mêmes, ne vous impose d’autres peines, si cette conduite n’est pas bonne, que la honte frivole de vous déshonorer les premières… Charme de plus, convenez-en, pour la plus grande partie d’entre vous.

Une loi de l’empereur Constance condamnait l’adultère à la même peine que le parricide, c’est-à-dire à être brûlée vive, ou cousue dans un sac et jetée dans la mer : il ne laissait pas même à ces malheureuses la ressource de l’appel, quand elles étaient convaincues.

Un gouverneur de province avait exilé une femme coupable d’adultère ; l’empereur Majorien, trouvant la punition trop légère, chassa cette femme de l’Italie et donna la permission de la tuer à tous ceux qui la rencontreraient.

Les anciens Danois punissaient l’adultère de mort, tandis que l’homicide ne payait qu’une simple amende : ils le croyaient donc un bien plus grand crime.

Les Mogols fendent une femme adultère en deux avec leur sabre.

Dans le royaume de Tonkin, elle est écrasée par un éléphant.

À Siam, c’est plus doux : on la livre à l’éléphant même ; il en jouit dans une machine préparée exprès et dans laquelle il croit voir la représentation de sa femelle. La lubricité pourrait bien avoir inventé ce supplice-là.

Les anciens Bretons, en cas pareils, et peut-être dans les mêmes vues, la faisaient expirer sous les verges.

Au royaume de Louango, en Afrique, elle est précipitée avec son amant du haut d’une montagne escarpée.

Dans les Gaules, on les étouffait dans la boue et on les couvrait de claies.

À Juida, le mari lui-même condamnait sa femme ; il la faisait exécuter sur-le-champ, devant lui, s’il la trouvait coupable : ce qui devenait extrêmement commode pour les maris las de leurs femmes.

Dans d’autres pays, il reçoit des lois le pouvoir de l’exécuter de sa propre main, s’il la trouve en faute. Cette coutume était principalement celle des Goths10.

Les Miamis coupaient le nez à la femme adultère ; les Abyssins la chassaient de leurs maisons, couverte de guenilles.

Les sauvages du Canada lui cernaient la tête en rond, et lui enlevaient une bande de peau.

Dans le Bas-Empire, la femme adultère était prostituée aux passants.

À Diarbeck, la criminelle était exécutée par sa famille assemblée, et tous ceux qui entraient devaient lui donner un coup de poignard.

Dans quelques provinces de Grèce où ce crime n’était pas autorisé comme à Sparte, tout le monde pouvait impunément tuer une femme adultère.

Les Gaux-Tolliams, peuples d’Amérique, amenaient l’adultère au pied du cacique, et là, elle était coupée en pièces, et mangée par les témoins.

Les Hottentots, qui permettent le parricide, le matricide et l’infanticide, punissent l’adultère de mort ; l’enfant lui-même devient, sur un tel fait, le délateur de sa mère11.

Ô femmes voluptueuses et libertines ! si ces exemples ne servent, ainsi que je l’imagine, qu’à vous enflammer davantage, parce que l’espoir que le crime est sûr est toujours un plaisir de plus pour des têtes organisées comme les vôtres, écoutez mes leçons, et profitez-en ; je vais dévoiler à vos yeux lascifs toute la théorie de l’adultère.

Ne cajolez jamais tant votre mari que quand vous avez envie de le tromper.

S’il est libertin, servez ses désirs, soumettez-vous à ses caprices, flattez toutes ses fantaisies, offrez-lui, même, des objets de luxures. Ayez, d’après ses fantaisies, ou de jolies filles, ou de jolis garçons près de vous, fournissez-les-lui. Enchaîné par la reconnaissance, il n’osera jamais vous faire de reproches : que vous objecterait-il, d’ailleurs, que vous ne puissiez à l’instant rétorquer contre lui ?

Vous avez besoin d’une confidente ; vous risquez de vous perdre, en agissant seule : prenez avec vous une femme sûre, et ne négligez rien pour la lier à vos intérêts et au service de vos passions ; payez-la bien surtout.

Faites-vous satisfaire plutôt par des gens à gages que par un amant ; les premiers vous serviront bien, et secrètement ; les autres tireront vanité de vous et vous déshonoreront, sans vous donner du plaisir.

Un laquais, un valet de chambre, un secrétaire, tout cela ne marque pas dans le monde ; un petit-maître affiche, et vous voilà perdues, souvent pour n’avoir été que ratées.

Ne faites jamais d’enfants, rien ne donne moins de plaisir ; les grossesses usent la santé, gâtent la taille, flétrissent les appas, et c’est toujours l’incertitude de ces événements qui donne de l’humeur à un mari. Il est mille moyens de les éviter, dont le meilleur est de foutre en cul ; faites-vous branler le clitoris pendant ce temps, et cette manière de jouir vous donnera bientôt mille fois plus de plaisir que l’autre : vos fouteurs y gagneront sans doute, le mari ne s’apercevra de rien, et vous serez tous contents.

Peut-être votre époux vous proposera-t-il la sodomie de lui-même ; alors faites-vous valoir : il faut toujours avoir l’air de refuser ce qu’on désire. Si, dans la frayeur des enfants, vous êtes obligée de l’y amener vous-même, excusez-vous sur la crainte où vous êtes de mourir en accouchant ; soutenez qu’une de vos amies vous a dit que son époux s’y prenait ainsi avec elle. Une fois faite à ces plaisirs, n’employez qu’eux avec vos amants : voilà, dès lors, la moitié des soupçons dissipée, et votre tranquillité bien établie sur tout ce qui tient aux grossesses.

Faites épier les démarches de votre tyran ; il ne faut jamais avoir de surprises à craindre, quand on veut jouir avec délices.

Si jamais, pourtant, vous étiez découverte, au point de ne pouvoir plus nier votre conduite, jouez le remords, redoublez de soins et d’attentions avec votre mari. Si vous avez préalablement gagné son amitié par des complaisances et des égards, il reviendra bientôt. S’il s’obstine, plaignez-vous la première ; il n’est pas que vous ne possédiez son secret : menacez-le de le divulguer ; et c’est pour avoir toujours sur lui cet empire que je vous recommande d’étudier ses goûts et de les servir dès le commencement de votre union. Enfin, le prenant de cette manière, vous le verrez infailliblement revenir : composez alors avec lui, et passez-lui tout ce qu’il voudra, pourvu qu’il pardonne à son tour, mais n’abusez pas de cette composition ; redoublez l’épaisseur des voiles : une femme prudente doit toujours craindre d’irriter par trop son époux.

Jouissez, tant que vous ne serez pas découverte : gardez-vous bien alors de vous rien refuser.

Fréquentez peu de femmes libertines ; leur commerce ne vous procurera pas beaucoup de plaisirs, et pourrait vous donner de grandes peines ; elles affichent plus que les amants, parce qu’on sait qu’il faut toujours se cacher avec un homme et qu’on ne le croit pas nécessaire avec une femme.

Si vous vous permettez des parties carrées, que ce soit avec une amie sûre : examinez bien les chaînes qu’elle doit respecter ; ne vous hasardez pas, si vous n’avez à peu près les mêmes devoirs, parce qu’alors elle s’observera moins que vous et vous perdra par ses imprudences.

Ayez toujours quelque moyen d’être sûre de la vie des autres ; et si un homme vous trompe, ne le ménagez pas. Il n’y a aucune comparaison entre la vie de cet homme et votre tranquillité ; d’où je conclus qu’il vaut cent fois mieux s’en défaire, que de vous afficher, ni de vous compromettre : ce n’est pas que la réputation soit une chose essentielle, elle sert seulement à consolider les plaisirs. Une femme que l’on croit sage jouit toujours infiniment mieux qu’une dont l’inconduite trop connue a fait évanouir la considération.

Respectez cependant la vie de votre époux, non qu’il y ait aucun individu dans le monde dont les jours doivent l’être, sitôt que notre intérêt parle ; mais c’est que, dans ce cas, cet intérêt personnel se trouve à ce que vous ménagiez les jours de cet homme. C’est une étude longue et fatigante pour une femme, que d’apprendre à connaître son mari : faite avec le premier, qu’elle ne se donne pas une peine de plus avec le second ; peut-être même n’y gagnerait-elle pas. Ce n’est pas un amant qu’elle veut dans son époux, c’est un personnage commode, et la longue habitude, dans ce cas, est plus sûre du succès que la nouveauté.

Si la jouissance antiphysique, dont je vous ai parlé tout à l’heure, ne réussit pas à vous enflammer, foutez en con, je le veux bien ; mais videz le vase aussitôt qu’il se remplit ; ne laissez jamais arriver l’embryon à terme : c’est de la plus grande importance, si vous ne couchez pas avec votre mari, et cela l’est encore si vous y couchez, parce que de l’incertitude naissent, comme je vous l’ai dit, tous les soupçons, et de ces soupçons presque toujours et les ruptures et les éclats.

N’ayez surtout aucun respect pour cette cérémonie civile ou religieuse qui vous enchaîne à un homme ou que vous n’aimez point, ou que vous n’aimez plus, ou qui ne vous suffit pas. Une messe, une bénédiction, un contrat, toutes ces platitudes sont-elles donc assez fortes… assez sacrées, pour vous déterminer à ramper sous des fers ? Cette foi donnée, jurée et promise, n’est qu’une formalité qui donne à un homme le droit de coucher avec une femme, mais qui n’engage ni l’un ni l’autre : encore moins celle qui, des deux, a le moins de moyens de se délier. Vous qui êtes destinée à vivre dans le monde, me dit la supérieure en me fixant, méprisez, ma chère Juliette, foulez aux pieds ces absurdités, comme elles méritent de l’être ; ce sont des conventions humaines, où vous êtes forcée d’adhérer malgré vous : un charlatan masqué qui fait quelques tours de passe-passe auprès d’une table, en face d’un grand livre, et un coquin qui vous fait signer dans un autre, tout cela n’est fait ni pour contraindre, ni pour en imposer. Usez des droits que vous a donnés la nature ; elle ne vous dictera que de mépriser ces usages et de vous prostituer au gré de vos désirs. C’est votre corps qui est le temple où elle veut être adorée, et non l’autel où ce prêtre imbécile vient de brailler sa messe. Les serments qu’elle exige de vous ne sont pas ceux que vous venez de faire à ce méprisable jongleur, ou que vous avez signés dans les mains de cet homme lugubre : ceux que la nature veut sont de vous livrer aux hommes, tant que vos forces vous le permettront. Le Dieu qu’elle vous offre n’est pas le morceau de pâte ronde que cet arlequin vient de faire passer dans ses entrailles, mais le plaisir, mais la volupté ; et c’est en ne servant pas exactement l’un et l’autre que vous outrageriez cette mère tendre.

Quand vous aurez le choix dans vos amours, préférez toujours des gens mariés : l’intérêt au mystère étant alors le même, vous aurez moins à craindre des indiscrétions. Mais à ceux-ci préférez encore les gens à gages : je vous l’ai dit, cela vaut infiniment mieux ; on change de cela comme de linge, et la variation… la multiplicité, sont les deux plus puissants véhicules de la luxure. Foutez avec le plus d’hommes qu’il vous sera possible : rien n’amuse, rien n’échauffe la tête comme le grand nombre ; il n’y en a pas qui ne puisse vous donner des plaisirs nouveaux, ne fût-ce que par le changement de conformation, et vous ne savez rien, si vous ne connaissez qu’un vit. Dans le fait, c’est absolument égal à votre époux : vous conviendrez qu’il n’est pas plus déshonoré au millième qu’au premier, moins même, car il semble que l’un efface l’autre. D’ailleurs le mari, s’il est raisonnable, excuse toujours beaucoup plutôt le libertinage que l’amour : l’un offense personnellement, l’autre n’est qu’un tort de votre physique. Lui peut fort bien ne pas en avoir, et voilà son amour-propre en paix. C’est donc égal vis-à-vis de lui ; quant à vos principes, ou vous n’êtes pas philosophe, ou vous devez bien sentir que, quand le premier pas est fait, on ne pèche pas plus au dix-millième qu’au premier. Reste donc le public ; or, ceci vous appartient entièrement ; tout dépend de l’art de feindre et de celui d’en imposer ; si vous possédez bien l’un et l’autre, et ce doit être votre unique étude, vous ferez du public et de votre mari absolument tout ce que vous voudrez. Ne perdez jamais de vue que ce n’est pas la faute qui perd une femme, mais l’éclat, et que dix millions de crimes ignorés sont moins dangereux que le plus léger travers qui saute aux yeux de tout le monde.

Soyez modeste dans vos habits : l’étalage affiche plutôt une femme que vingt amants ; une coiffure plus ou moins élégante, une robe plus ou moins riche, tout cela ne fait rien au bonheur ; mais de foutre souvent et beaucoup y fait étonnamment. Avec un air prude ou modeste, on ne vous soupçonnera jamais de rien : l’osât-on un instant, mille défenseurs rompraient aussitôt des lances pour vous. Le public, qui n’a pas le temps d’approfondir, ne juge jamais que sur les apparences : il n’en coûte guère pour se revêtir de celles qu’il veut. Satisfaites-le donc, afin qu’il soit à vous dans le besoin.

Quand vous aurez de grands enfants, écartez-les de vous : on ne les a que trop souvent vus les délateurs de leur mère. Dussent-ils vous tenter, résistez au désir : la disproportion d’âge établirait un dégoût dont vous seriez victime. Cet inceste-là n’a pas grand sel, et il peut nuire à des voluptés bien plus grandes. Il y a moins de risques à vous branler avec votre fille, si elle vous plaît ; faites-lui partager vos débauches, afin qu’elle ne les éclaire pas.

Il est, je crois, maintenant nécessaire d’ajouter une conclusion à tous ces conseils : c’est que la sagesse des femmes est une perte, un fléau pour la société, et qu’il devrait y avoir des punitions dirigées contre les créatures absurdes qui, par quelque motif que ce puisse être, croient, en conservant leur ridicule virginité, et s’illustrer dans ce monde-ci, et se préparer des couronnes dans l’autre.

Jeunes et délicieux objets de notre sexe, poursuivit Delbène avec chaleur, c’est à vous que je me suis adressée jusqu’à présent, c’est à vous que je dis encore : Foulez aux pieds cette vertu sauvage, de laquelle des sots osent vous composer un mérite ; renoncez à l’usage barbare de vous immoler aux autels de cette ridicule vertu dont les jouissances fantastiques ne vous dédommageront jamais de tous les sacrifices que vous lui feriez. Et de quel droit les hommes exigent-ils de vous tant de retenue, quand ils en ont si peu de leur côté ? Ne voyez-vous pas bien que ce sont eux qui ont fait les lois, et que leur orgueil ou leur intempérance présidaient à la rédaction ?

Ô mes compagnes, foutez, vous êtes nées pour foutre ! C’est pour être foutues que vous a créées la nature. Laissez crier les sots, les bégueules et les hypocrites ; ils ont leurs raisons pour vous blâmer de cette délicieuse intempérance qui fait le charme de vos jours. Ne pouvant plus rien obtenir de vous, jaloux de tout ce que vous pouvez donner aux autres, ils ne vous blâment que parce qu’ils n’attendent plus rien, et qu’ils sont hors d’état de vous rien demander ; mais consultez les enfants de l’amour et du plaisir, interrogez la société tout entière : tout se réunira pour vous conseiller de foutre, parce que foutre est l’intention de la nature, et que l’abstinence en est le crime. Que le nom de putain ne vous effraye pas : bien dupe est celle qui s’en effarouche. Une putain est une créature aimable, jeune, voluptueuse, qui, sacrifiant sa réputation au bonheur des autres, rien que par cela seul mérite des éloges. La putain est l’enfant chérie de la nature, la fille sage en est l’exécration ; la putain mérite des autels, et la vestale des bûchers. Et quel plus sensible outrage une fille peut-elle faire à la nature, que de garder en pure perte, et malgré tout ce qui peut en résulter de dangereux pour elle, une virginité chimérique dont toute la valeur ne consiste que dans le préjugé le plus absurde et le plus imbécile ? Foutez, mes amies, je vous le répète, narguez effrontément les conseils de ceux qui veulent vous captiver sous les fers despotiques d’une vertu qui n’est bonne à rien ! Abjurez à jamais toute pudeur et toute retenue ; pressez-vous de foutre : il n’est qu’un âge pour décharger, profitez-en. Si vous laissez flétrir les roses, vous vous préparerez des regrets bien amers, et quand, peut-être encore avec le désir de les effeuiller, vous ne trouverez plus d’amants qui en veuillent, vous ne vous consolerez pas alors d’avoir perdu les instants de les présenter à l’amour. Mais, vous dit-on, une telle fille se rend infâme, et le poids de cette infamie est insupportable… Quelle objection ! Osons le dire, c’est le préjugé seul qui fait l’infamie : que d’actions passent pour telles, et qui n’ont cependant que le préjugé pour base de cette opinion sur leur compte ! Les vices du vol, de la sodomie, de la poltronnerie, par exemple, ne sont-ils pas notés d’infamie ? Et vous m’avouerez cependant qu’au microscope de la nature, ils n’ont rien que de légitime, ce qui est contradictoire à l’idée d’infamie ; car il est impossible qu’une chose conseillée par la nature puisse n’être pas légitime, et il est absurde de dire qu’une chose légitime puisse être infâme. Or, sans approfondir ces vices dans ce moment-ci, n’est-il pas certain qu’il est inspiré à tous les hommes de devenir riches ? Si cela est, le moyen qui y conduit devient donc aussi naturel que légitime. N’est-il pas, de même, donné à tous les hommes de rechercher dans leurs plaisirs la plus grande dose de volupté possible ? Or, si la sodomie y conduit infailliblement, la sodomie n’est plus une infamie. Chacun enfin n’éprouve-t-il pas le désir de se conserver ? La poltronnerie en est un des plus sûrs moyens : la poltronnerie n’est donc pas infâme ; et quels que puissent être nos ridicules préjugés sur l’un et sur l’autre de ces objets, il est clair que jamais aucun de ces trois vices ne saurait être regardé comme infâme, puisque tous trois sont dans la nature. Il en est de même du libertinage des individus de notre sexe. Puisque rien ne sert autant la nature, il est impossible qu’il puisse être infâme. Mais supposons un instant la réalité de cette infamie : en quoi pourrait-elle arrêter une femme d’esprit ? Que lui importe qu’on la regarde comme infâme ? Si, dans le fait, elle ne l’est pas aux yeux de la raison, et s’il est impossible que l’infamie puisse exister dans le cas où elle se trouve, elle rira de l’injustice et de la folie de ses semblables, n’en cédera pas moins aux impulsions de la nature, et toujours avec bien plus de tranquillité qu’une autre ; car tout arrête, tout fait trembler celle qui craint de perdre sa réputation : au lieu que celle qui l’a perdue, n’ayant plus rien à risquer et se livrant à tout sans appréhension, doit être nécessairement plus heureuse.

Allons plus loin. La chose à laquelle cette femme se livre, l’habitude où son penchant l’entraîne fût-elle vraiment infâme, eu égard aux lois et aux principes du gouvernement sous lequel elle vit, si cette chose, telle qu’elle puisse être, tient tellement à sa félicité qu’elle ne puisse l’abandonner sans devenir malheureuse, ne serait-elle pas une folle d’y renoncer, quelle que soit l’infamie dont elle se couvre en s’y livrant ? Car le poids de cette imaginaire infamie ne la gênera, ne l’affectera jamais autant que le sacrifice de son péché d’habitude ; cette première souffrance ne sera qu’intellectuelle, capable d’affecter seulement certains esprits, et ce dont elle se prive est un plaisir à la portée de tout le monde. Ainsi, entre deux maux indispensables comme il faut nécessairement prendre le moindre, la femme dont nous parlons doit incontestablement braver l’infamie et continuer de vivre comme elle faisait en la risquant ; car elle ne perdra que fort peu de chose en encourant cette infamie, et beaucoup en renonçant à ce qui doit la lui mériter. Il faut donc qu’elle s’y apprivoise, il faut qu’elle la brave, il faut qu’elle se mette au-dessus de ce fardeau imaginaire, qu’elle s’accoutume dès l’enfance à ne plus rougir de rien, à fouler aux pieds la pudeur et la honte, qui ne feraient que nuire à ses plaisirs sans rien ajouter à son bonheur.

Une fois là, elle éprouvera une chose singulière et pourtant très vraie : c’est que les pointes de cette infamie qu’elle redoutait se métamorphoseront en voluptés, et qu’alors, bien loin d’en éviter les blessures, elle enfoncera d’elle-même les dards, elle doublera la recherche des choses qui pourront les mieux introduire, et poussera bientôt l’égarement de l’esprit sur ce point jusqu’à désirer de mettre sa turpitude à découvert. Observez-la, cette délicieuse coquine : elle voudrait se libertiner aux yeux du monde entier ; la honte ne lui fait plus rien, elle la brave, elle ne se plaint plus que du peu de témoins de ses erreurs. Et ce qu’il y a de singulier, ce n’est que de cette époque qu’elle connaît vraiment le plaisir, enveloppé jusque-là pour elle dans le nuage de ses préjugés ; elle ne se trouve transportée dans le dernier degré de l’ivresse que depuis qu’elle a détruit radicalement tous les obstacles que ces aiguillons éprouvaient à venir chatouiller son cœur. Mais, vous dit-on quelquefois, il y a des choses horribles, des choses qui choquent toutes les lumières du bon sens, toutes les lois apparentes de la nature, de la conscience et de l’honnêteté, des choses qui paraissent faites, non seulement pour inspirer généralement de l’horreur, mais pour ne pouvoir même jamais procurer de plaisir… Oui, aux yeux des sots ; mais il est de certains esprits qui, ayant débarrassé ces mêmes choses de ce qu’elles ont d’horrible en apparence, et les en ayant dégagées en foulant aux pieds le préjugé qui les avilit et les condamne, ne voient plus dans ces choses que de très grandes voluptés, et des délices d’autant plus piquantes que ces procédés s’écartent le plus des usages reçus, qu’ils outragent le plus grièvement les mœurs, et qu’ils deviennent le plus sévèrement défendus. Essayez de guérir une telle femme, je vous en défie ; les secousses qu’elle a éprouvées, en montant son âme à ce ton, deviennent si voluptueuses et si vives, qu’elle n’entrevoit plus rien de préférable à la route divine qu’elle a prise. Plus la chose est épouvantable alors, plus elle lui plaît, et vous ne l’entendrez jamais se plaindre que de manquer des moyens de braver cette infamie qu’elle chérit et dont le poids augmente ses plaisirs. Voilà qui vous explique pourquoi les scélérats recherchent toujours les excès, et pourquoi nul plaisir n’est piquant pour eux s’il n’est assaisonné du crime : ils en ont écarté tout ce qu’il y a de répugnant aux yeux du vulgaire, il ne reste plus pour eux que les attraits. L’habitude de tout franchir leur fait incessamment trouver tout simple ce qui d’abord leur avait paru révoltant ! et, d’écart en écart, ils parviennent aux monstruosités à l’exécution desquelles ils se trouvent encore en arrière, parce qu’il faudrait des crimes réels pour leur donner une véritable jouissance, et qu’il n’existe malheureusement de crime à rien. Ainsi, toujours au-dessous de leurs désirs, ce ne sont plus eux qui manquent aux horreurs, ce sont les horreurs qui leur manquent. Gardez-vous de croire, mes amies, que la délicatesse de notre sexe nous mette à couvert de ces écarts : plus sensibles que les hommes, nous ne nous plongeons que plus vite dans tous leurs travers. On n’imagine pas alors les excès où nous nous portons ; on n’a pas d’idée de ce que l’on fait, quand la nature n’a plus de frein, la religion plus de voix, et les lois plus d’empire.

On déclame contre les passions, sans songer que c’est à leur flambeau que la philosophie allume le sien, que c’est à l’homme passionné que l’on doit le renversement total de toutes les imbécillités religieuses qui, si longtemps, empestèrent le monde. Le seul flambeau des passions consuma cette odieuse chimère de la Divinité, au nom de laquelle on s’égorgeait depuis tant de siècles ; lui seul osa l’anéantir et consumer ses indignes autels. Ah ! les passions n’eussent-elles rendu à l’homme que ce service, n’en serait-ce point assez pour faire oublier leurs écarts ? Ô mes chères filles, sachez donc braver l’infamie et, pour apprendre à la mépriser comme elle doit l’être, familiarisez-vous avec tout ce qui la mérite, multipliez vos petites erreurs : ce sont elles qui, peu à peu, vous accoutumeront à tout braver… qui étoufferont dans vous le germe des remords ! Adoptez pour base de votre conduite et pour règle de vos mœurs ce qui vous paraîtra de plus analogue à vos goûts, sans vous inquiéter si cela s’accorde ou non à nos coutumes, parce qu’il serait injuste que vous vous punissiez, par la privation de cette chose, de n’être pas nées dans le pays où elle se permet. N’écoutez que ce qui vous flatte ou vous délecte le plus : c’est cela seul qui vous convient le mieux. Que les mots de vice et de vertu soient nuls à vos regards ; ces mots n’ont aucune signification réelle, ils sont arbitraires et ne donnent que des idées purement locales. Encore une fois, croyez que l’infamie se change bientôt en volupté. Je me souviens d’avoir lu quelque part, dans Tacite, je pense, que l’infamie était le dernier des plaisirs pour ceux qui se sont blasés sur tous les autres par l’excès qu’ils en ont fait, plaisir bien dangereux, sans doute, puisqu’il faut trouver une jouissance, et une jouissance bien vive, à cette espèce d’abandon de soi-même, à cette sorte de dégradation de sentiments d’où naissent à la fois tous les vices… qu’elle flétrit l’âme, et ne lui permet plus d’autre amorce que celle de la plus entière corruption, et cela, sans laisser le moindre jour au remords, absolument éteint dans un être qui n’estime plus que ce qui en donne, qui ne se plaît qu’à les faire revivre pour avoir le plaisir de les vaincre, et qui parvient ainsi, par degrés, aux excès les plus monstrueux, avec d’autant plus de facilité que les freins qu’elle lui fait rompre, ou les vertus qu’elle lui fait mépriser, deviennent comme autant d’épisodes voluptueux, souvent plus piquants encore pour sa perfide imagination que l’écart même qu’il avait conçu. Ce qu’il y a de fort singulier, c’est qu’il se croit heureux alors, et qu’il l’est. Si, réversiblement, l’individu vertueux l’est aussi, le bonheur n’est donc plus une situation que chacun puisse saisir en se conduisant bien : il ne dépend donc uniquement que de notre organisation, et peut donc se rencontrer également dans le triomphe de la vertu et dans l’abîme du vice… Mais que dis-je ? dans le triomphe de la vertu… Ah ! ses chatouillements alors seraient-ils aussi piquants ? Quelle est l’âme froide qui pourrait s’en contenter ? Non, mes amies, non, jamais la vertu ne sera faite pour le bonheur. Il ment, celui qui se flatte de l’avoir trouvé dans elle, il veut nous faire prendre pour le bonheur les illusions de notre orgueil. Pour moi, je vous le déclare, je la foule aux pieds de toute mon âme, je la méprise autant que j’avais la faiblesse de la chérir autrefois, et je voudrais joindre aux délices de l’outrager sans cesse la volupté suprême de l’arracher de tous les cœurs. Que de fois, dans mes illusions, ma maudite tête s’échauffe au point de vouloir être couverte de cette infamie que je viens de peindre ! Oui, je voudrais être déclarée infâme ; je voudrais qu’il fût décidé, affiché que je suis une putain ; je voudrais rompre ces indignes vœux qui m’empêchent de me prostituer publiquement, de m’avilir comme la dernière des femmes ! J’en suis, je l’avoue, à désirer le sort de ces divines créatures qui satisfont, au coin des rues, les sales lubricités du premier passant ; elles croupissent dans l’avilissement et l’ordure ; le déshonneur est leur lot, elles ne sentent plus rien… Quel bonheur ! et pourquoi ne travaillerions-nous pas à nous rendre toutes ainsi ? L’être le plus heureux de la terre n’est-il pas celui dans lequel les passions ont endurci le cœur… l’ont amené au point de n’être plus sensible qu’au plaisir ? Et quel besoin a-t-il d’être ouvert à d’autre sensation qu’à celle-là ? Eh ! mes amies, en fussions-nous à ce dernier degré de turpitude, nous ne nous paraîtrions pas encore viles, et nous aimerions mieux diviniser nos erreurs que de nous mésestimer nous-mêmes ! Voilà comment la nature sait nous ménager à tous du bonheur.

Mais, foutre, ils bandent ! poursuivit chaleureusement Delbène, ils sont en l’air, ces vits que je palpe en discourant ; les voilà durs comme de l’airain, et mon cul les désire. Tenez, mes amis, foutez-le, ce derrière insatiable ; faites couler au fond de ce cul libertin de nouveaux jets de sperme qui rafraîchissent, s’il est possible, la brûlante ardeur qui le dévore. Viens, Juliette, je veux te sucer ton con pendant qu’on m’enculera ; Volmar, accroupie sur ton nez, te présentera tous ses charmes ; tu les lécheras, tu les dévoreras, pendant que ta main droite branlera Flavie et que ta gauche claquera les fesses de Laurette.

Cette nouvelle scène est encore exécutée. Les deux amants de la Delbène la sodomisent tour à tour. Inondée du foutre de Volmar, le mien coule très abondamment dans la bouche de la supérieure, et l’on procède enfin à la défloration de Laurette.

Destinée à jouer le rôle de grand prêtre, on me revêt d’un membre postiche. Par les ordres barbares de l’abbesse, c’est le plus gros que l’on préfère ; et tel est l’arrangement de cette séance à la fois lubrique et cruelle :

Laurette est liée sur un tabouret, en telle sorte que son croupion, soulevé par un coussin fort dur, repose seul sur ce petit siège ; ses jambes, très écartées, sont contenues de même à des anneaux, par terre, et ses bras, pendants de l’autre côté, le sont également. En cette attitude, la victime présente dans la plus belle position l’étroite et délicate partie de son corps où doit pénétrer le glaive. Assis en avant d’elle, Télème doit soutenir sa jolie tête… exhorter à la patience ; et cette idée de la mettre entre les mains du confesseur, à peu près comme si elle eût été au supplice, amuse infiniment la cruelle Delbène, dont je m’aperçois que les passions sont aussi féroces que mes goûts me paraissent libertins. Pendant que je dépucellerai le con de cette Agnès, Ducroz doit m’enculer. L’autel qui se trouve là, et qui, par sa position, couronne celui où la jeune personne doit être immolée, va servir de sofa à notre voluptueuse abbesse. C’est là qu’entre Volmar et Flavie, la coquine va se délecter libidineusement, et de l’idée du crime qu’elle fait commettre, et du spectacle délicieux de sa consommation.

Avant que de m’enculer, Ducroz facilite l’introduction que je dois faire ; il humecte les bords du vagin de Laurette et mon godemiché d’une essence onctueuse qui le fait pénétrer presque tout de suite. Cependant le déchirement est affreux : Laurette n’a pas encore dix ans, et mon membre postiche a huit pouces de tour sur douze de long. Les encouragements qu’on me donne, l’irritation dans laquelle je suis, l’extrême désir que j’ai de consommer cet acte libertin : tout me fait mettre à l’opération la même activité, la même chaleur qu’eût employées l’amant le plus vigoureux. La machine pénètre, mais les flots de sang qui jaillissent du brisement de l’hymen, les cris terribles de la victime, tout nous annonce que l’ouvrage entrepris ne s’est pas fait sans péril ; et la pauvre petite, en effet, vient d’être assez cruellement blessée pour donner de l’inquiétude même sur ses jours. Ducroz, qui s’en aperçoit, l’apprend par un signe à l’abbesse, qui, voluptueusement branlée par ses tribades, ordonne d’aller en avant.

— La garce est à nous, s’écrie-t-elle, ne l’épargnons pas ; je n’ai de compte à en rendre à qui que ce soit !

Vous imaginez facilement à quel point ces propos m’enhardirent. Bien sûre du malheur qu’avait occasionné ma maladresse, je n’en redoublai que plus nerveusement mes secousses : tout entre, Laurette s’évanouit, Ducroz m’encule, et Télème, enchanté, se branle sur le joli visage de la moribonde, dont il comprime rudement la tête dans ses jambes…

— Il faudrait des secours, madame, dit-il à Delbène, tout en se secouant…

— C’est du foutre qu’il faut, répond l’abbesse, oui, du foutre ! Voilà les seuls secours que je veuille donner à cette garce.

Cependant je continue de limer, électrisée par le vit de Ducroz, tellement enfoncé dans le trou de mon cul, qu’il n’en reste pas deux lignes au-dehors ; je ne ménage pas plus ma victime que je ne suis ménagée moi-même. L’extase nous saisit presque tous à la fois : les trois tribades placées sur l’autel déchargent comme gueuses, pendant que les parois du godemiché, que j’enfonce dans Laurette évanouie, se mouillent de mon sperme, que Ducroz m’en remplit l’anus, et que Télème mêle le sien aux pleurs de la victime, en lui déchargeant sur le visage.

Notre épuisement, la nécessité de rappeler Laurette à la vie, si nous voulons en tirer d’autres plaisirs, tout nous oblige à lui donner quelques soins. On la détache ; Laurette environnée, nasardée, tripotée, souffletée, redonne bientôt signe de vie.

— Qu’as-tu ? lui demande cruellement Delbène ; es-tu donc si faible qu’une aussi légère attaque t’envoie déjà aux portes de l’enfer ?

— Hélas, madame, je n’en puis plus, dit cette pauvre petite malheureuse dont le sang continue de couler en abondance ; on m’a fait une douleur bien sensible, j’en mourrai.

— Bon ! dit froidement la supérieure, de plus jeunes que toi ont soutenu ces attaques sans risque ; poursuivons.

Et sans prendre d’autres soins que ceux d’étancher le sang, la victime est rattachée sur le ventre, comme elle vient de l’être sur le dos ; et le trou de son cul bien à ma portée, la Delbène remise sur l’autel avec ses deux tribades, je m’apprête à remonter à l’assaut par une autre brèche.

Rien n’était luxurieux comme la manière dont la supérieure se faisait branler par Volmar et Flavie. Cette dernière, étendue sur Mme Delbène, lui faisait sucer son con en lui branlant le clitoris, et, lui chatouillant les tétons, Volmar, un peu au-dessous, instrumentait d’une main notre lubrique abbesse en lui enfonçant trois doigts dans le cul, de manière que la tribade n’avait pas une seule partie de son corps qui ne fût soumise au plaisir. Les yeux, pendant ce temps, fixés sur mon opération, la putain m’encourageait à la terminer : je me présente ; c’est Télème qui, cette fois, doit m’enculer pendant que je sodomiserai Laurette ; et Ducroz, placé près de moi, doit préparer l’introduction en me branlant le clitoris. Les difficultés sont insurmontables ; mon instrument, déjà trois ou quatre fois repoussé, ou s’est dérangé, ou s’est malgré moi reniché dans le con, ce qui n’est pas fait sans occasionner de nouvelles douleurs à la malheureuse victime de notre libertinage. Delbène, impatientée de ces délais, charge Ducroz de préparer les voies en enculant lui-même la petite fille, et, comme vous l’imaginez aisément, cette commission ne lui déplaît pas. Moins effrayant que la poutre dont je suis affublée, n’ayant pas à craindre les vacillations qui me dérangent, le libertin, en un instant, est au fond du cul de la pucelle ; il en refoule l’étron virginal, il est prêt à l’arroser de foutre, lorsque l’exigeante abbesse lui ordonne de se retirer et de me céder la place.

— Sacredieu ! dit l’abbé en sortant son vit écumant de luxure et tout couvert des marques de sa victoire, ah ! double foutu Dieu ! j’obéis, mais je me vengerai sur le cul de Juliette.

— Non, dit Delbène, qui, malgré les plaisirs dont elle s’enivre, ne s’occupe pas moins des nôtres, non, le cul de ma Juliette appartient à Télème, c’est à lui d’en jouir cette fois-ci, et je ne souffrirai pas qu’il perde ses droits. Mais, scélérat, puisque tu bandes si fort, encule Volmar ; vois son fessier superbe offert à tes désirs ; encule-la, te dis-je, elle m’en branlera mieux.

— Oui, foutredieu ! oui, dit Volmar, voilà mon cul ; qu’il l’enfile, le bougre : jamais je n’eus tant de besoin d’être sodomisée.

Tout s’arrange ; et la brèche préparée chez Laurette laissant mon instrument pénétrer sans trop de difficultés, la pauvre petite en une minute le sent au fond de son anus. C’est alors que ses cris redoublent ; elle en pousse d’affreux ; mais Télème, bien enclavé dans mon cul, et Delbène, qui nage dans le foutre, m’encouragent l’un et l’autre avec tant d’énergie, que Laurette éprouve bientôt par-derrière ce que je lui ai fait sentir par-devant : le sang coule, et la pauvre enfant s’évanouit pour la seconde fois. C’est ici où je m’aperçois bien du caractère féroce de Delbène.

— Continue, continue ! s’écrie-t-elle en me voyant prête à sortir ; ne la lâche pas que nous n’ayons déchargé.

— Mais elle se meurt, réponds-je.

— Bon, bon, ce sont des simagrées ! Et que m’importe, d’ailleurs, l’existence de cette putain ? Elle n’est ici que pour nos plaisirs, et, foutre, elle y servira !

Enhardie par cette mégère, et ne me sentant déjà pas trop portée moi-même à des sentiments pusillanimes de commisération dont la nature ne m’a point abondamment pourvue, je poursuis, et ne prends pour signal de ma retraite que les témoignages certains du délire général que j’entends bientôt retentir de toutes parts à mes oreilles ; j’en étais à ma troisième émission quand j’abandonnai le poste.

— Voyons tout ceci, dit l’abbesse en se rapprochant, est-elle morte ?

— Elle n’est pas plus mal qu’aux premières attaques, dit Ducroz, et si l’on veut, en l’enconnant, je vais bientôt la rappeler à la vie.

— Il faut la mettre entre nous deux, dit Télème ; pendant que j’enculerai, Delbène me branlera le cul, et je gamahucherai celui de Volmar ; Juliette socratisera de même Ducroz, qui langotera le con de Flavie.

Le projet est mis en action, et les mouvements rapides de nos deux fouteurs, leur fougueuse luxure, ne tardent pas à rendre une seconde fois cette pauvre Laurette à la lumière.

— Ma chère bonne, dis-je alors à l’abbesse en m’approchant d’elle, comment vas-tu raccommoder tout le dommage qui vient d’être fait ?

— Celui que tu as éprouvé le sera bientôt, mon ange, répondit Delbène : demain je te frotterai d’une pommade qui remettra tellement les choses en leur entier, qu’on ne pourra pas même se douter des amants qu’elles auront reçus. Pour Laurette, oublies-tu donc qu’on la croit échappée du couvent ?… Elle est à nous, Juliette, elle ne reparaîtra de ses jours.

— Et qu’en ferez-vous ? dis-je tout étonnée.

— La victime de nos luxures. Ah ! Juliette, que tu es novice encore ! tu ne sais donc pas qu’il n’y a de bon que les jouissances criminelles, et que plus on les environne d’horreurs, plus on leur prête de charmes !

— En vérité, ma chère, je ne vous entends pas.

— Patience, ce sera bientôt par des faits que je me ferai comprendre. Soupons.

On passe dans un petit caveau, voisin de celui dans lequel venaient de se célébrer nos orgies. Là se trouvent préparés avec profusion les mets les plus exquis, les vins les plus délicieux. Nous nous mettons à table. Laurette nous servait. Je m’aperçus bientôt, au ton que la société prenait avec elle, aux brusqueries qu’elle éprouvait, que la pauvre petite malheureuse n’était déjà plus regardée que comme une victime. Plus les têtes s’échauffaient, plus elle était maltraitée : elle ne rendait pas un service qu’elle ne reçût une claque, un pinçon, un soufflet, et la plus légère inattention se trouvait souvent bien plus sévèrement punie. Je passerai sous silence, mes amis, et les actions et les propos de ces luxurieuses bacchanales. Qu’il vous suffise de savoir qu’elles égalèrent en horreurs, en exécrations, tout ce que j’ai vu, depuis, de plus libertin dans le monde.

Il faisait très chaud, nous étions nues ; les hommes dans le même désordre, et mêlés parmi nous, se livraient sans aucune gêne à tout ce que le délire pouvait leur inspirer de plus sale et de plus crapuleux. Télème et Ducroz, se disputant mon cul, semblaient vouloir se battre, pour en obtenir la jouissance, et, courbée sous tous deux, j’attendais humblement l’issue de ce combat, quand Volmar déjà grise, et plus belle que Vénus même dans cet état d’ivresse, s’empare des deux vits et veut les branler dans une jatte de punch qu’elle vient de préparer, afin, dit-elle, d’avaler le foutre.

— Je n’y consens, dit l’abbesse à peu près aussi étourdie des fumées de Bacchus que tout ce qui l’environne, je n’y consens qu’aux conditions que Juliette y mêlera son urine…

Je pisse ; les putains boivent, les hommes les imitent, et, le délire étant à son comble, l’extravagante abbesse, qui ne sait plus qu’inventer pour réveiller en elle des désirs épuisés par le libertinage, annonce qu’elle veut passer dans le caveau où reposent les cendres des femmes de cette maison, qu’elle veut choisir là le cercueil de l’une de celles qu’immola dernièrement sa jalouse rage, et se faire foutre cinq ou six coups sur le cadavre de sa victime. L’idée paraît plaisante ; on remonte, les bougies se placent sur les cercueils voisins entourant celui de la jeune novice qu’avait depuis trois mois empoisonnée l’abbesse, après l’avoir idolâtrée. L’infernale créature s’étend sur ce cercueil, et, présentant son con aux deux ecclésiastiques, elle les défie tour à tour, Ducroz l’enfile le premier. Nous étions spectatrices, et notre unique emploi, pendant cette scène lugubre, était de la baiser, de lui branler le clitoris et de nous prêter à ses attouchements. Delbène, dans le délire, se repaissait d’horreurs, lorsqu’un sifflement affreux se fait entendre, toutes les lumières s’éteignent à la fois.

— Ô ciel ! qu’est, ceci ? s’écrie l’intrépide abbesse, la seule de nous qui conserve son courage au milieu du bouleversement dans lequel nous sommes. Juliette !… Volmar !… Flavie !…

Mais tout est sourd, tout est interdit, personne ne répond ; et sans les détails que je reçus de notre supérieure le lendemain, évanouie moi-même, j’ignorerais peut-être encore l’origine de tout ce fracas. Un chat-huant, caché dans ce caveau, en était la seule cause : effrayé des lumières auxquelles ses yeux n’étaient pas accoutumés, il avait pris son vol, et l’air, agité de ses ailes, avaient éteint ce qui l’affectait. Quand je repris l’usage de mes sens, je me retrouvai dans mon lit, et Delbène, qui vint m’y voir dès qu’elle sut que j’étais mieux, m’apprit qu’après avoir rassuré les deux hommes presque aussi effrayés que nous, c’était avec leur aide qu’elle nous avait fait porter dans nos chambres et que tout s’était éclairci.

— Je ne crois point aux événements surnaturels, me dit Delbène ; il n’y a jamais de cause sans effet, et le premier soin, quand un effet me surprend, est de remonter sur-le-champ à la cause. J’ai promptement trouvé celle de notre aventure d’hier, et, les lumières rallumées, les hommes et moi nous avons promptement mis ordre à tout.

— Et Laurette, madame ?

— Elle est dans le caveau, ma bonne, nous l’y avons laissée.

— Quoi ! vous l’auriez… ?

— Pas encore, ce sera le sujet de notre première assemblée ; elle y passait hier sans la catastrophe.

— En vérité, Delbène, vous êtes d’une débauche… d’une cruauté.

— Non, rien de tout cela : j’ai des passions fort vives, je n’écoute qu’elles et comme je suis persuadée que ce sont les plus fidèles organes de la nature, je me rends à ce qu’elles m’inspirent, sans frayeur comme sans remords. Te voilà mieux, Juliette, lève-toi, viens dîner dans mon appartement ; nous jaserons.

— Assieds-toi, mon enfant, me dit-elle, dès que nous fûmes hors de table. Je vois que tu es surprise de me voir aussi calme dans le crime : je veux que les réflexions que j’ai à te communiquer sur cet objet te rendent bientôt aussi apathique que moi. Hier, je le vis, tu te surprenais de ma tranquillité au milieu des horreurs que nous commettions, et tu m’accusais de manquer de pitié pour cette pauvre Laurette, sacrifiée à nos débauches.

Ô Juliette, sois-en bien certaine, tout est arrangé par la nature pour être dans l’état où nous le voyons. A-t-elle donné la même force, les mêmes beautés, les mêmes grâces, à tous les êtres qui sortent de ses mains ? Non, sans doute. Puisqu’elle veut des nuances dans les constitutions, elle en exige donc dans les sorts et dans les fortunes. Les malheureux que le hasard nous offre, ou que font nos passions, sont dans les plans de la nature comme les astres dont elle nous éclaire, et l’on fait un mal aussi sûr en troublant cette sage économie, qu’on en pourrait faire à troubler le cours du soleil, si ce crime était en notre puissance…

— Mais, interrompis-je ici, si tu étais malheureuse, Delbène, ne serais-tu pas bien aise qu’on te soulageât !…

— Je saurais souffrir sans me plaindre, me répondit cette stoïque créature, et je n’implorerais les secours de personne. Suis-je à l’abri des maux de la nature, et si je n’ai pas la misère à craindre, n’ai-je pas la fièvre, la peste, la guerre, la famine, les secousses d’une révolution imprévue, et tous les autres fléaux de l’humanité ? Qu’ils viennent et je les recevrai courageusement. Crois, Juliette… oui, persuade-toi bien que lorsque je consens à laisser souffrir les autres sans les soulager, c’est que j’ai appris à souffrir moi-même sans l’être. Abandonnons-nous à la nature ; ce ne sont pas des secours mutuels que son organe nous indique : il ne fait retentir dans nous que le seul besoin d’acquérir pour nous seules toute la force nécessaire à endurer les maux qu’elle nous réserve, et la commisération, loin d’y préparer notre âme, l’énerve, l’amollit et lui ôte le courage qu’elle ne peut plus retrouver ensuite, quand elle en a besoin pour ses propres douleurs. Qui sait s’endurcir aux maux d’autrui devient bientôt impassible aux siens propres, et il est bien plus nécessaire de savoir souffrir soi-même avec courage, que de s’accoutumer à pleurer sur les autres. Ô Juliette, moins on est sensible, moins on s’affecte, et plus on approche de la véritable indépendance. Nous ne sommes jamais victimes que de deux choses, ou des malheurs d’autrui, ou des nôtres : commençons par nous endurcir aux premiers, les seconds ne nous toucheront plus, et rien, de ce moment, n’aura le droit de troubler notre tranquillité.

— Mais, dis-je, il résultera nécessairement des crimes de cette apathie.

— Qu’importe ? ce n’est ni au crime, ni à la vertu spécialement, qu’il faut s’attacher, c’est à ce qui rend heureux ; et si je voyais qu’il n’y eût de possibilité pour moi d’être heureuse que dans l’excès des crimes les plus atroces, je les commettrais tous à l’instant, sans frémir, certaine, ainsi que je te l’ai déjà dit, que la première loi que m’indique la nature est de me délecter, n’importe aux dépens de qui. Si elle a donné à mes organes une constitution telle, que ce ne soit qu’au malheur de mon prochain que ma volupté puisse éclore, c’est que, pour parvenir à ses vues de destruction… vues tout aussi nécessaires que les autres, elle a cru urgent de former un être comme moi qui la servît dans ses projets.

— Voilà des systèmes qui peuvent aller bien loin.

— Et qu’importe ! répondit Delbène ; je te défie de me montrer un terme où ils puissent devenir dangereux ; on s’est réjoui, c’est tout ce qu’il faut.

— Le peut-on aux dépens des autres ?

— La chose du monde qui m’occupe le moins, c’est le sort des autres ; je n’ai pas la plus petite foi à ce lien de fraternité dont les sots me parlent sans cesse, et c’est pour l’avoir bien analysé que je le réfute.

— Ô ciel ! douteriez-vous de cette première loi de la nature ?

— Écoute-moi, Juliette… Il est inouï le besoin que tu as d’être formée…

Nous en étions là de notre conversation, lorsqu’un laquais, arrivant de la part de ma mère, vint apprendre à Mme l’abbesse les affreux malheurs de notre maison et la maladie dangereuse de mon père ; on demandait ma sœur et moi, il fallait partir sur-le-champ…

— Ô ciel ! dit Mme Delbène, j’ai oublié de raccommoder ton pucelage ! Attends, mon ange, attends, prends ce pot, c’est un extrait de myrtes dont tu te frotteras matin et soir, seulement pendant neuf jours : tu peux être sûre que le dixième tu te retrouveras aussi vierge que s’il ne te fût jamais rien arrivé.

Puis, envoyant chercher ma sœur, elle nous remit, l’une et l’autre, à la personne qui venait nous prendre, en nous recommandant de revenir le plus tôt que nous pourrions. Nous l’embrassâmes et nous partîmes.

Mon père mourut. Vous savez quels désastres suivirent cette mort : celle de ma mère qui eut lieu au bout d’un mois, et l’abandon dans lequel nous nous trouvâmes. Justine, qui ne connaissait pas mes liaisons secrètes avec l’abbesse ignora la visite que je fus lui faire quelques jours après notre ruine ; et comme les sentiments que je lui découvris alors achèvent de dévoiler le caractère de cette femme originale, il est bon, mes amis, que je vous en parle. Le premier trait de dureté de la Delbène envers moi fut de me refuser la porte de l’intérieur et de ne consentir à me parler qu’un instant à la grille.

Lorsque, surprise du froid qu’elle me témoignait, je voulus faire valoir nos liaisons :

— Mon enfant, me dit-elle, toutes ces misères-là doivent s’oublier dès qu’on ne vit plus ensemble, et, pour moi, je vous assure que je ne me rappelle pas la moindre circonstance des faits dont vous me parlez. Quant à l’indigence qui vous menace, rappelez-vous le sort d’Euphrosine ; elle se jeta sans besoin dans la carrière du libertinage : imitez-la par nécessité. C’est l’unique parti qui vous reste, le seul que je vous conseille ; mais quand vous l’aurez pris, ne me voyez plus : peut-être cet état ne vous réussirait point, vous auriez besoin d’argent, de crédit, et je ne pourrais vous offrir ni l’un ni l’autre.

À ces mots, la Delbène lève le siège et me laisse dans un étonnement… qui, sans doute, eût été moins vif avec un peu plus de philosophie ; mes réflexions furent cruelles… Je partis sur-le-champ avec la ferme résolution de suivre les conseils de cette méchante créature, tout dangereux qu’ils fussent. Je me ressouvenais heureusement du nom et de l’adresse de la femme dont Euphrosine nous avait parlé, dans un temps, hélas ! où j’étais loin de prévoir le besoin de cette cruelle ressource : j’y volai. La Duvergier me reçut à merveille. L’excellence du remède de la Delbène, en abusant ses yeux connaisseurs, la mit à même d’en tromper bien d’autres. Ce fut deux ou trois jours avant que d’entrer dans cette maison que je me séparai de ma sœur, pour suivre une carrière bien différente de la sienne.

Mon existence, après les malheurs qui m’étaient arrivés, dépendant uniquement de ma nouvelle hôtesse, je me résignai à tout ce qu’elle me recommanda. Mais à peine fus-je seule, que je me mis néanmoins à réfléchir de nouveau sur l’abandon et sur l’ingratitude de Mme Delbène. Hélas ! me disais-je, pourquoi mon malheur la refroidit-il ? Juliette pauvre ou Juliette riche formait-elle deux créatures différentes ? Quel est donc ce caprice bizarre qui fait aimer l’opulence et fuir la misère ? Ah ! je ne concevais pas encore que l’infortune dût être à charge à la richesse, j’ignorais combien elle la craint… à quel point elle la fuit, et que de la frayeur qu’elle a de la soulager résulte l’antipathie qu’elle a pour elle. Mais, poursuivais-je dans mes réflexions, comment cette femme libertine… criminelle même, ne redoute-t-elle pas l’indiscrétion de ceux qu’elle traite avec tant de hauteur ? Autre enfantillage de ma part ; je ne connaissais pas l’insolence et l’effronterie du vice étayé par la richesse et par le crédit. Mme Delbène était supérieure d’une des plus célèbres abbayes de Paris, elle jouissait de soixante mille livres de rente, elle tenait à toute la cour, à toute la ville : à quel point devait-elle mépriser une pauvre fille comme moi qui, jeune, orpheline et sans un sou de bien, ne pouvait opposer à ses injustices que des réclamations qui se fussent bientôt anéanties, ou des plaintes qui, traitées sur-le-champ de calomnies, eussent peut-être valu à celle qui eût eu l’effronterie de les entreprendre, l’éternelle perte de sa liberté !

Étonnamment corrompue déjà, cet exemple frappant d’une injustice dont j’avais pourtant à souffrir me plut au lieu de me corriger. Eh bien ! me dis-je, je n’ai qu’à tâcher d’être riche à mon tour, je deviendrai bientôt aussi impudente que cette femme, je jouirai des mêmes droits et des mêmes plaisirs. Gardons-nous d’être vertueuse, puisque le vice triomphe sans cesse ; redoutons la misère, puisqu’elle est toujours méprisée… Mais, n’ayant rien, comment éviterais-je l’infortune ? Par des actions criminelles, sans doute. Qu’importe ? les conseils de Mme Delbène ont déjà gangrené mon cœur et mon esprit : je ne crois de mal à rien, je suis convaincue que le crime sert aussi bien les intentions de la nature que la sagesse et que la vertu. Élançons-nous dans ce monde pervers, où ceux qui trompent le plus sont ceux qui réussissent le mieux ; qu’aucun obstacle ne nous borne, il n’y a de malheureux que celui qui reste en chemin. Puisque la société n’est composée que de dupes et que de fripons, jouons décidément le dernier : il est bien plus flatteur pour l’amour-propre de tromper que d’être trompée soi-même.

Rassurée par ces réflexions, qui vous paraîtront prématurées peut-être à quinze ans, mais qui devenaient pourtant toutes simples d’après l’éducation que j’avais reçue, j’attendis avec résignation les événements que la providence m’offrirait, bien décidée à profiter de tous ceux qui se présenteraient pour améliorer ma fortune, à tel prix que ce pût être.

J’avais sans doute un rude apprentissage à faire ; ces malheureux débuts devaient achever de corrompre mes mœurs, et, pour ne pas alarmer les vôtres, peut-être ferais-je bien, mes amis, de vous soustraire des détails qui vont dévoiler à vos yeux des écarts plus étonnants que ceux où vous vous livrez journellement…

— J’ai peine à le croire, madame, dit le marquis en interrompant Juliette, et après ce que vous savez de nous, il est même singulier qu’une telle crainte puisse un instant vous alarmer.

— C’est qu’il s’agit ici de la corruption des deux sexes, dit Mme de Lorsange ; car la Duvergier fournissait également des sujets aux fantaisies de l’un et de l’autre.

— Vos tableaux, ainsi mélangés, n’en seront que plus agréables, dit le chevalier ; nous savons à peu près tous les écarts dont le nôtre est capable ; il sera délicieux pour nous d’apprendre de vous-même tous ceux où peut se porter le vôtre.

— Soit, dit Mme de Lorsange. J’aurai soin cependant de ne tracer que les débauches les plus singulières, et, pour éviter la monotonie, je passerai sous silence celles qui me paraîtront trop simples…

— À merveille, dit le marquis, en faisant voir à la société un engin déjà tout gonflé de luxure ; mais songez-vous à l’effet que ces récits peuvent produire en nous ! Voyez l’état où me met leur simple promesse…

— Eh bien, mon ami, dit cette femme charmante, ne suis-je pas tout entière à vous ? Je jouirai doublement de mon ouvrage, et comme l’amour-propre est toujours pour beaucoup chez les femmes, vous me permettrez d’imaginer que, dans l’embrasement que j’aurai produit, si quelque chose est pour mes tableaux, bien plus encore sera pour ma personne.

— Il faut que je vous en convainque tout de suite, dit le marquis très ému, en entraînant Juliette dans un arrière-cabinet, où tous deux restèrent assez de temps pour se livrer aux plus doux plaisirs de la luxure.

— Pour moi, dit le chevalier, que cet arrangement laissait tête à tête avec Justine, j’avoue que je ne bande point encore assez pour avoir besoin de perdre du foutre. N’importe, approchez mon enfant, mettez-vous à genoux et sucez-moi ; mais avancez, je vous prie, les choses, de manière à ce que je voie infiniment plus de cul que de con. Bien, bien, dit-il en voyant Justine, accoutumée à toutes ces turpitudes, saisir, on ne saurait mieux, quoique à regret, l’esprit de celle-ci… Oui, c’est cela.

Et le chevalier, singulièrement bien sucé, allait peut-être s’abandonner mollement aux douces et moelleuses sensations d’une décharge ainsi provoquée, lorsque le marquis, rentrant avec Juliette, engagea celle-ci à poursuivre le fil de ses aventures, et son ami à remettre à un autre instant, s’il le pouvait, le dénouement où il semblait toucher.

Tout étant ainsi convenu, Mme de Lorsange reprit en ces termes :

— Mme Duvergier n’avait que six femmes chez elle, mais plus de trois cents étaient à ses ordres ; deux grands laquais de cinq pieds huit pouces, membrés comme Hercule, et deux jockeys de quatorze ou quinze ans, d’une céleste figure, se fournissaient de même aux libertins qui voulaient mêler l’un à l’autre, ou qui préféraient l’antiphysique à la jouissance des femmes ; et dans le cas où ce léger détachement masculin n’eût pas suffi, Duvergier pouvait y suppléer par plus de quatre-vingts sujets du dehors, tous prêts à se porter où leur service était nécessaire.

La maison de Mme Duvergier était délicieuse. Située entre cour et jardin, et ayant deux issues opposées, les rendez-vous s’y donnaient avec un mystère qu’on n’eût pas obtenu de toute autre position ; ses meubles étaient magnifiques, ses boudoirs aussi voluptueux que décorés ; son cuisinier fort bon, ses vins délicieux et ses filles charmantes. Tant d’agréments devaient s’acheter fort cher. Rien en effet ne l’était autant que les parties de ce local divin, où les plus simples tête-à-tête ne se payaient pas moins de dix louis. Sans mœurs comme sans religion, parfaitement soutenue à la police, fournissant les plus grands seigneurs, Mme Duvergier, à l’abri de tout, entreprenait des choses que n’eussent jamais imitées ses compagnes, et qui faisaient à la fois frémir la nature et l’humanité.

Pendant six semaines, cette adroite coquine vendit mon pucelage à plus de cinquante personnes, et, chaque soir, se servant d’une pommade à peu près semblable à celle de Mme Delbène, elle raccommodait avec soin ce que déchirait impitoyablement le matin l’intempérance de ceux auxquels son avarice me livrait. Comme tous ces dévirgineurs s’y prirent assez lourdement, je vous ferai grâce des détails, et ne m’arrêterai qu’au duc de Stem, dont la manie fut plus singulière.

Le plus simple costume flattant le mieux la lubricité de ce libertin, ce fut en petite poissarde que je me présentai chez lui. Après avoir traversé un grand nombre d’appartements somptueux, je parvins au fond d’un cabinet de glaces, où m’attendait le duc avec son valet de chambre, grand jeune homme de dix-huit ans, fait à peindre, et de la plus intéressante figure. Bien pénétrée de l’esprit de mon rôle, je ne restai courte sur aucune des questions de ce paillard. Assis sur le canapé de son boudoir et branlant le vit de son valet de chambre, pendant que j’étais debout en face de lui :

— Est-il vrai, me demanda-t-il, que vous soyez dans la plus extrême misère, et que la démarche que vous faites n’ait pour objet que de pourvoir aux premiers besoins de la vie ?

— Cette vérité est si grande, monsieur, qu’il y a trois jours que ma mère et moi mourons de faim.

— Ah ! bon, répondit le duc en prenant une des mains de son homme pour se faire branler par lui ; cette circonstance était nécessaire ; je suis fort aise que votre état soit tel que je le désirais. Et c’est votre mère qui vous vend ?

— Hélas ! oui.

— Avez-vous des sœurs !

— Une, monsieur.

— Et pourquoi ne me l’a-t-on pas envoyée ?

— Elle n’est plus à la maison, la misère l’a fait fuir ; nous ignorons ce qu’elle est devenue.

— Ah ! foutre, je veux qu’on me trouve cela ! quel âge ?

— Treize ans.

— Il est affreux que, connaissant mes goûts, on imagine de me soustraire cette créature.

— Mais on ne sait pas où elle est, monsieur.

— Il fallait la chercher… Ah ! je la trouverai… je la trouverai. Allons, Lubin, qu’on déshabille pour vérifier !

Et pendant que l’ordre s’exécute, le duc, continuant l’ouvrage de son Ganymède, se met à secouer avec complaisance un engin noir et mou qui ne s’apercevait qu’à peine. Dès que je suis nue, Lubin m’examine avec la plus grande attention et proteste à son maître que tout est dans le meilleur ordre.

— Faites-moi voir cela par-derrière, dit le duc.

Et Lubin, me courbant sur le canapé, entrouvrit mes cuisses, et convainquit son maître, non pas de l’inexécution d’aucun assaut, mais que les brèches, occasionnées par eux, avaient été assez bien refermées pour qu’il fût impossible de s’en apercevoir.

— Et là, dit Stern en écartant mes fesses et touchant d’un doigt le trou de mon cul…

— Non, non, sûrement, répondit Lubin.

— C’est bon, dit le paillard en me prenant dans ses bras et m’asseyant sur une de ses cuisses ; mais tu vois, mon enfant, que je suis hors d’état de faire la besogne moi-même… Touche ce vit ; tu sens comme il est mou : possédasses-tu les grâces de Vénus, tu ne le ferais pas durcir. Considère ce hochet redoutable, poursuivit-il en me faisant empoigner le vit superbe de son valet de chambre : avoue que ce beau membre te dépucellera beaucoup mieux que le mien. Place-toi donc, je te servirai de maquereau. Ne pouvant faire le mal, j’aime à le faire faire : cette idée me console…

— Oh, monsieur ! répondis-je, effrayée de la grosseur du vit qui m’était présenté, ce monstre va me déchirer, je n’en pourrai soutenir les assauts !….

Et comme j’essayais de m’esquiver

— Allons, allons, point de cérémonie ! je n’aime que la docilité dans les filles ; celles qui en manquent avec moi sont sûres de ne pas me plaire longtemps… Approchez… Je voudrais qu’avant tout vous baisassiez le cul de mon Lubin.

Et me le présentant :

— Voyez comme il est beau…

J’obéis.

— Autant sur le vit, dit le duc.

J’obéis encore.

— Placez-vous, maintenant…

Il me tient ; son valet se présente, et met à l’opération tant d’adresse et tant de vigueur, que son engin monstrueux touche en trois tours de reins le fond de ma matrice. Je pousse un cri terrible ; le duc, qui me captive et qui branle le trou de mon cul pendant ce temps-là, recueille avec soin dans sa bouche et mes soupirs et mes larmes. Le nerveux Lubin, maître de moi, n’a plus besoin du secours de son maître qui, s’établissant aussitôt près du postérieur de mon amant, l’encule pendant qu’il me dépucelle. Je m’aperçois bientôt, au redoublement des secousses du valet, de celles qu’il reçoit de son patron ; mais, seule pour supporter le poids de ces deux attaques, j’allais succomber sous leur violence, quand la décharge de Lubin me tira d’affaire.

— Ah ! sacredieu, dit le duc qui n’avait pas fini, tu te presses trop aujourd’hui, Lubin ; faut-il donc qu’un foutu con te fasse toujours faire des folies ?

Et cet événement ayant dérangé les attaques du duc, il nous fit voir un petit vit mutin qui, furieux d’être déplacé, semblait n’attendre qu’un autel pour consommer le sacrifice.

— Venez ici, petite fille, me dit le duc en déposant son outil dans mes mains, et vous Lubin, couchez-vous à plat ventre sur ce lit ; conduisez vous-même, petite pécore, cet engin furieux au trou qui vient de le rejeter, puis, vous campant derrière moi pendant que j’agirai, vous favoriserez mes projets en m’enfonçant deux ou trois doigts dans le cul.

Tout répond aux désirs du paillard : l’opération s’achève, et le capricieux libertin paye trente louis des prémices dont il ne s’est seulement pas douté.

De retour à la maison, Fatime, celle de mes compagnes que j’aimais le mieux, âgée de seize ans et belle comme le jour, se divertit beaucoup de l’aventure. Elle y avait passé, mais, plus heureuse que moi, elle avait, disait-elle, volé une bourse de cinquante louis sur la cheminée du duc, pour se dédommager de tout ce qu’elle en avait souffert.

— Comment ! dis-je, tu te permets de pareilles choses ?

— Le plus souvent que je le puis, ma chère, me répondit ma compagne, et sans aucun scrupule, en honneur. C’est pour nous qu’est fait l’argent de ces coquins-là, et nous serions bien dupes de ne pas nous en emparer quand nous le pouvons. Serais-tu donc encore assez dans les ténèbres de l’ignorance pour soupçonner le moindre mal au vol !

— Assurément, j’y en crois beaucoup.

— Eh bien, mon ange, me répondit Fatime, je veux te faire revenir de cet absurde préjugé. Je dîne demain à la campagne chez mon amant ; j’obtiendrai de Mme Duvergier la permission de te mettre de la partie : tu entendras Dorval raisonner sur cette matière.

— Ô scélérate, répondis-je, tu achèveras de me corrompre : je ne me sens déjà que trop de dispositions à toutes ces horreurs. J’accepte, va, tu n’auras pas grand-peine à faire une excellente écolière de moi… Mais la Duvergier permettra-t-elle ?…

— Ne t’inquiète de rien, dit Fatime, je me charge de tout. Le lendemain de bonne heure, un fiacre nous conduisit à la Villette. Nous entrons dans une maison reculée, mais d’assez bonne apparence ; un valet nous reçoit, et, nous ayant introduites dans un appartement fort bien meublé, il se retire et va renvoyer notre voiture. Ce fut alors que Fatime s’ouvrit à moi.

— Sais-tu chez qui tu es ? me dit-elle en souriant.

— Non, en vérité, répondis-je.

— Chez un homme fort extraordinaire, reprit ma compagne. Je te trompais en le faisant passer pour mon amant : c’est un homme chez lequel j’ai souvent fait des parties à l’insu de Mme Duvergier ; ce que je gagne alors n’appartient qu’à moi seule ; mais l’opération n’est pas sans danger…

— Explique-toi, repris-je vivement, tu excites ma curiosité…

— Tu es ici, me dit Fatime, chez un des plus célèbres voleurs de Paris ; le vol dont le coquin tire sa subsistance compose aussi ses plus doux plaisirs. Il t’expliquera ses principes, il te mettra à même de les pratiquer. Nul avec nous jusqu’après son expédition, ce ne sera qu’au feu qu’embrasera dans lui cette action, selon toi, criminelle, qu’il allumera le flambeau de ses lubricités ; et comme il veut que l’image de sa passion favorite se retrouve au moins dans tout ce qui l’accompagne, ce ne sera qu’en volant qu’il cueillera nos faveurs, et ces faveurs il nous les escroquera ; nous aurons l’air de n’en rien retirer, quoique j’en sois payée d’avance. En voilà la preuve, Juliette : ces dix louis t’appartiennent, j’en ai autant.

— Et la Duvergier ?

— N’en sait rien, je te l’ai dit ; j’escroque notre chère maman : t’en repens-tu ?

— Non, en vérité, répondis-je ; au moins ici tout ce que nous gagnons est à nous ; il n’est plus question de ce maudit partage qui me désespère. Mais achève au moins de m’instruire : qui, et comment allons-nous voler ?

— Écoute-moi, me dit ma compagne. Cet homme-ci, par la multitude d’espions qu’il a dans Paris, est chaque jour au fait de tous les étrangers, de tous les nigauds qui y débarquent ; il fait connaissance avec eux, il les accueille, il leur donne à dîner avec des femmes de notre espèce qui les volent pendant l’acte de la jouissance ; on lui rend tout, et, de quelque nature que soit le vol, les femmes en ont toujours un quart, indépendamment de leur paiement particulier.

— Mais, dis-je, un tel métier ne fera-t-il pas bientôt arrêter ce coquin ?

— De longtemps, sois-en sûre : ses précautions sont trop bien prises pour cela.

— Et sa maison ?

— Il en a trente. Nous voilà maintenant dans celle-ci ; de six mois il n’y reviendra. Remplis ton rôle avec intelligence. Deux ou trois étrangers vont se trouver à dîner : dès après le repas, nous amuserons ces messieurs dans des cabinets différents ; vole le tien avec adresse, je te promets de ne pas manquer le mien. Dorval, caché, nous examinera. L’opération faite, au moyen d’un breuvage les dupes s’endormiront ; nous passerons la soirée avec le maître du lieu, qui s’en retournera quelques heures après nous pour aller ailleurs, et avec d’autres femmes, exercer les mêmes infamies ; et nos imbéciles, demain réveillés, ne trouvant plus personne au logis, seront trop heureux de pouvoir s’évader la vie sauve.

— Mais puisque nous sommes payées d’avance, répondis-je à ma compagne, quel besoin avons-nous de nous prêter aux goûts de ce fripon ?

— Ce serait un mauvais calcul, nous ne le reverrions plus ; et, en le servant bien, il peut nous faire faire par an douze ou quinze parties semblables ; ne perdrions-nous pas d’ailleurs, avec ta manière de penser, absolument tout ce qui nous reviendra du vol ?

— Ah, bon ! car, sans la première partie de ta réponse, je t’aurais encore objecté, peut-être, qu’il me paraissait inutile de lui rendre un compte aussi exact de ce que nous volerons chez lui.

— J’aime ta réflexion tout en la désapprouvant, me dit Fatime ; elle me prouve en toi des dispositions qui me feront espérer que tu te tireras bien de l’aventure.

À peine avions-nous fini que Dorval entra. C’était un homme de quarante ans, d’une fort belle figure, et qui me parut plein d’esprit et d’amabilité ; il était doué surtout de ce don de séduire, si nécessaire au métier qu’il faisait.

— Fatime, dit-il à ma compagne, je suppose que cette jeune et jolie personne est au fait ; il ne me reste donc plus qu’à vous prévenir que nous avons pour convives deux vieux Allemands, à Paris depuis un mois, et qui brûlent du désir de connaître quelques jolies filles. L’un d’eux a pour vingt mille écus de diamants sur lui : Fatime, je te le recommande. L’autre, qui désire acheter une maison dans ce village, et à qui j’ai persuadé que je lui en trouverais une à très bon marché s’il apportait de quoi la payer comptant, aura sûrement plus de quarante mille francs dans sa poche, soit en or, soit en lettres à vue : Juliette, ce sera votre lot ; acquittez-vous bien de la mission et je vous ferai souvent faire de semblables parties.

— Eh quoi ! dis-je, monsieur, de telles horreurs peuvent exciter vos sens ?

— Charmante fille, me répondit Dorval, vous ignorez, je le crois, l’histoire du choc des impressions criminelles sur la masse des nerfs. Vous avez besoin d’être instruite de ces phénomènes de la lubricité : nous y viendrons ; passons dans cette salle en attendant ; nos Germains vont paraître ; souvenez-vous de mettre tout votre art à les séduire… à les enchaîner : c’est de là seul que j’attends tout.

Nous entrâmes. Scheffner, celui des deux Allemands qui devait me revenir, était un bon baron de quarante-cinq ans, bien laid, bien bourgeonné, et bête, à ce qu’il me parut, comme l’Allemagne en masse, si l’on en excepte Gessner. Conrad était le nom de la poule que devait plumer mon amie ; il nous parut en effet couvert de diamants ; son esprit, sa figure et son âge le rendaient fort semblable à son compagnon, et sa lourdeur, tout aussi complète, assurait, des succès à Fatime pour le moins aussi faciles que les miens.

La conversation, d’abord générale, se particularisa fort vite. Fatime, aussi adroite que jolie, eut bientôt fait tourner la tête du pauvre Conrad ; et mon air d’innocence et de timidité m’enchaîna promptement Scheffner. On dîna. Dorval eut soin de faire distiller dans les verres de nos convives les boissons les plus délicieuses, et le dessert fut à peine servi que tous deux témoignèrent le plus extrême désir de nous entretenir en secret.

Dorval, qui voulait examiner chacune de ces opérations en particulier, sous le prétexte qu’il n’avait qu’un boudoir où l’on pût sacrifier à Vénus, calma, du mieux qu’il put, les désirs de Conrad, et me fit passer avec Scheffner. Le bon Allemand, tout enthousiasmé, ne pouvait se rassasier de caresses. Il faisait chaud, je l’invitai à se mettre nu, j’en fis de même pour l’enflammer avec plus d’énergie, et, plaçant ses habits sous ma main droite, pendant que l’honnête baron m’enfilait, pendant que, pour le mieux duper, je serrais amoureusement sa tête dans mon sein, bien plus occupée de mon opération que de ses plaisirs, je fouillai lestement dans toutes ses poches. Une bourse très mince renfermait tout son numéraire ; je me doutai que le trésor était au portefeuille, et, le saisissant adroitement dans la poche droite de son habit, je le cachai fort vite sous le matelas du canapé qui nous servait d’autel.

Le coup fait, n’ayant plus besoin de rien ménager avec un animal lourd et puant qui me faisait horreur, je sonne ; une femme paraît, aide au baron allemand à se rajuster, lui présente un verre de liqueur dosé comme il faut, et le conduit dans une chambre où il s’endort d’un si profond sommeil, qu’il ronflait encore plus de huit heures après.

À peine est-il disparu que Dorval entre.

— Vous êtes délicieuse, mon ange ! s’écrie-t-il en m’embrassant, je n’ai rien perdu de votre manœuvre ; voyez, poursuivit-il en me montrant un vit plus dur qu’une barre de fer, voyez l’état où votre procédé m’a mis.

Et se précipitant avec moi sur le canapé, je vis que la manie de ce libertin était de dérober avec sa bouche le foutre qui venait de m’être lancé dans le con. Il le pompa avec tant d’art, frétilla si délicieusement avec sa langue sur tous les bords, et jusqu’au fond de ma matrice, que je l’inondai moi-même… mille fois plutôt peut-être en raison de la singulière action où je venais de me livrer, en raison du personnage qui venait de me la faire commettre, qu’à cause du plaisir que je recevais de lui ; car, à quelque point qu’elles affectassent mon physique, mon moral, je ne puis le cacher, était encore bien plus ému de l’horreur gratuite que les séductions de Fatime et de Dorval me faisaient aussi délicieusement entreprendre.

Dorval ne déchargea point. Je lui remis et la bourse et le portefeuille ; il prit l’un et l’autre, sans aucun examen, et je cédai la place à Fatime. Dorval m’emmena, et pendant qu’il examinait par un trou la manière dont ma camarade s’y prenait pour en venir au même but, le libertin se fit branler ; il me le rendait ; de temps en temps, sa langue s’enfonçait au fond de mon gosier, il paraissait dans une extase réelle. Sublimes effets de la réunion du crime et de la luxure, combien vous prêtez d’énergie au délire des passions ! La façon leste dont Fatime opère détermine enfin l’éjaculation de Dorval ; se serrant alors contre moi, il m’enconne jusqu’à la matrice, et m’inonde des preuves non équivoques de l’extase qu’il vient de goûter.

Dorval, vigoureux, retourne à ma compagne. Comme il m’avait laissée au trou, rien ne m’échappe : il se courbe de même entre les cuisse de Fatime, et va pomper de la même manière le foutre perdu par Conrad ; il s’empare du vol et, les deux bons Germains dans leur lit, nous passons dans un cabinet délicieux où Dorval, après avoir déchargé une seconde fois dans le con de Fatime en me gamahuchant, nous expose de la manière suivante l’apologie de ses goûts singuliers.

— Une seule distinction, mes amies, différencie les hommes dans l’enfance des sociétés : c’est la force. La nature leur a donné à tous un sol à habiter, et c’est de cette force, qu’elle leur a inégalement départie, que va dépendre le partage qu’ils en feront. Mais ce partage sera-t-il égal, pourra-t-il l’être, dès que la force seule va le diriger ? Voilà donc déjà un vol établi ; car l’inégalité de ce partage suppose nécessairement une lésion du fort sur le faible, et cette lésion, c’est-à-dire le vol, la voilà donc décidée, autorisée par la nature, puisqu’elle donne à l’homme ce qui doit nécessairement l’y conduire. D’une autre part, le faible se venge, il met l’adresse en usage pour rentrer dans des possessions que lui ravit la force, et voilà l’escroquerie, sœur du vol, également fille de la nature. Si le vol avait offensé la nature elle aurait formé des hommes égaux de force et de caractère ; l’égalité de partages, née de l’égalité de forces, fruit de sa main, évitait alors toute envie de s’enrichir aux dépens des autres : de ce moment le vol devenait impossible. Mais quand l’homme reçoit des mains de cette nature qui le crée une conformation qui nécessite, et l’inégalité des partages, et le vol, effet certain de cette inégalité, comment pouvoir s’aveugler au point de croire que le vol puisse l’offenser ! Elle nous prouve si bien que le vol est sa loi la plus chère, qu’elle en compose l’instinct des animaux. Ce n’est que par des vols perpétuels qu’ils parviennent à se conserver, que par des usurpations en nombre qu’ils soutiennent leur vie. Et comment l’homme qui n’est lui-même qu’un animal, a-t-il pu croire que ce que la nature imprégnait au fond du cœur des animaux pût chez lui devenir un crime ?

Lorsque les lois se promulguèrent, lorsque le faible consentit à la perte d’une portion de sa liberté pour conserver l’autre, le maintien de ses possessions fut incontestablement la première chose dont il désira la paisible jouissance, et le premier objet des freins qu’il demanda. Le plus fort consentit à des lois auxquelles il était sûr de se soustraire : elles se firent. On promulgua que tout homme posséderait son héritage en paix, et que celui qui le troublerait dans la possession de cet héritage éprouverait une punition. Mais là il n’y avait rien à la nature, rien qu’elle dictât, rien qu’elle inspirât ; tout était l’ouvrage des hommes, divisés pour lors en deux classes : la première, qui cédait le quart pour obtenir la jouissance tranquille du reste ; la seconde, qui, profitant de ce quart, et voyant bien qu’elle aurait les trois autres portions quand elle voudrait, consentait à empêcher, non que sa classe dépouillât le faible, mais que les faibles ne se dépouillassent point entre eux, pour qu’elle pût seule les dépouiller plus à l’aise. Ainsi le vol, seule institution de la nature, ne fut point banni de dessus la terre, mais il exista sous d’autres formes : on vola juridiquement. Les magistrats volèrent en se faisant payer pour une justice qu’ils devaient rendre gratuitement. Le prêtre vola en se faisant payer pour servir de médiateur entre l’homme et son Dieu. Le marchand vola en accaparant, en faisant payer sa denrée un tiers de plus que la valeur intrinsèque qu’elle avait réellement. Les souverains volèrent en imposant sur leurs sujets des droits arbitraires de taxes, de tailles, etc. Toutes ces voleries furent permises, toutes furent autorisées sous le précieux nom de droits, et l’on n’imagina plus de sévir que contre les plus naturelles, c’est-à-dire contre le procédé tout simple d’un homme qui, manquant d’argent, en demandait, le pistolet à la main, à ceux qu’il soupçonnait plus riches que lui, et cela sans songer que les premiers voleurs, auxquels on ne disait mot, devenaient l’unique cause des crimes du second… la seule qui le contraignît à rentrer, à main armée, dans des propriétés que ce premier usurpateur lui ravissait si cruellement. Car, si toutes ces voleries ne furent que des usurpations qui nécessitaient l’indigence des êtres subalternes, les seconds vols de ces êtres inférieurs, rendus nécessaires par ceux des autres, n’étaient plus des crimes : ils étaient des effets secondaires nécessités par des causes majeures ; et, dès que vous autorisiez cette cause majeure, il vous devenait légalement impossible d’en punir les effets ; vous ne le pouviez plus sans injustice. Si vous poussez un valet sur un vase précieux, et que de sa chute il brise ce vase, vous n’êtes plus en droit de le punir de sa maladresse : vous ne devez vous en prendre qu’à la cause qui vous a contraint de le pousser. Lorsque ce malheureux cultivateur, réduit à l’aumône par l’immensité des taxes que vous lui imposez12, abandonne sa charrue, s’arme, et va vous attendre sur le grand chemin, si vous punissez cet homme, certes, vous commettez une grande infamie ; car ce n’est pas lui qui a manqué, il est le valet poussé sur le vase : ne le poussez pas, il ne brisera rien ; et si vous le poussez, ne vous étonnez pas qu’il brise. Ainsi ce malheureux, en allant vous voler, ne commet donc point un crime : il tâche à rentrer dans des biens que vous lui avez précédemment usurpés, vous ou les vôtres ; il ne fait rien que de naturel ; il cherche à rétablir l’équilibre qui, en morale comme en physique, est la première des lois de la nature ; il ne fait rien que de juste. Mais ce n’est point là ce que je voulais démontrer ; il ne faut point de preuves, il n’est pas besoin d’arguments pour prouver que le faible ne fait que ce qu’il doit en cherchant à rentrer dans des possessions envahies : ce dont je veux vous convaincre, c’est que le fort ne commet lui-même ni crime, ni injustice, en tâchant de dépouiller le faible, parce que c’est ici le cas où je me trouve ; c’est l’acte que je me permets tous les jours. Or, cette démonstration n’est pas difficile, et l’action du vol, dans ce cas, est assurément bien mieux dans la nature que sous l’autre rapport ; car ce ne sont pas les représailles du faible sur le fort qui véritablement sont dans la nature ; elles y sont au moral, mais non pas au physique, puisque, pour employer ces représailles, il faut qu’il use de forces qu’il n’a point reçues, il faut qu’il adopte un caractère qui ne lui est point donné, qu’il contraigne en quelque sorte la nature. Mais ce qui, vraiment, est dans les lois de cette mère sage, c’est la lésion du fort sur le faible puisque, pour arriver à ce procédé, il ne fait qu’user des dons qu’il a reçus. Il ne revêt point, comme le faible, un caractère différent du sien : il ne met en action que les seuls effets de celui qu’il a reçus de la nature. Tout ce qui résulte de là est donc naturel : son oppression, ses violences, ses cruautés, ses tyrannies, ses injustices, tous ces jets divers du caractère imprimé dans lui par la main de la puissance qui l’a mis au monde, sont donc tout simples, sont donc purs comme la main qui les grava ; et lorsqu’il use de tous ses droits pour opprimer le faible, pour le dépouiller, il ne fait donc que la chose du monde la plus naturelle. Si notre mère commune eût voulu cette égalité que le faible s’efforce d’établir, si elle eût vraiment désiré que les propriétés fussent équitablement partagées, pourquoi aurait-elle créé deux classes, une de forts, l’autre de faibles ? N’a-t-elle donc pas suffisamment prouvé, par cette différence, que son intention était qu’elle eût lieu dans les biens comme dans les facultés corporelles ? Ne prouve-t-elle pas que son dessein est que tout soit d’un côté et rien de l’autre, et cela précisément pour arriver à cet équilibre, unique base de toutes ses lois ? Car, pour que l’équilibre soit dans la nature, il ne faut pas que ce soient les hommes qui l’établissent ; le leur dérange celui de la nature : ce qui nous paraît le contrarier à nos yeux est justement ce qui l’établit aux siens, et cela par la raison que, de ce défaut d’équilibre, selon nous, résultent les crimes par lesquels l’ordre s’établit chez elle. Les forts s’emparent de tout : voilà le défaut d’équilibre, eu égard à l’homme. Les faibles se défendent et pillent le fort : voilà des crimes qui établissent l’équilibre nécessaire à la nature. N’ayons donc jamais de scrupules de ce que nous pourrons dérober au faible, car ce n’est pas nous qui faisons le crime, c’est la défense ou la vengeance du faible qui le caractérise : en volant le pauvre, en dépouillant l’orphelin, en usurpant l’héritage de la veuve, l’homme ne fait qu’user des droits qu’il a reçus de la nature. Le crime consisterait à n’en pas profiter : l’indigent, qu’elle offre à nos coups, est la proie qu’elle livre au vautour. Si le fort a l’air de troubler l’ordre en volant celui qui est au-dessous de lui, le faible le rétablit en volant ses supérieurs, et tous les deux servent la nature.

En remontant à l’origine du droit de propriété, on arrive nécessairement à l’usurpation. Cependant le vol n’est puni que parce qu’il attaque le droit de propriété ; mais ce droit n’est lui-même originairement qu’un vol : donc la loi punit le vol de ce qu’il attaque le vol, le faible de ce qu’il cherche à rentrer dans ses droits, et le fort de ce qu’il veut ou établir ou augmenter les siens, en profitant de ce qu’il a reçu de la nature. Peut-il exister au monde une plus affreuse inconséquence ? Tant qu’il n’y aura aucune propriété légitimement établie (et il ne saurait y en avoir aucune), il sera très difficile de prouver que le vol soit un crime, car ce que le vol dérange d’un côté, il le rétablit de l’autre, et la nature ne s’intéressant pas plus au premier de ces côtés qu’au second, il est parfaitement impossible qu’on puisse constater l’offense à ses lois, en favorisant l’un de ces côtés plus que l’autre.

Le faible a donc raison quand, cherchant à rentrer dans ses possessions usurpées, il attaque à dessein le fort et l’oblige à restitution ; le seul tort qu’il puisse avoir, c’est de sortir du caractère de faiblesse que lui imprima la nature : elle le créa pour être esclave et pauvre, il ne veut pas s’y soumettre, voilà son tort ; et le fort, avec ce tort-là de moins, puisqu’il conserve son caractère et n’agit que d’après lui, a donc également raison quand il cherche à dépouiller le faible et à jouir à ses dépens. Que l’un et l’autre maintenant descendent un moment dans leurs cœurs : le faible, en se décidant à attaquer le fort, quels que puissent être ses droits, éprouvera un petit combat ; et cette résistance à se satisfaire vient de ce qu’il veut outrepasser les lois de la nature en se revêtant d’un caractère qui n’est pas le sien ; le fort, au contraire, en dépouillant le faible, c’est-à-dire en jouissant de tous les droits qu’il a reçus de la nature, en leur donnant toute l’extension possible, jouit en raison du plus ou moins de cette extension. Plus la lésion qu’il fait au faible est atroce, plus il est voluptueusement ébranlé ; l’injustice le délecte, il jouit des larmes que son oppression arrache à l’infortuné ; plus il l’accable, plus il l’opprime, et plus il est heureux, parce qu’il fait alors un plus grand usage des dons qu’il a reçus de la nature, que l’usage de ces dons devient un besoin et, par conséquent, de la volupté. D’ailleurs, cette jouissance nécessaire, qui naît de la comparaison que l’homme heureux fait du malheureux à lui, cette jouissance vraiment délicieuse ne s’établit jamais mieux aux regards de l’homme fortuné que quand le malheur qu’il produit est complet. Plus il écrase ce malheureux, plus il rehausse le prix de la comparaison, et plus, par conséquent, il alimente sa volupté. Il a donc deux plaisirs bien réels dans ces concussions sur le faible : et l’augmentation qu’il fait de ses fonds physiques, et la jouissance morale des comparaisons, qu’il rend d’autant plus voluptueuses que ses lésions affaiblissent l’infortune. Qu’il pille donc, qu’il brûle, qu’il ravage, qu’il ne laisse plus à ce malheureux que le souffle qui doit prolonger une vie dont l’existence est nécessaire à l’oppresseur pour établir ses lois de comparaison : tout ce qu’il fera sera dans la nature, tout ce qu’il inventera ne sera que l’usage des forces actives qu’il en a reçues, et plus il exercera ses forces, plus il constatera son plaisir, mieux il usera de ses facultés, et mieux, par conséquent, il aura servi la nature.

Permettez, chères filles, poursuivit Dorval, que j’appuie mes raisonnements de quelques exemples ; vous avez reçu l’une et l’autre une sorte d’éducation qui ne vous les rendra pas étrangers.

Le vol est tellement autorisé en Abyssinie, que le chef des voleurs achète sa charge et le droit d’en jouir tranquillement.

Cette même action est recommandable chez les Koriaques ; on ne s’honore chez eux que par elle.

Chez les Tohoukichi, une fille ne peut se marier sans avoir fait ses preuves en ce métier.

Chez les Mingreliens, le vol est une marque d’adresse et de courage ; on se vante publiquement de ses belles actions dans ce genre.

Nos voyageurs modernes le trouvèrent en vigueur dans l’île d’Otaïti.

C’est un métier honorable en Sicile que celui de brigand.

La France n’était qu’un vaste repaire de voleurs sous le régime féodal : il n’y a que la forme de changée, les effets sont les mêmes. Ce ne sont plus les grands vassaux qui volent, ce sont eux que l’on pille ; et la noblesse, en perdant ses droits, est devenue l’esclave des rois qui la subjuguaient13.

Le célèbre voleur sir Edwin Cameron résista longtemps à Cromwell.

L’illustre Mac Gregor fit une science du vol ; il envoyait ses sujets sur les terres voisines, il extorquait la rente due par les fermiers et leur donnait quittance au nom des propriétaires.

Il n’y a, soyez-en certaines, aucune sorte de façon de s’approprier le bien d’autrui qui ne soit légitime. La ruse, l’adresse ou la force, ne sont que des moyens sages d’arriver à un but permis ; l’objet du faible est d’égaliser la fortune ; celui du fort est d’obtenir et de dépouiller, n’importe comment, n’importe aux dépens de qui. Quand les lois de la nature exigent un bouleversement, prennent-elles garde à ce qu’elles enveloppent ? Toutes les actions de l’homme imitent les lois de la nature, parce que toutes les actions humaines ne sont que les résultats des lois de la nature, ce qui doit bien rassurer l’homme et l’engager à ne frémir d’aucune… à se livrer pacifiquement à toutes, de quelque genre et de quelque espèce qu’elles puissent être. Rien ne se fait sans nécessité, tout est nécessaire dans le monde ; or, la nécessité excuse tout ; et dès qu’une action est démontrée nécessaire, de ce moment elle ne peut plus être regardée comme infâme.

Un fils du célèbre Cameron, dont je viens de vous parler, perfectionna le système du vol : le chef donnait ses ordres, on lui obéissait aveuglément, et tous les vols étaient déposés dans des magasins généraux, pour être ensuite partagés avec la plus extrême justice.

Les grands exploits de vols passaient autrefois pour de l’héroïsme ; ils obtenaient des marques honorables.

Deux fameux voleurs prirent le Prétendant sous leur protection ; ils allaient voler pour l’entretenir.

Quand un Illinois fait un vol, il l’acquitte en donnant au juge la moitié de la somme dérobée, et l’on n’imagine jamais de le punir différemment.

Il y a des pays où l’on punit le vol par la loi du talion on dépouille le voleur, et on le laisse aller. Quelque douce que paraisse cette loi dans ce cas-ci, comme il en est d’autres où ses effets sont atroces, je veux vous en faire voir l’iniquité. Cette petite démonstration ne sera point hors d’œuvre : une seule réflexion bien simple va vous faire voir l’injustice du talion. Nous reprendrons ensuite notre dissertation.

Pierre, je suppose, insulte et maltraite Paul ; en raison de cela, on rend, par la loi du talion, à Pierre tout ce qu’il a fait à Paul. C’est une injustice criante ; car lorsque Pierre a fait à Paul l’injure dont il est question, il avait des motifs qui, suivant toutes les lois de l’équité naturelle, diminuent en quelque façon l’atrocité de son crime ; mais lorsque vous le punissez du même genre de traitement qu’il a fait éprouver à Paul, vous n’avez pas la même raison que lui, et cependant vous le traitez aussi mal. Ainsi, voilà une grande différence entre lui et vous : lui, a fait une atrocité fondée sur des motifs ; et vous, vous commettez la même atrocité sans motif. Ce seul exposé suffit à vous faire voir toute l’injustice d’une loi que les sots trouvent si belle. Poursuivons14.

Il fut un temps où les seigneurs allemands comptaient, parmi leurs droits, celui de voler sur les grands chemins. Ce droit remonte aux premières institutions des sociétés, où l’homme libre ou vagabond se nourrissait, comme les oiseaux, de tout ce qu’il pouvait dérober ; il était alors l’élève de la nature, il est aujourd’hui l’esclave des préjugés absurdes, des lois atroces et des religions imbéciles. Tous les biens, dit le faible, furent également répartis sur la surface de la terre. Soit : mais la nature, en créant des forts et des faibles, indiqua suffisamment qu’elle ne destinait ses biens qu’au plus fort, et que l’autre n’en pourrait jouir qu’en s’assujettissant au despotisme et au caprice du plus puissant. Elle inspire à celui-ci de voler le faible pour s’enrichir ; et au faible, de voler le fort, pour égaliser ; et cela, de la même manière qu’elle conseille à l’oiseau de voler la semence du laboureur ; au loup, de dévorer l’agneau ; à l’araignée, de tendre ses filets. Tout est vol, tout est concussion dans la nature ; le désir de s’emparer du bien d’autrui est la première… la plus légitime passion que nous ayons reçue d’elle. Ce sont les premières lois que sa main grave en nous, c’est le premier penchant de tous les êtres et, sans doute, le plus agréable.

Le vol était en honneur à Lacédémone. Lycurgue en avait fait une loi ; il rendait, disait ce grand homme, les Spartiates souples, adroits, courageux et agiles. Il est encore en honneur aux Philippines.

Les Germains le regardaient comme un exercice qui convenait à la jeunesse ; il y avait des fêtes où les Romains le permettaient ; les Égyptiens le faisaient entrer dans l’éducation ; les Américains y sont tous adonnés ; en Afrique, il est général ; au-delà des Alpes, à peine est-il puni.

Néron sortait de son palais toutes les nuits pour voler ; on vendait le lendemain, sur les places publiques, et à son profit, les effets qu’il avait dérobés la veille.

Le président Rieux, fils de Samuel Bernard et père de Boulainvilliers, volait par inclination et dans les mêmes vues que nous ; il attaquait les passants sur le Pont-Neuf et les volait le pistolet à la main. Envieux d’une montre qu’il vit à un ami de son père, il fut l’attendre un soir, au moment où cet ami venait de souper chez Samuel ; il le vole ; l’ami revient chez le père, se plaint, nomme le coupable ; Samuel assure que cela est impossible, il jure que son fils est couché ; on vérifie : Rieux n’est point chez lui. Il rentre peu après ; on l’attendait, on le convainc, il est accablé de reproches, il avoue tous ses autres vols, promet de se corriger, et l’exécute : Rieux devient, depuis, un fort grand magistrat15.

Rien de plus simple à concevoir que le vol comme débauche : il occasionne un choc nécessaire sur le genre nerveux et, de là, naît l’inflammation qui détermine à la lubricité. Tous ceux qui, comme moi et sans aucun besoin, ont volé par libertinage, connaissent ce plaisir secret ; on peut l’éprouver de même en friponnant au jeu. Le comte de * y éprouvait une irritation décidée : je l’ai vu dans l’obligation d’escroquer cent louis à un jeune homme, au piquet, parce qu’il avait envie de le foutre et qu’il ne pouvait obtenir d’érection qu’en volant. La partie s’engage, le comte vole, il bande, il encule le jeune homme, mais il se garde bien de rendre l’argent.

Argafond vole, dans les mêmes principes, indifféremment tout ce qu’il trouve sous sa main. Il avait établi une maison de débauche où il faisait effrontément dépouiller, à son profit, tous ceux que pouvaient attirer dans son sérail les charmantes créatures dont il l’avait rempli.

Qui volait plus que nos financiers ! En voulez-vous un exemple pris dans le dernier siècle ?

La France contient neuf cents millions d’espèces ; sur la fin du règne de Louis XIV, le peuple payait sept cent cinquante millions d’impôts par an, et il n’en entrait que deux cent cinquante millions dans les coffres du roi : voilà donc cinq cents millions de volés ! Croyez-vous que la conscience de ces grands voleurs-là fût très alarmée de ce vol ?

— Eh bien ! répondis-je à Dorval, je me pénètre de tous vos modèles, je goûte tous vos raisonnements, mais j’avoue que je ne comprends cependant point qu’un homme riche comme vous, par exemple, puisse trouver du plaisir au vol.

— Parce que le choc voluptueux de cette lésion sur la masse des nerfs, d’où je vous ai prouvé que l’érection se déterminait, me répondit Dorval, n’en est pas moins la même sur moi, quoique je sois riche ; parce que, riche ou non, je n’en suis pas moins construit comme les autres hommes. D’ailleurs, je n’ai, selon moi, que le nécessaire, et ce n’est pas le nécessaire qui rend riche, c’est le superflu ; on n’est riche, on n’est heureux que de ce superflu ; et mes vols me le donnent. Ce n’est point par la satisfaction des besoins de première nécessité que nous sommes heureux, c’est par le pouvoir de contenter toutes nos fantaisies ; celui qui n’a que ce qu’il faut à ses besoins ne peut se dire heureux, il est pauvre.

La nuit approchait ; Dorval avait encore besoin de nous ; il avait de nouveaux détails lubriques à nous faire subir, qui demandaient du repos, du silence et de la tranquillité.

— Qu’on emballe ces deux Allemands dans une voiture, dit-il à un de ses gens, accoutumé à le servir en pareille circonstance ; ils ne se réveilleront pas, j’en suis sûr ; qu’on les dépose nus dans quelque rue détournée, et qu’on les laisse là : ils deviendront ce qu’il plaira à Dieu.

— Oh ! monsieur, dis-je, quelle cruauté !

— Et qu’importe ? ils m’ont satisfait, c’est tout ce que j’attendais d’eux ; je n’en ai plus besoin, qu’ils deviennent tout ce qu’ils pourront ; il y a une Providence pour tout cela : si la nature a besoin d’eux, elle les conservera ; si elle n’en a que faire, ils périront.

— Mais c’est vous qui les exposez.

— Je remplis la première partie des vues de la nature, sa main puissante accomplira le reste ; qu’ils partent, ils sont bien heureux que je ne fasse pas pis ; je le devrais peut-être.

L’ordre fut ponctuellement exécuté ; les deux Allemands ne se réveillèrent pas plus que s’ils eussent été morts, et, pour ne plus revenir sur leur compte, nous apprîmes qu’ils avaient été déposés dans une rue borgne, près du boulevard neuf, et conduits le lendemain chez un commissaire de police, des mains duquel ils sortirent aussitôt qu’on vit qu’il leur devenait impossible de jeter aucune lumière sur la bizarrerie de leurs aventures.

Dès qu’ils furent partis, Dorval nous remit exactement le quart qui nous revenait des prises que nous avions faites sur ces deux individus, et sortit. Nous restâmes seules un instant, pendant lequel Fatime me prévint qu’il y avait encore une terrible scène de luxure à éprouver, qu’elle ne savait pas positivement en quoi elle consistait, mais qu’elle était bien sûre, au moins, qu’il ne nous arriverait rien de malheureux… Elle avait à peine fini qu’une vieille femme parut et nous ordonna brusquement de la suivre ; nous obéîmes ; après quelques détours dans les corridors les plus élevés de la maison, elle nous jeta dans une chambre obscure où il nous fut impossible de rien apercevoir jusqu’à l’arrivée de Dorval.

Il parut presque sur-le-champ, suivi de deux grands coquins à moustaches dont le seul aspect me faisait frémir ; les bougies qu’ils portaient nous montrèrent tout de suite la singularité des meubles de la chambre où nous étions enfermées : au fond de cette pièce se voyait un échafaud, sur lequel était deux potences et tous les apprêts nécessaires à l’exécution du supplice de la corde.

— Vous allez, mesdemoiselles, nous dit brusquement Dorval, recevoir ici la punition de vos crimes.

Et, se plaçant dans un grand fauteuil, il ordonne à ses deux acolytes de nous déshabiller depuis les pieds jusqu’à la tête, sans nous laisser même ni bas, ni souliers, ni coiffes. On apporte tous ces vêtements à ses pieds, il les fouille, il en dérobe tout l’argent qu’il y trouve ; puis, ayant fait un paquet du total, il le jette par une fenêtre.

— Ces coquines, dit-il d’un ton flegmatique, n’ont plus besoin de ces hardes. Une bière sera bientôt le seul habit qu’il leur faudra, et j’en ai deux toutes prêtes.

Un des agents de Dorval les tire effectivement de dessous l’échafaud, et nous les fait voir.

— Quoique vous soyez bien et dûment atteintes et convaincues toutes deux, dit Dorval, d’avoir ce matin, chez moi, méchamment, dépouillé deux honnêtes gens de leurs bijoux et de leur or, je ne vous en somme pas moins de me déclarer la vérité : êtes-vous coupables ou non de cette atrocité ?

— Nous en sommes coupables, monsieur, répondit Fatime ; car, pour moi, véritablement émue, je commençais à perdre la tête.

— Puisque vous avouez votre crime, reprit Dorval, toute formalité devient inutile ; cependant il m’en faut l’aveu tout entier. N’est-il pas vrai, Juliette, poursuivit le traître, en me contraignant, par ce moyen, à répondre, n’est-il pas vrai que vous les avez fait mourir en les jetant inhumainement la nuit dans le milieu de la rue ?

— Monsieur, c’est vous…

Puis, me reprenant :

— Oui, monsieur, c’est nous qui sommes aussi coupables de ce crime.

— Allons ! dit brusquement Dorval, il ne me reste plus qu’à prononcer ; écoutez toutes deux votre arrêt à genoux.

Nous nous y mîmes ; ce fut alors que je m’aperçus de l’effet que cette scène d’horreur produisait sur ce libertin. Obligé de donner l’essor à un membre qu’il ne pouvait plus contenir dans sa culotte, il nous fit naître, en le laissant s’élancer dans l’air, l’idée de ces jeunes arbustes dégagés du lien qui courbe un instant leur cime, sur le sol.

— Allons, putains ! dit-il en se branlant, vous allez être pendues… vous allez être étranglées ! Rose Fatime et Claudine Juliette sont condamnées à la mort, pour avoir vilainement… odieusement volé et dépouillé, puis exposé à mourir dans le milieu de la rue, deux particuliers dans la maison de M. Dorval : la justice ordonne en conséquence que l’arrêt soit exécuté sur-le-champ.

Nous nous relevâmes, et, sur le signe d’un de ses alguazils, vous l’approchâmes chacune à notre tour. Il était en feu ; nous prîmes son vit ; il jura et nous menaça ; ses mains s’égarèrent indifféremment sur toutes les parties de notre corps et il entremêlait ses menaces de persiflage.

— Qu’il est cruel à moi, disait-il, de livrer d’aussi belles chairs à la pourriture ! Mais il n’y a plus de grâce à espérer, l’arrêt est prononcé, il faut le subir ; ces cons affreux deviendront la proie des vers… Oh ! double Dieu, que de plaisirs !

Et, sur un geste, les deux sbires qu’il avait à ses ordres s’emparèrent aussitôt de Fatime, pendant que je continuais de le branler. En une minute, les deux scélérats l’accrochent ; mais tout était disposé de façon que la victime, retombant aussitôt sur un matelas par terre, ne restait pas pendue l’intervalle d’une seconde. On vint me prendre ; je frémissais, la peur empêche de voir : je n’avais aperçu du supplice de Fatime que ce qui devait effrayer ; le reste m’était échappé, et ce ne fut qu’après ma propre expérience que je reconnus le peu de risques que l’on courait à subir cette singulière fantaisie. Je me rejetai donc, tout effrayée, dans les bras de Dorval quand on vint me saisir : cette résistance l’enflamma ; il me mordit au flanc d’une telle force, que ses dents y restèrent plus de deux mois empreintes. Cependant on m’entraîne, et me voilà bientôt dans la même situation que Fatime. Dorval s’approche. Dès que je suis à terre :

— Oh ! sacré nom d’un Dieu ! s’écrie-t-il, est-ce que les garces ne sont pas mortes ?

— Pardonnez-moi, monsieur, répond un de ses gens, c’est fait, elles ne respirent plus.

Telle est l’époque du dénouement de la ténébreuse passion de Dorval ; il s’élance sur Fatime, qui se garde bien de remuer, l’enconne d’un vit furieux, et, après quelques bonds, il retombe sur moi, qu’il trouve dans la même immobilité ; il engloutit, en jurant, son membre au fond de mon vagin, et y décharge avec des symptômes de plaisir qui tiennent plus de la fureur que de la volupté.

Soit honte, soit dégoût, nous ne revîmes plus Dorval. Quant aux valets, ils avaient disparu aussitôt que leur maître s’était élancé sur l’échafaud pour nous soumettre à sa frénésie. La même vieille qui nous avait introduites revint nous dégager ; elle nous soigna, mais nous annonça, qu’il ne nous serait absolument rien rendu de tout ce qui nous avait été pris.

— C’est toutes nues, continua la vieille, que je vais vous ramener chez Mme Duvergier ; vous lui ferez vos plaintes, elle y pourvoira : partons, il est tard, il faut que j’arrive avant le jour.

Piquée du procédé, je demande à parler à Dorval : on me le refuse, quoiqu’il fût bien certain que le drôle nous examinait par un trou. Il fallut donc s’évader au plus vite ; une voiture nous attend, nous y montons et, dans moins de cinq quarts d’heure, nous voilà nues chez notre matrone.

Mme Duvergier n’était pas levée. Nous nous retirâmes dans nos chambres, où nous trouvâmes chacune dix louis et un déshabillé complet, très au-dessus de la valeur de ceux que nous avions perdus.

— Ne parlons de rien, me dit Fatime ; nous voilà contentes, il est inutile que la Duvergier soit instruite. Je te l’ai dit, Juliette, tout cela s’est fait à son insu, et dès que nous n’avons rien à partager avec elle, il n’est pas nécessaire de lui parler de ce qui s’est fait. Ma bonne, continua Fatime, tu viens d’éprouver un très petit mal et de recevoir une très grande leçon : que l’une te console de l’autre. Avec ce que tu viens d’apprendre chez Dorval, tu es en fonds maintenant pour que toutes les parties que tu feras te rapportent, par ton adresse, le triple et le quadruple de ce qu’elles vaudraient à une autre.

— En vérité, dis-je à ma compagne, je ne sais si j’oserai lorsque personne ne me soutiendra.

— Tu serais bien dupe de ne pas le faire, répondit Fatime ; que la morale et les conseils de Dorval ne te sortent jamais de l’esprit ; l’égalité, ma chère, voilà ma seule loi ; et partout où la fortune ne l’établit pas, c’est à notre adresse à y suppléer.

— Juliette, me dit Mme Duvergier trois ou quatre jours après cette aventure, voilà vos déflorations naturelles à peu près faites : il faut maintenant, ma fille, que vous me rapportiez deux ou trois fois plus par-derrière que vous m’avez rapporté par-devant. J’espère que vous ne serez pas scrupuleuse sur cet article, et qu’à l’exemple de quelques petites imbéciles que j’ai eues chez moi, vous ne direz pas que le crime que vous supposez à cette manière de vous prêter aux hommes vous empêche de me satisfaire. Apprenez, mon enfant, que c’est la même chose : une femme est femme partout ; elle ne fait pas plus de mal à prêter son cul que son con, sa bouche que sa main, ses cuisses que ses aisselles ; tout cela est indifférent, mon ange ; l’essentiel est de gagner de l’or, n’importe comment. De quelle extravagance sont atteints ceux qui osent dire que la sodomie est un crime qui nuit à la population ! Ce fait est absolument faux : il y aura toujours assez d’hommes sur la terre, quels que puissent être les progrès de la sodomie. Mais à supposer une minute que la population s’en ressentît, ne serait-ce pas à la nature qu’il faudrait s’en prendre, puisque c’est d’elle seule que les hommes enclins à cette passion ont reçu non seulement le goût et le penchant qui les y entraînent, mais même le défaut d’organisation ou de constitution qui les rend inhabiles aux plaisirs ordinaires de notre sexe ! N’est-ce pas elle encore qui nous met hors d’état de pouvoir procurer de vrais plaisirs aux hommes, quand nous avons longtemps satisfait à cette prétendue loi de population ! Or, si sa main met à la fois, d’un côté, dans l’homme l’impossibilité de goûter des plaisirs légitimes, et que, de l’autre, elle constitue la femme d’une façon absolument opposée à celle qui serait nécessaire pour les goûter, il est bien clair, ce me semble, que les ridicules outrages que les sots prétendent qu’on lui fait en cherchant des plaisirs ailleurs qu’avec les femmes, ou avec elles en sens contraire, ne sont plus que des inspirations de cette même nature, bien aise d’accorder un peu de dédommagement aux peines imposées par ses premières lois, ou contrainte peut-être elle-même à mettre un frein à une population dont la trop grande abondance ne pourrait que lui nuire. Et cette seconde idée nous est encore mieux indiquée dans le terme qu’elle a prescrit aux femmes pour engendrer. Pourquoi des freins, si cette population perpétuelle était si nécessaire qu’on le pense ? et si elle a posé ses bornes dans ce sens-là, pourquoi n’en aurait-elle pas placé dans l’autre, en inspirant à l’homme ou des passions différentes ou des dégoûts certains, qui, le devoir rempli, l’obligent à se débarrasser ailleurs d’un germe dont la nature n’a plus que faire ? Eh ! sans autant de raisonnements, contentons-nous d’en appeler à la sensation même, et soyons bien certaines que là où elle est la plus sensuelle, c’est là même où la nature veut être servie. Or, sois bien assurée, Juliette (et à qui disait-elle cela !) sois bien certaine, ma fille, qu’il y a infiniment plus de plaisir à se livrer de cette manière que de l’autre ; les femmes voluptueuses qui en ont goûté ne peuvent plus prendre la voie ordinaire : toutes te le diront comme moi. Essaye donc, mon enfant, pour les intérêts de ta bourse et pour ceux de la volupté ; car tu dois être bien sûre que les hommes payent cette fantaisie bien autrement que les jouissances communes et, si j’ai trente mille livres de rente aujourd’hui, je puis bien dire que j’en si gagné les trois quarts à livrer des culs. Les cons ne valent plus rien, ma fille, on en est las, personne n’en veut, et je renoncerais tout à l’heure au métier, si je ne trouvais plus de femmes disposées à cette essentielle complaisance.

Demain matin, mon cœur, poursuivit l’insigne maquerelle, je livre ton pucelage masculin au vieil archevêque de Lyon, qui me les paye cinquante louis. Garde-toi d’opposer aucune résistance aux désirs énervés de ce bon prélat : ils s’évanouiraient bientôt si tu t’avisais de les combattre. Ce sera bien plus à ta soumission qu’à tes charmes que tu devras les preuves de sa virilité, et si le vieux despote ne trouve pas un esclave en toi, tu n’auras dans lui qu’un automate.

Parfaitement instruite du rôle que je dois remplir, j’arrive le lendemain, sur les neuf heures du matin, à l’abbaye de Saint-Victor, où logeait le prélat lors de ses voyages à Paris ; le saint homme m’attendait au lit.

— Madame Lacroix, dit-il à une femme fort belle, d’environ trente ans, et qui me parut n’être là que pour servir de tiers dans les scènes lubriques du prélat, approchez-moi cette petite fille, que je la voie… Pas mal, en vérité : et quel âge avez-vous, mon petit ange ?

— Quinze ans et demi, monseigneur.

— Allons, madame Lacroix, déshabillez et ne négligez surtout aucune des précautions que vous savez.

Je ne fus pas plus tôt nue qu’il me fut facile de deviner quel était le but de ces précautions. Le dévot sectateur de Sodome, dans la terrible appréhension où il était que les attraits antérieurs d’une femme ne troublassent son illusion, exigeait qu’on voilât ces attraits avec une telle sévérité qu’il lui devînt même impossible de les soupçonner. Effectivement, Mme Lacroix les empaqueta si bien, qu’on n’en apercevait pas la plus légère trace. Ce devoir rempli, la complaisante créature me rapproche du lit de monseigneur.

— Le cul, madame, dit-il à la Lacroix, le cul, et pas autre chose que le cul, je vous en conjure… prenez-y bien garde. Avez-vous eu soin ?…

— Oui, oui, monseigneur, et Votre Éminence voit bien qu’en ne lui exposant que la partie qu’il désire, j’offre à son libertin hommage le plus joli cul vierge qu’il soit possible d’embrasser.

— Mais oui, effectivement, dit Montazet, il est assez bien tourné ; voyons, que je le caresse.

Et contenue par son amie dans l’élévation où il faut que je sois pour que le cher évêque puisse amplement baiser mes fesses, il les manie et les dévore partout pendant plus d’un quart d’heure. La caresse favorite des gens de ce goût, je veux dire l’introduction de la langue au plus profond de l’anus, comme vous le croyez bien, n’est pas oubliée, et l’éloignement le plus marqué pour le voisin est caractéristique, au point que le con s’étant entrouvert, il me rejeta avec un air de dédain et de dégoût si prodigieux, que je me fusse enfuie à vingt lieues si j’eusse été ma maîtresse. Pendant ce premier examen, la Lacroix s’était déshabillée. Dès qu’elle est nue, monseigneur se lève.

— Mon enfant, me dit-il en me posant sur le lit dans l’attitude nécessaire à ses plaisirs, on vous a bien recommandé, j’espère, d’être docile et complaisante.

— J’ose vous assurer, monseigneur, répondis-je avec innocence, qu’on n’aura rien à me reprocher sur cela.

— Ah ! bon, bon ! c’est que le moindre refus me déplairait infiniment ; et, à la peine extrême que l’on a de me mettre en train, vous jugez où j’en serais si, par quelque défaut de soumission, on venait à déranger l’ouvrage. Allons, madame Lacroix, humectez la route et tâchez d’y conduire mon vit avec une telle adresse, qu’une fois dedans, rien ne l’en puisse sortir que la défaillance où le réduira bientôt ma décharge.

Rien ne fut négligé par l’aimable tiers. Monseigneur n’était pas trop fourni ; une parfaite résignation de ma part, jointe à tous les soins pris pour faire réussir l’entreprise, la fit promptement arriver à bien.

— M’y voilà, dit le saint pasteur ; il y a, ma foi, longtemps que je n’ai foutu plus à l’étroit : oh ! pour celle-ci, je la garantis vierge, j’en jurerai quand on voudra… Allons, placez-vous, Lacroix, placez-vous, car je sens que mon sperme éjaculera bientôt dans ce beau cul.

À ce signal, Mme Lacroix sonne ; une seconde femme, que je n’eus pas trop le temps d’examiner, arrive ; le bras nu, armée d’une forte poignée de verges, elle se met à travailler d’importance le cul pontifical, pendant que la Lacroix, s’élançant sur mes reins, vient offrir son postérieur aux lubriques baisers du sodomite qui, promptement vaincu par ce concours d’actions libidineuses, répand à foison, dans mon anus, un baume dont il ne doit l’éjaculation qu’aux vigoureux coups de verges dont on lui déchire le derrière.

Tout est dit : monseigneur, énervé, se recouche ; on lui prépare son chocolat ; et la gouvernante, rhabillée, me remet bientôt entre les mains de la fouetteuse, qui, m’ayant donné deux louis pour moi, indépendamment des cinquante que je rapportais, m’embarque dans un fiacre, auquel elle donne l’ordre de me ramener chez la Duvergier.

Le lendemain, on me fit voir à la maison un homme d’environ cinquante ans, d’une physionomie sombre et pâle qui ne m’annonçait rien de bon.

— Prends garde de rien refuser à celui-ci, me dit la Duvergier en m’introduisant dans l’appartement où on l’avait reçu ; c’est une de mes meilleures pratiques, et le tort que tu me ferais en le rebutant serait irréparable.

Après quelques préliminaires, toujours dirigés par les goûts de prédilection de ce sectateur de Sodome, il me renverse à plat ventre sur le lit et se prépare à m’enculer. Déjà ses mains écartent mes deux fesses, déjà le bougre s’extasie devant le trou mignon, lorsque, surprise de l’extrême soin qu’il met à se cacher, et comme saisie par une espèce de pressentiment, je me retourne avec vivacité… Qu’aperçois-je, grand Dieu !… Un engin absolument couvert de pustules… de verrues… de chancres, etc., symptômes abominables, et malheureusement trop réels, de la maladie vénérienne dont est rongé ce vilain homme.

— Oh ! monsieur ! m’écriai-je, êtes-vous fou de vouloir jouir d’une femme dans l’état où vous êtes ? Voulez-vous donc me perdre pour la vie !

— Comment ! dit le paillard en essayant de me prendre de force ; mais mon arrangement est fait en conséquence ; ta maîtresse sait bien mon état ; payerais-je les femmes aussi cher, si ce n’était pour le plaisir de leur communiquer mon venin ! C’est là mon unique passion, la seule cause qui fait que je ne me fais point guérir.

— Oh ! monsieur ! c’est une infamie dont on s’est bien gardé de me faire part.

Et volant appeler madame, vous jugez de la vivacité des reproches que je lui adressai. Je vis, aux signes qu’elle faisait à cet homme, le désir qu’elle avait que je ne susse rien ; mais il n’était plus temps.

— Vous ne raccommoderez point tout cela, madame, dis-je très en colère ; je suis au fait de tout ; il est affreux à vous d’avoir voulu me sacrifier. N’importe, je ne vous compromettrai point ; pressez-vous seulement de me remplacer, et trouvez bon que je me retire.

La maquerelle n’osa s’y opposer ; mais l’homme qui me dévorait déjà ne pouvait se résoudre au troc : le vilain avait juré ma perte ; et ce ne fut qu’avec peine qu’il se décidait à en empoisonner une autre. Tout s’arrangea cependant : une autre fille parut ; je sortis. C’était une petite novice de treize ans que ce libertin trouva propre à le dédommager. On lui banda les yeux ; elle ne se douta de rien, et, huit jours après, il fallut l’envoyer à l’hôpital, où ce scélérat fut la voir souffrir. Telle était toute sa jouissance : il n’en connaissait pas, me dit la Duvergier, de plus délicieuse au monde.

Quinze ou seize autres du même goût, mais sains et bien portants, me passèrent sur le corps en un mois, avec plus ou moins d’épisodes singuliers, lorsque je fus envoyée chez un homme dont les détails dans l’acte de la sodomie sont assez bizarres pour devoir vous être racontés. Quel intérêt n’y prendrez-vous pas, d’ailleurs, quand vous saurez que cet homme est Noirceuil, qui vient de nous quitter pendant le peu de jours que doit durer la narration que j’ai à vous faire d’aventures trop connues de lui pour qu’il ait besoin de les entendre encore.

Par un excès de débauche inconcevable, et bien digne de l’homme charmant dont j’ai à vous entretenir, Noirceuil voulait que sa femme fût le témoin de son libertinage, qu’elle le servît, et s’y prêtât ensuite à son tour. Remarquez bien ici qu’on me croyait toujours pucelle, et que ce n’était qu’à des filles vierges, au moins dans cette partie de leurs corps, que Noirceuil voulait avoir affaire.

Mme de Noirceuil était une très jolie femme de vingt ans au plus. Livrée très jeune à son époux, âgé déjà d’environ quarante ans et d’un libertinage effréné, je vous laisse à penser tout ce que cette intéressante créature avait souffert depuis qu’elle était l’esclave de ce roué. Tous deux étaient dans le boudoir où l’on me reçut. À peine fus-je entrée que l’on sonna, et deux garçons de dix-sept à dix-huit ans parurent aussitôt presque nus.

— On prétend, mon cœur, que vous avez le plus beau cul du monde, me dit Noirceuil, dès que sa société fut réunie. Madame, continua-t-il, en s’adressant à son épouse, faites-moi voir cela, je vous conjure.

— En vérité, monsieur, répondit cette pauvre petite femme toute honteuse, vous exigez des choses…

— Bien simples, madame ; et depuis le temps que vous les faites, vous devriez y être accoutumée : je donne à vos devoirs envers moi la plus noble extension, et je suis bien surpris que vous ne vous soyez pas encore fait une raison sur cela.

— Oh ! je ne me la ferai jamais !

— Ma foi, tant pis pour vous ; quand une chose est d’obligation, il vaut cent fois mieux s’y prêter de bonne grâce, que de s’en composer chaque jour un supplice. Allons, madame, déshabillez donc cette petite !

Rougissant pour cette pauvre dame, j’allais, en ôtant moi-même mes vêtements, lui épargner la peine qu’on voulait lui donner, lorsque Noirceuil, m’en empêchant, brusqua tellement son épouse, qu’elle n’eut plus d’autre parti que l’obéissance. Pendant ces préliminaires, Noirceuil, se faisant baiser par ses gitons, les excitait tous deux de chacune de ses mains : l’un lui branlait le trou du cul, l’autre le vit. Dès que je fus nue, Mme de Noirceuil, par les ordres de son mari, lui présenta mes fesses à baiser, ce que le coquin fit avec les plus lubriques détails ; et par une suite de ses ordres, les deux gitons sont bientôt mis dans le même état que moi… toujours par les mains de la docile épouse, qui, ayant fini toutes ses toilettes, travaille enfin à se mettre aussi nue que nous. Noirceuil, également déshabillé, se trouve donc, par ce moyen, au milieu de deux jolies femmes et de deux beaux garçons. Indifférent d’abord à tous les sexes, l’autel qu’il chérit reçoit, également chez tous, les premiers hommages de sa luxure ; et je crois que jamais derrières ne furent aussi lubriquement baisés. Le coquin nous entremêlait et mettait quelquefois un garçon au-dessus d’une femme, pour mieux établir ses comparaisons. Suffisamment excité enfin, il ordonne à son épouse de m’étendre à plat ventre sur le canapé du boudoir et de diriger elle-même son vit dans mon derrière, après avoir pris la précaution de le sucer pour faciliter l’introduction. Noirceuil a, comme vous le savez, un engin de sept pouces de tour sur onze de long ; et ce ne fut point, par conséquent, sans des douleurs inouïes que je parvins à le recevoir : il s’y enfonça cependant jusqu’aux couilles et toujours par les soins de sa triste victime. Un des vits de nos acolytes disparaissait alternativement dans son cul. Le libertin, plaçant alors sa femme près de moi, et dans la même attitude où j’étais, exigea qu’elle fût soumise aux mêmes lubricités qu’il se permettait sur mon corps. Il restait un vit de vacant : Noirceuil s’en saisit et, tout en m’enculant, il l’introduit dans l’anus délicat de sa tendre moitié. Un moment elle veut résister, mais son cruel époux, la courbant d’un bras ferme, sait bientôt la contraindre à ce qu’il en attend.

— Me voilà satisfait, dit-il, dès que tout est en train ; je suis foutu, j’encule une pucelle, je fais sodomiser ma femme : il ne manque plus rien à mes fougueux plaisirs.

— Oh ! monsieur ! dit en gémissant l’honnête épouse de ce libertin, vous en prenez donc à me désespérer ?

— Beaucoup, madame, infiniment, en vérité ; et je vous avoue, avec la franchise que vous me connaissez, que je jouirais bien moins si vous vous prêtiez un peu mieux.

— Homme sans mœurs !

— Oh ! sans foi, sans Dieu, sans principes, sans religion, homme effroyable, enfin ! Continuez, continuez, madame, continuez de m’invectiver : vous n’imaginez pas comme les injures féminines ont l’art de précipiter ma décharge. Ah ! Juliette, tenez-vous bien, elle coule !

Et le coquin, foutant, foutu, regardant foutre, me lance, au fond des entrailles, un clystère dont j’étais loin de deviner l’emploi. Comme tous avaient déchargé, les attitudes se rompirent ; mais Noirceuil, toujours tyran de son épouse, Noirceuil qui, pour s’exciter à de nouveaux plaisirs, éprouve déjà le besoin d’une vexation, dit à sa femme de se préparer à ce qu’elle sait bien…

— Eh quoi ! monsieur, répond cette infortunée, il est dit que vous renouvellerez sans cesse cette exécrable cochonnerie ?

— Sans cesse, madame ; elle est essentielle à ma luxure.

Et l’infâme, ayant couché son épouse tout du long sur le canapé, la contraint à recevoir dans sa bouche le foutre qu’il a déposé dans mon cul. Obligée d’obéir, je lâche toute la bordée, non sans un petit plaisir méchant de voir le vice humilier aussi cruellement la vertu ; la malheureuse avale : son mari l’eût, je crois, étranglée sans cela.

Ce fut au sein de cet outrage que le cruel époux retrouva les forces nécessaires à en commettre de nouveaux. Mme de Noirceuil replacée, reçut tour à tour dans son derrière le vit de son mari et ceux des deux gitons. On n’imagine pas la rapidité avec laquelle ces trois libertins se succédaient dans le beau cul qui leur était offert, pendant qu’il maniait ou baisait le mien. Noirceuil foutit enfin ses gitons, ayant pour perspective les fesses de sa femme. Pendant qu’il enculait le premier, il nous obligea, celui qui restait et moi, à nous emparer chacun d’une des fesses de sa femme et à ne pas ménager les globes charnus qu’il mettait en nos mains, et chaque fois qu’au milieu de ces épisodes il déchargeait dans l’anus de l’un ou de l’autre, la pauvre créature était obligée de recevoir dans sa bouche le foutre qu’il avait laissé.

Enfin, les ignominies redoublèrent ; Noirceuil promit deux louis à celui des trois qui vexerait le mieux sa malheureuse femme : coups de poing, coups de pied, soufflets, chiquenaudes, il nous fut permis de tout employer ; et le scélérat, en nous excitant, se branlait en face de l’opération. On n’imagine pas ce que ces jeunes gens et moi inventâmes pour tourmenter cette malheureuse ; nous ne la quittâmes pas qu’elle ne fût évanouie. Nous rapprochant alors de Noirceuil en feu, nous l’environnâmes de nos culs, et le branlâmes sur le corps tout meurtri de l’infortunée victime de sa passion. Ensuite Noirceuil me livra aux deux jeunes gens : tantôt l’un me foutait en cul, pendant que l’autre me faisait sucer son vit ; quelquefois, entre l’un et l’autre, ou j’avais leurs deux outils dans mon con, ou j’en possédais un par-devant, l’autre par-derrière.

Nous en étions là, je m’en souviens, lorsque Noirceuil, ne voulant pas qu’il y eût une seule partie de mon corps vacante, vint m’enfoncer son vit dans ma bouche pour y faire couler sa dernière décharge, pendant que mon vagin et mon anus recevaient celle des deux gitons ; nous partîmes tous à la fois : je n’avais jamais eu tant de plaisir.

Noirceuil, à qui ma figure et mes petites méchancetés avaient plu, me retint à souper avec ses deux jeunes gens. Nous mangeâmes dans un cabinet charmant, uniquement servis par Mme de Noirceuil, toute nue, à qui son époux promit une scène plus terrible que celle qu’elle venait d’éprouver, si elle ne s’acquittait pas bien de la besogne.

Noirceuil a de l’esprit, vous le savez ; personne ne raisonne ses égarements comme lui : je voulus hasarder quelques reproches sur sa conduite envers sa femme.

— Rien n’est injuste, lui dis-je, comme ce que vous faites éprouver à cette pauvre créature…

— Oui, cela est fort injuste, reprit Noirceuil, mais uniquement par rapport à ma femme : je vous réponds que, relativement à moi, rien n’est équitable comme ce que je fais avec elle, et la preuve en est qu’il n’est rien au monde qui me délecte autant. Toutes les passions ont deux sens, Juliette : l’un très injuste, relativement à la victime ; l’autre singulièrement juste, par rapport à celui qui l’exerce. Cet organe des passions, tout injuste qu’il est, eu égard aux victimes de ces passions, n’est pourtant que la voix de la nature ; c’est sa main seule qui nous donne ces passions ; c’est sa seule énergie qui nous les inspire ; cependant elles nous font commettre des injustices. Il y a donc des injustices nécessaires dans la nature ; et ses lois, dont les motifs seuls nous sont inconnus, exigent donc une somme de vice au moins égale à celle de ses vertus. Celui qui n’a point de penchant pour la vertu doit donc se courber aveuglément sous la main qui le tyrannise, bien certain que cette main est celle de la nature, et qu’il est l’être choisi par elle pour le maintien de l’équilibre.

— Mais, dis-je à cet insigne libertin, quand le délire est dissipé, n’éprouvez-vous donc pas quelques secrets mouvements de vertu… qui, si vous les suiviez, vous ramèneraient infailliblement au bien ?

— Oui, me répondit Noirceuil, j’éprouve quelquefois ces secrets mouvements, ils naissent quelquefois dans le calme des passions ; et voici, je crois, comment ils peuvent s’expliquer.

Est-ce véritablement la vertu qui vient combattre le vice dans moi ? et à supposer que ce soit elle, dois-je me livrer à ses inspirations ? Pour résoudre cette question, et la résoudre sans partialité, je mets mon esprit dans un état de calme assez parfait pour ne pouvoir accuser aucun des deux partis de l’avoir fait pencher plus que l’autre, et je me demande ensuite ce que c’est que la vertu. Si je trouve que son existence ait quelque réalité, j’analyserai cette existence ; et si elle me paraît préférable à celle du vice, je l’adopterai sans doute. Je vois donc, en réfléchissant, qu’on honore du nom de vertu toutes les différentes manières d’être d’une créature par lesquelles cette créature, abstractivement de ces plaisirs et de ses intérêts, se porte au bonheur de la société : d’où il résulte que, pour être vertueux, je dois oublier tout ce qui m’appartient, pour ne plus m’occuper que de ce qui intéresse les autres ; et cela avec des êtres qui certainement n’en feraient pas autant pour moi : mais le fissent-ils même, serait-ce une raison pour que je dusse agir comme eux, si toutes les dispositions de mon être s’opposent en moi à cette manière d’exister ? D’ailleurs, si l’on appelle vertu ce qui est utile à la société, en isolant la définition on donnera le même nom à ce qui sera utile à ses propres intérêts, d’où il résultera que la vertu du particulier sera souvent tout le contraire de la vertu de société ; car les intérêts du particulier sont presque toujours opposés à ceux de la société ; ainsi, il n’y aura donc rien de positif, et la vertu, purement arbitraire, n’offrira plus rien de solide. Si je reviens à la cause du combat que j’éprouve lorsque je penche vers le vice, bien persuadé que la vertu n’a nulle existence réelle, je découvrirai facilement que ce n’est point elle qui combat en moi, mais que cette faible voix qui se fait entendre un instant n’est que celle de l’éducation et du préjugé. Cela fait, je compare les jouissances, je fais procéder celle de la vertu, et la savoure dans toute son étendue. Quel défaut de mouvement ! quelle glace ! rien ne m’émeut là, rien ne m’agite ; et, en analysant avec justesse, je reconnais que la jouissance est tout entière pour celui que j’ai servi, et que je ne retire en retour, de lui, qu’une froide reconnaissance. Je le demande : est-ce là jouir ? Quelle différence dans le parti contraire ! Comme mes sens sont chatouillés, comme mes organes sont émus ! Rien qu’en caressant l’idée de l’égarement que je projette, un jus divin circule dans mes veines, une espèce de fièvre me saisit ; le délire où cette idée me plonge répand une illusion délicieuse sur toutes les faces de mon projet ; je le complote, il me délecte ; j’en examine toutes les branches, je suis enivré ; ce n’est plus la même vie, ce n’est plus la même âme qui me meut : mon esprit est fondu dans le plaisir, je ne respire plus que pour la volupté.

— Monsieur, dis-je à ce libertin, dont j’avoue que les discours m’enflammaient extraordinairement, et que je ne réfutais que pour qu’il s’ouvrît davantage, ah ! monsieur, refuser une existence à la vertu est, ce me semble, vouloir atteindre le but avec trop de rapidité, et s’exposer peut-être à le manquer, en glissant trop sur les principes qui doivent nous amener aux conséquences.

— Eh bien ! reprit Noirceuil, je le veux : raisonnons avec plus de méthode. Tes réflexions me prouvent que tu es en état de m’entendre ; j’aime à parler à ceux qui te ressemblent.

Dans tous les événements de la vie, reprit Noirceuil16, dans tous ceux, au moins, qui nous laissent la liberté du choix, nous éprouvons deux impressions, ou si on l’aime mieux, deux inspirations : l’une nous porte à faire ce que les hommes appellent la vertu, et l’autre à préférer ce qu’ils appellent le vice. C’est l’histoire de ce choc qu’il faut examiner. Ce flux n’existerait pas sans nos passions, dit l’honnête homme ; ce sont elles qui balancent les mouvements de la vertu, toujours imprimés dans nos âmes par la main même de la nature : maîtrisez vos passions, vous ne balancerez plus. Mais qui a convaincu cet homme, qui me parle ainsi, que les passions ne sont que les effets des seconds mouvements, et que les vertus sont les effets des premiers ? quelles preuves certaines pourra-t-il me donner de son hypothèse ? Pour découvrir cette vérité, et pour m’assurer auquel des deux sentiments appartient, en effet, la priorité qui doit me décider (car il est sûr que celle des deux voix qui parle la première est celle à laquelle je dois me rendre, comme inspiration certaine de la nature, dont l’autre n’est que la corruption), pour, dis-je, reconnaître cette priorité, j’examine, non pas les nations individuellement, parce que leurs mœurs ont pu dénaturer leurs vertus, mais j’observe la masse entière de l’humanité ; j’étudie le cœur des hommes, d’abord sauvages, ensuite civilisés : voilà le livre qui, bien certainement, va m’apprendre si c’est au vice, ou bien à la vertu, que je dois la préférence, et quelle est, de ces deux inspirations, celle à qui appartient la priorité. Or, dans cet examen, je découvre d’abord la constante opposition de l’intérêt particulier à l’intérêt général : je vois que si l’homme préfère l’intérêt général, et que, par conséquent, il soit vertueux, il sera très infortuné toute sa vie, et que si, au contraire, son intérêt particulier l’emporte chez lui sur l’intérêt général, il deviendra parfaitement heureux, si les lois le laissent en paix. Mais les lois ne sont pas dans la nature : ainsi elles ne doivent être d’aucune considération dans notre examen, lequel examen doit donc, abstraction faite des lois, nous démontrer infailliblement l’homme plus heureux dans le vice que dans la vertu, d’où je conclurai que la priorité appartenant au mouvement le plus fort, c’est-à-dire à celui où est le bonheur, il deviendra incontestable que ce mouvement sera celui de la nature, et que l’autre n’en sera que la corruption ; il deviendra démontré que la vertu n’est point le sentiment habituel de l’homme, qu’elle n’est simplement que le sacrifice forcé, que l’obligation de vivre en société le contraint de faire à des considérations dont l’observance pourra faire refluer sur lui une dose de bonheur qui contrebalancera les privations. Ainsi, c’est à lui de choisir : ou de l’inspiration vicieuse qui, bien certainement, est celle de la nature, mais qui, à cause des lois, pourra peut-être ne pas lui procurer un bonheur complet… pourra peut-être troubler celui qu’il en attend ; ou du monde factice de la vertu, qui n’est nullement naturel, mais qui, le contraignant à quelque sacrifice, lui rapportera peut-être un dédommagement pour l’extinction cruelle qu’il est obligé de faire, dans son cœur, de la première inspiration. Et ce qui achèvera plus encore de détériorer à mes yeux le sentiment de la vertu, c’est que non seulement il n’est pas un premier mouvement, naturel, mais il n’est même, par sa définition, qu’un mouvement vil et intéressé, qui semble dire : Je te donne pour que tu me rendes. D’où vous voyez que le vice est tellement inhérent en nous, et qu’il est si constamment la première loi de la nature, que la plus belle de toutes les vertus, analysée, ne se trouvant plus qu’égoïste, devient elle-même un vice. Tout est donc vice dans l’homme ; le vice seul est donc l’essence de sa nature et de son organisation. Il est vicieux, quand il préfère son intérêt à celui des autres ; il est encore vicieux dans le sein même de la vertu, puisque cette vertu, ce sacrifice à ses passions, n’est en lui ou qu’un mouvement de l’orgueil, ou que le désir de faire refluer sur lui une dose de bonheur plus tranquille que celle que lui offre la route du crime. Mais c’est toujours son bonheur qu’il cherche, jamais il n’est occupé que de cela ; il est absurde de dire qu’il y ait une vertu désintéressée, dont l’objet soit de faire le bien sans motif ; cette vertu est une chimère. Soyez assurée que l’homme ne pratique la vertu que pour le bien qu’il compte en retirer, ou la reconnaissance qu’il en attend. Que l’on ne m’objecte pas les vertus du tempérament : celles-là sont égoïstes comme les autres, puisque celui qui les pratique n’a d’autre mérite que de livrer son cœur au sentiment qui lui plaît le plus. Analysez telle belle action qu’il vous plaira, et vous verrez si vous n’y reconnaîtrez pas toujours quelque motif d’intérêt. Le vicieux travaille dans les mêmes vues, mais avec plus de franchise, et n’en est, par là, que plus estimable ; il y réussirait autrement bien mieux que son adversaire, sans les lois ; mais ces lois sont odieuses, puisqu’en prenant sur la somme du bonheur particulier pour conserver le bonheur général, elles enlèvent infiniment plus qu’elles ne donnent. De cette définition vous pouvez donc induire maintenant, pour conséquence, que puisque la vertu n’est dans l’homme que le second mouvement ; que puisqu’il est incontestable que le premier qui existe en lui, abstractivement de tout autre, est l’envie de faire son bonheur, n’importe aux dépens de qui ; que puisque le mouvement qui combat ou contrarie les passions n’est qu’un sentiment pusillanime d’acheter à meilleur prix le même bonheur, c’est-à-dire par un peu de sacrifice et par crainte de l’échafaud ; que puisque la vertu n’est, à le bien prendre, qu’un asservissement à des lois qui, variant de climat en climat, ne laissent plus à cette vertu aucune existence déterminée, on ne peut plus avoir pour cette vertu que la haine et le mépris le plus complet ; et ce qu’on peut faire de mieux est de se déterminer à adopter, de nos jours, une manière d’être qui n’est que le résultat des lois, des préjugés ou des tempéraments, qui n’a rien que de vil et d’intéressé, et dont l’admission doit nous rendre d’autant plus malheureux qu’il est impossible que, par ce trafic bas et honteux, l’homme puisse retirer sa mise : c’est donc alors le calcul d’un fou, et il y a de la faiblesse à s’y rendre.

Je sais qu’on dit quelquefois en faveur de la vertu : Elle est si belle que le méchant même est contraint à la respecter. Mais, Juliette, ne soyez pas la dupe de ce sophisme. Si le méchant respecte la vertu, c’est qu’elle lui sert, c’est qu’elle lui est utile ; elle n’est en contradiction avec lui que par l’autorité des lois, jamais par ses procédés physiques. Ce n’est jamais l’homme vertueux qui nuit aux passions de l’homme criminel : c’est l’homme vicieux, parce qu’ayant tous deux les mêmes intérêts, tous deux nécessairement doivent se nuire et se croiser dans leurs opérations, plutôt que le criminel avec l’homme vertueux n’a jamais de discussions semblables. Ils peuvent bien ne pas s’accorder en principes ; mais ils ne se heurtent pas, ils ne se nuisent pas dans leurs actions ; les passions du méchant, au contraire, voulant dominer impérieusement, rencontrent à tout instant celles de son semblable, et leurs discussions doivent être perpétuelles. Cet hommage que le scélérat rend à la vertu n’est donc encore qu’égoïste : ce n’est pas l’idole qu’il encense, c’est le repos dont elle le laisse jouir. Mais, vous dit-on quelquefois, le sectateur de la vertu y trouve une jouissance : d’accord ; il n’y a sorte de folie qui ne puisse en donner ; la jouissance n’est pas ce que je nie, je soutiens seulement que, tant que la vertu est jouissance, non seulement elle est vicieuse, je l’ai démontré, mais qu’elle est faible, et qu’entre deux jouissances vicieuses je dois me déterminer pour la plus vive.

Le degré de violence dont on est ému caractérise seul l’essence du plaisir. Celui qui n’est que médiocrement agité par une passion ne peut jamais être aussi heureux que celui qu’une passion forte remue vivement : or, quelle différence d’émotion entre les plaisirs que donne la vertu et ceux procurés par le vice ! Celui qui prétend avoir éprouvé quelque bonheur à remettre aux mains d’un héritier le fidéicommis d’un million dont il était secrètement chargé, je le suppose, pourra-t-il soutenir que cette portion de bonheur a été aussi forte que celle ressentie par celui qui aura mangé le million, après s’être sourdement défait de l’héritier ? À tel point que le bonheur soit dans notre façon de penser, ce n’est pourtant que par des réalités qu’il enflamme notre imagination, et, telle flattée que puisse être celle de notre honnête homme, assurément il n’aura pas fait éprouver, par son bonheur idéal, à son individu, autant de sensations piquantes qu’auront pu le faire toutes les jouissances réitérées que se sera très physiquement procurées l’autre avec son million. Mais le vol… mais le meurtre de l’héritier, auront, direz-vous, contrebalancé son bonheur. Nullement ; si ses principes sont faits, toutes ces choses-là ne peuvent nuire au bonheur qu’autant qu’elles donnent des remords ; mais l’homme affermi dans sa façon de penser, celui qui sera parvenu à vaincre entièrement en lui ces réminiscences fâcheuses du passé, goûtera le bonheur sans mélange, et la différence qu’il y aura de l’un à l’autre consistera en ce que le premier ne pourra s’empêcher de dire, dans certaines occasions de sa vie : Ah ! si j’avais pris ce million, j’en jouirais ! au lieu que l’autre ne dira jamais : Pourquoi l’ai-je pris ? Ainsi, l’action vertueuse aura pu donner naissance aux remords, et la mauvaise les éteint nécessairement par sa constitution. En un mot, la vertu ne peut jamais procurer qu’un bonheur fantastique : il n’y a de véritable félicité que dans les sens, et la vertu n’en flatte aucun. Est-ce d’ailleurs à la vertu que l’on attache les places, les honneurs, les richesses ? ne voyons-nous pas tous les jours le méchant comblé de prospérité, et l’homme de bien languir dans les fers ? S’attendre à voir la vertu récompensée dans l’autre monde est une chimère qui n’est plus admissible. De quoi sert donc le culte d’une divinité fausse… tyrannique… égoïste, presque toujours vicieuse elle-même (je l’ai prouvé), qui n’accorde aucun bien à ceux qui la servent actuellement, et qui n’en promet dans l’avenir que d’impossibles ou de trompeurs ? Il y a du danger, d’ailleurs, à vouloir être vertueux dans un siècle corrompu ; cette singularité seule nuit au bonheur qu’on pourrait attendre de la vertu, et il vaut absolument mieux être vicieux avec tout le monde que d’être honnête homme tout seul. « Il y a si loin de la manière dont on vit à celle dont on devrait vivre, que celui qui laisse, dit Machiavel, ce qui se fait pour ce qui devrait se faire, cherche à se perdre plutôt qu’à se conserver, et, par conséquent, il faut qu’un homme qui fait profession d’être tout à fait bon, parmi tant d’autres qui ne le sont pas, périsse tôt ou tard. « Si les malheureux ont de la vertu, ne soyons pas encore la dupe de ce sentiment dans eux : c’est qu’ils ne peuvent plus placer leur orgueil que dans cette frêle jouissance ; elle les console des pertes qu’ils font, voilà leur secret.

Pendant cette savante dissertation, Mme de Noirceuil et les gitons s’étaient endormis.

— Ce sont des imbéciles que ces êtres-là, dit Noirceuil ; ce sont les machines de nos voluptés, cela est trop bête pour rien sentir. Ton esprit plus subtil me conçoit, m’entend, me devine ; je le vois, Juliette, tu aimes le mal.

— Beaucoup, monsieur, il me tourne la tête !

— Tu iras loin, mon enfant… Je t’aime, je veux te revoir.

— Je suis flattée de vos sentiments, monsieur ; j’ose presque dire que je les mérite, par la conformité des miens aux vôtres… J’ai eu quelque éducation, une amie a formé mon esprit au couvent. Hélas ! monsieur, ma naissance aurait dû me préserver de l’humiliation dans laquelle je suis.

Et, à ce sujet, je racontai mon histoire à Noirceuil.

— Je suis désespéré de tout ce que vous me dites, Juliette, me répondit Noirceuil après m’avoir écoutée avec la plus grande attention.

— Et pourquoi donc ?

— Le voici : j’ai beaucoup connu votre père, je suis cause de sa banqueroute, c’est moi qui l’ai ruiné. Maître un instant de toute sa fortune, je pouvais la doubler ou la faire passer dans mes mains ; par une juste conséquence de mes principes, je me suis préféré à lui ; il est mort ruiné, et j’ai trois cent mille livres de rentes. Après votre aveu, je devrais nécessairement réparer envers vous l’adversité où mes crimes vous ont plongée, mais cette action serait une vertu ; je ne m’y livrerai point, j’ai la vertu trop en horreur : ceci met d’éternelles barrières entre nous, il ne m’est plus possible de vous revoir.

— Homme exécrable, m’écriai-je, à quelque degré que je sois victime de tes vices, je les aime… Oui, j’adore tes principes…

— Ô Juliette, si vous saviez tout !

— Ne me laissez rien ignorer.

— Votre père… votre mère.

— Eh bien ?

— Leur existence pouvait me trahir… Il fallait que je les sacrifiasse : ils ne sont morts, à peu de distance l’un de l’autre, que d’un breuvage que je leur fis prendre dans un souper chez moi…

Un frémissement subit s’empare ici de toute mon existence ; mais fixant aussitôt Noirceuil avec ce flegme apathique de la scélératesse qu’imprimait malgré moi la nature au fond de mon cœur :

— Monstre, je te le répète, m’écriai-je, tu me fais horreur, et je t’aime !

— Le bourreau de ta famille ?

— Eh ! que m’importe ? Je juge tout par les sensations ; ceux dont tes crimes me séparent ne m’en faisaient naître aucune, et l’aveu que tu me fais de ce délit m’embrase, me jette dans un délire dont il m’est impossible de rendre compte.

— Charmante créature, me répondit Noirceuil, ta naïveté, la franchise de l’âme que tu me développes, tout me détermine à transgresser mes principes : je te garde, Juliette, je te garde, tu ne retourneras point chez la Duvergier.

— Mais, monsieur… votre femme !

— Elle te sera soumise ; tu règneras dans la maison ; tout ce qui l’occupe sera sous tes ordres ; on n’obéira qu’à toi seule. Voilà l’empire du crime sur mon âme : tout ce qui en porte l’empreinte me devient cher. La nature m’a fait pour l’aimer ; il faut qu’en abhorrant la vertu je tombe malgré moi sans cesse aux pieds du crime et de l’infamie. Viens, Juliette, je bande, présente-moi ton beau cul que je le foute ; je vais mourir de plaisir en imaginant que je rends victime de ma lubricité le rejeton de celles de mon avarice.

— Oui, fous-moi, Noirceuil ! j’aime l’idée de devenir la putain du bourreau de tous mes parents ; fais couler mon foutre au lieu de mes pleurs : tel est le seul hommage que je veuille offrir aux cendres abhorrées de ma famille.

Nous réveillâmes les acolytes ; Noirceuil se fit enculer en me sodomisant, et, ayant établi les fesses de sa femme au-dessus de mes reins, il les lui mordit, les lui pinça, les lui claqua, et tout cela d’une telle force, que la pauvre créature avait le cul tout meurtri quand Noirceuil avait perdu son foutre.

Dès l’instant, je fus établie dans la maison. Noirceuil ne voulut pas même me laisser retourner chez la Duvergier pour y prendre mes hardes. Il me présenta le lendemain à ses domestiques, à ses connaissances, comme une cousine, et je devins chargée, de ce moment, de faire les honneurs de chez lui.

Il me fut cependant impossible de ne pas saisir un moment pour aller revoir mon ancienne matrone. J’étais bien éloignée de l’envie de l’abandonner tout à fait ; mais, pour mieux en tirer parti, je ne voulais pas avoir l’air de me jeter à sa tête.

— Viens, viens, ma chère Juliette, me dit la Duvergier aussitôt qu’elle me vit, je t’attendais avec impatience, j’ai mille et mille choses à te dire.

Nous nous enfermons dans son cabinet, et là, après m’avoir embrassée bien chaudement, félicitée du bonheur que je venais d’avoir de plaire à un homme aussi riche que Noirceuil :

— Juliette, me dit-elle, écoute-moi :

Je ne sais quelle idée tu te fais de ta nouvelle position ; mais si tu allais malheureusement t’imaginer que ta qualité de fille entretenue t’engageât à une fidélité à toute épreuve, et cela avec un homme qui voit sept ou huit cents filles par an, certes, mon ange, tu serais dans une grande erreur. Quelque riche que soit un homme, et quelque bien qu’il nous fasse, nous ne lui devons jamais aucune reconnaissance ; car il travaille pour lui seul en nous comblant de biens. L’or dont il nous couvre n’est l’effet, ou que de l’orgueil qu’il met à nous avoir à lui seul, ou que de la jalousie qui lui fait prodiguer ses trésors pour que personne ne partage l’objet de son amour. Mais je te demande, Juliette, si les extravagances d’un homme doivent jamais être pour nous des motifs suffisants à servir sa folie ? De ce qu’un homme doit être blessé de nous voir dans les bras d’un autre, s’ensuit-il que nous devions nous gêner pour ne pas y être ? Je vais plus loin : aimât-on à la fureur l’homme avec lequel on vit, fût-on sa femme, sa maîtresse la plus chère, il y aurait toujours l’absurdité la plus complète à nous imposer des fers. On peut foutre de toutes les façons possibles sans rien enlever aux sentiments du cœur. On aime tous les jours un homme à l’excès, et l’on n’en fout pas moins avec un autre : ce n’est pas le cœur qu’on donne à celui-ci, c’est le corps. Les écarts les plus effrénés, les plus multipliés du libertinage, n’enlèvent rien à la délicatesse de l’amour. D’ailleurs, en quoi consiste le mal qu’on fait à l’homme qu’on outrage, en se prostituant à un autre ? Tu m’avoueras que ce n’est, tout au plus, qu’une lésion morale ; il n’y a qu’à prendre les plus grandes précautions pour qu’il ne puisse jamais savoir l’infidélité qu’on lui fait : de ce moment, il ne peut en être blessé. Je dis plus : une femme très sage qui, néanmoins, donnerait prise à quelques soupçons sur elle, soit que ces soupçons naquissent de l’imprudence, soit qu’ils fussent les fruits du mensonge, serait, toute vertueuse que vous voudrez la supposer, infiniment plus coupable pourtant, vis-à-vis de l’homme, qui l’aime, que celle qui, quoiqu’elle se livrât du matin au soir, aurait pourtant l’art de le cacher à tous les yeux. Je vais plus loin encore, je dis qu’une femme, quelques raisons qu’elle ait de ménager un homme, de l’aimer même, peut donner à un autre et son cœur et son corps ; elle peut même, en aimant beaucoup un homme, aimer cependant beaucoup aussi l’être avec lequel elle couche accidentellement ; alors c’est une inconstance, et rien, selon moi, ne s’arrange aussi bien avec les grandes passions comme l’inconstance. Il y a deux façons d’aimer un homme : l’amour moral et l’amour physique. Une femme peut idolâtrer moralement son amant ou son époux, et aimer physiquement et momentanément le jeune homme qui lui fait la cour ; elle peut se livrer à lui sans offenser, en quoi que ce puisse être, les sentiments moraux dus au premier : tout individu de notre sexe qui pense différemment est une folle, qui ne travaille qu’à son infortune. Une femme à tempérament, d’ailleurs, peut-elle s’en tenir aux caresses d’un seul homme ? Si cela est, voilà donc la nature en perpétuelle opposition avec vos prétendus préceptes de constance et de fidélité. Or, dis-moi, je te prie, de quel poids doit être aux yeux d’un homme sensé un sentiment toujours en contradiction avec la nature ? Un homme assez ridicule pour exiger d’une femme de ne se livrer jamais à d’autres qu’à lui commettrait une bizarrerie aussi grande que celui qui voudrait que son épouse ou sa maîtresse ne dînât jamais avec d’autres ; il exercerait de plus une horrible tyrannie : car, de quel droit, n’étant pas en état de satisfaire à lui seul une femme, exige-t-il que cette femme souffre, et ne puisse se contenter avec un autre ? Il y a à cela un égoïsme, une dureté incroyables, et sitôt qu’une femme reconnaît de tels sentiments dans celui qui prétend l’aimer, cela doit suffire pour la déterminer à se dédommager sur-le-champ de la gêne cruelle où son tyran veut la réduire. Mais si, au contraire, une femme n’est liée à un homme que par intérêt, quel plus puissant motif n’aura-t-elle pas, de ne contraindre en quoi que ce puisse être et ses penchants et ses désirs ? elle n’est plus, de ce moment, obligée de se prêter que quand on la paie ; elle ne doit son corps qu’à l’instant du payement ; toutes les autres heures sont à elles, et c’est alors que les inclinations du cœur lui deviennent bien plus permises : pourquoi se gênerait-elle, puisqu’elle n’est plus engagée que physiquement ? L’amant payeur, ou l’époux, doivent être trop judicieux alors pour exiger de l’objet de leur tendresse un cœur qu’ils doivent bien savoir impayable ; ils ont trop de raison pour ne pas sentir qu’on n’achète point les sentiments de l’âme. De ce moment, pourvu que la femme, que l’un ou l’autre paye, se prête à ce qu’ils désirent, ils n’ont plus de reproches à lui faire, et ils passeraient pour des fous s’ils en exigeaient davantage. Ce n’est pas, en un mot, la vertu d’une femme qu’un amant ou qu’un mari veut, c’est l’apparence. Qu’elle ne foute point, et qu’elle en ait l’air, elle est perdue ; qu’elle foute, au contraire, avec le monde entier, et qu’elle se cache, la voilà une femme à réputation17. Des exemples vont appuyer mes assertions, Juliette : l’instant où tu viens me voir est propre à te convaincre. J’ai là-dedans quinze femmes, au moins, qui viennent se prostituer chez moi, ou que je vais envoyer se faire foutre à la campagne ; jette un coup d’œil sur elles : je te raconterai leur histoire en te les désignant ; mais songe que ce n’est qu’en ta faveur que je me permets une telle imprudence ; je ne l’oserais pas avec d’autres.

La Duvergier ouvrit, à ces mots, une petite croisée secrète, qui, sans être vues, nous permit d’observer tout ce qui était dans le salon.

— Tiens, me dit-elle, vois ce cercle ; en te disant qu’il y en avait quinze, t’ai-je trompée ? Compte-les.

Quinze femmes charmantes, mais toutes différemment costumées, attendaient effectivement, en silence, les ordres qu’on allait leur signifier.

— Commençons, me dit la Duvergier, par cette belle blonde que tu vois la première, au coin de la cheminée ; nous suivrons le cercle, en partant de là : c’est la duchesse de Saint-Fal, dont la conduite ne peut être blâmée, sans doute ; car, toute jolie qu’elle est, son mari ne saurait la souffrir. Quoique tu la voies ici, elle n’en prétend pas moins à la plus haute vertu ; elle a une famille qui l’observe et qui la ferait enfermer, si sa conduite était connue.

— Mais, dis-je à la Duvergier, toutes ces femmes ne risquent-elles rien à se trouver ainsi réunies ? Elles peuvent se revoir ailleurs, et se perdre.

— Premièrement, me répondit la matrone, elles ne se connaissent pas ; mais si, par la suite, elles venaient à se connaître, que l’une dirait-elle à l’autre que celle-ci ne pût aussitôt rétorquer contre son accusatrice ? Liées toutes par le même intérêt, il n’est donc nullement à craindre qu’elles se trahissent, et depuis vingt-cinq ans que je sers elles ou leurs pareilles, je n’ai jamais oui parler d’indiscrétions semblables ; elles ne les redoutent même pas. Poursuivons.

Cette grande femme d’environ vingt ans, que tu vois près de la duchesse, et dont la figure céleste ressemble à celle d’une belle vierge, est folle de son mari ; mais un tempérament fougueux la domine ; elle me paye pour lui faire voir des jeunes gens. Crois-tu qu’elle est déjà libertine au point que, quelque argent que j’y mette, il m’est impossible de lui trouver des vits assez gros pour la satisfaire ?

Regarde un ange non loin de là : c’est la fille d’un conseiller au parlement ; la ruse seule me la donne ; sa gouvernante me la conduit ; à peine a-t-elle quatorze ans. Je ne la livre qu’à des passions où la fouterie n’entre pour rien ; on m’offre cinq cents louis de son pucelage ; je n’ose la donner. Elle attend un homme qui décharge, rien qu’en lui baisant le derrière ; il veut me donner mille louis de son cul : comme il y a moins de danger, je vais arranger cela tout à l’heure.

Cette autre fille de treize ans, que tu vois ensuite, est une petite bourgeoise que j’ai subornée ; elle va épouser un homme qu’elle aime à la folie ; mais elle s’est rendue aux mêmes leçons que je viens de te faire. Je vendis hier son pucelage antiphysique à Noirceuil, il en jouira demain ; un jeune évêque me la débourre aujourd’hui, dans le même sens ; comme il l’a bien plus petit que ton amant, celui-ci ne s’en doutera pas.

Observe avec attention cette jolie femme de vingt-six ans. Elle vit avec un homme qui l’adore… qui la couvre de biens ; tous deux ont fait des choses incroyables l’un pour l’autre : la petite coquine n’en fout pas moins ; elle aime les hommes à la fureur ; son amant lui-même le lui a permis autrefois, et c’est à lui seul qu’il doit s’en prendre des désordres dans lesquels elle se plonge ; elle profite des exemples qu’il lui a donnés, et elle fout tous les jours ici, sans que le cher homme le sache.

Cette jolie brune que tu vois près d’elle est la femme d’un vieillard qui l’a épousée par amour ; elle pousse les attentions qu’elle a pour lui au point de s’en faire une étonnante réputation de vertu : tu vois comme elle s’en dédommage ; elle attend ici deux jeunes gens ; et, cet après-midi, elle reviendra pour celui qu’elle aime ; ceux de ce matin sont pour la débauche : le cœur seul sera satisfait ce soir.

À côté d’elle est une dévote. Regarde son costume ; cette coquine-là passe sa vie au sermon, à la messe et au bordel ; elle a un mari qui l’adore, mais qui ne peut la corriger ; aigre, impérieuse dans son ménage, elle croit que ces mômeries doivent lui faire pardonner tout. Quoique son pauvre époux ait fait sa fortune, elle ne le rend pas moins le plus malheureux des hommes. Elle me donne, à moi, une peine horrible pour la contenter, parce qu’elle ne veut foutre qu’avec des prêtres. Il est vrai que l’âge et la tournure lui sont de la plus grande indifférence : pourvu que ce soit un croque-Dieu, la putain est contente.

Au-dessous d’elle est une femme entretenue à deux cents louis par mois : on lui donnerait le double qu’on ne l’empêcherait pas de faire des parties ; c’est une de mes élèves. Son vieil archevêque parierait ses bénéfices qu’elle est plus chaste que la Vierge, aux dépens de qui le drôle la nourrit. Si tu voyais comme elle le trompe ! Voilà l’art des femmes, Juliette ; il faut l’employer dans notre état, ou se résoudre à y mourir de faim.

Vient ensuite une petite bourgeoise de dix-neuf ans, jolie, comme tu vois, au-delà de tout ce qu’il est possible de dire. Il n’y a rien que son amant n’ait fait pour elle : il l’a retirée de la misère, il a payé ses dettes, il la tient maintenant sur le meilleur pied ; elle désirerait des astres qu’il essayerait, je crois, de les déplacer pour les lui offrir ; et la petite putain n’a pas un moment à elle qui ne soit employé à foutre. Ce n’est pas le libertinage qui guide celle-ci, c’est l’avarice ; elle fait tout ce qu’on veut, elle passe avec qui bon me semble, pourvu qu’on la paye très cher : a-t-elle tort ? Le brutal à qui je vais la livrer la mettra pour six semaines au lit ; mais elle aura dix mille francs ; elle s’en moque.

— Et l’amant ?

— Bon ! une chute… un accident… Avec l’art qu’elle a, elle en imposerait à Dieu même.

— Cette petite fille, continua la Duvergier en me montrant une enfant de douze ans jolie comme l’amour, est dans un cas plus singulier : c’est sa mère même qui la vend par besoin. Toutes deux pourraient s’occuper, on leur offre même du travail : elles n’en veulent pas ; le libertinage seul leur convient. C’est encore à Noirceuil qu’est destiné le cul de cet enfant.

Voici le triomphe de l’amour conjugal ! Il n’est point de femme qui chérisse son mari comme celle-ci, continua la Duvergier en me faisant voir une créature de vingt-huit ans, belle comme Vénus ; elle l’adore, elle en est jalouse, mais le tempérament l’emporte ; elle se déguise, on la prend pour une vestale, et il n’y a pas de semaine où elle ne voie quinze ou vingt hommes chez moi.

En voici une pour le moins aussi jolie, poursuivit mon institutrice, et dans une position vraiment extraordinaire ; c’est son mari même qui la prostitue. Quoiqu’il en soit fou, il se mettra en tiers dans la partie, et servira lui-même de maquereau à sa femme ; mais il enculera le fouteur.

Le père de cette jeune personne, si belle et si gentille, livre de même ici cette charmante enfant ; mais il ne veut pas qu’on la foute ; tout le reste est indifférent, pourvu qu’on respecte les deux pucelages ; il sera, de même, en tiers. Je l’attends, car l’homme à qui je vais livrer sa fille est déjà là ; il y aura du plaisant dans la scène. Je suis fâchée que tu sois pressée, au point de ne pouvoir y jouer un rôle. Je sais qu’on t’y admettrait volontiers.

— Et que s’y passera-t-il, enfin ?

— Le père voudra fouetter l’homme auquel il va livrer sa fille ; celui-ci ne le voudra pas ; mille bassesses de la part de l’un, mille refus opiniâtres de la part de l’autre, qui, s’armant d’un bâton, finira par rosser le père, en déchargeant sur le cul de la fille. Et le papa ? Il dévorera le foutre perdu, en répandant le sien, et mordant de rage le cul de celui dont il viendra d’être si bien roué.

— Quelle passion ! Et que ferais-je là ?

— Le père s’en prendrait à toi des coups qu’on lui donnerait. Tu serais peut-être un peu marquée ; mais cent louis de gratification.

— Poursuivez, madame, poursuivez ; vous savez que je ne peux pas aujourd’hui.

— Voici pour l’avant-dernière : une très jolie personne, jouissant de plus de cinquante mille livres de rente, et d’une excellente réputation ; elle aime les femmes, vois comme elle les lorgne ; elle aime aussi les enculeurs, tout cela sans cesser d’adorer son époux. Mais elle sait bien que ce qui tient au physique est absolument indépendant du moral. Elle fout avec son mari d’un côté, elle vient s’en faire donner ici de l’autre ; tout cela s’arrange.

Cette dernière enfin est une célibataire à grandes prétentions, une des plus célèbres prudes de Paris ; elle battrait, je crois, dans le monde, un homme qui lui parlerait d’amour ; et je suis payée très chèrement par elle pour la faire foutre une cinquantaine de fois par mois, à ma petite-maison.

Eh bien, Juliette ! balanceras-tu après tous ces exemples ?

— Non, sans doute, madame, répondis-je ; je foutrai chez vous par intérêt et par libertinage ; je me livrerai à toutes les parties libidineuses qu’il vous plaira de m’envoyer ; mais lorsque mes prostitutions seront pour votre compte, je vous préviens que ce ne sera jamais à moins de cinquante louis.

— Tu les auras, tu les auras, me répondit la Duvergier au comble de la joie. Je ne voulais que ton acquiescement ; l’argent ne m’inquiète point ; sois douce, obéissante, ne refuse jamais rien ; je te trouverai des monts d’or.

Et comme il était tard et que je craignais que Noirceuil ne fût inquiet de la longueur de cette première sortie, je retournai bientôt dîner à la maison, vraiment désespérée de n’avoir pas vu quelques-unes de ces femmes à l’ouvrage, ou de le partager avec elles.

Mme de Noirceuil ne voyait pas de sang-froid sa rivale établie chez elle ; la manière impérieuse et dure dont son mari lui avait enjoint de m’obéir ne contribuait pas peu à l’aigreur qu’elle témoignait à tout instant. Il n’y avait pas un seul jour où elle n’en pleurât de dépit : infiniment mieux logée qu’elle, mieux servie, plus magnifiquement habillée, ayant une voiture à moi seule, pendant qu’elle jouissait à peine de celle de son mari, on doit facilement juger à quel point cette femme devait me haïr. Mais mon ascendant sur l’esprit de monsieur était trop bien établi pour que j’eusse rien à redouter des boutades de madame.

Vous imaginez pourtant bien que ce n’était point par amour que Noirceuil agissait ainsi. Il voyait dans ma société des moyens de crimes : en fallait-il davantage pour sa perfide imagination ? Rien n’était réglé comme les désordres de ce scélérat. Tous les jours, sans que jamais rien pût interrompre un pareil arrangement, la Duvergier lui fournissait une pucelle qui ne pouvait pas avoir plus de quinze ans et jamais moins de dix : il donnait cent écus pour chacune de ces filles, et la Duvergier vingt-cinq louis de dommages et intérêts, si Noirceuil pouvait prouver que la fille ne fût pas exactement vierge. Malgré toutes ces précautions, mon exemple vous prouve à quel point il était trompé chaque jour.

Cette séance de libertinage avait ordinairement lieu tous les soirs : les deux gitons, Mme de Noirceuil et moi ne manquions jamais de nous y trouver, et chaque jour la tendre et malheureuse épouse devenait la victime de ces piquantes et singulières luxures. Les petites filles se retiraient, et je soupais en tête à tête avec Noirceuil, qui se grisait assez communément et finissait par s’endormir dans mes bras.

Depuis longtemps, il faut enfin que j’en convienne avec vous, mes amis, je brûlais de mettre en action les principes de Dorval ; il semblait que les doigts me démangeassent ; je voulais voler, à quelque prix que ce pût être. Mon épreuve n’était pas encore faite ; je ne doutais pas de mon adresse : je n’étais embarrassée que du sujet avec lequel je devais l’employer. J’avais le plus beau jeu du monde chez Noirceuil : sa confiance était aussi entière que ses richesses étaient immenses, ses désordres extrêmes : il n’y avait pas de jour où je ne pusse lui dérober dix à douze louis, sans qu’il s’en doutât. Par un singulier calcul de mon imagination… par un sentiment dont j’aurais peut-être bien de la peine à me rendre compte, je ne voulus jamais me permettre de faire tort à un être aussi corrompu que moi. C’est sans doute ici ce qu’on appelle la bonne foi des Bohèmes : mais je l’eus. Un autre motif entra pour beaucoup aussi dans ce projet de réserve : je voulais faire mal, en volant ; cette idée embrasait étonnamment ma tête. Or, quel crime commettais-je en dépouillant Noirceuil ? Regardant ses propriétés comme les miennes, je ne faisais que rentrer dans mes droits ; donc, pas la plus légère apparence de délit dans ce procédé. En un mot, si Noirceuil eût été un honnête homme, je ne lui aurais pas fait la moindre grâce ; c’était un scélérat, je le respectais. En me voyant tout à l’heure lui faire des infidélités, vous me demanderez peut-être pourquoi cette vénération ne me suivait point partout : oh ! ceci était différent ; il était dans mes principes de ne soupçonner aucun mal à l’infidélité. J’aimais dans Noirceuil le libertinage, la singularité d’esprit ; mais ne raffolant point de sa personne, je ne me croyais pas liée avec lui au point de ne pas lui manquer quand bon me semblerait. Je visais au grand ; en voyant beaucoup d’hommes, je pouvais trouver mieux que Noirceuil. Ce bonheur même ne fût-il pas arrivé, les parties de la Duvergier devaient me valoir beaucoup ; et je ne pouvais donc pas y sacrifier un sentiment chevaleresque pour Noirceuil, dans lequel aucune sorte de délicatesse ne pouvait foncièrement exister. D’après ce plan de conduite, j’acceptai, comme vous croyez bien, une partie que la Duvergier me fit proposer, quelques jours après l’entrevue, dont je viens de vous parler, avec elle.

Cette partie devait avoir lieu chez un millionnaire qui, n’épargnant rien pour ses plaisirs, payait au poids de l’or toutes les créatures assez complaisantes pour satisfaire à ses honteuses luxures. On n’imagine pas le degré d’extension que peut avoir le libertinage ; on ne se fait pas d’idée du point où il dégrade l’homme qui n’écoute plus que les chatouilleuses passions inspirées par ce délicieux vice.

Six filles charmantes de chez la Duvergier devaient m’accompagner chez ce Crésus ; mais, plus distinguée que les autres, à moi seule s’adressait le véritable culte dont mes compagnes n’étaient que les prêtresses.

On nous fit entrer, dès en arrivant, dans un cabinet tendu de satin brun, couleur adoptée, sans doute, pour relever l’éclat de la peau des sultanes qui y étaient reçues, et là, l’introductrice nous prévint de nous déshabiller. Dès que je le fus, elle me ceignit d’une gaze noire et argent qui me distinguait de mes compagnes : cette parure, le canapé sur lequel on me plaça pendant que les autres, debout, attendaient en silence les ordres qui devaient leur être donnés, l’air d’attention que l’on eut pour moi, tout me convainquit bientôt des préférences qui m’étaient destinées.

Mondor entre. C’était un homme de soixante-dix ans, petit, trapu, mais l’œil libertin et vif. Il examine mes compagnes, et, les ayant louées l’une après l’autre, il m’aborde en m’adressant quelques-unes de ces grosses gentillesses qu’on ne trouve que dans le dictionnaire des traitants.

— Allons, dit-il à sa gouvernante, si ces demoiselles sont prêtes, nous allons nous mettre à l’ouvrage !

Trois scènes composaient l’ensemble de cet acte libidineux : il fallait premièrement, pendant que j’allais avec ma bouche réveiller l’activité très endormie de Mondor, il fallait, dis-je, que mes six compagnes, réunies en trois groupes, exécutassent, sous ses regards, les plus voluptueuses attitudes de Sapho ; aucunes de leurs postures ne devaient être les mêmes, chaque instant devait les voir renouveler. Insensiblement les groupes se mêlèrent, et nos six tribades, exercées depuis plusieurs jours, formèrent enfin le tableau le plus neuf et le plus libertin qu’il fût possible d’imaginer. Il y avait une demi-heure qu’il était en action, quand je commençai seulement à m’apercevoir d’un peu de progrès dans l’état de notre sexagénaire.

— Bel ange, me dit-il, ces putains me font, je crois, bander ; faites-moi voir vos fesses, car, s’il arrivait que je fusse en état de perforer le beau cul que vous allez docilement offrir à mes baisers, en vérité, nous irions tout de suite au fait, sans avoir besoin d’autre chose.

Mais Mondor, en augurant aussi bien de ses forces, n’avait pas consulté la nature.

— Allons, me dit-il au bout d’une couple d’épreuves suffisant à me faire voir quel allait être le genre de ses attaques, allons, je vois bien qu’il faut encore quelques véhicules.

Et, le groupe rompu, nous l’entourâmes toutes les sept. Alors, la duègne, nous ayant armées chacune d’une bonne poignée de verges, nous tombâmes tour à tour sur le vieux cul ridé du pauvre Mondor qui, pendant que l’une fouettait, maniait les appas des six autres. Nous l’étrillâmes jusqu’au sang, et rien n’avança la besogne.

— Ô ciel ! nous dit le pauvre homme, me voilà réduit aux dernières extrémités.

Et tout suant, tout haletant, le vilain nous considérait pour nous demander des secours.

— Mesdemoiselles, nous dit en ce moment la compatissante duègne, en rafraîchissant par des lotions d’eau de Cologne les fesses déchirées de son maître, je ne vois plus qu’un seul moyen pour rappeler monsieur à la vie.

— Et quel est ce moyen, madame ? répondis-je ; il n’en est point que nous n’adoptions pour le tirer de cette langueur.

— Eh bien, répondit la duègne, je vais l’étendre sur ce canapé. Vous, aimable Juliette, agenouillée devant lui, vous continuerez à réchauffer, dans votre bouche de rose, l’outil glacé de mon pauvre maître. Je sais qu’aucune autre que vous ne réussirait à le rendre à la vie. Pour vous, mesdemoiselles, il faut que vous veniez, l’une après l’autre, exécuter trois choses assez singulières sur son individu : le souffleter d’abord d’importance, lui cracher au visage et lui péter au nez : à peine y aurez-vous toutes passé que vous verrez des effets bien surprenants de ce remède.

La vieille dit, tout s’exécute, et j’avoue que je reste confondue de la supériorité du restaurant : le ballon se gonfle dans ma bouche au point que je puis à peine le contenir. Il est vrai qu’on ne saurait se faire une idée de la rapidité avec laquelle tous les épisodes ordonnés s’exécutaient avec ce pauvre paillard ; et rien n’était plaisant comme les différents bruits qu’occasionnaient à la fois, dans l’air, la multiplicité de ces pets, de ces soufflets et de ces expectorations. Enfin le paresseux instrument se dérouille, au point que je crois qu’il va crever sur mes lèvres, lorsque, se relevant avec vitesse, Mondor fait signe à sa gouvernante de tout préparer pour le dénouement : à mon cul seul en est réservé l’honneur. La vieille me place dans l’attitude exigée pour la sodomie ; Mondor, aidé, conduit par sa gouvernante, se plonge à l’instant au temple des plus doux plaisirs de cette passion. Mais tout n’était pas dit : j’étais ratée, sans l’épisode crapuleux dont Mondor couronnait son extase. Il fallait, pendant que le paillard m’enculait :

1° que sa gouvernante, armée d’un immense godemiché, lui rendît le même service ;

2° qu’une des filles, agenouillée sous moi, excitât beaucoup de bruit dans mon con en le branlant avec sa langue ;

3° qu’un beau cul s’offrît à chacune de mes mains ;

4° enfin, que les deux filles qui restaient élevées à califourchon, la première sur mes reins, la seconde sur les reins de celle-ci, en chiant toutes deux à la fois, inondassent de merde, l’une la bouche du paillard, l’autre son front.

Mais chacune, tour à tour, remplit ces deux derniers rôles : toutes chièrent, même la vieille ; toutes me branlèrent ; toutes enculèrent Mondor, qui, cédant aux titillations de plaisir dont nous l’enivrons, darde enfin au fond de mon anus les déplorables jets de sa défaillante luxure.

— Quoi, madame ! dit le chevalier en interrompant ici Juliette, quoi ! la vieille chia aussi ?

— Assurément, reprit notre historienne ; je ne conçois pas qu’avec votre tête, chevalier, vous puissiez être étonné de cela ; plus une femme est ridée, et plus elle convient à cette opération ; les sels sont plus âcres, les odeurs plus fortes… En général, on se trompe sur les exhalaisons émanées de caput mortuum de nos digestions ; elles n’ont rien de malsain, rien que de très agréable… c’est le même esprit recteur que celui des simples. Il n’est rien à quoi l’on s’accoutume aussi facilement qu’à respirer un étron ; en mange-t-on, c’est délicieux, c’est absolument la saveur piquante de l’olive. Il faut, j’en conviens, monter un peu son imagination ; mais quand elle l’est bien, je vous assure que cet épisode compose un acte de libertinage très sensuel…

— Et dont j’essayerai avant qu’il soit longtemps, je vous le jure, madame, dit le chevalier, en maniant complaisamment un vit que l’idée dont il venait d’être question faisait horriblement bander.

— Quand vous voudrez, dit Juliette ; je m’offre à vous satisfaire… Tenez, à l’instant, si vous le désirez ; vous avez l’envie, moi j’ai le besoin.

Et le chevalier, prenant Juliette au mot, tous deux passèrent dans un cabinet voisin, dont ils ne sortirent qu’au bout d’une grosse demi-heure, employée sans doute par le chevalier aux plus voluptueuses épreuves de cette passion, et par le marquis, à quelques vexations sur les fesses flétries de la malheureuse Justine.

— En vérité, c’est délicieux ! dit le chevalier en revenant.

— As-tu mangé ? dit le marquis.

— Absolument tout…

— Je suis étonné que tu ne connaisses pas cela : il n’est pas aujourd’hui d’enfant de dix-huit à vingt ans qui ne l’ait fait faire à des filles. Allons, poursuivez, Juliette ! il est très joli d’allumer nos passions, comme vous le faites, par vos intéressants récits, et de les apaiser ensuite par vos délicieuses complaisances.

— Bel ange, me dit Mondor en m’entraînant avec lui dans son arrière-cabinet, après avoir congédié les autres femmes, il vous reste un dernier service à me rendre, et c’est de celui-là que j’attends, mes plus divins plaisirs. Il faut imiter vos compagnes, il faut chier comme elles, et rendre à la fois dans ma bouche, et l’étron divin de votre cul, et le foutre dont je viens de l’arroser.

— Assurément, monsieur, je suis prête à vous obéir, répondis-je avec humilité.

— Quoi ! d’honneur, tu le peux ?… Fille adorable, ce service est en ta puissance !… Ah ! je n’aurai jamais si bien déchargé.

Dès en entrant dans ce cabinet, j’avais remarqué sur le bureau un paquet assez volumineux contenant, à ce que j’imaginais, des choses qui pouvaient devenir très utiles à l’amélioration de ma fortune. M’en emparer avec adresse était devenu le premier vœu de mon cœur, aussitôt que je l’avais aperçu. Mais comment faire ? j’étais nue ; où fourrer ce paquet, presque aussi gros que mes deux bras, quoique assez court à la vérité.

— Monsieur, dis-je à Mondor, est-ce que vous n’appelez personne pour nous aider ?

— Non, dit le financier, je goûte seul cette dernière jouissance ; j’y mets des épisodes si lubriques, des détails si voluptueux…

— Oh ! n’importe, n’importe, il nous faut quelqu’un.

— Tu crois, mon ange ?

— Assurément monsieur.

— Eh bien, va voir si toutes ces femmes sont parties ; si elles ne le sont pas, fais venir la plus jeune : son cul m’a fait assez bien bander, et c’est de toutes, celle que je désire le plus.

— Mais, monsieur, je ne connais pas votre maison ; l’état d’ailleurs dans lequel je suis…

— Je vais sonner.

— Gardez-vous-en, monsieur, je ne veux point paraître ainsi aux yeux de vos valets.

— Mais c’est la vieille qui viendra.

— Point du tout, elle raccompagne les filles.

— Oh ! que de mystère, que de temps de perdu !

Et s’élançant aussitôt dans les appartements que nous quittons, l’imbécile, sans s’en apercevoir, me laisse au milieu de ses trésors. Plus de retenue ici, plus aucun motif qui, comme chez Noirceuil, m’empêchât de me livrer à l’excessif penchant que j’éprouvais à m’emparer du bien d’autrui. Je ne perds donc pas une minute : dès que mon homme a le dos tourné je saute sur le paquet et, l’entortillant dans l’épais chignon qui couvrait ma tête, je le dérobe, par cette ruse, absolument à tous les yeux. À peine avais-je fini que Mondor m’appela. Les filles n’étaient point encore parties ; ne se souciant point de les faire passer dans son cabinet, il préférait que la scène eût lieu dans le même endroit qui avait été témoin des premières. Nous y repassâmes ; la plus jeune fille suça le vit du patient ; il lui remplit la bouche de sperme, pendant que je déposais dans la sienne le mets qui lui plaisait tant. Rien ne s’aperçut ; je me rajustai ; deux voitures nous attendaient, et nous nous séparâmes du pèlerin, après en avoir été largement payées.

— Ô Dieu ! me dis-je en entrant chez Noirceuil, et considérant à mon aise le rouleau que j’avais dérobé, est-il possible que le ciel favorise ainsi mon premier vol !

Le paquet contenait pour soixante mille francs de billets payables au porteur et sans qu’aucune nouvelle signature devint nécessaire.

De retour chez moi, je vis que, par une incroyable fatalité, pendant que je volais, on me volait moi-même : on avait forcé mon secrétaire, et cinq ou six louis que l’on y avait trouvée étaient devenus la proie du ravisseur. Noirceuil, consulté sur ce fait, m’assura qu’il ne pouvait avoir été commis que par une nommée Gode, fort jolie fille de vingt ans que Noirceuil avait attachée à mon service depuis que j’étais dans sa maison, qu’il mettait même très souvent en tiers dans nos plaisirs, et à laquelle, par un caprice digne du libertinage de son esprit, il s’était amusé de faire faire un enfant par un de ses gitons : elle était grosse de six mois.

— Quoi ! monsieur, dis-je, vous croyez que c’est Gode !

— J’en suis certain, Juliette, regarde son air confus, embarrassé.

N’écoutant plus alors que mon perfide égoïsme, et nullement les résolutions que j’avais prises de ne jamais vexer ni tourmenter ceux qui me paraîtraient aussi scélérats que moi, je me jette aux pieds de Noirceuil pour le supplier de faire arrêter la coupable.

— Je le veux bien, me dit Noirceuil avec un flegme qui eût dû m’éclairer, si mon esprit eût été plus présent ; mais tu ne jouiras pas de son supplice : grosse, elle obtiendra des délais, et, pendant ce terme, jeune et jolie, la coquine pourra fort bien se tirer d’affaire.

— Ô Dieu, j’en serais désolée !

— Je le sens bien, c’est au gibet que tu voudrais la voir ; mais cela ne se pourra pas de trois mois au moins. Écoute, Juliette, à supposer même que tu puisses jouir de ce plaisir, ce qui, je le sens, en serait un très vif pour la tête que je te connais, cette volupté, dans le fond, ne serait que l’histoire d’un quart d’heure. Prolongeons les tourments de cette malheureuse ; faisons-la souffrir toute sa vie. Rien n’est plus aisé : je vais la faire jeter dans un cachot de Bicêtre, où elle pourrira cinquante ans peut-être.

— Oh ! mon ami, le délicieux projet !

— Je ne te demande que la fin du jour pour l’exécuter, pour avoir le temps d’agir, et pour revêtir cet heureux plan de tous les épisodes qui peuvent lui prêter des charmes.

J’embrasse Noirceuil ; il fait mettre ses chevaux, et revient deux heures après, muni de l’ordre nécessaire à l’exécution de notre dessein.

— Amusons-nous maintenant, me dit le traître ; mettons bien de la fourberie à tout cela. Gode, ma chère Gode, dit-il à cette pauvre fille en la faisant venir dans son cabinet avec moi, aussitôt que nous eûmes dîné, tu connais mes sentiments, le temps approche où je veux t’en donner des preuves ; je vais unir ton sort à celui qui a laissé dans ton sein des preuves de son amour pour toi, et je vous fais deux mille écus de rente.

— Oh ! monsieur, que de grâces !

— Non, point du tout, ma fille, ne me remercie point ; je te jure que tu ne me dois aucune reconnaissance : je ne flatte absolument dans tout ceci que mes goûts. Te voilà sûre au moins à présent, par les précautions que je viens de prendre, d’avoir du pain pour le reste de tes jours.

Et Gode, bien loin de saisir le double sens des perfides paroles de Noirceuil, arrosait des larmes de sa joie les mains de son prétendu bienfaiteur.

— Allons, Gode, poursuivit mon amant, un peu de complaisance pour la dernière fois ; quoique je n’aime guère les femmes grosses, laisse-moi t’enculer en baisant les fesses de Juliette.

Tout s’arrange ; je n’avais jamais vu Noirceuil si passionné.

— Comme l’idée d’un crime ajoute à la volupté ! lui dis-je tout bas.

— Étonnamment, me répondit Noirceuil ; mais le crime, où serait-il, si elle t’avait réellement volée ?

— Tu as raison, mon ami.

— Eh bien ! console-toi, Juliette, console-toi, le crime est donc dans toute son étendue ! car je suis le seul coupable en cette aventure : cette malheureuse est aussi innocente que toi.

Et il l’enculait pendant ce temps-là, en baisant ma bouche et claquant mon derrière. Je l’avoue, ce comble de scélératesse me fit aussitôt décharger ; et saisissant la main de mon amant, et la portant à mon clitoris, je le priai de juger, par le foutre dont il retira ses doigts tout couverts, du puissant effet de son infamie sur mon cœur. Il me suit de près, deux ou trois coups de reins furieux, accompagnés d’horribles blasphèmes, m’annoncent son délire… Mais son vit est à peine hors du cul, qu’un valet de chambre, frappant doucement à la porte, le prévient que le commissaire, qu’il a fait avertir, fait demander la permission d’exécuter l’ordre dont il est porteur.

— Ah ! bon, bon, qu’il attende là, dit Noirceuil, je vais lui livrer sa victime… Allons, Gode, rajustez-vous, voilà votre mari qui vient vous chercher pour vous conduire lui-même à la maison de campagne dont je vous donne l’habitation pour votre vie.

Gode se presse ; Noirceuil la pousse dehors. Dieux ! quelle est sa frayeur en voyant l’homme noir et sa suite, en se sentant lier comme une criminelle, en entendant surtout (il paraît que c’est ce qui la frappa davantage) tous les domestiques de la maison, prévenus, s’écrier :

— Ne la manquez pas, M. le commissaire ! c’est elle qui bien sûrement a forcé le bureau de mademoiselle et qui, par cette conduite épouvantable, a laissé planer le soupçon sur nos têtes…

— Moi, forcer le bureau de mademoiselle ! s’écria Gode en s’évanouissant ; ô Dieu, j’en suis incapable !

Le commissaire voulut suspendre, mais Noirceuil, ordonnant qu’on poursuivît l’opération sans aucun égard, la malheureuse fut enlevée et jetée dans les cachots les plus malsains de Bicêtre, où elle fit, en arrivant, une fausse couche qui pensa lui coûter la vie. Elle respire encore : il y a, comme vous voyez, bien des années qu’elle pleure le tort qu’elle a eu d’avoir irrité les désirs de Noirceuil, qui n’est jamais six mois sans aller jouir de ses larmes, et resserrer, autant qu’il le peut, ses fers par de nouvelles recommandations.

— Eh bien, me dit Noirceuil, dès que Gode fut enlevée, en me rendant le double de l’argent pris chez moi, cela ne vaut-il pas cent fois mieux, de cette manière, que si elle eût été livrée au cours d’une justice incertaine et compatissante ? Nous n’eussions pas été les maîtres de son sort : nous le sommes à jamais, maintenant.

— Ô Noirceuil ! que tu es fourbe, et quelle jouissance tu viens de te donner !

— Oui, me répondit mon amant, je savais que le commissaire était à la porte ; je déchargeais délicieusement dans le cul de la proie que j’allais lui livrer.

— Ô mon ami, vous êtes bien scélérat ! mais pourquoi faut-il que j’aie aussi goûté le plus grand plaisir à l’infamie que vous avez commise ?

— Précisément parce que c’en est une, me répondit Noirceuil, et qu’il n’en est point qui ne donne du plaisir. Le crime est l’âme de la lubricité ; il n’en est point de réelle sans lui : il y a donc des passions qui étouffent l’humanité.

— Si cela est, elle n’est donc plus l’organe de la nature, cette fastidieuse humanité dont les moralistes nous entretiennent sans cesse ? ou il existe des moments pendant lesquels cette nature inconséquente éteint d’une voix ce qu’elle conseille de l’autre ?

— Eh ! Juliette, connais-la mieux, cette nature complaisante et douce ; elle ne nous conseille jamais de soulager les autres que par intérêt ou par crainte : par crainte, parce que nous redoutons pour nous les maux que notre faiblesse soulage ; par intérêt, dans l’espoir du profit ou de la jouissance qu’en attend notre orgueil.

Mais dès qu’une passion plus impérieuse se fait entendre, tout le reste se tait : l’égoïsme reprend ses droits sacrés ; nous nous moquons du tourment des autres. Et qu’aurait-il donc de commun avec nous, ce tourment ? Nous ne le ressentons jamais que par la frayeur d’un sort égal ; or, si la pitié naît de la frayeur, elle est donc une faiblesse dont nous devons nous garantir, nous purger le plus tôt qu’il est possible.

— Ceci, dis-je à Noirceuil, demande des développements. Vous m’avez démontré le néant de la vertu : je vous prie de m’expliquer ce que c’est que le crime ; car si, d’un côté, vous anéantissez ce qu’il faut que je respecte, et que, de l’autre, vous amoindrissez ce que je dois craindre, vous aurez certainement mis mon âme dans l’état où je la désire pour oser tout dorénavant sans peur.

— Assieds-toi, Juliette, me dit Noirceuil, ceci exige une dissertation sérieuse, et, pour que tu puisses me comprendre, j’ai besoin de toute ton attention.

On appelle crime toute contravention formelle, soit fortuite, soit préméditée, à ce que les hommes appellent les lois ; d’où tu vois que voilà encore un mot arbitraire et insignifiant ; car les lois sont relatives aux mœurs, aux climats ; elles varient de deux cents lieues en deux cents lieues, de manière qu’avec un vaisseau, ou des chevaux de poste, je peux me trouver, pour la même action, coupable de mort le dimanche matin à Paris, et digne de louanges, le samedi de la même semaine, sur les frontières d’Asie ou sur les côtes d’Afrique. Cette complète absurdité a ramené le philosophe aux principes suivants :

1° Que toutes nos actions sont indifférentes en elles-mêmes ; qu’elles ne sont ni bonnes ni mauvaises, et que si l’homme les qualifie quelquefois ainsi, c’est uniquement en raison des lois qu’il adopte, ou du gouvernement sous lequel il vit, mais qu’à ne considérer que la nature, toutes nos actions sont parfaitement égales entre elles.

2° Que si nous ressentons, au-dedans de nous-mêmes, un murmure involontaire qui lutte contre les mauvaises actions projetées par nous, cette voix n’est absolument l’effet que de nos préjugés ou de notre éducation, et qu’elle se trouverait bien différente si nous étions nés dans un autre climat.

3° Que si, en changeant de pays, nous ne parvenions pas à perdre cette inspiration, cela ne prouverait rien pour sa bonté, mais seulement que les premières impressions reçues ne s’effacent que difficilement.

4° Enfin, que le remords est la même chose, c’est-à-dire le pur et simple effet des premières impressions reçues, que l’habitude seule peut détruire et qu’il faut travailler fortement à vaincre.

Et en effet, pour juger si une chose est véritablement criminelle ou non, il faut examiner de quel dommage elle peut être à la nature ; car on ne peut raisonnablement qualifier de crime que ce qui vraiment outragerait ses lois. Il faut donc que ce crime se trouve uniforme, que ce soit une action quelconque, tellement en horreur à tous les peuples de la terre, que l’exécration qu’elle inspire se trouve aussi généralement empreinte en eux que le désir de satisfaire à leurs besoins ; or il n’en existe pas une seule de cette espèce : celle qui nous paraît la plus atroce et la plus exécrable a trouvé des autels ailleurs.

Le crime n’a donc rien de réel ; il n’y a donc véritablement aucun crime, aucune manière d’outrager une nature toujours agissante… toujours trop au-dessus de nous pour nous redouter en quoi que ce puisse être. Il n’est aucune action, telle épouvantable, telle atroce, telle infâme que vous puissiez la supposer, que nous ne puissions commettre indifféremment, toutes les fois que nous nous y sentons portés ; que dis-je ? que nous n’ayons tort de ne pas commettre, puisque c’est la nature qui nous l’inspire ; car nos usages, nos religions, nos coutumes, peuvent facilement, et doivent même nécessairement nous tromper, et la voix de la nature ne nous trompera certainement jamais. C’est par un mélange absolument égal de ce que nous appelons crime et vertu que ses lois se soutiennent ; c’est par des destructions qu’elle renaît ; c’est par des crimes qu’elle subsiste ; c’est, en un mot, par la mort qu’elle vit. Un univers totalement vertueux ne saurait subsister une minute ; la main savante de la nature fait naître l’ordre du désordre, et, sans désordre, elle ne parviendrait à rien : tel est l’équilibre profond qui maintient le cours des astres, qui les suspend dans les plaines immenses de l’espace, qui les fait périodiquement mouvoir. Ce n’est qu’à force de mal qu’elle réussit à faire le bien ; ce n’est qu’à force de crimes qu’elle existe, et tout serait détruit, si la vertu seule habitait sur la terre. Or, je vous le demande, Juliette, dès que le mal est utile aux grands desseins de la nature, dès qu’elle ne peut parvenir à rien sans lui, comment l’individu qui fait le mal pourrait-il ne pas être utile à la nature ? Et qui peut douter que le scélérat ne soit un être qu’elle ait formé tel pour accomplir ses vues ? Pourquoi ne voulons-nous pas qu’elle ait fait parmi les hommes ce que nous voyons qu’elle a fait parmi les animaux ? Toutes les classes ne se dévorent-elles pas mutuellement, et ne s’affaiblissent-elles pas sur la terre, en raison de l’état où il est nécessaire que les lois de la nature se maintiennent ? Qui doute que l’action de Néron, empoisonnant Agrippine, ne soit un des effets de ces mêmes lois, aussi constant que celui du loup qui dévore l’agneau ? qui doute que les proscriptions de Marius et de Sylla ne soient autre chose que la peste et la famine qu’elle envoie quelquefois sur terre ? Je sais bien qu’elle n’assigne pas aux hommes tel ou tel crime de préférence, mais elle les crée tous, avec une certaine propension à tel genre de crimes ; et, de la réunion de tous ces forfaits, de la masse de toutes ces destructions légales ou illégales, elle en recueille le désordre et l’affaiblissement dont elle a besoin pour retrouver l’ordre et l’accroissement. Pourquoi nous eût-elle donné les poisons, si elle n’eût pas voulu que l’homme s’en servît ? Pourquoi eût-elle fait naître Tibère, Héliogabale, Andronie, Hérode, Venceslas, et tous les autres scélérats ou héros (ce qui est synonyme) qui ravagent la terre, si les destructions de ces hommes de sang ne remplissaient pas ses vues ? Pourquoi enverrait-elle, près de ces coquins-là, des pestes, des guerres, des famines, s’il n’était pas essentiel qu’elle détruisît, et si le crime et la destruction ne tenaient pas essentiellement à ses lois ? Si donc il est essentiel qu’elle détruise, pourquoi celui qui se sent né pour détruire résisterait-il à ses penchants ? Ne pourrait-on pas dire que, s’il faut qu’il y ait un mal sur la terre, ce doit être visiblement celui qu’on fait en résistant aux vues de la nature sur nous ? Pour que le crime, qui n’offense et qui ne peut offenser que notre semblable, pût irriter la nature, il faudrait supposer qu’elle prend plus d’intérêt à certains êtres qu’à d’autres, et que, quoique nous soyons tous également formés de ses mains, nous ne sommes pourtant pas tous également ses enfants. Mais si nous nous ressemblons tous, à la force près, si elle n’a pas pris plus de peine à former un empereur qu’un savetier, toutes ces différentes actions ne sont plus que des accidents nécessaires de la première impulsion, et qui doivent nécessairement s’accomplir, étant formée de la manière dont il lui a plu de nous construire. Quand nous voyons, ensuite, qu’elle a mis des différences physiques dans nos individus, qu’elle a créé les uns faibles, les autres forts, n’est-il pas clair qu’elle a achevé de nous indiquer, par ces procédés, que c’était par la main du plus fort que devaient s’accomplir les crimes dont elle avait besoin, comme il devait être de l’essence du loup de manger l’agneau, et de celle de la souris d’être dévorée par le chat ?

C’était donc avec grande raison que les Celtes, nos premiers aïeux, prétendaient que le meilleur et le plus saint des droits était celui du plus fort… que c’était celui de la nature, et que, quand elle avait voulu nous assigner cette portion de force supérieure à celle de nos semblables, elle ne l’avait fait que pour mieux apprendre le droit qu’elle nous donnait sur eux… Ce n’était donc point à tort que ces mêmes peuples, dont nous descendons, prétendaient que non seulement ce droit était sacré, mais que l’intention même de la nature, en nous le donnant, était que nous en profitassions ; qu’il fallait, pour remplir ses vues, que le plus fort dépouillât le plus faible, et que celui-ci abandonnât de bonne grâce ce qu’il n’était pas en état de défendre. Si les choses ont changé physiquement, elles sont toujours moralement les mêmes. L’homme opulent représente le plus fort dans la société ; il en a acheté tous les droits ; il doit donc en jouir, et assouplir pour cela, tant qu’il le peut, à ses caprices l’autre classe d’hommes qui lui est inférieure, sans offenser en rien la nature, puisqu’il ne fait qu’user du droit qu’il en a reçu, soit matériellement, soit conventionnellement. Eh ! si la nature avait voulu nous empêcher de faire des crimes, s’il était vrai que les crimes l’irritassent, elle aurait bien su nous enlever les moyens de les commettre. Quand elle les laisse à notre disposition, c’est qu’ils ne l’outragent point, c’est qu’ils lui sont indifférents ou nécessaires : indifférents, s’ils sont légers ; toujours utiles, s’ils sont capitaux ; car il est parfaitement égal que je dérobe la fortune de mon voisin, que je viole son fils, sa femme ou sa sœur : tout cela sont des délits d’une trop mince importance pour qu’ils puissent lui devenir d’une utilité bien majeure ; mais il lui est très nécessaire que je tue ce fils, cette femme ou cette sœur, quand elle me l’indique. Et voilà pourquoi les penchants… les désirs que nous éprouvons pour les grands crimes sont toujours plus violents que ceux que nous remontons pour les petits, et que les plaisirs qu’ils nous donnent ont un sel mille fois plus piquant. Aurait-elle ainsi, par gradation, placé du plaisir à tous les crimes, si le crime ne lui était pas nécessaire ? Ne nous indique-t-elle pas, au moyen de ce charme mis avec coquetterie par sa main, que son intention est que nous suivions la pente où elle nous entraîne ? Ces chatouillements indicibles que nous éprouvons au complot d’un crime ; cette ivresse où nous sommes en nous y livrant ; cette joie secrète qui vient nous délecter encore quand il est fini : tout cela ne nous prouve-t-il pas que, puisqu’elle a si bien placé l’attrait auprès du délit, c’est qu’elle veut que nous le commettions ; et que, puisqu’elle a doublé cet attrait en raison de l’énormité, c’est que le forfait de la destruction, regardé conventionnellement comme le plus atroce, est pourtant celui qui lui plaît le mieux18 ? Car, soit que le crime vienne de la vengeance, soit qu’il vienne de l’ambition ou de la lubricité, examinons-nous bien, nous verrons que cet attrait dont je parle accompagne toujours le forfait en raison de sa violence ou de sa noirceur ; et, quand la destruction de nos semblables devient l’effet de la cause, l’attrait alors n’a plus de bornes, parce que c’est à cette destruction nécessaire que ses lois gagnent le plus.

— Ô Noirceuil; ! interrompis-je dans un état de délire inexprimable, il est certain que j’ai eu le plus grand plaisir à l’action que nous venons de faire, mais j’en aurais eu dix fois davantage à la voir pendre…

— Dis donc, scélérate, à la pendre de ta main…

— Oh ! oui, oui, Noirceuil ! je l’avoue : je décharge rien qu’en y pensant.

— Et tous ces plaisirs-là doublaient, parce qu’elle était innocente, conviens-en, Juliette ; sans cela, l’action que nous avions commise devenait utile aux lois : tout le délicieux de l’attrait du mal en disparaissait. Ah ! poursuivit Noirceuil, la nature nous aurait-elle donné nos passions, si elle n’avait pas su que le résultat de ces passions accomplirait ses lois ? L’homme l’a si bien senti, qu’il en a voulu faire aussi de son côté pour réprimer cette force invincible qui, le portant au crime, ne le laisserait pas subsister un moment ; mais il a fait une chose injuste, car les lois lui prennent infiniment plus qu’elles ne lui donnent ; et pour un peu qu’elles lui assurent, elles lui enlèvent étonnamment. Mais ces lois, qui ne sont que l’ouvrage des hommes, ne doivent obtenir aucune considération du philosophe ; elles ne doivent jamais arrêter les mouvements où le porte la nature ; elles ne sont faites que pour l’engager au mystère : laissons-les nous servir d’abri, jamais de frein.

— Mais, mon ami, dis-je à Noirceuil, si les autres en disent autant, il n’y aura plus d’abri.

— Soit, répondit mon amant, nous reviendrons, en ce cas, dans l’état d’incivilisation où nous a créés la nature, qui certainement n’est pas très malheureux. Ce sera alors au plus faible à se garantir d’une force et d’une guerre ouvertes ; il verra tout ce qu’il aura à craindre, au moins, et n’en sera que plus heureux, puisqu’à présent il a, de même, cette guerre à soutenir, et qu’il lui est impossible de faire valoir, pour se défendre, le peu qu’il a reçu de la nature. Tous les États gagneraient à ce changement, cela est bien prouvé, et les lois ne seraient plus nécessaires. Mais revenons19.

Un de nos plus grands préjugés, sur les matières dont il s’agit, naît de l’espèce de lien que nous supposons gratuitement entre un autre homme et nous, lien chimérique… absurde, dont nous avons formé cette espèce de fraternité sanctifiée par la religion. C’est sur cet objet principal que je dois jeter quelques lumières, parce que j’ai toujours vu que l’idée de ce lien fantastique gênait et captivait les passions infiniment plus qu’on ne pense ; et c’est en raison du poids qu’il a sur la raison humaine, que je veux le briser à tes yeux.

Toutes les créatures naissent isolées et sans aucun besoin les unes des autres : laissez les hommes dans l’état naturel, ne les civilisez point, et chacun trouvera sa nourriture, sa subsistance, sans avoir besoin de son semblable. Les forts pourvoiront à leur vie sans nécessité d’assistance ; les faibles seuls en auront peut-être besoin ; mais ces faibles nous sont asservis par la main de la nature ; elle nous les donne, elle nous les sacrifie : leur état nous le prouve ; donc le plus fort pourra, tant qu’il voudra, se servir du faible. Mais il est faux qu’il y ait aucun cas où il doive l’aider, car, s’il l’aide, il fait une chose contraire à la nature ; s’il jouit de ce faible, s’il l’assouplit à ses caprices, s’il le tyrannise, le vexe, s’il s’en divertit, s’en amuse ou le détruit, il sert la nature ; mais, je le répète, s’il l’aide, au contraire, s’il l’égalise à lui en lui prêtant une partie de ses forces ou l’étayant d’une portion de son autorité, il détruit nécessairement alors l’ordre de la nature, il pervertit la loi générale : d’où il résulte que la pitié, bien loin d’être une vertu, devient un vice réel, dès qu’elle nous entraîne à troubler une inégalité exigée par les lois de la nature ; et que les philosophes anciens, qui la regardaient comme une faiblesse de l’âme, comme une de ces maladies dont il fallait promptement se guérir, n’avaient pas tort, puisqu’en voilà les effets diamétralement opposés aux lois de la nature, dont les différences et les inégalités sont les premières bases20. Le prétendu fil de fraternité ne peut donc avoir été imaginé que par le faible ; car il n’est pas naturel que le plus fort, qui n’avait besoin de rien, ait pu lui donner l’existence : pour assouplir le plus faible, sa force seule lui devenait nécessaire, mais nullement ce fil, qui, dès lors, n’est que l’ouvrage du faible, et n’est plus fondé que sur un raisonnement aussi futile que le serait celui de l’agneau au loup : Vous ne devez pas me manger, car j’ai quatre pieds comme vous.

Le faible, en établissant l’existence du fil de fraternité, avait des raisons d’égoïsme trop reconnues pour que le pacte établi par ce lien pût avoir rien de respectable. D’ailleurs, un pacte quelconque n’acquiert de force qu’autant qu’il a la sanction des deux partis ; or, celui-ci put être proposé par le faible, mais il est bien certain que le fort ne dut jamais y consentir : à quoi lui eût-il servi ? Quand on donne, c’est pour recevoir ; telle est la loi de la nature : or, en donnant de l’assistance au faible, en se dépouillant d’une portion de sa force pour l’en revêtir, qu’y gagnait le fort ! Et comment supposer comme réelle, entre les deux hommes, l’existence d’un pacte que l’un des deux partis avait essentiellement le plus grand intérêt à ne pas consentir ? Car enfin le fort, en l’acceptant, se privait et ne gagnait rien ; il ne l’a donc point sanctionné, ce pacte : de ce moment, il est donc idéal, et ne mérite de nous aucun respect. Nous pouvons rejeter sans crainte un arrangement proposé par nos inférieurs, dans lequel il n’y aurait pour nous que de la perte.

Que la religion de ce polisson de Jésus, faible, languissante, persécutée, singulièrement intéressée à maîtriser les tyrans et à les ramener à des principes de fraternité qui lui assuraient du repos, ait sanctionné ces liens ridicules, rien de plus simple : elle joue ici le rôle du faible ; elle le représente, elle doit parler comme lui ; rien, là, ne doit nous surprendre. Mais que celui qui n’est ni faible ni chrétien s’assujettisse à des chaînes pareilles, à des nœuds qui lui ôtent et ne lui donnent rien : voilà qui est impossible ; et nous devons conclure de ces raisonnements que le fil de fraternité, non seulement n’a jamais eu ni pu avoir d’existence parmi les hommes, mais qu’il est même contre la nature, dont les intentions ne purent jamais être que l’homme égalisât ce qu’elle différenciait avec autant d’énergie. Nous devons être persuadés que ce lien put être, à la vérité, proposé par le faible, put être sanctionné par lui quand l’autorité sacerdotale s’est trouvée par hasard en ses mains, mais que son existence est frivole, et que nous ne devons nullement nous y assujettir.

— Il est donc faux que les hommes soient frères ? interrompis-je avec vivacité. Il n’y a donc aucune espèce de lien réel entre un autre être et moi, et la seule manière dont je doive agir avec cet individu est donc de retirer de lui tout ce que je pourrai, en lui donnant le moins possible ?

— Assurément, me répondit Noirceuil ; car on perd de lui ce qu’on lui donne, et l’on gagne à ce qu’on lui prend. La première loi, d’ailleurs, que je trouve écrite au fond de mon âme, n’est pas d’aimer, encore moins de soulager ces prétendus frères, mais de les faire servir à mes passions. D’après cela, si l’argent, si la jouissance, si la vie de ces prétendus frères est utile à mon bien-être ou à mon existence, je m’emparerai de tout cela à main armée, si je suis le plus fort, tacitement si je suis le plus faible. Si je suis obligé d’acheter une partie de ces choses, je tâcherai de les avoir en donnant de moi le moins possible ; je les arracherai, si je puis, sans rien rendre ; car, encore une fois, ce prochain ne m’est rien, il n’y a pas le plus petit rapport entre lui et moi, et si j’en établis, c’est dans la vue d’avoir de lui, par adresse, ce que je ne puis avoir par la force ; mais si je puis réunir par la violence, je n’userai d’aucun autre artifice, parce que les rapports sont nuls, et que, ne devant plus m’en rien revenir, je n’ai plus besoin de les employer.

Ô Juliette ! sache donc fermer ton cœur aux accents fallacieux de l’infortune. Si le pain que ce malheureux mange est arrosé de ses larmes, si le travail pénible d’une journée suffit à peine pour lui donner le moyen de rapporter le soir à sa triste famille le faible soutien de ses jours, si les droits qu’il est obligé de payer viennent absorber encore la meilleure partie de ses frêles épargnes, si ses enfants, nus et sans éducation, vont disputer au fond des forêts le plus vil aliment à la bête sauvage, si le sein même de sa compagne, desséché par le besoin, ne peut fournir à son nourrisson cette première partie de subsistance capable de lui donner la force d’aller, pour se procurer l’autre, partager celle des loups, si, accablé sous le poids des années, des maux et des chagrins, il voit toujours, courbé par la main du malheur, arriver à pas lents la fin de sa carrière, sans que l’astre des cieux se soit un seul instant levé pur et serein sur sa tête affaissée, il n’y a rien là que de très simple, rien que de très naturel, il n’y a rien qui ne remplisse l’ordre et la loi de cette mère commune qui nous gouverne tous, et tu n’as trouvé cet homme malheureux que par la comparaison que tu en as faite avec toi ; mais foncièrement il ne l’est pas. S’il t’a dit qu’il se croyait tel, c’était, de même, à cause de la comparaison qu’il établissait à l’instant de lui à toi : qu’il se retrouve avec ses égaux, tu ne l’entendras plus se plaindre. Sous le régime féodal, traité comme la bête féroce, assoupli et battu comme elle, vendu comme le sol qu’il foulait aux pieds, n’était-il pas bien autrement à plaindre ! Loin de prendre pitié de ses maux, loin d’adoucir ses malheurs et de t’en composer ridiculement une peine, ne vois dans lui qu’un être que la nature t’offre pour en jouir à ton gré, et, bien loin de sécher ses larmes, redoubles-en la source, si cela t’amuse. Voilà les êtres que la main de la nature offre à la faux de tes passions : moissonne-les donc sans aucune crainte ; imite l’araignée, tends tes filets, et dévore impitoyablement tout ce qu’y jette la main savante de la nature.

— Mon ami, m’écriai-je en pressant Noirceuil dans mes bras, que ne vous dois-je point, pour dissiper ainsi dans moi les affreuses ténèbres de l’enfance et du préjugé ! Vos sublimes leçons deviennent pour mon cœur ce qu’est la rosée bienfaisante aux plantes desséchées par le soleil. Ô lumière de ma vie, je ne vois plus, je n’entends plus que par vous seul. Mais en annulant à mes yeux le danger du crime, vous me donnez l’ardent désir de m’y précipiter : me guiderez-vous dans cette route délicieuse ? tiendrez-vous devant moi le flambeau de la philosophie ? Vous m’abandonnerez, peut-être, après m’avoir égarée, et mettant avec moi-même en action des principes aussi durs que ceux que vous me faites chérir, livrée à tout le péril de ces maximes, je n’aurai plus, au milieu des ronces dont elles sont semées, ni votre crédit pour m’y soutenir, ni vos conseils pour me diriger.

— Juliette, me répondit Noirceuil, ce que tu dis prouve de la faiblesse… exige de la sensibilité, et il faut être forte et dure quand on se décide à être méchante. Tu ne seras jamais la proie de mes passions ; mais je ne te servirai jamais non plus ni d’état, ni de protecteur : il faut apprendre à marcher et à se soutenir isolément dans le chemin que tu choisis ; il faut savoir se garantir seul des écueils dont il est rempli, se familiariser à leur vue, et même à la destruction du navire, s’il vient à se briser contre eux. Le pis aller de tout cela Juliette, c’est l’échafaud et, en vérité, c’est bien peu de chose : dès qu’il est décidé que nous devons mourir un jour, n’est-il donc pas égal que ce soit là ou dans notre lit ! Faut-il l’avouer, Juliette ! Assurément, le premier, qui n’est l’affaire que d’une minute, m’effraye infiniment moins que l’autre, dont les accessoires peuvent être horribles ; quant à la honte, elle est, en vérité, si nulle à mes regards, que je la mets pour rien dans la balance. Tranquillise-toi donc, ma fille, et vole de tes propres ailes : tu courras toujours moins de dangers.

— Ah ! Noirceuil, vous ne voulez pas quitter vos principes, même pour moi !

— Il n’est aucun être dans la nature en faveur de qui je puisse y renoncer. Poursuivons ; je dois appuyer ma dissertation du néant des crimes par quelques exemples, c’est la meilleure façon de convaincre. Jetons un coup d’œil rapide sur l’univers, et voyons combien tout ce que nous appelons crime s’érige en vertu d’un bout de l’univers à l’autre…

Nous n’osons épouser les deux sœurs : les sauvages de la baie d’Hudson ne connaissent point d’autres liens. Jacob épousa Rachel et Lia.

Nous n’osons foutre nos propres enfants, bien que ce soit la plus délicieuse des jouissances : point d’autres intrigues en Perse et dans les trois quarts de l’Asie. Loth coucha avec ses filles et les engrossa toutes deux.

Nous regardons comme un très grand mal la prostitution de nos propres épouses : en Tartarie, en Laponie, en Amérique c’est une politesse, c’est un honneur que de prostituer sa femme à un étranger ; les Illyriens les mènent dans des assemblées de débauche et les contraignent à se livrer au premier venu devant eux.

Nous croyons outrager la pudeur en nous offrant tout nus aux regards des uns et des autres : presque tous les peuples du Midi vont ainsi, sans y entendre la moindre finesse ; les anciennes fêtes de Priape et de Bacchus se célébraient de cette manière ; Lycurgue obligea, par une loi, les jeunes filles à se présenter nues sur des théâtres publics ; les Toscans, les Romains se faisaient servir à table par des femmes nues. Il est une contrée dans l’Inde où les honnêtes femmes vont de même ; il n’y a que les courtisanes de vêtues, pour mieux exciter la concupiscence : ne voilà-t-il pas absolument le contraire de nos idées sur la pudeur ?

Nos généraux défendent le viol après l’assaut d’une forteresse : les Grecs le donnaient pour récompense. Après la prise de Carbines, les Tarentins rassemblèrent les garçons, les vierges et les jeunes femmes qu’ils trouvèrent dans la ville ; on les exposa nus sur la place publique, et chacun choisit ce qui lui convenait, et pour le foutre et pour le tuer.

Les Indiens du mont Caucase vivent comme des brutes, ils se mêlent indistinctement. Les femmes de l’île de Hornes se prostituent publiquement aux hommes, jusqu’au pied du temple de leur dieu.

Les Scythes et les Tartares révéraient les hommes que la débauche rendait impuissants à la fleur de l’âge.

Horace nous représente les Bretons, aujourd’hui les Anglais, comme très libertins avec les étrangers. Ces peuples, assure-t-il, n’avaient aucune pudeur naturelle ; ils vivaient pêle-mêle et en commun : frères, pères, mères, enfants, satisfaisaient également aux besoins de la nature, et ce qui en résultait appartenait à celui qui avait couché avec la mère, quand elle était encore vierge. Ces peuples se nourrissaient de chair humaine21.

Les Otaïtiens satisfont publiquement leurs désirs : ils rougiraient de se cacher pour cela. Les Européens leur firent voir leurs cérémonies religieuses consistant dans la célébration de cette ridicule jonglerie qu’ils nomment messe. À leur tour ils demandèrent la permission de faire voir les leurs : c’était le viol d’une petite fille de dix ans par un grand garçon de vingt-cinq. Quelle différence !

La débauche elle-même est encensée : on élève des temples à Priape ; Vénus est adorée d’abord comme la déesse de la propagation, ensuite comme celle des luxures les plus dépravées, son cul seul reçoit de l’encens, et celle qui ne devait être que l’idole de la progéniture devient bientôt la déesse des plus grands outrages que puisse faire l’homme à la génération. Il s’éclairait : il fallait bien qu’il devînt vicieux. Ce culte, oublié avec le paganisme, se revivifie dans les Indes, et le lingam, espèce de membre viril que les filles de l’Asie portent à leur col, n’est autre chose qu’un meuble à l’usage des temples de Priape.

Un étranger qui arrive au Pégu loue une fille pour le temps qu’il doit passer dans le pays ; il en fait tout ce qu’il veut ; elle retourne ensuite dans sa famille, et n’en trouve pas moins à se marier.

L’indécence même devient une mode : on a porté longtemps, en France, les parties naturelles de l’homme relevées en bosse sur la veste ou sur la culotte.

À l’égard de la prostitution de ses sœurs ou de ses filles, en usage chez presque tous les peuples du Nord, elle ne m’étonne pas : celui qui se conduit ainsi espère, ou des faveurs de celui auquel il prostitue, ou au moins de le voir agir, et cette lubricité est assez délicieuse pour être singulièrement recherchée. Il est un autre sentiment fort délicat dans ces sortes de prostitutions et qui engage plusieurs hommes à livrer leurs femmes comme je le fais : ce mouvement consiste à s’embraser de l’infamie dont on se couvre soi-même, et il est excessivement chatouilleux ; plus l’on multiplie en ce cas les effets de sa honte, mieux l’on jouit. On voudrait traîner dans la boue l’objet qu’on s’amuse à livrer ; on voudrait le vautrer dans la crapule, faire, en un mot, ce que j’ai fait : mener sa femme et sa fille au bordel, les faire raccrocher au coin des rues, et les tenir soi-même pendant l’acte de la prostitution.

— Quoi, monsieur, interrompis-je, vous avez une fille ?

— J’en avais une, répondit Noirceuil.

— De l’épouse que je vous connais ?

— Non, de ma première ; celle-ci est ma huitième, Juliette.

— Et comment, avec les goûts que je vous connais, pûtes-vous jamais faire un enfant !

— J’en eus plusieurs, ma chère. Ne t’étonne pas de ce procédé : on surmonte quelquefois des répugnances, lorsqu’il doit en résulter des plaisirs.

— Ah ! monsieur, je crois vous entendre.

— Je t’expliquerai tout cela, mon ange, mais il faudra que tu sois bien estimable à mes yeux, pour que je te prouve combien je le suis peu moi-même.

— Homme charmant ! m’écriai-je, vous ne me serez jamais plus cher que quand vous m’aurez convaincue du point auquel vous méprisez les préjugés vulgaires ; et plus de crimes vous dévoilerez à mes yeux, plus d’encens vous obtiendrez de mon cœur. L’irrégularité de votre tête fait tourner la mienne ; je n’aspire qu’à vous imiter.

— Ah, sacredieu ! s’écria Noirceuil en m’enfonçant sa langue dans la bouche, je ne vis jamais une créature plus analogue à moi : je l’adorerais, je crois, si je pouvais aimer une femme… Tu veux m’imiter, Juliette, je t’en défie ; si l’intérieur de mon âme pouvait s’entrouvrir, j’effrayerais tellement les hommes, qu’il n’en serait peut-être pas un seul qui osât m’approcher sur la terre. J’ai porté l’impudence et le crime, le libertinage et l’infamie au dernier période ; et, si j’éprouve quelque remords, je proteste bien sincèrement qu’il n’est dû qu’au désespoir de n’en pas avoir assez fait.

La prodigieuse agitation dans laquelle se trouvait Noirceuil me convainquait que l’aveu de ses erreurs l’échauffait presque autant que leur action même. J’écartai la robe flottante qui l’enveloppait, et, saisissant son membre, plus dur qu’une barre de fer, je le pelotai légèrement dans mes mains : il distillait le foutre en détail.

— Que de crimes me coûte ce vit ! s’écria Noirceuil ; que d’exécrations je me suis permises pour lui faire perdre son sperme avec un peu plus de chaleur ! Il n’est aucun objet sur la terre que je ne sois prêt à lui sacrifier : c’est un dieu pour moi, qu’il soit le tien, Juliette : adore-le, ce vit despote, encense-le, ce dieu superbe. Je voudrais l’exposer aux hommages du monde entier ; je voudrais qu’il y eût un homme, là, qui fit mourir, dans d’affreux supplices, tous ceux qui ne voudraient pas se courber devant lui… Si j’étais souverain, Juliette, je n’aurais pas de plus grand plaisir que celui de me faire suivre par des bourreaux, qui massacreraient, dans l’instant, tout ce qui choquerait mes regards… Je marcherais sur des cadavres, et je serais heureux ; je déchargerais dans le sang dont les flots couleraient à mes pieds.

Ivre moi-même, je me précipite aux genoux de cet étonnant libertin ; j’adore avec enthousiasme le mobile de tant d’actions, dont les simples aveux irritent tellement celui qui les a commises ; je le prends dans ma bouche, je l’y suce pendant un quart d’heure avec délices…

— Nous ne sommes pas assez, dit Noirceuil, qui goûtait peu de plaisirs solitaires. Non, laisse-moi ; il t’en cuirait, peut-être, si tu prétendais à l’honneur de me faire décharger toute seule ; mes passions concentrées sur un point unique ressemblent aux rayons de l’astre réunis par le verre ardent : elles brûlent aussitôt l’objet qui se trouve sous le foyer.

Et Noirceuil, écumant, comprimait fortement mes fesses.

Tel fut l’instant où l’un des conducteurs de Gode vint donner des nouvelles de son entrée à Bicêtre, et de l’enfant mort qu’elle avait pondu dès en y arrivant.

— Voilà qui est bon, dit Noirceuil, en congédiant l’homme avec deux louis pour boire. On ne saurait trop, ce me semble, m’ajouta-t-il tout bas, payer l’annonce d’un tel événement ; voilà du moins l’image d’un petit délit à la plaisanterie que nous nous sommes permise… Tu vois, Juliette !… tu vois comme mon vit en devient plus impérieux !

Et faisant aussitôt venir dans son cabinet sa femme et ce giton, père de l’enfant qu’il venait de détruire, il encule ce dernier en lui apprenant cette nouvelle et en contraignant Mme de Noirceuil de sucer, à genoux, le vit du Ganymède, pendant qu’il livre mon cul aux baisers de ce jeune homme, et que, saisissant en dessous les mamelles de sa femme, il les lui tiraille au point de lui faire pousser des cris, dont l’effet est si puissant sur ses organes, qu’il en perd son foutre à l’instant.

— Tiens, Juliette, poursuivit-il, en ordonnant à ce jeune homme de rendre dans la main le foutre dont il vient de l’arroser, et en barbouillant rudement le visage de sa femme, vois comme il est pur et beau, mon sperme ! Avais-je tort de te faire adorer le dieu dont la substance est aussi belle ! Jamais celui que les sots prêtent pour moteur à l’univers n’en servit d’aussi bouillonnant… d’aussi pur… Poursuivons, Juliette, dit-il en congédiant son monde, je suis fâché d’avoir été contraint de m’interrompre.

Nous punissons le libertinage, reprit mon instituteur : Plutarque nous apprend que les Samniens se rendaient journellement, et sous la surveillance des lois, dans un lieu nommé les Jardins, et qu’ils se livraient là, pêle-mêle, à des voluptés si lascives qu’il était presque impossible de les imaginer ! En cet heureux endroit, continue l’historien, les distinctions du sexe et les liens du sang disparaissaient sous l’attrait du plaisir : l’ami devenait la femme de son ami ; la fille, la tribade de sa mère, et, plus souvent encore, le fils, la catin de son père, à côté du frère enculant sa sœur.

Nous estimons beaucoup les prémices d’une fille. Les habitants des Philippines n’en font aucun cas : il y a, dans ou îles, des officiers publics que l’on paye fort cher pour se charger du soin de dévirginer les filles, la veille de leur mariage.

L’adultère était publiquement autorisé à Sparte.

Nous méprisons les filles qui se sont prostituées : les Lydiennes, au contraire, n’étaient estimées qu’en raison de la multiplicité de leurs amants ; le fruit de leur prostitution était leur unique dot.

Les Chypriennes, pour s’enrichir, allaient se vendre publiquement à tous les étrangers débarqués dans leur île.

La dépravation des mœurs est nécessaire dans un État ; les Romains le sentirent en établissant, dans toute l’étendue de la république, des bordels de filles et de garçons, et des théâtres dont les filles dansaient toutes nues.

Les Babyloniennes se prostituaient une fois l’an, au temple de Vénus ; les Arméniennes étaient obligées de consacrer leur virginité aux prêtres du Tanaïs, qui les enculaient primitivement, et ne leur accordaient la faveur de la défloraison qu’autant qu’elles avaient courageusement soutenu les premières attaques : une défense, une larme, un mouvement, un cri venait-il à leur échapper, elles étaient privées de l’honneur des secondes, et ne trouvaient plus à se marier.

Les Canariens de Goa font souffrir à leurs filles un bien autre supplice : ils les prostituent à une idole fournie d’un membre de fer dont la grosseur est démesurée ; ils les plongent de force sur ce terrible godemiché que l’on a soin de chauffer prodigieusement ; tel est l’état d’élargissure où la pauvre enfant va chercher un mari, qui ne la prendrait pas sans cette cérémonie.

Les Caïmites, hérétiques du deuxième siècle, prétendaient que l’on n’arrivait au ciel que par l’incontinence ; ils soutenaient que chaque action infâme avait un ange tutélaire, et ils adoraient cet ange en se livrant à d’incroyables débauches.

Ewen, ancien roi d’Angleterre, avait établi par loi dans ses États qu’aucune fille ne pouvait se marier sans qu’il ne l’eût dévirginée. Dans toute l’Écosse et dans quelques parties de la France, les grands vassaux jouissaient de ce droit.

Les femmes, ainsi que les hommes, arrivent à la cruauté par le libertinage : trois cents femmes de l’Inca Atabaliba, au Pérou, se prostituèrent sur-le-champ, d’elles-mêmes, aux Espagnols, et les aidèrent à massacrer leurs propres époux.

La sodomie est générale par toute la terre ; il n’est pas un seul peuple qui ne s’y livre ; pas un grand homme qui n’y soit adonné. Le saphotisme y règne également ; cette passion est dans la nature comme l’autre ; elle se forme, au cœur de la jeune fille, dans l’âge le plus tendre, dans celui de la candeur et de l’innocence, lorsqu’elle n’a encore reçu aucune impression étrangère : elle est donc l’organe de la nature, elle est donc imprimée par sa main.

La bestialité fut universelle. Xénophon nous apprend que, pendant la retraite des Dix Mille, les Grecs ne se servaient que de chèvres. Cette habitude est encore très répandue dans toute l’Italie : le bouc est meilleur que sa femelle ; son anus, plus étroit, est plus chaud ; et cet animal, naturellement lubrique, s’agite de lui-même, dès qu’il s’aperçoit qu’on décharge : sois bien persuadée, Juliette, que je n’en parle que par expérience.

Le dindon est délicieux, mais il faut lui couper le cou à l’instant de la crise ; le resserrement de son boyau vous comble alors de volupté22.

Les Sybarites enculaient les chiens ; les Égyptiennes se prostituaient à des crocodiles, les Américaines à des ériges. On en vint enfin aux statues : tout le monde sait qu’un page de Louis XV fut trouvé déchargeant sur le derrière de la Vénus aux belles fesses. Un Grec, arrivant à Delphes pour y consulter l’oracle, trouva dans le temple deux génies de marbre, et rendit, pendant la nuit, son libidineux hommage à celui des deux qu’il avait trouvé le plus beau. Son opération faite, il le couronna de laurier, pour récompense des plaisirs qu’il en avait reçus.

Les Siamois croient non seulement le suicide permis, mais ils pensent même que se tuer soi-même est un sacrifice utile à l’âme, et que ce sacrifice lui vaut son bonheur dans l’autre monde.

Au Pégu, on tourne et retourne cinq jours de suite, sur des charbons ardents, la femme qui vient d’accoucher : c’est ainsi qu’on la purifie.

Les Caraïbes achètent les enfants dans le sein même de la mère ; ils marquent au ventre, avec du rocou, ces enfants, dès qu’ils ont vu le jour, les dépucèlent à sept ou huit ans, et les tuent communément après s’en être servis.

Dans l’île de Nicaragua, il est permis à un père de vendre ses enfants pour être immolés. Quand ces peuples consacrent leur maïs, ils l’arrosent de foutre, et dansent autour de cette double production de la nature.

On donne une femme, au Brésil, à chaque prisonnier qui va être immolé ; il en jouit ; et la femme, souvent grosse de lui, aide à le déchiqueter et participe au repas que l’on fait de sa chair.

Avant que d’être gouvernés par les Incas, les anciens habitants du Pérou, c’est-à-dire les premiers colons venus de la Scythie, qui, les premiers, peuplèrent l’Amérique, avaient l’usage de sacrifier leurs enfants à leurs dieux.

Les peuples des environs de Rio-Real substituent à la circoncision des filles, cérémonie en usage chez plusieurs nations, une coutume assez bizarre : dès qu’elles sont nubiles, ils leur enfoncent dans la matrice des bâtons garnis de grosses fourmis qui les piquent horriblement ; ils changent avec soin ces bâtons pour prolonger le supplice, qui ne dure jamais moins de trois mois et quelquefois bien davantage.

Saint Jérôme rapporte que, dans un voyage qu’il fit chez les Gaulois, il vit les Écossais manger avec délices les fesses des jeunes bergers et les tétons des jeunes filles. J’aurais plus confiance au premier de ces mets qu’au second, et je crois, avec tous les peuples anthropophages, que la chair des femmes, comme celle de toutes les femelles d’animaux, doit être fort inférieure à celle du mâle.

Les Mingréliens et les Géorgiens sont les peuples de la terre les plus beaux, et en même temps les plus adonnés à toutes sortes de luxures et de crimes, comme si la nature eût voulu nous faire connaître par là que ces écarts l’offensent si peu, qu’elle veut décorer de tous ses dons ceux qui y sont le plus adonnés. Chez eux, l’inceste, le viol, l’infanticide, la prostitution, l’adultère, le meurtre, le vol, la sodomie, le saphotisme, la bestialité, l’incendie, l’empoisonnement, le rapt, le parricide, sont des actions vertueuses et dont on se fait gloire. Se rassemblent-ils, ce n’est que pour causer entre eux de l’immensité ou de l’énormité de leurs forfaits : des souvenirs et des projets de semblables actions deviennent la matière de leurs plus délicieuses conversations, et c’est ainsi qu’ils s’excitent à en commettre de nouvelles.

Il y a un peuple, au nord de la Tartarie, qui se fait un nouveau dieu tous les jours : ce dieu doit être le premier objet que l’on rencontre en s’éveillant le matin. Si par hasard c’est un étron, l’étron devient l’idole du jour ; et, dans l’hypothèse, celui-là ne vaut-il donc pas autant que le ridicule Dieu de farine adoré par les catholiques ? L’un est déjà matière excrémentielle, l’autre le devient bientôt : en vérité, la différence est bien légère.

Dans la province de Matomba, on enferme dans une maison très obscure les enfants des deux sexes, lorsqu’ils ont atteint l’âge de douze ans ; et là, ils souffrent, en manière d’initiation, tous les mauvais traitements qu’il plaît aux prêtres de leur imposer, sans que ces enfants puissent, au sortir de ces maisons, ni rien révéler, ni se plaindre.

Quand une fille se marie à Ceylan, ce sont ses frères qui la dépucèlent : jamais son mari n’en a le droit.

Nous regardons la pitié comme un sentiment fait pour nous porter à de bonnes œuvres. Elle est, avec bien plus de raison, considérée comme un tort au Kamtchatka : ce serait, chez ces peuples, un vice capital que de retirer quelqu’un du danger où le sort l’a précipité. Ces peuples voient-ils un homme se noyer, ils passent sans s’arrêter ; ils se garderaient bien de lui donner quelque secours.

Pardonner à ses ennemis est une vertu chez les imbéciles chrétiens : c’est une action superbe, au Brésil, que de les tuer et de les manger.

Dans la Guyane, on expose une jeune fille nue à la piqûre des mouches, la première fois qu’elle a ses règles : souvent elle meurt dans l’opération. Le spectateur, enchanté, passe alors toute la journée dans la joie.

La veille des noces d’une jeune femme, au Brésil, on lui fait un grand nombre de blessures aux fesses, pour que son mari, déjà trop porté, par le sang et par le climat, à d’antiphysiques attaques, soit au moins repoussé par les flétrissures qu’on lui oppose23.

Le peu d’exemples que j’ai rapportée suffit à te faire voir, Juliette, ce que sont les vertus dont nos lois et nos religions européennes paraissent faire tant de cas, ce qu’est cet odieux fil de fraternité si préconisé par l’infâme christianisme. Tu vois s’il est ou non dans le cœur de l’homme : tant d’exécrations seraient-elles générales, si l’existence de la vertu qu’elles contrarient avait quelque chose de réel ?

Je ne cesserai de te le dire : le sentiment de l’humanité est chimérique ; il ne peut jamais tenir aux passions, ni même aux besoins, puisque l’on voit dans les sièges les hommes se dévorer mutuellement. Ce n’est donc plus qu’un sentiment de faiblesse, absolument étranger à la nature, fils de la crainte et du préjugé. Peut-on se dissimuler que ce ne soit pas la nature qui nous donne et nos besoins et nos passions ? Cependant les passions et les besoins méconnaissent la vertu de l’humanité ; donc cette vertu n’est pas dans la nature ; elle n’est plus, dès lors, qu’un pur effet de l’égoïsme, qui nous a portés à désirer la paix avec nos semblables, afin d’en jouir nous-mêmes. Mais celui qui ne craint pas les représailles ne s’enchaîne qu’avec bien de la peine à un devoir uniquement respectable pour ceux qui les redoutent. Eh ! non, non, Juliette, il n’y a point de pitié franche, point de pitié qui ne se rapporte à nous. Examinons-nous bien au moment où nous nous surprenons en commisération, nous verrons qu’une voix secrète crie au fond de nos cœurs : Tu pleures sur ce malheureux, parce que tu es malheureux toi-même, et que tu crains de le devenir davantage. Or, quelle est cette voix, si ce n’est celle de la crainte ? et d’où naît la crainte, si ce n’est de l’égoïsme ?

Détruisons donc radicalement en nous ce sentiment pusillanime : il ne peut être que douloureux, puisqu’on ne peut le concevoir que par une comparaison qui nous ramène au malheur.

Dès que ton esprit, chère fille, aura parfaitement conçu la nullité, je dis plus, l’espèce de crime qu’il y aurait à admettre l’existence de ce prétendu fil de fraternité, écrie-toi avec le philosophe : « Eh ! pourquoi balancerais-je à me satisfaire, lorsque l’action que je conçois, quelque tort qu’elle fasse à mon semblable, peut me procurer à moi le plus sensible plaisir ? Car, enfin, supposons un moment qu’en faisant cette action quelconque, je commette une injustice envers ce prochain : il arrive qu’en ne la faisant pas, j’en commets une envers moi-même. En dépouillant mon voisin de sa femme, de son héritage, de sa fille, je peux, comme je viens de le dire, commettre une injustice envers lui ; mais, en me privant de ces choses qui me font le plus grand plaisir, j’en commets une envers moi : or, entre ces deux injustices nécessaires, serai-je assez ennemi de moi-même pour ne pas donner la préférence à celle dont je peux retirer quelques chatouillements agréables ? Si je n’agis pas ainsi, ce sera par commisération. Mais si l’admission d’un tel sentiment est capable de me faire renoncer à des jouissances qui me flatteraient autant, je dois donc tout mettre en usage pour me guérir de ce sentiment pénible, tout faire pour l’empêcher d’avoir à l’avenir aucune espèce d’accès sur mon âme. Une fois que j’aurai réussi (et cela se peut en s’accoutumant par degrés au spectacle des maux d’autrui), je ne me rendrai plus qu’au charme de me satisfaire ; il ne sera plus balancé par rien, je ne craindrai plus le remords, parce qu’il ne pourrait plus être la suite que de la commisération, et elle est éteinte. Je me livrerai donc à mes penchants, sans frayeur ; je préférerai mon intérêt ou mon plaisir à des maux qui ne me touchent plus, et je sentirai que perdre un bien réel, parce qu’il en coûterait une situation malheureuse à un individu (situation dont le choc ne peut plus arriver jusqu’à moi) serait une véritable ineptie, puisque ce serait aimer cet étranger plus que moi, ce qui heurterait toutes les lois de la nature et tous les principes du bon sens. »

Que les liens de famille ne te paraissent pas plus sacrés, Juliette : ils sont tout aussi chimériques que les autres. Il est faux que tu doives quelque chose à l’être dont tu es sorti ; encore plus faux que tu doives un sentiment quelconque à celui qui est sorti de toi ; absurde d’imaginer que l’on doive à ses frères, à ses sœurs, à ses neveux et à ses nièces. Et par quelle raison le sang peut-il établir des devoirs ? Pourquoi travaillons-nous dans l’acte de la génération ? N’est-ce pas pour nous ? Que pouvons-nous devoir à notre père, pour s’être diverti à nous créer ? que pouvons-nous devoir à notre fils, parce qu’il nous a plu de perdre un peu de foutre au fond d’une matrice ; à notre frère ou à notre sœur, parce qu’ils sont sortis du même sang ? Anéantissons tous ces liens comme les autres, ils sont également méprisables.

— Ô Noirceuil ! m’écriai-je, combien de fois vous l’avez prouvé !… et vous ne voulez pas me le dire ?

— Juliette, me répondit cet aimable ami, de tels aveux ne peuvent être la récompense que de votre conduite ; je vous ouvrirai mon cœur, quand je vous croirai vraiment digne de moi : vous avez quelques épreuves à subir avant.

Et le valet de chambre étant venu l’avertir que le ministre dont il était l’ami intime, l’attendait au salon, nous nous séparâmes.

Je ne tardai pas à placer le plus avantageusement possible les soixante mille francs dérobés chez Mondor. Quelque sûre que je dusse être de l’approbation de Noirceuil, comme le vol ne pouvait se raconter sans l’épisode de l’infidélité, et que d’ailleurs mon amant pourrait craindre de moi les mêmes lésions sur ses propriétés, je jugeai plus prudent de ne rien dire, et ne m’occupai que de nouveaux moyens d’augmenter, par les mêmes voies, la masse de mes revenus. Une autre partie chez la Duvergier m’en fournit bientôt l’occasion.

Il s’agissait d’aller, moi quatrième, chez un homme dont la manie, aussi cruelle que voluptueuse, consistait à fouetter des filles. Trois créatures charmantes s’étaient réunies à moi, au café de la porte Saint-Antoine, pour aller ensemble, dans une voiture que nous devions trouver là, chez le duc Dennemar, à sa délicieuse maison de Saint-Maur. Rien n’était frais, rien n’était joli comme les filles qui me joignirent au rendez-vous : la plus âgée n’avait pas dix-huit ans, on la nommait Minette ; elle me plaisait au point que je ne pus tenir à l’accabler des plus voluptueuses caresses ; il y en avait une de seize, l’autre de quatorze. Très difficile dans le choix de ses victimes, j’appris, de la femme qui nous conduisait, que j’étais la seule courtisane des quatre ; ma jeunesse, ma beauté, avaient engagé le duc à franchir les règles qu’il s’était imposées de ne jamais voir de femmes du monde. Mes compagnes étaient de jeunes ouvrières en mode, entièrement étrangères à ces parties ; filles honnêtes, bien élevées, et seulement séduites par les grosses sommes que donnait le duc et par l’assurance que, se bornant à la fustigation, il n’attenterait pas à leur virginité : nous avions cinquante louis chacune, vous allez voir si nous les gagnâmes.

Introduites toutes quatre dans un appartement magnifique, notre conductrice nous dit d’attendre, tout en nous déshabillant, les ordres qu’il plairait à monseigneur de nous signifier.

Ce fut alors que je pus examiner à loisir les grâces naïves, les charmes délicats et doux de mes trois jeunes camarades. Rien n’était aussi svelte que leur taille, rien de frais comme leur gorge, rien d’appétissant comme leurs cuisses, rien de potelé, rien de mignon comme leurs trois charmants derrières. Je dévorai ces filles des plus tendres baisers, et surtout Minette ; elles me les rendirent avec une naïveté qui me fit décharger dans leurs bras. Il y avait près de trois quarts d’heure qu’en attendant l’époque des désirs de monseigneur le duc, nous nous livrions en folâtrant à toute l’impétuosité des nôtres, lorsqu’un beau et grand laquais, presque nu, vint nous prévenir que nous allions paraître, mais qu’il fallait que la plus âgée commençât. Cet ordre me plaçant au troisième rang, je pénétrai, quand ce fut mon tour, au sanctuaire des plaisirs de ce nouveau Sardanapale ; et ce que je vais vous raconter est absolument semblable à ce qu’avaient éprouvé mes compagnes.

Le cabinet où le duc nous reçut était rond, absolument environné de glaces ; au milieu, était un tronçon de colonne de porphyre d’environ dix pouces de hauteur. On me fit monter sur un piédestal ; le valet de chambre, qui nous avertissait et qui servait les plaisirs de son maître, lia mes deux pieds à des anneaux de bronze, à dessein placés sur ce bloc ; il éleva ensuite mes bras, les attacha à un cordon qui les contint le plus élevés possible. Seulement alors, le duc m’approcha ; il avait été jusqu’à ce moment couché sur un canapé, où il se branlait légèrement le vit. Totalement nu de la ceinture en bas, un simple gilet de satin brun lui couvrait le buste ; ses bras étaient à découvert ; sous le gauche était une poignée de verges, minces et flexibles, renouées d’un ruban noir. Le duc, âgé de quarante ans, avait une physionomie très dure, et il me parut que son moral n’était guère plus tendre que son physique.

— Lubin, dit-il à son valet, celle-ci me paraît mieux que les autres, son cul plus rond, sa peau plus fine, sa figure plus intéressante ; je la plains, elle n’en souffrira que davantage.

Et, en disant cela, le vilain, approchant son museau de mon derrière, baisa d’abord et mordit ensuite. Je jette un cri.

— Ah ! ah ! vous êtes sensible, à ce qu’il me paraît ! Tant pis, car vous n’êtes pas au bout.

Et je sentis alors ses ongles crochus s’imprimer vivement dans mes fesses et m’arracher la peau en deux ou trois endroits. De nouveaux cris que je poussai ne firent qu’animer ce scélérat qui, portant alors deux de ses doigts dans l’intérieur du vagin, ne les retire qu’avec la peau qu’il déchire dans ce lieu sensible.

— Lubin, disait-il alors, en montrant ses doigts pleins de sang au valet, cher Lubin, je triomphe ! j’ai de la peau du con.

Et il la mit sur la tête du vit de Lubin, qui bandait assez bien alors. Ce fut en cet instant qu’il ouvrit une petite armoire déguisée par des glaces ; il en sortit une longue guirlande de feuilles vertes ; j’ignorais et l’usage qu’il allait en faire, et de quelle plante elle était formée. Hélas ! à peine l’eut-il approchée de moi, que je ne tardai pas à m’apercevoir qu’elle était d’épines. Aidé du cruel agent de ses plaisirs, il me la passe et repasse trois ou quatre fois autour du corps, et finit par l’y fixer d’une manière très pittoresque, mais en même temps fort douloureuse, puisqu’elle déchirait absolument tout mon corps et principalement mon sein, sur lequel il la pressait avec la plus féroce affectation. Mais mes fesses, destinées à une autre fête, ne participaient nullement à cette maudite parure ; bien dégagées de partout, elles offraient sans obstacle à ce libertin toutes les chairs que devaient parcourir ses verges.

— Nous allons commencer, me dit Dennemar, dès qu’il me vit en l’état qu’il désirait ; je vous exhorte à un peu de patience, car ceci pourra bien être long.

Dix coups de verges assez légers deviennent les avant-coureurs du terrible orage qui va molester mon cul.

— Allons, sacredieu ! plus de ménagements ! s’écria-t-il alors. Et d’un bras vigoureux flagellant mes deux fesses, il m’en applique plus de deux cents coups de suite, et sans arrêter. Pendant l’opération, son valet, à genoux devant lui, tâchait, en le suçant, d’exprimer le venin qui rendait cette bête aussi méchante ; et, tout en flagellant, le duc criait de toutes ses forces :

Ah ! la bougresse… la garce !… Oh ! combien je déteste les femmes ! que ne puis-je les exterminer toutes à coups de verges ?… Elle saigne… elle saigne enfin… Ah, foutre ! elle saigne… Suce, Lubin, suce ! je suis heureux, je vois le sang.

Et approchant sa bouche de mon derrière, il recueillit précieusement ce qu’il voyait couler avec tant de délices ; puis, continuant :

— Mais tu le vois, Lubin, je ne bande pas, et il faut que je fouette jusqu’à ce que je bande, et, depuis que je bande, jusqu’à ce que je décharge… Allons, allons ! la putain est jeune, elle l’endurera !

La sanglante cérémonie recommence ; mais ici les épisodes changent : Lubin ne suce plus son maître ; armé d’un nerf de bœuf, il lui rend au centuple les coups nerveux que j’en reçois. Je suis en sang, il ruisselle sur mes cuisses, je le vois rougir le piédestal ; pressée par les épines, déchirée par les verges, il me devient impossible de pouvoir dire en quelle partie de mon corps les douleurs se font éprouver avec le plus d’empire, lorsque le bourreau, las de supplices et se rejetant sur le canapé tout en écumant de luxure, ordonne enfin qu’on me détache. J’arrive à lui, chancelante.

— Branlez-moi, me dit-il, en baisant les vestiges de sa cruauté… ou plutôt, non… branlez Lubin ; j’aime mieux le voir décharger que de décharger moi-même, et, d’ailleurs, quelque jolie que vous soyez, je doute que vous en veniez à bout.

Lubin s’empare aussitôt de moi ; j’avais encore la funeste guirlande ; le barbare, à dessein, la presse sur ma peau, pendant que je le pollue ; sa position était telle, que, s’il cédait aux molles agitations de mon poignet, le foutre s’élançait sur le visage de son maître, qui, tout en continuant de me presser, de me pincer le derrière, se branlait légèrement tout seul : l’effet a lieu, le valet décharge, toute la figure du maître est couverte de sperme. Le sien seul refuse de s’y joindre ; il le réserve pour une scène plus lubrique : vous en allez entendre les détails.

— Sortez, me dit-il dès que Lubin eut fait, il faut que je fasse passer votre quatrième compagne avant que je ne vous rappelle.

On ouvre, et je vois celles qui m’avaient précédée dans une pièce voisine… Mais, juste ciel, dans quel état !… Il était pis que le mien : leurs corps si jolis, si blancs, si délicieux, faisaient maintenant horreur à regarder ; les malheureuses pleuraient, se repentaient d’avoir accepté une telle partie ; et moi, plus fière, plus ferme et plus vindicative, je ne pensais qu’au dédommagement. Une porte entrebâillée me laisse voir la chambre à coucher du duc : j’y pénètre hardiment. Trois objets se présentent aussitôt à ma vue : une très grosse bourse d’or, un superbe diamant et une fort belle montre. J’ouvre précipitamment la fenêtre, je m’aperçois qu’elle donne au-dessus d’un petit cabinet d’aisances formant un angle avec la muraille, et que le tout est situé près de la porte par laquelle nous sommes entrées. J’enlève lestement un de mes bas de dessous, j’entortille ces trois objets dedans, et je laisse tomber le tout sur un arbuste placé dans l’angle dont je viens de parler ; les feuilles cachent le dépôt, et je reviens à mes compagnes. À peine les avais-je rejointes, que Lubin venait nous chercher : c’était avec les quatre victimes réunies que le grand prêtre allait consommer le sacrifice. La plus jeune était déjà fustigée, et il nous sembla que son cul n’avait pas été plus ménagé que les nôtres ; elle était en sang. Le piédestal n’y était plus ; Lubin nous couche à plat ventre, toutes les quatre, au milieu du cabinet ; il nous entrelace avec tant d’art, qu’on ne voyait que nos huit fesses… je vous laisse à penser dans quel état. Le duc s’approche de ce groupe, son valet le branle d’une main, pendant qu’il distille, de l’autre, de l’huile bouillante sur nos culs ; heureusement, la crise n’est pas longue.

Brûlez donc, brûlez donc ! s’écriait le duc, en mêlant son foutre à la liqueur enflammée qui nous calcinait, brûlez donc ces putains-là… je décharge.

Et nous nous relevâmes dans un état que vous peindrait mieux le chirurgien, qui fut dix jours à faire disparaître les marques de cette abominable scène, et qui y réussit d’autant plus facilement avec moi que, par un hasard très heureux, il ne m’était tombé sur le derrière que deux ou trois gouttes de cette huile brûlante, dont la plus jeune de mes compagnes, par méchanceté sans doute, se trouvait entièrement couverte.

Quelle que fût ma situation, je ne perdis pas la tête en descendant, et, volant au coin où j’avais laissé tomber mon trésor, je m’emparai promptement de ce qui devait me dédommager des maux qu’on m’avait fait souffrir.

Descendue chez la Duvergier, je la grondai vivement de m’avoir exposée à une telle avanie : le devait-elle, sachant que j’étais richement entretenue ? Et lui ayant enfin déclaré qu’il ne me plaisait plus de m’immoler à sa rapacité, je me retirai chez moi, en faisant dire à Noirceuil que j’étais malade et que je le priais de me laisser tranquillement garder ma chambre pendant quelques jours. Noirceuil, nullement amoureux, encore moins sensible, et fort peu inquiet, ne parut point ; sa femme, plus douce et plus politique, vint me voir deux fois, mais sans s’attendrir sur mon compte. Le dixième jour, tout avait si bien disparu, que j’étais plus fraîche qu’avant. Je jetai alors les yeux sur ma prise : il y avait trois cents louis dans la bourse, le diamant valait cinquante mille francs, la montre mille écus. Je plaçai cette nouvelle somme comme l’autre, et me trouvant, par la réunion des deux, près de douze mille livres de rente, je crus qu’il était temps de travailler un peu pour moi-même et que le rôle de jouet de l’avarice des autres ne convenait plus à ma petite fortune.

Un an se passa de la sorte, pendant lequel je fis quelques parties pour mon compte, mais dans lesquelles le hasard n’offrit plus à mon adresse les mêmes moyens de se signaler ; d’ailleurs, toujours écolière de Noirceuil, toujours plastron de ses débauches, toujours détestée de sa femme.

Quoique nous vécussions dans l’indifférence, Noirceuil qui, sans m’aimer, faisait le plus grand cas de ma tête, continuait de me payer fort cher ; j’étais entretenue de tout, et vingt-quatre mille francs par an pour mes plaisirs ; joignez à cela la rente de douze mille que je m’étais faite, et vous jugerez de mon aisance. Me souciant assez peu d’hommes, c’était avec deux femmes charmantes que je satisfaisais mes désirs ; deux de leurs compagnes se mêlaient quelquefois à nous : il n’y avait sortes d’extravagances que nous n’exécutions alors.

Un jour, une des amies de celle de mes femmes que j’aimais le mieux me supplia de m’intéresser pour un de ses parents auquel il était arrivé une aventure assez désagréable. Il ne s’agissait, disait-elle, que de dire un mot à mon amant dont le crédit près du ministre arrangerait tout aussitôt ; le jeune homme, si je le voulais, viendrait lui-même me conter son histoire. Entraînée, ici, comme malgré moi, par le désir de faire un heureux, fatal désir dont la main de la nature, qui ne m’avait pas créée pour la vertu, eut bientôt soin de me punir, j’accepte ; le jeune homme paraît : Dieu ! quelle est ma surprise en reconnaissant Lubin. Je fais ce que je puis pour déguiser mon trouble. Lubin m’assure qu’il n’est plus chez le duc ; il me bâtit un roman qui n’a ni queue ni tête ; je lui promets de le servir ; le traître sort content, dit-il, de m’avoir retrouvée, depuis un an qu’il ne cessait de me chercher. Quelques jours s’écoulèrent sans que j’entendisse parler de rien ; je m’étourdissais sur la malheureuse suite que pouvait avoir cette rencontre, je marquais même mon ressentiment contre l’amie de ma femme de chambre qui m’avait engagée dans ce piège, quoique je ne me doutasse pas si c’était, ou non, par méchanceté, lorsque, sortant un soir de la Comédie-Italienne, six hommes arrêtent ma voiture, contiennent mes gens, me font descendre avec ignominie, et me précipitent dans un fiacre, en criant au cocher : À l’hôpital !

Ô ciel ! me dis-je, je suis perdue ! Mais me remettant aussitôt :

— Messieurs, m’écriai-je, ne vous trompez-vous point ?

— Je vous demande pardon, mademoiselle, nous nous trompons, me répondit un de ces scélérats que je reconnus bientôt pour Lubin lui-même, nous nous trompons, sans doute, car c’est à la potence que nous devrions vous mener ; mais si, jusqu’à de plus amples informations, la police en ne vous envoyant qu’à l’hôpital veut bien, par égard pour M. de Noirceuil, ne pas vous donner tout de suite ce qui vous est dû, nous espérons que ce ne sera qu’un léger retard.

— Eh bien, dis-je avec effronterie, nous le verrons ! Prenez garde, surtout, que je ne fasse bientôt repentir ceux qui, se supposant un instant les plus forts, osent m’attaquer avec tant d’audace.

On me jette dans un cachot obscur, où, pendant trente-six heures, je ne vis absolument que des geôliers.

Peut-être serez-vous bien aise, mes amis, de savoir quel était ici l’état de mon intérieur ; je vais vous l’ouvrir avec franchise. Calme comme dans la fortune, désespérée de me voir dupe pour avoir un instant écouté la vertu, résolue… profondément déterminée à ne plus lui laisser nul accès dans mon cœur ; quelque chagrin, peut-être, de voir en un instant échouer ma fortune ; mais pas un remords… pas une seule résolution d’être plus sage, si j’étais rendue à la société ; pas le plus petit projet de me rapprocher de la religion, si je devais mourir. Voilà mon âme toute nue. Je ressentais pourtant quelques petites inquiétudes… N’en avais-je donc point, quand j’étais sage ! Ah ! que m’importe ? J’aime mieux ne pas être pure et sentir ces légères atteintes ; j’aime mieux m’être livrée au vice, que de me trouver stupidement tranquille au sein d’une innocence que je déteste… Ô crime ! oui, tes serpents mêmes sont des jouissances : c’est par leurs aiguillons qu’ils préparent l’embrasement divin dont tu consumes tes sectateurs ; tous ces tressaillements sont des plaisirs ; il faut que des âmes comme les nôtres soient agitées ; il leur est impossible de l’être par la vertu, elles l’ont trop en horreur : que ce soit donc par tes délicieux égarements… Ô divins écarts de la vie ! Oui, oui, que l’on m’y rende ; que de nouveaux délits s’offrent à moi, et l’on verra comment j’y volerai ! Telles étaient mes réflexions ; vous voulez les savoir, je vous les trace : en quels seins seraient-elles mieux confiées que dans ceux de mes meilleurs amis ?

J’étais au milieu du second jour de cette terrible détention, lorsque j’entendis ouvrir ma porte avec grand tapage.

— Ô Noirceuil ! m’écriai-je en reconnaissant mon amant, quel dieu vous amène à moi ! Et comment, après tous mes torts, pourrais-je encore vous intéresser ?

— Juliette, me dit Noirceuil dès qu’on nous eut laissés tête à tête, la manière dont nous vivons ensemble ne me met nullement dans le cas d’avoir aucun reproche à vous faire ; vous étiez libre : l’amour n’entrait pour rien dans nos arrangements ; il n’était question que de confiance. Quelque analogie qu’il y eût entre ma façon de penser et la vôtre, vous avez cru devoir me refuser cette confiance, rien n’est encore plus simple ; mais, ce qui ne l’est point, c’est que vous soyez punie pour une bagatelle comme celle qui vous a fait arrêter. Mon enfant, j’aime votre tête, vous le savez, il y a longtemps que je vous l’ai dit, et je servirai toujours ses écarts, tant qu’ils seront analogues aux miens. Ne croyez pas que ce soit ni par sentiment, ni par commisération que je vienne briser vos fers ; vous me connaissez assez pour être bien persuadée que je ne puis être mû ni par l’une, ni par l’autre de ces deux faiblesses. Je n’ai agi ici que par égoïsme, et je vous jure que si je bandais mieux à vous voir pendre qu’à vous retirer, je ne balancerais pas une minute. Mais votre société me plaît, j’en serais privé si vous étiez pendue ; d’ailleurs, vous aviez mérité de l’être, vous alliez l’être, et voilà des droits bien puissants sur mon âme ; je vous aimerais mieux, si vous eussiez mérité la roue… Suivez-moi, vous êtes libre… Point de reconnaissance surtout, je l’abhorre.

Et voyant que j’allais m’y livrer malgré moi :

— Puisqu’il en est ainsi, Juliette, reprit vivement Noirceuil, vous ne sortirez pas d’ici que je ne vous aie prouvé l’absurdité du sentiment auquel la faiblesse de votre cœur paraît vous emporter en dépit de vous.

Puis, me forçant à m’asseoir et se plaçant près de moi :

— Chère fille, me dit-il, tu sais que je ne veux perdre aucune occasion de former ton cœur et d’éclairer ton esprit ; laisse-moi donc t’apprendre ce que c’est que la reconnaissance.

On appelle reconnaissance, Juliette, le sentiment du retour accordé à un bienfait. Or, je demande quel est le motif de celui qui accorde un bienfait ? Agit-il pour lui, ou pour nous ? S’il agit pour lui, tu m’avoueras que nous ne lui devons rien, et si c’est pour nous, l’empire qu’il prend dès lors, loin d’exciter en nous de la reconnaissance, ne pourra plus y faire naître que de la jalousie : il a blessé notre orgueil. Mais quel est son but en nous obligeant ? Comment ne le pas voir tout de suite ? celui qui oblige, celui qui sort de sa poche cent louis pour les donner à un homme qui souffre, n’a nullement agi pour le bonheur de cet infortuné. Qu’il descende au fond de son cœur : il verra qu’il n’a fait que flatter son orgueil, qu’il n’a travaillé que pour lui, soit en trouvant un plaisir intellectuel plus flatteur à donner ces cent louis à un pauvre qu’à les garder lui-même, soit en imaginant que la publicité de cet acte lui établirait une réputation : mais dans tous les cas, je ne vois que de l’égoïsme. Dites-moi donc maintenant ce que je dois à un homme qui n’a travaillé que pour lui. Parvinssiez-vous à me prouver qu’il n’a eu en vue que l’homme qu’il oblige, en agissant comme il l’a fait, que son action est secrète, qu’elle n’éclatera jamais, qu’il ne peut avoir eu aucun plaisir à donner ces cent louis, puisqu’il est, au contraire, dérangé par ce don, et qu’en un mot, son action est tellement désintéressée qu’on n’y peut démêler l’égoïsme : à cela je vous répondrai d’abord que c’est impossible, et qu’en analysant bien l’action de ce bienfaiteur, nous y démêlerons toujours, pour son compte, quelque jouissance secrète qui en diminuera le prix ; mais qu’à supposer même que le désintéressement que vous admettez soit complet, vous ne seriez jamais dans le cas de la reconnaissance, puisque cet homme, par son action, en s’élevant au-dessus de vous, afflige votre orgueil et fait, par ce procédé, ressentir des mortifications à un sentiment dont les offenses ne se pardonnent jamais. De ce moment, cet homme, quelque chose qu’il ait faite pour vous, n’acquiert de droit, si vous êtes juste, qu’à votre perpétuelle antipathie ; vous profiterez de son service, mais vous détesterez celui qui vous le rend ; son existence vous pèsera, vous ne le verrez jamais sans rougir. Si on vous apprend sa mort, vous vous en réjouirez intérieurement, il vous semblera être dégagé d’un poids… d’une servitude ; et l’assurance d’être délivré d’un être aux yeux duquel vous ne pouviez plus paraître sans une espèce de honte deviendra nécessairement une jouissance : que dis-je ? si votre âme est vraiment indépendante et fière, peut-être irez-vous bien plus loin, peut-être le devrez-vous, même… Oui, vous irez jusqu’à détruire cette existence qui vous gêne ; vous vous débarrasserez de la vie de cet homme comme d’un fardeau qui vous fatigue ; et loin que le service rendu ait fait naître dans vous de l’amitié, pour ce bienfaiteur, il n’aura, comme on voit, produit que la haine la plus implacable. Oh ! combien cette réflexion doit prouver, Juliette, le ridicule et le danger de rendre des services aux hommes ! Après ma manière d’analyser la reconnaissance, vois, ma chère, si je veux de la tienne, et si je ne dois pas me garder, au contraire, de me mettre, vis-à-vis de toi, dans le cas du service rendu. Je te répète donc qu’en brisant tes liens, je ne fais rien pour toi : c’est pour moi seul que j’agis, absolument. Partons.

Dès que nous fûmes au greffe, Noirceuil prit la parole.

— Monsieur, dit-il à l’un des juges, cette demoiselle, en recouvrant sa liberté, n’a pas dessein de vous dissimuler le nom de celle qui a commis le vol dont on accusait injustement mon amie : c’est, vient-elle de m’assurer, une des trois filles qui l’avaient accompagnée chez M. Dennemar. Parlez, Juliette, vous souvient-il du nom de cette fille !

— Oui, vraiment, monsieur, répondis-je en saisissant au mieux le perfide Noirceuil, c’était la plus jolie des trois, elle a dix-huit à dix-neuf ans, on la nomme Minette.

— C’est tout ce que nous demandions, mademoiselle, dit l’homme de loi ; revêtirez-vous votre déposition des formes du serment ?

— Sans doute, monsieur, répondis-je.

Et levant la main vers le crucifix :

— Je jure et proteste, dis-je à haute et intelligible voix, et fais devant Dieu le serment sacré que la nommée Minette est seule coupable du vol fait chez M. Dennemar.

Nous sortîmes et montâmes promptement en voiture.

— Eh bien, Juliette, me dit mon amant, sans moi tu ne commettais pas cette petite méchanceté ! Je te connaissais assez pour être bien sûr qu’il était inutile de te mettre dans la confidence, et que tu m’entendrais au premier mot. Baise-moi, mon ange… J’aime à sucer cette bouche faussaire. Ah ! tu t’es conduite comme un dieu. Minette sera pendue, et il est délicieux, quand on est coupable, non seulement de se tirer d’affaire, mais de faire même périr l’innocent à sa place.

— Ô Noirceuil, m’écriais-je, que je t’aime ! Tu étais le seul être qui me convînt au monde ; tu vas me donner des regrets de t’avoir manqué.

— Va, Juliette, tranquillise-toi, me répondit Noirceuil ; je te fais grâce des remords du crime : je n’exige de toi que ceux de la vertu. Il ne fallait rien me cacher, poursuivit mon amant pendant qu’on nous ramenait à l’hôtel ; je ne t’empêche point de faire des parties, si l’avarice ou le libertinage t’y porte : tout ce qui prend sa source dans de tels vices est étonnamment respectable pour moi ; mais tu devrais prendre garde aux connaissances de la Duvergier : elle ne voit, elle ne fournit que des libertins dont les passions cruelles pouvaient t’entraîner à ta perte. Si tu m’avais confié tes goûts, je t’aurais fait faire moi-même des parties très chères où les dangers eussent été minces et où tu aurais pu voler tout à ton aise ! Car il n’y a rien de si simple que de voler, c’est une des fantaisies les plus naturelles à l’homme ; moi qui te parle, je l’ai eue très longtemps ; je ne m’en suis corrigé qu’en faisant pis. Rien ne guérit des petits vices comme les grands crimes ; plus on ballotte la vertu, plus on s’accoutume à l’outrager ; et ce n’est plus alors qu’aux plus grandes offenses que la volupté nous chatouille. Vois combien tu as perdu, Juliette : ignorant tes caprices, je t’ai refusée à cinq ou six de mes amis qui brûlaient de t’avoir et chez lesquels tu en aurais été quitte en présentant le cul. Au reste, poursuivit Noirceuil, rien de tout cela ne se serait su sans ce maudit Lubin qui, soupçonné par son maître, avait juré de faire sur ce vol les plus exactes perquisitions. Mais tu es vengée, mon ange, nous l’avons fait mettre hier à Bicêtre pour le reste de ses jours. Il est essentiel que tu saches que c’est au ministre Saint-Fond, mon ami, que tu dois ta délivrance et l’anéantissement de cette affaire. Tout était dit : demain l’on t’accrochait. Vingt-deux témoins déposaient : y en eût-il eu cinq cents, notre crédit ne les eût pas craints ; ce crédit est immense, Juliette, et nous sommes sûrs, Saint-Fond et moi, ou d’arracher à l’instant de l’échafaud le plus grand scélérat de la terre, ou d’y faire monter le plus vertueux des hommes. Voilà ce qu’on gagne sous le règne des princes imbéciles. Tout ce qui les entoure les mène, et les plats automates, en croyant gouverner par eux-mêmes, ne régissent que par nos passions. Nous pouvions nous venger de Dennemar, je suis muni de tout ce qu’il faut pour cela ; mais il est aussi libertin que nous, ses caprices te l’ont prouvé ; n’attaquons jamais ceux qui nous ressemblent. Le duc sait qu’il a eu tort de se conduire comme il l’a fait ; il en est tout honteux aujourd’hui, il t’abandonne le vol, et te reverra même avec plaisir ; il a demandé seulement qu’on en pendît une : le voilà content, et nous aussi. Je ne te conseille pas de revoir ce vieil avare ; nous savons qu’il ne te désire que pour obtenir de toi la grâce de Lubin ; mais ne te mêle pas de cela. J’ai eu ce Lubin à mon service, il me foutait très mal, me coûtait fort cher ; je m’en dégoûtai au point que j’ai déjà voulu le faire enfermer plusieurs fois ; nous le tenons, qu’il y reste. Quant au ministre, il veut te voir ; je te donne ce soir à souper avec lui ; c’est un homme excessivement libertin… Des goûts, des fantaisies… des passions, infiniment de vices. Je n’ai pas besoin de te recommander la plus extrême soumission : c’est la seule manière de lui prouver cette reconnaissance dont tu voulais à tort répandre les effets sur moi…

— Mon âme se moule sur la tienne, Noirceuil, dis-je avec sang-froid ; je ne te remercie point, dès que tu me prouves que tu n’as agi que pour toi, et il me semble que je t’aimerai beaucoup plus, n’étant obligée de te rien devoir. Quant à la soumission que tu me demandes, elle sera entière, dispose de moi, je t’appartiens ; comme femme je me mets à ma place, je sais que la dépendance est mon lot.

— Non, pas absolument, me dit Noirceuil ; l’aisance dont tu jouis, ton esprit et ton caractère te sortent absolument de cet esclavage. Je n’y soumets que les femmes-épouses ou les putains, et, en cela, je suis les lois de la nature, qui, comme tu le vois, ne permet à ces êtres-là que de ramper. L’esprit, les talents, la richesse et le crédit sortent de la classe des faibles ceux que la nature y fit naître ; et du moment qu’ils entrent dans celle des forts, tous les droits de ceux-ci, la tyrannie, l’oppression, l’impunité, et l’entier exercice de tous les crimes, leur deviennent entièrement permis. Je veux que tu sois femme et esclave avec mes amis et moi, despote avec tous les autres… et de ce moment-ci, je te jure de t’en fournir les moyens. Juliette, il faut un petit dédommagement à tes trente-six heures de prison… Friponne, je te connais déjà douze mille livres de rente, tu m’avais caché tout cela : n’importe, je l’ai su ; je t’en fais dix demain, et le ministre m’a chargé de te remettre ce brevet-ci : c’est une pension de mille écus sur les hôpitaux ; les malades auront quelques bouillons de moins, et toi quelques pompons de plus, tout cela revient au même. Te voilà donc à la tête de vingt-cinq mille livres de rente, sans compter tes appointements qui te seront toujours exactement payés. Eh bien ! mon cœur, tu vois que les suites du crime ne sont pas toujours malheureuses, le projet d’une vertu, celui d’obliger Lubin, t’a plongée dans le fond des cachots ; le vol de chez Dennemar décide et motive ta fortune : ose balancer maintenant ! Ah ! commets des crimes tant que tu voudras ! nous connaissons à présent ta tête, nous nous amuserons de ses écarts, et nous t’en promettons l’impunité.

— Oh ! Noirceuil, quelle injustice dans les lois humaines ! Gode innocente gémit dans un cachot ; Juliette coupable en sort, couverte des dons de la fortune.

— Tout cela est dans l’ordre, ma fille, me répondit Noirceuil ; l’infortune est le jouet de la prospérité ; elle lui est asservie par les lois de la nature ; il faut que le faible soit la pâture du fort. Jette les yeux sur l’univers ; dans toutes les lois qui le régissent, tu trouveras de pareils exemples : la tyrannie et l’injustice, comme seuls principes de tous les désordres, doivent être les premières lois d’une cause qui n’agit que par des désordres.

— Oh ! mon ami, dis-je dans l’enthousiasme, en légitimant à mes yeux tous ces crimes, en me donnant, comme tu le fais, les moyens de m’y plonger, tu places mon âme dans un état de délices, dans un trouble, dans un délire qu’aucune expression ne rendrait. Et tu ne veux pas que je te remercie ?

— Tu ne me dois rien, encore une fois ; j’aime le mal, je lui soudoie des agents : tu vois bien que je ne suis qu’égoïste ici, comme dans toutes les autres occasions de ma vie.

— Mais il faudra que je reconnaisse tout ce que tu fais pour moi.

— En commettant beaucoup de forfaits, et en ne m’en cachant aucun.

— T’en cacher, jamais ! ma confiance sera tout entière ; tu seras maître de mes pensées comme de ma vie ; il ne naîtra dans mon cœur aucun désir qui ne te soit communiqué, aucune jouissance que tu ne partages… Mais, Noirceuil, j’ai encore une grâce à te demander : l’amie de celle de mes femmes qui m’a trahie en me présentant ce Lubin excite puissamment ma vengeance ; je veux qu’en arrivant tu la fasses punir.

— Donne-moi son nom et son adresse, dit Noirceuil, je te la garantis demain à l’hôpital pour le reste de ses jours.

Nous descendîmes à l’hôtel.

— Voilà Juliette, dit Noirceuil en me présentant à sa femme, dont l’air fut froid et composé. Cette charmante créature, poursuivit mon amant, avait été victime de la calomnie ; c’est la plus honnête fille du monde, et je vous prie, madame, de lui continuer les égards que vous lui devez à plus d’un titre.

Ô ciel ! me dis-je, dès que, rétablie dans mon voluptueux appartement, je jetai les yeux sur l’heureuse situation dont j’allais jouir… sur l’immense revenu dont je devenais maîtresse, ô ciel ! quelle vie je vais mener ! Fortune, sort, Dieu, agent universel, qui que tu sois enfin, si c’est ainsi que tu traites ceux qui se livrent aux délits, comment ne suivrait-on pas cette carrière ? Ah ! c’en est fait, je n’en parcourrai jamais d’autres. Égarements divins qu’on ose appeler crimes, vous serez désormais mes seuls dieux, mes uniques principes et mes lois ; je ne chérirai plus que vous dans le monde !

Mes femmes m’attendaient pour me mettre au bain. J’y passai deux heures, autant à ma toilette, et fraîche comme la rose, je parus au souper du ministre, plus belle, à ce qu’on m’assura, que l’astre même dont d’infâmes coquins m’avaient privée deux jours.



Tome sixième



M. de Saint-Fond était un homme d’environ cinquante ans : de l’esprit, un caractère bien faux, bien traître, bien libertin, bien féroce, infiniment d’orgueil, possédant l’art de voler la France au suprême degré, et celui de distribuer des lettres de cachet au seul désir de ses plus légères passions. Plus de vingt mille individus de tout sexe et de tout âge gémissaient, par ses ordres, dans les différentes forteresses royales dont la France est hérissée ; et parmi ces vingt mille êtres, me disait-il un jour plaisamment, je te jure qu’il n’en est pas un seul de coupable. D’Albert, premier président du parlement de Paris, était également du souper ; ce ne fut qu’en entrant que Noirceuil m’en prévint.

— Tu dois, me dit-il, les mêmes égards à ce personnage-ci qu’à l’autre ; il n’y a pas douze heures qu’il était maître de ta vie, tu sers de dédommagement aux égards qu’il a eus pour toi ; pouvais-je le mieux acquitter ?

Quatre filles charmantes composaient, avec Mme de Noirceuil et moi, le sérail offert à ces messieurs. Ces créatures, pucelles encore, étaient du choix de la Duvergier. On nommait Églée la plus jeune, blonde, âgée de treize ans et d’une figure enchanteresse. Lolotte suivait, c’était la physionomie de Flore même ; on ne vit jamais tant de fraîcheur ; à peine avait-elle quinze ans. Henriette en avait seize, et réunissait à elle seule plus d’attraits que les poètes n’en prêtèrent jamais aux trois Grâces. Lindane avait dix-sept ans ; elle était faite à peindre, des yeux d’une singulière expression, et le plus beau corps qu’il fût possible de voir.

Six jeunes garçons, de quinze ans, nous servaient nus et coiffés en femmes : chacun des libertins qui composaient le souper avait, ainsi que vous le voyez par cet arrangement, quatre objets de luxure à ses ordres : deux femmes et deux garçons. Comme aucun de ces individus n’était encore dans le salon lorsque j’y parus, d’Albert et Saint-Fond, après m’avoir embrassée, cajolée, louée pendant un quart d’heure, me plaisantèrent sur mon aventure.

— C’est une charmante petite scélérate, dit Noirceuil, et qui, par la soumission la plus aveugle aux passions de ses juges, vient les remercier de la vie qu’elle leur doit.

— J’aurais été bien fâché de la lui ôter, dit d’Albert : ce n’est pas pour rien que Thémis porte un bandeau ; et vous m’avouerez que, quand il s’agit de juger de jolis petits êtres comme ceux-là, nous devons toujours l’avoir sur les yeux.

— Je lui promets pour sa vie l’impunité la plus entière, dit Saint-Fond ; elle peut faire absolument tout ce qu’elle voudra, je lui proteste de la protéger dans tous ses écarts et de la venger, comme elle l’exigera, de tous ceux qui voudraient troubler ses plaisirs, quelque criminels qu’ils puissent être.

— Je lui en jure autant, dit d’Albert ; je lui promets, de plus, de lui faire avoir demain une lettre du chancelier qui la mettra à l’abri de toutes les poursuites qui, par tel tribunal que ce soit, pourraient être intentées contre elle dans toute l’étendue de la France. Mais, Saint-Fond, j’exige quelque chose de plus ; tout ce que nous faisons ici n’est qu’absoudre le crime, il faut l’encourager : je te demande donc des brevets de pensions pour elle, depuis deux mille francs jusqu’à vingt-cinq, en raison du crime qu’elle commettra.

— Juliette, dit Noirceuil, voilà je crois de puissants motifs, et pour donner à tes passions toute l’extension qu’elles peuvent avoir, et pour ne nous cacher aucun de tes écarts. Mais il en faut convenir, messieurs, poursuivit aussitôt mon amant sans me donner le temps de répondre, vous faites là un merveilleux usage de l’autorité qui vous est confiée par les lois et par le monarque.

— Le meilleur possible, répondit Saint-Fond ; on n’agit jamais mieux que lorsqu’on travaille pour soi ; cette autorité nous est confiée pour faire le bonheur des hommes : n’y travaillons-nous pas en faisant le nôtre et celui de cette aimable enfant ?

— En nous revêtant de cette autorité, dit d’Albert, on ne nous a pas dit : vous ferez le bonheur de tel ou tel individu, abstractivement de tel ou tel autre ; on nous a simplement dit : les pouvoirs que nous vous transmettons sont pour faire la félicité des hommes ; or, il est impossible de rendre tout le monde également heureux ; donc, dès qu’il en est parmi nous quelques-uns de contents, notre but est rempli.

— Mais, dit Noirceuil, qui ne controversait que pour mieux faire briller ses amis, vous travaillez pourtant au malheur général en sauvant la coupable et perdant l’innocent.

— Voilà ce que je nie, dit Saint-Fond ; le vice fait beaucoup plus d’heureux que la vertu : je sers donc bien mieux le bonheur général en protégeant le vice qu’en récompensant la vertu.

— Voilà des systèmes bien dignes de coquins comme vous ! dit Noirceuil.

— Mon ami, dit d’Albert, puisqu’ils font aussi votre joie, ne vous en plaignez point.

— Vous avez raison, dit Noirceuil ; il me semble, au surplus, que nous devrions un peu plus agir que jaser. Voulez-vous Juliette seule un moment, avant que l’on n’arrive ?

— Non, pas moi, dit d’Albert, je ne suis nullement curieux des tête-à-tête, j’y suis d’un gauche… L’extrême besoin que j’ai d’être toujours aidé dans ces choses-là fait que j’aime autant patienter jusqu’à ce que tout le monde y soit.

— Je ne pense pas tout à fait ainsi, dit Saint-Fond, et je vais entretenir un instant Juliette au fond de ce boudoir.

À peine y fûmes-nous, que Saint-Fond m’engagea à me mettre nue. Pendant que j’obéissais :

— On m’a assuré, me dit-il, que vous seriez d’une complaisance aveugle à mes fantaisies ; elles répugnent un peu, je le sais, mais je compte sur votre reconnaissance. Vous savez ce que j’ai fait pour vous, je ferai plus encore : vous êtes méchante, vindicative ; eh bien, poursuivit-il en me remettant six lettres de cachet en blanc qu’il ne s’agissait plus que de remplir pour faire perdre la liberté à qui bon me semblerait, voilà pour vous amuser ; prenez, de plus, ce diamant de mille louis, pour payer le plaisir que j’ai de faire connaissance avec vous ce soir… Prenez, prenez, tout cela ne me coûte rien : c’est l’argent de l’État.

— En vérité, monseigneur, je suis confuse de vos bontés.

— Oh ! je n’en resterai pas là ; je veux que vous veniez me voir chez moi ; j’ai besoin d’une femme qui, comme vous, soit capable de tout ; je veux vous charger de la partie des poisons.

— Quoi, monseigneur, vous vous servez de pareilles choses ?

— Il le faut bien, il y a tant de gens dont nous sommes obligés de nous défaire… Point de scrupule, je me flatte ?

— Ah ! pas le moindre, monseigneur ! je vous jure qu’il n’est aucun crime dans le monde capable de m’effrayer, et qu’il n’en est pas un seul que je ne commette avec délices.

— Ah ! baisez-moi, vous êtes charmante ! dit Saint-Fond ; eh bien ! au moyen de ce que vous me promettez là, je vous renouvelle le serment que je vous ai fait de vous procurer l’impunité la plus entière. Faites, pour votre compte, tout ce que bon vous semblera : je vous proteste de vous retirer de toutes les mauvaises aventures qui pourraient en survenir. Mais il faut me prouver tout de suite que vous êtes capable d’exercer l’emploi que je vous destine. Tenez, me dit-il en me remettant une petite boîte, je placerai ce soir près de vous, au souper, celle des filles sur laquelle il m’aura plu de faire tomber l’épreuve ; caressez-la bien : la feinte est le manteau du crime ; trompez-la le plus adroitement que vous pourrez et jetez cette poudre, au dessert, dans un des verres de vin qui lui seront servis : l’effet ne sera pas long ; je reconnaîtrai là si vous êtes digne de moi ; et, dans ce cas, votre place vous attend.

— Oh ! monseigneur, répondis-je avec chaleur, je suis à vos ordres ; donnez, donnez, vous allez voir comme je vais me conduire.

— Charmante !… charmante !… Amusons-nous maintenant, mademoiselle, votre libertinage me fait bander… Permettez cependant que je vous mette au fait, avant tout, d’une formule dont il est essentiel que vous ne vous éloigniez point : je vous préviens qu’il ne faut jamais vous écarter du profond respect que j’exige et qui m’est dû à bien plus d’un titre ; je porte sur cela l’orgueil au dernier point. Vous ne m’entendrez jamais vous tutoyer ; imitez-moi, ne m’appelez, surtout, jamais autrement que monseigneur ; parlez à la troisième personne tant que vous pourrez, et soyez toujours devant moi dans l’attitude du respect. Indépendamment de la place éminente que j’occupe, ma naissance est des plus illustres, ma fortune énorme, et mon crédit supérieur à celui du roi même. Il est impossible de n’avoir pas beaucoup de vanité quand on en est là : l’homme puissant qui, par une fausse popularité, consent à se laisser approcher de trop près, s’humilie et se ravale bientôt. La nature a placé les grands sur la terre comme les astres au firmament ; ils doivent éclairer le monde et n’y jamais descendre. Ma fierté est telle que je voudrais n’être servi qu’à genoux, ne jamais parler que par interprète à toute cette vile canaille que l’on appelle le peuple ; et je déteste tout ce qui n’est pas à ma hauteur.

— En ce cas, dis-je, monseigneur doit haïr bien du monde, car il est bien peu d’êtres ici-bas qui puissent l’égaler.

— Très peu, vous avez raison, mademoiselle ; aussi j’abhorre l’univers entier, excepté les deux amis que vous me voyez là, et quelques autres : je hais souverainement tout le reste.

— Mais, monseigneur, pris-je la liberté de dire à ce despote, les caprices de libertinage où vous vous livrez ne vous sortent-ils pas un peu de cette hauteur dans laquelle il me semble que vous devriez toujours désirer d’être ?

— Non, dit Saint-Fond, tout cela s’allie, et, pour des têtes organisées comme les nôtres, l’humiliation de certains actes de libertinage sert d’aliment à l’orgueil24.

Et comme j’étais nue :

— Ah ! le beau cul, Juliette ! me dit le paillard en se l’exposant ; on m’avait bien dit qu’il était superbe, mais il surpasse sa réputation ; penchez-vous, que j’y darde ma langue… Ah, Dieu ! voilà une propreté qui me désespère : Noirceuil ne vous a donc pas dit en quel état je voulais trouver votre cul ?

— Non, monseigneur.

— Je le voulais merdeux… Je le voulais sale… il est d’une fraîcheur qui me désespère. Allons, réparons cela par autre chose. Tenez, Juliette, voilà le mien… il est dans l’état où je voulais le vôtre : vous y trouverez de la merde… Mettez-vous à genoux devant lui, adorez-le, félicitez-vous de l’honneur que je vous accorde en vous permettant d’offrir à mon cul l’hommage que voudrait lui rendre toute la terre… Que d’êtres seraient heureux à votre place ! Si les dieux descendaient vers nous, eux-mêmes voudraient jouir de cette faveur. Sucez, sucez, enfoncez votre langue ; point de répugnance, mon enfant.

Et quelles que fussent celles que j’éprouvais, je les vainquis ; mon intérêt m’en faisait une loi. Je fis tout ce que désirait ce libertin : je lui suçai les couilles, je me laissai souffleter, péter dans la bouche, chier sur la gorge, cracher et pisser sur le visage, tirailler le bout des tétons, donner des coups de pied au cul, des croquignoles, et, définitivement, foutre en cul, où il ne fit que de s’exciter, pour me décharger après dans la bouche, avec l’ordre positif d’avaler son sperme.

Je fis tout ; la plus aveugle docilité couronna toutes ses fantaisies. Divins effets de la richesse et du crédit, toutes les vertus, toutes les volontés, toutes les répugnances vont se briser devant vos désirs, et l’espoir d’être accueillis par vous assouplit à vos pieds tous les êtres et toutes les facultés de ces êtres ! La décharge de Saint-Fond était brillante, hardie, emportée ; c’est à très haute voix qu’il prononçait alors les blasphèmes les plus énergiques et les plus impétueux ; sa perte était considérable, son sperme brûlant, épais et savoureux, son extase énergique, ses convulsions violentes et son délire bien prononcé. Son corps était beau, fort blanc, le plus beau cul du monde, ses couilles très grosses, et son vit musculeux pouvait avoir sept pouces de long, sur six de tour ; il était surmonté d’une tête de deux pouces au moins, beaucoup plus grosse que le milieu du membre, et presque toujours décalottée. Il était grand, fort bien fait, le nez aquilin, de gros sourcils, de beaux yeux noirs, de très belles dents et l’haleine très pure. Il me demanda, quand il eut fini, s’il n’était pas vrai que son foutre fût excellent…

— De la crème, monseigneur, de la crème ! répondis-je, il est impossible d’en avaler de meilleur.

— Je vous accorderai quelquefois l’honneur d’en manger, me dit-il, et vous avalerez aussi ma merde, quand je serai bien content de vous. Allons, mettez-vous à genoux, baisez mes pieds, et remerciez-moi de toutes les faveurs que j’ai bien voulu vous laisser cueillir aujourd’hui.

J’obéis, et Saint-Fond m’embrassa en jurant qu’il était enchanté de moi. Un bidet et quelques parfums firent disparaître toutes les taches dont j’étais souillée. Nous sortîmes ; en traversant les appartements qui nous séparaient du salon d’assemblée, Saint-Fond me recommanda la boîte.

— Eh quoi ! dis-je, l’illusion dissipée, le crime vous occupe encore ?

— Comment ! me dit cet affreux homme, as-tu donc pris ma proposition pour une effervescence de tête ?

— Je l’avais cru.

— Tu te trompais ; ce sont de ces choses nécessaires dont le projet émeut nos passions, mais qui, quoique conçues dans le moment de leur délire, n’en doivent pas moins être exécutées dans le calme.

— Mais vos amis le savent-ils ?

— En doutes-tu ?

— Cela fera scène.

— Pas du tout, nous sommes accoutumés à cela. Ah ! si tous les rosiers du jardin de Noirceuil disaient à quelles substances ils doivent leur beauté…. Juliette…. Juliette, il n’y aurait pas assez de bourreaux pour nous !

— Soyez donc tranquille, monseigneur, je vous ai fait le serment de l’obéissance, je le tiendrai.

Nous rentrâmes. On nous attendait ; les femmes étaient arrivées. Dès que nous parûmes, d’Albert témoigna le désir de passer au boudoir avec Mme de Noirceuil, Henriette, Lindane et deux gitons, et ce ne fut que ce que je vis exécuter à d’Albert après, qui me fit douter de ses goûts. Restée seule avec Lolotte, Églée, quatre gitons, le ministre et Noirceuil, on se livra à quelques scènes luxurieuses ; les deux petites filles, par des moyens à peu près semblables à ceux que j’avais employés, essayèrent de faire rebander Saint-Fond ; elles y réussirent ; Noirceuil, spectateur, se faisait foutre en me baisant les fesses. Saint-Fond caressa beaucoup les jeunes gens et eut quelques minutes d’entretien secret avec Noirceuil ; tous deux reparurent très échauffés, et, le reste de la compagnie s’étant réuni à nous, on se mit à table.

Jugez, mes amis, quelle fut ma surprise, lorsqu’en me rappelant l’ordre secret qui m’était donné, je vis qu’avec la plus extrême affectation c’était Mme de Noirceuil qu’on plaçait près de moi.

— Monseigneur, dis-je bas à Saint-Fond, qui s’y mettait également de l’autre côté… oh ! monseigneur, est-ce donc là la victime choisie ?

— Assurément, me dit le ministre, revenez de ce trouble ; il vous fait tort dans mon esprit ; encore une pareille pusillanimité et vous perdez à jamais mon estime.

Je m’assis ; le souper fut aussi délicieux que libertin ; les femmes, à peine rhabillées, exposaient aux attouchements de ces paillards tout ce que la main des Grâces leur avait distribué de charmes. L’un touchait une gorge à peine éclose, l’autre maniait un cul plus blanc que l’albâtre ; nos cons seuls étaient peu fêtés : ce n’est pas avec de tels gens que de pareils appas font fortune ; persuadés que pour ressaisir la nature, il faut souvent lui faire outrage, ce n’est qu’à ceux dont le culte est, dit-on, défendu par elle que les fripons offrent de l’encens. Les vins les plus exquis, les mets les plus succulents ayant échauffé les têtes, Saint-Fond saisit Mme de Noirceuil ; le scélérat bandait du crime atroce que sa perfide imagination machinait contre cette infortunée ; il l’emporte sur un canapé, au bout du salon, et l’encule en m’ordonnant de venir lui chier dans la bouche ; quatre jeunes garçons se placent de manière qu’il en branle un de chaque main, qu’un troisième enconne Mme de Noirceuil, et que le quatrième, élevé au-dessus de moi, me fait sucer son vit ; un cinquième encule Saint-Fond.

— Ah ! sacredieu, s’écrie Noirceuil, ce groupe est enchanteur ! Je ne connais rien de si joli que de voir ainsi foutre sa femme ; ne la ménagez pas, Saint-Fond, je vous en conjure.

Et plaçant les fesses d’Églée à hauteur de sa bouche, il y fait chier cette petite fille, pendant qu’il sodomise Lindane et que le sixième garçon l’encule. D’Albert, se joignant au tableau, vient en remplir la partie gauche ; il sodomise Henriette, en baisant le cul du garçon qui fout le ministre, et manie, de droite et de gauche, tout ce que ses mains peuvent atteindre.

Ah ! qu’un graveur eût été nécessaire ici pour transmettre à la postérité ce voluptueux et divin tableau ! Mais la luxure, couronnant trop vite nos acteurs, n’eût peut-être pas donné à l’artiste le temps de les saisir. Il n’est pas aisé à l’art, qui n’a point de mouvement, de réaliser une action dont le mouvement fait toute l’âme ; et voilà ce qui fait à la fois de la gravure l’art le plus difficile et le plus ingrat.

On se remet à table.

— J’ai demain, dit le ministre, une lettre de cachet à expédier pour un homme coupable d’un égarement assez singulier. C’est un libertin qui, comme vous, Noirceuil, a la manie de faire foutre sa femme par un étranger ; cette épouse, qui vous paraîtra sans doute fort extraordinaire, a eu la bêtise de se plaindre d’une fantaisie qui ferait le bonheur de beaucoup d’autres. Les familles s’en sont mêlées, et, définitivement, on veut que je fasse enfermer le mari.

— Cette punition est beaucoup trop dure, dit Noirceuil.

— Et moi je la trouve trop douce, dit d’Albert ; il y a tout plein de pays où l’on ferait périr un homme comme cela.

— Oh ! voilà comme vous êtes, messieurs les robins ! dit Noirceuil : heureux quand le sang coule. Les échafauds de Thémis sont des boudoirs pour vous ; vous bandez en prononçant un arrêt de mort, et déchargez souvent en le faisant exécuter.

— Oui, cela m’est arrivé quelquefois, dit d’Albert ; mais quel inconvénient y a-t-il à se faire des plaisirs de ses devoirs ?

— Aucun, sans doute, dit Saint-Fond ; mais, pour en revenir à l’histoire de notre homme, vous conviendrez qu’il y a des femmes bien ridicules dans le monde.

— C’est qu’il y en a tout plein, dit Noirceuil, qui croient avoir rempli leurs devoirs envers leurs maris, quand elles ont respecté leur honneur, et qui leur font acheter cette très médiocre vertu par de l’aigreur et de la dévotion, et surtout par des refus constants de tout ce qui s’écarte des plaisirs permis. Sans cesse à cheval sur leur vertu, des putains de cette espèce s’imaginent qu’on ne saurait trop les respecter, et que, d’après cela, le bégueulisme le plus outré peut leur être permis sans reproche. Qui n’aimerait pas mieux une femme aussi garce que vous voudrez la supposer, mais déguisant ses vices par une complaisance sans bornes, par une soumission entière à toutes les fantaisies de son mari ? Eh ! foutez, mesdames, foutez tant qu’il vous plaira ! C’est pour nous la chose du monde la plus indifférente ; mais prévenez nos désirs, satisfaites-les tous sans aucun scrupule ; métamorphosez-vous pour nous plaire, jouez à la fois tous les sexes, redevenez enfants même, afin de donner à vos époux l’extrême plaisir de vous fouetter, et soyez sûres qu’avec de tels égards, ils fermeront les yeux sur tout le reste. Voilà les seuls procédés qui puissent tempérer, selon moi, l’horreur du lien conjugal, le plus affreux, le plus détestable de tous ceux par lesquels les hommes ont eu la folie de se captiver.

— Ah ! Noirceuil, vous n’êtes pas galant ! dit Saint-Fond en pressant un peu fortement les tétons de la femme de son ami ; oubliez-vous donc que votre épouse est là ?

— Pas pour longtemps, j’espère, répondit méchamment Noirceuil.

— Comment donc ? dit d’Albert en jetant sur la pauvre femme un regard aussi faux que sournois.

— Nous allons nous séparer.

— Quelle cruauté ! dit Saint-Fond qu’enflammaient extraordinairement toutes ces méchancetés, et qui, branlant un giton de sa main droite, continuait de pressurer avec la gauche les jolis tétons de Mme de Noirceuil… Quoi ! vous allez rompre vos nœuds… des liens si doux ?

— Mais n’y a-t-il pas assez longtemps qu’ils durent ?

— Eh bien, dit Saint-Fond, toujours branlant, toujours vexant, si tu quittes ta femme, je la prends ; moi, j’ai toujours aimé dans elle cet air de douceur et d’humanité… Baisez-moi, friponne !

Et comme elle était en larmes, en raison des maux que, depuis un quart d’heure, lui faisait éprouver Saint-Fond, ce sont ses pleurs que le libertin dévore et que sa langue essuie ; puis poursuivant :

— En vérité, Noirceuil, se séparer d’une femme aussi belle (et il la mordait), aussi sensible (et il la pinçait)… je vous le dis, mon ami, c’est un meurtre.

— Un meurtre ? dit d’Albert… oui, effectivement, je crois que c’est par un meurtre que Noirceuil va briser ses liens.

— Oh ! quelle horreur ! dit Saint-Fond qui, ayant fait lever la malheureuse épouse, commençait à lui molester cruellement le derrière en lui faisant empoigner son vit ; tenez, je vois, mes amis, qu’il faut que je l’encule encore une fois pour lui faire oublier son chagrin.

— Oui, dit d’Albert en venant la saisir par-devant, et moi je vais l’enconner pendant ce temps-là. Mettons-la vite entre nous deux ; j’aime étonnamment cette manière de foutre son prochain.

— Et que ferai-je donc, moi ! dit Noirceuil.

— Vous tiendrez la chandelle et vous comploterez, dit le ministre.

— Je veux mieux employer mon temps, dit le barbare époux ; n’occupez point la tête de ma douce compagne ; je veux jouir de sa figure en larmes, la nasarder de temps en temps, pendant que j’enculerai la petite Églée, que deux bardaches se relayeront dans mon cul, que j’épilerai les cons d’Henriette et de Lolotte, et que Lindane et Juliette foutront sous nos yeux, l’une en cul, l’autre en con, avec les jeunes gens qui restent.

La séance fut aussi longue que les tableaux en étaient recherchés ; les trois libertins déchargèrent et la pauvre Noirceuil ne se tira de leurs mains que meurtrie de coups. D’Albert, en perdant son foutre, lui avait tellement mordu un téton qu’elle était couverte de sang. Imitatrice de mes maîtres et parfaitement foutue par deux des gitons, j’avoue que j’avais de même étonnamment déchargé ; rouge, échevelée comme une bacchante, je leur parus délicieuse au sortir de là ; Saint-Fond surtout ne cessait de m’accabler de caresses.

— Comme elle est bien, ainsi ! disait-il, comme le crime l’embellit.

Et il me suçait indistinctement sur toutes les parties du corps.

On continua de boire, mais sans se remettre à table ; cette manière est infiniment agréable, et l’on se grise beaucoup plus tôt en l’employant. Les têtes s’embrasèrent donc de manière à faire frémir les femmes. Je vis bien qu’on ne jetait sur elles que des yeux foudroyants et qu’on ne leur adressait plus que des paroles pleines de menaces et d’invectives. Deux choses cependant s’apercevaient avec facilité : on voyait que je n’étais nullement comprise dans la conjuration et qu’elle se dirigeait presque entièrement sur Mme de Noirceuil ; ce que je savais, d’ailleurs, ne contribuait pas peu à me rassurer.

Passant tour à tour des mains de Saint-Fond dans celles de son mari et, de celles-ci, dans celles de d’Albert, l’infortunée Noirceuil était déjà fort malmenée : ses tétons, ses bras, ses cuisses, ses fesses, et généralement toutes les parties charnues de son corps, commençaient à porter des marques sensibles de la férocité de ces scélérats, lorsque Saint-Fond, qui bandait beaucoup, la saisit, et, lui ayant au préalable appliqué douze claques à tour de bras sur le derrière et six soufflets d’égale force, il la fixa droite au milieu de la salle à manger, dans un très grand écartement, les pieds attachés à terre et les mains arrêtées au plafond. On lui mit, dès qu’elle fut dans cette attitude, douze bougies allumées entre les cuisses, en telle sorte que les flammes, pénétrant d’une part dans l’intérieur du vagin ou sur les parois de l’anus, et calcinant de l’autre la motte et les fesses, contournassent par leur vive impression les muscles du joli visage de cette femme et les déterminassent aux voluptueuses angoisses de la douleur. Saint-Fond, armé d’une autre bougie, la considérait attentivement pendant cette crise, en se faisant sucer le vit par Lindane et le trou du cul par Lolotte ; près de là, Noirceuil, se faisant foutre en mordant les fesses d’Henriette, annonçait à sa femme qu’il allait la laisser mourir ainsi, pendant que d’Albert, enculant un giton et maniant le cul d’Églée, encourageait Noirceuil à traiter encore bien plus mal cette malheureuse compagne de son sort. Chargée de servir et soigner le total, je m’aperçus que les bouts de bougies étaient trop courts pour faire éprouver à la victime le degré de douleur que l’on lui souhaitait ; je levai les flambeaux sur un tabouret ; les cris de la Noirceuil, qui devinrent insupportables, me valurent, de la part de ses bourreaux, les plus grands applaudissements. Ce fut alors que Saint-Fond, qui perdait la tête, se permit une atrocité ; le scélérat, portant une bougie qu’il tenait sous le nez de la patiente, lui brûla les paupières et presque un œil entier ; d’Albert, s’emparant de même d’une bougie, lui en calcina le bout d’un téton et son mari lui brûla les cheveux.

Singulièrement échauffée de ce spectacle, j’encourageais les acteurs et les déterminais à changer de supplice. Par mon conseil, on la frotte d’esprit-de-vin, on y met le feu ; elle a l’air un instant de ne former qu’une flamme, et, quand la matière s’éteint, son épiderme entièrement brûlé la rend horrible à regarder. On n’imagine pas les louanges que cette cruelle idée me valut. Saint-Fond, qu’échauffe étonnamment cette scélératesse, quitte la bouche de Lindane pour venir m’enculer, toujours suivi par Lolotte qui, par son ordre, ne cesse de lui gamahucher le cul.

— Que lui ferons-nous à présent ? me dit Saint-Fond, en dévorant ma bouche de baisers et me dardant son vit jusqu’aux entrailles ; invente, Juliette, invente donc quelque chose ; ta tête est délicieuse, tout ce que tu proposes est divin.

— Il y a mille tourments à lui faire encore éprouver, répondis-je, et tous plus piquants les uns que les autres.

Et j’allais en proposer quelques-uns, lorsque Noirceuil, s’approchant de nous, dit à Saint-Fond qu’il fallait lui faire avaler tout de suite la dose dont j’étais munie, avant de lui ôter les forces nécessaires à nous donner les moyens de juger et de jouir des effets de ce poison. D’Albert, consulté, est pleinement de cet avis ; on détache la dame et on me la remet.

— Aimable infortunée, lui dis-je après avoir mêlé la poudre dans un verre de vin d’Alicante, avalez ceci pour vous restaurer, et vous allez voir l’état de réconfortation où ce breuvage va mettre vos esprits.

Notre imbécile avale avec docilité, et sitôt qu’elle a fait, Noirceuil, qui n’avait pas cessé de me tenir enculée pendant que j’opérais, jaloux de ne perdre aucune des contorsions de cette agonie, me quitte pour venir considérer de plus près la victime.

— Vous allez mourir, lui dit-il ; y êtes-vous bien déterminée ?

— Madame est trop raisonnable, poursuit d’Albert, pour ne pas sentir que quand une femme a perdu l’estime et la tendresse de son époux, qu’il est dégoûté d’elle et qu’il en est las, le plus simple est de disparaître.

— Oh, oui ! la mort… la mort ! s’écria cette infortunée ; c’est la dernière grâce que je demande !… Au nom du ciel, ne me la faites point attendre !

— La mort que tu désires, infâme bougresse, est dans tes entrailles, lui dit Noirceuil, en se faisant branler le vit sous les yeux de sa triste épouse par l’un de ses gitons ; tu l’as reçue des mains de Juliette ; son attachement était tel pour toi, qu’elle nous a disputé le bonheur de t’empoisonner.

Et Saint-Fond, ivre de lubricité, ne sachant plus ce qu’il faisait, enculait d’Albert, qui, se prêtant avec complaisance aux sodomites attaques de son ami, rendait à un beau giton tout ce qu’il recevait du ministre, dont je gamahuchais l’anus.

— Un peu d’ordre à tout ceci, dit Noirceuil, qui commençait à s’apercevoir, aux contorsions de sa femme, qu’il était bon de ne la plus perdre de vue.

Il fait mettre un tapis, au milieu de la chambre, sur lequel on étend la victime, et nous formons un cercle autour d’elle. Saint-Fond m’encule en branlant un garçon de chaque main. D’Albert est sucé par Henriette, il suce un vit en branlant de la main droite et, de la gauche, il moleste le cul de Lindane ; Noirceuil encule Églée, on le fout, il suce un vit, et fait foutre Lolotte sur ses cuisses par le sixième giton. Les crises commencent ; elles sont horribles, on n’a pas d’idée des effets de ce poison ; la pauvre femme se tournait quelquefois, au point de ne plus former qu’une boule ; rien n’égalait ses crispations, ses hurlements alors devenaient épouvantables ; mais nos précautions étaient prises de manière qu’il était impossible de rien entendre.

— Oh, comme c’est délicieux ! disait Saint-Fond tout en labourant mon cul ; je ne sais ce que je donnerais pour la sodomiser en cet état.

— Rien n’est plus aisé, dit Noirceuil, essaye-le, nous te la tiendrons.

La patiente, vigoureusement saisie par les jeunes gens, présente, malgré ses efforts, le cul désiré par Saint-Fond ; le scélérat s’y introduit.

— Oh, foutre ! s’écrie-t-il, je n’y puis tenir.

D’Albert le remplace, Noirceuil ensuite ; mais dès que sa malheureuse épouse le sent, ses efforts deviennent si terribles, qu’elle échappe à ceux qui la tiennent et se jette en fureur sur son bourreau ; Noirceuil effrayé se sauve, le cercle se reforme.

— Laissons-la, laissons-la, dit Saint-Fond qui venait de rentrer dans mon cul ; il ne faut pas approcher une bête venimeuse quand elle éprouve les crises de la mort.

Cependant Noirceuil, piqué, veut tirer vengeance de l’insulte ; il machine de nouveaux supplices, lorsque Saint-Fond s’y oppose en assurant son ami que tout ce que l’on pourrait faire maintenant à la victime ne servirait qu’à troubler l’examen que l’on se proposait des effets du venin.

— Eh ! messieurs, m’écriai-je, ce n’est pas tout cela qu’il faut à madame : elle n’a dans ce moment-ci besoin que d’un confesseur.

— Qu’elle aille au diable, la putain, dit Noirceuil que Lolotte suçait en ce moment ; oui, oui, qu’elle aille à tous les diables !… Si j’ai jamais désiré un enfer, c’est dans l’espérance d’y savoir son âme, et de porter jusqu’à mon dernier soupir l’idée délicieuse que les plus vives douleurs ne sauraient avoir de fin pour elle.

Cette imprécation parut décider la dernière crise ; Mme de Noirceuil rendit l’âme, et nos trois coquins déchargèrent en blasphémant comme des scélérats.

— Voilà une des meilleures actions que nous ayons faites de notre vie, dit Saint-Fond en pressant son vit pour en exprimer jusqu’à la dernière goutte de foutre ; il y avait longtemps que je désirais la fin de cette ennuyeuse bégueule ; j’en étais encore plus las que son mari.

— Ma foi, dit d’Albert, vous l’aviez pour le moins autant foutue que lui.

— Oh ! beaucoup plus, dit mon amant.

— Quoi qu’il en soit, dit Saint-Fond à Noirceuil, ma fille est maintenant à vous : vous savez que je vous l’ai promise pour récompense de cette épreuve. Je suis enchanté de ce poison, il est bien malheureux que nous ne puissions pas jouir ainsi du spectacle de la mort de tous ceux que nous faisons périr de cette manière… Allons, mon ami, je vous le répète, ma fille est à vous ; que le ciel bénisse une aventure où je gagne un gendre très aimable et la certitude de n’avoir point été trompé par la femme qui me fournit ces venins !

Ici Noirceuil eut l’air de faire une question bas à Saint-Fond, qui lui répondit affirmativement.

Et le ministre, m’adressant ensuite la parole :

— Juliette, me dit-il, vous viendrez me voir demain, je vous expliquerai ce que je n’ai fait qu’effleurer aujourd’hui. Noirceuil, en se remariant, ne peut plus vous avoir chez lui ; mais les effets de mon crédit, les grâces que je vais répandre sur vous, l’argent dont je vais vous couvrir, vous dédommageront bien amplement du sort que vous faisait mon ami. Je suis très content de vous ; votre imagination est brillante, votre flegme entier dans le crime, votre cul superbe, je vous crois féroce et libertine : voilà les vertus qu’il me faut.

— Monseigneur, répondis-je, j’accepte avec reconnaissance tout ce qu’il vous plaît de m’offrir, mais je ne puis vous dissimuler que j’aime Noirceuil ; je ne m’en séparerais qu’avec peine.

— Nous ne cesserons point de nous voir, mon enfant, me répondit l’ami de Saint-Fond : gendre du ministre et son ami intime, nous passerons notre vie ensemble.

— Soit, répondis-je, à ces conditions j’accepte tout.

Les garçons et les filles, à qui l’on fit entrevoir une mort sûre dans le cas de la moindre indiscrétion, jurèrent un silence éternel ; Mme de Noirceuil fut enterrée dans le jardin, et l’on se sépara.

Une circonstance imprévue retarda le mariage de Noirceuil, ainsi que les projets du ministre. Il ne me fut pas possible non plus de le voir le lendemain : le roi, singulièrement content de Saint-Fond, venait de lui donner une marque sûre de confiance en le chargeant d’un voyage secret pour lequel il fut obligé de partir sur-le-champ, et au retour duquel il eut le cordon bleu avec cent mille écus de pension.

— Oh ! me dis-je en apprenant ces faveurs, comme il est vrai que le sort récompense le crime, et qu’il serait imbécile, celui qui, éclairé par de tels exemples, ne parcourrait pas ardemment toute l’étendue de cette carrière !

Cependant, d’après les lettres que Noirceuil reçut du ministre, j’eus l’ordre de me monter une maison splendide. Ayant reçu l’argent nécessaire à l’exécution de ce projet, je louai tout de suite un magnifique hôtel, rue du Faubourg-St-Honoré ; j’achetai quatre chevaux, deux voitures charmantes ; je pris trois laquais d’une taille haute, majestueuse, et d’une figure enchanteresse, un cuisinier, deux aides, une femme de charge, une lectrice, trois femmes de chambre, un coiffeur, deux filles en sous-ordre et deux cochers ; des meubles délicieux ornèrent ma maison ; et le ministre étant de retour, je fus me présenter aussitôt chez lui. Je venais d’atteindre ma dix-septième année, et je puis dire qu’il était à Paris bien peu de femmes plus jolies que moi ; j’étais mise comme la déesse même des amours ; il était impossible de réunir plus d’art à plus de luxe ; cent mille francs n’eussent pas payé les parures dont j’avais orné mes attraits, et je portais cent mille écus de bijoux ou de diamants. Toutes les portes s’ouvrirent à mon aspect ; le ministre m’attendait seul. Je débutai par les félicitations les plus sincères des grâces qu’il venait d’obtenir, et lui demandai la permission de baiser les marques de sa nouvelle dignité ; il y consentit, pourvu que je ne remplisse ce soin qu’à genoux : pénétrée de sa morgue et loin de la heurter, je fis ce qu’il désirait. C’est par des bassesses que le courtisan achète le droit d’être insolent avec les autres.

— Vous me voyez, me dit-il, madame, au milieu de ma gloire ; le roi m’a comblé, et j’ose dire que j’ai mérité ses dons ; jamais mon crédit ne fut plus assuré, jamais ma fortune plus considérable. Si je fais refluer sur vous une partie de ces grâces, il est inutile de vous dire à quelles conditions. Après ce que nous avons fait ensemble, je crois pouvoir être sûr de vous ; ma plus entière confiance vous est acquise ; mais, avant que je n’entre dans aucun détail, jetez les yeux, madame, sur ces deux clefs : celle-ci est celle des trésors qui vont vous couvrir, si je suis bien servi par vous ; celle-là est celle de la Bastille : une éternelle prison vous y est préparée, si vous manquez d’obéissance ou de discrétion.

— Entre de telles menaces et un pareil espoir, vous n’imaginez pas, sans doute, que je balance, dis-je à Saint-Fond ; confiez-vous donc à votre plus soumise esclave, et soyez parfaitement sûr d’elle.

— Deux soins bien importants vont être remis dans vos mains, madame ; asseyez-vous et écoutez-moi.

Et comme j’allais prendre un fauteuil par inadvertance, Saint-Fond me fit signe de ne me placer que sur une chaise. Je me confondis en excuses, et voici comment il me parla :

— Le poste que j’occupe, et dans lequel je veux me soutenir longtemps, m’oblige à sacrifier un nombre infini de victimes. Voici une cassette composée de différents poisons ; vous les emploierez d’après les ordres que vous recevrez de moi ; à ceux qui me desservent seront réservés les plus cruels ; les prompts, pour ceux dont l’existence me nuit au point que je n’aie pas un moment à perdre pour les enlever de ce monde ; ces derniers, que vous voyez sous l’étiquette de poisons lents, seront pour ceux dont, par de puissantes raisons de politique, je dois prolonger l’existence afin d’éloigner de moi les soupçons. Toutes ces expéditions, suivant l’existence des cas, se feront tantôt chez vous, tantôt chez moi, quelquefois en province ou dans les pays étrangers.

Passons maintenant à la seconde partie de vos soins celle-là, sans doute, deviendra la plus pénible pour vous, mais en même temps la plus lucrative. Doué d’une imagination très ardente, blasé depuis longtemps sur les plaisirs ordinaires, ayant reçu de la nature un tempérament de feu, des goûts très cruels, et, de la fortune, tout ce qu’il faut pour satisfaire à ces furieuses passions, je ferai chez vous, soit avec Noirceuil, soit avec quelques autres amis, deux soupers libertins par semaine, dans lesquels il faut nécessairement qu’il s’immole au moins trois victimes. En retranchant de l’année le temps des voyages où vous me suivrez seulement sans qu’il soit question de ces orgies, vous voyez que cela fait environ deux cents filles, dont la recherche ne regarde que vous ; mais il y a des clauses difficiles au choix de ces victimes. Il faut d’abord, Juliette, que la plus laide soit au moins belle comme vous ; il ne faut jamais qu’elles soient au-dessous de neuf ans, ni au-dessus de seize ; il faut qu’elles soient vierges et de la meilleure naissance, toutes titrées ou, au moins, d’une grande richesse…

— Oh ! monseigneur ! et vous immolerez tout cela ?

— Assurément, madame, le meurtre est la plus douce de mes voluptés ; j’aime le sang avec fureur, c’est ma plus chère passion ; et il est dans mes principes qu’il faut les satisfaire toutes, à quelque prix que ce puisse être.

— Monseigneur, dis-je, en voyant que Saint-Fond attendait ma réponse, ce que je vous ai fait voir de mon caractère vous prouve, je crois, suffisamment qu’il est impossible que je vous trahisse ; mon intérêt et mes goûts vous en répondent… Oui, monseigneur, j’ai reçu de la nature les mêmes passions que vous… les mêmes fantaisies, et celui qui se prête à tout cela par amour pour la chose même, sert assurément beaucoup mieux que celui qui n’obéirait que par complaisance : le lien de l’amitié, la ressemblance des goûts, voici, soyez-en bien sûr, les nœuds qui captivent le plus sûrement une femme telle que moi.

— Oh ! pour celui de l’amitié, ne m’en parlez pas ! Juliette, reprit vivement le ministre ; je n’ai pas plus de foi à ce sentiment-là qu’à celui de l’amour. Tout ce qui vient du cœur est faux ; je ne crois qu’aux sens, moi, je ne crois qu’aux habitudes charnelles… qu’à l’égoïsme, qu’à l’intérêt… oui, l’intérêt sera toujours, de tous les liens, celui auquel je croirai le plus. Je veux donc que le vôtre se trouve infiniment flatté, prodigieusement caressé dans les arrangements que je vais prendre avec vous. Que le goût vienne ensuite cimenter l’intérêt, à la bonne heure ; mais, les goûts changeant avec l’âge, il peut venir un temps où l’on ne soit même plus mené par eux, et on ne cesse jamais de l’être par l’intérêt. Calculons donc votre petite fortune, madame : Noirceuil vous fait dix mille livres de rente, je vous en ai donné trois, vous en aviez douze : voilà vingt-cinq ; et vingt-cinq, dont voici le contrat, font cinquante ; parlons maintenant du casuel.

J’allai me jeter aux pieds du ministre pour lui rendre grâce de cette nouvelle faveur ; il ne s’y opposa point, et, m’ayant fait signe de me rasseoir :

— Vous imaginez bien, Juliette, continua-t-il, que ce n’est pas avec un aussi mince revenu que vous pouvez me donner à souper deux fois la semaine, ni tenir la maison que je vous ai commandé de prendre : je vous donne donc un million par an pour ces soupers ; mais souvenez-vous qu’ils doivent être d’une magnificence incroyable ; j’y veux toujours les mets les plus exquis, les vins les plus rares, les gibiers et les fruits les plus extraordinaires ; il faut que l’immensité accompagne la délicatesse, et, fussions-nous même tête à tête, cinquante plats ne seraient pas suffisants. Les victimes vous seront payées vingt mille francs pièce, ce qui n’est pas trop, à cause des qualités que je leur désire. Vous aurez de plus trente mille francs de gratification par chaque victime ministérielle immolée par vos mains ; il y en a bien cinquante par an : cet article s’élève donc à quinze cent mille francs, auxquels je joins vingt mille francs par mois pour vos appointements. Autant que je puis voir, madame, ceci vous met à la tête de six millions sept cent quatre-vingt-dix mille francs ; nous ajouterons deux cent dix mille livres pour vos menus plaisirs, afin de vous composer une somme ronde de sept millions par an, dont cinquante mille francs passés par acte et qui ne peuvent vous fuir. Êtes-vous contente, Juliette ?

M’efforçant ici de cacher ma joie, afin de servir encore mieux l’avarice dont j’étais dévorée, je représentai au ministre que les devoirs qu’il m’imposait étaient, pour le moins, aussi onéreux qu’étaient considérables les sommes dont il m’accordait la disposition ; qu’avec l’envie de le bien servir, je ne ménagerais rien, et que je voyais qu’il serait fort possible que les dépenses énormes que j’allais être obligée de faire excédassent de beaucoup les recettes ; qu’au surplus…

— Non ; voilà comme je veux qu’on me parle, me dit le ministre ; vous m’avez montré de l’intérêt, Juliette, c’est ce que je veux, je suis sûr d’être bien servi, maintenant ; n’épargnez rien, madame, et vous recevrez dix millions par an : aucun de ces suppléments ne m’effraye ; je sais où les prendre tous, sans toucher à mes revenus. Il serait bien fou, l’homme d’État qui ne ferait pas payer ses plaisirs à l’État ; et que nous importe la misère des peuples, pourvu que nos passions soient satisfaites ? Si je croyais que l’or pût couler de leurs veines, je les ferais saigner tous les uns après les autres, pour me gorger de leur substance25.

— Homme adorable, m’écriai-je, vos principes me tournent la tête ; je vous ai laissé voir de l’intérêt, croyez donc au goût, maintenant, et persuadez-vous, je vous en conjure, que ce sera plutôt mille fois par idolâtrie pour vos plaisirs, que par tout autre motif, que je les servirai avec tant de zèle.

— Je le crois, dit Saint-Fond, je vous ai vue à l’épreuve. Eh ! comment n’aimeriez-vous pas mes passions ? Ce sont les plus délicieuses qui puissent naître au cœur de l’homme. Et celui qui peut dire : aucun préjugé ne m’arrête, je les ai tous vaincus ; et voici, d’un côté, le crédit qui légitime toutes mes actions et, de l’autre, les richesses nécessaires à les assaisonner de tous les crimes ; celui-là, dis-je, n’en doutez pas, Juliette, est le plus heureux de tous les êtres… Ah ! ceci me fait souvenir, madame, du brevet d’impunité que vous promit d’Albert, la dernière fois que nous soupâmes ensemble : le voilà, mais c’est à moi que le chancelier vient de l’accorder ce matin, et non point à d’Albert, qui, selon son usage, vous avait totalement oubliée.

La manière dont toutes mes passions se trouvaient flattées, dans cette multitude d’événements heureux, me tenait dans une espèce d’ivresse… d’enchantement, d’où résultait une sorte de stupidité qui m’ôtait jusqu’à l’usage de la parole. Saint-Fond me sortit de cet engourdissement en m’attirant à lui…

— Dans combien de temps commencerons-nous, Juliette ? me dit-il en baisant ma bouche et passant une main sur mon derrière, dans lequel il enfonça sur-le-champ un doigt.

— Monseigneur, lui dis-je, il me faut bien au moins trois semaines pour préparer tous les différents services que Votre Grandeur exige de moi.

— Je vous les accorde, Juliette ; c’est aujourd’hui le premier du mois : je soupe chez vous le vingt-deux.

— Monseigneur, poursuivis-je, en m’avouant vos goûts, vous m’avez donné quelques droits à vous confier les miens. Vous m’avez reconnu ceux du crime, j’ai ceux du vol et de la vengeance ; je satisferai les premiers avec vous : le brevet que vous venez de me donner m’assurant l’impunité du vol, fournissez-moi les moyens de la vengeance.

— Suivez-moi, répondit Saint-Fond.

Nous passâmes chez un commis.

— Monsieur, lui dit le ministre, examinez bien cette jeune femme ; je vous ordonne de lui signer et délivrer toutes les lettres de cachet qu’elle vous demandera, n’importe pour quelle maison.

Et repassant dans un cabinet où nous étions

— Voilà, poursuivit le ministre, un point accordé ; la lettre que je vous ai donnée remplit l’autre. Tranchez, coupez, déchirez, je vous livre la France entière ; et quel que soit le crime que vous commettiez, son étendue, sa gravité, je vous réponds qu’il ne vous en arrivera jamais rien. Je vais plus loin, et vous accorde, ainsi que je l’ai dit, trente mille francs de gratification par chacun des crimes que vous commettrez pour votre compte.

Je renonce à vous dire, mes amis, ce que toutes ces promesses, toutes ces conventions me firent éprouver. Oh, ciel ! me dis-je, avec le dérèglement d’imagination que j’ai reçu de la nature, me voilà donc, d’un côté, assez riche pour satisfaire à toutes mes fantaisies, de l’autre, assez de fortune pour être certaine de l’impunité de toutes. Non, il n’est point de jouissances intérieures pareilles à celles-là ; aucune lubricité ne fait éprouver à l’âme un chatouillement plus excessif.

— Il faut sceller le marché, madame, me dit alors le ministre. Voici d’abord le pot-de-vin, continua-t-il, en me faisant présent d’une cassette où il y avait cinq mille louis en or, et pour le double de pierreries ou de magnifiques bijoux ; n’oubliez pas de faire emporter cela avec la boîte des poisons.

M’attirant alors dans un cabinet secret, où le faste le plus opulent se joignait au goût le plus recherché :

— Ici, me dit Saint-Fond, vous ne serez plus qu’une putain ; hors de là, l’une des plus grandes dames de France.

— Partout, partout votre esclave, monseigneur ; partout votre admiratrice et l’âme de vos plus délicats plaisirs.

Je me déshabillai. Saint-Fond, ivre de plaisir d’avoir enfin une excellente complice, fit des horreurs. Je vous ai dit ses goûts, il les raffina tous : s’il m’élevait en sortant de chez lui, il me rabaissait cruellement dans son intérieur ; c’était bien, en volupté, l’homme le plus sale… le plus despote… le plus cruel. Il me fit adorer son vit, son cul ; il chia, je dus faire un dieu de son étron même ; mais, par manie bien extraordinaire, il me fit souiller ce dont il tirait ses plus puissants motifs d’orgueil : il exigea que je chiasse sur son Saint-Esprit et me torcha le cul avec son cordon bleu.

À la surprise que je lui témoignai de cette action :

— Juliette, me répondit-il, je veux te montrer par là que tous ces chiffons, qui sont faits pour éblouir les sots, n’en imposent point au philosophe.

— Et vous venez de me les faire baiser ?

— Cela est vrai ; mais de même que ces joujoux motivent mon orgueil, de même j’en mets étonnamment à les profaner : voilà de ces bizarreries de tête qui ne sont connues que de libertins comme moi.

Saint-Fond bandait extraordinairement ; je déchargeai dans ses bras : avec une imagination comme la mienne, il ne s’agit pas de ce qui répugne, il n’est question que de ce qui est irrégulier, et tout est bon quand il est excessif. Je devinai le désir extrême qu’il avait de me faire manger sa merde : je le prévins ; je lui demandai la permission de le faire, il était aux nues ; il dévora la mienne, en y joignant l’épisode de me gamahucher le cul à chaque bouchée. Il me montra le portrait de sa fille : à peine avait-elle quatorze ans, et ressemblait à l’Amour même. Je le priai de la réunir à nous.

— Elle n’est pas ici, me dit-il ; je ne vous aurais pas laissée former ce désir, si elle y eût été.

— Vous en avez donc joui, lui dis-je, avant que de la donner à Noirceuil ?

— Assurément, me répondit-il ; j’en serais bien fâché d’avoir laissé prendre à d’autres d’aussi délicieuses prémices.

— Et vous ne l’aimez donc plus ?

— Je n’aime rien, moi, Juliette : nous n’aimons rien, nous autres libertins. Cette enfant m’a fait beaucoup bander ; elle ne m’excite plus à présent, parce que j’en ai trop fait avec elle ; je la donne à Noirceuil, qu’elle échauffe beaucoup ; tout cela est affaire de convenance.

— Mais quand Noirceuil en sera las ?

— Eh bien ! tu connais le sort des femmes ; je lui aiderai, vraisemblablement ; tout cela est bon, tout cela est bien fort ; c’est ce que j’aime…

Et il bandait extraordinairement.

— Monseigneur, lui dis-je, il me semble que si j’étais en place, il y aurait de certains moments où j’aimerais beaucoup à abuser de mon autorité.

— En bandant, n’est-ce pas

— Oui.

— Je le pense.

— Oh ! monseigneur, sacrifions quelques innocents, cette idée me tourne la tête.

Je le branlais, l’un de mes doigts chatouillait le trou de son cul.

— Tenez, me dit-il en sortant un papier de son portefeuille, je n’ai qu’à signer cela, et je fais mourir demain une très jolie personne que sa famille vient de faire enfermer par mon organe, uniquement parce qu’elle aime les femmes. Je l’ai vue, elle est charmante ; je m’en suis amusé l’autre jour : depuis ce moment-là j’ai si peur qu’elle ne parle, que je n’ai pas existé un instant sans le désir de m’en débarrasser.

— Elle jasera, monseigneur, elle jasera, soyez-en bien sûr ; votre sûreté dépend de la mort de cette fille… Signez au plus tôt, je vous en conjure.

Et prenant le papier, je l’appuyai sur mes fesses, en le suppliant de le signer là. Il le fit.

— Je veux porter l’ordre moi-même, lui dis-je.

— J’y consens, me répondit Saint-Fond… Allons, Juliette, il faut que je décharge : ne vous alarmez pas du personnage qui devient nécessaire au dénouement de cette crise.

Et comme il sonna, un jeune homme assez joli parut dans l’instant.

— Mettez-vous à genoux, Juliette ; il faut que cet homme vous donne trois coups de canne sur les épaules, dont la marque reste quelques jours ; qu’ensuite il vous tienne pendant que je vous enculerai.

Et le jeune homme, se déculottant lui-même, fit aussitôt baiser son derrière au ministre, qui le lécha complaisamment. J’obéissais pendant ce temps-là, et j’étais à genoux ; le jeune homme se sert de sa canne et m’applique trois coups si serrés sur les épaules que j’en fus marquée quinze jours. Saint-Fond, bien en face de moi, m’observait, pendant cette crise, avec une curiosité lubrique ; il vint examiner les meurtrissures ; il se plaignit de leur faiblesse, et ordonna au jeune homme de me tenir ; il m’encule tout en baisant les fesses de celui qui facilitait son opération.

— Ah ! foutre ! s’écria-t-il en déchargeant, ah ! sacredieu, la putain est marquée !

L’homme se retira. Ce ne fut que longtemps après qu’un événement, dont nous parlerons, jeta quelque jour sur celui-ci. Le ministre me raccompagna, et, reprenant avec moi, dès que nous fûmes hors de ce cabinet, l’air de considération qu’il avait eu avant que d’y entrer :

— Faites emporter ces cassettes, madame, me dit-il, et souvenez-vous que notre arrangement commence dans trois semaines. Allons, Juliette, libertinage, crime, discrétion, et vous serez heureuse. Adieu.

Mon premier soin fut d’examiner l’ordre dont j’étais porteuse. Dieu ! quel fut mon étonnement quand je vis qu’on enjoignait à la supérieure du couvent de force dont il s’agissait, d’empoisonner secrètement, qui ?… Saint-Elme, cette charmante novice de Panthemont que j’avais adorée pendant mon séjour dans ce couvent. Une autre que moi eût déchiré ce monument de scélératesse ; mais j’avais fait trop de chemin dans la carrière du crime pour reculer : rien ne m’arrête, je n’ai pas même le mérite de balancer. Je remets l’ordre à la supérieure de Sainte-Pélagie, où Saint-Elme gémissait depuis trois mois ; je demande à voir la coupable, je la questionne, elle m’avoue que le ministre a mis sa liberté au prix de sa complaisance, et qu’elle a fait avec lui tout ce que l’on peut faire. Aucune des saletés où se livrait ce monstre de luxure n’avait été épargnée : bouche, cul… con, l’infâme avait tout souillé, et ce qui la consolait de ces sacrifices était l’espoir de sa liberté.

— Je l’apporte, dis-je à Saint-Elme en l’embrassant.

Elle me remercie, me rend mes baisers au double… Mon con se mouille en la trahissant… Le lendemain elle était morte.

Allons, me dis-je, dès que je sus l’effet de ma scélératesse, je suis faite pour aller au grand, je le vois ; et travaillant avec promptitude aux préparatifs des projets de Saint-Fond, en trois semaines, ainsi que j’en avais pris l’engagement, je fus en état de lui donner son premier souper.

Six excellentes appareilleuses, que j’avais à mes gages, m’avaient procuré, pour mon début, trois jeunes sœurs, enlevées dans un couvent de Meaux, de douze, treize et quatorze ans, et de la plus céleste figure qu’il fût possible de voir.

Le ministre vint le premier jour avec un homme de soixante ans. En arrivant, il s’enferma quelques minutes avec moi, visita mes épaules, et parut mécontent de n’y plus trouver les marques qu’il m’y avait fait imprimer la dernière fois que nous nous étions vus. À peine me toucha-t-il ; mais il me recommanda le plus grand respect et la plus profonde soumission pour l’homme qu’il amenait, lequel était un des plus grands princes de la cour ; cet homme le remplaça aussitôt dans le cabinet où m’avait fait passer Saint-Fond. Prévenue par mon amant, je lui fis voir mes fesses dès qu’il entra. Il s’approcha, une lunette à la main.

— Si vous ne pétez pas, me dit-il, vous êtes mordue.

Et comme je ne le satisfis pas aussi tôt qu’il le désirait, ses dents s’imprégnèrent dans ma fesse gauche et y laissèrent des traces profondes. Il se montre à moi par-devant, et m’offrant un visage sévère et disgracieux :

— Mettez votre langue dans ma bouche, me dit-il ; et dès qu’elle y fut : Si vous ne rotez pas, poursuivit-il, vous êtes mordue.

Mais, voyant que je ne pouvais obéir, je me retirai assez vite pour éviter le piège. Le vieux coquin entre en fureur, il saisit une poignée de verges et m’étrille pendant un quart d’heure. Il s’arrête et se remontrant à moi :

— Vous voyez, me dit-il, le peu d’effet que les choses même que j’aime le mieux produisent maintenant sur mes sens ; regardez ce vit mollasse, rien ne le fait guinder : il faudrait pour cela que je vous fisse beaucoup de mal.

— Et cela est inutile, mon prince, lui dis-je, puisque vous allez trouver tout à l’heure trois objets délicieux que vous pourrez tourmenter à votre guise.

— Oui… mais vous êtes belle… votre cul (il le maniait toujours) me plaît infiniment ; je voudrais bander pour lui.

Il se débarrasse, en disant cela, de ses habits, et pose sur la cheminée une montre à répétition enrichie de diamants, un étui, une tabatière d’or, sa bourse garnie de deux cents louis et deux bagues superbes.

— Essayons, dit-il, à présent ; tenez, voilà mon cul, il faut le pincer et le mordre excessivement fort, en me branlant de toute l’élasticité de votre poignet. Bon, dit-il, dès qu’il s’aperçut d’un peu de changement dans son état ; couchez-vous maintenant à plat ventre sur ce canapé et laissez-moi vous piquer les fesses avec cette aiguille d’or.

Je me prête ; mais poussant un cri furieux, et ayant l’air de m’évanouir à la seconde blessure, le malheureux tout étourdi, et craignant de déplaire au ministre en molestant un peu trop sa maîtresse, sort à l’instant pour me calmer. Je jette ses habits dans une autre pièce, saute sur les effets précieux, les mets dans ma poche et me hâte de rejoindre Saint-Fond, qui me demande la cause d’un retour si leste.

— Ce n’est rien, lui dis-je ; mais ma promptitude à rapporter les habits de monsieur est cause que mon boudoir s’est fermé, la clef en dedans : ce sont des serrures anglaises que personne ne peut ouvrir ; monsieur ayant tout ce qu’il lui faut, nous pouvons remettre à un autre temps l’entrevue qu’il désire.

Et j’entraîne mes deux convives au jardin, où tout était préparé pour les recevoir ; le prince oublie ses effets, revêt l’habit que je lui présente et ne pense plus qu’à de nouveaux plaisirs.

Il faisait une soirée délicieuse ; nous étions sous un bosquet de lilas et de roses, magiquement éclairé, assis tous trois dans des trônes soutenus par des nuages, desquels s’exhalaient les parfums les plus délicieux ; le centre était occupé par une montagne des fleurs les plus rares, parmi lesquelles étaient les jattes du Japon et les couverts d’or qui devaient nous servir. À peine fûmes-nous placés que le haut du bosquet s’ouvrit, et nous vîmes aussitôt paraître, sur un nuage de feu, les Furies, tenant enchaînées avec leurs serpents les trois victimes qui devaient s’immoler à ce repas. Elles descendirent du nuage, attachèrent chacune celle qui lui était confiée à des arbustes près de nous, et se préparèrent à nous être utiles. Ce repas sans ordre ne devait être servi qu’à la volonté des convives ; on demandait ce qui passait par la tête, les Furies le servaient sur-le-champ. Plus de quatre-vingts plats de différentes espèces sont demandés sans qu’il en soit refusé un seul ; dix espèces de vins sont servies, tout coule, tout se fournit avec profusion.

— Voilà un repas délicieux, dit mon amant. J’espère, mon prince, que vous êtes satisfait du début de ma directrice.

— Enchanté, dit le sexagénaire, dont l’abondance des mets et des liqueurs spiritueuses avait tellement troublé la tête, qu’il ne pouvait presque plus parler. En vérité, Saint-Fond, votre Juliette est divine… mais c’est qu’elle a le plus beau cul !

— Oublions-le un moment, dit Saint-Fond, pour nous occuper de ceux de ces Furies ; savez-vous que je les crois superbes ?

Et, sur le simple aperçu d’un désir, ces trois déesses, représentées par trois des plus belles filles qu’avaient pu me trouver dans Paris les appareilleuses que j’avais employées, exposent à l’instant leurs fesses aux deux libertins, qui les baisent, les lèchent, les mordent à plaisir.

— Oh ! Saint-Fond, dit le prince, faisons-nous fouetter par ces Furies.

— Avec des branches de rose, dit Saint-Fond.

Et voilà les culs de nos paillards à l’air, cruellement fouettés, et par des faisceaux de fleurs, et par les serpents de ces harpies.

— Que ces écarts sont lubriques ! dit Saint-Fond en se rasseyant et montrant son vit tout en l’air ; bandez-vous, mon prince !

— Non, répond le malheureux perclus, rien de tout cela n’est assez fort pour moi : du moment que je suis en débauche, je voudrais que les atrocités m’environnassent sans cesse ; je voudrais que tout ce qui est sacré chez les hommes fût à l’instant troublé par moi… que leurs liens les plus sévères fussent brisés par mes mains perfides.

— Vous n’aimez pas les hommes, n’est-ce pas, mon prince ?

— Je les abhorre.

— Il n’est pas d’instant dans la journée, reprit Saint-Fond, où je n’aie de leur nuire le dessein le plus véhément : il n’est pas en effet une race plus épouvantable. Est-il puissant, cet homme dangereux ? le tigre des forêts ne l’égale pas en méchanceté. Est-il malheureux ? que de bassesses, comme il est vil alors, comme il est dégoûtant ! Oh ! qu’il m’arrive souvent de rougir d’être né parmi de tels êtres ! Ce qui me plaît, c’est que la nature les abhorre tout autant que moi, car elle les détruit journellement ; je voudrais avoir autant de moyens qu’elle de les anéantir sur la terre.

— Mais vous, vous, respectables êtres, interrompis-je ici, croyez-vous réellement que vous soyez des hommes ? Eh ! non, non ! quand on leur ressemble aussi peu, quand on les domine avec autant d’empire, il est impossible d’être de leur race.

— Elle a raison, dit Saint-Fond ; oui, nous sommes des dieux : ne nous suffit-il pas comme eux de former des désirs pour qu’ils soient aussitôt satisfaits ? Ah ! qui doute que, parmi les hommes, il n’y ait une classe assez supérieure à la plus faible espèce, pour être ce que les poètes nommaient autrefois des divinités !

— Pour moi, je ne suis pas Hercule, je le sens, dit le prince, mais je voudrais être Pluton ; je voudrais être chargé du soin de déchirer les mortels aux enfers.

— Et moi, dit Saint-Fond, je voudrais être la boîte de Pandore, afin que tous les maux sortis de mon sein les détruisissent tous individuellement.

Ici, quelques gémissements se firent entendre ; ils émanaient des trois victimes enchaînées.

— Qu’on les délie, dit Saint-Fond, et qu’elles se fassent voir à nous.

Les Furies les détachent et les présentent aux deux convives ; et comme il était impossible de réunir plus de grâces et plus de beautés, je vous laisse à penser comme elles furent bientôt couvertes de luxure.

— Juliette, me dit le ministre transporté, vous êtes une charmante créature ; on peut dire avec raison que vos essais sont des coups de maître ; allons nous perdre sous ces bosquets, allons nous livrer, dans l’ombre et le silence, à tout ce que l’égarement de nos têtes pourra nous dicter… As-tu fait creuser quelques fosses ?

— Presque au pied de tous les endroits qui peuvent offrir des sièges à vos impuretés.

— Bon ; et point de lumières dans les allées ?

— Aucune ; l’obscurité convient au crime et vous en jouirez dans toute son horreur ; allons, prince, égarons-nous dans ces labyrinthes, et que là rien n’arrête l’impétuosité de nos emportements.

Nous partîmes d’abord tous ensemble, les deux libertins, les trois victimes et moi. À l’entrée d’une route de charmille, Saint-Fond dit qu’il ne pouvait aller plus loin sans foutre ; et saisissant la plus jeune des filles, en moins de dix minutes le vilain fit sauter les deux pucelages ; j’excitais, pendant ce temps-là, le vieux prince que rien ne pouvait faire bander.

— Vous ne foutrez donc pas ? lui dit Saint-Fond en s’emparant de la seconde fille.

— Non, non, dépucelez, dit le vieux paillard, je me contenterai de vexations ; donnez-les moi à mesure qu’elles sortent de vos mains.

Et dès qu’il tient la plus jeune de ces petites filles, il la tourmente de la plus cruelle manière, pendant que je le suce de toutes mes forces. Cependant Saint-Fond déflorait toujours, et, ayant mis la seconde dans le même état que la première, en la rendant au prince, il saisit celle de quatorze ans.

— Que j’aime à foutre ainsi dans l’obscurité ! disait-il, les voiles de la nuit sont les aiguillons du crime, on ne les commet jamais aussi bien que dans l’ombre !

Saint-Fond, qui n’avait point encore déchargé, le fit dans le cul de l’aînée de ces filles, et demandant aussitôt au prince laquelle il voulait immoler, sur la cession que celui-ci fit de celle qui venait de faire décharger Saint-Fond, le vieux paillard, muni de tous les instruments nécessaires aux supplices qu’il méditait, s’égara, tenant ses deux victimes, et je suivis mon amant avec celle qui devait recevoir la mort de ses mains. Dès que nous fûmes à peu près seuls, je lui déclarai le vol que j’avais fait ; il en rit beaucoup avec moi et m’assura que, comme pour se mettre en train, le prince, suivant son usage, avait été au bordel avant de venir au souper, il n’y avait rien de plus aisé que de lui faire croire qu’il avait tout perdu dans ce lieu.

— Êtes-vous donc des amis de cet homme ? dis-je à Saint-Fond.

— Je ne suis l’ami de personne, me répondit le ministre ; je ménage cet original par politique : il ne laisse pas que de contribuer à ma fortune, il est fort bien avec le roi ; mais qu’il soit disgracié demain, je deviendrai le plus ardent de ceux qui l’écraseront. Il a deviné mes goûts, je ne sais comment ; il a voulu les partager, j’y ai consenti, voilà tous nos liens. Est-ce que vous ne l’aimez pas, Juliette ?

— Je ne puis le souffrir.

— Ma foi, sans les raisons de politique dont je viens de vous faire part, je vous le livrerais ; mais je le perdrai si vous voulez : vous me plaisez au point, madame, qu’il n’est rien que je ne fasse pour vous.

— Ne dites-vous pas que vous lui avez des obligations ?

— Quelques-unes.

— Eh bien, comment, d’après vos principes, pouvez-vous l’envisager un instant ?

— Laissez-moi faire, Juliette, j’arrangerai tout cela.

Et, en même temps, Saint-Fond me renouvela tous ses éloges sur la manière dont j’avais conduit cette fête.

— Tu es, me dit-il, remplie de goût et d’esprit, et plus je te connais, plus je sens la nécessité de t’attacher à moi.

C’était la première fois qu’il me tutoyait ; il me fit sentir cette faveur en m’accordant en même temps celle d’en user de même avec lui.

— Je te servirai toute ma vie, si tu le veux, Saint-Fond, répondis-je ; je connais tes goûts, je les satisferai, et, si tu désires m’attacher encore davantage, tu contenteras de même les miens.

— Baise-moi, ange céleste ! cent mille écus te seront comptés demain matin : tu vois si je te devine !

Nous en étions là, lorsqu’une vieille pauvresse nous aborde pour nous demander l’aumône.

— Comment se fait-il, dit Saint-Fond surpris, qu’on ait laissé entrer cette femme ?

Et le ministre, me voyant sourire, entendit aussitôt la plaisanterie…

— Ah ! friponne, me dit-il, c’est délicieux ! Eh bien, que voulez-vous ? continua-t-il en approchant cette vieille.

— Hélas ! quelques charités, monseigneur, répondit l’infortunée. Venez, venez voir ma misère.

Et prenant la main du ministre, elle le conduisit dans une mauvaise petite baraque, éclairée d’une lampe qui pendait au plafond, et dans laquelle deux enfants, l’un mâle, l’autre femelle, et de huit à dix ans au plus, reposaient nus sur un peu de paille.

— Vous voyez cette triste famille, nous dit la pauvresse ; il y a trois jours que je n’ai un morceau de pain à leur donner ; daignez, vous que l’on dit si riche, me mettre à même de soutenir leur triste vie. Oh ! monseigneur, qui que vous soyez, connaissez-vous M. de Saint-Fond ?

— Oui, répondit le ministre.

— Eh bien ! vous voyez son ouvrage : il a fait enfermer mon mari ; il nous a pris le peu de bien dont nous jouissions ; tel est l’état cruel où il nous a réduits depuis plus d’un an…

Et voilà, mes amis, le grand mérite que j’avais à cette scène ; c’est que tout en était exactement vrai : j’avais découvert ces tristes victimes de l’injustice et de la rapacité de Saint-Fond, et je les lui offrais réellement, pour réveiller sa méchanceté.

— Ah, gueuse ! s’écria le ministre en fixant cette femme, oui, oui, je le connais, et tu dois bien me connaître aussi… Oh ! Juliette, vous tenez, par cette adroite scène, mon âme dans un état !… Eh bien, qu’avez-vous à me reprocher ? J’ai fait enfermer votre époux innocent, cela est vrai ; j’ai mieux fait encore, car il n’existe plus… Vous m’avez échappé, je voulais vous traiter de même.

— Quel mal avons-nous commis ?

— Celui d’avoir un bien, à ma porte, que vous ne vouliez pas me vendre ; en vous accablant, je l’ai eu… Vous mourez de faim, que cela me fait-il ?

— Et ces malheureux enfants ?

— Il y en a dix millions de trop en France : c’est rendre service à la société que d’élaguer tout cela ; et les retournant avec son pied : La belle graine à recueillir !

Le scélérat, alors, que tout cela faisait extraordinairement bander, saisit le petit garçon et l’encule ; puis, s’emparant de la petite fille, il la traite de la même manière.

— Vieille garce ! dit-il alors, montre-moi tes fesses ridées, j’ai besoin de les voir pour déterminer une décharge.

La vieille pleure et résiste ; j’aide les projets de Saint-Fond. Après avoir accablé d’outrages ce malheureux cul, le libertin l’enfile, ayant sous ses pieds les deux enfants, qu’il écrase en déchargeant dans le cul de leur mère, dont il brûle la cervelle au moment de sa crise. Et nous quittons cet infortuné réduit, toujours avec la petite victime de quatorze ans, dont il avait baisé les fesses pendant l’opération.

— Eh bien ! monseigneur, lui dis-je en sortant de là, vous allez à présent jouir du bien de cette famille en toute sûreté, et vous ne le pouviez point. Ces gens-là avaient trouvé des appuis, ils allaient faire du tapage ; je sais bien que vous vous en seriez moqué, mais cela eût toujours été désagréable ; je les ai découverts, je les ai trompés : vous en voilà défait.

Et, ici, Saint-Fond, en me baisant, était dans une ivresse inconcevable.

— Ah ! comme le crime est doux et comme ses suites sont voluptueuses !… Juliette, tu ne saurais croire en quel état tient tous mes sens la divine action que tu viens de me faire commettre… Mon ange, mon unique dieu, dis-moi donc ce que tu veux que je fasse pour toi.

— Je sais qu’on vous plaît en laissant parler le désir d’avoir de l’argent : vous augmenterez de quelque chose la somme promise.

— N’était-elle pas de cent mille écus ?

— Oui.

— Ô Juliette, je t’en promets le double ! Mais qu’est ceci ?… dit le ministre effrayé de deux hommes qui s’avançaient à nous le pistolet à la main ; je frémis ; personne n’est plus poltron que moi… Messieurs, que voulez-vous ?

— Tu vas le voir, répond un de ces hommes en saisissant Saint-Fond et l’attachant au pied d’un arbre, ses culottes rabaissées sur ses talons.

— Mais que prétendez-vous ?

— T’apprendre, dit l’autre homme armé d’une poignée de verges dont il caresse déjà le fessier ministériel, oui, scélérat, t’apprendre à traiter, comme tu viens de le faire, les pauvres habitants de la masure que tu quittes.

Et quand celui-ci a donné trois ou quatre cents coups, qui n’ont servi qu’à reguinder la machine énervée de Saint-Fond, l’autre approche et perfectionne son extase en l’enculant d’un vit énorme. Dès qu’il a foutu, il fouette ; et dès qu’il a fouetté, le premier flagellateur encule. Saint-Fond, pendant ce temps-là, manie les fesses de la jeune fille à droite et les miennes à gauche ; on le détache, les hommes disparaissent et nous errons de nouveau dans les ténèbres.

— Ô Juliette, je ne cesserai de te le dire, tu es divine !… Mais sais-tu que j’ai eu bien peur ? Il est délicieux de donner à ses nerfs cette première commotion avant que de leur imprimer celle de la volupté : voilà de ces gradations que les sots ignorent et qui ne devraient être connues que de gens tels que nous.

— La peur agit donc fortement sur toi ? dis-je à Saint-Fond.

— Oh, prodigieusement, ma chère ! Je suis le plus jean-foutre de tous les êtres, et je l’avoue sans la plus petite honte. La peur n’est que l’art de se conserver, et cette science est la plus nécessaire à l’homme : il est absurde d’attacher de l’honneur à ne pas craindre les dangers ; je place le mien à les redouter tous.

— Ah, Saint-Fond ! si la peur fait un tel effet sur tes sens, juge de l’état où tu mets les malheureuses victimes de tes passions !

— Eh ! c’est ce qui m’en plaît, dit le ministre ; j’aime à leur faire éprouver l’espèce de chose qui trouble et bouleverse le plus cruellement mon existence… Mais où sommes-nous ici ?… Ton jardin est d’une grandeur énorme.

— Nous voilà, dis-je, au bord d’une de ces fosses préparées pour les victimes…

— Ah ! ah ! dit Saint-Fond en tâtant avec la main ; il faut que le prince ait immolé une des siennes ici : je sens un cadavre.

— Retirons-le, dis-je, voyons qui c’est… Elle n’est pas morte ; c’est la plus jeune des trois sœurs : elle ne paraît être qu’étouffée, et le scélérat l’enterrait toute vive ; il faut la rappeler à la vie, tu auras le plaisir d’en tuer deux.

Effectivement, après quelques secours, cette malheureuse revint à elle, mais il lui fut impossible de nous dire ce que le prince lui faisait quand elle avait perdu connaissance. Les deux sœurs s’embrassent en pleurant, et le barbare Saint-Fond leur déclare qu’il va les tuer toutes deux. Il y procède en effet ; mais ayant beaucoup d’autres aventures semblables à vous raconter, j’aime mieux jeter un voile sur celle-ci que de risquer la monotonie. Le monstre avait déchargé dans le cul de la plus jeune de ces malheureuses, en procédant à son dernier supplice ; nous jetâmes un peu de terre sur le trou, et nous poursuivîmes.

— Oh ! quelle action voluptueuse que celle de la destruction ! me dit cet insigne libertin ; je n’en connais pas qui chatouille plus délicieusement ; il n’est pas d’extase semblable à celle que l’on goûte en se livrant à cette divine infamie : si tous les hommes connaissaient ce plaisir, la terre se dépeuplerait en dix ans. Chère Juliette, j’ai bien reconnu, dans ce que nous venons de faire, que tu aimes le crime autant que moi !

Et je convainquis Saint-Fond qu’il m’irritait peut-être encore plus que lui. En disant ces mots, nous aperçûmes dans le bois, au clair de la lune qui se levait, une espèce de petit couvent.

— Qu’est-ce encore que ceci ? dit Saint-Fond, prétends-tu donc me noyer de voluptés ?

— En vérité, dis-je, j’ignore où nous sommes ; frappons.

Une vieille religieuse se présente.

— Ma très chère mère, lui dis-je, pouvez-vous donner l’hospitalité à deux voyageurs qui s’égarent ?

— Entrez, dit la bonne dame ; quoique ceci soit un couvent de religieuses, la vertu que vous implorez n’est point étrangère à nos cœurs, et nous la pratiquons aussi volontiers avec vous que nous venons de le faire envers un vieux seigneur de la cour qui nous a demandé la même chose ; il est avec nos dames, qui viennent de se lever pour matines.

Nous comprîmes, à ces mots, que le prince était là : nous le joignons. Une autre religieuse et six pensionnaires de douze à seize ans l’entouraient. Le vieux coquin, tout couvert du sang de sa dernière victime, commençait déjà à perdre le respect.

— Monsieur, dit à Saint-Fond celle des religieuses que nous trouvâmes en haut, opposez-vous aux tentatives de cet ingrat. Ce n’est que par des insultes qu’il prétend reconnaître l’hospitalité que nous lui accordons.

— Madame, dit le ministre, mon ami, qui n’est guère plus moral que moi, en détestant la vertu comme je le fais, n’aime à lui accorder aucune récompense ; vos pensionnaires me paraissent extrêmement jolies, et, ou nous mettrons le feu à votre couvent, ou, sacredieu ! nous les violerons toutes six.

Et Saint-Fond, saisissant aussitôt la plus petite, en accablant de coups de poing les deux religieuses qui veulent la défendre, la viole à nos yeux, par-devant. Que vous dirais-je, mes amis ? les cinq autres eurent bientôt le même sort, à la différence que Saint-Fond, craignant de voir faiblir son outil, laissa les cons pour ne perforer que les culs. À mesure qu’elles sortaient de ses mains, le prince s’en emparait et les fustigeait jusqu’au sang, entremêlant toujours cette opération de baisers sur mes fesses, qu’il adorait, disait-il, par-dessus tout. Saint-Fond, maître de lui, n’avait pas déchargé ; il s’empare des deux religieuses, dont l’une avait plus de soixante ans, s’enferme avec elles dans une cellule voisine, et rentre seul au bout d’une demi-heure.

— Qu’as-tu donc fait de ces duègnes, mon ami ? dis-je au ministre, en le voyant revenir très ému.

— Pour rester les maîtres de la maison, nous dit-il, il fallait bien se débarrasser de ces gardiennes ; j’ai commencé par m’en amuser dans cette cellule : j’aime infiniment les vieux culs ; puis, ayant découvert un escalier qui conduisait auprès d’un puits, je les y ai jetées pour s’y rafraîchir.

— Et ces poulettes, qu’en allons-nous faire ? J’espère que nous ne les laisserons pas en vie, dit le prince…

De nouvelles horreurs se commirent, que je laisse encore sous le voile ; mais le couvent fut dévasté.

Les deux libertins, ayant complètement déchargé dans cette scène et voyant le jour près de paraître, désirèrent enfin se retirer. Un déjeuner somptueux, servi par trois femmes nues, nous attendait dans mes cabinets secrets ; le besoin que nous en avions nous y fit faire le plus grand honneur. Le prince voulut, avec la permission de mon amant, passer quelques heures au lit avec moi ; et Saint-Fond, au milieu de deux de mes laquais, se fit foutre le reste de la nuit.

Les tentatives du vieux seigneur ne firent pas courir de grands risques à ma pudeur ; après des peines infinies, il parvint à s’introduire un moment au trou de mon cul ; mais la nature trompant son espoir, l’outil plia ; le vilain, qui n’eut même pas la force de décharger, parce qu’il avait, disait-il, deux fois perdu du foutre dans toute la partie, s’endormit le nez dans mon derrière.

Dès que nous fûmes levés, Saint-Fond, toujours plus enchanté de moi que jamais, me donna un bon de huit cent mille francs, à prendre sur-le-champ au trésor royal, et il emmena son ami.

L’histoire de cette première partie fut à peu près celle de toutes les autres, aux épisodes près, que ma fertile imagination avait soin de varier sans cesse. Noirceuil se trouvait presque à toutes, mais je n’y avais point encore vu d’étrangers que le prince.

Il y avait trois mois que je conduisais cette barque immense avec tout le succès possible, lorsque Saint-Fond m’annonça que j’avais, pour le lendemain, un crime ministériel à commettre. Cruels effets de la plus barbare politique ! Ô mes amis, devineriez-vous quelle était cette victime ? le père même de Saint-Fond, vieillard de soixante-six ans, respectable sous tous les rapports : il le barrait dans ses travers, craignant qu’ils ne le perdissent ; il le desservait même à la cour, afin de le contraindre à laisser là le ministère, croyant, avec bien de la raison, qu’il serait plus avantageux pour ce fils scélérat de quitter lui-même, que d’être renvoyé. Cette conduite déplut à Saint-Fond, qui, d’ailleurs, gagnait trois cent mille livres de rente à cette mort, et l’arrêt parricide fut bientôt prononcé. Noirceuil vint m’expliquer ce dont il s’agissait, et, comme il remarqua que ce grand crime m’effarouchait un peu, voici par quel discours il tâcha d’en faire disparaître l’atrocité qu’y supposait imbécilement ma faiblesse.

— Le mal que vous croyez faire en tuant un homme, et celui dont vous croyez l’aggraver, lorsqu’il s’agit d’un parricide, voilà, me semble, ma chère, ce que je dois combattre à vos yeux. Je n’examinerai point la question sous le premier rapport : vous êtes au-dessus des préjugés qui supposent du crime à la destruction de son semblable26. Cet homicide est simple pour vous, puisqu’il n’existe aucun lien entre votre existence et celle de la victime : il n’est compliqué que pour mon ami ; vous redoutez le parricide dont il veut se souiller : ce n’est donc que sous ce point de vue que je vais envisager l’action proposée.

Le parricide est-il un crime ou non ?

Assurément, s’il est au monde une action que je crois légitime, c’est celle-là ; et quel rapport, je vous prie, peut-il exister entre celui qui m’a mis au monde et moi ? Comment voulez-vous que je me croie lié par quelque sorte de reconnaissance envers un homme parce qu’il lui a pris fantaisie de décharger dans le con de ma mère ? Rien n’est risible comme cet imbécile préjugé. Mais si je ne le connaissais pas, ce père, s’il m’avait mis au monde sans que je m’en doutasse, la voix de la nature me l’indiquerait-elle ? ne serais-je pas aussi froid avec lui qu’avec les autres hommes ? Si ce fait est sûr, et je crois que l’on n’en peut douter, le parricide n’ajoute rien au mal supposé à l’homicide. Si je tuais l’homme qui m’aurait donné le jour, sans le connaître, je n’aurais sûrement aucun remords de l’avoir tué comme père : ce n’est donc que parce qu’on me dit qu’il m’appartient que je m’arrête ou que je me repens ; or, je vous prie de me dire de quel poids l’opinion peut être pour aggraver un crime, et s’il est possible qu’elle en change la nature. Quoi ! je puis tuer sans remords mon père si je ne le connais pas, et je ne puis si je le connais ? de manière qu’on n’a qu’à me persuader qu’un individu que je viendrais de tuer est mon père, quoiqu’il ne le soit pas : voilà des remords appliqués à une fausse notion. Or, s’ils existent, quoique la chose ne soit pas, ils ne sauraient légitimement exister quand elle est. Si vous pouvez me tromper sur cela, mon crime est une chimère ; si la nature ne m’indique pas, d’elle-même, l’auteur de mes jours, c’est qu’elle ne veut pas que j’éprouve d’autre tendresse pour lui que celle que m’inspire un être indifférent. Si le remords peut être appliqué d’après votre opinion, et que votre opinion puisse me tromper, le remords est nul ; je suis un fou de le concevoir. Les animaux connaissent-ils leur père, le soupçonnent-ils seulement ? Motivez-vous ma reconnaissance filiale sur les soins que ce père a pris de mon enfance ? Autre erreur. Il a cédé, en les prenant, aux usages de son pays, à son orgueil, à un sentiment que lui, comme père, peut avoir eu pour son ouvrage, mais que je n’ai nul besoin, moi, de concevoir pour l’ouvrier ; car cet ouvrier, uniquement occupé de son plaisir, n’a nullement pensé à moi lorsqu’il lui a plu de procéder, avec ma mère, à l’acte de la progéniture : il ne s’occupait que de lui, et je ne vois pas là de quoi former des sentiments bien ardents de reconnaissance. Ah ! cessons de nous faire plus longtemps illusion sur ce ridicule préjugé : nous ne devons pas plus à celui qui nous a donné la vie qu’à l’être le plus froid et le plus éloigné de nous. La nature ne nous indique absolument rien pour lui ; je dis plus : elle ne saurait rien nous indiquer, l’amitié ne remonte point d’ailleurs ; il est faux qu’on aime son père, il est faux qu’on puisse même l’aimer ; on le craint, mais on ne l’aime pas ; son existence ennuie, mais elle ne plaît point ; l’intérêt personnel, la plus sainte des lois de la nature, nous engage invinciblement à désirer la mort d’un homme dont nous attendons notre fortune ; et sous ce rapport, sans doute, non seulement il serait tout simple de le haïr, mais beaucoup plus naturel encore d’attenter à sa vie, par la grande raison qu’il faut que chacun ait son tour, et que si mon père a joui pendant quarante ans de la fortune du sien, et que je me vois vieillir, moi, sans jouir de la sienne, je dois assurément, et sans aucun remords, aider à la nature qui l’oublie dans ce monde, et hâter, par toutes sortes de moyens, la jouissance des droits qu’elle me donne et qu’elle ne tarde que par un caprice que je dois corriger en elle. Si l’intérêt est la mesure générale de toutes les actions de l’homme, il y a donc infiniment moins de mal à tuer son père qu’un autre individu ; car les raisons personnelles que nous avons pour nous défaire de celui qui nous a donné le jour doivent toujours être plus puissantes que celles que nous avons de nous défaire d’un autre personnage. Il existe ici une autre considération métaphysique que nous ne devons pas perdre de vue : la vieillesse est la route de la mort ; la nature, en vieillissant un homme, l’approche de son tombeau ; celui qui tue un vieillard ne fait donc qu’accomplir ses intentions : voilà ce qui fit, chez beaucoup de peuples, une vertu du meurtre des vieillards. Inutiles à la terre qu’ils chargent de leur poids, consumant une nourriture qui manque au plus jeune, ou que celui-ci est obligé de payer plus cher à cause du trop grand nombre des consommateurs, il est démontré que leur existence est inutile, qu’elle est dangereuse, et que ce qu’on peut faire de mieux est de la supprimer. Non seulement ce n’est donc point un crime de tuer son père, mais c’est une excellente action ; c’est une action méritoire envers soi-même qu’elle sert, méritoire envers la nature qu’elle décharge d’un poids onéreux, et digne d’éloge, puisqu’elle suppose un homme assez énergique, assez philosophe pour s’être préféré, lui qui peut être utile aux hommes, à ce vieillard, qui n’en était plus qu’oublié. Vous allez donc faire une excellente action, Juliette, en détruisant l’ennemi de votre amant qui, sans doute, sert l’État aussi bien qu’il puisse le faire ; car s’il se permet quelques petites prévarications, Saint-Fond n’en est pas moins un fort grand ministre : il aime le sang, son joug est dur, il croit le meurtre utile au maintien de tout gouvernement. A-t-il tort ? Sylla, Marius, Richelieu, Mazarin, tous les grands hommes ont-ils pensé différemment ? Machiavel donna-t-il d’autres principes ? N’en doutons pas ; il faut du sang, surtout au soutien des gouvernements monarchiques ; le trône des tyrans doit en être cimenté, et Saint-Fond est loin de faire répandre tout celui qui devrait couler !… Enfin, Juliette, vous vous conservez ici un homme qui, je le pense, vous fait jouir d’un état assez florissant ; vous augmentez la fortune de celui qui fait la vôtre : je demande si vous devez balancer ?

— Noirceuil, dis-je effrontément, qui vous a dit que je balançais ? Un mouvement involontaire a pu m’échapper ; je suis jeune, je débute dans la carrière où vous m’entraînez : quelques faibles retours doivent-ils donc étonner mes maîtres ? Mais ils verront bientôt si je suis digne d’eux. Que Saint-Fond se hâte de m’envoyer son père : il est mort deux heures après son entrée chez moi. Mais, mon cher, il est trois classes de poisons dans la cassette que m’a confiée votre ami : quel est celui dont je dois me servir ?

— Le plus cruel de tous, celui qui fait souffrir davantage, dit Noirceuil ; c’est encore une recommandation que je suis chargé de te faire. Saint-Fond veut qu’en mourant son père soit puni des affreuses intrigues qu’il a employées pour le desservir, il veut que ses douleurs soient épouvantables.

— Je le conçois, répondis-je ; dites-lui qu’il sera satisfait. Et comment la chose se passera-t-elle ?

— Le voici, dit Noirceuil :

En ta qualité d’amie du ministre, tu inviteras ce vieillard à venir dîner chez toi ; ton billet lui fera comprendre que c’est à dessein de tout concilier, et qu’approuvant toi-même les raisons qu’il donne pour la retraite de son fils, tu veux en causer avec lui. Le vieux Saint-Fond viendra, on l’emportera malade de chez toi, son fils se charge du reste. Voici la somme convenue pour l’exécution du crime qu’il attend : un bon de cent mille écus sur le trésor ; es-tu contente, Juliette ?

— Saint-Fond m’en donne autant pour une fête, dis-je en rendant le papier, dites-lui que je le servirai pour rien.

— En voilà un second de même somme, dit Noirceuil : j’étais chargé de répondre à l’objection, elle ne déplaît point à ton amant. Je veux qu’elle soit payée, et payée comme elle le désire, me dit-il tous les jours ; tant qu’elle me montrera de l’intérêt et que je satisferai cet intérêt, je serai sûr de la conserver.

— Saint-Fond doit me connaître, répondis-je ; j’aime l’argent, je ne m’en cache point, mais je ne lui demanderai jamais plus qu’il ne sera nécessaire. Ces six cent mille francs sont pour l’exécution du projet ; j’en demande autant le jour qu’expirera son père.

— Tu les auras, Juliette, sois tranquille, c’est moi qui t’en réponds. Ô Juliette, que ta position est heureuse ! Ménage-la, jouis, et tu vas, si tu sais te conduire, devenir, avant qu’il soit peu, la femme la plus riche de l’Europe : quel ami je t’ai donné là !

— Déjà dans tes principes, je ne t’en remercie pas, Noirceuil ; cette liaison t’a fait plaisir, tu y gagnes toi-même, il devient flatteur pour toi d’être l’ami d’une femme dont le luxe et le crédit effacent déjà celui des princesses de la cour… Je rougirais d’aller à l’Opéra comme y parut hier la princesse de Nemours : aussi n’eut-elle pas un regard, pendant que tous les yeux étaient sur moi.

— Et jouis-tu de tout cela, Juliette ?

— Infiniment, mon cher ; d’abord, je roule sur l’or, ce qui est pour moi la première des jouissances.

— Mais fous-tu ?

— Beaucoup ; il est bien peu de nuits où ce que Paris a de mieux dans les deux sexes ne vienne m’offrir son hommage.

— Et tes crimes favoris ?

— Ils vont leur train, je vole tout ce que je peux… jusqu’à un écu, comme si je mourais de faim.

— Et la vengeance ?

— J’y donne le plus grand essor ; la juste punition du prince de *, qui fait la nouvelle du jour, est mon unique ouvrage ; cinq ou six femmes sont depuis deux mois à la Bastille, pour avoir voulu être mieux mises que moi.

Nous entrâmes ensuite dans quelques détails sur les fêtes que je donnais au ministre.

— Je ne te cacherai pas, me dit Noirceuil, que tu as l’air de te relâcher depuis quelque temps ; Saint-Fond s’en est aperçu ; il n’y avait pas cinquante plats au dernier souper. Ce n’est qu’en mangeant beaucoup qu’on décharge bien, poursuivit Noirceuil, et, nous autres libertins, nous tenons fort à la qualité et à la quantité du sperme. La gourmandise flatte infiniment tous les goûts qu’il a plu à la nature de nous donner, et il semble qu’on n’a jamais le vit si roide et le cœur si dur, que quand on vient de faire un repas somptueux. Je te recommande encore le choix des filles : Saint-Fond, quoique ce que tu nous donnes soit très joli, n’y trouve pas encore assez de recherches. Tu ne saurais croire à quel point il faut les porter : nous voulons que le gibier fourni soit non seulement d’une excellente race, mais qu’il possède encore toutes les qualités morales et physiques qui peuvent rendre sa défaite intéressante.

Sur cela, je fis part à Noirceuil des excellents moyens que je prenais ; au lieu de six, vingt-quatre femmes travaillaient maintenant sans relâche, et elles avaient sous elles un pareil nombre de femmes correspondantes qui parcouraient les provinces ; j’étais la cheville ouvrière de tout cela, et bien certainement j’y donnais tous mes soins.

— Avant que de te décider pour un sujet, me répondit Noirceuil, fût-il à trente lieues, fais-les pour le voir, et n’accepte jamais que ce qui te paraîtra délicieux.

— Ce que vous me recommandez est fort difficile, répondis-je, car le sujet est souvent enlevé avant qu’on ne m’en parle.

— Eh bien, dit Noirceuil, il faut en enlever vingt, pour en avoir dix.

— Et que ferais-je des réformés ?

— Tu t’en amuses, tu les vends à tes amis… à des maquerelles ; c’est ce que dans ta place on appelle le tour du bâton : il y a cent mille francs à gagner là par an.

— Oui, si Saint-Fond me payait tous les sujets, mais il n’en paye que trois par souper.

— Je l’engagerai à les payer tous.

— Il sera beaucoup mieux servi. Maintenant, Noirceuil, poursuivis-je, entrez avec moi dans quelques détails qui me sont absolument personnels. Vous connaissez ma tête : avec tant de moyens de faire le mal, vous croyez bien que je m’y livre avec outrance ; ce que je conçois, ce que j’imagine déjà, ne s’exprime point ; mais, mon ami, vos conseils me sont nécessaires. Saint-Fond ne sera-t-il pas jaloux de tous les écarts où je me livre ?

— Jamais, me dit Noirceuil, Saint-Fond est trop raisonnable pour ne pas sentir que tu dois donner dans beaucoup de travers ; cette seule idée l’amuse et il me disait encore hier : Je crains qu’elle ne soit pas assez gueuse.

— Oh ! dans ce cas, qu’il se tranquillise, mon ami ! assurez-le qu’il est difficile de porter plus loin le goût de tous les vices.

— J’ai quelquefois entendu demander, dit Noirceuil, si la jalousie était une manie flatteuse ou défavorable pour une femme, et j’avoue que je n’ai jamais douté que ce mouvement, n’étant que personnel, assurément les femmes n’avaient rien à gagner à l’action qu’il produit dans l’âme de leurs amants. Ce n’est point parce qu’on aime beaucoup une femme qu’on en est jaloux, c’est parce qu’on craint l’humiliation qui naîtrait de son changement ; et la preuve qu’il n’y a rien que de purement égoïste dans cette passion, c’est qu’il n’y a pas un amant de bonne foi qui ne convienne aimer mieux voir sa maîtresse morte, qu’infidèle. C’est donc bien plutôt son inconstance que sa perte qui nous afflige, et c’est donc nous seuls que nous considérons dans cet événement. D’où je conclus qu’après l’impardonnable extravagance d’être amoureux d’une femme, la plus grande sans doute qu’on puisse faire est d’en être jaloux. Ce sentiment est malhonnête pour elle, puisqu’il lui prouve qu’on ne l’estime pas ; il est affligeant pour soi et toujours inutile, puisque c’est un moyen sûr de donner à une femme l’envie de nous manquer que de lui laisser apercevoir la crainte que nous avons que cela ne lui arrive. La jalousie et la frayeur du cocuage sont deux choses qui tiennent absolument à nos préjugés sur la jouissance des femmes ; sans cette maudite coutume de vouloir imbécilement, sur cet objet, lier sans cesse le moral au physique, nous nous débarrasserions aisément de ces préjugés. Eh quoi ! il n’est pas possible de coucher avec une femme sans l’aimer, et il n’est pas possible de l’aimer sans coucher avec elle ? Mais quelle nécessité y a-t-il donc que le cœur soit de la partie où le corps seul agit ? Ce sont deux désirs, ce sont deux besoins très différents, ce me semble. Araminthe a le plus beau corps du monde, sa figure est voluptueuse, ses grands yeux noirs et pleins de feu me promettent une ample éjaculation de son sperme, lorsque les parois de son vagin ou de son anus seront vivement électrisées du frottement de ma verge ; j’en jouis, elle tient parole. Quelle nécessité y a-t-il, je vous prie, que les sentiments de mon cœur accompagnent l’acte qui me soumet le corps de cette créature ! Il me paraît, encore une fois, que c’est une chose très différente que d’aimer et que de jouir, et que non seulement il n’est pas nécessaire d’aimer pour jouir, mais qu’il suffit même de jouir pour ne pas aimer. Car les sentiments de tendresse s’accordent aux rapports d’humeur et de convenances, mais ils ne sont nullement dus à la beauté d’une gorge ou à la jolie tournure d’un cul ; et ces objets-ci qui, selon nos goûts, peuvent vivement exciter les affections physiques, n’ont pourtant pas, ce me semble, le même droit aux affections morales. Pour achever ma comparaison, Bélise est laide, elle a quarante ans, pas une grâce dans toute sa personne, pas un trait régulier, pas un seul agrément ; mais Bélise a de l’esprit, un caractère délicieux, un million de choses qui s’enchaînent avec mes sentiments et mes goûts : je n’aurai aucun désir de coucher avec Bélise, mais je ne l’en aimerai pas moins à la folie ; je désirerai fortement avoir Araminthe, mais je la détesterai cordialement dès que la fièvre du désir sera passée, parce que je n’ai trouvé qu’un corps en elle, et nulle des qualités morales qui pouvaient lui mériter les affections de mon cœur. Il n’est d’ailleurs nullement question de tout cela ici, et dans les infidélités que Saint-Fond te laisse faire, il entre un sentiment de libertinage tout différent de l’explication qui vient de t’être donnée. Saint-Fond jouit de l’idée de te savoir dans les bras d’un autre, il t’y place lui-même, il bande en t’y voyant ; tu multiplieras ses jouissances par l’extension que tu donneras aux tiennes, et tu ne seras jamais plus aimée de Saint-Fond que quand tu auras le plus fait ce qui te vaudrait la haine d’un autre. Voilà de ces écarts de tête qui ne sont connus que de nous, mais qui n’en sont pas moins délicieux pour cela.

— Vous me rassurez, dis-je à Noirceuil. Saint-Fond aimera mes goûts, mon esprit, mon caractère, et ne sera point jaloux de ma personne ? Oh ! comme cette idée me console ; car je vous l’avoue, mon ami, la continence me serait impossible, mon tempérament veut être satisfait, à quelque prix que ce puisse être. Avec ce sang impétueux, avec cette imagination que vous me connaissez, avec la fortune immense dont je jouis, comment résisterais-je à des passions que tout irrite et que tout enflamme !

— Eh ! livre-toi, Juliette, livre-toi, c’est tout ce que tu peux faire de mieux ; mais, pour le reste des hommes, un peu d’hypocrisie, je t’y exhorte. Souviens-toi que l’hypocrisie est un vice essentiel, dans le monde, à celui qui a le bonheur de posséder tous les autres ; avec de l’art et de la fausseté, on réussit à tout ce qu’on veut, car ce n’est point de votre vertu dont le monde a besoin, c’est seulement de pouvoir vous en supposer. Pour une couple d’occasions où cette vertu vous sera nécessaire, il y en aura trente où vous n’aurez besoin que de son masque : sachez donc le prendre, femmes débauchées, mais seulement jusqu’à l’indifférence du crime, jamais jusqu’à l’enthousiasme de la vertu, parce que le premier état laisse en paix l’amour-propre des autres et que le second l’irrite. D’ailleurs, c’est bien assez de cacher ce qu’on aime, sans être obligé de feindre ce qu’on déteste ; si tous les hommes étaient vicieux de meilleure foi, l’hypocrisie ne serait pas nécessaire ; mais, faussement persuadés que la vertu a des avantages, ils veulent absolument y tenir par quelque côté. Il faut faire comme eux, et, pour se les gagner, cacher tout ce qu’on peut de ses travers sous le manteau de cette vieille et ridicule idole, quitte à se venger de l’hommage forcé qu’on lui rend par des sacrifices de plus au rival. L’hypocrisie, d’ailleurs, en apprenant à tromper, facilite une infinité de crimes ; on se livre à vous parce que votre air désintéressé en impose, et vous enfoncez le poignard avec d’autant moins de peine qu’on ne vous suppose pas même de le porter. Cette manière sourde et mystérieuse de satisfaire ainsi ses passions rend leur jouissance infiniment plus vive. Le cynisme a du piquant, je le sais, mais il ne vous amène pas, il ne vous assure pas les victimes comme l’hypocrisie ; et puis l’effronterie, les crapuleux écarts du crime ne sont réellement bons que dans les débauches. Qui empêche l’hypocrite de s’y livrer au fond de sa maison, quand il satisfait son libertinage ? Mais on avouera que, loin de là, le cynisme devient déplacé, il est du plus mauvais ton, et, en vous écartant de la société, il vous met hors d’état de jouir d’elle. Les crimes de débauche ne sont pas les seuls qui présentent des délices : il en est tout plein d’autres très intéressants, très lucratifs, que l’hypocrisie nous assure, et dont nous éloignerait le cynisme. Y avait-il au monde une créature plus fausse, plus adroite, plus scélérate que la Brinvilliers ? C’était dans les hôpitaux qu’elle allait faire des épreuves de ses poisons, c’était sous le voile de la piété et de la bienfaisance qu’elle essayait avec impunité les délicieux moyens de ses crimes. Son père lui disait au lit de la mort où elle venait de le réduire par un breuvage empoisonné : « Ô ma chère fille, je ne regrette la vie que par l’impossibilité où je suis de te faire le bien que je voudrais ! » Et la réponse de la fille fut une dose de plus dans le verre de tisane qu’elle administrait au bonhomme27. Il n’y avait pas au monde une créature plus fine, plus adroite ; elle jouait la dévotion, elle allait à la moue, elle faisait des aumônes sans nombre, et tout cela pour assurer ses crimes ; aussi en fit-elle longtemps sans être découverte, et peut-être ne l’eût-elle jamais été, sans son imprudence et le malheur de son amant28. Que cette femme te serve d’exemple, ma chère, je ne saurais t’en offrir de meilleur.

— Je connais toute l’histoire de cette créature célèbre, répondis-je et je désire sans doute en être digne. Mais, mon ami, je voudrais pour modèle une femme plus rapprochée de moi ; je désirerais qu’elle fût plus âgée, qu’elle m’aimât, qu’elle eût mes goûts, mes passions, et que, quoique nous nous branlassions ensemble, elle me permît tous mes autres écarts sans la moindre jalousie : je voudrais néanmoins qu’elle eût une sorte d’empire, sans pourtant chercher à me dominer ; que ses conseils fussent bons, qu’elle eût infiniment de condescendance pour mes caprices et d’expérience du libertinage : sans religion comme sans principes, sans mœurs comme sans vertu, infiniment de chaleur dans l’esprit, et le cœur à la glace.

— J’ai ton affaire, me répondit Noirceuil ; c’est une veuve âgée de trente ans, d’une beauté rare, scélérate au dernier degré, possédant toutes les qualités que tu exiges, et qui te sera d’un grand concours dans la carrière où tu viens d’entrer. Elle me remplacera pour ton éducation ; car tu vois que, séparés comme nous le sommes, je ne pourrai plus te suivre avec la même chaleur : Mme de Clairwil, en un mot, riche à millions, connaît tout ce qu’on peut connaître, sait tout ce qu’on peut savoir, et je te réponds que c’est ce qu’il te faut.

— Ah ! Noirceuil, vous êtes charmant ! Mais, mon ami, ce n’est pas encore tout : je voudrais rendre les conseils que je vais recevoir ; j’éprouve aussi vivement le besoin d’être instruite que celui de faire une éducation, et je désire une élève avec autant d’ardeur qu’une institutrice.

— Eh ! mais…ma femme, dit Noirceuil.

— Quoi ! répondis-je avec enthousiasme, vous me confieriez l’éducation d’Alexandrine ?

— Pourrait-elle être en meilleures mains ? Assurément je te la confierai : Saint-Fond désire qu’elle fasse de toi sa plus intime société.

— Et pourquoi ce mariage se retarde-t-il ?

— Mon deuil encore trop récent, une basse soumission à d’indignes préjugés, que j’adopte à cause de l’usage et que je méprise au fond de mon cœur.

— Encore un mot, mon ami : n’ai-je rien à craindre, auprès du ministre, de la rivalité de la femme dont vous m’offrez la société ?

— Pas la moindre chose. Saint-Fond la connaît avant toi, il s’en amuse ; mais Mme de Clairwil ne remplirait point tes fonctions, et il ne trouverait pas, je le sais, le même plaisir à les lui faire exécuter.

— Ah ! m’écriai-je, vous êtes tous les deux divins, et vos bontés pour moi seront bien chaudement acquittées par mes soins à servir vos passions. Ordonnez-moi, je me trouverai toujours trop heureuse d’être l’instrument de vos débauches et le premier moyen de vos crimes !

Je ne revis plus mon amant jusqu’à l’exécution du forfait que je devais commettre pour lui ; la fermeté me fut de nouveau recommandée, la veille, et le bon vieillard parut. J’employai tout l’art possible, avant que de nous mettre à table, pour le raccommoder avec son fils, et je fus très étonnée de voir que la chose ne serait peut-être pas très difficile. Tout à coup, je changeai de batteries. Ce n’est pas le raccommodement qui est maintenant nécessaire, pensai-je aussitôt ; s’il a lieu, je perds et l’occasion d’un crime qui me chatouille beaucoup et douze cent mille francs promis pour son exécution : cessons de négocier, agissons. J’administre la drogue avec la plus grande facilité ; le vieillard s’évanouit, on l’emporte, et j’apprends avec grand plaisir, le surlendemain, qu’il est mort dans d’horribles douleurs.

Il venait d’expirer, lorsque son fils arriva pour un des soupers qu’il faisait chez moi deux fois par semaine. Le mauvais temps nous contraignit à rester dans l’intérieur, et Noirceuil était le seul convive qu’eût admis ce jour-là Saint-Fond. Je leur avais préparé trois petites filles de quatorze à quinze ans, plus belles que tout ce qu’il est possible de voir au monde ; un couvent de la capitale me les avait fournies, et elles me coûtaient cent mille francs chacune : je ne balançais plus sur les prix depuis que Saint-Fond payait beaucoup mieux.

— Voilà, dis-je en les présentant au ministre, de quoi vous consoler de la perte que vous venez de faire.

— Elle m’est peu sensible, Juliette, dit Saint-Fond en baisant ma bouche, je ferais volontiers mourir quinze scélérats comme celui-là par jour, sans en avoir le plus petit remords. Je n’ai d’autre regret que de ne l’avoir pas vu souffrir davantage ; c’était un drôle bien méprisable.

— Mais savez-vous, dis-je, qu’il n’était pas loin du raccommodement ?

— Tu as bien fait de ne pas adopter ses vues. Que l’existence de ce coquin me pèserait, si j’étais obligé d’en soutenir encore le poids ! Je lui reproche jusqu’à la sépulture que d’affreux préjugés m’ont contraint à lui accorder ; j’eusse voulu voir son corps dévoré par les couleuvres dont il empoisonna mes jours.

Et, comme pour s’étourdir, le libertin se mit tout de suite à l’ouvrage ; mes trois pucelles furent inventoriées. La critique la plus amère ne pouvait mordre sur celles-là : taille, naissance, prémices, enfance, tout s’y trouvait ; mais je m’aperçus que les deux amis ne bandaient pas plus l’un que l’autre, et rien ne plaît à la satiété ; je vis bien qu’ils n’étaient pas contents, et que néanmoins, ils n’osaient se plaindre.

— Indiquez-moi donc ce qu’il vous faut, si ces objets ne vous satisfont pas, leur dis-je ; car vous avouerez qu’il m’est impossible de deviner ce qui peut valoir mieux que cela.

— Rien de plus vrai, répondit Saint-Fond, qui se faisait inutilement manier par deux de ces petites filles ; mais Noirceuil et moi sommes épuisés, nous venons de faire des horreurs, et je ne sais ce qu’il faudrait pour nous réveiller maintenant.

— Ah ! si vous me racontiez vos prouesses, peut-être retrouveriez-vous dans le détail de ces infamies les forces nécessaires à en commettre de nouvelles.

— Je le crois, dit Noirceuil.

— Eh bien, faites déshabiller, dit Saint-Fond ; que Juliette soit nue de même et écoutez-nous.

Deux des jeunes filles entourèrent Noirceuil : l’une le suçait, il langotait l’autre, et maniait les deux culs ; je suis chargée du soin de branler l’orateur, pendant qu’il claque les fesses de la troisième des pucelles ; et telles sont les atrocités que nous révéla Saint-Fond :

— J’ai mené, nous dit-il, ma fille chez mon père expirant. Noirceuil était avec moi ; nous nous sommes enfermés, les portes bien défendues ; là (et le vit du paillard dressait à cet aveu), dis-je, j’ai eu la voluptueuse barbarie d’annoncer à mon père que ses douleurs étaient mon ouvrage ; je lui ai dit que, par mes ordres, ta main l’avait empoisonné, et qu’il eût promptement à songer à la mort. Puis, troussant ma fille devant lui, je la lui ai sodomisée sous les yeux. Noirceuil, qui m’adore quand je fais des infamies, me foutait pendant ce temps-là ; mais le coquin, me voyant déculer Alexandrine, me remplaça bientôt dans le poste… et moi, me rapprochant du bonhomme, je l’obligeai à me faire décharger tout en l’étranglant. Noirceuil se pâmait, pendant ce temps, au fond des entrailles de ma fille. Quelle jouissance pour moi ! J’étais couvert de malédictions, d’imprécations, je parricidais, j’incestais, j’assassinais, je prostituais, je sodomisais ! Ô Juliette, Juliette, je n’ai jamais été si heureux de ma vie ! Tu vois où me met le seul récit de ces voluptés, me voilà bandant comme ce matin.

Le paillard saisit alors une des petites filles, et, pendant qu’il va la flétrir de toute part, il veut que Noirceuil et moi nous en martyrisions chacun une à ses yeux. Ce que nous inventons est horrible ; la nature outragée dans ces jeunes filles opère grandement chez Saint-Fond, et le coquin est prêt à perdre son foutre, lorsque, pour ménager ses forces, il se retire prudemment du cul de la novice, afin de perforer les deux autres. Assez heureux pour se contenir toujours, il se rendit maître, ce jour-là, des six pucelages, ne laissant à Noirceuil que des roses épanouies. N’importe, le paillard profite du peu qu’on lui donne, et mon derrière, ainsi que celui de Saint-Fond, lui servent de perspective tout le temps qu’il lui reste à foutre ; il les baise, il les gamahuche tous deux, et reçoit dans sa bouche les pets que nous nous divertissons à lui faire.

On soupa, je fus seule admise aux honneurs du festin, mais nue ; les petites filles, établies sur la table à plat ventre, nous éclairaient au moyen des bougies que nous leur avions fourrées dans le cul ; et comme ces bougies se trouvaient fort courtes et le souper fort long, la peau de leurs cuisses fut entièrement grésillée : en les liant sur la table, on leur avait enlevé le moyen de se déranger, et, en remplissant leur bouche de coton, nous leur ôtions celui de nous étourdir de leurs clameurs. Cet épisode divertit infiniment nos paillards, et, les palpant souvent de l’une et l’autre de mes mains, je les trouvai, pendant tout le souper, dans le meilleur état du monde.

— Noirceuil, dit Saint-Fond pendant que nos petites novices se rôtissaient, explique-nous, je t’en conjure, avec ta métaphysique ordinaire, comment il est possible d’arriver au plaisir, soit en voyant souffrir les autres, soit en souffrant soi-même.

— Écoutez-moi donc, dit Noirceuil, je vais vous démontrer cela.

« La douleur, en définition de logique, n’est autre chose qu’un sentiment d’aversion que l’âme conçoit, de quelques mouvements contraires à la constitution du corps qu’elle anime. » Voilà ce que nous dit Nicole, qui distinguait dans l’homme une substance aérienne qu’il nommait âme et qu’il différenciait de la substance matérielle que nous nommons corps. Pour moi, qui n’admets point cette édification frivole et qui ne vois dans l’homme qu’une espèce de plante absolument matérielle, je dirai seulement que la douleur est une suite du peu de rapport des objets étrangers avec les molécules organiques qui nous composent ; en sorte qu’au lieu que les atomes émanés de ces objets étrangers s’accrochent avec ceux de notre fluide nerveux, comme ils le font dans la commotion du plaisir, ils leur présentent ici des angles, les piquent, les repoussent et ne s’enchaînent jamais. Cependant, quoique les effets soient repoussants, ce sont toujours des effets, et que ce soit le plaisir ou la douleur qui s’offre à nous, voilà toujours une commotion certaine sur le fluide nerveux. Or, qui empêche que cette commotion de la douleur, infiniment plus vive et plus active que l’autre, ne parvienne à exciter dans ce fluide le même embrasement qui s’y propage par l’accrochement des atomes émanés des objets du plaisir ? et, remué pour être remué, qui empêche qu’avec de l’habitude je ne m’accoutume à me trouver aussi bien de l’être par les atomes qui repoussent que par ceux qui accrochent ? Blasé sur les effets de ceux qui ne produisent qu’une sensation simple, pourquoi ne m’accoutumerais-je pas à recevoir de même le plaisir par ceux dont la sensation est poignante ? L’un et l’autre coup se reçoivent au même endroit ; la seule différence qu’il y ait, c’est que l’un est violent, l’autre doux ; mais, sur les gens blasés, le premier ne vaut-il pas infiniment mieux que l’autre ? Ne voit-on pas tous les jours des gens qui ont accoutumé leur palais à une irritation qui leur plaît, à côté d’autres gens qui ne pourraient soutenir un instant cette irritation ? N’est-il pas vrai maintenant (une fois mon hypothèse admise) que l’usage de l’homme, dans ses plaisirs, est de chercher à émouvoir les objets qui servent à sa jouissance, de la même manière dont lui-même est ému, et que ces procédés sont ce qu’on appelle, dans la métaphysique de la jouissance, des effets de sa délicatesse ? Que peut-il donc y avoir de singulier à ce qu’un homme doué d’organes tels que nous venons de les peindre, par les mêmes procédés de son adversaire et par les mêmes principes de délicatesse, imagine d’émouvoir l’objet qui sert à sa jouissance par les moyens dont il est lui-même affecté ? Il n’a pas plus de tort que l’autre, il n’a fait que ce que l’autre a fait. Les suites sont différentes, je vous l’accorde, mais les premiers motifs sont les mêmes ; le premier n’a pas été plus cruel que le second, et aucun des deux n’a de torts : tous deux ont employé sur l’objet de leur jouissance les mêmes moyens dont ils se servent pour se procurer du plaisir.

Mais, répond à cela l’être mû par une volupté brutale, cela ne me plaît pas. Soit, reste à savoir maintenant si je peux vous y contraindre ou non. Si je ne le peux, retirez-vous et laissez-moi ; si, au contraire, mon argent, mon crédit ou ma place, me donnent ou quelque autorité sur vous ou quelque certitude de pouvoir anéantir vos plaintes, subissez sans dire un mot tout ce qu’il me plaît de vous imposer, parce qu’il faut que je jouisse, et que je ne puis jouir qu’en vous tourmentant et qu’en voyant couler vos larmes. Mais, dans aucun cas, ne vous étonnez point, ne me blâmez point, parce que je suis le mouvement que la nature a mis en moi, la direction qu’elle m’a fait prendre, et qu’en un mot, en vous contraignant à mes voluptés dures et brutales, les seules qui parviennent à me faire arriver au comble du plaisir, j’agis par les mêmes principes de délicatesse que l’amant efféminé qui ne connaît que les roses d’un sentiment dont je n’admets que les épines ; car je vous fais, en vous tourmentant, en vous déchirant, ce qui seul m’émeut, comme lui fait, en enconnant tristement sa maîtresse, ce qui seul le remue agréablement ; mais cette délicatesse efféminée, je la lui laisse, parce qu’il est impossible qu’elle puisse émouvoir des organes construits aussi fortement que les miens. Oui, mes amis, poursuivit Noirceuil, soyez sûrs qu’il est impossible que l’être véritablement passionné pour les voluptés de la luxure puisse vraiment y mêler la délicatesse, qui n’est que le poison de ces plaisirs et qui suppose un partage impossible à qui veut bien jouir : toute puissance partagée s’affaiblit ; c’est une vérité reconnue. Essayez de faire jouir l’objet qui sert à vos plaisirs : vous ne tarderez pas à vous apercevoir que c’est à vos dépens ; il n’y a point de passion plus égoïste que celle de la luxure ; il n’en est point qui veuille être servie plus sévèrement ; il ne faut absolument s’occuper que de soi quand on bande et ne jamais considérer l’objet qui nous sert que comme une espèce de victime destinée à la fureur de cette passion. Toutes n’exigent-elles pas des victimes ? Eh bien ! l’objet passif, dans l’acte de la luxure, est celle de notre passion lubrique ; moins il est ménagé, mieux le but est rempli ; plus les douleurs de cet objet sont vives, plus son humiliation, sa dégradation est complète, et plus notre jouissance est entière. Ce ne sont pas des plaisirs qu’il faut faire goûter à cet objet, ce sont des impressions qu’il faut produire en lui ; et celle de la douleur étant beaucoup plus vive que celle du plaisir, il est incontestable qu’il vaut mieux que la commotion produite sur nos nerfs par ce spectacle étranger y parvienne par la douleur, plutôt que par le plaisir. Voilà ce qui explique la manie de cette foule de libertins qui, comme nous, ne parviennent à l’érection et à l’émission de la semence qu’en commettant les actes de la cruauté la plus atroce, qu’en se gorgeant du sang des victimes. Il en est qui n’éprouveraient pas même l’érection la plus légère, s’ils ne considéraient, dans les angoisses de la douleur la plus violente, le triste objet vendu à leur lubrique fureur, s’ils n’étaient pas eux-mêmes les premières causes de ces angoisses. On veut faire éprouver à ses nerfs une commotion violente ; on sent bien que celle de la douleur sera plus forte que celle du plaisir ; on l’emploie, et l’on s’en trouve bien. Mais la beauté, m’objecte un imbécile, attendrit, intéresse ; elle invite à la douceur, au pardon : comment résister aux larmes d’une jolie fille qui, les mains jointes, implore son bourreau ? Eh ! vraiment, c’est ce qu’on demande, c’est de cet état même que le libertin dont il est question tire sa plus délicieuse jouissance : il serait bien à plaindre, s’il agissait sur un être inerte qui ne sentît rien ; et cette objection est aussi ridicule que le serait celle d’un homme qui m’assurerait qu’on ne doit jamais manger de mouton, parce que le mouton est un animal doux. La passion de la luxure veut être servie, elle exige, elle tyrannise ; elle doit donc être satisfaite, abstraction totale de toute considération quelconque. La beauté, la vertu, l’innocence, la candeur, l’infortune, rien de tout cela ne doit donc servir d’abri à l’objet que nous convoitons. Au contraire, la beauté nous excite mieux ; l’innocence, la vertu et la candeur embellissent l’objet ; l’infortune nous le donne, nous l’assouplit : toutes ces qualités ne doivent donc servir qu’à nous enflammer mieux, et toutes ne doivent être regardées par nous que comme des véhicules à nos passions. Il y a d’ailleurs ici un frein de plus à rompre : il y a l’espèce de plaisir que donne le sacrilège ou la profanation des objets offerts à notre culte. Cette belle fille est un objet d’hommage pour les sots ; en la rendant celui de mes plus vives et de mes plus dures passions, j’éprouve la double jouissance de sacrifier à cette passion, et un bel objet, et un objet digne du culte public. Faut-il s’arrêter plus longtemps à cette pensée, pour en éprouver le délire ? Mais on n’a pas perpétuellement sous la main de tels objets ; cependant, on s’est accoutumé à jouir par la tyrannie, et l’on voudrait jouir tous les jours. Eh bien ! il faut savoir se dédommager par d’autres petits plaisirs : la dureté d’âme envers les malheureux, le refus de les soulager, l’action de les plonger soi-même dans l’infortune, si on le peut, remplacent, en quelque façon, cette sublime jouissance de faire souffrir un objet de débauche. La misère de ces infortunés est un spectacle qui prépare déjà la commotion que nous sommes accoutumés à recevoir par l’impression de la douleur ; ils nous implorent, nous ne les soulageons pas : voilà presque l’ébranlement donné ; un pas de plus, le feu s’allume, il naît de tout cela des crimes, et rien ne détermine plus sûrement au plaisir, comme le sel que le crime entraîne. Mais j’ai rempli ma tâche : comment, m’avez-vous demandé, peut-on arriver au plaisir, soit en souffrant, soit en faisant souffrir ? Je l’ai démontré théoriquement. Convainquons-nous maintenant par la pratique, et que les supplices de ces demoiselles soient, en conséquence de la démonstration, aussi nerveux, je vous prie, qu’il nous sera possible de les inventer.

On sortit de table, et les victimes, par unique raffinement, furent un instant soignées et rafraîchies. Je ne sais pourquoi Noirceuil paraissait ce soir-là plus que jamais amoureux de mon cul ; il ne pouvait se rassasier de le baiser, de le louer, de le gamahucher, de le foutre ; à tout moment il m’enculait, puis il retirait brusquement son vit pour le faire sucer aux petites filles ; il revenait ensuite, et me donnait sur les fesses et sur les reins des claques extraordinairement fortes ; il s’oublia même au point de me branler le clitoris. Tout cela m’échauffait prodigieusement, et je dus paraître à mes amis d’un incroyable putanisme. Mais comment se satisfaire avec des filles excédées ou deux libertins épuisés qui bandaient à peine ? Je leur propose de me faire foutre devant eux par mes laquais ; mais Saint-Fond, très échauffé de vin et de férocité, s’y opposa en disant qu’il ne se sentait plus d’autre besoin que celui des tigres, et que, puisqu’il y avait là de la chair fraîche, il fallait se hâter de la dévorer. Il s’escrimait en conséquence d’une force terrible sur les trois petits culs de ces charmantes pucelles : il les pinçait, il les mordait, il les égratignait, il les déchirait ; le sang ruisselait déjà de tous côtés, lorsque, se relevant comme un furieux, son vit collé contre le ventre, il se plaignait amèrement à nous de l’impossibilité où il se croyait ce jour-là de ne pouvoir rien trouver qui pût faire souffrir les victimes au gré de ses caprices.

— Tout ce que j’invente aujourd’hui, nous dit-il, est au-dessous de mes désirs : imaginons donc quelque chose qui tienne ces putains trois jours dans les angoisses les plus effrayantes de la mort.

— Ah ! dis-je, tu déchargerais pendant cet intervalle, et, l’illusion détruite, tu les soulagerais bientôt.

— Je ne pardonne pas à Juliette, dit Saint-Fond, de me connaître aussi mal que cela. Dans quelle erreur tu es, mon ange, si tu crois que ma cruauté ne s’allume qu’au feu de mes passions. Ah ! je voudrais, ainsi qu’Hérode, prolonger mes férocités au delà même du tombeau ; je suis barbare jusqu’à la frénésie quand je bande, et cruel de sang-froid quand le foutre a coulé. Il y a mieux, Juliette, poursuivit cet insigne scélérat ; tiens, si tu veux, je vais décharger : nous ne commencerons le supplice de ces garces que quand je n’aurai plus de foutre dans les couilles, et tu verras si je mollirai.

— Saint-Fond, vous bandez beaucoup, dit Noirceuil, c’est tout ce que je vois de plus clair dans ce que vous dites ; il s’agit de lancer son sperme et, si vous voulez suivre mes conseils, nous y procéderons fort vite. Je serais d’avis que nous embrochassions tout simplement ces demoiselles, et, pendant qu’elles rôtiraient toutes vives à nos yeux, Juliette nous branlerait le vit et nous ferait arroser de foutre ces trois superbes aloyaux.

— Oh, sacredieu ! dit Saint-Fond en frottant son vit sur le sang des fesses de la plus jeune et de la plus jolie des trois, je vous jure que celle que je tiens ici souffrira plus que vous ne dites.

— Eh ! que diable lui feras-tu ! dit Noirceuil qui venait de se renfoncer dans mon cul.

— Tu vas le voir, dit ce scélérat.

Et de ses mains, ressemblant à des étaux, il lui casse les doigts, lui disloque tous les membres, et la larde de plus de mille coups avec la pointe d’un stylet.

— Eh bien ! dit Noirceuil, toujours m’enculant, elle aurait tout autant souffert embrochée.

— Aussi le sera-t-elle, dit Saint-Fond ; mais le feu calcinant ses blessures, elle souffrira beaucoup plus que si vous l’eussiez embrochée toute fraîche.

— Allons, dit Noirceuil, j’y consens, travaillons ces bougresses-là dans le même genre.

J’en saisis une, il prend l’autre, et, toujours dans mon cul, le coquin la met dans le même état que celle qu’avait martyrisée Saint-Fond. Je l’imite, et les voilà bientôt, toutes trois, rôtissant devant un feu d’enfer, pendant que Noirceuil, en blasphémant tous les dieux du paradis, décharge dans mon derrière, et que je fais éjaculer, à coup de poignet, le foutre de Saint-Fond sur les corps calcinés de ces trois malheureuses victimes de la plus effrayante luxure. Toutes trois furent jetées dans un trou. On se remit à boire. Brûlés de nouveaux désirs, les libertins voulurent des hommes ; mes laquais parurent et s’épuisèrent toute la nuit dans leurs insatiables culs, sans venir à bout de les faire bander ; leurs propos, cependant, furent affreux ; et ce fut dans cette séance que je reconnus mieux que jamais combien il était certain que ces monstres étaient aussi cruels de sang-froid qu’au plus grand feu de leurs passions.

Un mois après cette dernière aventure, Noirceuil me présenta la femme qu’il désirait me donner pour amie. Comme son mariage avec Alexandrine fut encore retardé à cause du deuil de Saint-Fond, et que je ne veux vous peindre cette charmante fille du ministre que lorsque je la posséderai pleinement, nous allons nous occuper de Mme de Clairwil et des arrangements que je pris avec cette femme délicieuse pour cimenter notre liaison.

C’était avec raison que Noirceuil m’avait fait les plus grands éloges de Mme de Clairwil. Elle était grande, faite à peindre ; le feu de ses regards était tel qu’il devenait impossible de la fixer ; mais ses yeux, grands et très noirs, en imposaient plus qu’ils ne plaisaient, et, en général, l’ensemble de cette femme était plus majestueux qu’agréable. Sa bouche, un peu ronde, était fraîche et voluptueuse ; ses cheveux, noirs comme du jais, descendaient au bas de ses cuisses ; son nez singulièrement bien coupé, son front noble et majestueux, sa gorge moulée, la plus belle peau, quoique brune, les chairs fermes, potelées, les formes les mieux arrondies : c’était, en un mot, la taille de Minerve sous les agréments de Vénus. Cependant, soit que je fusse plus jeune, soit que ma physionomie eût en grâce ce que celle-ci avait en noblesse, je plaisais davantage à tous les hommes. Mme de Clairwil surprenait, je me contentais d’enchaîner ; elle contraignait l’hommage des hommes, et moi je le dérobais.

À ces grâces impérieuses, Mme de Clairwil joignait un esprit très élevé ; elle était fort instruite, singulièrement ennemie des préjugés… déracinés par elle dès l’enfance ; il était difficile à une femme de porter la philosophie plus loin. D’ailleurs, beaucoup de talents, sachant parfaitement l’anglais et l’italien, jouant la comédie comme un ange, dansant comme Terpsichore, chimiste, physicienne, faisant de jolis vers, possédant bien l’histoire, le dessin, la musique, la géographie, écrivant comme Sévigné, mais poussant peut-être un peu trop loin toutes les extravagances du bel esprit, dont les suites étaient communément un orgueil insupportable avec ceux qu’elle n’élevait pas à sa hauteur, comme moi… la seule créature, disait-elle, en qui elle eût véritablement reconnu de l’esprit.

Il y avait cinq ans que cette belle femme était veuve. Jamais elle n’avait eu d’enfants ; elle les détestait, sorte de petite dureté qui, dans une femme, prouve toujours l’insensibilité : aussi pouvait-on assurer que celle de Mme de Clairwil était à son comble. Elle se flattait de n’avoir jamais versé une larme, de ne s’être jamais attendrie sur le sort des malheureux. Mon âme est impassible, disait-elle ; je défie aucun sentiment de l’atteindre, excepté celui du plaisir. Je suis maîtresse des affections de cette âme, de ses désirs, de ses mouvements ; chez moi tout est aux ordres de ma tête ; et c’est ce qu’il y a de pis, continuait-elle, car cette tête est bien détestable. Mais je ne m’en plains pas : j’aime mes vices, j’abhorre la vertu ; je suis l’ennemie jurée de toutes les religions, de tous les dieux ; je ne crains ni les maux de la vie, ni les suites de la mort ; et quand on me ressemble, on est heureux.

Douée d’un tel caractère, il était facile de voir que Mme de Clairwil n’avait que des adulateurs et fort peu d’amis ; elle ne croyait pas plus à l’amitié qu’à la bienfaisance, et pas plus aux vertus qu’aux dieux. Joignez à tout cela des richesses énormes, une très bonne maison à Paris, une délicieuse campagne, tous les moyens du luxe, le plus bel âge, une santé de fer. Ou il n’y a point de bonheur en ce monde, ou l’individu qui réunit tous ces agréments peut se flatter de le posséder.

Mme de Clairwil s’ouvrit à moi, dès le premier abord, avec une franchise qui m’étonne, dans une femme qui, comme je viens de vous le dire, avait si bien l’orgueil de sa supériorité ; mais je dois lui rendre la justice d’avouer qu’elle n’en eut jamais avec moi.

— Noirceuil vous a bien peinte, me dit-elle ; je vois que nous avons la même âme, le même esprit, les mêmes goûts ; nous sommes faites pour vivre ensemble : unissons-nous, nous irons fort loin ; mais surtout bannissons tous freins, ils ne sont faits que pour les sots. Des caractères élevés, des âmes fières, des esprits nerveux comme les nôtres, brisent en se jouant toutes ces digues populaires ; ils savent que le bonheur est au delà, ils l’atteignent avec courage, en foulant aux pieds les petites lois, les froides vertus et les imbéciles religions de ces hommes de boue qui ne semblent avoir reçu l’existence que pour déshonorer la nature.

Quelques jours après, Clairwil, dont je commençais à raffoler, vint souper tête à tête avec moi. Ce fut dans cette seconde aventure où nous épanchâmes nos cœurs, où nous nous confiâmes nos goûts, nos sentiments. Oh ! quelle âme que celle de Clairwil ! je crois que si le vice même eût habité la terre, ce n’eût jamais été qu’au fond de cette âme perverse qu’il eût établi son empire.

Dans un moment de confiance mutuelle, avant que de nous mettre à table, Clairwil se pencha sur moi ; nous étions l’une et l’autre dans une niche de glace, mollement étendues sur des carreaux dont le duvet moelleux soutenait nos reins vacillants ; un jour très doux semblait appeler l’amour et favoriser ses plaisirs.

— N’est-il pas vrai, mon ange, dit Clairwil en me baisant la gorge, que c’est en se branlant que deux femmes comme nous doivent faire connaissance ?

Et la tribade, me troussant en me disant cela, dardait déjà sa langue enflammée au plus profond de mon gosier… Les doigts libertins atteignent le but.

— Il est là, me dit-elle, le plaisir, il sommeille sur un lit de roses ; mon tendre amour veut-il que je l’éveille ! Ô Juliette, me permets-tu de m’embraser au feu des transports que je vais allumer dans toi ?

— Friponne, ta bouche m’en répond, ta langue appelle la mienne, elle l’invite à la volupté.

— Ah ! rends-moi ce que je t’ai fait, et mourons de plaisir.

— Déshabillons-nous, dis-je à mon amie, les débauches de la volupté ne sont bonnes que quand on est nu ; je ne démêle rien dans toi, et je veux tout y voir ; débarrassons-nous de ces voiles importuns ; n’est-ce pas déjà trop de ceux de la nature ? Ah ! quand j’excite en toi des transports, je voudrais voir palpiter ton cœur.

— Quelle idée ! me dit Clairwil, elle me peint ton caractère ; Juliette, je t’adore ; faisons tout ce que tu voudras.

Et mon amie fut aussi nue que moi ; dans l’instant, nous nous examinâmes d’abord plusieurs minutes en silence. Clairwil s’enflammait à la vue des beautés que m’avait prodiguées la nature. Je ne me rassasiais pas d’admirer les siennes. Jamais on ne vit une plus belle taille, jamais une gorge mieux soutenue… Ces fesses ! ah Dieu ! c’était le cul de la Vénus adorée des Grecs : je n’en vis jamais de coupées plus délicieusement. Je ne me lassais point de baiser tant de charmes, et mon amie, se prêtant d’abord avec complaisance, me rendait ensuite au centuple toutes les caresses dont je l’accablais.

— Laisse-moi faire, me dit-elle enfin, après m’avoir couchée sur l’ottomane, les cuisses très ouvertes, laisse-moi te prouver, ma chère bonne, que je sais donner du plaisir à une femme.

Deux de ses doigts alors travaillèrent mon clitoris et le trou de mon cul, pendant que sa langue, enfoncée très avant dans mon con, pompait avidement le foutre qu’excitaient ses titillations. Je n’avais jamais, de ma vie, été branlée de cette manière ; je déchargeai trois fois de suite dans sa bouche avec de tels transports, que je pensai m’en évanouir. Clairwil, avide de mon foutre, changea, pour la quatrième course, toutes ses manœuvres avec autant de légèreté que d’adresse. Ce fut un de ses doigts qu’elle enfonça cette fois-ci dans mon con, pendant qu’avec un autre elle frétillait sur mon clitoris, et que sa langue douce et voluptueuse pénétrait au trou de mon cul…

— Que d’art… que de complaisance ! m’écriai-je… Ah ! Clairwil, tu me fais mourir !

Et de nouveaux jets de foutre furent le fruit des procédés divins de cette voluptueuse créature.

— Eh bien ! me dit-elle dès que je fus remise, crois-tu que je sache branler une femme ! Je les adore : comment ne connaîtrais-je pas l’art de leur donner du plaisir ? Que veux-tu, ma chère, je suis dépravée ! Est-ce ma faute si la nature m’a donné des goûts contraires à ceux de tout le monde ? Je ne connais rien d’injuste comme la loi de mélanger les sexes pour se procurer une volupté pure ; et quel sexe sait mieux que le nôtre l’art d’aiguillonner les plaisirs en nous rendant ce qu’il se fait, pour se délecter lui-même en nous faisant ce qu’il lui est propre ? Ne doit-il pas mieux réussir que cet être différent de nous, qui ne peut nous offrir que des voluptés très éloignées de celles que notre sorte d’existence exige ?

— Quoi ! Clairwil, tu n’aimes pas les hommes ?

— Je m’en sers parce que mon tempérament le veut, mais je les méprise et je les déteste ; je voudrais pouvoir immoler tous ceux aux regards desquels j’ai pu m’avilir.

— Quelle fierté !

— C’est mon caractère, Juliette ; à cette fierté je joins la franchise, c’est le moyen d’être connue de toi de suite.

— Ce que tu dis suppose de la cruauté ; si tu désires ce que tu viens d’exprimer, tu le ferais si tu le pouvais.

— Qui te dit que je ne l’aie pas fait ? Mon âme est dure, et je suis loin de croire la sensibilité préférable à l’heureuse apathie dont je jouis. Ô Juliette, poursuivit-elle en nous remettant, tu te trompes peut-être sur cette sensibilité dangereuse dont tant d’imbéciles s’honorent.

La sensibilité, ma chère, est le foyer de tous les vices, comme elle est celui de toutes les vertus. C’est elle qui conduisit Cartouche à l’échafaud, comme elle inscrivit en lettres d’or le nom de Titus dans les annales de la bienfaisance. C’est pour être trop sensibles que nous nous livrons aux vertus : c’est pour l’être trop que nous chérissons les forfaits. L’individu privé de sensibilité est une masse brute, également incapable du bien comme du mal, et qui n’a de l’homme que la figure. Cette sensibilité, purement physique, dépend de la conformité de nos organes, de la délicatesse de nos sens, et, plus que tout, de la nature du fluide nerveux, dans lequel je place généralement toutes les affections de l’homme. L’éducation et, après elle, l’habitude, exercent en tel ou tel sens cette portion de sensibilité reçue des mains de la nature ; et l’égoïsme… le soin de notre vie, vient ensuite aider à l’éducation et à l’habitude à se déterminer pour tel ou tel choix. Mais comme l’éducation nous trompe presque toujours, dès qu’elle est finie, l’inflammation causée sur le fluide électrique par le rapport des objets extérieurs, opération dont nous nommons l’effet les passions, vient décider l’habitude au bien ou au mal. Si cette inflammation est médiocre, en raison de l’épaisseur des organes qui s’oppose à une action pressée de l’objet extérieur sur le fluide nerveux, ou du peu de vitesse avec laquelle le cerveau lui rapporte l’effet de cette pression, ou encore du peu de disposition de ce fluide à être mis en mouvement, alors les effets de cette sensibilité nous déterminent à la vertu. Si, au contraire, les objets extérieurs agissent sur nos organes d’une manière forte, s’ils les pénètrent avec violence, s’ils donnent une action rapide aux particules du fluide nerveux qui circulent dans la concavité de nos nerfs, les effets de notre sensibilité, dans ce eu, nous déterminent au vice. Si l’action est encore plus forte, elle nous entraîne au crime, et définitivement aux atrocités, si la violence de l’effet est à son dernier degré d’énergie. Mais l’on voit, sous tous les rapports, que la sensibilité n’est que mécanique, que c’est d’elle que tout naît, et que c’est elle qui nous conduit à tout. Si nous reconnaissons, dans une jeune personne, l’excès de cette sensibilité, tirons hardiment son horoscope, et convainquons-nous bien que cette sensibilité finira par la porter, un jour au crime ; car ce n’est pas, comme on pourrait le croire, le genre de sensibilité qui conduit au crime ou à la vertu : c’est son dernier degré ; et l’individu dans lequel son action est lente sera disposé au bien, comme il est certain que celui dans lequel cette action fait des ravages se portera nécessairement au mal, le mal étant plus piquant, plus attrayant que le bien. C’est donc vers lui que doivent se diriger les effets violents, par le grand principe qui rapproche et qui réunit toujours au moral comme au physique tous les effets égaux.

Il est donc certain que le procédé nécessaire en pareil cas, près d’une jeune personne qu’on formerait, serait d’émousser cette sensibilité, car les directions sont presque impossibles. Vous perdrez peut-être quelques faibles vertus en émoussant, mais vous épargnerez bien des vices, et, dans un gouvernement qui punit sévèrement tous les vices, et qui ne récompense jamais les vertus, il vaut infiniment mieux apprendre à ne pas faire le mal, que de s’attacher à faire le bien. Il n’y a absolument aucun danger à ne point faire le bien, et il en existe à faire le mal, avant l’âge de pouvoir sentir la nécessité qu’il y a de cacher celui auquel la nature nous entraîne invinciblement. Je dis plus : c’est que la chose du monde la plus inutile est de faire le bien, et la chose du monde la plus essentielle est de ne pas faire le mal, non pas relativement à soi, car la plus grande de toutes les voluptés ne naît bien souvent que de l’excès du mal, non pas relativement à la religion, parce que rien n’est absurde comme ce qui tient à l’idée d’un Dieu, mais uniquement par rapport aux lois, dont l’infraction découverte, quelque délicieuse qu’elle puisse être, nous entraîne toujours dans l’infortune quand on manque d’expérience.

Il n’y aurait donc aucune espèce de danger à mettre le jeune individu dont nous supposons ici l’éducation dans une telle situation d’âme, qu’à la vérité il ne fît jamais une bonne action, mais qu’en récompense il n’en imaginât jamais une mauvaise… au moins avant l’âge où son expérience lui ferait une nécessité de l’hypocrisie. Or, le procédé à mettre en œuvre en pareil cas serait d’émousser radicalement sa sensibilité, sitôt que vous vous apercevrez que sa trop grande activité pourrait l’entraîner au vice. Car je suppose même que de l’apathie où vous réduiriez son âme il puisse naître quelques dangers ; ces dangers seront bien moindres que ceux qui naîtraient de sa trop grande sensibilité. Les crimes commis, dans le cas de l’endurcissement de la partie sensitive, le seront toujours de sang-froid, et par conséquent l’élève que nous supposons aura le temps d’en cacher et d’en combiner les suites, au lieu que ceux commis dans l’effervescence l’entraîneront, sans qu’il ait le temps d’y parer, dans les derniers excès de l’infortune. Les premiers seront peut-être plus sombres, mais ils seront aussi plus secrets, parce que le flegme avec lequel ils seront commis donnera le loisir de les arranger sans devoir en craindre les suites ; les autres, au contraire, commis à visage découvert et sans réflexion, mèneront leur auteur à l’échafaud. Et ce n’est pas à ce que votre élève, devenu homme, commette ou ne commette pas de crimes que vous devez vous attacher, parce que, dans le fait, le crime est un accident de la nature dont l’homme est l’instrument involontaire, dont il faut qu’il soit le jouet en dépit de lui-même, quand ses organes le contraignent : mais vous devez vous attacher à ce que cet élève commette le délit le moins dangereux, eu égard aux lois du pays qu’il habite, en telle sorte que si le plus faible est puni et que le plus affreux ne le soit pas, c’est pourtant le plus affreux qu’il faut lui laisser faire. Car, encore une fois, ce n’est pas du crime dont il faut le garantir, c’est du glaive qui frappe l’auteur du crime : le crime n’a pas le moindre inconvénient, et la punition en a beaucoup. Il est parfaitement égal au bonheur d’un homme qu’il commette ou ne commette point de crimes ; mais il est très essentiel à ce même bonheur qu’il ne puisse être puni de ceux qu’il aura faits, de quelque genre ou de quelque atrocité que soient ces crimes. Le premier devoir d’un instituteur serait donc de donner, à l’élève dont il est chargé, les dispositions nécessaires à ce qu’il puisse se livrer à celui des deux maux qui est le moins dangereux, puisqu’il est malheureusement trop vrai qu’il faut qu’il incline vers l’un ou vers l’autre ; et l’expérience vous démontrera facilement que les vices qui pourront naître de l’endurcissement de l’âme seront beaucoup moins dangereux que ceux produits par l’excès de la sensibilité, et cela par la grande raison que le sang-froid que l’on met aux uns donne les moyens de se garantir de la punition, tandis qu’il est démontré impossible qu’elle puisse échapper à celui qui, n’ayant le temps de rien arranger, de rien prévenir, se livre aveuglément à l’effervescence de ses sens. Ainsi, dans le premier cas, je veux dire en laissant à une jeune personne toute sa sensibilité, elle fera quelques bonnes actions dont l’usage est prouvé inutile ; dans le second, elle n’en fera aucune bonne, ce qui n’a pas le plus petit inconvénient ; et la tournure que vous lui avez donnée ne lui fera commettre que l’espèce d’infraction qui peut être commise sans danger. Mais votre élève deviendra cruel… Et quels seront les effets de cette cruauté ? Avec un peu de vigueur, ils consisteront à se refuser constamment à tous les effets d’une pitié que le tour que vous aurez donné à son âme n’admettra plus. Il y a bien peu de danger à cela : ce sont quelques vertus de moins, et c’est la chose du monde la plus inutile que la vertu, puisqu’elle est pénible à celui qui l’exerce et qu’elle n’obtient dans nos climats aucune récompense. Avec une âme forte et rigoureuse, cette cruauté mise en action consistera en quelques crimes sourds, dont les rapports aigus enflammeront par leur frottement les particules électriques du fluide nerveux de ses nerfs, et qui coûteront peut-être la vie à quelques êtres obscurs. Qu’importe ? l’effervescence de sa passion n’ayant point altéré les facultés de son jugement, il aura procédé à tout avec un tel mystère… avec un tel art, que le flambeau de Thémis n’en pourra jamais pénétrer les détours ; il aura donc été heureux sans rien risquer : n’est-ce pas là tout ce qu’il faut ? Ce n’est pas le mal qui est dangereux, c’est l’éclat ; et le plus odieux de tous les crimes, bien caché, a infiniment moins d’inconvénients que la plus légère faiblesse dévoilée. Jetez les yeux maintenant sur l’autre cas. Doué de l’exercice entier de ses facultés sensitives, l’élève que nous supposons voit un objet qui lui convient ; les parents le lui refusent : accoutumé à donner à sa sensibilité toute l’extension possible, il tuera, il empoisonnera tout ce qui, entourant cet objet, pourra gêner ses vues, et il sera roué. Ce sont, comme on voit dans les deux cas, toujours les choses au pis que je suppose : je n’offre qu’un exemple de dangers de l’une et l’autre situation, et laisse à l’esprit la combinaison des autres données. Si, lorsque vos calculs seront faits, vous approuvez, comme je ne puis m’empêcher de le croire, l’extinction de toute sensibilité dans un élève, la première branche de l’arbre à élaguer alors est nécessairement la pitié. Et qu’est-ce, en effet, que la pitié ? Un sentiment purement égoïste qui nous porte à plaindre dans les autres le mal que nous craignons pour nous. Donnez-moi un être dans le monde qui, par sa nature, puisse être exempt de tous les maux de l’humanité, non seulement cet être n’aura aucune espèce de pitié, mais il ne la concevra même pas. Une preuve plus grande encore que la pitié n’est qu’une commotion purement passive, imprimée sur le genre nerveux, en raison ou en proportion du malheur arrivé à notre semblable, c’est que nous serons toujours plus sensibles à ce malheur s’il est arrivé sous nos yeux, n’intéressât-il qu’un inconnu, que celui qui pourrait avoir éprouvé à cent lieues de nous le meilleur de nos amis. Et pourquoi cette différence, s’il n’était prouvé que ce sentiment n’est que le résultat physique de la commotion de l’accident sur nos nerfs ? Or, je demande si un tel sentiment peut avoir par lui-même quelque chose de respectable et s’il peut être vu autrement que comme faiblesse. C’est, de plus, un sentiment fort douloureux, puisqu’il n’arrive à nous que par une comparaison qui nous ramène au malheur. Son extinction produit au contraire une jouissance, puisqu’elle laisse apercevoir, de sang-froid, un état dont nous sommes exempts et qu’elle nous permet alors une comparaison avantageuse… aussitôt détruite, dès que nous nous amollissons au point de plaindre l’infortune, ce que nous ne faisons que par la cruelle pensée que, peut-être demain, il peut nous en arriver autant. Bravons cette crainte fâcheuse, sachons affronter sans peur ce danger pour nous-mêmes, et nous ne le plaindrons plus dans les autres.

Une autre preuve que ce sentiment n’est que faiblesse et pusillanimité, c’est son attenance plus particulière avec les femmes et les enfants, et l’éloignement dans lequel il est chez ceux dont les organes ont acquis toute la force et toute la vigueur convenables. Par la même raison, le pauvre, plus rapproché de l’infortune que le riche, a naturellement l’âme plus ouverte aux maux que la main du sort offre à ses regards ; comme ces maux sont plus rapprochés de lui, il y compatit davantage. Tout cela prouve donc que la pitié, loin d’être une vertu, n’est qu’une faiblesse née de la crainte et du malheur, faiblesse que l’on doit absorber avant tout, lorsque l’on travaille à émousser la trop grande sensibilité de ses nerfs, entièrement incompatible aux maximes de la philosophie.

Voilà, Juliette, voilà les principes qui m’ont amenée à cette tranquillité, à ce repos des passions, à ce stoïcisme qui me permet maintenant de tout faire et de tout soutenir sans émotion. Presse-toi donc de t’initier à ces mystères, poursuivit cette femme charmante qui ne savait pas encore où j’en étais sur ce point. Presse-toi d’anéantir cette stupide commisération qui te troublerait au moindre spectacle malheureux qui s’offrirait à toi. Arrivée là, mon ange, par des épreuves continuelles qui te convaincront bientôt de l’extrême différence qui existe entre toi et cet objet, sur le triste sort duquel tu te lamentes, convaincs-toi que les pleurs que tu répandrais sur cet individu ne le soulageraient pas et t’affligeraient ; que les secours que tu lui administrerais ne pourraient réellement ajouter qu’un plaisir fade à tes sens, et qu’il en peut naître un très vif du refus. Persuade-toi que c’est troubler l’ordre de la nature que de tirer de la classe de l’indigence ceux qu’elle a voulu y placer ; qu’entièrement sage et conséquente dans toutes ces opérations, elle a des desseins sur les hommes qu’il ne nous appartient ni de connaître, ni de contrarier ; que ses desseins sur nous se prouvent par l’inégalité des forces, nécessairement suivie de celle des fortunes et des conditions. Autorise-toi des exemples anciens, Juliette ; ton esprit est orné : rappelle-toi tes lectures. Souviens-toi de l’empereur Licinius qui, sous les peines les plus rigoureuses, défendait toute compassion envers les pauvres et toute espèce de soulagement à l’indigence. Rappelle-toi cette secte de philosophes grecs qui soutenait qu’il y avait du crime à vouloir déranger les nuances établies par la nature dans les différentes classes d’hommes ; et, quand tu en seras au même point que moi, cesse de déplorer alors la perte des vertus produites par la pitié ; car ces vertus n’ayant que l’égoïsme pour base, ne sauraient avoir rien de respectable. Puisqu’il n’est nullement sûr qu’il y ait du bien à tirer de l’infortune le malheureux que la nature y place, il est bien plus simple d’étouffer le sentiment qui nous rend sensibles à ses malheurs que de le laisser germer, dans l’appréhension peut-être d’outrager la nature en dérangeant ses vues si nous y compatissons : le mieux, alors, est de nous mettre en un tel état, que nous ne voyions plus ces maux qu’avec indifférence. Ah ! chère amie, si, comme moi, tu avais la force de faire un pas de plus, si tu avais le courage de trouver du plaisir à la contemplation des maux d’autrui, rien que par cette idée satisfaisante de ne les éprouver soi-même, idée qui nécessairement produit une volupté sûre, si tu pouvais aller jusque là, tu aurais beaucoup gagné pour ton bonheur, sans doute, puisque tu serais parvenue à changer en roses une partie des épines de la vie. Ne doute pas un instant, ma bonne, que les Denis, les Néron, les Louis XI, les Tibère, les Venceslas, les Hérode, les Andronic, les Héliogabale, les Retz29, etc., n’aient été heureux par ces principes, et que s’ils ont pu faire tout ce qu’ils ont fait d’atroce sans en frémir, ce n’était bien sûrement que parce qu’ils étaient parvenus à allumer la volupté au flambeau de leurs crimes. C’étaient des monstres, m’objectent les sots. Oui, selon nos mœurs et notre façon de penser ; mais relativement aux grandes vues de la nature sur nous, ils n’étaient que les instruments de ses desseins ; c’était pour accomplir ses lois qu’elle les avait doués de ces caractères féroces et sanguinaires. Ainsi, quoiqu’ils parussent faire beaucoup de mal suivant les lois humaines, dont le but est de conserver l’homme, ils n’en faisaient pourtant aucun selon celles de la nature, dont le but est de détruire pour le moins autant qu’elle crée. Au contraire, ils faisaient un bien réel, puisqu’ils remplissaient ses vues ; d’où il résulte que l’individu qui aurait un caractère semblable à celui de ces prétendus tyrans, ou celui qui parviendrait à y montrer le sien, non seulement s’éviterait de grands maux, mais pourrait même trouver, dans l’accomplissement de ces systèmes, la source d’une volupté très forte à laquelle il pourrait se livrer avec d’autant moins de crainte qu’il serait bien certain de se rendre aussi utile à la nature, ou par ses cruautés, ou par ses désordres, que le plus honnête des hommes par ses qualités bienfaisantes et par ses vertus. Nourris tout cela par des actions et par des exemples ; vois souvent des infortunés ; accoutume-toi à leur refuser des secours, afin que ton âme s’habitue au spectacle de la douleur abandonnée à elle-même ; ose te rendre coupable, pour ton propre compte, de quelques cruautés plus atroces, et tu verras bientôt qu’entre les maux produits qui ne te touchent point et la commotion de ces maux qui a fait éprouver une vibration voluptueuse à tes nerfs, ne fût-ce que par la comparaison du bien au mal que tu en as retirée et qui s’est trouvée toute à ton avantage, que ne fût-ce, dis-je, qu’à cause de cela, tu ne saurais balancer un instant. Insensiblement alors ta sensibilité s’émoussera ; tu n’auras pas prévenu de grands crimes, puisque au contraire tu en auras fait commettre, et que tu en auras commis toi-même mais, au moins, ce sera avec flegme, avec cette apathie qui permet aux passions de se voiler, et qui, te mettant en état de combiner leurs suites, te préservent de tous les dangers.

— Ô Clairwil, il me paraît qu’avec cette manière de penser, tu ne t’es pas ruinée en bonnes œuvres.

— Je suis riche, me répondit cette femme extraordinaire, au point même de ne pas trop savoir ce que j’ai. Eh bien ! Juliette, je te le jure, j’aimerais mieux jeter mon argent dans la rivière que de l’employer à ce que les sots appellent aumônes, prières ou charités : je crois tout cela très nuisible à l’humanité, fatal aux pauvres, dont de telles mœurs absorbent l’énergie, et plus dangereux encore au riche, qui croit avoir acquis toutes les vertus quand il a donné quelques écus à des prêtres ou à des fainéants, moyen certain de couvrir tous ses vices en encourageant ceux des autres.

— Femme adorable, dis-je à mon amie, si tu connais mon poste auprès du ministre, tu dois imaginer que ma morale, sur tous les objets dont tu viens de me parler, n’est pas beaucoup plus pure que la tienne.

— Assurément, me dit-elle, je sais tous les services que tu rends à Saint-Fond. Son amie depuis longtemps, ainsi que de Noirceuil, comment ne connaîtrais-je pas toutes les débauches où ces deux scélérats se plongent ? Tu les sers, je t’en loue ; je les servirais moi-même au besoin ; il me suffit que ces écarts soient criminels pour que je les adore. Mais je sais aussi, Juliette, qu’en travaillant beaucoup pour les autres, tu n’as fait que très peu pour toi-même, et deux ou trois vols ne sont pas des faits assez énergiques pour que tu n’aies pas encore besoin d’exemples et de leçons : laisse-moi donc t’encourager et t’exercer à de plus grandes actions, si tu veux réellement être digne de nous.

— Ah ! dis-je, que je te dois d’estime et d’amitié pour de tels soins ! Continue-les-moi, et sois sûre que tu ne trouveras nulle part une plus soumise écolière. Il n’est rien que je n’entreprenne avec toi, rien que je n’imagine, guidée par tes conseils ; et je vais placer toutes mes prétentions, à l’avenir, dans la ferme ambition de surpasser ma maîtresse un jour. Mais, ma très chère bonne, nous oublions nos plaisirs ; j’en ai reçu de divins de toi que tu ne m’as pas encore permis de te rendre : je brûle de faire passer dans ton âme une portion de cette flamme divine dont tu viens de m’embraser.

— Juliette, tu es délicieuse, mais je suis trop vieille pour toi : songes-tu que j’ai trente ans ? Blasée sur les choses ordinaires, j’ai besoin de raffinements si grossiers, d’épisodes si forts… Tant de préliminaires me sont utiles pour que je bande, tant d’idées monstrueuses, tant d’actions obscènes, pour que je décharge… Mes habitudes t’effrayeront ; mon délire te scandalisera ; mes besoins te fatigueront… Puis, ses beaux yeux se remplissant de flammes, et ses lèvres se couvrant de l’écume de la lubricité :

— As-tu des femmes ici ? me dit-elle. Sont-elles lascives ?… Jolies, cela m’est égal ; je ne m’échaufferai que pour toi : mais je veux au moins que ces créatures soient bien coquines, bien impudiques, patientes, vigoureuses, qu’elles jurent étonnamment, et qu’elles n’arrivent à moi que toutes nues. Combien peux-tu me faire voir de semblables femmes ?

— Je n’en ai que quatre ici, répondis-je, pour mes besoins les plus pressants.

— C’est bien peu : riche comme tu es, vingt femmes au moins devraient être à tes ordres chaque jour, et toutes les semaines il faudrait renouveler cela. Ah ! comme tu as besoin que je t’apprenne à dépenser l’argent dont on te couvre ! Est-ce que tu es avare ? Il n’y aurait pas grand mal. J’idolâtre l’or au point de m’être souvent branlée devant l’immensité de louis que j’amasse, et cela dans l’idée que je peux tout faire avec les richesses qui sont sous mes yeux. Je trouve donc tout simple qu’on ait le même goût, mais je ne veux pourtant pas qu’on se refuse rien ; il n’y a que les sots qui ne comprennent pas qu’on puisse être à la fois avare et prodigue, qu’on puisse aimer à tout jeter par la fenêtre pour ses plaisirs et à refuser tout pour des bonnes œuvres… Allons, fais-moi venir tes quatre femmes, et surtout des verges, si tu veux me voir décharger.

— Des verges ! est-ce que tu fouettes, ma chère ?

— Ah ! jusqu’au sang, ma bonne… Et je le reçois de même. Il n’est point de passion plus délicieuse pour moi ; il n’en est point qui enflamme plus certainement tout mon être. Personne ne doute aujourd’hui que la flagellation passive ne soit du plus grand effet pour rendre la vigueur, éteinte par les excès de la volupté. On ne doit donc pas être étonné que tous les gens épuisés de luxure cherchent avidement dans l’opération douloureuse de la flagellation le souverain remède à l’épuisement, à la faiblesse de leurs reins, et à la perte totale de leurs forces, ou à un physique froid, vicieux et mal organisé. Cette opération donne nécessairement aux parties relâchées une commotion violente, une irritation voluptueuse qui les embrase et fait élancer la semence avec infiniment plus de vigueur : le sentiment aigu de la douleur des parties frappées subtilise et précipite le sang avec plus d’abondance, attire les esprits en fournissant aux parties de la génération une chaleur excessive, procure enfin à l’être libidineux qui cherche le plaisir le moyen de consommer l’acte de libertinage malgré la nature même et de multiplier ses jouissances impudiques au-delà des bornes de cette nature marâtre. À l’égard de la flagellation active, peut-il être au monde une volupté plus grande pour des êtres endurcis comme nous ? en est-il qui porte mieux l’image de la férocité, qui satisfasse davantage, en un mot, ce penchant à la cruauté que nous avons reçu de la nature ?… Ô Juliette ! assouplir à cette dégradation un jeune objet intéressant et doux, et qui, le plus qu’il est possible, ait quelques affinités avec nous, lui faire durement éprouver cette manière de supplice, dont toutes les attenances ont si bien la volupté pour emblème, s’amuser de ses pleurs, bander à ses chagrins, s’irriter de ses bonds, s’enflammer à ses haut-le-corps, à ces tordions30 voluptueux qu’arrache la douleur à la victime molestée, faire couler son sang et ses larmes, s’en repaître, jouir sur son joli visage des contorsions de la douleur et des jeux musculaires imprimés par le désespoir, recueillir de sa langue ces flots pourprés contrastant aussi bien avec la teinte des lys d’une peau douce et blanche, avoir l’air de se calmer un instant pour effrayer ensuite par de nouvelles menaces, et n’exécuter les menaces qu’avec d’autres recherches plus outrageantes et plus atroces encore, ne rien épargner dans sa colère, et parcourir avec la même rage les parties les plus délicates, celles même que la nature semble n’avoir créées que pour l’hommage des sots, telles que la gorge ou l’intérieur du vagin, telles que le visage même, ô Juliette, quelles délices ! N’est-ce donc point en quelque sorte envahir les droits du bourreau ? n’est-ce pas en jouer le rôle, et cette seule idée ne suffit-elle pas à déterminer invinciblement l’éjaculation du sperme dans des êtres qui, blasés comme nous sur toutes les choses ordinaires et simples, ont besoin de ces savantes recherches pour retrouver ce que les excès leur ont fait perdre ? Que ce goût ne te surprenne pas dans une femme. Ce même Brantôme, dont nous venons d’emprunter tout à l’heure une expression, nous parle avec candeur et naïveté de différents exemples appuyant ces maximes31. Il y avait, dit-il, une dame du grand monde, aussi belle que riche, et veuve depuis plusieurs années, dont rien n’égalait la corruption des mœurs. Entourée de jeunes filles de compagnie toujours extrêmement belles, elle se plaisait à les faire mettre nues et à les battre de sa main, sur les fesses, le plus fort qu’il lui était possible. Elle leur controuvait des torts afin d’avoir le droit de les punir : alors elle les fouettait avec des verges et faisait consister toute sa volupté à les voir frétiller sous ses coups ; plus elles remuaient, plus elles se plaignaient, plus elles saignaient, plus elles pleuraient, plus la putain était heureuse. Elle se contentait quelquefois de les trousser, au lieu de les faire mettre nues, trouvant à l’action de relever et de contenir leurs jupes, plus de plaisir encore que la trop grande facilité offerte par leur complète nudité.

Un grand seigneur, dit-il un peu plus loin, goûte aussi le même plaisir à fustiger étrangement sa femme, ou nue, ou retroussée.

Une mère, ajoute le même, fouettait régulièrement sa fille deux fois le jour, non pour aucune faute qu’elle eût commise, mais pour l’unique plaisir de la contempler dans cette douleur. Quand la jeune personne eut atteint l’âge de quatorze ans, elle enflamma tellement la concupiscence de sa mère, qu’elle n’était pas quatre heures du jour sans la fustiger cruellement.

Mais, poursuivit Clairwil, si nous nous contentons de nos annales, que de modèles plus intéressants nous y trouverions sur cette matière ! et ton ami Saint-Fond, qui n’est pas un seul jour sans fouetter sa fille, ne pourrait-il pas couronner nos modernes recherches ?

— J’ai été la victime de ce goût, répondis-je, et, malgré cela, je le conçois au point de l’adopter peut-être un jour, à ton exemple. Oh oui ! Clairwil, j’aurai tous tes goûts, je veux m’identifier dans toi, si je puis : il ne peut plus être au monde de bonheur pour Juliette que quand elle aura pris tous tes vices !

Les quatre femmes entrèrent : elles étaient nues, comme l’avait désiré mon amie, et lui offraient assurément un des plus beaux ensembles de lubricité qu’il fût possible de voir. L’aînée n’avait pas encore dix-huit ans, la plus jeune quinze : il était difficile de voir de plus beaux corps et de plus agréables figures.

— Elles sont bien, dit Clairwil, en les examinant légèrement.

Et comme elles apportaient chacune une poignée, Clairwil prit les verges et les remit toutes quatre auprès d’elle.

— Approchez-vous, dit-elle ensuite à la plus jeune (ce fut par ordre d’âge qu’elle les visita l’une après l’autre), oui, approchez-vous, et, vous prosternant à mes pieds, demandez humblement pardon des sottises que vous avez faites hier.

— Eh ! madame, je n’en ai point fait.

Un vigoureux soufflet est la réponse de Clairwil.

— Je vous dis que vous avez fait des sottises, et je vous ordonne de m’en demander pardon à genoux.

— Eh bien, madame, dit la petite fille en obéissant, je vous le demande de tout mon cœur.

— Je ne vous accorderai ce pardon que quand vous serez punie ; levez-vous et venez m’offrir humblement vos fesses.

Alors Clairwil, ayant légèrement frotté le joli cul du creux de sa main, y applique une claque si vigoureuse, que ses cinq doigts y restèrent empreints. Des larmes commencèrent à couler sur les belles joues de cette pauvre petite fille qui, n’ayant point été prévenue et n’ayant encore rien éprouvé de semblable, se trouvait douloureusement affectée de cette réception. Clairwil l’examine et lui suce les yeux dès qu’elle les lui voit en larmes ; les siens lançaient des flammes, sa respiration devenait pressée, sa belle gorge semblait, en bondissant, suivre les palpitations de son cœur. Elle enfonça sa langue dans la bouche de cette jeune fille, la suça longtemps, puis, revenant encore plus animée de cette caresse, elle lui appliqua une seconde claque sur le cul, plus forte que la première.

— Vous êtes une petite putain, lui dit-elle, je vous ai surprise hier branlant des vits, et je ne souffrirai pas que vous outragiez les bonnes mœurs à ce point… J’aime les mœurs, moi, je veux de la pudeur dans une jeune fille.

— Je vous réponds, madame…

— Allons, point d’excuse, coquine, interrompit Clairwil en appliquant un vigoureux coup de poing dans les flancs de la jeune fille ; coupable ou non, il faut que je vous vexe et que je m’amuse. De petits êtres aussi méprisables que vous ne sont bons que pour les plaisirs d’une femme comme moi.

Disant cela, Clairwil pince sa victime sur les parties les plus charnues de son joli petit corps, au point de la faire crier ; et, dès que la malheureuse poussait un cri, notre libertine l’étouffait au passage en le recueillant dans sa bouche. Sa colère augmenta, les mots les plus sales et les plus crapuleux, les jurements les plus infâmes, s’exhalèrent alors de ses lèvres impures ; ils étaient entrecoupés comme ses soupirs ; elle pencha la victime sur le canapé, examina lubriquement son derrière, l’entrouvrit, y darda sa langue, puis, revenant aux fesses, elle les mordit en quatre différents endroits, ce que la jeune fille n’endura pas sans des bonds et des haut-le-corps qui divertissaient fort mon amie et qui excitaient en elle de ces rires méchants, tenant bien plus à la férocité qu’à la joie.

— Allons, foutue bougresse, tu vas être fouettée ! lui dit-elle ; oui, sacré bougre de Dieu, je vais t’étriller, en désirant que chacun des coups que tu recevras de ma main laisse, sur ton vilain cul, d’ineffaçables traces.

Saisissant alors une poignée, elle fait relever la jeune fille, lui enlace le corps de son bras gauche, et lui poussant un genou dans le ventre, elle lui fait offrir le cul dans la plus belle position ; elle l’examine un moment dans cet état, puis, commençant à étriller de sa main droite, sans préparation, sans ménagement, elle applique d’abord vingt-cinq coups qui meurtrirent si bien ce cul frais et couleur de rose, qu’on n’apercevait plus une seule partie qui ne fût couverte de cinglons. Elle appelle alors les trois autres femmes l’une après l’autre, se fait mettre la langue dans la bouche par chacune d’elle, en leur ordonnant, à mesure qu’elle s’en faisait baiser, de lui manier fortement les fesses, de lui branler le trou du cul et de combler d’éloges l’opération qu’elle faisait, en lui dénonçant surtout quelques nouveaux torts de la délinquante. Je passai après les trois filles et la baisai de même, en la socratisant, en approuvant le supplice qu’elle imposait à la victime, et nourrissant sa rage lubrique d’une foule de calomnies sur cette infortunée. Lorsque je la baisai, elle voulut que je lui remplisse la bouche de salive, elle l’avala ; se remettant ensuite à l’ouvrage, elle appliqua, à cette seconde reprise, le double des coups qu’elle avait distribués à l’autre ; puis tout de suite une troisième reprise, qui porta à cent cinquante le nombre de coups reçus. Le cul de la petite fille était couvert de sang ; elle ordonne aux trois autres femmes de lécher ce sang et de le lui rapporter dans la bouche ; et moi, elle me baisa, en rendant tout le sang qu’elle avait reçu.

— Juliette, me dit-elle, la fièvre du délire s’empare de mes sens ; je te préviens que tes trois autres garces vont être plus vigoureusement fouettées.

Elle lâche la petite fille, et se fait légèrement passer par elle la langue dans le con et dans le cul.

— Allons, dit-elle à la seconde en désignant celle qu’amenait le tour de l’âge, allons, avance, putain !

Celle-ci, effrayée de ce qu’on venait de faire à sa camarade, se recule au lieu d’obéir. Mais Clairwil, qui n’était pas d’humeur à lui faire grâce, l’attire fortement vers elle par un bras et la soufflette d’importance. La jeune fille se met à pleurer.

— Bon ! dit Clairwil, voilà ce que j’aime.

Et comme cette charmante créature, âgée de seize ans, avait déjà la gorge assez joliment formée, elle la lui pressa au point de la faire crier ; puis, la baisant tout de suite après, elle la lui mordit au point d’y laisser des marques.

— Allons, lui dit-elle en jurant, voyons votre cul.

Et comme il lui parut délicieux, elle ne put s’empêcher de dire, avant que de les frapper :

Ah ! les belles fesses !

La supériorité même dont elle les trouva la contraignît à de nouveaux hommages : elle se courbe, baise le sublime derrière et gamahuche le trou, la retourne, en fait autant au clitoris et revient promptement au cul. Mais ce ne sont point des claques qu’elle applique cette fois-ci, ce sont de vigoureux coups de poing qu’elle distribue et qu’elle étend depuis les cuisses jusqu’aux épaules, en telle sorte qu’elle rend à l’instant toutes noires les parties si blanches de ce beau corps.

— Bougre de Dieu ! s’écrie-t-elle, je bande ! cette petite garce a l’un des plus beaux culs que j’aie vus de ma vie.

Elle prend les verges et se met à fustiger d’importance ; mais, au bout de quelques coups, elle emploie avec celle-ci un épisode dont elle n’avait point fait usage avec l’autre : de la main gauche, dont elle lui enlace le corps, elle écarte les fesses de la patiente, afin que les coups qu’elle lui allonge de la main droite portent sur les parties les plus sensibles du trou du cul et des chairs délicates qui l’environnent ; aussi tout ce local est-il bientôt ensanglanté. Elle voulut ici que les baisers qu’on lui faisait sur la bouche, et les attouchements de son derrière, eussent lieu pendant presque toute l’opération. Les trois autres filles et moi remplîmes cet objet ; avec moi seule, pourtant, elle observa la circonstance d’avaler et de me faire avaler sa salive. La troisième fille fut traitée comme la première, et la quatrième comme la seconde ; toutes furent impitoyablement déchirées, toutes furent mises en sang. Sortant de là comme une bacchante, et plus belle que Vénus, Clairwil fit ranger les quatre filles près l’une de l’autre, afin de comparer l’ensemble de leurs culs et de vérifier si toutes étaient également lacérées. En trouvant une plus ménagée, elle reprit les verges et lui appliqua cinquante nouveaux coups qui lui rendirent bientôt le cul dans un état aussi déplorable que l’étaient ceux de ses compagnes.

— Juliette, me dit-elle, veux-tu que je t’étrille aussi ?

— Assurément, répondis-je ; comment peux-tu me soupçonner de ne pas désirer avec autant d’ardeur que toi ce qui paraît augmenter la somme de tes voluptés ? Fouette, voilà mon cul, voilà mon corps, voilà toute ma personne à tes ordres.

— Eh bien, me dit-elle, grimpe sur les épaules de la plus jeune de ces filles, et, pendant que je te fouetterai, que les trois autres observent ce que je vais prescrire. Emparez-vous des verges, que la moins forte commence, ensuite les deux autres ; vous, de qui je vais recevoir les premiers cinglons, écoutez bien ce qu’il faut faire : vous vous agenouillerez devant mon cul, vous en ferez l’éloge, vous le baiserez, vous écarterez mes fesses, vous glisserez votre langue fort avant dans le trou, en passant en dessous un de vos doigts sur le clitoris ; vous vous relèverez, et, en m’accablant d’invectives et de menaces, vous m’appliquerez de suite, et sans arrêter, deux cents coups sur le derrière, toujours en doublant de force ; vous, qui devez suivre, vous m’avez entendue, vous imiterez votre compagne ; commençons.

Clairwil tourmentait, par des pinçons et des égratignures, le cul de la petite fille sur les épaules de laquelle j’étais, et m’étrillait en même temps de la plus vigoureuse manière. D’une autre part, on exécutait à merveille ce qu’elle avait recommandé ; et la putain, qui voulait faire usage de tout, baisait alternativement les bouches de celles qui ne la fouettaient pas. À mesure que mon cul recevait les impressions de ses verges, la féroce créature en baisait et léchait les marques avec avidité : dès qu’elle eut reçu le nombre de coups qu’elle-même s’était fixé, elle varia l’attitude.

La fille de dix-huit ans se mit à genoux devant elle ; Clairwil lui appuya le con sur le visage, en frottant de toutes ses forces les lèvres de son vagin et son clitoris sur le nez, la bouche et les yeux de cette fille à qui elle recommanda de le lécher. Une fille postée à droite, l’autre à gauche, étrillaient vigoureusement mon amie qui, tenant une poignée de verges de chaque main, se vengeait sur les deux culs des coups qu’elle recevait ; à cheval sur le crâne de celle qui léchait le con, je lui présentais le mien à sucer ; ici la putain déchargea, mais avec des cris, des convulsions et des blasphèmes qui caractérisaient l’un des délires les plus lubriques et les plus luxurieux que j’eusse encore observés de mes jours ; la jolie figure contre laquelle s’était escrimée la tribade était inondée de foutre.

— Allons, sacredieu ! faisons autre chose, s’écria-t-elle, sans se donner le temps de respirer, jamais je ne me repose quand mon sperme est en train de couler ; travaillez-moi, putains ! secouez-moi, fouettez-moi, branlez-moi de la plus forte manière !

La fille de dix-huit ans se couche sur l’ottomane, je m’assieds sur son visage, Clairwil se campe sur le mien, j’étais sucée, je le rendais ; élevée au-dessus de moi, la plus jeune des filles faisait baiser ses fesses à Clairwil, qu’une autre fille enculait avec un godemiché ; la plus mince des quatre filles, inclinée, branlait, avec ses doigts, le clitoris de Clairwil, presque établi sur ma bouche, et présentait, pendant ce temps-là, son con aux mêmes pollutions exercées par la main de mon amie. De cette manière, notre libertine branlait un cul avec sa langue, était gamahuchée, on l’enculait, et on lui branlait le clitoris.

— Juliette, me dit-elle au bout de quelques minutes, je t’ai dit que je ne bandais que d’imagination ; une des choses qui échauffe le plus la mienne c’est d’entendre beaucoup jurer autour de moi : tes putains ne disent mot.

Ceci devenait embarrassant ; ces filles, prises dans la classe de la meilleure bourgeoisie, et n’ayant jamais été libertines qu’avec moi, connaissaient mal le langage qui pouvait convenir à Clairwil. Elles firent ce qu’elles purent ; mais je fus obligée d’y suppléer, et de soutenir, presque à moi toute seule, les caustiques injures qu’elle se plaisait d’entendre adresser à l’Être suprême, à l’existence duquel la coquine ne croyait pas plus que moi. En conséquence, celle qui lui branlait le clitoris m’avait remplacée dans l’emploi de la gamahucher ; et moi, je la chatouillais, en blasphémant les trois méprisables dieux du christianisme comme ils ne l’avaient été de leur vie. La tribade s’agitait beaucoup, mais il ne venait rien, il fallut changer encore une fois et d’attitudes et d’épisodes. Je n’ai jamais rien vu de si beau, de si animé que cette superbe femme, quand elle sortit de cette scène : si l’on eût voulu peindre la déesse même de la lubricité, il eût été impossible de chercher d’autre modèle. Elle me saute au col, me langote près d’un quart d’heure, me fait voir son cul : il ressemblait à de l’écarlate et contrastait de la manière la plus agréable avec l’éclatante blancheur de sa peau.

— Ah ! sacré bougre de Dieu dont je me fous, me dit-elle embrasée, comme je bande ! Juliette ! et que j’entreprendrais de choses en l’état où je suis ! Il n’y aurait aucune espèce de crime, de quelque nature, de quelque violence que tu voulusses le supposer, que je n’exécutasse à l’instant même. Oh ! mon amour… oh ! ma putain… oh ! ma chère tribade… oh ! toi que j’aime infiniment, et dans les bras de qui je veux perdre du foutre, conviens qu’il n’est rien qui porte aux horreurs comme le calme, l’impunité, les richesses et la santé dont nous jouissons : donne-moi donc l’idée de quelque crime… que je l’exécute sous tes yeux ; faisons quelque chose d’infâme, je t’en supplie…

Et comme je m’aperçus que la plus jeune des filles l’excitait, et qu’elle lui suçait excessivement tour à tour la bouche, le cul et le con, je lui demandai tout bas si elle voulait la molester.

— Non, me dit-elle, cela ne me satisferait pas ; je fouette, je tracasse volontiers un moment les femmes, mais pour la dissolution totale de la matière, tu m’entends… ce serait un homme qu’il me faudrait, ce sont eux seuls qui m’excitent à la cruauté ; j’aime à venger mon sexe des horreurs qu’ils lui font éprouver, quand les scélérats se trouvent les plus forts. Tu ne saurais croire avec quelles délices j’assassinerais un homme à présent. Ô Dieu ! que de tourments je lui ferais endurer ; par quelles routes obscures et ténébreuses je le conduirais à la mort !… Allons, je vois bien que ton imagination n’ayant point encore été jusque là, tu ne peux rien m’offrir dans ce genre ; terminons, en ce cas, la scène, par quelques saletés libidineuses, puisque nous ne le pouvons par des crimes.

Les saletés, exécutées avec toute la précision et tous les épisodes désirés, l’épuisent enfin ; elle se précipite dans un bain d’eau de rose ; on l’essuie, on la parfume, on la pare du négligé le plus immodeste, et nous soupons.

Clairwil, aussi capricieuse dans les débauches de table que dans celles du lit, aussi intempérante, aussi bizarre dans les unes que dans les autres, ne se nourrissait que de volaille et de gibier toujours désossés, et toujours apprêtés sous les formes les plus variées et les mieux déguisées. Elle ne faisait nul usage de nourritures populaires : il fallait que tout ce qu’on lui servait fût recherché ; sa boisson ordinaire était de l’eau sucrée et à la glace dans toutes les saisons, dans laquelle il entrait, par pinte, vingt gouttes d’essence de citron et deux cuillerées d’eau de fleur d’oranger ; elle ne buvait jamais de vin, mais beaucoup de liqueur et de café ; d’ailleurs, elle mangeait excessivement, il n’y eut pas un seul plat qu’elle n’attaquât, sur plus de cinquante qui lui furent servis. Prévenue d’avance de ses goûts, tout était accommodé d’après ses désirs, et il est incroyable ce qu’elle engloutit. Cette femme charmante, dont l’usage était de faire adopter ses goûts autant qu’elle le pouvait, les préconisa tellement, qu’elle me fit suivre son régime, mais non pas son abstinence de vin ; j’en fais toujours un très grand usage, et je l’aimerai vraisemblablement toute ma vie.

J’avouai, en soupant, à Clairwil que j’étais confondue de son libertinage.

— Tu ne vois rien, me dit-elle, je ne t’ai donné qu’une très légère esquisse de mes débauches luxurieuses : je veux que nous fassions ensemble des choses plus extraordinaires ; je te ferai recevoir dans une société dont je suis membre, et où s’exécutent des obscénités d’une bien autre force ; là, chaque époux doit amener sa femme, chaque frère sa sœur, chaque père sa fille, chaque célibataire une amie, chaque amant sa maîtresse ; et réunis dans un grand salon, chacun jouit de tout ce qui lui plaît davantage, n’ayant d’autres règles que ses désirs, d’autre frein que son imagination ; plus les écarts se multiplient, plus nous sommes dignes d’éloges, et des prix fondés se distribuent à ceux qui se sont distingués par le plus d’infamies, ou qui ont inventé de nouvelles manières de goûter le plaisir.

— Oh ! ma chère amie, m’écriai-je en me jetant dans les bras de Clairwil, à quel point ces détails échauffent ma tête, et combien je brûle d’être des vôtres !

— Oui, mais seras-tu digne d’être admise ? Les épreuves exigées pour ceux que l’on reçoit sont terribles.

— Peux-tu donc douter de moi ? et, de quelque nature que soient ces initiations, pourra-t-on craindre de me voir balancer, après tout ce que j’ai fait dans les sociétés de Noirceuil et de Saint-Fond ?

— Eh bien ! tu seras reçue, je te le promets.

Puis reprenant avec enthousiasme :

— Ô Juliette ! comme ce n’est jamais qu’au dégoût, à l’impatience, au désespoir de n’avoir trouvé ni rapports, ni convenances avec l’objet auquel l’usage nous lie, que sont dus tous les malheurs de l’hymen, il faudrait, pour y remédier, pour parer à l’affreuse contrainte qui lie éternellement deux objets qui ne se conviennent pas, il faudrait, dis-je, que tous les hommes formassent entre eux de pareils clubs. Là, cent maris, cent pères, en société avec leurs femmes ou leurs filles, se procurent tout ce qui leur manque. Je cède, en donnant mon époux à Climène, tous les attraits qui manquent au sien, et je retrouve dans celui qu’elle m’abandonne, tous les charmes que ne pouvait me procurer le mien. Les échanges se multiplient, et dans une seule soirée, comme tu vois, une femme jouit de cent hommes, un homme de cent femmes ; là, les caractères se développent, on s’est étudié, on se connaît ; la plus entière liberté des goûts s’y professe ; l’homme qui méprise les femmes ne jouit que de ses semblables ; la femme qui n’aime que son sexe se livre également à ses fantaisies ; nulle contrainte, aucune pudeur… Le seul désir d’étendre ses jouissances fait mettre en commun toutes ses richesses. De ce moment, l’intérêt général soutient le pacte, et l’intérêt particulier se trouve lié à l’intérêt général, ce qui rend indissolubles les nœuds de la société : depuis quinze ans que la nôtre dure, je n’y ai pas vu une seule tracasserie, pas un seul mouvement d’humeur. De tels arrangements détruisent la jalousie, absorbent à jamais la crainte du cocuage, deux poisons cruels de la vie, et doivent, par cela seul, mériter la préférence sur ces sociétés monotones où deux époux languissant toute leur vie en face l’un de l’autre, sont voués ou à l’ennui perpétuel de se déplaire, ou au désespoir de ne réussir à dissoudre leurs liens qu’en se déshonorant tous deux. Puissent nos exemples persuader à tous les hommes de nous imiter ! Ce sont, j’en conviens, quelques préjugés à combattre ; mais quand ces sociétés seraient, comme les nôtres, étayées par la philosophie, le préjugé disparaîtrait bientôt. J’y fus admise la première année de mon mariage ; j’avais à peine seize ans. Eh bien ! en débutant, je rougissais, je te l’avoue, de l’obligation de me prêter nue aux fantaisies de tous ces hommes, aux caprices de toutes ces femmes, dont tu crois bien que mon âge et ma figure me firent aussitôt entourer… mais ce fut l’affaire de trois jours. L’exemple me séduisit, et je n’eus pas plus tôt vu mes compagnes lascives se disputer l’honneur du choix et l’invention des lubricités, je ne les eus pas plus tôt vues se vautrer cyniquement dans l’ordure et dans l’infamie, que je les surpassai bientôt toutes en théorie comme en pratique.

La peinture de cette délicieuse association me fit tant d’effet, que je ne voulus pas quitter Clairwil sans qu’elle m’eût juré de me faire admettre dans son club. Le serment fut scellé du foutre que nous répandîmes encore ensemble, en nous faisant éclairer par trois grands laquais, aux yeux desquels Clairwil prétendit qu’il fallait que nous nous branlassions sans leur permettre seulement un désir.

— Voilà, dit-elle, comme on s’accoutume au cynisme, et voilà où il faut que tu sois pour être digne de notre société.

Nous nous séparâmes enchantées l’une et l’autre, et nous promettant bien de nous voir le plus tôt qu’il serait possible.

Noirceuil n’eut rien de plus pressé que de me demander des nouvelles de ma liaison avec Mme de Clairwil ; mes éloges lui prouvèrent ma reconnaissance. Il voulut des détails ; je lui en donnai ; et, comme Clairwil, il me blâma de n’avoir pas chez moi un beaucoup plus grand nombre de femmes. Dès le lendemain, j’augmentai ce nombre de huit, ce qui me composa un sérail des douze plus belles créatures de Paris ; on me les changeait tous les mois.

Je demandai à Noirceuil s’il allait dans la société de mon amie.

— Tant que les hommes, me répondit-il, y avaient la prépondérance, j’y étais d’une scrupuleuse exactitude ; j’y ai renoncé depuis que tout y est entre les mains d’un sexe dont je n’aime pas l’autorité. Saint-Fond a suivi mon exemple. N’importe, ajouta Noirceuil, si ces orgies t’amusent, tu peux les suivre avec Clairwil : il faut essayer de tout ce qui est vice ; je ne connais d’ennuyeux que la vertu. Tu seras là parfaitement branlée, délicieusement foutue ; on ne te nourrira que d’excellents principes ; je te conseille donc de t’y faire admettre au plus tôt.

Il me demanda ensuite si ma nouvelle amie était entrée dans quelques détails sur ses aventures.

— Non, dis-je.

— À quelque point que tu sois philosophe, reprit Noirceuil, elle t’aurait assurément scandalisée. C’est un vrai modèle de luxure, de cruauté, de débauche et d’athéisme ; il n’est aucune horreur, aucune exécration dont elle ne soit souillée ; son crédit et ses grandes richesses l’ont toujours sauvée de l’échafaud, mais elle l’a mérité vingt fois ; c’est, en un mot, par ses actions journalières qu’on pourrait supputer ses crimes, et le nombre des supplices qu’elle a mérités s’évaluerait par celui des jours de son existence. Saint-Fond l’aime beaucoup ; cependant, je sais qu’il te préfère à plus d’un titre : continue donc, Juliette, de mériter la confiance d’un homme qui a dans ses mains le bonheur et le malheur de ta vie.

Je convainquis Noirceuil des efforts que je ferais toujours pour cela. Il venait me prendre pour aller souper à sa petite maison, où nous passâmes la nuit avec deux autres jolies personnes ; nous y exécutâmes toutes les extravagances qui vinrent dans la tête de ce profès en lubricité.

Ce fut à quelque temps de là, qu’échauffée par tout ce que je voyais, par tout ce que j’entendais, il me devint impossible de tenir à l’extrême besoin que j’avais de commettre un crime pour mon propre compte ; j’étais bien aise, d’ailleurs, de voir si je pouvais réellement faire quelque fond sur l’impunité qui m’était promise. Je me décidai donc à des horreurs dignes des leçons que je recevais chaque jour. Voulant éprouver à la fois mon courage et ma férocité, je m’habille en homme, et je vais seule, deux pistolets dans mes poches, attendre, dans une rue détournée, le premier passant qui tombera sous ma main, dans la seule vue de le voler et de l’égorger pour mon plaisir. Appuyée contre le mur, j’étais dans cette espèce de trouble causé par les grandes passions, et dont le choc sur nos esprits animaux est nécessairement le principe de la première volupté du crime. J’écoutais… Chaque bruit nourrissait mon espoir. J’imaginais, au plus petit mouvement, apercevoir enfin ma victime, lorsque des lamentations se font entendre… Je vole au bruit ; je distingue des plaintes ; j’approche : une pauvre femme, couchée en travers d’une porte, poussait les gémissements qui venaient de frapper mon oreille.

— Qui êtes-vous ? dis-je, en m’approchant tout à fait de cette créature.

— La plus infortunée des femmes, me répond en pleurant cette malheureuse, qui ne me parut pas avoir plus de trente ans ; et si vous m’apportez la mort, vous me rendrez un bien grand service.

— Mais de quel genre sont vos revers ?

— Affreux, sans doute, répondit cette femme, en se relevant assez pour me laisser apercevoir, à la faible lueur des réverbères, des traits très doux et intéressants, oui… oui, ils sont affreux, mes revers. Il y a huit jours que nous manquons d’ouvrage ; nous n’avons pu payer le faible prix de la chambre que nous occupions dans cette maison, ni le mois de nourrice de notre enfant… On a conduit cette misérable créature à l’hôpital, et on a mis mon époux en prison ; la fuite seule m’a préservée de la rage des monstres qui nous traitaient avec tant de rigueur ; vous me voyez étendue sur le seuil de la porte d’une maison qui m’appartint autrefois : je n’ai pas toujours été malheureuse. Plus à mon aise, hélas ! je soulageais les pauvres : me rendrez-vous ce que j’ai fait pour eux ?

Un feu subtil se glisse à ces mots dans mes veines… Oh ! sacredieu, me dis-je, quelle occasion d’un crime détestable, et comme il irrite mes sens !

— Lève-toi, dis-je à cette femme, tu vois bien que je suis un homme, je veux m’amuser de ton corps.

— Oh ! monsieur, suis-je en état d’exciter des désirs au sein des larmes et de l’infortune ?

— C’est ce qui enflamme les miens ; presse-toi donc de m’obéir.

Et, la saisissant par un bras, je la contrains à se prêter aux recherches que je veux en faire. On ne se doute point de ce que je trouvai sous ces jupons-là : des chairs très fermes, très blanches et très rebondies…

— Branle-moi, lui dis-je, en lui portant la main sur mon con, je suis une femme, mais une femme qui bande pour son sexe et qui veut se branler avec toi.

— Ô ciel ! laissez-moi… laissez-moi. Toutes vos horreurs me font frémir : je suis sage, quoique dans l’infortune, ne m’humiliez pas à ce point.

Elle veut échapper, je la saisis par les cheveux, et, lui appliquant le bout de mon pistolet sur la tempe :

— Va, bougresse, lui dis-je… va dire aux enfers que voilà le coup d’essai de Juliette.

Elle tombe noyée dans son sang… et, je l’avoue, mes amis, oui, je dois vous rendre compte des effets que j’éprouvai : l’embrasement du fluide nerveux fut tel à cette action, que je me sentis inondée de foutre en la commettant. Et voilà donc les résultats du crime ! me dis-je. Que l’on a eu raison de me le peindre délicieux ! Dieu ! quel est son empire sur une tête comme la mienne, et combien il sert au plaisir !

Quelques fenêtres qui s’ouvrent au bruit de mon arme me font penser à ma sûreté ; j’entends de toutes parts crier : À la garde !… À peine était-il minuit ; je suis arrêtée, on trouve mes pistolets, plus de doute, on me demande qui je suis.

— Je vous l’apprendrai chez le ministre, réponds-je effrontément ; que l’on me conduise à l’hôtel de Saint-Fond.

Le sergent, étonné de mon air, n’ose s’opposer à cette demande ; on me lie… on me garrotte… et je jouis encore : ils sont délicieux les fers du crime que l’on aime, on bande en les portant. Saint-Fond n’était point couché ; on l’informe je suis introduite ; Saint-Fond me reconnaît.

— Cela suffit, dit-il au sergent, vous étiez pendu si vous n’aviez pas amené cette dame dans ma maison ; retournez à vos fonctions, monsieur, vous avez fait votre devoir. Ce qui vient de se passer est un mystère dans lequel vous ne devez point entrer.

Tête à tête avec mon amant, je l’instruisis de tout ; je le fis bander ; il me demanda si j’avais pu juger des contorsions de cette femme à terre.

— Je n’en ai pas eu le temps, répondis-je.

— Ah ! voilà ce que ces actions-là ont de désagréable : c’est qu’on ne jouit pas de la victime.

— Oui, monseigneur, mais un crime de rue

— Oui, je le sens, l’esclandre… la rue… le grand chemin… les lois punissent tout cela plus sévèrement ; et cela dédommage… et puis l’état de cette femme, sa misère… Il fallait l’amener chez toi, nous nous serions amusés de cela… Quel nom ce sergent a-t-il donc dit qu’on avait trouvé sur le cadavre ?

— Simon, monseigneur, je m’en souviens.

— Simon !… Il y a quatre ou cinq jours que cette affaire-là m’a passé par les mains… Je me le rappelle, c’est moi qui ai fait enfermer ce Simon et fait mettre l’enfant à l’hôpital… Comment ! mais c’est que cette femme est très sage et très jolie. Je réservais cela à tes appareilleuses : l’infortunée ne t’a point trompée, ces gens-là se sont vus fort à l’aise, une banqueroute les a ruinés. Ah ! Juliette, tu n’as fait qu’achever mon crime, et l’aventure est délicieuse.

Je vous l’ai dit, Saint-Fond bandait ; mon travestissement masculin perfectionnait son délire. Il me mena dans le boudoir où il m’avait vue la première fois que je m’étais présentée chez lui. Un valet de chambre parut, et Saint-Fond, déboutonnant mes culottes avec une sorte de jouissance, fit d’abord manier mes fesses à son valet ; il lui branla le vit près du trou, puis, s’introduisant bientôt lui-même à ce trou dont il avait l’air de vouloir faire les honneurs, le paillard m’encula, en m’obligeant à sucer le vit de son homme, jusqu’à ce qu’il fût assez raide pour qu’il l’introduisît dans son cul. L’opération finie, Saint-Fond me dit qu’il avait bien mieux déchargé, depuis qu’il savait que le cul qu’il venait de foutre avait mérité l’échafaud.

— Celui qui me foutait et que je t’ai fait sucer est au même point, me dit le ministre, c’est un scélérat décidé : voilà six fois que je le sauve de la roue. As-tu vu comme il m’a foutu, et le beau vit dont il est muni ? Tiens, Juliette, voilà la somme que je t’ai promise pour les crimes commis par toi seule. Une voiture t’attend, retourne chez toi. Demain, tu partiras pour cette terre au delà de Sceaux que je t’achetai le mois passé ; mène peu de monde à cette campagne, quatre de tes femmes ordinaires… les plus jolies… ta cuisine… ton office et les trois pucelles du prochain souper. Tu attendras constamment mes ordres, c’est tout ce que je peux t’expliquer aujourd’hui.

Je sortis, très contente du succès de mon crime… très chatouillée du plaisir de l’avoir commis ; et ayant tout préparé dès le lendemain, je fus coucher où m’avait ordonné le ministre.

À peine fus-je établie à cette campagne, isolée de toutes parts et solitaire comme la Thébaïde, qu’un de mes gens vint m’avertir de l’arrivée d’un étranger bien mis, qui demandait à me parler, s’annonçant de la part du ministre. Je me gardai bien de ne pas l’introduire à l’instant ; je décachette ses dépêches :

« Que vos domestiques s’emparent aussitôt de l’homme qui vous remettra ceci, me disait la lettre ; qu’il soit enfermé dans les cachots que j’ai fait construire dans votre maison ; vous me répondez de ce personnage sur votre vie ; sa femme et sa fille vont suivre. Vous les traiterez de même. Souvenez-vous d’exécuter mes ordres avec la ponctualité la plus scrupuleuse ; mettez-y surtout toute la fausseté, toute la cruauté dont je sais que vous êtes capable. Adieu. »

— Monsieur, dis-je aussitôt au porteur de la lettre, sans laisser lire sur mon visage la plus légère altération, vous êtes sans doute des amis de monseigneur ?

— Il y a longtemps, madame, qu’il comble de ses bontés ma famille et moi.

— Je le vois à sa lettre, monsieur… Permettez que j’aille donner à mes gens les ordres nécessaires à vous recevoir comme il paraît le désirer.

Et je sortis après l’avoir invité à se reposer.

Les gens qui me servaient, bien plutôt des esclaves que des domestiques, se munissent aussitôt de cordes et rentrent avec moi dans l’appartement.

— Menez monsieur, leur dis-je, dans la chambre que monseigneur lui destine.

Et les gaillards, se jetant aussitôt sur cet infortuné, l’entraînent à mes yeux dans le plus abominable cachot.

— Oh ! madame, quelle trahison ! quelle horreur ! s’écrie cette malheureuse dupe de la fausseté de Saint-Fond et de la mienne.

Mais ferme, mais impassible à ses gémissements, je porte l’aveugle obéissance aux ordres du ministre au point de l’enfermer moi-même, sans vouloir répondre un seul mot à toutes les questions dont il m’accable.

À peine étais-je de retour dans mon salon, qu’une voiture entra dans la cour. C’étaient la femme et la fille de ce malheureux, m’apportant de bonne foi, comme lui, des lettres qui contenaient absolument les mêmes ordres. Saint-Fond, me dis-je, en voyant ces deux femmes, en admirant la beauté de la mère à peine âgée de trente-six ans, les grâces et la gentillesse de la fille atteignant au plus sa seizième année, ah ! Saint-Fond, ta maudite et scélérate lubricité n’entrerait-elle pas pour beaucoup dans cette exécution ministérielle ? et n’aurais-tu pas ici, comme dans toutes les actions de ta vie, bien plutôt les vices pour guide que les intérêts de ta patrie ?

Je vous rendrais difficilement les cris et les pleurs de ces deux malheureuses, quand elles se virent traînées avec ignominie dans les cachots qui leur étaient également destinés ; mais aussi insensible aux larmes de la femme et de la fille que je l’avais été à celles du père, les précautions les plus sévères n’en furent pas moins prises avec elles, et je ne fus parfaitement tranquille que quand j’eus dans mes poches toutes les clefs de ces importants prisonniers.

Je réfléchissais sur le sort de ces individus, n’imaginant pas qu’il pût s’agir d’autre chose que d’une détention, puisque les exécutions à mort me regardaient et que je n’étais avertie de rien, lorsqu’on m’annonce un quatrième personnage. Dieu ! quelle est ma surprise en reconnaissant ici le même homme par lequel vous vous souvenez que Saint-Fond m’avait fait appliquer trois coups de canne sur les épaules, la première fois que je m’étais présentée chez lui ; comme il était chargé d’une lettre, je la lis aussitôt.

« Recevez à merveille cette homme-ci, me disait Saint-Fond ; vous devez vous souvenir de lui, vous avez porté ses marques quelque temps, et ce furent ses mains qui vous captivèrent à mes feux la première fois que je m’amusai de vous chez moi. Il va devenir le principal acteur de la scène sanglante qui doit se jouer demain. C’est, en un mot, le bourreau de Nantes, venu par mes ordres, pour l’exécution des trois personnes qui sont maintenant sous vos clefs. Obligé de porter après-demain ces trois têtes à la reine, sous peine de perdre ma place, vous comprenez que je me serais bien chargé tout seul de l’exécution, si Sa Majesté n’eût témoigné le plus ardent désir de les recevoir de la main même d’un bourreau. C’est à cause de cela qu’on n’a pas voulu de celui de Paris ; celui-ci ignore le motif qui l’amène dans votre maison. Vous pouvez maintenant l’instruire, mais ne lui faites point voir les victimes : cette clause est essentielle. J’arriverai demain matin sans faute. Traitez vos prisonniers, et les femmes surtout, avec la plus extrême rigueur ; qu’ils n’aient que du pain… de l’eau, et point de jour. »

— Monsieur, dis-je à ce personnage, le ministre a raison de dire dans sa lettre que nous nous connaissons… Vous m’avez un jour traitée d’une manière…

— Oh ! madame, excusez les ordres…

— Je ne vous en veux point, interrompis-je, en lui tendant une main qu’il baise avec ardeur… Mais il est temps de dîner ; allons nous mettre à table, nous raisonnerons après.

Delcour était un homme de vingt-huit ans, d’une très jolie figure, et dont l’air et le métier m’échauffèrent aussitôt la tête. Les prévenances que je lui fis étaient l’ouvrage de mon cœur ; après le dîner, je lui fis le plus beau jeu du monde. Delcour me convainquit bientôt du succès de mes avances. Son étroite culotte bombait étonnamment, je n’y pus tenir…

— Sacredieu ! lui dis-je, mon amour, voyons donc ce que tu possèdes là. Ce vit superbe échauffe ma tête, ta profession achève de l’enflammer ; je veux absolument que tu me foutes.

Puis ayant aussitôt mis à l’air ce superbe instrument, le premier usage que j’en fais, selon ma coutume avec tous les hommes, est de le sucer jusqu’aux couilles ; mais à peine celui-là peut-il tenir dans ma bouche. Dès qu’il y est, Delcour s’empare de mon con, le gamahuche, et, en deux secondes, nous partons tous les deux. Ce beau jeune homme, me voyant avaler son foutre, se jette ardemment sur moi.

— Ah, sacredieu ! dit-il, trop de promptitude m’a perdu ; mais je vais réparer ma faute.

Le fripon n’avait pas débandé ; il me renverse sur une large bergère, imprime ses lèvres sur les miennes, encore toutes mouillées de son sperme, et m’enconne avec une raideur bien rare quand la perle est encore au bout : de mes jours, je n’avais été si bien foutue. Delcour me lima trois quarts d’heure ; il se retira, par prudence, quand il se sentit près de décharger ; et moi, faisant couler une seconde fois dans ma bouche un foutre épais qui n’était dû qu’à mon con, j’avalai bientôt cette seconde dose avec les même délices que la première.

— Delcour, dis-je, dès qu’un peu revenue à moi je pus raisonner mon extravagance, vous êtes sans doute surpris de la manière leste avec laquelle je vous ai reçu. Une conduite si légère, des avances si promptes, vont me faire prendre par vous pour une grande putain ; à quelque point pourtant que je méprise ce que les sots appellent réputation, je ne veux pas vous laisser ignorer que c’est bien moins à ma coquetterie, bien moins à mon physique que vous devez cette bonne fortune, qu’à ma tête : j’ai le malheur d’en avoir une fort singulière. Vous êtes un meurtrier… un bourreau… fort joli d’ailleurs, bandant à merveille… Eh bien ! je vous le dis… oui, votre profession, voilà ce qui m’a jetée dans vos bras ; méprisez-moi, détestez-moi, je m’en moque : vous m’avez foutue, c’est tout ce que je voulais.

— Ange céleste, me répondit Delcour, non, je ne vous mépriserai pas ; je vous haïrai encore moins ; vous n’êtes faite ni pour l’un, ni pour l’autre de ces sentiments. Je vous adorerai, parce que vous méritez de l’être, et me plaindrai seulement de n’avoir dû votre délire qu’à ce qui me vaut l’avilissement des autres…

— Qu’importe, dis-je, tout cela tient à l’opinion : vous voyez comme elle varie, puisque je vous préfère précisément à cause de ce qui vous écarte du reste des hommes. Ne prenez cependant ceci que pour une affaire de débauche : l’attachement que j’ai pour le ministre, la manière dont je vis avec lui, ne me permettent aucune intrigue, et je n’en contracterai certainement jamais. Nous tirerons de la soirée et de la nuit tout le parti possible, et nous en resterons là.

— Ah ! madame, me dit alors ce jeune homme avec le plus grand respect, je ne vous demande que votre protection et vos bontés.

— Vous aurez toujours l’une et l’autre ; mais il faut que vous vous prêtiez jusqu’au bout à tout le désordre de mon imagination, et je vous préviens qu’avec vous, uniquement à cause du préjugé vaincu, elle ira peut-être un peu loin.

Et comme Delcour, depuis un instant, s’était mis à manier ma gorge d’une main, en me branlant le clitoris de l’autre, et dardant de temps en temps sa langue dans ma bouche, je l’exhortai à être sage et à répondre avec vérité aux questions que j’allais lui faire.

— Dites-moi d’abord à quel propos il prit à Saint-Fond lorsque je vous vis pour la première fois, la bizarre fantaisie de me faire frapper par vous sur les épaules.

— Affaire de libertinage, madame, irritation de tête vous connaissez le ministre.

— Il vous emploie donc dans ses scènes de luxure ?

— Toutes les fois que je suis à Paris.

— Il vous a foutu ?

— Oui, madame.

— Et vous le lui avez rendu ?

— Assurément.

— Vous l’avez battu, fouetté ?

— Souvent.

— Ah, foutre ! comme cela m’excite !… Branlez… branlez… Et vous a-t-il fait battre ou fouetter d’autres femmes ?

— Plusieurs fois.

— Avez-vous poussé les choses plus loin ?

— Permettez-moi, madame, de respecter les secrets du ministre ; en le connaissant aussi bien que vous, il est facile de tout deviner.

— Lui avez-vous quelquefois vu des projets contre moi ?

— Oh ! jamais, madame ! je n’ai reconnu pour vous, dans lui, que de la confiance et de la tendresse ; je vous réponds qu’il vous aime beaucoup.

— Je le lui rends bien… je l’adore, j’espère qu’il en est convaincu. Parlons d’autres choses, puisque vous voulez que je respecte vos secrets. Dites-moi, je vous prie, comment il vous est possible d’attenter à la vie d’un individu qui ne vous a jamais rien fait ? Comment la pitié ne réclame-t-elle pas au fond de votre âme, en faveur du malheureux que la loi vous charge d’assassiner de sang-froid !

— Soyez bien certaine, madame, me répondit Delcour, qu’aucun de nous ne parvient à ce degré de férocité réfléchie, sans des principes inconnus peut-être aux autres hommes.

— Des principes ? eh bien, voilà ce que je veux savoir : quels sont-ils ?

— Ils prennent leur source dans la plus complète inhumanité ; on nous accoutume dès l’enfance à compter la vie des hommes pour rien et la loi pour tout ; il résulte de là que nous égorgeons nos semblables avec la même facilité qu’un boucher tue un veau, et sans y faire plus de réflexions.

— Mais ce que vous vous permettez pour l’exécution de la loi, vous vous le permettriez donc également pour la satisfaction de vos penchants !

— Certainement, madame, dès que le préjugé n’existe plus dans nous et que nous ne croyons aucun mal au meurtre.

— Comment peut-on n’en pas supposer à la destruction de ses semblables ?

— Je vous demanderai à mon tour, madame, comment il est possible d’en soupçonner à cette action. Si l’une des premières lois de la nature n’était pas la destruction de tous les êtres, assurément je pourrais croire qu’on outrage cette nature inintelligible, en procédant à cette destruction ; mais dès qu’il n’existe pas un seul procédé de la nature qui ne nous prouve que la destruction lui est nécessaire et qu’elle ne parvient à créer qu’à force de détruire, assurément tout être qui se livrera à la destruction n’aura fait qu’imiter la nature. Je dis plus : celui qui s’y refuserait, l’offenserait grièvement ; et si, comme on n’en peut douter, nous ne lui fournissons des moyens de créer qu’en détruisant, assurément plus nous détruirons et mieux nous servirons ses vues. Si le meurtre est la base des lois régénératrices de la nature, bien certainement l’homme qui servira le mieux la nature sera le meurtrier, et, de ce moment, plus il multipliera ses meurtres, et mieux il accomplira les lois d’une nature dont les seuls besoins sont des meurtres32.

— Voilà des systèmes bien dangereux.

— Ils sont vrais, madame… Si jamais on vous les étend plus que moi, vous verrez qu’on partira toujours des mêmes bases.

— Mon ami, dis-je à Delcour, vous m’en avez dit assez pour me faire beaucoup réfléchir ; une seule idée lancée dans une tête comme la mienne y produit l’effet de l’étincelle sur le salpêtre ; j’ai de grandes dispositions à penser comme vous. Nous avons ici trois victimes ; vous n’êtes dans ce château que pour les sacrifier : je vous réponds que j’aurai grand plaisir à vous voir opérer sur elles. Mais achevez, je vous prie, mon cher, de jeter sur tout ceci la masse de lumière qu’il vous est possible d’y répandre. N’est-il pas vrai que ce n’est qu’avec le secours du libertinage que vous parvenez à vaincre la nature ou plutôt le préjugé ? car vous venez de me prouver clairement que la nature était bien plutôt servie qu’outragée par le meurtre.

— Que voulez-vous dire, madame ?

— Je vous demande s’il n’est pas très certain, ainsi que je l’ai ouï dire, que ce n’est qu’en vous montant la tête au libertinage que vous parvenez à vous étourdir sur les meurtres que votre métier vous oblige à faire : en un mot, s’il n’est pas vrai que vous bandez toujours en exécutant ?

— Il est certain, madame, que le libertinage porte au meurtre ; il est constant qu’un individu blasé doit retrouver ses forces dans cette manière de commettre ce que les sots appellent un crime : et cela, parce qu’en doublant sur nos nerfs la somme des commotions produites dans un individu quelconque, au même sens qui nous agite le plus fortement, nous devons nécessairement retrouver les forces que nous ont fait perdre les excès. Le meurtre est donc bien réellement un des plus délicieux véhicules du libertinage ; mais il n’est pas vrai qu’il faille toujours avoir la tête montée au libertinage pour commettre le meurtre. La preuve en est fournie par l’extrême sang-froid avec lequel tous nos confrères y procèdent… par l’espèce de passion très différente de celle du libertinage qui agite ceux qui se livrent à cette même action, soit par ambition, soit par vengeance ou par avarice, ceux mêmes qui s’y livrent par le simple mouvement de la cruauté, sans qu’aucune autre passion les y contraigne, ce qui doit nécessairement établir, comme vous voyez, plusieurs classes de meurtres, parmi lesquels le libertinage a la sienne, sans que cela nous empêche de conclure qu’aucune de ces sortes de meurtres n’outrage la nature, et que de quelque espèce qu’ils soient, ils rentrent bien plutôt dans ses lois, qu’ils ne les violent.

— Tout ce que vous dites est juste, Delcour, mais je n’en soutiens pas moins qu’il serait à désirer que, pour l’intérêt même de ces meurtres, celui qui les commet n’allumât sa fureur qu’au flambeau de la lubricité, car cette passion ne laisse jamais de remords, ses souvenirs sont des jouissances ; au lieu que, l’énergie des autres une fois éteinte, on est souvent dévoré de regrets, lorsque les principes surtout ne sont pas établis ; et il serait bien facile de ne se jamais porter à cette action sans y être excité par le libertinage. Il me semble qu’on pourrait tuer dans quelque vue que ce puisse être, mais toujours en bandant, et cela pour mieux consolider l’action, pour s’empêcher d’être molesté par le grand remords qui n’atteint jamais le libertinage… et qui jamais n’est vengé par lui.

— En ce cas, dit Delcour, vous croyez donc que toutes les passions peuvent s’accroître ou s’alimenter par celle de la luxure ?

— Elle est aux passions ce que le fluide nerveux est à la vie : elle les soutient toutes, elle leur prête de la force à toutes, la preuve en est qu’un homme sans couilles n’aurait jamais de passions.

— Ainsi, vous imaginez qu’on peut être ambitieux, cruel, avare, vindicatif, dans les mêmes motifs que ceux de la luxure.

— Oui, je suis persuadée que toutes ces passions font bander, et qu’une tête vive et bien organisée peut s’échauffer de toutes, comme elle le ferait de la luxure. Je ne vous dis rien ici que je n’aie éprouvé ; je me suis branlée, et j’ai complètement déchargé sur des idées d’ambition, de cruauté, d’avarice et de vengeance. Il n’est pas un seul projet de crime, quelle que fût la passion qui l’inspirât, qui n’ait fait circuler dans mes veines le feu subtil de la lubricité : le mensonge, l’impiété, la calomnie, la friponnerie, la dureté d’âme, la gourmandise même, ont produit dans moi ces effets ; et il n’est, en un mot, aucune manière d’être vicieuse qui n’ait allumé ma luxure ; ou son flambeau, si vous l’aimez mieux, ayant produit dans moi l’incendie de tous les vices, en jetant sur tous ce feu divin qui n’appartient qu’à elle, leur a communiqué à tous cette sensation voluptueuse que les gens mal organisés semblent n’attendre que de sa main. Assurément, voilà mon opinion.

— Et c’est aussi la mienne, madame, répondit Delcour, je ne saurais vous le dissimuler plus longtemps.

— Que je vous sais gré d’être franc avec moi ; allez, mon cher, je crois vous connaître assez maintenant pour être certaine que vous avez besoin de vous monter la tête au libertinage, quand vous commettez les meurtres qui vous sont ordonnés, ce qui vous les fait exécuter avec bien plus de volupté qu’à vos confrères qui n’y procèdent que machinalement.

— Eh bien ! madame, vous m’avez deviné.

— Scélérat, dis-je en souriant et reprenant le vit de ce charmant jeune homme que je branlai pour lui donner un peu d’énergie… Ô libertin insigne ! c’est-à-dire qu’aujourd’hui tu bandes pour jouir de mon existence, et que demain tu déchargerais en me l’ôtant…

Et voyant l’embarras du jeune homme :

— Va, mon ami, lui dis-je, absolument dans tes principes je dois te pardonner tout ce qui en résulte : amusons-nous des conséquences et ne disputons point sur elles.

Et, ma tête incroyablement embrasée :

— Allons, dis-je, il faut que vous me fassiez ici des choses fort extraordinaires.

— Quoi donc ?

— Il faut que vous me battiez, que vous m’outragiez, que vous me fouettiez : ne faites-vous pas ces choses-là tous les jours avec des filles ? ne sont-ce pas même les voluptés, dont vous vous souillez avec elles, qui vous électrisent au point de vous rendre capable du reste ?

— Souvent.

— Eh bien, vous aurez de l’ouvrage demain ; disposez-vous y donc aujourd’hui : voilà mon corps, je vous le livre.

Et Delcour, par mes ordres, m’ayant préalablement appliqué une douzaine de soufflets, et autant de coups de pied au cul, s’empara d’une poignée de verges dont il m’étrilla les fesses un quart d’heure, pendant qu’une de mes femmes me gamahuchait.

— Delcour, dis-je, ô divin destructeur de l’espèce humaine ! toi que j’adore et dont je vais jouir, étrille donc ta catin plus fort, imprime-lui les marques de ta main, tu vois qu’elle brûle de les porter. Je décharge à l’idée de verser mon sang sous tes doigts, ne l’épargne pas mon amour !…

Il coula… Ô mes amis ! comme j’étais transportée ! Aucune expression ne rendrait l’égarement produit en moi par cette action : il faut ma tête pour le concevoir, il faut les vôtres pour le comprendre. On n’imagine pas ce que je perdis de foutre dans la bouche de ma branleuse. J’étais dans un désordre… dans un trouble… dans une agitation, où je ne m’étais vue de la vie…

— Ô Delcour ! poursuivis-je, il te reste un dernier hommage à me rendre, ménage tes forces pour y procéder. Ce cul, que tu viens de déchirer, t’appelle ; il t’invite à le consoler. Vénus a, tu le sais, plus d’un temple à Cythère : viens entrouvrir le plus secret, viens m’enculer, Delcour, viens… qu’il n’y ait pas une seule jouissance que nous n’ayons goûtée… pas une horreur que nous n’ayons commise.

— Ah ! sacredieu, dit Delcour transporté… je n’osais vous le proposer, madame ; mais voyez comme vos désirs enflamment les miens.

Et, en effet, mon fouteur me fait voir un vit plus ferme et plus allongé que je ne l’avais encore aperçu…

— Aimable libertin, lui dis-je, tu aimes donc le cul ?

— Ah ! madame, est-il au monde de plus délicieuse jouissance ?

— Je le vois bien, mon cher, répondis-je, quand on s’accoutume à braver sur un point les lois de la nature, on ne jouit plus véritablement qu’en les transgressant toutes, les unes après les autres…

Et Delcour, en possession de l’autel que je lui abandonnais en entier, le couvrit, quoique tout sanglant, des plus délicieuses caresses. Le frétillement de sa langue au trou m’enflamma. La coquine à laquelle je m’étais livrée m’en faisait autant au clitoris. Je n’y tins plus : j’étais épuisée, mais nullement tranquille et ne me souciant plus de Delcour : autant je l’avais désiré, autant il me faisait horreur. Voilà l’effet des désirs irréguliers : plus ils ont exalté nos têtes, plus ils les laissent dans le vide. Les sots tirent de là des preuves de l’existence de Dieu ; je n’y trouve, moi, que les preuves les plus certaines du matérialisme : plus vous rabaissez notre existence, et moins je la croirai l’ouvrage d’un Dieu.

Delcour remis dans son appartement, je gardai ma tribade à coucher. Saint-Fond arriva le lendemain vers midi ; il renvoya ses gens et sa voiture, et vint aussitôt m’embrasser dans le salon ; un peu inquiète de la façon dont il prendrait la petite incartade que je m’étais permise avec Delcour, je lui avouai tout.

— Juliette, me dit-il, je vous gronderais si je ne vous avais pas prévenue que je serais de la plus grande indulgence sur tous les égarements de votre tête. Ce que vous vous êtes permis est très simple ; vous n’avez eu d’autre tort que de vous confier à Delcour, qui pourrait commettre une indiscrétion. Delcour, qu’il est bon que vous connaissiez, m’a servi deux ans de bardache, quand il avait quatorze et quinze ans ; il était fils du bourreau de Nantes ; cette idée m’échauffa ; j’eus son pucelage, et quand j’en fus las, je le mis dans les mains du bourreau de Paris, dont il a été garçon jusqu’à la mort de son père ; il en exerce aujourd’hui la place ; c’est un garçon qui ne manque pas d’esprit, mais il est excessivement libertin ; et, comme je viens de vous le dire, il n’était pas de tournure à inspirer une grande confiance. Il faut maintenant que je vous instruise de l’existence des prisonniers auxquels nous allons donner la mort.

M. de Cloris est un des hommes de France qui a le plus contribué à mon avancement. L’année que je fus élevé au ministère, quoique fort jeune encore, il couchait avec la duchesse de G*, dont le pouvoir était immense à la cour, et ce fut réellement par les cabales et les intrigues de tous deux que le roi me donna la place que j’occupe. De ce moment, Cloris devint pour moi un objet d’horreur ; je craignais de le rencontrer, je le détestais ; tant que sa protectrice vécut, je le ménageai ; elle vient de mourir… par mes soins peut-être ; de ce moment Cloris fut à la tête de ma liste de proscription ; il avait épousé ma cousine germaine.

— Oh ! monseigneur, quoi ! cette femme est votre cousine ?

— Assurément, Juliette, et ce véhicule de plus n’a pas peu contribué à sa perte. J’ai désiré cette femme ; elle m’a toujours résisté ; peu à peu, mes désirs sont descendus sur sa fille ; et la résistance devenant plus forte ici, ma rage et mon extrême envie de perdre toute la famille n’en sont devenues que plus violentes. Il n’y a sorte de ruses et de noirceurs, de mensonges et de calomnies que je n’aie mis en usage pour les perdre ; j’ai fini par rendre le père et la fille si suspects à la reine, en lui persuadant que Cloris avait vendu sa fille au roi, que je suis parvenu à me faire vivement solliciter pour les perdre tous. La reine veut absolument leurs têtes demain ; trois millions pour chacune de ces têtes deviennent ma récompense : juge avec quelle joie je vais obéir, et de quels épisodes délicieux je vais entourer ma vengeance.

— Oh, monseigneur ! cette complication de crimes est affreuse, et je ne puis vous dire à quel point elle irrite ma tête.

— La mienne l’est également, mon ange, et j’arrive aujourd’hui avec d’exécrables intentions. Il y a huit jours que je n’ai déchargé ; personne ne possède comme moi l’art d’aiguiser ses passions par une abstinence industrieuse ; je n’en jouis pas moins : j’ai peut-être été foutu deux cents coups, et vu cent ou cent cinquante individus de tout sexe pendant ce régime, mais sans perdre une goutte de foutre. Il résulte de cette petite fraude à la nature que je suis dans un état de désir bien funeste pour les êtres sur qui doit tomber l’orage, et c’est ici que je veux qu’il éclate… Avez-vous donné des ordres pour que nous soyons seuls et que qui que ce soit, excepté ceux qui sont nécessaires à la scène, ne soit introduit dans cette maison ?

— Oui, monseigneur.

— C’est que je ferais pendre à l’instant celui qui chercherait à y pénétrer malgré moi : un détachement des gardes est à Sceaux, pour me prêter main-forte en cas de besoin, et jamais le crime n’aura si bien été soutenu. Goûtez-le comme moi, le plaisir de le commettre, environné d’aussi délicieuses circonstances et d’une sécurité si profonde.

— Ah ! vous le voyez, à l’état où tout ce que vous me dites me met.

— En vérité, je crois que tu décharges.

Et le paillard, pour se convaincre d’une crise que je n’éprouvais que trop réellement, me trousse d’une main jusqu’au nombril, introduisant de l’autre un de ses doigts dans mon con, qu’il retire inondé des preuves bien certaines de l’agitation luxurieuse dans laquelle je suis.

— Que j’aime à voir en toi de pareils effets, me dit le ministre, et combien ils me prouvent à quel point tu partages ma façon de penser ! Attends, il faut que je pompe le foutre que je fais couler.

Et sa bouche se collant sur mon con, le vilain le suce un quart d’heure ; il me retourne :

— Ah ! dit-il, voilà celui que j’aime à baiser de préférence… Le beau trou !… friponne, je vois bien qu’on t’a sodomisée. Il ne cessait de baiser mon cul pendant tout ce temps ; il se déculotte, il m’expose le sien… je le gamahuche.

— Ah ! coquine, quel plaisir tu me fais ! me dit-il, en vérité, je crois que tu aimes mon cul… Tiens, vois mon vit, il commence à bander, suce-le ; conseille-moi donc quelques extravagances, je veux en mêler dans ce que nous ferons : c’est aux grelots de la Folie à sonner les heures de Vénus.

— Il fait chaud, lui dis-je, je voudrais que tu t’habillasses en sauvage, que les bras, les cuisses, les fesses et le vit fussent à découvert ; tu te mettrais sur la tête une coiffure de serpent, ton visage serait barbouillé de rouge, nous t’adapterions des moustaches, un large baudrier soutiendrait toutes les armes nécessaires aux supplices que tu veux faire éprouver à tes victimes ; ce costume effrayerait tout le monde, et c’est la terreur que l’on doit inspirer quand on veut se vautrer dans le crime.

— Tu as raison, Juliette, oui, tu as raison, tu m’arrangeras de cette manière.

— Sois sûr que cet appareil en impose : vois ces baladins de juges, s’ils ne ressemblent pas à des héros de comédie ou à des charlatans, lorsqu’ils sont dans leurs tribunaux.

— Je les voudrais plus effrayants et plus sanguinaires mille fois : assure-toi bien, Juliette, que ce n’est qu’en répandant le sang des hommes qu’on parvient à les dominer.

Le dîner se servit, nous nous mîmes à table, tête à tête, et la conversation continua sur le même ton.

— Oui, certes, reprit le ministre, il faudrait que les lois fussent plus sévères ; il n’y a d’heureusement gouvernée que les pays où règne l’Inquisition. Voilà les seuls qui soient réellement soumis à leurs souverains ; c’est aux chaînes sacerdotales à resserrer celles de la politique : la force du sceptre dépend de celle de l’encensoir ; chacune de ces autorités a le plus grand intérêt à se prêter mutuellement des forces, et ce ne sera jamais qu’en les divisant que les peuples secoueront le joug. Rien n’assouplit le peuple comme les craintes religieuses ; il est bon qu’elles lui fassent redouter d’éternels supplices s’il se révolte contre son roi ; et voilà d’où vient que les puissances d’Europe vivent toujours en bonne intelligence avec Rome. Nous autres, grands de la terre, méprisons et bravons ces foudres fabuleuses du méprisable Vatican, mais faisons-les craindre à nos esclaves ; c’est, encore une fois, l’unique moyen de les maintenir sous le joug. Nourris des principes de Machiavel, je voudrais que la distance des rois aux peuples fût comme celle de l’astre des cieux à la fourmi ; qu’il ne fallût qu’un geste à un souverain pour faire ruisseler le sang autour de son trône, et que, vu comme un Dieu sur la terre, ce ne fût jamais qu’à genoux que ses peuples osassent l’approcher. Quel est donc l’être assez imbécile pour comparer le physique… oui, le physique seul d’un monarque à celui d’un homme du peuple ? Je veux croire que la nature leur a donné les mêmes besoins, et le lion aussi a les mêmes besoins que le vermisseau : se ressemblent-ils pour cela ? Ô Juliette ! souviens-toi que si les rois commencent à perdre leur crédit en Europe, c’est que leur humanité les a perdus : s’ils fussent restés sous le voile, comme les souverains d’Asie, leur nom seul ferait encore trembler la terre. On se familiarise avec ce que l’on voit tous les jours, et Tibère à Caprée dut bien plus effrayer les Romains, que Titus au milieu de Rome, allant consoler les pauvres.

— Mais ce despotisme qui vous plaît tant, dis-je à Saint-Fond, parce que vous êtes puissant, croyez-vous donc qu’il plaise au plus faible !

— Il plaît à tout le monde, Juliette, me répondit Saint-Fond ; tous les hommes tendent au despotisme ; c’est le premier désir que nous inspire la nature, bien éloignée de cette loi ridicule qu’on lui prête, dont l’esprit est de ne point faire aux autres ce que nous ne voudrions pas qu’il nous fût fait… de peur de représailles, aurait-on dû ajouter, car il est bien certain que c’est la seule crainte du retour qui a pu faire prêter à la nature un langage aussi éloigné de ses lois. J’affirme donc que le premier et le plus vif penchant de l’homme est incontestablement d’enchaîner ses semblables et de les tyranniser de tout son pouvoir. L’enfant qui mord le téton de sa nourrice… qui brise à tout instant son hochet, nous fait voir que la destruction, le mal et l’oppression sont les premiers penchants que la nature a gravés dans nos cœurs, et auxquels nous nous livrons avec plus ou moins de violence, en raison du degré de sensibilité dont nous sommes doués. Il est donc bien certain que tous les plaisirs qui peuvent flatter l’homme, toutes les délices qu’il peut goûter, tout ce qui délecte le plus souverainement ses passions, se trouvent essentiellement dans le despotisme dont il peut grever les autres. La voluptueuse Asie, en enfermant avec soin les objets de ses jouissances, ne nous démontre-t-elle pas que la luxure gagne à l’oppression et à la tyrannie, et que les passions s’enflamment bien plus fortement de tout ce qui s’obtient par la contrainte que de ce qui s’accorde de plein gré ? Dès qu’il est démontré que c’est en raison de la violence de l’action commise que doit se mesurer la somme du bonheur de celui qui agit, et cela parce que plus cette dose est forte et plus elle ébranle le système nerveux, dès que, dis-je, cela est démontré, la plus grande dose de bonheur possible consistera donc dans le plus grand effet du despotisme et de la tyrannie : d’où il résultera que l’homme le plus dur, le plus féroce, le plus traître et le plus méchant, sera nécessairement le plus heureux ; car ce n’est, ainsi que te l’a souvent dit Noirceuil, ni dans le vice, ni dans la vertu qu’est le bonheur : c’est dans la manière dont nous sommes disposés pour sentir l’un ou l’autre, et dans le choix que nous faisons d’après cette organisation. Ce n’est pas dans le repas offert qu’est mon appétit, ce besoin n’est qu’en moi, et ce repas affecte très indifféremment deux personnes : il excite de la volupté dans celui qui a faim… de la répugnance dans celui qui vient de se rassasier. Cependant, comme il est certain qu’il doit y avoir de la différence dans les vibrations reçues, et que le vice doit en causer de beaucoup plus vives à l’individu disposé pour lui, que n’en peut donner la vertu à l’être dont les organes sont construite de manière à la recevoir ; que, quoique l’âme de Vespasien fût bonne et celle de Néron méchante, et néanmoins toutes deux sensibles, il y avait pourtant une bien grande différence dans la trempe de ces âmes, relativement au germe de sensibilité qui les constituait (car celle de Néron était incontestablement douée d’une faculté sensitive bien supérieure à celle de Vespasien), il est certain, dis-je, d’après cela, que Néron a dû être incontestablement plus heureux que Vespasien ; et cela par la raison certaine que ce qui affecte le plus vivement sera toujours ce qui rendra l’homme plus content ; et qu’un être vigoureux, construit par cela seul à recevoir mieux des impressions de vice que des impressions de vertu, trouvera plutôt le bonheur qu’un individu doux et tranquille, dont la faible complexion ne lui rendra possible que la stupide et monotone pratique des bonnes mœurs. Et quel mérite y aurait-il donc dans la vertu, si le vice ne lui était pas préférable ! Ainsi, Vespasien et Néron ont donc été aussi heureux qu’ils pouvaient l’être, mais Néron a dû l’être beaucoup plus, parce que ses jouissances ont été bien plus vives, et Vespasien, en venant d’accorder une grâce à un homme indigent par la seule raison, disait-il, qu’il fallait bien que les pauvres vécussent, était remué d’une façon infiniment moins vive que Néron en voyant brûler Rome, une lyre à la main, sur le haut de la tour Antonia. Mais, dira-t-on, l’un méritait des autels et l’autre des bûchers. Soit, si vous le voulez ; ce n’est pas de l’effet de leur âme sur les autres que je juge, c’est des sensations intérieures que l’un et l’autre ont dû recevoir, en raison des différents penchants dont l’un et l’autre étaient doués, des différentes vibrations dont ils étaient mus ; et, dans ce sens, l’homme de la terre le plus heureux, incontestablement, sera celui qui, n’importe par quelle action, aura fait passer à son âme les secousses les plus violentes qu’elle puisse recevoir ; et comme les secousses du vice sont plus fortes, plus énergiques que celles de la vertu, inévitablement l’homme le plus heureux de la terre sera celui qui sera le plus adonné aux infâmes, aux plus crapuleuses débauches, aux plus criminelles habitudes, et qui les renouvellera le plus souvent… qui, chaque jour, les doublera, les triplera de force.

— Le plus grand service qu’on peut rendre à une jeune personne, répondis-je à ce discours, serait donc d’éteindre en elle toutes les semences de vertu que la nature ou l’éducation y aurait fortement fait naître !

— Assurément, me répondit Saint-Fond, car à supposer même que l’individu dans lequel vous étoufferiez ces semences de vertu vous assurât qu’il y trouve le bonheur, parfaitement certain de lui en faire trouver un beaucoup plus grand dans le vice, vous ne devriez jamais balancer à étouffer l’un pour éveiller l’autre : c’est un service réel dont il vous remerciera tôt ou tard : et voilà pourquoi, bien différent de mon prédécesseur, j’autorise tous les ouvrages libertins ou immoraux… je les crois très essentiels au bonheur de l’homme, utiles aux progrès de la philosophie, indispensables à l’extinction des préjugés, et faits, sous tous les rapports, pour augmenter la somme des connaissances humaines. J’étayerai les auteurs assez courageux pour ne pas craindre de dire la vérité ; je payerai, je couronnerai toujours leurs idées ; ce sont des hommes rares, essentiels à l’État, et dont on ne saurait trop encourager les travaux.

— Mais, dis-je, comment cela s’arrange-t-il avec la sévérité dont vous voudriez que fût le gouvernement ? avec cette inquisition que vous établiriez ?

— Le mieux du monde, répondit Saint-Fond : c’est pour contenir le peuple que je veux cette sévérité ; ce n’est que pour lui seul que mon imagination désire si souvent à Paris les autodafés de Lisbonne ; la classe riche, noble ou spirituelle, ne sera jamais atteinte par mes poignards.

— Mais ces écrits, lus de tous, deviendront funestes à ceux que vous paraissez vouloir épargner ?

— Jamais, dit Saint-Fond. Si le faible y trouve le désir de briser ses chaînes (désir dont j’ai besoin pour les river), le fort y rencontre des leçons bien plus énergiques pour faire peser sur le peuple ces mêmes chaînes. L’esclave, en un mot sera des années à comprendre ce que le chef ne mettra qu’une minute à exécuter.

— On vous accuse, objectai-je encore, d’une égale condescendance pour la dépravation des mœurs : elles ne furent, dit-on, jamais plus corrompues que depuis que vous êtes dans le ministère.

— Il s’en faut de beaucoup, me répondit Saint-Fond, qu’elles soient au point où je voudrais les voir, et je travaille à un règlement de police qui, j’espère, les mettra au degré de dépravation où je les désire. Apprends, Juliette, qu’il est de la politique de tous ceux qui mènent un gouvernement d’entretenir dans les citoyens le plus extrême degré de corruption ; tant que le sujet se gangrène et s’affaiblit dans les délices de la débauche, il ne sent pas le poids de ses fers, on peut l’en accabler sans qu’il s’en doute. La véritable politique d’un État est donc de centupler tous les moyens possibles de la corruption du sujet. Beaucoup de spectacles, un grand luxe, une immensité de cabarets, des bordels, une amnistie générale pour tous les crimes de débauche : les voilà les moyens qui vous assoupliront les hommes. Ô vous qui voulez régner sur eux ! redoutez la vertu de vos empires, vos peuples s’éclaireront quand elle y règnera, et vos trônes, qui ne sont étayés que sur le vice, seront bientôt renversés : le réveil de l’homme libre sera cruel pour les despotes, et, quand les vices n’amuseront plus son loisir, il voudra dominer comme vous.

— Et quels sont, dis-je, les règlements que vous vous proposez ?

— C’est par les modes que je veux d’abord travailler l’opinion publique : tu connais l’influence qu’elles ont sur les Français.

1° J’établis des costumes d’homme et de femme qui laissent presque totalement à découvert toutes les parties de la lubricité, et les fesses surtout.

2° Il y aura des spectacles à l’instar des jeux de Flore à Rome, où les jeunes garçons et les jeunes filles danseront nus.

3° Les principes de la simple nature remplaceront ceux de la morale et de la religion dans les écoles publiques. Tout enfant de quinze ans, de l’un ou l’autre sexe, qui ne pourra trouver un amant, sera flétri, déshonoré dans l’opinion publique, et déclaré incapable, si c’est une fille, d’être jamais mariée, si c’est un garçon d’occuper aucune place ; à défaut d’un amant la jeune personne de l’un ou l’autre sexe sera du moins obligée de fournir un certificat qui prouve qu’elle s’est prostituée et qu’elle ne possède plus ses prémices.

4° La religion chrétienne sera sévèrement bannie du gouvernement ; il n’y sera jamais célébré d’autre fête que celle du libertinage. Et les chaînes religieuses subsisteront malgré cela : j’en ai besoin pour contenir le peuple, je viens de te le prouver. Qu’importe l’objet des cultes, pourvu qu’il y ait des prêtres ? Je placerai aussi bien le poignard de la superstition dans les mains de ceux de Vénus que dans celles des adorateurs de Marie.

5° Le peuple sera tenu dans un esclavage, dans un asservissement qui le mette hors d’état d’attenter jamais à la domination, ni à l’envahissement ou à la dégradation des propriétés du riche. Lié à la glèbe comme autrefois, il fera partie de cette propriété du riche, et éprouvera, comme elle, toutes les différentes mutations. Les peines ne porteront que sur lui seul et s’imposeront pour les plus légères fautes. Son propriétaire aura, sur lui et sa famille, le droit de vie et de mort, et jamais ses plaintes ou ses récriminations ne seront écoutées. Il n’y aura jamais d’écoles gratuites pour lui : on n’a pas besoin de science pour labourer la terre ; le bandeau de l’ignorance est fait pour les yeux du cultivateur ; on ne l’en arrachera jamais sans danger. Le premier individu, de telle classe qu’il puisse être, qui chercherait à exalter le peuple ou à lui conseiller de briser ses fers, sera jeté à des tigres pour être dévoré tout vivant.

6° Il sera ouvert dans toutes les villes du gouvernement un nombre de maisons publiques des deux sexes proportionné à la population de cette ville, dans la gradation d’une de ces maisons de l’un et de l’autre sexe par mille habitants ; chacune de ces maisons contiendra trois cents sujets, qui y entreront à douze ans pour n’en sortir qu’à vingt-cinq. Ces établissements seront soudoyés par le gouvernement ; les seuls individus de classe libre auront le droit d’y entrer et d’y faire absolument tout ce que bon leur semblera.

7° Tout ce qui s’appelle crime de libertinage, tels que le meurtre de débauche, l’inceste, le viol, la sodomie, l’adultère, ne seront jamais punis que dans les castes esclaves.

8° Il sera accordé des prix aux plus célèbres courtisanes des maisons de débauche, de même qu’aux jeunes garçons de ces mêmes établissements qui se seront fait une réputation dans l’art de donner des plaisirs. On accordera, de même, des récompenses à tout inventeur de lubricités nouvelles, à tout auteur de livres cyniques, à tout libertin reconnu pour être profès dans cet ordre.

9° La classe des hommes dans l’esclavage existera comme autrefois celle des Ilotes de Lacédémone. N’y ayant aucune espèce de différence entre l’homme esclave et la bête, pourquoi punirait-on plutôt le meurtrier de l’un que celui de l’autre ?

— Monseigneur, dis-je, ceci mérite, je crois, quelque légère explication. Je voudrais que vous me prouvassiez qu’il n’existe réellement aucune différence entre l’homme esclave et la bête.

— Jette les yeux sur les ouvrages de la nature, me répondit ce philosophe, et considère toi-même l’extrême différence que sa main a mise à la formation des hommes nés dans la première classe, ou nés dans la seconde ; sois impartiale et décide… Ont-ils la même voix, la même peau, les mêmes membres, la même marche, les mêmes goûts, j’ose dire les mêmes besoins ? Inutilement me dira-t-on que le luxe ou l’éducation ont établi ces différences, et que l’un et l’autre de ces individus, pris dans l’état de nature, se ressemblent absolument dès l’enfance. Je nie le fait, et c’est pour l’avoir remarqué moi-même, pour l’avoir fait observer par d’habiles anatomistes, que j’affirme qu’il n’est aucune similitude dans les différentes conformations de l’un et de l’autre de ces enfants. Abandonnez-les tous deux, et vous verrez que celui de la première caste manifestera des goûts et des intentions bien autres que tout ce que vous démontrera l’enfant de la seconde : vous reconnaîtrez des sentiments, des dispositions bien différents dans l’un et dans l’autre.

Que l’on fasse la même étude, maintenant, sur l’animal qui ressemble le plus à l’homme, tel que le singe des bois, que je compare, dis-je, cet animal à l’individu pris dans la caste esclave : que de rapprochements n’y trouverai-je pas ! L’homme du peuple n’est que l’espèce qui forme le premier échelon après le singe des bois ; et la distance de ce singe à lui est absolument comme celle de lui à l’individu de la première caste. Et pourquoi donc la nature, qui observe toutes ces gradations avec tant de rigueur dans tous ses ouvrages, les aurait-elle négligées dans celui-ci ? Toutes les plantes se ressemblent-elles ? Tous les animaux sont-ils de même figure et de même force ? Oserez-vous comparer l’arbuste au majestueux peuplier, le chien roquet au fier danois, le petit cheval des montagnes de Corse au fougueux étalon d’Andalousie ? Voilà donc dans les mêmes classes des différences essentielles : et pourquoi donc ne voudriez-vous pas qu’elles existassent de même dans celles des hommes ? Oserez-vous rapprocher Voltaire de Fréron, et le mâle grenadier prussien du débile Hottentot ? Ne doutez donc plus, Juliette, de ces inégalités ; et dès qu’elles existent, ne balançons pas à en profiter, et à nous convaincre que, si la nature a bien voulu nous faire naître dans la première de ces classes d’hommes, c’est pour jouir à notre gré du plaisir d’enchaîner l’autre, et de la faire despotiquement servir à toutes nos passions et à tous nos besoins.

— Embrasse-moi, mon cher ami, dis-je en me jetant dans les bras d’un homme dont les principes me tournaient la tête : tu es un dieu pour moi, et c’est à tes pieds que je veux passer ma vie.

— À propos, me dit Saint-Fond en sortant de table, et nous jetant tous deux sur un canapé du salon, j’oubliais de te dire que le roi m’aime plus que jamais ; je viens d’en recevoir de nouvelles preuves. Il s’est mis dans la tête que je devais beaucoup, et vient en conséquence de me donner deux millions pour arranger mes affaires. Il est juste que tu participes à cette faveur, Juliette : je t’accorde la moitié du don. Continue d’aimer mes mystères et de me bien servir : je t’élèverai si haut que tu n’auras plus de peine à te persuader de ta supériorité sur les autres êtres ; tu ne saurais croire les délices que j’éprouve à te mettre au pinacle, sous la seule clause d’une profonde humiliation, d’une obéissance sans borne envers moi. Je veux que tu sois à la fois mon esclave et l’idole des autres ; rien ne me fait bander comme cette idée… Juliette, eh bien ! nous ferons des horreurs aujourd’hui… n’est-ce pas mon ange ?… des atrocités ?…

Et il me baisait sur la bouche, en me branlant pendant ce temps-là…

— Ô mon amour, comme les crimes sont délicieux lorsque l’impunité les voile, que le délit les étaye, et que le devoir même les prescrit ! Comme il est divin de nager dans l’or et de pouvoir dire, en comptant ses richesses : Voilà les moyens de tous les forfaits, de tous les plaisirs ; avec cela, toutes mes illusions peuvent se réaliser, toutes mes fantaisies se satisfaire, aucune femme ne me résistera, aucun désir ne demeurera sans effet, les lois mêmes se modifieront par mon or, et je serai despote à mon aise.

Je baisai mille et mille fois Saint-Fond, et, profitant de l’enthousiasme, de l’ivresse dans lesquels il était, et surtout de ses bonnes dispositions pour moi, je lui fis signer une lettre de cachet pour le père d’Elvire, qui voulait me l’enlever, deux ou trois autres grâces qui devaient me valoir cinq ou six cent mille francs chacune. Et les fumées de l’excellent dîner que je venais de lui faire s’étant portées vers le cerveau, l’engourdirent et lui procurèrent un sommeil profond dont je profitai légèrement pour tout disposer.

Saint-Fond s’éveilla sur les cinq heures. Tout, par mes soins, se trouvait prêt dans le salon, et voici l’ordre dans lequel les personnages étaient disposés : nues et simplement parées de guirlandes de roses, s’apercevaient, dans la partie droite du tableau, les trois pucelles destinées aux orgies ; je les avais groupées comme les Grâces ; toutes trois étaient filles de condition, enlevées dans un couvent de Melun, et d’une surprenante beauté.

La première s’appelait Louise ; elle avait seize ans, blonde, l’une des figures les plus intéressantes qu’il fût possible de voir.

Hélène était le nom de la seconde ; quinze ans, une taille souple et légère, grande pour son âge, les cheveux châtains, les yeux et la bouche de l’Amour même ; elle eût passé pour la plus jolie des trois, certainement, si Fulvie, absolument du même âge, mais beaucoup plus belle, n’eût paru devoir l’emporter.

J’avais placé, pour contraster avec ce groupe, celui de la famille malheureuse, également nu et drapé d’un crêpe noir ; le père et la mère se tenaient dans les bras l’un de l’autre ; à leurs pieds était la charmante Julie ; des chaînes pesaient sur leurs chairs découvertes et les froissaient ; la fraise du téton gauche de Julie passait à travers un chaînon et se trouvait déchirée par lui ; un autre morceau de ces douloureux fers se voyait entre les cuisses de Mme de Cloris et molestait les lèvres du vagin. Delcour, auquel j’avais fait prendre le costume effrayant d’un démon armé du glaive dont il devait frapper les victimes, tenait le bout de cette chaîne, et déchirait, en la tirant à lui de temps en temps, toutes les parties sur lesquelles on la voyait appuyer.

Mes quatre femmes, dans l’attitude de la Vénus aux belles fesses, le derrière tourné vers Saint-Fond, drapées d’une simple gaze brune et blanche qui laissait leurs culs très à découvert, offraient à mon amant :

La première, une femme de vingt-deux ans, belle comme Minerve, et dont toutes les formes étaient admirables ; on la nommait Délie ;

Montalme était le nom de la seconde ; vingt ans, la fraîcheur de Flore et les plus belles chairs qu’il fût possible de voir ;

Palmire avait dix-neuf ans ; blonde, une figure romantique, de ces femmes qu’on voudrait toujours faire pleurer ;

Blaisine avait dix-sept ans, l’air mutin, les dente superbes, les yeux les plus fripons qu’eût jamais embrasés l’amour.

Au coin gauche de ce demi-cercle, se trouvaient placés deux grands gaillards de cinq pieds dix pouces, munis de membres énormes, debout dans les bras l’un de l’autre, tous deux se branlaient en se baisant voluptueusement sur la bouche ; ils étaient nus.

— Voilà qui est divin ! dit Saint-Fond en se réveillant, je reconnais bien à tout ceci l’esprit et l’imagination de Juliette. Qu’on m’amène les coupables, poursuivit-il, en voulant m’avoir près de lui pendant que Montalme viendra sucer son engin et qu’il maniera le beau cul de Palmire.

Le groupe s’avance, conduit par Delcour.

— Vous êtes accusés tous trois de crimes énormes, dit le ministre, et j’ai des ordres secrets de la reine pour vous faire à l’instant périr.

— Ces ordres sont injustes, répondit Cloris, ma famille et moi nous sommes innocents… Et tu le sais bien, scélérat !… (Ici Saint-Fond ressentit une si vive émotion de plaisir, que je crus qu’il allait décharger.) Oui, tu le sais bien, mais si nous sommes coupables, qu’on nous juge sans nous exposer, comme on le fait ici, à la cruelle luxure d’un tigre qui ne nous sacrifie que pour attiser ses indignes passions.

— Delcour, dit Saint-Fond, faites sentir la chaîne.

Et de la violente secousse que le bourreau donna, le con de Mme de Cloris, le sein de sa fille et l’une des cuisses du mari, furent tellement écorchés que le sang jaillit sur le fer.

— Vous avez, dit ensuite Saint-Fond, trop grièvement transgressé les lois que vous implorez aujourd’hui pour qu’elles vous protègent ; leur seule rigueur vous est maintenant réservée : il faut vous préparer à la mort.

— Tu es, dit fièrement Cloris, le ministre d’un tyran et d’une putain ! La postérité me jugera.

Ici, Saint-Fond se lève en fureur ; il bandait ; il ne se fait suivre que de moi. S’approchant de cet insolent bien contenu par ses chaînes, il lui donne plusieurs soufflets à tour de bras, l’insulte, lui crache au visage, et, se branlant le vit sur les tétons de Julie toujours à ses pieds :

— Venge-toi, si tu peux, lui dit-il, venge-toi ! Ô lâche ! tu fuirais si j’étais libre.

— Cela est vrai ; mais je te tiens, je te défie de te venger, et je t’insulte avec plaisir.

— Tu me dois tout.

— Je n’aime pas le poids de la reconnaissance.

Il lui prit le vit, le secoua ; il m’ordonna de le branler. Mais voyant que rien n’avançait :

— Séparez cet homme de sa famille, dit-il à Delcour, qu’on l’attache à ce poteau. La reine m’ayant laissé le maître des supplices par lesquels vous méritez d’être punies, et qui doivent précéder votre mort, continue Saint-Fond en s’adressant aux femmes, vous allez l’une et l’autre souffrir, sous les yeux de Cloris, tous les genres de prostitution et de luxure qu’il me plaira de vous imposer.

Et comme il vit que Delcour n’attachait pas assez ferme, à son gré, l’époux au poteau préparé, il fut aider à le garrotter lui-même, et renouvela ses soufflets, accompagnés de fortes claques sur les fesses.

— Je le tuerai de ma main, dit-il à Delcour… Oui, je veux avoir moi-même le plaisir de répandre son sang, de m’en rassasier.

Mêlant toujours l’horreur à la luxure, il se courba, suça le vit énorme de cet homme, et lui baisa les fesses. Comme Delcour était tout près, il lui prit, de même, le vit dans la bouche, et gamahucha le trou de son cul ; il se redressa, et baisa plusieurs minutes de suite le bourreau sur la bouche, en me disant à l’oreille :

Il n’y a que cela qui me fasse bander

L’infâme Vénus et sa cour étaient là ; il quittait tout pour la crapule et pour l’atrocité. Il revint aux objets de mon sexe…

— Ah ! monseigneur, lui dirent ces pauvres créatures en le voyant approcher, par où donc avons-nous pu mériter un traitement aussi barbare !

— Sois courageuse, ma femme, cria l’époux infortuné, la mort va bientôt laver nos outrages, nous ne ressentirons plus rien, et le remords déchirera l’âme de ce tigre.

— Le remords, dit Saint-Fond en ricanant, n’approchera jamais de mon cœur ; je n’en aurais qu’à t’épargner.

Mme de Cloris, détachée la première, fut amenée vers lui.

— Ah ! putain ! lui dit-il, te souviens-tu de toutes les rigueurs que tu m’as opposées jadis ? Chère et tendre cousine, je vais t’obtenir pour rien aujourd’hui.

Il bandait extraordinairement ; il manie brutalement les attraits de cette femme ; et, la saisissant à brasse-corps, il l’enconne aux yeux de son mari, dont, par l’attitude qu’il a prise, il peut sucer le vit pendant ce temps. Dès que je vois, par cette action, son cul bien à ma portée, je le fais foutre ; tout ce qui reste d’hommes et de femmes l’environne, excepté Julie et Cloris, toujours contenus par Delcour. Je place indistinctement sous ses mains et sous ses yeux, des cons, des culs, des vits et des tétons. Le démon de la cruauté l’excitant, ses mains crochues ne s’appesantissent nulle part, qu’elles n’y laissent des traces ; mais c’est par préférence qu’avec délices, il les promène sur les tétons de la malheureuse femme dont jouit sa rage ; il les égratigne et les met en sang.

— Éloigne tout cela, Juliette, me dit-il en déconnant la mère pour s’emparer de la fille, je ne veux pas encore décharger.

— Petite putain, dit-il à cette innocente créature, ton père et ta mère savent aussi tout ce que j’ai fait pour te posséder : il faut que je les punisse aujourd’hui des oppositions qu’il y ont mises.

Il fit alors placer le père de façon à ce qu’en foutant la fille, il eût en perspective le beau fessier de ce cher papa, que Delcour devait étriller d’une main, pendant qu’il molesterait, de l’autre, les fesses de la maman, disposées à la même hauteur. C’est moi qui l’aide à dépuceler Julie ; il presse, il pousse, il enconne ; huit culs sont autour de lui. On le sodomise ; et le vilain, ne trouvant pas assez violents les supplices que Delcour impose par son ordre, s’arme d’un stylet, et pique à la fois les tétons de la mère, les épaules de la fille et les fesses du père. Le sang coule.

— Ce n’est point encore ici où je déchargerai, dit le vilain faune en déconnant ; voilà, dit-il en maniant le cul du père, voilà l’autel où je vais sacrifier.

Par ses ordres, le malheureux Cloris est étendu sur le funeste sopha, les mains toujours liées.

— Delcour, dit-il au bourreau, passez-lui une corde au col, que vous serrerez, s’il résiste, au point de lui donner la mort.

Toujours directrice de l’opération, je conduis avec art le fougueux coursier au bord de la route qu’il doit parcourir : le malheureux ne disait mot.

Bien en face de lui, sont postés, à droite le sein de la mère, à gauche le joli petit cul de la fille. Il n’est pas plus tôt dans le derrière qu’il convoite, que ses mains, armées du fatal stylet, commencent à se promener sur les traits offerts à ses regards, et tellement placés, qu’à mesure qu’il les pique, c’est sur la tête du père que coule le sang de l’épouse et de la fille. Je lui branlais le cul pendant ce temps-là, et deux de mes femmes lui piquaient les fesses.

— Eh bien, dit-il, je me suis encore trompé : j’avais cru répandre mon sperme, mais je veux, avant, tâter tous les culs de cette famille vraiment intéressante. Renchaîne ce vieux bardache, Delcour, il n’a servi qu’à couvrir mon vit de merde. Grande fille, dit-il à Montalme, venez sucer cela.

Et comme il s’aperçoit d’un peu de répugnance, il ordonne à Delcour d’appuyer aussitôt cents coups de fouet sur les belles fesses de cette charmante fille pour lui apprendre à obéir.

— Ah ! ah ! putain, disait-il pendant qu’on l’étrillait, tu ne veux pas sucer mon vit, parce qu’il y a de la merde ; que deviendras-tu donc tout à l’heure quand je t’en ferai manger ?

Montalme, bien fouettée, revient décidée à tout ; elle suce le paillard, lui lèche le cul ; et reprenant tranquillement son ouvrage, le voilà sodomisant la mère, en molestant d’un côté le cul du père, de l’autre le con de la fille. Au bout d’une course peu longue, il reprend cette fille.

— Oh ! pour le coup, dit-il, j’espère que c’est ici que va s’opérer le sacrifice.

Toujours servi par moi, Julie est enculée ; il n’y a rien qu’on ne lui fasse pendant ce temps-là pour déterminer sa décharge, mais, soit méchanceté, soit impuissance, il quitte encore ce cul, en assurant que ce ne sera qu’en flagellant toute la famille, qu’il retrouvera ses forces épuisées. Le père, déjà replacé au poteau, est fouetté le premier. Dès qu’il est en sang, on lui attache sa femme sur le dos ; et quand, par plus de mille coups de fouet, il a entrouvert les fesses de celle-ci, la petite fille, placée sur les épaules de la mère, est aussitôt traitée de même.

— Défaisons tout cela, dit le centaure, je n’ai pas encore été satisfait de cette jouissance ; je veux refouetter cette petite fille, mais tenue par son père et sa mère ; Juliette et toi, Delcour, tenez-leur à chacun le bout d’un pistolet sur la tempe, et faites-leur voler le crâne s’ils bronchent en tenant leur enfant.

Chargée de la mère, je brûlais de lui voir faire quelque résistance ; mais me consolant ensuite par la certitude qu’elle terminerait ses jours dans quelque supplice plus violent que celui-là, je cessai de me plaindre en moi-même de la soumission qui m’avait alarmée d’abord. La pauvre Julie, traitée avec une fureur qui n’a pas d’exemple, fouettée premièrement avec des verges, le fut ensuite avec des martinets, dont chaque cinglon faisait jaillir le sang dans la chambre ; cela fait, il tombe sur le père, et, ne le frappant qu’avec ce même martinet à pointes de fer, en trois minutes il le couvre de sang. La mère est aussitôt saisie ; on la place sur le bord du canapé, les cuisses dans le plus grand écartement possible, et il la cingle de son martinet, en dirigeant les coups dans l’intérieur du vagin. Je le suivais partout, tantôt le branlant, tantôt le flagellant, tantôt suçant sa bouche ou son vit. Un mouvement de rage le rapproche de la jeune fille ; il lui applique deux soufflets d’une si terrible force, qu’elle en tombe les quatre fers en l’air ; la mère veut la secourir, il la reçoit d’un coup de pied dans le ventre qui la renverse de l’autre côté, à plus de quinze pieds de sa fille. Cloris écumait sans oser dire un mot ; toujours lié, quelle défense aurait-il pu faire ? On relève la petite fille ; Saint-Fond ordonne au bourreau de la foutre en con, et lui… sodomise le bourreau, pendant qu’à force de séductions, et ayant rendu la liberté au père, je lui promets la vie et celle de sa famille, s’il vient à bout d’enculer Saint-Fond… Ce que c’est que l’espoir dans l’âme d’un malheureux ! Soigneusement branlé par mes mains, il réussit. Saint-Fond, aux nues de se sentir un aussi beau vit dans le cul, frétille comme le poisson qu’on rend à l’eau après l’en avoir retiré quelque temps.

— Il est divin, et sa grâce est sûre, dit Saint-Fond, si, profitant avec vitesse de l’état où le voilà dans mon cul, il consent à sodomiser sa fille.

— Monsieur, dis-je à cet homme, y a-t-il à balancer, et ne vaut-il pas cent fois mieux que vous foutiez votre fille que de l’assassiner ?

— L’assassiner !

— Oui, monsieur ; votre refus la met au tombeau ; elle est morte si vous persistez.

Et, pendant qu’une de mes femmes tient les fesses de la petite bien écartées et qu’elle humecte le trou, je retire promptement l’engin du cul de Saint-Fond et le braque à l’entrée de celui de la petite : mais Cloris révolté ne poussait pas.

— Allons, allons, tuons-la ! dit Saint-Fond puisqu’il ne veut pas la foutre.

Ce cruel arrêt détermine tout ; d’un côté je rapproche du membre les reins de la jeune fille, j’enfonce de l’autre le terrible engin dans l’anus ; comme tout est bien préparé, le succès couronne mes efforts, et Cloris est incestueux pour ne pas devenir parricide. Délie fustigeait Saint-Fond ; pendant ce temps-là, il vexait le cul de la mère et baisait les fesses de l’un des laquais ; mais ce laquais le foutit bientôt, et ce furent les fesses de Délie qui furent mises en perspective. L’inconstant Saint-Fond rompit encore ce groupe ; s’obstinant à résister toujours aux élans de son foutre, il se montre à nous plus furieux qu’une bête féroce ; il criait, il écumait, il jurait : aussitôt que Delcour eut déchargé dans le con de Julie, il lui fit enculer la mère. Tout enfin se dérange : Saint-Fond se rassoit, et m’ordonne de lui faire examiner les attraits des trois petites filles qui ne se sont encore présentées qu’en gros à ses yeux ; il touche et caresse leurs culs un quart d’heure ; il les sépare, il les rassemble, il les compare ; je le branlais pendant ce temps-là ; il convient, en un mot, que jamais mon choix ne fut plus heureux. Fulvie surtout lui paraît adorable.

— Je l’enculerais, dit le paillard, si je ne craignais pas de décharger.

Après cette revue, il désire faire celle des quatre femmes ; Palmire l’enchante : il n’a, dit-il, jamais rien vu de si beau, et les superbes fesses de cette belle fille font ses délices pendant plusieurs minutes.

— Ordonne, me dit-il, à toutes ces putains de se mettre à genoux en demi-cercle autour de moi, de venir ensuite, dans la même posture, adorer mon vit, et de le sucer l’une après l’autre.

L’arrêt s’exécute, et chacune reçoit deux soufflets en tétant son engin.

— Allons, dit-il dès que c’est fait, il faut que mon derrière ait son tour, que toutes dans le même ordre viennent le lécher et l’adorer.

Il suce des vits pendant ce temps-là, sans en excepter, comme vous l’imaginez bien, ceux de Cloris et de Delcour.

— Il est temps, dit-il, Juliette de terminer cette première scène.

Le scélérat encule Julie ; les valets contiennent le père et la mère pendant qu’il lime le cul de cette enfant. Delcour, armé de son rasoir, va lentement détacher la tête.

— Sois long, sois très long, Delcour, s’écrie-t-il, je veux que ma très chère nièce se sente mourir, je veux qu’elle souffre aussi longtemps que je foutrai.

À peine Delcour a-t-il fait sentir le taillant du rasoir, que les cris de cette malheureuse retentissent de toutes parts.

— Allez, allez, dit Saint-Fond bien introduit dans le cul, mais allez doucement ; vous ne concevez pas le plaisir qui me transporte ; penche-toi, Delcour, que je puisse te branler le vit pendant que tu travailles ; Juliette, adorez les fesses de Delcour : il est un Dieu maintenant à mes regards. Qu’on approche le cul de la mère, je veux le baiser pendant que je fais assassiner sa fille.

Mais quels baisers, grand Dieu ! Ce sont des morsures si cruelles, que le sang jaillit à chacune de celles qu’il fait. Un valet l’encule ; l’infâme est dans une extase indicible.

— Comme je savoure le crime, s’écrie-t-il en jurant, comme il est enchanteur pour moi ! Delcour, fait durer le plaisir…

Le malheureux père, abattu, est prêt à perdre connaissance, ses yeux se détournent avec horreur. La belle tête de Julie tombe enfin comme celle d’une jolie rose aux efforts redoublée de l’aquilon.

— Rien n’est voluptueux comme ce que je viens de faire, dit Saint-Fond déculant le cadavre : on n’imagine pas le resserrement qui résulte, dans l’anus, de la lente incision opérée sur les vertèbres du col ; c’est délicieux ! Allons, madame, dit-il à la mère, préparez-vous à me donner le même plaisir.

La même scène recommence. Saint-Fond, qui trouve que l’on va trop vite, suspend l’opération.

— Vous ne savez pas, dit-il, combien il est divin de couper ainsi en détail le col d’une femme qu’on eut la faiblesse d’aimer autrefois : oh ! comme je me venge bien des rigueurs de la chère cousine !

Il continue de branler lui-même le vit du bourreau, mais il veut baiser mes fesses pendant l’opération ; les deux valets enculent Delcour et lui ; le père est attaché de manière à ce que, armée d’une poignée de verges, je puisse lui fouetter le vit pendant ce temps là. Mon féroce amant est dans l’ivresse, il se délecte aux douleurs retardées de sa triste parente, dont la tête tombe enfin au bout d’un quart d’heure. C’est le tour de Cloris. Ce n’est qu’en l’attachant qu’on parvient à le placer dans l’attitude essentielle à l’opération. Saint-Fond sodomise, le bourreau travaille, les valets continuent d’enculer l’ordonnateur et l’exécuteur. Ce sont les superbes fesses de Montalme que Saint-Fond veut baiser cette fois. Les autres femmes l’entourent en lui montrant des culs ; la bombe éclate à la fin. Oh, ciel ! si Lucifer se mêlait de décharger, il ferait, je crois, moins de bruit, il écumerait moins, il adresserait aux dieux des blasphèmes et des imprécations moins épouvantables. Saint-Fond se repose un instant, et l’on passe dans une autre salle où j’ai fait réunir les sept femmes et les deux valets. Le ministre nous y rejoint promptement, mais, semblable à Venceslas, son bourreau ne le quitte point ; quelques voluptés plus douces vont pourtant précéder les orgies cannibales de ce nouveau Néron, et le foutre va, s’il est possible, couler du moins avant le sang.

Comme il était néanmoins nécessaire de conserver avec un tel homme ce qui portait le caractère de ses plaisirs de choix, ce fut dans des niches ornées de tous les attributs de la Parque funèbre que je lui présentai des groupes voluptueux. La salle entière était tendue de noir ; des ossements, des têtes de cadavres, des larmes d’argent, des faisceaux de verges, des poignards et des martinets ornaient cette lugubre tapisserie ; dans chaque niche était une des vierges branlée par une tribade, toutes deux nues, appuyées sur des coussins noirs, ayant les attributs de la mort perpendiculaires à leur front. Dans le fond de chaque niche, se voyait l’une des têtes qui venaient d’être coupées, et près des niches, à droite, était un cercueil ouvert, à gauche une petite table ronde sur laquelle reposaient un pistolet, une coupe de poison et un poignard. Par un raffinement d’incroyable barbarie (fait, j’en étais bien sûre, pour plaire à mon amant), j’avais fait scier les trois troncs des victimes qui venaient d’être sacrifiées ; on n’en avait conservé que la partie des fesses prise depuis la chute des reins jusqu’au bas des cuisses, et des morceaux de chair étaient suspendus par des rubans noirs à hauteur de la bouche, dans chaque entrecolonnement des niches : ce furent les premiers objets qui frappèrent Saint-Fond.

— Ah, ah, dit-il en venant les baiser, je suis fort aise de retrouver des culs qui viennent de me donner tant de plaisir.

Une lampe lugubre pendait au milieu de la salle, dont les voûtes étaient également revêtues d’attributs funèbres ; différents instruments de supplice étaient distribués çà et là ; on y voyait, entre autres, une roue fort extraordinaire. La victime, liée circulairement sur cette roue enfermée dans une autre garnie de pointes d’acier, devait, en tournant contre ces pointes fixes, s’écorcher en détail et dans tous les sens ; un ressort rapprochait la roue fixe de l’individu lié sur la tournante, afin qu’à mesure que les pointes diminuaient la masse de chair, elles pussent trouver toujours à mordre en se resserrant. Ce supplice était d’autant plus horrible qu’il était fort long, et qu’une victime pouvait y vivre dix heures dans les lentes et rigoureuses angoisses de ce tourment ; il ne s’agissait, pour presser ou ralentir le supplice, que de rapprocher plus ou moins la tournante. Cette machine, de l’invention de Delcour, n’avait point encore été essayée par Saint-Fond ; il s’enthousiasma en la voyant, et donna sur-le-champ cinquante mille francs de gratification à l’auteur. De ce moment, les yeux perfides de ce monstre ne s’attachèrent plus qu’au choix de celle des trois victimes qui serait immolée de cette manière. Dieux ! la malheureuse Fulvie, comme la plus belle, fut tacitement condamnée au fond du cœur de ce tyran. Un baiser, qu’il appliqua au trou du cul de cette belle fille, en venant considérer la terrible machine, m’en convainquit bientôt. Mais voyons ce qui précéda.

Entre Delcour et moi, Saint-Fond s’établit d’abord un moment sur le fauteuil qui se trouvait en face de chaque niche. Palmire, celle de mes femmes qui n’était pas employée dans ces niches, debout, derrière le fauteuil, le polluait, en baisant sa bouche ; il branlait Delcour et maniait mes fesses ; il examine : les tribades ont soin de lui offrir le corps de l’enfant, qu’elles branlent dans toutes les attitudes possibles ; souvent même, elles l’approchent de lui, pour lui en faire baiser les différentes parties. Il se lève, il parcourt les niches ; Delcour le fouette pendant ce temps-là ; quelquefois il se fait foutre, et je le suce ; je m’aperçois que son engin commence à reprendre quelque énergie ; il m’encule à la dernière station (elle se faisait devant la niche où Blaisine branlait Fulvie), et ce fut là où il me dit à l’oreille, en baisant le cul de cette charmante fille :

— C’est elle qui va nous étrenner la roue ; comme ces jolies petites fesses seront délicieusement chatouillées, là.

Ce premier examen fait, il va se coucher sur une espèce de banc étroit et rembourré ; là, les hommes et les femmes viennent tour à tour se placer à califourchon sur son visage, et lui chier dans la bouche ; Palmire passe la première, et vient ensuite le sucer pendant toute l’opération. Montalme et moi, nous avions passé ensuite, afin qu’il pût, d’après son désir, nous manier de même les fesses tout le temps qu’il serait là. Des saletés, le libertin passe promptement aux horreurs : Delcour, par ses ordres, fouette les sept femmes devant lui, et je le branle sur les têtes qu’il m’a fait détacher dans cette intention.

Trois tableaux s’arrangent ensuite sous ses yeux. Mes deux fouteurs enculent deux de mes tribades ; au milieu, Delcour fouette la troisième ; au pied de chaque groupe est une jeune fille que Saint-Fond s’apprête à dépuceler ; Palmire et moi le disposons, l’une en le socratisant, l’autre en lui branlant le vit ; le libertin, bien préparé, fait sauter les trois pucelages, retourne, encule, et décharge en sodomisant Fulvie. Je le suce pour lui rendre ses forces ; il veut que le bourreau lui tienne toutes les femmes, sans m’excepter ; il nous applique, à chacune, deux cents coups de verges ; il tient ensuite les femmes et contraint Delcour à les enculer toutes. Il les baisait sur la bouche pendant cette scène, où je parus comme les autres.

Alors Saint-Fond prend chaque pucelle l’une après l’autre, et passe en tête à tête avec elles dans un cabinet reculé. Nous ignorâmes ce qu’il leur dit ou ce qu’il leur fit ; à leur retour, nous n’osâmes même pas les interroger. Ce fut vraisemblablement dans cette entrevue qu’il leur annonça leur mort, car toutes rentrèrent en larmes. Delcour me dit, pendant qu’il procédait à cette opération, qu’une lubricité secrète suivait ordinairement cette annonce ; que, depuis qu’il connaissait Saint-Fond, il lui avait toujours vu mêler cet épisode aux sentences que dictait sa férocité. Nécessairement, cela l’excitait beaucoup, car il sortait de là bandant toujours à outrance33.

— Allons, dit-il, en écumant de luxure, voyons maintenant par quels supplices nous les ferons périr : je veux qu’ils soient effroyables. Il faut, Delcour, que ton imagination se surpasse ici ; il faut que ces malheureuses souffrent tout ce que les tourments de l’enfer pourraient leur rapporter de douleur en détail.

Et il baisait Fulvie en disant cela ; il était facile de voir que c’était elle qui l’échauffait le plus.

— Delcour, dit-il, je te la recommande, cette jolie créature ; comme elle sera belle sur ta roue, comme ses fesses blanches et potelées se déchireront voluptueusement.

Et, en disant ces mots, il la mordit jusqu’au sang, en cinq ou six endroits de son corps ; une de ces morsures lui emporta la fraise du téton gauche, le coquin l’avala ; il lui met un instant le vit dans le cul ; s’emparant ensuite de l’engin de Delcour, il l’introduit lui-même dans le trou qu’il quitte.

— Il faut, dit-il, que le bourreau foute sa victime, cela est indispensable.

Pendant ce temps, avec ses ongles, il égratignait les fesses, les reins, les cuisses, les tétons de cette enfant, et suçait le sang à mesure qu’il sortait. Il fit approcher Palmire, qui paraissait l’échauffer aussi prodigieusement, et il lui dit :

— Voilà comme je traite les filles qui me font bander.

À peine eut-il prononcé ces mots, qu’il lui introduisit le vit dans le cul : après quelques allées et venues, il la fit monter sur une chaise, afin d’avoir toujours ses fesses en perspective, et, parallèlement à elle, il fit mettre Délie dans la même attitude ; les trois petites filles, ensuite, se rangèrent en demi-cercle autour de lui ; elles se mirent à genoux, et il leur molesta la gorge pendant que Blaisine lui branlait le vit. Il piqua les seins à peine épanouis de ces trois infortunées, les coupa d’un canif, puis cautérisa sur-le-champ la plaie avec la pointe d’un fer chaud. Je l’excitais pendant ce temps-là, ayant, par ses ordres, le vit de Delcour dans le cul et branlant un valet de chaque main : ainsi à genoux, il lui fit lier toutes trois dos à dos, et les fouetta sur les mamelles avec un martinet à pointes d’acier tranchantes ; le cul de Palmire le suivait dans toutes ces scènes ; il se rejetait toujours dessus, et le gamahuchait dans les intervalles.

— Allons ! dit-il, encore un peu de fouet.

Les sept femmes (je fus exceptée) furent liées à des colonnes placées exprès dans cette salle ; de leurs mains élevées en l’air, elles tenaient un crucifix ; les pieds des quatre tribades portaient également sur des crucifix, qu’elles avaient l’air de fouler aux pieds ; ceux des trois victimes s’appuyaient sur des boules garnies de pointes de toutes parts, de manière que le propre poids de leur corps les contraignît à être lacérées ; les tétons de celles-ci furent fortement liée avec un cordon de boyau qui leur entrait dans les chairs ; une pointe d’acier très aiguë pendait sur leur tête et y pénétrait à la volonté de Saint-Fond qui, par le moyen d’un ressort dont il était maître, pouvait faire entrer cette pointe dans le crâne de la fille aussi avant qu’il le voulait ; d’autres pointes, dirigées de même par Saint-Fond, se trouvaient en face de leurs yeux ; une autre pointe leur menaçait le nombril, si, pressées par les coups de fouet, elles se rejetaient, par hasard, en avant ; chacune des victimes arrangée de cette manière entrelaçait les tribades, heureusement dégagées de tous ces poignants attirails.

Saint-Fond emploie d’abord des verges que Delcour et moi lui fournissons ; il donne cent coups aux victimes et cinquante aux tribades ; la seconde reprise se donne avec des martinets à pointes d’acier, deux cents coups aux victimes, dix aux tribades. Alors Saint-Fond fait jouer les pointes : les malheureuses, piquées de toutes parts, poussent des cris qui eussent attendri tout autre que des scélérats tels que nous. Saint-Fond, se sentant pressé par le foutre dont son vit écume déjà, se fait amener Louise, celle des filles âgée de seize ans qu’il veut exécuter la première. Il la baise beaucoup, lèche et manie son cul tout sanglant, s’en fait sucer le vit et le trou du cul, puis la livre à Delcour, qui, après lui avoir passé son vit dans les deux trous, l’applique à ce supplice chinois qui consiste à être hachée toute vive en vingt-quatre mille morceaux sur une longue table. Saint-Fond, élevé dans une estrade, assis sur les genoux d’un laquais qui le fout, examine le spectacle en tenant dans ses jambes Hélène qui doit suivre, dont il moleste le cul, pendant que je le branle et qu’il baise Palmire sur la bouche. Le supplice de cette seconde consiste à avoir les yeux crevés, étendue sur une croix de Saint-André, pour y être rompue vive. Saint-Fond opère lui-même pendant que je le fouette. La victime ainsi disloquée lui est réofferte ; il l’encule, et, pendant qu’il instrumente l’anus, Delcour achève la victime par un coup de massue sur la tête, qui fait voler la cervelle au nez de Saint-Fond ; il en a le visage couvert.

La charmante Fulvie reste seule, entourée des restes sanglants de ses deux compagnes : pourrait-elle douter de son sort ? Saint-Fond lui montre la roue.

— Voilà ce qui t’attend, lui dit-il, je t’ai réservé le meilleur. Et le traître ne manque pas de la bien caresser, de la bien baiser sur la bouche ; il l’encule encore une fois avant de la livrer au bourreau. Delcour la saisit enfin ; elle pousse des cris affreux ; il la place ; la roue commence à tourner. Saint-Fond, foutu par les deux valets tour à tour, enculait Delcour en baisant alternativement les fesses de Palmire et les miennes, et maniant indistinctement les trois culs qui restaient vacants. Bientôt, le redoublement des cris de la victime nous fait juger de ses douleurs. Je vous laisse penser de quelle violence elles devaient être : le sang, élancé de partout, jaillissait comme ces pluies fines, éparpillées par les grands vents. Saint-Fond, qui veut faire durer le supplice, varie ses tableaux ainsi que ses jouissances. Il encule mes quatre tribades, pendant qu’avec Delcour nous lui composons des groupes. La roue, se resserrant toujours, commence à piquer jusqu’aux nerfs, et la victime, évanouie par l’excès des douleurs, n’a plus la force de se faire entendre, quand Saint-Fond, épuisé d’horreur et de cruautés, perd à la fin son foutre dans le superbe cul de Palmire, en gamahuchant celui de Delcour, maniant le mien d’un côté, celui de Montalme de l’autre, et considérant, sous la fatale roue, un des valets enculant Blaisine, et fustigé par Délie, qui lui suce la bouche pour hâter sa décharge.

Les cris, le désordre, les blasphèmes de Saint-Fond, tout fut affreux ; nous le portâmes, presque sans connaissance, au lit où il voulut encore que je passasse la nuit à ses côtés.

Cet insigne libertin, aussi calme que s’il fût venu de faire l’action la plus méritoire, dormit dix heures sans s’éveiller et sans la plus légère marque d’agitation. Ce fut alors que je me convainquis bien qu’il est facile de se créer une conscience analogue à ses opinions, et qu’après ce premier effort, il est permis d’arriver à tout. Ô mes amis ! n’en doutons pas, celui qui a su éteindre dans son cœur toute idée de Dieu et de religion, que son or ou son crédit mettent au-dessus du lois, qui a su racornir sa conscience, la plier à ses opinions, en bannir à jamais le remords, celui-là, dis-je, soyez-en bien sûrs, fera toujours tout ce qu’il voudra sans rien craindre.

Le ministre, en s’éveillant, me demanda s’il n’était pas vrai qu’il fût le plus grand scélérat de la terre. Connaissant le plaisir que je lui ferais en répondant un oui que je ne pensais que trop, je me gardai bien de le contredire.

— Que veux-tu mon ange, me dit-il, est-ce ma faute si je suis ainsi, et si la nature m’a donné pour le vice le goût le plus irrésistible, et pas un seul penchant pour la vertu ? N’est-il donc pas certain que je la sers aussi bien ainsi, que celui auquel sa main imprimera l’amour des bonnes actions ? Ce serait la plus grande de toutes les extravagances que de résister aux intentions de la nature sur nous : je suis la plante vénéneuse qu’elle a fait naître au pied du baume ; je ne suis pas plus fâché de mon existence, que je ne serais flatté de celle de l’homme vertueux : et dès qu’il faut que tout soit mélangé sur la terre, ne devient-il pas égal d’être dans une classe ou dans l’autre ? Imite-moi, Juliette34, tes penchants t’y portent ; qu’aucune action criminelle ne t’effarouche ; la plus atroce est celle qui plaît le mieux à la nature : le seul coupable est celui qui résiste ; ne le sois pas de cette manière. Laisse, ma fille, laisse dire aux gens froids qu’il faut que l’honnêteté et la pudeur accompagnent les plaisirs de la jouissance ; malheur à qui voudra les goûter de cette manière : il ne les connaîtra jamais. Ces espèces de plaisirs ne peuvent être délicieux qu’autant qu’on franchit tout quand on les goûte ; la preuve en est qu’ils ne commencent à devenir tels que par la rupture d’un certain frein ; qu’on en brise un de plus, l’irritation deviendra plus violente, et nécessairement ainsi, de gradation en gradation, on ne parviendra réellement au véritable but de ces espèces de plaisirs, qu’en portant l’égarement des sens jusqu’aux dernières bornes des facultés de notre être, en telle sorte que l’irritation de nos nerfs éprouve un degré de violence si prodigieux qu’ils en soient comme renversés, comme crispés dans toute leur étendue. Celui qui veut connaître toute la force, toute la magie des plaisirs de la lubricité, doit se bien convaincre que ce n’est qu’en recevant ou produisant sur le système nerveux le plus grand ébranlement possible, qu’il réussira à se procurer une ivresse telle qu’il la lui faut pour bien jouir ; car le plaisir n’est que le choc des atomes voluptueux, ou émanés d’objets voluptueux, embrasant les particules électriques qui circulent dans la concavité de nos nerfs. Il faut donc, pour que le plaisir soit complet, que le choc soit le plus violent possible : mais la nature de cette sensation est si délicate, qu’un rien la dérange ou la détruit ; il faut donc que l’esprit soit préparé, qu’il soit tranquille, que, par nos systèmes ou notre position, il se trouve dans une assiette calme et heureuse, que ce soit alors au feu de l’imagination que s’allume le foyer des sens. De ce moment, donnez pleine carrière à cette imagination, ne lui refusez aucun écart, et travaillez, non seulement à lui tout accorder, mais à la mettre en état, par votre philosophie et surtout par l’endurcissement de votre cœur et de votre conscience, de pouvoir se forger, se créer de nouvelles chimères qui, nourrissant les atomes voluptueux, les fassent heurter avec plus de force sur les molécules qu’ils doivent ébranler, et préparent ainsi à vos sens un genre de volupté pour chacun d’eux. Tu vois par là, Juliette, combien d’obstacles apporterait à ton délire un esprit contenu dans les bornes de l’honnêteté ou de la vertu : ce serait comme autant de glaçons jetés dans l’embrasement, comme autant de chaînes, autant d’entraves dont on accablerait un jeune coursier qui ne demande qu’à s’élancer dans la carrière.

La religion est sans doute le premier de tous les freins à rompre dans un pareil cas, comme étant pour celui qui l’adopte une source perpétuelle de remords. Mais il n’y a que la moitié de la besogne de faite, tant qu’on n’a culbuté que les autels d’un Dieu fantastique ; cette opération est la plus facile, il ne faut ni beaucoup d’esprit, ni beaucoup de force pour anéantir les dégoûtantes chimères de la religion, puisqu’il n’en est aucune qui puisse tenir à l’examen. Mais encore une fois Juliette, ce n’est pas tout ; il est une infinité d’autres devoirs, d’autres conventions sociales, d’autres barrières, qui te gêneront bientôt autant que l’avait fait la religion, si ton esprit, aussi fougueux qu’indépendant, ne se fait pas une loi de tout enfreindre : également retenue par ces méprisables digues, tu éprouverais bientôt une contrainte dans tes plaisirs égale à celle que ressent le dévot. Si, au contraire, tu as tout foulé aux pieds pour l’atteindre, et que ta conscience, bien en repos sur tous les points, ne vienne plus te présenter les tristes aiguillons du remords, sans doute, en ce cas, ta jouissance sera des plus vives et des plus complètes que puisse accorder la nature, et ton égarement sera tel, qu’à peine tes facultés physiques auront assez de vigueur pour en soutenir l’excès. Ne t’attends pas, néanmoins, à être aussi heureuse en commençant que tu peux le devenir un jour : des préjugés, quoique tu puisses faire, viendront te troubler encore, en raison de l’épaisseur des freins que tu auras rompus : fatals effets de l’éducation, auxquels une profonde réflexion, une persévérance soutenue, et surtout des habitudes enracinées, peuvent seules remédier. Mais peu à peu ton esprit se fortifiera ; l’habitude, cette seconde nature qui devient souvent plus puissante que la première, qui parvient à anéantir ceux mêmes des principes naturels qui paraissent les plus sacrés, cette habitude essentielle au vice, que je ne cesse de recommander, et de laquelle tout dépend pour ton bonheur dans la carrière que tu adoptes, cette habitude, dis-je, émoussera le remords, fera taire la conscience, se jouera de la voix du cœur, et tu verras alors comme tous les objets te paraîtront différents ! Surprise toi-même de la fragilité des liens qui t’avaient contenue, tu regretteras les jours où, sottement enchaînée par ces nœuds, tu as pu résister aux plaisirs ; et quelques vains obstacles dussent-ils troubler ta félicité, le charme de l’avoir connue, et les divins souvenirs qu’elle te donnera changeront à jamais en fleurs les épines dont on aurait voulu les semer. Or, dans la position où je te place, avec la sécurité que je te donne, quelles épines pourrais-tu redouter ? Réfléchis un instant à ta délicieuse situation ; et si l’incertitude de l’impunité prête au crime ses plus divins attraits, qui, plus que toi dans le monde, pourra jouir avec délices ! Jette les yeux sur tes autres jouissances : dix-huit ans, la meilleure santé, la plus jolie figure, la taille la plus noble, de l’esprit comme un ange, un tempérament de Messaline, nageant dans l’or et dans l’opulence, un crédit sûr, nuls freins, nulles chaînes, aucuns parents, des amis qui t’adorent… et tu pourrais redouter les lois !… Ah ! cesse de craindre que leur glaive ose jamais t’atteindre ; s’il s’élevait un jour sur ta tête, oppose-lui tes charmes, Juliette ; remplace cette langueur qui te captive au sein des voluptés, par ces toilettes pleines d’art qui, fixant auprès de toi les grâces, enchaînent à tes pieds tous les cœurs ; développe-toi, et l’univers à genoux détournerait à l’instant tout ce qui pourrait déplacer ou flétrir sa plus chère idole ; l’Amour lui-même, alors, te servirait d’égide, il enflammerait tous les cœurs, et tu ne trouverais que des amants où d’autres auraient à redouter des juges. C’est à l’être isolé… sans fortune… sans soutien… sans considération, à frémir sous ces freins populaires : ils ne sont faits que pour lui seul. Mais toi, Juliette, ah ! bouleverse la nature entière… trouble, détruis, arrache ! Le monde adorera sa divinité dans toi, quand tu laisseras découler sur lui quelques bienfaits, il te craindra si tu l’écrases mais tu seras toujours son Dieu.

Livre-toi, Juliette, livre-toi sans crainte à l’impétuosité de tes goûts, à la savante irrégularité de tes caprices, à la fougue ardente de tes désirs ; échauffe-moi de leurs écarts, enivre-moi de tes plaisirs ; n’aie jamais qu’eux seuls pour guides et pour lois ; que ta voluptueuse imagination varie nos désordres ; ce n’est qu’en les multipliant que nous atteindrons le bonheur ; naturellement inconstant et léger, il ne comble jamais de ses dons que celui qui sait l’enchaîner : ne perds jamais de vue que tout celui de l’homme est dans son imagination, et qu’il ne peut prétendre à la félicité qu’en en servant tous les caprices. Le plus fortuné des êtres est celui qui a le plus de moyens de satisfaire tous les égarements qu’elle inspire : aie des filles, des hommes, des enfants ; fais refluer sur tout ce qui t’environne la molle lascivité de ton âme de feu ; tout ce qui délecte est bon, tout ce qui échauffe est dans la nature. Ne vois-tu pas l’astre qui nous éclaire, dessécher et vivifier tour à tour ? Imite-le dans tes écarts, comme tu le peins dans tes beaux yeux. Modèle-toi sur Messaline et sur Théodora ; aie, comme ces célèbres putains de l’antiquité, des sérails de tous sexes où tu puisses aller te plonger à l’aise dans un océan d’impuretés. Vautre-toi dans l’ordure et dans l’infamie : que tout ce qu’il y a de plus sale et de plus exécrable, de plus honteux et de plus criminel, de plus cynique et de plus révoltant, de plus contre la nature, contre les lois et contre la religion, devienne par cela seul ce qui te plaise le mieux. Souille à loisir toutes les parties de ton beau corps ; souviens-toi qu’il n’en est pas une seule où la lubricité ne puisse avoir un temple, et dont les plus divins seront toujours ceux que tu croiras que la nature s’irrite. Quand les odieux excès de la débauche, quand les turpitudes les plus dépravées, quand les actes les plus dégoûtants commenceront à glisser sur tes nerfs, ranime-toi par des cruautés : que les forfaits les plus effrayants, que les atrocités les plus révoltantes, que les crimes les moins supposables, que les horreurs les plus gratuites, que les écarts les plus monstrueux sortent ton âme de la léthargie où t’aura laissée le libertinage. Souviens-toi que toute la nature t’appartient, que tout ce qu’elle nous laisse faire est permis, et qu’elle a été assez adroite, en nous créent, pour nous ôter les moyens de la troubler. Tu sentiras alors que l’Amour change quelquefois ses flèches en poignards, et que les invectives du malheureux que nous tourmentons valent souvent mieux, pour faire bander, que tous les propos galants de Cythère.

Singulièrement flattée de ces discours, j’osai faire entendre à Saint-Fond que tout ce que je craignais était de perdre ses bontés.

— Juliette, me dit-il, cela ne serait pas long si je n’étais que ton amant, parce que les faveurs d’une femme, si belle qu’elle puisse être, ne sauraient m’attacher longtemps. Celui qui a pour principe que l’instant où l’on vient de foutre une femme est celui où il est le plus essentiel de s’en séparer, doit certes, s’il n’est qu’amant, faire envisager ce que tu crains ; mais, Juliette, tu le sais, je suis loin de ce plat personnage : tous deux liés par des ressemblances de goût, d’esprit et d’intérêt, je ne vois nos chaînes que comme celles de l’égoïsme, et celles-là captivent toujours. Te conseillerais-je de foutre, si j’étais ton amant ? Non, non, Juliette, je ne le suis pas, je ne le serai jamais. Ne redoute donc rien de mon inconstance ; si je viens jamais à t’abandonner, toi seule en seras devenue la cause ; continue de te bien conduire, sers toujours mes plaisirs avec activité ; que chaque instant me développe en toi de nouveaux vices ; porte avec moi, dans l’intérieur, la soumission jusqu’à la bassesse ; plus tu ramperas à mes pieds, plus par l’orgueil je te ferai régner sur les autres ; qu’aucune faiblesse surtout, qu’aucun remords, quelle que soit la chose que j’exige de toi, ne se montre jamais à mes yeux, et je te rendrai la plus heureuse des femmes, comme tu m’auras rendu le plus fortuné des hommes.

— Ô mon maître ! lui dis-je, souvenez-vous que je ne veux régner sur l’univers que pour en apporter l’hommage à vos genoux.

Nous entrâmes ensuite dans quelques détails. Il était désolé de n’avoir pas fait subir à sa nièce le supplice de la roue ; sans la nécessité d’emporter la tête, il l’eût fait infailliblement. Ceci l’amena à vanter extrêmement Delcour.

— Il est plein d’imagination, me dit-il, jeune et vigoureux d’ailleurs, et je te sais le meilleur gré d’avoir désiré son vit. Pour moi, continua Saint-Fond, je le fous toujours avec délices. J’ai déjà remarqué que quand on avait foutu un homme très jeune, on le foutrait encore à quarante ans avec plaisir. Tu vois comme nous nous ressemblons, Juliette : le métier qu’il fait sut irriter ta tête comme la mienne, et, sans sa profession, nous n’y aurions jamais pensé ni l’un ni l’autre.

— Avez-vous eu beaucoup de ces gens-là ? demandai-je à Saint-Fond.

— J’eus cinq à six ans cette manie, me répondit-il ; j’ai couru les provinces pour en avoir ; leurs valets surtout m’échauffaient infiniment l’imagination : on ne se figure pas ce que c’est que d’avoir le vit d’un valet de bourreau dans le cul. Je les remplaçai par des garçons bouchers, et j’aimais, lorsque pleins de sang, ils venaient m’enculer deux heures.

— Je conçois tous ces goûts, dis-je à Saint-Fond.

— Ah ! sois-en sûre, ma chère, il faut de l’infamie et de la dépravation dans tout cela ; et la luxure n’est rien, si la crapule n’en fait l’âme. Mais à propos, continua le ministre, il y a une de ces tribades qui m’agace étonnamment les nerfs… cette jolie blonde, celle qui, je crois, obtint mon dernier foutre.

— Palmire ?

— Oui, c’est ainsi que je te l’entendis nommer. Elle a le plus beau cul, le plus étroit, le plus chaud… Comment t’es-tu procuré cette fille !

— Elle travaillait chez une marchande de modes ; à peine avait-elle dix-huit ans quand je l’ai prise… et neuve comme l’enfant qui sort du sein de sa mère ; elle est orpheline, sa naissance est bonne, elle ne dépend que d’une vieille tante qui me l’a fort recommandée.

— L’aimez-vous, Juliette ?

— Je n’aime rien, Saint-Fond, je n’ai que des caprices.

— Il me semble que cette jolie créature aurait absolument tout ce qu’il faut pour faire une délicieuse victime : fort belle, intéressante dans les pleurs, un joli son de voix, les plus beaux cheveux du monde, un cul sublime et d’une étonnante fraîcheur… Tiens, Juliette, vois comme je bande à l’idée de la martyriser.

Et je n’avais effectivement jamais vu son vit si fort en colère ; je m’en emparai, je le branlai très légèrement.

— Mais si je la prends, continua-t-il, je te la payerai mieux qu’une autre, puisque je la désire.

— Ce seul mot n’est-il pas un ordre pour moi ? Voulez-vous qu’elle entre sur-le-champ !

— Oui, car c’est uniquement pour elle que je bande.

Au moment que Palmire parut, Saint-Fond, sautant à bas du lit, s’entortille dans une robe de chambre et, saisissant brusquement cette fille, il passe avec elle dans un cabinet séparé. La séance fut longue ; j’entendis les cris de Palmire. Au bout d’une heure, tous deux rentrèrent. Comme il lui avait fait quitter ses habits avant de la mener dans ce lieu secret, il me fut facile en la voyant rentrer nue, de reconnaître à quel point elle avait été maltraitée ; n’eussé-je même pas vu le reste, ses larmes qui coulaient encore me l’auraient prouvé. Mais sa gorge et ses fesses portaient des emblèmes si récents des vexations que venait de lui faire éprouver Saint-Fond, qu’il était impossible de douter.

— Juliette, me dit-il, en paraissant fort échauffé de ce qu’il venait de faire, il est très malheureux pour moi d’être si pressé que je le suis ; il faut que ces têtes soient dans le cabinet de la reine à cinq heures, et je ne peux pas me livrer aujourd’hui au désir que j’aurais de m’amuser de cette fille. Écoutez bien ce que je vais vous dire : vous me la présenterez après-demain au souper des trois pucelles ; qu’elle soit jusqu’à cette époque enfermée dans le plus sombre et le plus sûr de vos cachots ; je vous défends de lui rien porter pour se nourrir, et vous ordonne de la faire enchaîner si fortement au mur, qu’elle ne puisse ni se remuer, ni s’asseoir. Ne lui faites aucune question sur ce qui vient de se passer ; j’ai des raisons, sans doute, pour que vous l’ignoriez, dès que je vous le cache. Je vous la paierai le double de ce que je vous donne pour les autres. Adieu.

Il s’élança à ces mots dans sa voiture avec Delcour et la boîte aux trois têtes, me laissant dans une agitation que je vous rendrais difficilement.

J’aimais Palmire. La livrer à cet anthropophage me coûtait beaucoup : mais comment désobéir ? Sans oser même lui dire un seul mot, je la fais plonger où Saint-Fond veut qu’elle soit ; et à peine y fut-elle, que deux sentiments vinrent me combattre. Le premier fut l’envie de sauver cette fille, dont il s’en fallait bien que je fusse encore rassasiée ; le second avait pour principe la curiosité la plus extrême de savoir quelle était cette fantaisie singulière à laquelle se livrait Saint-Fond avec les femmes auxquelles il prononçait le dernier arrêt. Cédant à ce second désir, j’allais, pour la questionner, descendre à la porte de sa prison, lorsqu’on m’annonça Mme de Clairwil. Instruite par le ministre qu’il ne serait plus à la campagne à l’heure du dîner, elle venait m’en demander, et me prendre pour retourner ensemble voir un ballet charmant à l’Opéra. J’embrassai vivement mon amie ; je lui racontai tout ce que nous venions de faire ; je ne lui déguisai point les folies où je m’étais livrée avant l’arrivée du ministre, ni toutes celles qui les avaient suivies. L’aimable créature trouva tout délicieux, et me félicita des progrès que je commençais à faire dans le crime. Quand j’en fus à l’aventure de Palmire :

— Juliette, me dit-elle, garde-toi de la soustraire au ministre, et plus encore d’approfondir sa mystérieuse passion. Songe que ton sort dépend de cet homme, et que le plaisir que tu aurais, soit à découvrir son secret, soit à conserver les jours de la tribade, ne te consolerait jamais des chagrins qui en résulteraient infailliblement. Tu trouveras deux cents filles qui vaudront mieux que celle-là ; et quant au secret de Saint-Fond, une infamie de plus ou de moins dans ta tête ne te rendra pas plus heureuse. Dînons, mon cœur, et sauvons-nous bien vite, cela te distraira.

Nous étions en voiture à six heures, Clairwil, Elvire, Montalme et moi ; six chevaux anglais fendaient l’air, et nous fussions certainement arrivées avant l’ouverture du ballet, lorsque à la hauteur du village d’Arcueil nous sommes arrêtées par quatre hommes à cheval, le pistolet à la main. Il faisait nuit. Nos laquais, efféminés, mous et poltrons, s’enfuirent tant qu’ils eurent de force, et nous restâmes seules avec les deux conducteurs de nos chevaux, en proie aux quatre hommes masqués qui nous arrêtaient.

Clairwil, que rien au monde n’effrayait, demanda impérieusement à celui de ces hommes qui paraissait avoir le plus de prépondérance, en vertu de quoi il agissait ainsi : pour toute réponse, nos inconnus, détournant la voiture, obligent nos gens à descendre du côté d’Arcueil, et à remonter ensuite sur les hauteurs de Cachan, où ils enfilèrent une route étroite qui nous mena dans un château fort solitaire. La voiture entre ; les portes se ferment ; nous entendons même qu’on les barricade en dedans ; un de nos conducteurs ouvre alors la portière, et, sans dire un seul mot, il nous offre la main pour descendre.

Singulièrement effrayée de cette mystérieuse aventure, j’avoue que mes genoux fléchirent en descendant de carrosse : peu s’en fallut que je ne m’évanouisse ; mes femmes n’étaient guère plus rassurées que moi ; la seule Clairwil, toujours effrontée, marchait à notre tête et nous encourageait. Trois de nos ravisseurs disparurent un moment ; le chef seul nous introduisit dans un salon assez bien éclairé. Le premier objet qui frappa nos yeux fut un vieillard en pleurs, entouré de deux jeunes personnes très jolies qui cherchaient à le consoler.

— Vous voyez devant vous, mesdames, nous dit notre conducteur, les restes malheureux de la famille de Cloris. Ce vieillard est le père du mari, ces deux jeunes personnes sont les sœurs de l’épouse, et nous sommes les frères de l’époux. Le chef de cette maison, sa femme et sa fille, ayant injustement encouru la disgrâce de la reine, et plus malheureusement encore celle d’un ministre qui, cependant, leur doit tout, ces trois respectables personnes, dis-je, ayant disparu avant-hier, la célérité de nos perquisitions nous a convaincus que ces victimes sont détenues ou mortes dans la maison de campagne de laquelle vous venez de sortir. Vous appartenez au ministre ; l’une de vous est sa maîtresse, nous le savons : il faut, ou nous faire rendre les objets que nous réclamons, ou nous convaincre de leur mort. Jusqu’à ces éclaircissements, vous resterez en otages ici. Si vous nous faites rendre nos parents, vous serez libres ; s’ils sont sacrifiés, vos mânes apaiseront les leurs, et vous les suivrez de près au tombeau. C’est tout ce que nous avons à vous dire ; instruisez-nous et agissez.

— Messieurs, dit la courageuse Clairwil, il me semble que votre procédé est profondément illégal sous tous les rapports. Est-il vraisemblable, premièrement, que deux femmes, madame et moi (celles-ci nous servent), que deux femmes, dis-je, soient assez initiées aux secrets du ministre, pour être instruites d’un événement semblable à celui dont vous nous parlez ? Croyez-vous que si les personnes que vous réclamez avaient encouru les disgrâces de la cour, et que la justice ou le ministère eussent été contraints de sévir, croyez-vous, de bonne foi, que l’on nous eût rendues les témoins d’une semblable exécution ? et le temps qu’il y a que nous sommes à la maison du ministre ne vous prouve-t-il pas qu’assurément ce ne peut être pendant ces jours-ci que s’est passé là l’événement dont vous parlez ? Au surplus, messieurs, nous n’avons que nos paroles d’honneur à vous donner, mais nous vous les offrons pour gages de la profonde ignorance où nous sommes du sort de ceux dont il s’agit. Non, messieurs, nous vous le protestons, nous n’avons jamais rien ouï dire d’eux, et si vous êtes justes et que vous n’ayez pas autre chose à nous dire, vous nous rendrez à l’instant une liberté que vous n’avez pas le droit de nous ravir.

— Nous ne nous amuserons pas à vous réfuter, madame, répondit notre conducteur. Il y a quatre jours que l’une de vous est à cette campagne, l’autre y est arrivée pour dîner aujourd’hui. Il y a également quatre jours que la famille Cloris est dans la même maison : l’une de vous deux est donc bien en état de répondre aux questions qui vous sont faites, et vous ne sortirez pas que nous ne soyons parfaitement éclairés.

Alors les trois autres cavaliers reparurent et dirent que, puisque nous ne voulions pas parler de bonne grâce, il y avait des moyens de nous faire expliquer de force.

— Je m’y oppose, mes enfants, dit le vieillard, il ne sera fait ici nulle violence ; détestons les moyens que nos ennemis ont pour faire le mal, et ne les imitons jamais. Nous prierons seulement ces dames de vouloir bien écrire au ministre de se rendre dans cette maison ; et leur billet sera seulement construit de manière à lui laisser croire qu’il n’y a qu’elles qui l’en sollicitent pour des affaires de la plus grande importance. Il viendra ; nous l’interrogerons ; il faudra bien qu’il dise où est mon fils, où est ma fille : cette main, sans cela, toute tremblante qu’elle est, saura trouver l’énergie nécessaire à lui plonger un poignard dans le cœur… Abus perfides de la tyrannie !… Funestes dangers du despotisme ! Ô peuple français, quand seras-tu révolté de ces horreurs ? quand, las de l’esclavage et pénétré de ta propre force, lèveras-tu la tête au-dessus des chaînes dont les scélérats couronnés t’environnent, et sauras-tu te rendre à la liberté que t’a destinée la nature ?… Qu’on donne du papier à ces dames et qu’elles écrivent.

— Amuse-les, dis-je bas à Clairwil, et laisse-moi rédiger ce billet.

« Une affaire de la plus extrême importance vous appelle ici (mandai-je au ministre) ; suivez le guide que nous vous envoyons, et ne perdez pas une minute. »

Je montre la lettre, on la trouve bien. Alors, avec un crayon caché dans ma main, j’ai le temps, en faisant l’enveloppe, d’insérer promptement les mots suivants :

« Nous sommes perdues si vous n’accourez pas en force ; et c’est par force que nous écrivons ce qui précède. »

Le paquet se ferme, un de nos conducteurs part, et l’on nous fait passer dans une chambre haute, où l’on nous enferme avec soin, ayant toujours un garde à notre porte.

À peine fus-je seule avec Clairwil, que je lui fis part de ce que j’avais ajouté au billet.

— Cela ne suffit pas à me tranquilliser, me dit-elle : s’il arrive en force ici, nous sommes égorgées au moment où ces gens-ci verront arriver cette force ; j’aimerais mieux travailler à séduire notre garde.

— Cela est impossible, répondis-je, ce ne sont point ici des coquins soudoyés : tous liés par le sentiment de l’honneur, attendu qu’ils le sont par le sang, tu comprends bien que rien au monde ne les fera renoncer au fatal projet de vengeance. Ah ! Clairwil, il faut que je ne sois pas encore assez ferme dans nos principes, car je crains bien qu’une fatalité quelconque, à laquelle tu donneras le nom que tu voudras, ne fasse à la fin triompher la vertu.

— Jamais ! jamais ! le triomphe appartient toujours à la force, et rien n’en possède autant que le crime ; je ne te pardonne pas cette faiblesse.

— C’est que voilà le premier revers que j’éprouve.

— C’est le second, Juliette : rappelle-toi mieux les circonstances de ta vie, et souviens-toi que la fortune ne te couvrit de ses faveurs, qu’au sortir d’une prison qui devait te conduire à la potence.

— Cela est vrai ; cette anecdote oubliée me rend mon courage ; patientons.

Rien au monde ne pouvait éteindre dans cette femme singulière les feux du libertinage dont elle était dévorée. Le croiriez-vous ? il n’y avait qu’un lit dans la chambre où l’on nous avait reléguées : elle me proposa de nous y jeter toutes quatre, et de nous branler jusqu’à l’arrivée de Saint-Fond. Mais ne trouvant ni dans mes femmes, ni dans moi, des dispositions assez tranquilles pour accepter ses extravagances, nous attendîmes, en causant, le résultat de cette funeste aventure.

M. de Saint-Fond sentit, comme Clairwil, l’inconvénient de faire attaquer le château de force pendant que nous y étions : la ruse lui parut préférable ; et voici ce qu’il employa avant que d’en venir à des moyens violents.

L’exprès que nous avions envoyé revint avec deux jeunes gens inconnus de nous. Et tel était le contenu du billet qu’ils apportaient au vieillard :

« Un galant homme ne doit pas retenir des femmes pour une affaire qui ne regarde que des hommes : délivrez celles que vous détenez injustement. Je vous envoie mon cousin germain et mon neveu pour otages ; croyez que j’ai plus d’intérêt à les sortir de vos mains que les femmes qui sont en dépôt chez vous. Soyez d’ailleurs parfaitement tranquille sur le sort des personnes qui nous intéressent ; elles sont, à la vérité, détenues, mais chez moi ; et c’est moi qui vous en réponds : elles seront dans vos bras sous trois jours. Encore une fois gardez mes parents, et renvoyez les femmes ; je serai moi-même chez vous dans quatre heures. »

La plus grande présence d’esprit nous servit ici. Le billet n’avait point été lu devant nous, et nous devinâmes.

— Connaissez-vous ces messieurs, nous demande le vieillard ?

— Assurément, répondis-je, ce sont les parents du ministre ; s’ils s’offrent à rester pour nous, ces otages, ce me semble, doivent vous suffire.

On délibérait sur notre liberté, lorsqu’un de nos ravisseurs prenant la parole :

— Ceci peut être un piège, s’écria-t-il, je m’oppose au départ des femmes : gardons-les tous, ce sont deux otages de plus.

On revint à cet avis, et les imbéciles (car il est dit qu’il faut que la vertu fasse toujours des sottises), les stupides animaux nous mirent tous dans la même chambre.

— Rassurez-vous, mesdames, nous dit aussitôt un des prétendus parents du ministre, vous voyez quel a été l’esprit de la ruse de M. de Saint-Fond. Il s’est bien douté qu’elle ne réussirait peut-être pas : n’importe, a-t-il dit, ce sont toujours des défenseurs que je leur envoie et qui leur diront, ainsi que nous pouvons vous l’affirmer, mesdames, que toute la police de Paris, dont nous sommes membres, assiège le château dans deux heures. Soyez tranquilles, nous sommes bien armés, et si ces bonnes gens veulent, se voyant trompés, entreprendre quelque chose sur vous, soyez assurées que nous vous défendrons.

— Toute ma crainte, dit Clairwil, c’est que ces animaux, sentant la bêtise qu’ils ont faite de nous réunir, ne viennent, en nous séparant, nous enlever toutes nos ressources.

— Il n’y a, dis-je, infiniment plus tranquille, qu’à s’unir de manière que nous soyons inséparables.

— Comment, dit Clairwil, toi qui frémissais tout à l’heure d’une distraction à peu près pareille, tu oses maintenant en ouvrir l’idée ?

— C’est que je suis calme, répliquai-je, et qu’en vérité ces deux jeunes gens sont bien jolis l’un et l’autre.

L’un d’eux, nommé Pauli, n’avait effectivement que vingt-trois ans et la figure la plus douce, la plus délicate qu’il fût possible de voir ; l’autre avait deux ans de plus, l’air moins efféminé, mais fait à peindre, et le plus beau vit possible.

— Allons, dit Clairwil, ces messieurs permettront que nous disposions d’eux. Avant de savoir ce qu’ils pensent, voici, ce me semble, comment il faut que tout ceci s’arrange.

À ces mots, nous baisons simultanément nos gardiens avec tant d’ardeur que la réponse qu’ils avaient à nous faire fut bientôt peinte dans leurs yeux.

— Oui, reprit Clairwil, puisque leur consentement est aussi formel, voici comment il faut que tout ceci se passe. Pauli va te foutre, Juliette ; je vais, moi, m’en faire donner par Laroche ; dès que nous serons toutes deux enconnées, Elvire me branlera le clitoris d’une main, le trou du cul de l’autre ; Montalme t’en fera autant. Toutes deux à portée d’être maniées par nos fouteurs, elles leur présenteront tout ce qu’elles portent ; tu verras que, limées plus roide, nous gagnerons à cette infidélité : toutes les femmes voluptueuses devraient s’en permettre de semblables, elles s’apercevraient bientôt du profit qu’elles y feraient. Cependant, toujours attentives l’une et l’autre aux sensations éprouvées par nos jeunes fouteurs, dès qu’elles les verront près de décharger, elles saisiront leurs vits et nous les enfonceront aussitôt dans le cul, afin que le foutre ne se perde que là ; dès que tous deux auront déchargé, nous changerons et d’homme et de femme. Mais, toutes deux placées l’une auprès de l’autre, ce ne sera que de nous seules dont nous nous occuperons ; nous nous baiserons, nous nous langoterons, mon amour, et regarderons, m’ajouta-t-elle tout bas, ces êtres vils qui travailleront à nous donner du plaisir comme des esclaves payés pour nos passions et que nous assouplit la nature.

— C’est cela, dis-je, je n’entends pas qu’on bande avec une autre idée.

Et dans l’instant nous voilà toutes deux sur le lit, les jupes retroussées jusqu’au-dessus du ventre. Nos tribades d’abord s’emparent des engins, nous les préparent, nous les montrent, et les engloutissent bientôt dans nos cons haletants. Si Clairwil était nerveusement foutue par Laroche, certes, je n’avais pas à me plaindre de Pauli ; son membre n’était pas tout à fait aussi gros que celui de son camarade, mais il était fort long, et je le ressentais au fond de ma matrice ; divinement branlée, d’ailleurs, par Montalme, voluptueusement baisée par mon amie, nous avions déjà l’une et l’autre déchargé deux fois, lorsque le changement de main exécuté par Montalme avec toute la légèreté possible, m’avertit de la crise de mon jeune amant dont des ruisseaux de foutre m’inondent le cul de la plus délicieuse manière. L’adroite Montalme, pendant ce temps, remplaçait par trois doigts réunis ce que mon con venait de perdre, et continuait de me chatouiller le clitoris. Un foutredieu, bien appuyé par mon amie, me prévint qu’elle éprouvait la même chose ; et ce ne fut pas sans une troisième éjaculation que des jets de sperme aussi abondants nous inondèrent les entrailles.

— Changeons, dit Clairwil, essaye de Laroche, je vais prendre Pauli.

Jeunes et vigoureux tous deux, nos athlètes ne nous demandent même pas de respirer, et me voilà foutue par l’un des plus beaux vits possibles.

Ce fut pendant cette seconde course que Clairwil, toujours penchée sur moi, toujours me langotant, et ne s’occupant que de moi, convint que son abominable tête lui conseillait une infamie.

— Oh, foutre ! lui dis-je, pressons-nous de l’exécuter, car j’aime infiniment les horreurs.

— Non, je veux te surprendre, dit Clairwil… Contente-toi de savoir seulement que cette idée bizarre est la seule cause du foutre que je perds dans tes bras.

Et la coquine partit avec des convulsions et des haut-le-corps dont assurément son fouteur ne se serait échauffé comme il le fit, s’il en avait démêlé la cause. Revenue à elle et toujours foutue par Pauli :

— Écoute, me dit-elle tout bas, je vois qu’il est pourtant nécessaire que je t’instruise, tu ne pourrais sans cela partager mes projets. Il va y avoir un combat ; on nous attaquera ; nous nous défendrons. Demandons des armes à ces jeunes gens, et pour les remercier de tous les services qu’ils nous rendent, brûlons-leur la cervelle pendant la bataille. Ce meurtre passera sur le compte de nos ennemis, et Saint-Fond, mieux pénétré des dangers que tu auras courus, t’accordera sans doute une bien plus grande récompense.

— Oh ! foutue garce ! dis-je à Clairwil en déchargeant moi-même comme une putain à cette idée, oh ! sacredieu ! combien ton projet m’enflamme !

Et j’inondais pendant ce temps-là le vit de Laroche, qui, se voyant près de m’imiter, fit son changement de main au même instant de ma décharge, ce qui me plongea dans un délire qu’il me serait impossible de vous poindre, rien, je l’affirme, n’étant aussi délicieux pour une femme, comme de sentir un vit pénétrer dans son cul au même instant où elle décharge. Le bruit que nous entendîmes au même instant nous fit aussitôt sauter à bas du lit.

— Les voilà, dit Clairwil ; donnez-nous des pistolets, mes enfants, afin que nous puissions nous défendre.

— En voilà, dit Laroche ; il y a trois balles dans chacun.

— Bon, dit Clairwil, soyez sûrs qu’elles seront bientôt dans le cœur de quelqu’un.

Le bruit augmente et se fait à la fois entendre dans toutes les parties du château : « Aux armes ! » s’écrie-t-on.

— Allons, dit Laroche, amorçons de frais ; que ces dames se placent en groupe derrière nous, nous leur servirons de rempart.

Il était temps ; nos ravisseurs, déjà forcés dans le bas du château par le détachement envoyé de Paris, se jetaient où nous étions, à dessein de nous égorger avant de se rendre ; mais malheureusement suivis de trop près, ils ne purent entrer que pêle-mêle avec nos libérateurs. Il se fit un feu terrible en forçant notre chambre. Placées derrière ceux qui nous défendent, tel est l’instant que nous choisissons pour nous délivrer du poids de la reconnaissance. Ils tombent en sang à nos pieds, et nos cons étaient encore tout barbouillés du foutre de ceux à qui notre inique méchanceté arrachait si cruellement la vie. Vous imaginez facilement que cette action fut bientôt mise sur le compte de nos ennemis, que les officiers du détachement poignardèrent aussitôt pour venger leurs camarades. Le vieillard et les jeunes femmes, restés seuls, furent emballés dans un fiacre, et sous bonne garde conduits à la Bastille ; le reste du détachement, ayant fait atteler notre voiture, nous escorta jusque chez moi, où j’exigeai de Clairwil de vouloir bien ne me quitter qu’après souper.

À peine étions-nous arrivées, qu’on annonça Saint-Fond.

— Lui avouerons-nous notre petite horreur, dis-je promptement à mon amie ?

— Non, me répondit-elle ; il faut tout faire et ne jamais tout dire.

Le ministre entra, nous le remerciâmes infiniment des soins qu’il avait pris. Il nous fit à son tour des excuses, de ce qu’une affaire personnelle à lui nous avait compromises à ce point.

— Il y a huit ou dix hommes de tués, nous dit-il, entre autres les deux jeunes gens que je vous avais envoyés, les seuls que je regrette.

— Ah ! ah ! dit Clairwil, il y a sans doute quelque raison pour cela.

— Oui, je les foutais tous deux depuis assez longtemps.

— Et c’est Saint-Fond, dit Clairwil, qui regrette un objet foutu ?

— Non : ils étaient lestes, ils me servaient à merveille dans toutes mes opérations mystérieuses.

— Oh ! vous les remplacerez, dis-je à Saint-Fond en le faisant mettre à table ; laissons les morts et ne parlons que de vos succès.

Pendant le repas, la conversation roula, comme à l’ordinaire, sur des matières de philosophie, et comme le ministre avait affaire, que d’ailleurs nous étions extrêmement fatiguées, l’on se sépara. Au souper du lendemain, ma malheureuse Palmire, que l’on envoya chercher quelques heures avant dans son cachot, fut impitoyablement sacrifiée après mille supplices plus barbares et plus variés les uns que les autres. Saint-Fond me contraignit à l’étrangler pendant qu’il la foutait en cul. Il me la paya vingt-cinq mille francs ; et sur les représentations que je lui fis de tous les dangers que j’avais courus la veille, il me compléta le double.

Deux mois se passèrent sans aucun événement qui puisse ajouter quelque intérêt à mes récits. Et je venais d’atteindre ma dix-huitième année, lorsque Saint-Fond, arrivant un matin chez moi, me dit qu’il avait été voir les deux sœurs de Mme de Cloris à la Bastille, qu’il les avait trouvées toutes deux beaucoup plus jolies que celle que nous avions sacrifiée, mais que la cadette surtout, qui était de mon âge, était une des plus belles filles qu’il fût possible de voir.

— Eh bien ! dis-je, c’est une partie de campagne ?

— Assurément, me répondit-il.

— Et le vieillard ?

— Un bouillon…

— Oui, mais voilà tout d’un coup trois prisonniers de moins : et le gouverneur, qui ne vit que de cela ?

— Oh ! les remplacements sont faciles. Je vous demande d’abord la première place pour une parente de Clairwil qui veut jouer la prude avec elle et ne la point voir, à cause du libertinage de cette chère amie. À l’égard des deux autres, je les retiens, et vous promets de vous les faire signer sous huit jours. Allons, dit le ministre en prenant une note sur ses tablettes, le déjeuner de l’homme et la sortie des femmes… Pars demain, Juliette, emmène avec toi Clairwil, elle est charmante, pleine d’imagination : nous ferons une scène délicieuse.

— Vous faudra-t-il des hommes et des tribades ?

— Non, les scènes particulières valent quelquefois mieux que les orgies : plus recueillis, on fait plus d’horreurs, et comme on est là bien ensemble, on se livre infiniment davantage.

— Il faut au moins deux femmes pour aider ?

— Oui, deux vieilles ; tu me les chercheras de soixante ans au moins, c’est un caprice il y a longtemps que l’on m’assure que rien ne fait bander comme la décrépitude de la nature ; je veux en essayer.

— Il manque quelque chose à tout cela, dit Clairwil, à qui je fus faire part sur-le-champ des intentions du ministre. Ces jeunes filles doivent avoir des amants : il faut les découvrir, les faire enlever, et les immoler avec elles : il y a un million de détails très voluptueux à tirer de ces situations.

Je vole chez le ministre ; je lui rends compte des idées de Clairwil ; il les approuve ; la partie est remise à huitaine et les amants se cherchent.

Les horreurs nécessaires pour découvrir ces nouveaux sujets devinrent des voluptés pour Saint-Fond. Il se rend à la Bastille, fait mettre au cachot chacune de ces filles, va lui-même les interroger ; et ce n’est qu’en mêlant adroitement l’espoir et la crainte, en les employant tour à tour, qu’il parvient à découvrir que Mlle Faustine, la cadette des sœurs de Mme de Cloris, avait pour amant un jeune homme nommé Dormon, absolument du même âge qu’elle ; et que sa sœur, Mlle Félicité, âgée de vingt-huit ans, avait également donné son cœur au jeune Delnos, l’un des plus beaux garçons de Paris, et qui pouvait avoir deux ans de plus qu’elle. Quatre jours suffirent pour controuver des torts à ces jeunes gens ; on n’y regardait pas de si près, dans un siècle où l’abus du crédit était tel, que les valets des gens en place faisaient eux-mêmes enfermer qui bon leur semblait. Ces nouvelles victimes ne couchèrent qu’une nuit à la Bastille ; elles furent transférées, celle d’après, à ma campagne, où les demoiselles étaient arrivées la veille. Clairwil et moi, nous avions tout reçu, tout enfermé, mais séparément ; et nul de ces prisonniers, quoique assez près l’un de l’autre, ne soupçonnait à quel point son voisin devait l’intéresser.

Après un énorme dîner, on passa dans un salon où tout était prêt pour les exécrations projetées. Les deux vieilles, mises en matrones romaines, attendaient, en faisant des verges, les ordres qui leur seraient donnés. Avant de rien entreprendre, attiré par la supériorité du cul de Clairwil, Saint-Fond voulut lui rendre hommage. Courbée sur un sopha, la coquine le lui présente en femme de l’art ; et, pendant que je lui suce le clitoris, Saint-Fond lui darde au moins six pouces de langue dans le cul.

Saint-Fond bandait ; il encule Clairwil, en baisant mon cul ; il me sodomise un instant après, en caressant le voluptueux cul de Clairwil.

— Allons ! à l’ouvrage, dit Saint-Fond, je déchargerais si nous tardions ; vous avez l’une et l’autre des culs auxquels je ne tiens pas.

— Saint-Fond, dit Clairwil, j’ai deux grâces à te demander : la première, c’est de te montrer bien cruel, tu ne t’imagines pas, mon cher, à quel point je suis en train de l’être ; la seconde, c’est de m’abandonner le meurtre des deux jeunes gens. Supplicier des hommes est, tu le sais, ma passion favorite ; autant tu te plais à tourmenter mon sexe, autant j’aime à vexer le tien, et je vais jouir à martyriser ces deux jolis garçons, bien plus, peut-être, que tu ne te délecteras à massacrer leurs deux maîtresses.

— Clairwil, vous êtes un monstre.

— Je le sais, mon cher, et ce qui m’humilie est d’être chaque jour surpassée par toi.

Saint-Fond ayant désiré voir d’abord seul chacun de ces quatre amants, une des vieilles amena Dormon, dont Faustine, la cadette des sœurs de Mme de Cloris, était la maîtresse.

— Jeune homme, lui dit Clairwil, vous paraissez ici devant votre maître ; songez que la soumission la plus entière et la vérité la plus scrupuleuse doivent diriger votre conduite et vos réponses : c’est dans ses mains qu’est votre vie.

— Hélas ! répondit humblement ce malheureux, je n’ai rien à dire, madame ; j’ignore absolument la cause de ma détention, et ne puis comprendre par quelle fatalité je me trouve aujourd’hui la victime du sort.

— N’étiez-vous pas destiné, lui demanda Clairwil qui le dévorait des yeux, à épouser Faustine ?

— Cette union devait faire mon bonheur.

— Ignoriez-vous la cruelle affaire dans laquelle tous ses parents étaient impliqués ?

— Hélas ! madame, je ne leur connaissais que des vertus : le vice pouvait-il exister où Faustine avait pris le jour ?

— Ah ! dis-je, c’est un héros de roman !

— Je serai toujours l’ami de la vertu.

— L’enthousiasme que l’on conçoit pour elle à votre âge, dit Clairwil, a souvent perdu bien des hommes. Au reste, ce n’est pas de tout cela dont il s’agit ici : nous vous avons fait venir pour vous apprendre que votre Faustine est dans ces lieux, et que si vous voulez en abandonner la jouissance au ministre, et sa grâce et la vôtre récompenseront ce sacrifice.

— Je n’ai point mérité de grâce, puisque je n’ai point commis de crimes, répondit fièrement ce jeune homme. Mais y eût-il là mille morts, je vous déclare que je n’achèterai jamais la vie au prix de l’atrocité que vous avez osé me faire entrevoir.

— Allons ! madame, du cul ! du cul !… s’écria Saint-Fond qui bandait, vous voyez bien que ce petit polisson est un entêté dont nous n’aurons raison que par la violence.

Et, à ces mots, Clairwil et les deux vieilles s’étant élancées sur le jeune homme, il fut nu et garrotté en un clin d’œil.

On le conduisit à Saint-Fond, qui détaille quelques minutes le plus joli cul d’homme qu’il soit possible de voir : et vous savez, messieurs les connaisseurs, que, relativement à cette partie, vous l’emportez bien souvent sur nous.

— Ah ! dit le malheureux Dormon, dès qu’il voit les infamies auxquelles on le destine, on m’a trompé, je suis chez des monstres !

— Monsieur, lui dit Clairwil, nous allons bientôt vous le prouver.

Et après quelques horreurs préliminaires, on me chargea d’introduire Faustine. Il était difficile d’être plus belle, mieux faite, plus intéressante et plus douce ; que de nouveaux attraits lui prêta la pudeur, quand elle eut pu voir l’état dans lequel on la recevait ! Elle pensa s’évanouir en apercevant son amant, objet des caresses de Clairwil et de Saint-Fond.

— Rassurez-vous, bel ange, lui dis-je aussitôt : nous foutons, mon cœur, nous nous plongeons dans l’impudicité ; vous allez montrer votre beau cul comme nous offrons le nôtre, et vous ne vous en trouverez pas mal.

— Mais que tout ceci veut-il dire !… de grâce, où suis-je ?… expliquez-moi…

— Vous êtes chez le ministre, votre oncle, votre ami ; c’est dans ses mains qu’est votre affaire, et vous savez à quel point est grave celle qui vous compromet. Soyez soumise et complaisante, monseigneur peut tout arranger.

— Et Dormon a pu se soumettre… ?

— Ah ! répondit le malheureux jeune homme, je suis, comme toi, victime de la force. Mais si le jour du déshonneur luit aujourd’hui pour nous, celui de la vengeance nous consolera peut-être bientôt.

— Laissons-là l’héroïsme, jeune homme, dit Saint-Fond, en appuyant une vigoureuse claque sur les fesses découvertes de ce beau parleur, et que cette éloquence incendiaire s’emploie plutôt à déterminer votre maîtresse à tous mes caprices… et ils seront violents vis-à-vis d’elle… je la mènerai mal.

Ici, deux ruisseaux de larmes jaillissent des superbes yeux de Faustine, de profonds gémissements se font entendre ; le cruel Saint-Fond, son vit à la main, vient la regarder sous le nez.

— Oh ! foutre ! s’écria-t-il, voilà comme j’aime les femmes… Que ne puis-je, d’un mot, les réduire toutes en cet état ! Pleurez, mignonne, pleurez… tenez, pleurez sur mon vit ; mais ne perdez pourtant pas toutes vos larmes : vous en aurez bientôt besoin pour des choses qui seront d’une plus haute importance.

En vérité, je n’ose dire à quel point il porta l’outrage ; il semblait que son plus grand plaisir fût d’insulter l’innocence et d’injurier la beauté malheureuse. Les faibles lueurs de plaisir que nous parvînmes à faire éprouver à cette enfant se changèrent bientôt en chagrin ; ce fut avec son vit que Saint-Fond essuya ces nouvelles larmes.

La passion principale de Clairwil n’était pas, comme je vous l’ai dit, de tracasser les femmes : c’était sur les hommes qu’elle aimait à donner à la nature l’essor de ses penchants à la cruauté ; mais quoiqu’elle n’exerçât pas, elle voyait avec plaisir ! et près de Dormon, qu’elle branlait elle-même, elle observait avec une curiosité méchante tous les outrages exercés sur Faustine ; elle en conseillait même.

— Allons ! dit Saint-Fond, il faut réunir ce que devait bientôt resserrer l’hymen ; je ne suis pas assez cruel, ajouta-t-il ironiquement, pour ne pas céder à monsieur un des deux pucelages de sa jolie maîtresse ; Clairwil, dispose le mâle : je vais, moi, préparer la femelle.

Je n’aurais jamais cru, je l’avoue, que cette entreprise fût possible. La terreur, le chagrin, l’inquiétude, les larmes, l’état affreux enfin de ces deux amants pouvait-il leur permettre l’amour ? Ici s’opéra, sans doute, un des plus grands miracles de la nature, et son énergie triompha de tous les maux de son imagination : Dormon, emporté, foutit sa maîtresse. Il n’y eut qu’elle que nous eûmes besoin de contenir ; dans elle seule, la douleur, supérieure à tout, ne laissa plus d’accès au plaisir ; nous eûmes beau faire, beau l’exciter, la gronder ou la caresser, son âme ne sortit plus de l’horrible situation où cette scène affreuse la plongeait ; et nous n’obtînmes d’elle que du désespoir et des larmes…

— Je l’aime autant comme cela, dit Saint-Fond : je ne me soucie pas trop de voir les impressions du plaisir sur le visage d’une femme, elles sont si douteuses ; je préfère celles de la douleur, on s’y trompe moins.

Cependant, le sang coule déjà, les prémices sont cueillies. Par l’attitude qu’avait arrangée Clairwil, Dormon tenait Faustine dans ses bras, absolument penchée sur lui, de manière qu’au moyen de cette posture, la jolie petite fille exposait les plus belles fesses qu’il fût possible de voir.

— Contenez-la dans cette posture, dit Saint-Fond à l’une des vieilles, je vais la sodomiser pendant qu’on l’enconne : il faut qu’elle perde ses deux pucelages à la fois.

L’opération réussit au mieux, non pas cependant sans faire jeter les hauts cris à la jeune fille, qu’un tel dard n’avait jamais perforée. Hélas ! c’était pour elle le funeste jour des douleurs. En foutant, le paillard maniait les vieilles, pendant que je gamahuchais Clairwil ; le prudent Saint-Fond, avare de son foutre, en retient les écluses, et l’on passe à d’autres luxures.

— Jeune homme, dit Saint-Fond, je vais exiger de vous quelque chose de fort extraordinaire, et que vous allez sans doute trouver bien barbare, mais, quoi qu’il en puisse être, soyez certain que c’est l’unique façon de sauver votre maîtresse. Je vais la faire lier à cette colonne, vous vous armerez de cette poignée de verges, et vous lui déchirerez les fesses.

— Monstre ! peux-tu me proposer…

— Vaut-il mieux pour vous qu’on la tue ? Elle est morte, si vous n’obéissez.

— Eh ! d’où vient donc ? Faut-il qu’il n’y ait point de milieu pour moi, entre cette infamie et la douleur de perdre ce que j’aime !

— Parce que tu es ici le plus faible, dis-je, et que tu dois par conséquent tout céder : exécute donc ce qu’on te propose, ou ta maîtresse est poignardée sous tes yeux.

Le grand art de Saint-Fond était de placer toujours les victimes dans une telle situation, qu’elles n’eussent jamais d’autre parti à prendre que de choisir celui des deux malheurs qui convenait le mieux à son perfide libertinage. Dormon tremblant n’accepte ni ne refuse ; son silence parle. Faustine est attachée par moi ; je prends le plus extrême plaisir à meurtrir les parties délicates de ce beau corps par les liens dont je la garrotte ; j’aime à présenter ainsi l’innocence à toutes les tentatives du crime ; la méchante Clairwil lui suçait la bouche pendant ce temps-là. Quels attraits à martyriser !… Oh ! quand le ciel ne s’arme point pour défendre ceux-là, c’est qu’il veut convaincre les hommes du mépris qu’il fait de la vertu.

— Ce sera de cette manière qu’il faudra vous y prendre, dit Saint-Fond en appliquant dix coups à tour de bras sur les fesses blanches et dodues qui lui sont offertes. Oui, de cette manière, continua-t-il, en en cinglant dix autres, dont les meurtrissures violettes contrastent déjà merveilleusement avec la blancheur de cette peau fine et délicate.

— Oh ! monsieur, je ne pourrai jamais…

Et cependant, comme les menaces redoublent, que Clairwil en fureur s’écrie qu’il n’y a qu’à l’écorcher lui-même s’il résiste, et qu’il faut ici, ou se résoudre à ce léger outrage, ou consentir à perdre ce qu’on aime, Dormon entreprend : mais quelle faiblesse ! Il faut que Saint-Fond soutienne son bras, il faut qu’il le dirige. Mon amant s’impatiente, un poignard s’élève sur le sein palpitant de Faustine ; Dormon redouble… il s’évanouit…

— Ah ! foutre, dit Saint-Fond qui bande comme un carme, je vois bien qu’il faut que la scélératesse s’en mêle ; l’amour ne vaut rien dans tout cela.

Et se déchaînant sur les belles fesses qui lui sont offertes, en moins d’un demi-quart d’heure il inonde de sang le cul de la victime. Une autre horreur se faisait près de là : Clairwil, loin de secourir Dormon, exécute sur lui tout ce que sa férocité lui suggère.

— Je venge mon sexe, s’écrie-t-elle, et ses mains barbares rendaient à Dormon, attaché par les vieilles, tout ce que Saint-Fond appliquait à Faustine. Les deux malheureux amants furent bientôt dans le plus effroyable état. Point encore à même de juger Clairwil, j’avoue que sa cruauté me surprit ; mais quand je la vis s’emporter à des exécrations d’un bien autre genre, quand je la vis se barbouiller les joues du sang de sa victime, le sucer, l’avaler, arracher avec ses dents des morceaux de chair, s’en repaître avec lubricité ; quand je la vis frotter son clitoris sur les blessures sanglantes qu’elle faisait à ce malheureux, quand je l’entendis me crier : Imite-moi donc, Juliette !… entraînée par l’affreux exemple de cette sauvage, et plus encore peut-être par ma maudite imagination, faut-il vous l’avouer, mes amis, je fis comme elle… Que dis-je ? je la surpassai peut-être, peut-être allumai-je son imagination par des forfaits auxquels elle ne pensait pas ; mais tout m’échauffait également : aucune restriction dans mon âme perverse, et la commotion reçue dans moi, aux douleurs que j’opérais, y parvenait aussi bien en cannibalisant un homme qu’en martyrisant une femme.

Saint-Fond ne voulut pas procéder aux grandes expéditions avant que l’autre couple n’eût paru. On attacha celui-ci ; l’autre vint. Delnos et Félicité éprouvèrent les mêmes traitements, à l’exception que les choses furent prises en sens inverse, et qu’au lieu de persuader à l’amant de quitter sa maîtresse sous les plus terribles menaces, ce fut à la maîtresse (mais avec aussi peu de fruit) que l’on persuada de quitter l’amant. Félicité était une fort jolie fille de vingt ans, un peu moins blanche que sa sœur, mais des formes aussi agréables et les yeux les plus expressifs ; elle montra plus d’énergie que sa sœur, et Delnos beaucoup moins que Dormon. Cependant notre anthropophage, venant d’enculer cette seconde fille, perdit son foutre malgré lui dans le beau cul de Delnos, pendant qu’il martyrisait les charmants tétons de Félicité. Tranquillement assis, maintenant, entre Clairwil qui le socratisait et moi qui le branlait, en face des deux couples attachés sous ses yeux, il nous consultait sur le sort des victimes.

— Je suis le bourreau de toute cette famille, nous disait-il en se branlant : trois ont perdu la tête ici, j’en ai fait tuer deux dans leur campagne, j’en ai fait empoisonner un à la Bastille, et j’espère ne pas manquer ces quatre-ci. Je ne connais rien de délicieux comme ce calcul : Tibère, dit-on, s’y livrait tous les soirs ; le crime ne serait rien sans ses doux souvenirs. Ô Clairwil ! où nous entraînent les passions ! Dis, mon ange, aurais-tu la tête assez calme… aurais-tu, par hasard, assez déchargé, pour me faire sur cela quelques beaux discours ?

— Non, foutre ! non, non, sacredieu ! répondit Clairwil ! rouge comme une bacchante, j’ai plus envie d’agir que de parler ; un feu dévorant coule dans mes veines, il me faut des horreurs, je suis hors de moi…

— Commettre infiniment d’atrocités est assurément mon avis, dit Saint-Fond ; ces deux couples m’excitent ; il est inouï les tourments que je leur souhaite et que je voudrais leur voir endurer.

Et les malheureux entendaient tout ce que nous disions ; ils nous voyaient comploter contre eux… et ils ne mouraient pas !

La fatale roue, inventée par Delcour, était sous nos regards. Saint-Fond la considérait méchamment, et l’idée d’y placer quelque victime élança bientôt son vit vers le ciel. Alors le scélérat, après avoir expliqué bien haut les propriétés de cette infernale machine, dit qu’il fallait que les deux femmes tirassent au sort pour savoir qui d’entre elles y serait attachée. Clairwil combattit ce projet, en assurant que, puisque Saint-Fond y avait déjà vu une fille, il fallait qu’il se procurât le plaisir d’y voir un garçon ; elle demanda la préférence pour Dormon, qui lui échauffait prodigieusement la tête. Mais Saint-Fond dit qu’il ne voulait aucune préférence ; que l’honneur de périr le premier, et par un tel supplice, en était une assez grande, et qu’il n’en fallait point d’autres. Des billets s’écrivent ; les jeunes gens tirent ; Dormon a le billet noir.

— Il y a longtemps que le ciel accomplit tous mes vœux, dit Clairwil ; je n’ai jamais conçu de crime, que cette exécrable chimère, que vous nommez l’Être suprême, ne l’ait favorisé sur l’heure !

— Embrassez votre prétendue, dit mon amant, en détachant Dormon, auquel on laisse pourtant des liens aux jambes et aux bras ; baisez-la, mon enfant, elle ne vous perdra point de vue pendant votre exécution. Je vous jure que je vais l’enculer sous vos yeux.

Entraînant alors, suivant son usage, le jeune homme bien sûrement lié, il s’enferme pendant une heure avec lui ; il semblait qu’en ce moment le libertin confiât à la victime un secret impénétrable, et qu’elle était comme chargée de porter en l’autre monde.

— Que fait-il donc là ? dit Clairwil, ennuyée d’attendre et s’approchant de la porte du cabinet.

— Je n’en sais rien, répondis-je, mais je désire le savoir avec tant d’ardeur que j’ai presque envie de lui dire de me sacrifier pour l’apprendre.

Dormon sort ; ses chairs portaient des traces de plusieurs vexations cruelles ; ses fesses et ses cuisses, surtout, étaient violemment meurtries : la honte, la rage, la crainte et la douleur se combattaient sur son front altéré ; du sang coulait de son vit et de ses couilles, et ses joues, vivement colorées, portaient l’empreinte de plusieurs soufflets. Pour Saint-Fond, il bandait considérablement ; la barbarie la plus atroce se peignait sur chacun de ses traits ; il avait encore une main sur le cul de la victime lorsque tous deux rentrèrent.

— Allons, foutu gueux ! lui dit Clairwil, en se réjouissant de le voir reparaître ainsi, allons, allons ! il faut y passer… Saint-Fond, poursuivit cette mégère, il n’y a pas assez d’hommes ici : je voudrais être prodigieusement foutue en voyant expirer ce gredin.

— Sa maîtresse te branlera dit Saint-Fond, et je l’enculerai pendant ce temps-là.

— Et le sang coulera-t-il sur nous ?

— Sans doute…

— Allons, dit Clairwil, baise-moi, jean-foutre, avant que d’aller au supplice.

Et comme il faisait quelque résistance, la garce lui frotta le nez de son cul ; ensuite, on lui permit d’aller embrasser sa maîtresse qui fondait en larmes. Clairwil le branlait, et Saint-Fond chatouillait le clitoris de la jeune fille ; les vieilles le saisissent à la fin et le fixent dans la fatale roue. Faustine, étendue sur Clairwil, est obligée de la branler ; mon amie me baise, me chatouille pendant ce temps-là. Saint-Fond encule Faustine, et bientôt le sang nous couvre tous les quatre. La jeune fille ne soutient pas cet affreux spectacle jusqu’au bout : suffoquée par la douleur, elle expire.

— Un moment, un moment ! s’écria Saint-Fond, je crois que la garce veut mourir sans que j’en sois cause.

Et le vilain décharge, en disant cela, dans une masse qui n’existait déjà plus. Clairwil, dont les mains scélérates pétrissent les couilles de Delnos, pendant que je piquais à grands coups d’aiguille les fesses de ce jeune homme, ne tient pas au spectacle de Dormon dans la roue, et la putain décharge trois fois, en jetant des hurlements semblables à ceux d’une bête féroce.

Il ne restait plus que Félicité et son jeune amant.

— Ah ! foutre, dit Saint-Fond, il faut que le supplice de cette garce-là me dédommage de l’autre ; et puisque c’est la maîtresse qui vient de voir mourir l’amant, je veux ici que ce soit l’amant qui voie expirer la maîtresse.

Il la conduit au cabinet secret, et, après une bonne demi-heure de tête-à-tête, il la ramène dans un état affreux. Elle est condamnée à être empalée vive : Saint-Fond lui-même lui enfonce dans le cul un pieu qui lui ressort par la bouche, et ce pieu redressé reste avec la victime, en parade, au salon tout le jour.

— Mon ami, dit Clairwil, je te demande avec instance de me laisser le choix du supplice de cette dernière victime ; je trouve que ce bougre-là ressemble à Jésus-Christ, et je veux le traiter de même.

L’idée fait beaucoup rire ; tout se dispose pendant le tête-à-tête ; rien n’est oublié. L’histoire de la passion du bâtard de Marie se place sur les reins découverts d’une des vieilles ; je suis chargée de lire et de diriger. Le jeune homme rentre déjà fort maltraité ; Clairwil, Saint-Fond et l’autre vieille l’exécutent ; on l’attache à la croix, et il souffre exactement tout ce que les sages Romains firent endurer au plat coquin de Galilée : on lui perce le flanc ; on le couronne d’épines, on lui donne à boire avec une éponge. Voyant enfin qu’il ne meurt pas, on veut enchérir sur le supplice de l’imbécile bateleur de Judée : on retourne le patient, et il n’est sorte d’horreurs que nous n’exécutons sur ses fesses ; nous les piquons, nous les brûlons, nous les déchirons ; Delnos expire enfin, enragé. Clairwil et Saint-Fond, que je branlais chacun d’une main, déchargent amplement ; et comme tout ceci nous avait menés plus de douze heures, les plaisirs désirés de la table succédèrent à ces infamies.

Clairwil, qui voulait savoir le secret de Saint-Fond, l’étourdit à force de vin, de caresses et de louanges ; et quand elle crut l’avoir amené au point où elle le désirait :

— Que fais-tu donc, lui dit-elle, avec tes victimes, un moment avant de les livrer au supplice

— Je leur annonce la mort.

— Il y a autre chose, nous en sommes certaines.

— Non.

— Nous le savons.

— C’est une faiblesse, pourquoi me contraindre à la révéler ?

— Dois-tu donc avoir des secrets pour nous, dis-je à mon amant ?

— En vérité, ce n’en est pas un.

— Cependant, tu nous le caches, et nous te conjurons de nous le dire.

— À quoi cela vous servira-t-il ?

— À nous satisfaire, à contenter les deux meilleures amies que tu aies au monde.

— Vous êtes de cruelles femmes ! Mais songez-vous donc que je ne puis vous faire cet aveu sans convenir d’une petitesse affreuse de ma part ?

— C’est précisément ce que nous voulons apprendre.

Alors, redoublant toutes deux de sollicitations, de louanges, de caresses et de séductions, notre homme vaincu nous parle de la manière suivante :

— À quelque point que j’aie secoué le joug honteux de la religion, mes amies, il ne m’a jamais été possible de me défendre de l’espoir d’une autre vie. S’il est vrai, me dis-je, qu’il y ait des peines et des récompenses dans un autre monde, les victimes de ma scélératesse triompheront, elles seront heureuses. Cette idée me désespère ; mon extrême barbarie m’en fait un tourment : quand j’immole un objet, soit à mon ambition, soit à ma lubricité, je voudrais prolonger ses maux au-delà de l’immensité des siècles. J’ai consulté sur cela un célèbre libertin, avec lequel j’étais fort lié jadis, et qui avait les mêmes goûts que moi. Cet homme rempli de connaissances, grand alchimiste, très versé dans l’astrologie, m’a toujours assuré que rien n’était plus vrai que ces peines et ces récompenses à venir, et que, pour empêcher la victime de participer aux joies célestes, il fallait, avec du sang tiré près du cœur, lui faire signer qu’elle donnait son âme au diable, lui enfoncer ensuite ce billet dans le trou du cul avec le vit, et lui imposer pendant ce temps la plus forte douleur qu’il soit en notre pouvoir de lui faire endurer. Jamais, avec ce moyen, m’assura mon ami, l’individu que vous détruisez n’entrera dans le ciel. Ses souffrances, de la même nature que celle que vous lui aurez fait endurer en lui enfonçant le billet, seront éternelles ; et l’on jouira du plaisir délicieux de les avoir prolongées au-delà même des bornes de l’éternité, si l’éternité pouvait en avoir.

— Et voilà donc ce que tu fais avec tes victimes ? dit Clairwil.

— Vous avez voulu que je vous l’avouasse… c’est une faiblesse.

— C’est une sottise, qui prouve que tu es loin de la philosophie que je te supposais : peut-on, avec de l’esprit, adopter un moment le dogme absurde de l’immortalité de l’âme ? Car, sans l’adoption de cette chimère religieuse et dégoûtante, tu m’avoueras qu’il serait impossible de croire aux peines et aux récompenses d’une autre vie. J’aime ton principe, il est délicieux, poursuivit Clairwil, il est bien dans ma manière de penser : vouloir prolonger à l’infini les supplices de l’être qu’on dévoue à la mort, est digne de ta tête ; mais appuyer cela sur des extravagances, voilà ce qui n’est nullement pardonnable.

— Eh ! dit Saint-Fond, mon divin espoir s’évanouit, si je ne l’étaye sur cette opinion.

— Il vaut mieux savoir y renoncer, dit Clairwil, que de le baser sur des fables, parce que l’adoption de la fable te ferait un jour plus de tort qu’elle ne t’aurait fait de plaisir. Va, contente-toi des maux que tu peux imposer en ce monde, et renonce au vain projet de les perpétuer.

— Il n’y a point d’autre vie, Saint-Fond, dis-je alors, me ressouvenant des principes de philosophie que j’avais reçus dans mon enfance ; cette chimère n’a pour garant que l’imagination des hommes, qui, en la supposant, n’ont fait que réaliser le désir qu’ils ont de se survivre à eux-mêmes, afin de jouir par la suite d’un bonheur plus durable et plus pur que celui qu’ils goûtent à présent. Quelle pitoyable absurdité, d’abord, de croire en un Dieu, d’imaginer ensuite que ce Dieu réserve des tourments infinis au plus grand nombre des hommes ! Ainsi, après avoir rendu les mortels très malheureux en ce monde, la religion leur fait entrevoir que ce Dieu bizarre, fruit de leur crédulité ou de leur fourberie, pourra bien encore les rendre très à plaindre dans une autre vie ! Je sais bien qu’on s’en tire en disant que, pour lors, la bonté de ce Dieu fera place à sa justice ; mais une bonté qui fait place à la cruauté la plus terrible n’est pas une bonté infinie. D’ailleurs, un Dieu qui, après avoir été infiniment bon, devient infiniment méchant, peut-il être regardé comme un être immuable ? Un Dieu rempli de fureur est-il un être dans lequel on puisse retrouver l’ombre de la clémence ou de la bonté ? D’après les notions de la théologie, il paraît évident que Dieu n’a créé le plus grand nombre des hommes que dans la vue de les mettre à portée d’encourir des supplices éternels. N’eût-il donc pas été plus conforme à la bonté, à la raison, à l’équité, de ne créer que des pierres et des plantes, que de former des hommes dont la conduite pourrait attirer sur eux des châtiments sans fin ? Un Dieu assez perfide, assez méchant pour créer un seul homme, et pour le laisser exposé ensuite au péril de se damner, ne peut être regardé comme un être parfait ; il ne doit l’être que comme un monstre de déraison, d’injustice, de malice et d’atrocité. Bien loin de composer un Dieu parfait, les théologiens n’ont donc formé que la plus dégoûtante chimère ; et ils ont achevé de dégrader leur ouvrage en prêtant à cet abominable Dieu l’invention de l’éternité des peines. La cruauté, qui fait nos plaisirs, a des motifs au moins ; ces motifs s’expliquent, et nous les connaissons ; mais Dieu n’en avait aucun en tourmentant les victimes de sa colère, car il ne saurait punir des êtres qui n’ont pu réellement, ni mettre en danger son pouvoir, ni troubler sa félicité. D’un autre côté, les supplices de l’autre vie seraient inutiles aux vivants qui n’en peuvent être les témoins ; ils seraient inutiles aux damnés, puisqu’en enfer on ne se convertit pas, et que le temps de la prétendue miséricorde de ce Dieu n’existe plus : d’où il suit que Dieu, dans l’exercice de sa vengeance éternelle, n’aurait d’autre but que de s’amuser et que d’insulter à la faiblesse de ses créatures ; et votre infâme Dieu, agissant plus cruellement qu’aucun homme, et sans aucun motif comme les hommes, devient donc, par cela seul, infiniment plus traître, plus fourbe et plus scélérat qu’eux.

— Allons plus loin, dit Clairwil, je vais analyser, si l’on veut, avec plus de détail, ce dogme effroyable de l’enfer ; je suis en état de le combattre assez victorieusement pour qu’il ne reste plus la moindre trace de son adoption dans l’esprit crédule de notre ami. Voulez-vous m’entendre ?

— Assurément, répondîmes-nous.

Et voici comme cette femme, pleine d’esprit et d’érudition, s’expliqua sur cette importante matière :

— Il est des dogmes qu’on est quelquefois obligé, non d’admettre, mais de supposer, afin d’être en état d’en combattre d’autres. Pour anéantir à vos yeux le dogme imbécile de l’enfer, il faut que vous me permettiez de rétablir un instant ici la chimère déiste. Obligée de m’en servir comme de point d’appui dans cette importante dissertation, il faut que je lui rende absolument une existence momentanée : vous me le pardonnerez, j’espère, d’autant plus, qu’assurément vous ne me soupçonnez pas de croire à cet abominable fantôme.

Le dogme de l’enfer est par lui-même, je l’avoue, si destitué de vraisemblance, tous les arguments que l’on prétend établir pour l’étayer sont si faibles, ils contredisent si manifestement la raison, qu’on rougit presque de l’obligation de les combattre. N’importe, arrachons impitoyablement aux chrétiens jusqu’à l’espoir de nous renchaîner de nouveau aux pieds de leur religion atroce, et faisons-leur voir que le dogme sur lequel ils se fondent le plus impérieusement pour nous effrayer, se dissipe, comme toutes leurs autres chimères, à la plus faible étincelle du flambeau de la philosophie.

Les premiers arguments dont on se sert pour établir cette pernicieuse fable sont :

1° Que le péché étant infini, eu égard à l’Être qu’on offense, mérite par conséquent des châtiments infinis ; que Dieu ayant dicté des lois, il est de sa grandeur de punir ceux qui les transgressent.

2° L’universalité de cette doctrine et la manière dont elle est annoncée dans l’Écriture.

3° La nécessité de ce dogme pour contenir les pécheurs et les incrédules.

Voilà les bases qu’il faut anéantir.

Vous conviendrez, je me flatte, que la première se détruit naturellement par l’inégalité des délits. Selon cette doctrine, la plus légère faute se trouverait donc punie comme la plus grave : or, je vous demande si, dans l’admission d’un Dieu juste, il devient possible de supposer une iniquité de cette espèce ? Qui d’ailleurs a créé l’homme ? Qui lui a donné les passions que doivent punir en lui les tourments de l’enfer ? N’est-ce pas votre Dieu ? Ainsi donc, imbéciles de chrétiens, vous admettez que d’une part ce Dieu ridicule prête à l’homme des penchants qu’il se trouve obligé de punir d’un autre côté ? Mais il ignorait donc que ces penchants devaient l’outrager ? S’il le savait, d’où vient qu’il les lui donne de ce genre ? et s’il ne le savait pas, pourquoi le punit-il d’un tort qu’il a tout seul ?

D’après les conditions que l’on prétend nécessaires au salut, il paraît évident que nous serons bien plus certainement damnés que sauvés. Or, je demande encore s’il est de la justice si vantée de votre Dieu, d’avoir placé son malheureux et chétif ouvrage dans une aussi cruelle position, et, d’après ce système, comment vos docteurs osent-ils dire que le bonheur et le malheur éternels sont également présentés à l’homme et dépendent uniquement de son choix ? Si la plus grande portion du genre humain est destinée à être éternellement malheureuse, un Dieu qui sait tout a dû le savoir : pourquoi donc, d’après cela, le monstre nous a-t-il créés ? Y était-il forcé ? il n’est donc plus libre. L’a-t-il fait sciemment ? c’est donc un barbare. Non, Dieu n’était point forcé de créer l’homme, et s’il l’a fait uniquement pour le soumettre à un tel destin, la propagation de notre espèce devient dès lors le plus grand des crimes, et rien ne serait plus désirable que l’extinction totale du genre humain.

Si, cependant, ce dogme vous paraît un instant nécessaire à la grandeur de Dieu, je vous demande pourquoi ce Dieu si grand et si bon n’a pas donné à l’homme la force nécessaire à se garantir du supplice ? N’est-il pas cruel à Dieu de laisser à l’homme la faculté de se perdre éternellement, et trouverez-vous jamais un moyen de laver votre Dieu du reproche fondé d’ignorance ou de méchanceté ?

Si tous les hommes sont des ouvrages égaux de la divinité, pourquoi tous ne s’accordent-ils pas sur le genre de crimes qui doit valoir à l’homme cette éternité de supplices ? Pourquoi le Hottentot damne-t-il pour ce qui mérite le paradis au Chinois, et d’où vient que celui-ci assure le ciel à ce qui mérite l’enfer au chrétien ? On ne finirait pas, si l’on voulait rapporter les opinions variées des païens, des juifs, des mahométans, des chrétiens, au sujet des moyens que l’on doit employer pour échapper aux supplices éternels, et pour obtenir la félicité, si l’on voulait décrire les inventions puériles et ridicules que l’on a imaginées pour y parvenir.

La seconde des bases de cette ridicule doctrine est la manière dont elle est annoncée dans les Écritures, et l’universalité dont elle est.

Gardons-nous bien de croire que l’universalité d’une doctrine puisse jamais devenir un titre en sa faveur. Il n’y a point de folie, point d’extravagance qui n’ait été généralement adoptée dans le monde ; il n’en est point qui n’ait eu ses admirateurs et ses croyants ; tant qu’il y aura des hommes, il y aura des fous, et tant qu’il y aura des fous, il y aura des dieux, des cultes, un paradis, un enfer, etc. Mais les Écritures l’annoncent ! Admettons, pour un moment, que les livres ainsi nommés aient quelque authenticité, et que vraiment il leur soit dû quelque respect. Je l’ai dit, il est des chimères qu’il faut quelquefois réédifier, pour être à même d’en combattre d’autres. Eh bien ! je répondrai d’abord à cela, qu’il est très douteux que les Écritures en parlent. À supposer pourtant que cela soit, ce qu’elles en disent ne peut s’adresser qu’à ceux qui ont connaissance de ces Écritures et qui les admettent comme infaillibles : ceux qui ne les connaissent pas, ou qui refusent de les croire, ne peuvent être convaincus par leur autorité. Cependant, ne dit-on pas que ceux qui n’ont aucune connaissance de ces Écritures, ou ceux qui ne les croient pas, sont exposés aux châtiments éternels, comme ceux qui les connaissent ou qui y croient ? Or, je vous demande s’il est au monde une plus grande injustice que celle-là ?

Vous me direz, peut-être, que des peuples auxquels vos absurdes Écritures étaient totalement inconnues, n’ont pas laissé de croire des châtiments éternels dans une vie future : cela peut être vrai de quelques peuples, tandis que beaucoup d’autres n’ont eu aucune connaissance de ces dogmes ; mais comment un peuple à qui la Bible était inconnue a-t-il pu parvenir à prendre cette opinion ? On ne dira pas, j’espère, que ce soit une idée innée ; si cela était, elle serait commune à tous les hommes. On ne soutiendra point, je le pense, qu’elle est l’ouvrage de la raison ; car, certes, la raison n’apprendrait pas à l’homme que, pour des fautes finies, il souffrira des peines infinies ; ce n’est point la révélation, puisque le peuple que nous supposons ne la connaît pas. Ce dogme, on en conviendra, n’est donc arrivé au peuple que nous venons d’admettre, que par l’instigation de ses prêtres, ou par son imagination. Je vous demande, d’après cela, ce qu’il peut avoir de solide !

Si quelqu’un imaginait que la croyance des châtiments éternels ait été transmise par tradition, à des peuples qui ne la tenaient point de l’Écriture, on pourra demander d’où ceux qui, dans l’origine, ont répandu cette opinion, la tenaient eux-mêmes ; et si l’on ne peut prouver qu’ils l’aient reçue par une révélation divine, on sera obligé de convenir que cette opinion gigantesque n’a que le dérèglement de l’imagination ou la fourberie pour base.

En supposant que l’Écriture, prétendue sainte, annonce aux hommes des châtiments dans une vie future, et en admettant ce fait comme une vérité incontestable, ne pourrait-on pas demander comment les auteurs de l’Écriture ont pu savoir qu’il existait de tels châtiments ? On ne manquera pas de répondre que c’est par inspiration ; voilà qui va à merveille, mais ceux qui n’ont point été favorisés de cette illumination particulière ont donc été contraints de s’en rapporter à d’autres ; or, je vous prie de me dire quelle confiance on doit avoir à des gens qui vous disent sur un fait de telle importance : Je le crois parce qu’un tel m’a dit qu’il l’avait rêvé. Et voilà donc ce qui absorbe, ce qui rend farouche et timide la moitié des hommes ; voilà donc ce qui les empêche de se livrer aux plus douces inspirations de la nature ! Peut-on porter plus loin l’égarement et l’absurdité ? Mais vos inspirés n’ont pas parlé à tout le monde ; la plus grande partie du genre humain ignore leurs rêves. Cependant tous les hommes ne sont-ils pas aussi intéressés à s’assurer de la réalité de ce dogme, que peuvent l’être les écrivains de la Bible ou leurs adhérents ? Comment se fait-il donc que tous ne puissent en avoir la même certitude ? Ils étaient tous intéressés à savoir à quoi s’en tenir sur les châtiments éternels : pourquoi donc Dieu n’a-t-il pas donné cette sublime connaissance à tous, directement et immédiatement, sans le secours et la participation de gens que l’on peut soupçonner de fraude ou d’erreur ? Avoir positivement fait tout le contraire caractérise-t-il, je vous le demande, la conduite d’un être que vous me peignez comme infiniment bon et sage ? Cette conduite, bien loin de là, ne porte-t-elle pas tous les attributs de la bêtise et de la méchanceté ? Dans tous les gouvernements, lorsque l’on fait des lois qui décernent des peines contre les infracteurs, ne prend-on pas tous les moyens possibles pour faire connaître et ces lois et ces châtiments ? Peut-on raisonnablement châtier un homme de l’infraction faite à une loi qui lui est inconnue ? Que devons-nous conclure de cette série de vérités ? C’est que jamais le système de l’enfer ne fut autre chose que le résultat de la méchanceté de quelques hommes et de l’extravagance de beaucoup d’autres35.

La troisième base de ce dogme épouvantable est sa nécessité pour contenir les pécheurs et les incrédules.

Si la justice et la gloire de Dieu exigeaient qu’il punît les pécheurs et les incrédules par des tourments éternels, il n’est pas douteux que la justice et la raison exigeraient aussi qu’il fût au pouvoir des uns de ne point pécher, et au pouvoir des autres de n’être point incrédules : or, quel est l’être assez absurde pour supposer que l’homme soit libre ; quel est celui qui s’aveugle au point de ne pas voir qu’entraînés dans toutes nos actions, nous ne sommes les maîtres d’aucune, et que le Dieu dont nous tenons ces chaînes serait (à supposer son existence, ce que je ne fais, comme vous le voyez, qu’avec dégoût), serait, dis-je, le plus injuste et le plus barbare des êtres, s’il nous punissait de devenir, malgré nous, victimes des travers dans lesquels sa main inconséquente nous plonge avec plaisir.

N’est-il donc pas clair que c’est le tempérament que la nature donne aux hommes, que ce sont les différentes circonstances de sa vie, son éducation, ses sociétés, qui déterminent ses actions et sa direction vers le bien ou le mal ? Mais si cela est, nous objectera-t-on peut-être, les punitions que l’on leur inflige en ce monde, en raison de leur mauvaise conduite, sont donc également injustes ? Assurément elles le sont. Mais ici l’intérêt général l’emporte sur l’intérêt particulier ; il est du devoir des sociétés de retrancher de leur sein les méchants capables de leur nuire ; et voilà qui justifie des lois qui, seulement vues d’après l’intérêt particulier, seraient monstrueusement injustes. Mais votre Dieu a-t-il les mêmes raisons pour punir le méchant ? Non, sans doute ; il n’a rien à souffrir de ses méchancetés, et s’il est ainsi, c’est qu’il a plu à ce Dieu de le créer de cette manière. Il serait donc atroce de lui infliger des tourments, pour être devenu sur la terre ce que cet exécrable Dieu savait bien qu’il deviendrait, et ce qu’il lui est fort égal qu’il devienne.

Prouvons maintenant que les circonstances qui déterminent la croyance religieuse des hommes ne sont nullement de leur pouvoir.

Je demande d’abord si nous sommes les maîtres de recevoir le jour sous tel ou tel climat ; et si, une fois nés dans un culte quelconque, il dépend de nous d’y asservir notre foi. Est-il une seule religion qui tienne un flambeau des passions ! et les passions qui nous viennent de Dieu ne sont-elles pas préférables aux religions qui nous viennent des hommes ? Quel serait donc ce Dieu barbare qui nous punirait éternellement d’avoir douté de la vérité d’un culte dont il anéantit l’admission dans nous par le moyen des passions qui le détruisent à tout moment. Quelle extravagance ! quelle absurdité ! Et comment ne pas regretter le temps qu’on perd à dissiper de telles ténèbres !

Mais allons plus loin, et ne laissons, s’il est possible, aucun retranchement aux imbéciles partisans du plus ridicule des dogmes.

S’il dépendait de tous les hommes d’être vertueux et de croire tous les articles de leur religion, il faudrait encore examiner s’il serait équitable que des hommes fussent éternellement punis, soit à cause de leur faiblesse, soit à cause de leur incrédulité, quand il demeurera constant qu’il ne peut résulter aucun bien de ces supplices gratuits.

Écartons le préjugé pour décider cette question, et réfléchissons surtout à l’équité que nous admettons dans Dieu. N’est-ce pas déraisonner que de dire que la justice de ce Dieu demande l’éternelle punition des pécheurs et des incrédules ? L’action de punir avec une sévérité disproportionnée à la faute, ne tient-elle donc pas bien plutôt de la vengeance et de la cruauté que de la justice ? Ainsi, prétendre que Dieu punit de cette manière, c’est évidemment le blasphémer. Comment ce Dieu, que vous peignez si bon, pourra-t-il placer sa gloire à punir ainsi les faibles ouvrages de ses mains ? Assurément, ceux qui prétendent que la gloire de Dieu l’exige, ne sentent pas toute l’énormité de cette doctrine. Ils parlent de la gloire de Dieu, et ne sauraient s’en faire une idée. S’ils étaient capables de juger de la nature de cette gloire, s’ils pouvaient s’en former des notions raisonnables, ils sentiraient que si cet être existe, il ne pourrait établir sa gloire que dans sa bonté, sa sagesse et le pouvoir illimité de communiquer le bonheur aux hommes.

On ajoute, en second lieu, pour confirmer la doctrine odieuse de l’éternité des peines, qu’elle a été adoptée par un grand nombre d’hommes profonds et de savants théologiens. Premièrement, je nie le fait : la plus grande partie d’entre eux a douté de ce dogme. Et si l’autre a paru y ajouter foi, il est aisé de voir dans quel motif : le dogme de l’enfer était un joug, un lien de plus dont les prêtres voulaient surcharger les hommes ; on connaît l’empire de la terreur sur les âmes, et l’on sait que la politique a toujours besoin de la terreur, dès qu’il s’agit de subjuguer.

Mais ces livres prétendus saints, que vous me citez, nous viennent d’une source assez pure pour ne pouvoir rejeter ce qu’ils nous offrent ? Le plus simple examen suffit à nous convaincre que, bien loin d’être, comme on ose nous le dire, l’ouvrage d’un Dieu chimérique qui n’a jamais écrit ni parlé, ils ne sont, au contraire, que celui d’hommes faibles et ignorants, et que, sous ce rapport, nous ne leur devons que de la méfiance et du mépris. Mais, à supposer que ces écrivains eussent quelque bon sens, quel serait, je vous prie, l’homme assez niais pour se passionner en faveur de telle ou telle opinion, seulement parce qu’il l’aurait trouvée dans un livre ? Sans doute, il peut l’adopter, mais y sacrifier le bonheur et la tranquillité de sa vie, je le répète, il n’y a qu’un fou capable de ce procédé36. D’ailleurs, si vous m’objectez le contenu de vos prétendus livres saints en faveur de cette opinion, ce sera dans ces mêmes livres que je prouverai l’opinion contraire.

J’ouvre l’Ecclésiaste, et j’y vois :

« L’état de l’homme est le même que celui des bêtes. Ce qui arrive aux hommes et ce qui arrive aux bêtes est la même chose. Telle est la mort des uns, telle est la mort des autres ; ils ont tous un même souffle, et l’homme n’a point d’avantage sur la bête ; ou tout est vanité, tout va dans le même lieu, tout a été fait de poussière, et tout retourne dans la poussière. (Ecclésiaste, chap. III, v. 18, 19 et 20.) »

Est-il rien de plus décisif, contre l’existence d’une autre vie, que ce passage ? Est-il rien de plus propre à soutenir l’opinion contraire à celle de l’immortalité de l’âme et du dogme ridicule de l’enfer ?

Quelles réflexions viennent donc à l’homme sensé, en examinant cette fable absurde de l’éternelle condamnation de l’homme dans le paradis terrestre, pour avoir mangé d’un fruit défendu ? Quelque minutieuse que soit cette fable, quelque dégoûtante que l’on la trouve, qu’on me permette de m’arrêter un moment sur elle, puisque c’est d’elle que l’on part pour l’admission des peines éternelles de l’enfer. Faut-il autre chose que l’examen impartial de cette absurdité, pour en reconnaître le néant ? Ô mes amis ! je vous le demande, un homme rempli de bonté planterait-il dans son jardin un arbre qui produirait des fruits délicieux, mais empoisonnés, et se contenterait-il de défendre à ses enfants d’en manger, en leur disant qu’ils mourront s’ils osent y toucher ? S’il savait qu’il y eût un tel arbre dans son jardin, cet homme prudent et sage n’aurait-il pas bien plutôt l’attention de le faire abattre, surtout sachant très bien que, sans cette précaution, ses enfants ne manqueraient pas de se faire périr en mangeant de son fruit, et d’entraîner leur postérité dans la misère ? Cependant, Dieu sait que l’homme sera perdu, lui et sa race, s’il mange de ce fruit, et non seulement il place en lui le pouvoir de céder, mais il porte la méchanceté au point de le faire séduire. Il succombe, et il est perdu ; il fait ce que Dieu permet qu’il fasse, ce que Dieu l’engage à faire, et le voilà éternellement malheureux. Peut-on rien au monde de plus absurde et de plus cruel ! Sans doute, et je le répète, je ne prendrais pas la peine de combattre une telle absurdité, si le dogme de l’enfer, dont je veux anéantir à vos yeux jusqu’à la plus légère trace, n’en était une suite affreuse.

Ne voyons dans tout cela que des allégories dont il est possible de s’amuser un instant, mais qu’il serait odieux de croire, et dont il ne devrait même être permis de parler que comme on le fait des fables d’Ésope et des chimères de Milton, à la différence que celles-ci sont de peu d’importance, au lieu que celles-là, en cherchant à captiver notre foi, à troubler nos plaisirs, deviennent du danger le plus évident, et qu’il faudrait tâcher de les anéantir au point qu’on ne dût s’en occuper jamais.

Convainquons-nous donc bien que tant ces faits, que ceux qui sont consignés dans le plat roman connu sous le nom d’Écriture sainte, ne sont que des mensonges abominables, dignes du plus profond mépris, et desquels nous ne devons tirer aucune conséquence pour le bonheur ou le malheur de notre vie. Persuadons-nous que le dogme de l’immortalité de l’âme, qu’il a fallu admettre avant de destiner cette âme à des peines ou à des récompenses éternelles, est le plus plat, le plus grossier et le plus indigne des mensonges qu’il soit possible de faire ; que tout périt en nous comme dans les animaux, et que, d’après cela, telle conduite que nous ayons pu garder en ce monde, nous n’en serons ni plus heureux, ni plus malheureux, après y avoir séjourné le temps qu’il plaît à la nature de nous y laisser.

On a dit que la croyance aux châtiments éternels était absolument nécessaire pour contenir les hommes, et qu’il faut, d’après cela, se bien garder de la détruire. Mais s’il est évident qu’elle soit fausse, cette doctrine, s’il est impossible qu’elle tienne à l’examen, ne sera-t-il pas infiniment plus dangereux qu’utile d’étayer la morale sur elle ? et n’y a-t-il pas à parier qu’elle nuira plus qu’elle ne fera de bien, dès que l’homme, après l’avoir appréciée, se livrera au mal, parce qu’il l’aura reconnue fausse ? Ne vaudrait-il pas cent fois mieux qu’il n’eût pas du tout de freins, que d’en avoir un qu’il rompt avec tant de facilité ? Dans le premier cas, l’idée du mal ne lui serait peut-être pas venue ; elle lui viendra dans celui du brisement de frein, parce qu’il existe alors un plaisir de plus, et que la perversité de l’homme est telle, qu’il ne chérit le mal et ne s’y livre jamais plus volontiers que quand il croit trouver un obstacle à s’y abandonner.

Ceux qui ont attentivement réfléchi sur la nature de l’homme seront forcés de convenir que tous les dangers, tous les maux, quelque grands qu’ils puissent être, perdent beaucoup de leur pouvoir, lorsqu’ils sont éloignés, et paraissent moins à craindre que les petits, lorsque ceux-ci sont sous nos yeux. Il est évident que les châtiments prochains sont bien plus efficaces et bien plus propres à détourner du crime que les châtiments à venir. À l’égard des fautes sur lesquelles les lois n’ont point de prise, les hommes n’en sont-ils pas bien plus efficacement détournés par les motifs de santé, de décence, de réputation, et par d’autres considérations temporelles et présentes qu’ils ont sous les yeux, que par la crainte des malheurs futurs et sans fin qui, rarement, se présentent à leur esprit, ou qui n’y viennent jamais que comme vagues, incertains et faciles à éviter ?

Pour juger si la crainte des châtiments éternels et rigoureux de l’autre monde est plus propre à détourner les hommes du mal, que celle des châtiments temporels et présents du monde actuel, admettons, pour un moment, que la première de ces craintes subsistant universellement, la dernière fût entièrement écartée : dans cette hypothèse, l’univers ne serait-il pas aussitôt inondé de crimes ? Admettons le contraire, supposons que la crainte des châtiments éternels fût anéantie, tandis que celle des châtiments visibles demeurerait dans toute sa rigueur ; et tandis que l’on verrait ces châtiments s’exécuter immanquablement et universellement, ne reconnaîtrait-on pas, pour lors, que ces derniers agiraient avec bien plus de force sur l’esprit des hommes, et influeraient bien davantage sur leur conduite, que les châtiments éloignés de l’avenir, que l’on perd de vue dès que les passions parlent ?

L’expérience journalière ne nous fournit-elle pas des preuves convaincantes du peu d’effet que la crainte des châtiments de l’autre vie produit sur beaucoup de ceux qui en sont les plus persuadés ? Il n’est point de peuples plus convaincus du dogme de l’éternité des peines que les Espagnols, les Portugais et les Italiens : en est-il de plus dissolus ? Se commet-il enfin plus de crimes secrets que parmi les prêtres et parmi les moines, c’est-à-dire parmi ceux qui paraissent les plus convaincus des vérités religieuses ? et cela ne prouve-t-il pas évidemment que les bons effets produits par le dogme des châtiments éternels sont très rares et très incertains ? Nous allons voir que ces mauvais effets sont innombrables et sûrs. En effet, une pareille doctrine, en remplissant l’âme d’amertume, y jette de la Divinité les notions les plus révoltantes : elle endurcit le cœur, et le plonge dans un désespoir désavantageux à cette Divinité dont vous prétendez par ce dogme étayer le système. Ce dogme affreux porte, au contraire, à l’athéisme, à l’impiété : tous les gens raisonnables trouvant bien plus simple de ne point croire en Dieu, que d’en admettre un, assez cruel, assez inconséquent, assez barbare pour n’avoir créé les hommes qu’à dessein de les plonger éternellement dans le malheur.

Si vous voulez qu’un Dieu soit la base de votre religion, tâchez au moins que ce Dieu soit sans défaut ; s’il en est rempli, comme est le vôtre, on détestera bientôt la religion qu’il étaie, et, par votre mauvaise combinaison, vous aurez nécessairement nui à tous les deux.

Est-il possible qu’une religion puisse être longtemps crue, longtemps respectée, quand elle est fondée sur la croyance d’un Dieu qui doit punir éternellement un nombre infini de ses créatures, pour des penchants inspirés par lui-même ? Tout homme persuadé de ces affreux principes doit vivre dans la crainte continuelle d’un être qui peut le rendre éternellement misérable : cela posé, comment pourra-t-il jamais aimer ou respecter cet être ? Si un fils s’imaginait que son père fût capable de le condamner à des tourments cruels, ou ne voulût pas l’exempter de les souffrir s’il en était le maître, aurait-il pour lui du respect ou de l’amour ? Les créatures formées par Dieu ne sont-elles pas en droit d’attendre bien plus de sa bonté, que des enfants, de celle d’un père, même le plus indulgent ? n’est-ce pas la croyance où sont les hommes, que c’est de la bonté de leur Dieu qu’ils reçoivent tous les biens dont ils jouissent, que ce Dieu les conserve et les protège, que c’est lui qui leur procurera par la suite le bien-être qu’ils attendent, ne sont-ce pas, dis-je, toutes ces idées qui servent de fondement à la religion ? Si vous les abhorrez, il n’existe plus de religion : d’où vous voyez que votre dogme imbécile de l’enfer détruit, au lieu de consolider, qu’il ébranle les bases du culte, au lieu de les affermir, et qu’il n’y eut, par conséquent, que des sots qui purent le croire, et des fripons qui purent l’inventer.

N’en doutons pas, cet être, dont on ose nous parler sans cesse, est vraiment flétri, déshonoré par les couleurs ridicules dont les hommes se servent pour nous le peindre. S’ils ne se formaient pas des idées absurdes et déraisonnables de la Divinité, ils ne la supposeraient pas cruelle et s’ils ne la croyaient pas cruelle, ils n’imagineraient pas qu’elle fût capable de les punir par des tourments infinis, ou même qu’elle pût consentir que les ouvrages de ses mains fussent éternellement privée du bonheur.

Pour éluder la force de cet argument, les partisans du dogme de la damnation éternelle disent que le malheur des réprouvés n’est point un châtiment arbitraire de la part de Dieu, mais une conséquence du péché et de l’ordre immuable des choses. Et d’où le savez-vous, leur demanderai-je à cela ? Si vous prétendez que l’Écriture vous en instruit, vous vous trouverez bien embarrassés quand il s’agira de le prouver ; et si vous parveniez à y rencontrer un seul passage qui en parle, que de choses ne vous demanderais-je pas, à mon tour, pour me convaincre de l’authenticité, de la sainteté, de la véracité du prétendu passage que vous aurez trouvé en votre faveur. Est-ce la raison qui vous a suggéré ce dogme atroce ? Dites-moi, dans ce cas, comment vous réussissez à l’allier avec l’injustice d’un Dieu qui forme une créature, quoique bien certain que les décrets immuables des choses doivent éternellement l’envelopper dans un océan de malheurs. S’il est vrai que l’univers soit créé et gouverné par un être infiniment puissant, infiniment sage, il faut absolument que tout concoure à ses vues, et tourne au plus grand bien. Or, quel bien peut-il résulter, pour le plus grand avantage de l’univers, qu’une créature faible et malheureuse soit éternellement tourmentée pour des fautes qui n’ont jamais dépendu d’elle !

Si la multitude des pécheurs, des infidèles, des incrédules était réellement destinée à souffrir des tourments cruels et sans fin, quelle horrible scène de misère pour la race humaine ! Des milliards d’hommes seraient donc impitoyablement sacrifiés à des supplices infinis : ce serait, en effet, pour lors que le sort d’un être sensible et raisonnable tel que l’homme serait vraiment horrible. Quoi ! ce n’est point assez de ces chagrins auxquels il est condamné dans cette vie, il lui faudrait redouter encore des peines et des tourments affreux, quand il aurait fini sa carrière ? Quelle horreur ! quelle exécration ! Comment de telles idées peuvent-elles entrer dans l’esprit humain, et comment ne pas se convaincre qu’elles n’y sont le fruit que de l’imposture, du mensonge et de la plus barbare politique ? Ah ! ne cessons de nous convaincre que cette doctrine, ni utile, ni nécessaire, ni efficace à détourner les hommes du mal, ne peut absolument servir de base qu’à une religion dont l’unique but serait d’assouplir des esclaves ; pénétrons-nous bien de l’idée que ce dogme exécrable a les conséquences les plus fâcheuses, vu qu’il n’est propre qu’à remplir la vie d’amertume, de terreurs et d’alarmes… à faire concevoir des idées telles, de la Divinité, qu’il n’est plus possible de n’en pas renverser le culte, après avoir eu le malheur d’adopter ce qui le dégrade si formellement37.

Certes, si nous croyons que l’univers ait été créé et soit gouverné par un être dont la puissance, la sagesse et la bonté sont infinies, nous devons en conclure que tout mal absolu doit être nécessairement exclu de cet univers : or, il n’est pas douteux que le malheur éternel de la plus grande partie des individus de l’espèce humaine serait un mal absolu. Quel rôle infâme vous faites jouer à cet abominable Dieu, en le supposant coupable d’une telle barbarie ! En un mot, des supplices éternels répugnent à la bonté infinie du Dieu que vous supposez : ou cessez donc de m’y faire croire, ou supprimez votre dogme sauvage des peines éternelles, si vous voulez que je puisse adopter un instant votre Dieu.

N’ajoutons pas plus de foi au dogme du paradis qu’à celui de l’enfer : l’un et l’autre sont les atroces inventions des tyrans religieux qui prétendaient enchaîner l’opinion des hommes et la tenir courbée sous le joug despotique des souverains. Persuadons-nous que nous ne sommes que matière, qu’il n’existe absolument rien hors de nous ; que tout ce que nous attribuons à l’âme n’est qu’un effet tout simple de la matière ; et cela, en dépit de l’orgueil des hommes, qui nous distingue de la bête, tandis que, comme elle, rendant à la matière les éléments qui nous animent, nous ne serons ni plus punis des mauvaises actions où nous auront entraînés les différents genres d’organisation que nous avons reçus de la nature, ni plus récompensés des bonnes, dont nous n’aurons dû l’exercice qu’à un genre d’organisation contraire. Il est donc égal de se bien ou de se mal conduire, eu égard au sort qui nous attend après cette vie ; et si nous sommes parvenus à en passer tous les instants au centre des plaisirs, bien que cette manière d’exister ait pu troubler tous les hommes, toutes les conventions sociales, assurément, si nous nous sommes mis à l’abri des lois, ce qui est la seule chose essentielle, alors, très certainement, nous serons infiniment plus heureux que l’imbécile qui, dans la crainte des châtiments d’une autre vie, se serait interdit rigoureusement dans celle-ci tout ce qui pouvait lui plaire et le délecter ; car il est infiniment plus essentiel d’être heureux dans cette vie, dont nous sommes sûrs, que de renoncer au bonheur certain qui s’offre à nous, dans l’espoir d’en obtenir un, imaginaire, dont nous n’avons et ne pouvons avoir la plus légère idée. Eh ! quel a pu être l’individu assez extravagant, pour essayer de persuader aux hommes qu’ils peuvent devenir plus malheureux après cette vie, qu’ils l’étaient avant de l’avoir reçue ? Sont-ce donc eux qui ont demandé à y venir ? Sont-ce eux qui se sont donné les passions qui, selon votre affreux système, les précipitent dans des tourments éternels ? Eh ! non, non ! ils n’étaient les maîtres de rien, et il est impossible qu’ils puissent jamais être punis de ce qui ne dépendait pas d’eux.

Mais ne suffit-il pas de jeter un coup d’œil sur notre misérable espèce humaine, pour se bien convaincre qu’il n’est rien dans elle qui annonce l’immortalité ? Quoi ! cette qualité divine, disons mieux, cette qualité impossible à la matière, pourrait appartenir à cet animal que l’on appelle un homme ? Celui qui boit, mange, se perpétue comme les bêtes, qui n’a, pour tout bienfait, qu’un instinct un peu plus raffiné, pourrait prétendre à un sort si différent, que celui de ces mêmes bêtes : cela peut-il s’admettre une minute ? Mais l’homme, dit-on, est arrivé à la sublime connaissance de son Dieu : par cela seul, il annonce être digne de l’immortalité qu’il se suppose. Et qu’a-t-elle donc de sublime, cette connaissance d’une chimère, si ce n’est que vous vouliez prétendre que, parce que l’homme est venu à bout de déraisonner sur un objet, il faut absolument qu’il déraisonne sur tous ? Ah ! si le malheureux a quelque avantage sur les animaux, combien ceux-ci n’en ont-ils pas à leur tour sur lui ! À quel plus grand nombre d’infirmités et de maladies n’est-il pas sujet ? De quelle plus grande quantité de passions n’est-il pas victime ? Tout combiné, a-t-il donc bien réellement quelque avantage de plus ? Et ce peu d’avantage peut-il lui donner assez d’orgueil, pour croire qu’il doive éternellement survivre à ses frères ? Ô malheureuse humanité ! à quel degré d’extravagance ton amour-propre t’a-t-il fait parvenir ! Et quand, dégagée de toutes ces chimères, ne verras-tu dans toi-même qu’une bête, dans ton Dieu que le nec plus ultra de l’extravagance humaine, et dans le cours de cette vie, qu’un passage qu’il t’est permis de parcourir au sein du vice comme dans celui de la vertu ?

Mais permettez-moi d’entrer dans une discussion plus profonde et plus épineuse.

Quelques docteurs de l’Église ont prétendu que Jésus descendit aux enfers. Combien de réfutations n’a pas souffert ce passage ! Nous n’entrerons pas dans les différentes dissertations qui ont eu lieu à ce sujet : elles seraient insoutenables, sans doute, à la philosophie, et c’est à elle seule que nous parlons. Il est de fait que ni l’Écriture, ni aucun de ses commentateurs, ne décide positivement, ni sur la place de l’enfer, ni sur les tourments qu’on y éprouve. Cela posé, la parole de Dieu ne nous éclaircit rien, vu que ce que l’Écriture nous apprend doit être positif et distinctement énoncé, surtout quand il s’agit d’un objet de la plus grande importance. Or, il est bien certain qu’il n’y a pas, ni dans le texte hébreu, ni dans les versions grecque et latine, un seul mot qui désigne l’enfer, dans le sens que nous y attachons, c’est-à-dire un lieu de tourments destiné aux pécheurs. Ce témoignage n’est-il pas bien fort, contre l’opinion de ceux qui soutiennent la réalité de ces tourments ? S’il n’est point question de l’enfer dans l’Écriture, de quel droit, je vous prie, prétend-on admettre une pareille notion ? Sommes-nous forcés, en religion, d’admettre autre chose que ce qui est écrit ? Or, si cette opinion ne l’est pas, si elle ne se trouve nulle part, en vertu de quoi l’adopterions-nous ? Nous ne devons point nous occuper l’esprit de ce qui n’a point été révélé ; et tout ce qui n’est pas dans ce cas ne peut légitimement être regardé par nous que comme des fables, des suppositions vagues, des traditions humaines, des inventions de l’imposture. À force de rechercher, on trouve néanmoins qu’il y avait un lieu, près de Jérusalem, nommé la vallée de la Géhenne, dans laquelle on exécutait les criminels, et dans laquelle aussi se jetaient les cadavres des animaux. C’est de ce lieu dont veut parler Jésus dans ses allégories, lorsqu’il dit : Illic erit fletus et stridor dentium. Cette vallée était un lieu de gêne, un lieu de supplice ; et c’est incontestablement d’elle dont il parle dans ses paraboles, dans ses inintelligibles discours. Cette idée est d’autant plus vraisemblable, que le supplice du feu s’employait dans cette vallée. On y brûlait les coupables tout vifs ; d’autres fois on les enfonçait jusqu’aux genoux dans le fumier ; on leur mettait autour du cou une pièce d’étoffe que deux hommes tiraient chacun de leur côté, afin de les étrangler, et de leur faire ouvrir la bouche, dans laquelle on leur versait du plomb fondu qui leur brûlait les entrailles : et voilà le feu, voilà le supplice dont parlait le Galiléen. Ce péché (dit-il souvent) mérite d’être puni par la gêne du feu, c’est-à-dire : l’infracteur doit être brûlé dans la vallée de la Géhenne, ou être jeté à la voirie, et brûlé avec les cadavres des animaux que l’on déposait en ce lieu. Mais le mot éternel, dont Jésus se sert souvent en parlant de ce feu, ne ramène-t-il pas à l’opinion de ceux qui croient que les flammes de l’enfer n’auront point de fin ? Non, sans doute. Ce mot éternel, souvent employé dans l’Écriture, ne nous a néanmoins jamais donné l’idée que des choses finies. Dieu avait fait avec son peuple une alliance éternelle ; et cependant cette alliance a cessé. Les villes de Sodome et de Gomorrhe devaient brûler éternellement ; et cependant il y a bien longtemps que cet incendie a cessé38. D’ailleurs, il est de notoriété publique que le feu qui existait dans la vallée de la Géhenne, près de Jérusalem, brûlait nuit et jour. Nous savons aussi que l’Écriture se sert souvent d’hyperboles, et qu’on ne doit jamais prendre ce qu’elle dit à la lettre. Faut-il, d’après ces exagérations, corrompre, comme on le fait, le véritable sens des choses ? et ne sont-ce pas véritablement de tels amplificateurs qui doivent être regardés comme les plus certains ennemis du bon sens et de la raison ?

Mais de quelle nature est-il donc, ce feu dont on nous menace ? 1° Il ne peut être corporel, puisqu’on nous dit que notre feu n’en est qu’une faible image. 2° Un feu corporel éclaire le lieu où il se trouve, et l’on nous assure que l’enfer est un lieu de ténèbres. 3° Le feu corporel consume promptement toutes les matières combustibles, et finit par se consumer lui-même, au lieu que le feu de l’enfer doit durer toujours et consumer éternellement. 4° Le feu de l’enfer est invisible : il n’est donc point corporel, puisqu’il est invisible. 5° Le feu corporel s’éteint faute d’aliments, et le feu de l’enfer, selon notre absurde religion, ne s’éteindra jamais. 6° Le feu de l’enfer est éternel, et le feu corporel n’est que momentané. 7° On dit que la privation de Dieu sera le plus grand des supplices pour les damnés : cependant, nous éprouvons dans cette vie que le feu corporel est pour nous un beaucoup plus grand supplice que l’absence de Dieu. 8° Enfin un feu corporel ne saurait agir sur les esprits ! Or, les démons sont des esprits : donc le feu de l’enfer ne saurait agir sur eux. Dire que Dieu peut faire en sorte qu’un feu matériel agisse sur des esprits, qu’il fera vivre et subsister ces esprits sans aliments, et qu’il fera durer le feu sans matières combustibles, c’est recourir à des suppositions merveilleuses, qui n’ont pour garant que les sottes rêveries des théologiens, et qui, par conséquent, ne prouvent que leur bêtise ou leur méchanceté.

Conclure de ce que tout est possible à Dieu, que Dieu fera tout ce qui est possible, est sans doute une étrange façon de raisonner. Les hommes devraient bien se garder de fonder leurs rêveries sur la toute-puissance de Dieu, quand ils ne savent pas même ce que c’est que Dieu. Pour éluder ces difficultés, d’autres théologiens nous assurent que le feu de l’enfer n’est pas corporel, mais spirituel. Qu’est-ce, je vous prie, qu’un feu qui n’est point matière ? quelles idées peuvent s’en former ceux qui nous en parlent ? dans quel endroit Dieu leur a-t-il déclaré quelle était la nature de ce feu ? Cependant quelques docteurs, pour concilier les choses, ont dit qu’il était en partie spirituel et en partie matériel. Ainsi, voilà deux feux de différente espèce en enfer : quelle absurdité ! Où la superstition n’est-elle pas obligée d’avoir recours, quand elle veut établir ses mensonges !

Il est inouï le fatras d’opinions ridicules qu’il a fallu de même inventer, quand on a voulu statuer quelque chose de vraisemblable sur un local de ce fabuleux enfer. Le sentiment le plus général avait été qu’il se trouvait dans les régions les plus basses de la terre : mais, où sont, je vous prie, ces régions, dans un globe qui tourne sur lui-même ? D’autres ont dit qu’il était au centre de la terre, c’est-à-dire, à quinze cent lieues de nous. Mais, si l’Écriture a raison, la terre sera détruite : et si elle l’est, où se trouvera l’enfer ? Alors vous voyez dans quel déraisonnement l’on est entraîné, lorsqu’on s’en rapporte aux écarts de l’esprit des autres. Des raisonneurs moins extravagants prétendent, comme je viens de vous le dire, que l’enfer consistait dans la privation de la vue de Dieu ; en ce cas l’enfer commence déjà dans ce monde, car nous n’y voyons point ce Dieu dont il s’agit : nous n’en sommes pourtant pas très affligés, et si vraiment ce Dieu bizarre existait, comme on nous le dépeint, ne doutons pas que ce ne fût à le voir que l’enfer consisterait alors pour les hommes !

Toutes ces incertitudes et le peu d’accord qui subsiste entre les théologiens, vous font voir qu’ils errent dans les ténèbres, et que, comme les gens ivres, ils ne peuvent trouver de point d’appui ; et n’est-il pas néanmoins bien surprenant qu’ils ne puissent s’accorder sur un dogme aussi essentiel, et qu’ils trouvent, disent-ils, si clairement expliqué dans la parole de Dieu ?

Convenez donc, canaille tonsurée, que ce dogme si redoutable est destitué de fondement, qu’il est le produit de votre avarice, de votre ambition, et l’enfant des égarements de votre esprit ; qu’il n’a pour point d’appui que les craintes du vulgaire imbécile à qui vous enseignez à recevoir, sans examen, tout ce qu’il vous plaît de lui dire. Reconnaissez donc enfin que cet enfer n’existe que dans votre cerveau, et que les tourments que l’on y endure sont les inquiétudes dont vous vous plaisez à accabler les mortels qui se laissent guider par vous. Pénétrés de ces principes, renonçons donc pour jamais à une doctrine effrayante pour les hommes, injurieuse pour la Divinité, et que rien, en un mot, ne peut raisonnablement prouver à l’esprit.

Différents arguments s’offrent encore ; je me crois obligée de les combattre.

1° La crainte, dit-on, que tout homme éprouve, au-dedans de lui-même, de quelque châtiment à venir, est une preuve indubitable de la réalité de ce châtiment. Mais cette crainte n’est point innée, elle ne vient que de l’éducation ; elle n’est pas la même dans tous les pays, ni chez tous les hommes ; elle n’existe pas chez ceux dans qui les passions anéantissent tous les préjugés ; la conscience, en un mot, n’est jamais modifiée que par l’habitude.

2° Les païens ont admis le dogme de l’enfer… Non comme nous certainement ; et à supposer qu’ils l’aient admis, puisque nous rejetons leur religion, ne devons-nous pas rejeter de même leurs dogmes ? Mais certes, jamais les païens n’ont cru à l’éternité des peines de l’autre vie ; ils n’ont jamais admis la fable pitoyable de la résurrection des corps, et voilà pourquoi ils les brûlaient, et conservaient leurs cendres dans les urnes. Ils croyaient à la métempsycose, à la transmigration des corps, opinion très vraisemblable, et dans laquelle nous confirment toutes les études de la nature ; mais jamais les païens ne crurent à la résurrection : cette idée absurde appartient tout entière au christianisme, et certes, elle était bien digne de lui. Il paraît constant que c’est dans Platon et dans Virgile que nos docteurs ont puisé les notions des enfers, du paradis et du purgatoire, qu’ils ont ensuite arrangées à leur manière : avec le temps, les rêveries informes de l’imagination des poètes se sont changées en articles de foi.

3° La saine raison prouve le dogme de l’enfer et de l’éternité des peines : Dieu est juste, il doit donc punir les crimes des hommes… Eh ! non, non, jamais la saine raison ne put admettre un dogme qui l’outrage aussi sensiblement.

4° Mais la justice de Dieu y est compromise… Autre atrocité : le mal est nécessaire sur la terre ; il est donc de la justice de votre Dieu, s’il existe, de ne pas punir ce que lui-même a prescrit. S’il est tout-puissant, votre Dieu, avait-il besoin de punir le mal pour l’empêcher ? ne pouvait-il pas l’extirper totalement de chez les hommes ? S’il ne l’a pas fait, c’est qu’il l’a cru essentiel au maintien de l’équilibre ; et, d’après cela, comment, vils blasphémateurs ! pouvez-vous dire que Dieu puisse punir un mode essentiel aux lois de l’univers ?

5° Tous les théologiens s’accordent à croire et à prêcher les peines de l’enfer… Cela prouve-t-il autre chose, sinon que les prêtres, si désunis entre eux, s’entendent cependant, toutes les fois qu’il s’agit de tromper les hommes. Et d’ailleurs, les rêveries ambitieuses et intéressées des prêtres romains doivent-elles fixer les opinions des autres sectes ? Est-il raisonnable d’exiger que tous les hommes croient à ce qu’il a plu aux plus méprisables et au plus petit nombre d’entre eux d’inventer ? faut-il donc plutôt s’en rapporter à ces fourbes qu’à la raison, au bon sens et à la vérité ? C’est la vérité qu’il faut suivre, et non la multitude : il faudrait bien plutôt s’en rapporter à un seul homme qui dit vrai, qu’aux hommes de tous les âges qui débitent des mensonges.

Les autres arguments qui se présentent portent tous un tel caractère de faiblesse, que c’est perdre du temps qu’essayer de les réfuter. Tous ces arguments n’étant appuyés ni sur l’Écriture, ni sur la tradition, doivent nécessairement tomber d’eux-mêmes. On nous allègue le consentement unanime : le peut-on, quand il ne se trouve pas deux hommes qui raisonnent de la même manière sur l’une des choses qui paraît pourtant la plus importante de la vie ?

À défaut de bonnes raisons, tous ces croque-Dieu vous menacent ; mais il y a longtemps que l’on sait que la menace est l’arme du faible et de la simplicité. Ce sont des raisons qu’il nous faut, imbéciles enfants de Jésus, oui, ce sont des raisons, et non pas des menaces. Nous ne voulons pas que vous nous disiez : Vous sentirez ces tourments, puisque vous ne voulez pas les croire ; nous voulons, et c’est ce dont vous ne pouvez venir à bout, que vous nous démontriez en vertu de quoi vous prétendez nous les faire croire.

La crainte de l’enfer, en un mot, n’est point un préservatif contre le péché… Elle n’est véritablement indiquée nulle part… elle n’est visiblement que le fruit de l’imagination déréglée des prêtres, c’est-à-dire des individus qui forment la classe la plus vile et la plus méchante de la société… À quoi sert-elle donc ? Je défie qu’on puisse me le dire. On nous assure que le péché est une offense infinie, et doit être, par conséquent, infiniment puni : cependant Dieu lui-même n’y a voulu attacher qu’un châtiment fini, et ce châtiment est la mort.

Concluons, d’après tout cela, que le dogme puéril de l’enfer est une invention des prêtres, une supposition cruelle, hasardée par des coquins à rabats, qui ont commencé par ériger un Dieu aussi plat, aussi méprisable qu’eux, pour avoir le droit de faire dire à cette dégoûtante idole tout ce qui pouvait le mieux flatter leurs passions, et leur procurer surtout des filles et de l’argent, seuls objets de l’ambition d’un tas de fainéants, vil rebut de la société, et dont ce qu’elle devrait faire de plus sage serait de se purger radicalement39.

Bannissez donc à jamais de vos cœurs une doctrine qui contredit également et votre Dieu et votre raison. Tel est incontestablement le dogme qui a produit le plus d’athées sur la terre, n’y ayant pas un seul homme qui n’aime mieux ne rien croire que d’adopter un fatras de mensonges aussi dangereux ; voilà pourquoi tant d’âmes honnêtes et sensibles se croient forcées de chercher dans l’irréligion absolue des consolations et des ressources contre les terreurs dont l’infâme doctrine chrétienne s’efforce de les accabler. Dégageons-nous donc de ces vaines frayeurs ; foulons à jamais aux pieds les dogmes, les cérémonies, les mystères de cette abominable religion. L’athéisme le plus enraciné vaut mieux qu’un culte dont on vient de voir les dangers. Je ne sais quel inconvénient il peut y avoir à ne rien croire du tout ; mais, certes, je sens bien tous ceux qui peuvent naître de l’adoption de ces dangereux systèmes.

Voilà, mon cher Saint-Fond, ce que j’avais à te dire sur ce dogme infâme de l’enfer. Qu’il cesse de t’effrayer et de glacer tes plaisirs ! Il n’y a d’autre enfer pour l’homme que la sottise et la méchanceté de ses semblables ; mais dès qu’il a fini de vivre, tout est dit : son anéantissement est éternel, et rien ne lui survit. Qu’il serait dupe, d’après cela, de refuser quelque chose à ses passions ! Qu’il songe qu’il n’est créé que pour elles et pour les satisfaire, à quelque excès qu’elles puissent l’entraîner, et que tous les effets de ces passions, de quelque genre qu’on les ait reçues, sont des moyens par lesquels on sert la nature, dont nous sommes perpétuellement les agents sans nous en douter et sans que nous puissions nous en défendre.

Je vous rends maintenant l’idée d’un Dieu dont je ne me suis un moment servie que pour combattre le système des peines éternelles ; mais il n’est pas plus de Dieu que de Diable, pas plus de paradis que d’enfer ; et les seuls devoirs que nous ayons à remplir dans le monde sont ceux de nos plaisirs, abstraction faite de tous intérêts sociaux, parce qu’il n’en est aucun que nous ne devions immoler à l’instant aux plus légers de nos désirs.

En voilà, j’espère, suffisamment pour te prouver l’absurdité du principe sur lequel tu fondes ton inutile cruauté. Examinerai-je ses moyens ? Non, en honneur, ils n’en valent pas la peine : comment as-tu pu croire qu’une signature avec du sang eût d’abord plus d’effet qu’une autre ; qu’ensuite ce papier, fourré dans le cul, c’est-à-dire un peu de matière sur de la matière, pût devenir un passeport auprès de Dieu du Diable, c’est-à-dire auprès d’un être qui n’existe pas. C’est un enchaînement de préjugés si singuliers, que cela ne mérite pas, en vérité, l’honneur d’une réfutation. Remplace l’idée voluptueuse qui t’étouffe la tête, cette idée d’une prolongation de supplice sur le même objet, remplace-la par une plus grande abondance de meurtres : ne tue pas plus longtemps un même individu, ce qui est impossible, mais assassines-en beaucoup d’autres, ce qui est très faisable. Est-il rien de si mesquin que de te borner à six victimes par semaine ? Rapporte-t’en aux soins et à l’intelligence de Juliette pour doubler et tripler ce nombre ; donne-lui l’argent nécessaire : rien ne te manquera, et tes passions seront satisfaites.

— À merveille ! répondit Saint-Fond, cette dernière conclusion, je l’adopte, et de ce moment-ci, Juliette, je vous préviens qu’au lieu de trois victimes par souper, j’en veux six, et qu’au lieu de deux soupers dans le même intervalle, j’en ferai quatre, ce qui portera le nombre des victimes à vingt-quatre par semaine, dont un tiers d’hommes et les deux tiers de femmes : vous serez payée en conséquence. Mais je ne me rends pas, mesdames, aussi facilement à votre profonde dissertation sur la nullité des peines de l’enfer ; je rends justice à l’érudition que l’on y voit régner… à son but… à quelques-unes de ses conséquences : l’admettre, c’est ce que je ne puis, et voici ce que je lui oppose.

Il paraît d’abord que, d’un bout à l’autre de votre raisonnement, vous ne cherchez qu’à disculper Dieu de la barbarie du dogme de l’enfer. Si Dieu existe, dites-vous presque à chaque phrase, les qualités dont il doit être doué sont toutes incompatibles avec cet exécrable dogme. Mais voilà précisément où vous tombez, selon moi, dans la plus lourde erreur, et cela, faute d’une philosophie assez profonde, assez lumineuse pour vous faire voir juste sur cette matière. Le dogme de l’enfer gêne vos plaisirs, et vous partez de là pour soutenir qu’il n’y a point d’enfer : quelle foi voulez-vous qu’on ait dans une opinion si pleine d’égoïsme ? Afin de combattre le dogme certain des peines éternelles, vous commencez gratuitement par détruire tout ce qui l’étaie : il n’y a point de Dieu, nous n’avons point d’âme, donc il ne peut y avoir de supplices à craindre dans une autre vie. Il me semble que vous commencez ici par la plus grande faute que l’on puisse commettre en logique, qui est de supposer ce qui est en question. Bien éloigné de penser comme vous, j’admets un Être suprême, et bien plus constamment encore l’immortalité de nos âmes. Mais que vos dévots, enchantés de ce début, n’aillent point partir de là pour s’imaginer avoir fait un prosélyte de moi : je doute que mes systèmes leur plaisent, et de quelque extravagance que vous puissiez les taxer, je vais néanmoins vous les offrir.

Je lève les yeux sur l’univers, je vois le mal, le désordre et le crime y régner partout en despotes. Je rabaisse mes regards sur l’être le plus intéressant de cet univers, je le vois également pétri de vices, de contradictions, d’infamies : quelles idées résultent de cet examen ? Que ce que nous appelons improprement le mal, ne l’est réellement point, et que ce mode est d’une telle nécessité aux vues de l’être qui nous a créée, qu’il cesserait d’être le maître de son propre ouvrage si le mal n’existait pas universellement sur la terre. Bien convaincu de ce système, je me dis : il existe un Dieu ; une main quelconque a nécessairement créé tout ce que je vois, mais elle ne l’a créé que pour le mal, elle ne se plaît que dans le mal, le mal est son essence, et tout celui qu’elle nous fait commettre est indispensable à ses plans : que lui importe que je souffre de ce mal, pourvu qu’il lui soit nécessaire ? Ne semble-t-il pas que je sois son enfant chéri ! Si les malheurs dont je suis accablé depuis le jour de ma naissance jusqu’à celui de ma mort prouvent son insouciance envers moi, je puis très bien me tromper sur ce que j’appelle mal. Ce que je caractérise ainsi, relativement à moi, est vraisemblablement un très grand bien relativement à l’être qui m’a mis au monde ; et si je reçois du mal des autres, je jouis du droit de le leur rendre, de la facilité même de leur en faire le premier : voilà dès lors le mal un bien pour moi, comme il l’est pour l’auteur de mes jours relativement à mon existence ; je suis heureux du mal que je fais aux autres, comme Dieu est heureux de celui qu’il me fait ; il n’y a plus erreur que dans l’idée attribuée au mot, mais, dans le fait, voilà et le mal nécessaire, et le mal un plaisir : pourquoi dès lors ne l’appellerais-je pas un bien !

N’en doutons pas, le mal, ou du moins ce que nous nommons ainsi, est absolument utile à l’organisation vicieuse de ce triste univers. Le Dieu qui l’a formé est un être vindicatif, très barbare, très méchant, très injuste, très cruel, et cela, parce que la vengeance, la barbarie, la méchanceté, l’iniquité, la scélératesse, sont des modes nécessaires aux ressorts de ce vaste ouvrage, et dont nous ne nous plaignons que quand ils nous nuisent : patients, le crime a tort ; agents, il a raison. Or, si le mal, ou du moins ce que nous nommons tel, est l’essence, et de Dieu qui a tout créé, et des individus formés à son image, comment ne pas être certain que les suites du mal doivent être éternelles ? C’est dans le mal qu’il a créé le monde ; c’est par le mal qu’il le soutient ; c’est par le mal qu’il le perpétue ; c’est imprégnée de mal que la créature doit exister ; c’est dans le sein du mal qu’elle retourne après son existence. L’âme de l’homme n’est que l’action du mal sur une matière déliée, et qui n’est susceptible d’être organisée que par lui : or, ce mode étant l’âme du Créateur comme il est celle de la créature, ainsi qu’il existait avant cette créature qui en est pétrie, il existera de même après elle. Tout doit être méchant, barbare, inhumain comme votre Dieu : voilà les vices que doit adopter celui qui veut lui plaire, sans néanmoins aucun espoir d’y réussir, car le mal qui nuit toujours, le mal qui est l’essence de Dieu, ne saurait être susceptible d’amour ni de reconnaissance. Si ce Dieu, centre du mal et de la férocité, tourmente et fait tourmenter l’homme par la nature et par d’autres hommes pendant tout le temps de son existence, comment douter qu’il n’agisse de même, et peut-être involontairement, sur ce souffle qui lui survit, et qui, comme je viens de vous le dire, n’est autre chose que le mal lui-même ? Mais comment, allez-vous m’objecter, le mal peut-il être tourmenté par le mal ? Parce qu’il s’augmente en retombant sur lui-même, et que la partie admise doit nécessairement être écrasée par la partie qui admet : cela par la raison qui soumet toujours la faiblesse à la force. Ce qui survit de l’être naturellement mauvais, et ce qui doit lui survivre, puisque c’est l’essence de sa constitution existante avant lui, et qui existera nécessairement après, en retombant dans le sein du mal, et n’ayant plus la force de se défendre, parce qu’il deviendra le plus faible, sera donc éternellement tourmenté par l’essence entière du mal, à laquelle il sera réuni ; et ce sont ces molécules malfaisantes qui, dans l’opération d’englober celles que ce que nous appelons la mort réunit à elle, composent ce que les poètes et les imaginations ardentes ont nommé démons. Aucun homme, comme vous le voyez, quelle que soit sa conduite en ce monde, ne peut échapper à ce sort affreux, parce qu’il faut que tout ce qui est émané du sein de la nature, c’est-à-dire du mal, y entre : telle est la loi de l’univers. Ainsi, les détestables éléments de l’homme mauvais s’absorbent dans le centre de la méchanceté, qui est Dieu, pour retourner animer encore d’autres êtres, qui naîtront d’autant plus corrompus, qu’ils seront le fruit de la corruption.

Que deviendra, me direz-vous, l’être bon ? Mais il n’existe point d’être bon ; celui que vous nommez vertueux n’est point bon, ou s’il l’est vis-à-vis de vous, il ne l’est sûrement pas vis-à-vis de Dieu, qui n’est que le mal, qui ne veut que le mal, et qui n’exige que le mal. L’homme dont vous parlez n’est que faible, et la faiblesse est un mal. Cet homme, comme plus faible que l’être absolument et entièrement vicieux, et par conséquent comme plus tôt englobé par les molécules malfaisantes auxquelles sa dissolution élémentaire le réunira, souffrira beaucoup plus : et voilà ce qui doit engager tous les hommes à se rendre en ce monde le plus vicieux, le plus méchant possible, afin que plus semblables aux molécules où ils doivent se rejoindre un jour, ils aient, dans cet acte de réunion, infiniment moins à souffrir de leur poids sur eux. La fourmi, tombant dans un tourbillon d’animaux, qui de son énergie écraserait tout ce qui se joindrait à lui, aurait, par le peu de défense qu’elle opposerait, infiniment plus à souffrir de cette réunion que ne le ferait un gros animal qui, pouvant opposer plus de prise, ne serait entraîné qu’avec plus de mollesse. Plus l’homme aura manifesté de vices et de forfaits en ce monde, plus il se sera rapproché de son invariable fin, qui est la méchanceté ; moins il aura, par conséquent, à souffrir en s’unissant au foyer de la méchanceté, que je regarde comme la matière première de la composition du monde. Que l’homme se garde donc bien de la vertu, s’il ne veut pas être exposé à des maux affreux ; car la vertu étant le mode opposé au système du monde, tous ceux qui l’auront admise sont sûrs d’endurer, après cette vie, d’incroyables supplices, par la peine qu’ils auront à rentrer dans le sein du mal… auteur et régénérateur de tout ce que nous voyons.

Quand vous avez vu que tout était vicieux et criminel sur la terre, leur dira l’Être suprême en méchanceté, pourquoi vous êtes-vous égarés dans les sentiers de la vertu ? Vous annonçai-je par quelque chose que ce monde fût fait pour m’être agréable ? Et les malheurs perpétuels dont je couvrais l’univers ne devaient-ils pas vous convaincre que je n’aimais que le désordre, et qu’il fallait m’imiter pour me plaire ? Ne vous donnai-je pas chaque jour l’exemple de la destruction ? Pourquoi ne détruisiez-vous pas ? Les fléaux dont j’écrasais le monde, en vous prouvant que le mal était toute ma joie, ne devaient-ils pas vous engager à servir mes plans par le mal ? On vous disait que l’humanité devait me satisfaire : et quel est donc l’acte de ma conduite où vous m’ayez vu bienfaisant ? Est-ce en vous envoyant des pestes, des guerres civiles, des maladies, des tremblements de terre, des orages ? Est-ce en secouant perpétuellement sur vos têtes tous les serpents de la discorde, que je vous persuadai que le bien était mon essence ? Imbécile ! que ne m’imitais-tu ? Pourquoi résistais-tu à ces passions que je n’avais placées dans toi que pour te prouver combien le mal m’était nécessaire ? Il fallait suivre leur organe, dépouiller comme moi sans pitié la veuve et l’orphelin, envahir l’héritage du pauvre, faire, en un mot, servir l’homme à tous tes besoins, à tous tes caprices, comme je le fais. Que te revient-il d’avoir pris, comme un sot, une route contraire, et comment les éléments moelleux, émanés de ta dissolution, vont-ils, sans se briser, sans t’occasionner les plus vives douleurs, rentrer maintenant dans le sein de la malfaisance et du crime ?

Plus philosophe que vous, Clairwil, vous le voyez, je n’ai pas recours comme vous, ni à ce polisson de Jésus, ni à ce plat roman de l’Écriture sainte, pour vous démontrer mon système : c’est dans la seule étude de l’univers que je cherche des armes pour vous combattre, et c’est par la seule manière dont il est gouverné, que je vois comme indispensable la nécessité du mal éternel et universel dans le monde. L’auteur de l’univers est le plus méchant, le plus féroce, le plus épouvantable de tous les êtres. Ses œuvres ne peuvent être autre chose, ou que le résultat, ou que le mouvement de la scélératesse. Sans le plus extrême période de la méchanceté, rien ne se soutiendrait dans l’univers ; le mal est cependant un être moral, et non pas un être créé, un être éternel et non périssable : il existait avant le monde ; il constituait l’être monstrueux, exécrable qui put créer un monde aussi bizarre. Il existera donc après les créatures qui peuplent ce monde ; et c’est dans lui qu’elles rentreront toutes, pour recréer d’autres êtres plus méchants encore ; et voilà pourquoi l’on dit que tout se dégrade, que tout se corrompt en vieillissant : cela ne vient que de la rentrée et de la sortie perpétuelle des éléments méchants dans le sein des molécules malfaisantes.

Vous allez me demander peut-être, maintenant, comment même dans cette hypothèse, j’arrange la possibilité de faire souffrir un être plus longtemps au moyen d’un billet introduit dans l’anus ? C’est la chose du monde la plus simple, et j’ose même dire la plus sûre et la moins réfutable : si j’ai bien voulu la nommer faiblesse, c’est que je ne croyais pas que vous me missiez au point de vous dévoiler mes systèmes. Je défends ma méthode maintenant, et j’en prouve la bonté.

Mes victimes arrivées au sein du mal, avec les preuves qu’elles ont souffert dans mes mains tout ce qu’il était possible d’endurer, rentrent alors dans la classe des êtres vertueux ; je les bonifie par mon opération ; elle rend leur adjonction aux molécules malfaisantes d’une difficulté assez grande, pour que les douleurs soient énormes ; et, par des lois d’attraction essentielles à la nature, elles doivent être de la même espèce que celles que je leur aurai fait souffrir en ce monde. Ainsi que l’aimant attire le fer, ainsi que la beauté aiguise les appétits charnels, de même les douleurs A, les douleurs C, les douleurs B, s’appellent, s’enchaînent. L’être exterminé de ma main par la douleur B, je suppose, ne rentrera au sein des molécules malfaisantes que par la douleur B ; et si cette douleur B est la plus affreuse possible, je suis sûr que ma victime en endurera de semblables, en se réunissant au sein du mal qui attend nécessairement tous les hommes, et qui, par les lois d’attraction dont je viens de vous parler, ne les adopte que dans le même sens où elles sont sorties de l’univers ; mais le billet n’est qu’une formalité, j’y consens… inutile peut-être, mais qui satisfait mon esprit et qui ne peut avoir rien de contraire au véritable sens, au succès assuré de mon opération.

— Voilà, reprit Clairwil, le plus étonnant, le plus singulier, j’oserai dire le plus bizarre de tous les systèmes qui se soit encore présenté, sans doute, à l’esprit de l’homme !

— Il est moins extravagant que celui que vous venez de mettre au jour, dit Saint-Fond : vous êtes obligée, pour soutenir le vôtre, ou de laver Dieu de ses torts, ou de le nier ; moi, je l’admets avec tous ses vices, et, certes, aux yeux de ceux qui connaîtront bien tous les crimes, toutes les horreurs de cet être bizarre, que les hommes ne prient et n’appellent bon que par crainte, aux yeux de ces gens-là, dis-je, mes idées paraîtront moins irrégulières que celles que vous avez exposées.

— Ton système, dit Clairwil, ne prend sa source que dans la profonde horreur que tu as pour Dieu.

— Cela est vrai, je l’abhorre ; mais la haine que j’ai pour lui n’a point enfanté mon système : il n’est que le fruit de ma sagesse et de mes réflexions.

— J’aime mieux, dit Clairwil, ne pas croire en Dieu, que de m’en forger un pour le haïr. Qu’en pense Juliette ?

— Profondément athée, répondis-je, ennemie capitale du dogme de l’immortalité de l’âme, je préférerai toujours ton système à celui de Saint-Fond ; j’aime mieux la certitude du néant que la crainte d’une éternité de douleurs.

— Et voilà, dit Saint-Fond, toujours ce perfide égoïsme, qui devient la cause de toutes les erreurs des hommes. On arrange ses plans d’après ses goûts, ses caprices, et toujours en s’éloignant de la vérité. Il faut laisser là les passions, quand on examine un système de philosophie.

— Ah ! Saint-Fond, dit Clairwil, comme il serait aisé de faire voir que le tien n’est que le fruit de ces passions auxquelles tu veux que l’on renonce, en étudiant. Avec moins de cruauté dans le cœur, tes dogmes seraient moins sanguinaires ; et tu aimes mieux encourir toi-même l’éternelle damnation dont tu parles, que de renoncer à la délicieuse jouissance d’en essayer les autres.

— Va, Clairwil, interrompis-je, tel est son seul but en développant ce système : ce n’est qu’une méchanceté de sa part, mais il n’y croit pas.

— Vous vous trompez, j’y crois ; et vous voyez bien que mes actions sont en tout point conformes à ma manière de penser : persuadé que le supplice de la réunion aux molécules malfaisantes sera très médiocre pour l’être aussi malfaisant qu’elles, je me couvre de crimes en ce monde pour avoir moins à souffrir dans l’autre.

— Quant à moi, dit Clairwil, je m’en souille parce qu’ils me plaisent, parce que je les crois une des manières de servir la nature, et que rien ne survivant de moi, il importe bien peu comment je me serai conduite dans ce monde.

Nous en étions là, lorsque nous entendîmes une voiture entrer dans la cour ; on annonça Noirceuil ; il parut, conduisant un jeune homme de seize ans, plus beau que l’Amour même.

— Qu’est-ce ceci ? dit le ministre en venant d’analyser l’enfer, veux-tu me donner l’occasion de le mériter un peu ?

— Il ne tiendra qu’à toi, dit Noirceuil, et tu peux te damner à merveille avec ce bel enfant : je ne l’amène ici que pour cela. Il est le fils de la marquise de Rose, que tu fis mettre, il y a huit jours, à la Bastille, sous un vain prétexte de conspiration qui n’avait, à ce que j’imagine, pour but que de te procurer de l’argent et la jouissance de ce bel enfant. La marquise, sachant nos liaisons, m’a fait implorer : je me suis fait donner un ordre par tes premiers commis pour la voir, et nous avons jasé ce matin. Voici le résultat de ma négociation, dit Noirceuil en poussant le jeune Rose dans les bras du ministre : fous et signe ; j’ai de plus cent mille écus à te remettre.

— Il est joli, dit Saint-Fond, en baisant le jeune homme… extrêmement joli ; mais il arrive dans un bien mauvais moment… nous avons fait des horreurs ; je suis excédé.

— Je suis tranquille sur cela, dit Noirceuil, et tu trouveras dans les charmes de cet enfant tout ce qu’il faudra pour te rendre à la vie.

Rose et Noirceuil, qui n’avaient point soupé, se mirent à table ; dès qu’ils eurent fini, Saint-Fond dit qu’il voulait que je fusse en tiers dans les plaisirs qu’il se promettait avec ce jeune homme, et que Noirceuil coucherait avec Clairwil. Cet arrangement parut plaire à tous deux, et l’on se retira.

— Il me faudra beaucoup de choses, dit Saint-Fond, dès que nous fûmes tous trois seuls, et quelque joli que soit ce bel enfant, je sens que j’aurai beaucoup de peine à bander : déculotte-le moi, Juliette, relève sa chemise sur ses reins, en laissant agréablement tomber sa culotte au bas des cuisses ; j’aime à la folie cette manière d’offrir un cul.

Et comme celui que je présentais était vraiment délicieux, Saint-Fond, pollué par moi, le baise fort longtemps en branlant le vit du jeune homme que nous vîmes bientôt dans le plus brillant état.

— Suce-le, me dit mon amant ; moi je vais le gamahucher ; pendant ce temps-là il faut le faire décharger entre nous deux.

Ensuite Saint-Fond, jaloux du foutre que j’allais pomper, voulut changer de place avec moi, ce qui s’exécuta si bien, qu’à peine eut-il le vit du jeune homme dans la bouche, qu’il se la sentit remplir de la plus abondante éjaculation ; il l’avala.

— Oh ! Juliette, me dit-il, que j’aime à me sustenter de cette agréable nourriture !… c’est de la crème.

Puis, ayant dit à l’enfant de se mettre au lit, et de ne pas s’endormir, surtout, que nous ne l’eussions rejoint, il me fit passer dans son boudoir.

— Juliette, me dit-il, il faut que je t’instruise des particularités d’une affaire dont Noirceuil lui-même n’est pas très au fait. La marquise de Rose, l’une des plus belles femmes de la cour, fut autrefois ma maîtresse, et l’enfant que tu vois ici m’appartient. Il y a deux ans que je suis amoureux de ce jeune homme, sans que jamais la comtesse ait voulu consentir à me le livrer. Mon crédit n’étant pas encore bien assis, je ne voulus rien risquer ; mais voyant dernièrement ma faveur s’élever sur les débris de la sienne, je n’ai plus balancé à la rendre suspecte pour me venger, et d’avoir joui d’elle, et de s’être opposée à ce que je jouisse de son fils. Tu vois qu’elle a peur maintenant, elle me l’envoie, en vérité, dans un moment où, après avoir beaucoup déchargé pour lui depuis dix-huit mois, je ne m’en soucie plus que très médiocrement ; cependant, comme il y a d’assez jolies branches de crimes dans toute cette aventure, je vais les cueillir et m’amuser. Premièrement, je veux bien prendre les cent mille écus de la comtesse, je veux bien foutre son fils : mais pour sa sortie de la Bastille, elle ne se fera jamais que dans un coffre.

— Que veux-tu dire par cette expression

— Elle est claire ; la comtesse ignore que si elle perdait son fils, quoique son parent de fort loin, je serais pourtant son seul héritier : dans un mois, la putain n’existera plus ; et quand j’aurai bien foutu monsieur son cher fils cette nuit, nous lui ferons prendre une tasse de chocolat demain matin qui détournera bientôt en ma faveur l’héritage qu’il aurait pu faire.

— Quelle complication de crimes !

— Tu vois qu’il y a de quoi me faire rentrer là bien mollement dans le sein des molécules malfaisantes !

— Oh ! vous êtes un homme étonnant ! Et la chose en vaut-elle au moins la peine ?

— Cinq cent mille livres de rente, Juliette, et je les gagne avec vingt sous d’arsenic ! Allons, foutre ! tu vois, poursuivit-il en me mettant à la main son vit très dur et très ferme, tu vois l’empire d’une idée criminelle sur mes sens, je n’aurais jamais raté de femme si j’avais été bien sûr de la tuer après.

Le jeune Rose nous attendait ; nous nous couchâmes près de lui. Saint-Fond le couvrit des caresses les plus luxurieuses ; nous le branlâmes, nous le suçâmes, nous le gamahuchâmes, et comme l’imagination agissait fortement, Saint-Fond eut bientôt foutu le bardache. Je lui branlais le trou du cul avec la langue, et, tout énervé qu’il était, sa décharge fut pourtant des plus longues et des plus copieuses. Il exigea de moi de me la faire rendre dans la bouche : ce libertinage me plaisait excessivement, je souscrivis à tout. Il fallut ensuite que le jeune Rose m’enculât pendant qu’il le foutait une seconde fois, et puis Saint-Fond me traita de même, en gamahuchant le cul du jeune homme, que nous finîmes par épuiser à force de le faire décharger ou dans nos bouches ou dans nos culs. Vers la pointe du jour, Saint-Fond, dégoûté sans être satisfait, m’ordonna de lui tenir l’enfant, et il lui déchira les fesses à coups de martinet ; ensuite, il le battit et le molesta cruellement. Sur les onze heures, le chocolat se servit ; j’eus soin, par les ordres du ministre, de jeter ce qui devait assurer l’héritage à mon amant ; et lui, par un insigne raffinement de cruauté, voulut, pendant que je préparais le poison du fils, donner l’ordre au commandant de la Bastille d’administrer celui de la mère.

— Allons, me dit Saint-Fond dès qu’au moyen de nos fourberies la mort se fut introduite dans les veines de ce malheureux enfant, allons, voilà ce que j’appelle une bonne matinée : que l’Être suprême des malfaisances daigne m’en envoyer seulement quatre comme celle-là par semaine, et je le remercierai de tout mon cœur.

Noirceuil déjeunait toujours avec Clairwil en nous attendant ; aucun de nos secrets ne fut révélé, et le ministre repartit pour Paris avec l’enfant et son ami ; Clairwil me ramena seule.

Pour ne plus revenir sur cette aventure, vous saurez, mes amis, que ce crime, comme tous ceux de Saint-Fond, fut couronné du plus grand succès ; peu de temps après, il fut en possession d’un héritage, du revenu duquel il voulut bien me compter deux années d’avance pour avoir partagé son crime.

Chemin faisant, Clairwil me fit quelques questions, que j’eus l’art d’éluder, sans la satisfaire ; déguiser les actes luxurieux fût devenu inutile : elle ne m’aurait pas crue ; mais je dissimulai le reste, et Saint-Fond m’en sut gré. Je profitai de cette route pour rappeler à mon amie la promesse qu’elle m’avait faite de m’admettre dans son club libertin ; elle me promit que cette réception aurait lieu à la première assemblée, et nous nous quittâmes.



Tome septième



Il est temps, mes amis, de vous parler un peu de moi, surtout de vous peindre mon luxe, fruit des plus terribles débauches, afin que vous puissiez le comparer à l’état d’infortune où se trouvait ma sœur, pour s’être avisée d’être sage. Vous tirerez de ces rapprochements les conséquences que votre philosophie vous suggérera.

Le train de ma maison était énorme. Vous devez vous en douter, en voyant toutes les dépenses que j’étais obligée de faire pour mon amant. Mais, en laissant à part la multitude des choses exigées pour ses plaisirs, il me restait à moi un hôtel superbe à Paris, une terre délicieuse au-dessus de Sceaux, une petite maison des plus voluptueuses à la Barrière-Blanche, douze tribades, quatre femmes de chambre, une lectrice, deux veilleuses, trois équipages, dix chevaux, quatre valets choisis à la supériorité du membre, tout le reste des attributs d’une très grande maison, et, pour moi seule, plus de deux millions à manger par an, ma maison payée.

Voulez-vous ma vie maintenant ?

Je me levais tous les jours à dix heures. Jusqu’à onze, je ne voyais que mes amis intimes ; depuis lors, jusqu’à une heure, grande toilette, à laquelle assistaient tous mes courtisans ; à une heure précise, je recevais des audiences particulières pour les grâces que l’on avait à me demander, ou le ministre, quand il était à Paris. À deux heures, je volais à ma petite-maison, où d’excellentes entremetteuses me faisaient trouver régulièrement tous les jours quatre hommes et quatre femmes, avec qui je donnais la plus ample carrière à mes caprices. Pour que vous ayez une idée des objets que j’y recevais, qu’il vous suffise de savoir qu’il n’y entrait aucun individu qui ne me coûtât vingt-cinq louis au moins, et souvent le double. Aussi n’imagine-t-on pas ce que j’avais de délicieux et de rare dans l’un et l’autre sexe : j’y ai vu plus d’une fois des femmes et des filles de la première naissance, et je puis dire avoir goûté dans cette maison des voluptés bien douces et des plaisirs bien recherchés. Je rentrais à quatre heures, et dînais toujours avec quelques amis. Je ne vous parle point de ma table : aucune maison de Paris n’était servie avec autant de splendeur, de délicatesse et de profusion ; il n’était jamais rien d’assez beau ni d’assez rare. L’extrême intempérance que vous me voyez doit, je crois, vous faire bien juger de cet objet. Je place l’une de mes plus grandes voluptés dans ce léger vice, et j’imagine que sans les excès de celui-là, on ne jouit jamais bien des autres. J’allais ensuite au spectacle, ou je recevais le ministre, si c’était ses jours.

À l’égard de ma garde-robe, de mes bijoux, de mes économies, de mon mobilier, quoiqu’il y eût à peine deux ans que je fusse avec M. de Saint-Fond, je ne vous dirai point trop, en évaluant ces objets à plus de quatre millions, dont deux en or dans ma cassette, devant lesquels j’allais quelquefois, à l’instar de Clairwil, me branler le con en déchargeant sur cette idée singulière : J’aime le crime, et voilà tous les moyens du crime à ma disposition. Oh ! mes amis, qu’elle est douce, cette idée, et que de foutre elle m’a fait perdre ! Désirais-je un nouveau bijou, une nouvelle robe ? Mon amant, qui ne voulait pas me voir trois fois de suite les mêmes choses, me satisfaisait à l’instant, et tout cela sans exiger autre chose de moi que du désordre, de l’égarement, du libertinage, et les soins les plus excessifs aux arrangements de ses débauches journalières. C’était donc en flattant mes goûts que tous mes goûts se trouvaient servis, c’était en me livrant à toute l’irrégularité de mes sens que mes sens se trouvaient enivrés.

Mais dans quelle situation morale tant d’aisance m’avait-elle placée ? Voilà ce que je n’ose dire, mes amis, et ce dont il faut pourtant que je convienne avec vous. L’extrême libertinage dans lequel je me plongeais tous les jours avait tellement engourdi les ressorts de mon âme, qu’aidée des pernicieux conseils dont j’étais abreuvée de toutes parts, je n’aurais pas, je crois, détourné un sol de mes trésors pour rendre la vie à un malheureux. À peu près vers ce temps, une disette affreuse se fit sentir dans les environs de ma terre ; tous les habitants furent à la plus grande détresse : il y eut des scènes affreuses, des filles entraînées dans le libertinage, des enfants abandonnés et plusieurs suicides. On vint implorer ma bienfaisance : je tins ferme, et colorai très impertinemment mes refus, des dépenses énormes auxquelles m’avaient entraînée mes jardins. Peut-on donner l’aumône, disais-je insolemment, quand on fait faire des boudoirs de glaces au fond de ses bosquets, et qu’on garnit mes allées de Vénus, d’Amours et de Saphos ? En vain offrait-on à mes regards tranquilles tout ce qu’on imaginait de plus propre à toucher ma sensibilité : des mères éplorées, des enfants nus, des spectres dévorés par la faim ; rien ne m’ébranlait, rien ne sortait mon âme de son assiette ordinaire, et l’on n’obtenait jamais de moi que des refus. Ce fut alors qu’en me rendant compte de mes sensations, j’éprouvai, ainsi que me l’avaient annoncé mes instituteurs, au lieu du sentiment pénible de la pitié, une certaine commotion produite par le mal que je croyais faire en rejetant ces malheureux, et qui fit circuler dans mes nerfs une flamme à peu près semblable à celle qui nous brûle, chaque fois que nous brisons un frein ou que nous subjuguons un préjugé. Je conçus dès lors combien il pouvait devenir voluptueux de mettre ces principes en action ; et ce fut de ce moment, que je sentis bien qu’aussitôt que le spectacle de l’infortune causée par le sort pouvait être d’une sensualité si parfaite sur des âmes disposées ou préparées par des principes comme ceux que l’on m’inculquait, le spectacle de l’infortune causée par soi-même devait améliorer cette jouissance ; et comme vous savez que ma tête va toujours bien loin, vous n’imaginez pas ce que je conçus de possible et de délicieux sur cela. Le raisonnement était simple : je sentais du plaisir au seul refus de mettre l’infortune dans une situation heureuse ; que n’éprouverais-je donc pas si j’étais moi-même la cause première de cette infortune ? S’il est doux de s’opposer au bien, me disais-je, il doit être délicieux de faire le mal. Je rappelai, je flattai cette idée dans ces moments dangereux où le physique s’embrase aux voluptés de l’esprit, instants où l’on se refuse d’autant moins qu’alors rien ne s’oppose à l’irrégularité des vœux ou à l’impétuosité des désirs, et que la sensation reçue n’est vive qu’en raison de la multitude des freins que l’on brise, et de leur sainteté. Le songe évanoui, si l’on redevenait sage, l’inconvénient serait médiocre : c’est l’histoire des torts de l’esprit, on sait bien qu’ils n’offensent personne ; mais on va plus loin, malheureusement. Que sera-ce, ose-t-on se dire, que la réalisation de cette idée, puisque son seul frottement sur mes nerfs vient de les émouvoir si vivement ? On vivifie la maudite chimère, et son existence est un crime.

Il y avait, à un quart de lieue de mon château, une malheureuse chaumière appartenant à un paysan fort pauvre qui se nommait Martin Des Granges, père de huit enfants, et possédant une femme que l’on pouvait appeler un trésor par sa sagesse et son économie. Croiriez-vous que cet asile du malheur et de la vertu excita ma rage et ma scélératesse ! Il est donc vrai que c’est une chose délicieuse que le crime ; il est donc certain que c’est au feu dont il nous embrase que s’allume le flambeau de la lubricité… qu’il suffit seul à l’éveiller en nous, et que pour donner à cette délicieuse passion tout le degré d’activité possible sur nos nerfs, il n’est besoin que du crime seul.

Elvire et moi, nous avions apporté du phosphore de Boulogne, et j’avais chargé cette fille leste et spirituelle d’amuser toute la famille, pendant que je fus le placer adroitement dans la paille d’un grenier qui se trouvait au-dessus de la chambre de ces malheureux. Je reviens, les enfants me caressent, la mère me raconte avec bonhomie tous les petits détails de sa maison, le père veut que je me rafraîchisse, il s’empresse à me recevoir de son mieux… Rien de tout cela ne me désarme, je ne suis attendrie par rien ; je m’interroge, et loin de cette fastidieuse émotion de la pitié, je n’éprouve qu’un chatouillement délicieux dans toute mon organisation : le plus chétif attouchement m’aurait fait décharger dix fois. Je redouble mes caresses à toute cette intéressante famille, dans le sein de laquelle je viens apporter le meurtre ; ma fausseté est au comble, plus je trahis, et mieux je bande. Je donne des rubans à la mère, des bonbons aux enfants. Nous revenons, mais mon délire est tel que je ne puis rentrer chez moi sans prier Elvire de soulager l’état terrible dans lequel je suis. Nous nous enfonçons dans un taillis, je me trousse, j’écarte les cuisses… elle me branle… À peine m’a-t-elle touchée que je décharge ; jamais encore je ne m’étais trouvée dans un égarement si terrible ; Elvire, qui ne se doutait de rien, ne savait comment interpréter l’état où elle me voyait.

— Branle… branle… lui dis-je en suçant sa bouche, je suis dans une prodigieuse agitation ce matin ; donne-moi ton con, que je le chatouille aussi, et noyons-nous dans des flots de foutre.

— Et qu’est-ce donc que madame vient de faire ?

— Des horreurs… des atrocités, et le sperme coule bien délicieusement lorsque ses flots s’élancent au sein de l’abomination. Branle-moi donc, Elvire, il faut que je décharge.

Elle se glisse entre mes jambes, elle me suce…

— Oh, foutre ! lui criai-je, que tu as raison : tu vois que j’ai besoin des grands moyens, tu les emploies…

Et j’inonde ses lèvres.

Nous rentrâmes ; j’étais dans un état qui ne peut se peindre, il me semblait que tous les désordres, tous les vices s’armaient à la fois pour venir débaucher mon cœur, je me sentais dans une espèce d’ivresse, dans une sorte de rage : il n’était rien que je n’eusse fait, aucune luxure dont je ne me fusse souillée. J’étais désolée de n’avoir atteint qu’une si petite portion de l’humanité ; j’aurais voulu que la nature entière eût pu se ressentir des égarements de ma tête. Je fus me jeter nue sur le sopha d’un de mes boudoirs, et j’ordonnai à Elvire de m’amener tous mes hommes, en leur recommandant de faire de moi tout ce qu’ils voudraient, pourvu qu’ils m’invectivassent et me traitassent comme une putain. Je fus maniée, pelotée, battue, souffletée ; mon con, mon cul, mon sein, ma bouche, tout servit : je désirais avoir vingt autels de plus à présenter à leur offrande. Quelques-uns amenèrent des camarades que je ne connaissais pas : je ne refusai rien, je me rendis la coquine de tous, et je perdis des torrents de foutre au milieu de toutes ces luxures. Un de ces grossiers libertins (je leur avais tout permis) s’avise de dire que ce n’était pas sur des canapés qu’il voulait me foutre, mais dans la fange… Je me laisse traîner par lui sur un tas de fumier, et me prostituant là comme une truie, je l’excite à m’humilier davantage encore. Le vilain le fait, et ne me quitte qu’après m’avoir chié sur le visage… Et j’étais heureuse ; plus je me vautrais dans l’ordure et dans l’infamie, plus ma tête s’embrasait de luxure, et plus augmentait mon délire. En moins de deux heures, je fus foutue plus de vingt coups, pendant qu’Elvire me branlait toujours… et rien… non, rien n’apaisait l’état cruel où me plongeait l’idée du crime que je venais de commettre.

Remontée dans mon boudoir, nous apercevons l’atmosphère éclaircie.

— Oh ! madame, me dit Elvire en ouvrant une fenêtre, regardez donc… le feu… le feu où nous avons été ce matin !

Et je tombe, presque évanouie…

Restée seule avec cette belle fille, je la conjure de me branler encore.

— Sortons, lui dis-je, je crois que j’entends des cris, allons savourer ce délicieux spectacle, Elvire : il est mon ouvrage, viens t’en rassasier avec moi… Il faut que je voie tout, il faut que j’entende tout, je ne veux pas que rien m’échappe.

Nous sortons toutes deux, échevelées, froissées, enivrées ; nous ressemblions à des bacchantes. À vingt pas de cette scène d’horreur, derrière un petit tertre qui nous déguisait aux regards des autres sans nous empêcher de rien voir, je retombe dans les bras d’Elvire, presque autant agitée que moi. Nous nous branlons à la lueur des flammes homicides qu’allumait ma férocité, aux cris aigus du malheur et du désespoir que faisait pousser ma luxure, et j’étais la plus heureuse des femmes.

Nous nous levons enfin pour analyser mon forfait. Je vois avec douleur que deux victimes me sont échappées ; je reconnais les autres cadavres, je les retourne avec le pied.

— Ces individus vivaient ce matin, me dis-je, j’ai tout détruit dans quelques heures… tout cela pour perdre mon foutre… Et voilà donc ce que c’est que le meurtre : un peu de matière désorganisée, quelques changements dans les combinaisons, quelques molécules rompues et replongées dans le creuset de la nature, qui les rendra dans quelques jours sous une autre forme à la terre ; et où donc est le mal à cela ? Si j’ôte la vie à l’un, je la donne à l’autre : où est donc l’offense que je lui fais ?

Cette petite révolte de mon esprit contre mon cœur ébranla vivement les globules électriques de mes nerfs… et mon con mouille encore une fois les doigts de ma tribade. Si j’avais été toute seule, je ne sais pas, d’honneur, jusqu’où j’aurais porté les effets de mon dérèglement. Aussi cruelle que les Caraïbes, j’aurais peut-être dévoré mes victimes ; elles étaient là, jonchées… Le père et l’un de ses enfants s’étaient seuls échappés ; la mère et les sept autres étaient sous mes yeux ; et je me disais en les observant, en les touchant même : C’est moi qui viens de consommer ces meurtres, ils sont mon unique ouvrage ; et je déchargeais encore… Pour la maison, il n’en restait plus de vestiges, à peine se doutait-on de la place qu’elle avait occupée.

Eh bien ! croiriez-vous, mes amis, que lorsque je racontai cette histoire à Clairwil, elle m’assura que je n’avais fait qu’effleurer le crime, et que je m’étais conduite comme une poltronne ?

— Il y a trois ou quatre fautes graves, me dit-elle, dans l’exécution de cette aventure. Premièrement (et je vous rends tout ceci pour que vous jugiez mieux le caractère de cette étonnante femme), premièrement, tu as manqué de conduite, et si malheureusement quelqu’un fût venu, à ton désordre, à tes mouvements, on t’aurait jugée criminelle. Prends garde à cette faute : tout ce que tu voudras d’ardeur au-dedans, mais le plus grand flegme au-dehors. Quand tu resserreras ainsi les effets lubriques, ils auront plus d’activité. Deuxièmement, ta tête n’a pas conçu la chose en grand ; car tu conviendras qu’ayant sous tes fenêtres un bourg immense de sept ou huit gros villages aux environs, il y a de la sagesse… de la pudeur, à n’aller s’égarer que sur une seule maison et dans un endroit bien isolé… de crainte que les flammes, en se propageant, n’augmentent l’étendue de ton petit forfait : on voit que tu as frémi en exécutant.

Voilà donc une jouissance manquée, car celles du crime ne veulent pas de restriction. Je les connais : si l’imagination n’a pas tout conçu, si la main n’a pas tout exécuté, il est impossible que le délire ait été complet, parce qu’il reste toujours un remords : Je pouvais faire davantage, je ne l’ai pas fait. Et les remords de la vertu sont pis que ceux du crime. Lorsqu’on est dans le train de la vertu et que l’on fait une mauvaise action, on imagine toujours que la multitude des bonnes œuvres effacera cette tache : et comme on se persuade aisément ce qu’on désire, on finit par se calmer. Mais celui qui, comme nous, s’achemine à grands pas dans la carrière du vice, ne se pardonne jamais une occasion manquée, parce que rien ne le dédommage ; la vertu ne vient pas à son secours, et la résolution qu’il forme de faire quelque chose de pis, en échauffant davantage sa tête sur le mal, ne le consolera sûrement pas de l’occasion qu’il a manquée d’en faire.

À ne considérer ton plan, d’ailleurs, que dans le rétréci, poursuivit Clairwil, il y a encore une grande faute, car j’aurais fait poursuivre Des Granges, moi. Il était dans le cas d’être brûlé comme incendiaire, et tu sens bien qu’à ta place, je ne l’aurais sûrement pas manqué. Quand le feu prend à la maison d’un homme en sous-ordre, comme celui-là dans ta terre, ne sais-tu donc pas que tu es en droit de faire vérifier par tes gens de justice si ce n’est pas lui qui est coupable. Qui t’a dit que cet homme ne voulait pas se défaire de sa femme et de ses enfants, pour aller gueuser hors du pays ? Dès qu’il tournait le dos, il fallait le faire arrêter comme fuyard et comme incendiaire, le livrer à la justice. Avec quelques louis, tu trouvais des témoins. Elvire elle-même t’en servait : elle déposait que, le matin, elle avait vu cet homme errer dans son grenier, d’un air insensé ; qu’elle l’avait interrogé, qu’il n’avait pu répondre à ses questions ; et dans huit jours on serait venu te donner le spectacle voluptueux de brûler ton homme à ta porte. Que cette leçon te serve, Juliette : ne conçois jamais le crime sans l’étendre, et quand tu es dans l’exécution, embellis encore tes idées.

Voilà, mes amis, les cruelles additions que Clairwil eût désiré me voir mettre au délit que je lui avouais, et je ne vous cache pas que, profondément frappée de ses raisons, je me promis bien de ne plus retomber dans des fautes si graves. La fuite du paysan me désolait surtout, et je ne sais ce que j’aurais donné pour le voir rôtir à ma porte ; je ne me suis jamais consolée de cette fuite.

Enfin, le jour de ma réception au club de Clairwil arriva. On appelait cette réunion : La Société des Amis du Crime. Dès le matin, mon introductrice m’apporta les statuts de l’assemblée. Je les crois assez curieux pour vous les montrer ; les voici :


STATUTS DE LA SOCIÉTÉ DES AMIS DU CRIME


La Société se sert du mot crime pour se conformer aux usages reçus, mais elle déclare qu’elle ne désigne ainsi aucune espèce d’action, de quelque sorte qu’elle puisse être.

Pleinement convaincue que les hommes ne sont pas libres, et qu’enchaînés par les lois de la nature, ils sont tous esclaves de ces lois premières, elle approuve tout, elle légitime tout, et regarde comme ses plus zélés sectateurs ceux qui, sans aucun remords, se seront livrés à un plus grand nombre de ces actions vigoureuses que les sots ont la faiblesse de nommer crimes, parce qu’elle est persuadée qu’on sert la nature en se livrant à ces actions, qu’elles sont dictées par elle, et que ce qui caractériserait vraiment un crime, serait la résistance que l’homme apporterait à se livrer à toutes les inspirations de la nature, de telle espèce qu’elles puissent être. En conséquence, la Société protège tous ses membres ; elle leur promet à tous, secours, abri, refuge, protection, crédit, contre les entreprises de la Loi ; elle prend sous sa sauvegarde tous ceux qui l’enfreignent, et se regarde comme au-dessus d’elle, parce que la Loi est l’ouvrage des hommes, et que la Société, fille de la nature, n’écoute et ne suit que la nature.

1° Il n’y aura aucune distinction parmi les individus qui composent la Société. Non qu’elle croie tous les hommes égaux aux yeux de la nature (elle est loin de ce préjugé populaire, fruit de la faiblesse et de la fausse philosophie), mais elle est persuadée que toute distinction serait gênante dans les plaisirs de la Société, et qu’elle les troublerait nécessairement tôt ou tard40.

2° L’individu qui veut être reçu dans la Société doit renoncer à toute religion, de quelque espèce qu’elle puisse être. Il doit s’attendre à des épreuves qui constateront son mépris pour ces cultes humains et leur chimérique objet. Le plus petit retour de sa part à ces bêtises lui vaudra sur-le-champ l’exclusion.

3° La Société n’admet point de Dieu ; il faut faire preuve d’athéisme pour y entrer. Le seul Dieu qu’elle connaisse est le plaisir ; elle sacrifie tout à celui-là ; elle admet toutes les voluptés imaginables, elle trouve bon tout ce qui délecte ; toutes les jouissances sont autorisées dans son sein ; il n’en est aucune qu’elle n’encense, aucune qu’elle ne conseille et ne protège.

4° La Société brise tous les nœuds du mariage et confond tous ceux du sang. On doit jouir indifféremment, dans ses foyers, de la femme de son prochain comme de la sienne, de son frère, de sa sœur, de ses enfants, de ses neveux, comme de ceux des autres. La plus légère répugnance à ces règles est un titre puissant d’exclusion.

5° Un mari est obligé de faire recevoir sa femme ; un père, son fils ou sa fille ; un frère, sa sœur ; un oncle, son neveu ou sa nièce, etc.

6° On ne reçoit personne dans la Société qui ne prouve au moins vingt-cinq mille livres de rente, attendu que les dépenses annuelles sont de dix mille francs par individu. Sur cette masse, se prennent toutes les dépenses de la maison, celles du loyer, des sérails, des voitures, des bureaux, des assemblées, des soupers, de l’illumination. Et quand le trésorier a de l’argent de reste au bout de l’année, il le partage entre les frères ; si les dépenses ont excédé la recette, on se cotise pour rembourser le trésorier, toujours cru sur sa parole.

7° Vingt artistes ou gens de lettres seront reçus au prix modique de mille livres par an. La Société, protectrice des arts, veut leur décerner cette déférence ; elle est fâchée que ses moyens ne lui permettent pas d’admettre à ce médiocre prix un beaucoup plus grand nombre d’hommes dont elle fera toujours tant d’estime.

8° Les amis de cette Société, unis comme on l’est au sein d’une famille, partagent toutes leurs peines comme tous leurs plaisirs ; ils s’aident et se secourent mutuellement dans toutes les différentes situations de la vie ; mais toutes aumônes, charités, secours donnés aux veuves, orphelins ou indigents sont absolument défendus, et dans la Société et aux personnes de la Société ; tout membre seulement soupçonné de ces prétendues bonnes œuvres sera exclu.

9° Il y aura toujours en réserve une somme de trente mille livres pour l’utilité d’un membre que la main du sort aurait plongé dans quelque mauvais cas.

10° Le président est élu au scrutin, et n’est jamais qu’un mois en exercice ; il est pris, tantôt dans un sexe, tantôt dans un autre, et préside douze assemblées (il y en a trois par semaine) ; son unique emploi est de faire respecter les lois de la Société, de maintenir la correspondance exécutée par un comité permanent dont le président est le chef. Le trésorier et les deux secrétaires de l’assemblée sont membres de ce comité, mais les secrétaires se renouvellent tous les mois, comme le président.

11° Chaque séance s’ouvre par un discours, ouvrage de l’un des membres ; l’esprit de ce discours est contraire aux mœurs et à la religion ; s’il en mérite la peine, il est imprimé sur-le-champ aux frais de la Société, et mis dans ses archives.

12° Dans les heures consacrées à la jouissance, tous les frères et toutes les sœurs seront nus ; ils se mêlent, ils jouissent indistinctement, et jamais un refus ne pourra soustraire un individu aux plaisirs d’un autre. Celui qui sera choisi doit se prêter, doit tout faire : n’a-t-il pas le même droit, l’instant d’après ? Un individu qui se refuserait aux plaisirs de ses frères, y serait contraint par la force, et chassé après.

13° Dans le sein de l’assemblée, aucune passion cruelle, excepté le fouet, donné simplement sur les fesses, ne pourra s’exercer, il est des sérails dépendant de la Société et dans lesquels les passions féroces pourront avoir le cours le plus entier ; mais au sein de ses frères, il ne faut que des voluptés crapuleuses, incestueuses, sodomites et douces.

14° La plus grande confiance est établie parmi les frères ; ils doivent entre eux s’avouer leurs goûts, leurs faiblesses, jouir de leurs confidences, et y trouver un aliment de plus à leurs plaisirs. Un être qui trahirait les secrets de la Société, ou qui reprocherait à l’un de ses frères les faiblesses ou les passions qui font le bonheur de sa jouissance, serait exclu sur-le-champ.

15° Près de la salle publique des jouissances, sont les cabinets secrets où l’on peut se retirer pour se livrer solitairement à toutes les débauches du libertinage ; on peut y passer en tel nombre que l’on veut. On y trouve tout ce qui est nécessaire, et, dans chacun, une jeune fille et un jeune garçon prête à exécuter toutes les passions des membres de la Société, et même celles qui ne sont permises que dans l’intérieur des sérails, parce que ces enfants étant de la même espèce que ceux que l’on livre aux sérails, et en dépendant même, peuvent être traités comme eux.

16° Tous les excès de table sont autorisés ; on donnera tout secours et toute assistance à un frère qui s’y sera livré ; tous les moyens possibles sont fournis dans l’intérieur pour y satisfaire.

17° Aucune flétrissure juridique, aucun mépris public, aucune diffamation n’empêchera d’être reçu dans la Société. Ses principes étant basés sur le crime, comment ce qui vient du crime pourrait-il jamais entraver ! Ces individus, rejetés du monde, trouveront des consolations et des amis dans une Société qui les considérera et les admettra toujours de préférence. Plus un individu sera mésestimé dans le monde, plus il plaira à la Société ; ceux de ce genre seront élus présidents dès le même jour de leur réception, et admis dans les sérails sans noviciat.

18° Il y a une confession publique aux quatre grandes assemblées générales, lesquelles se tiennent aux époques appelées par les catholiques les quatre plus grandes fêtes de l’année. Là, chacun est obligé d’avouer, à haute et intelligible voix, généralement tout ce qu’il a fait ; si sa conduite est pure, il est blâmé ; on le comble de louanges, si elle est irrégulière ; est-elle horrible, s’est-il couvert de forfaits et d’exécrations ? il est récompensé, mais, dans ce cas, il doit produire des témoins. Les prix s’élèvent toujours à deux mille francs, toujours pris sur la masse.

19° Le local de la Société, qui ne doit être connu que de ses membres, est d’une grande beauté ; de superbes jardins l’environnent. L’hiver il y a grand feu dans les salles. L’heure de la réunion est depuis cinq heures du soir jusqu’à midi du lendemain. Vers minuit, on y sert un superbe repas, et des rafraîchissements tout le reste du temps.

20° Tous les jeux possibles sont défendus dans la Société ; occupée de délassements plus agréables à la nature, elle dédaigne tout ce qui s’écarte des divines passions du libertinage, les seules en possession d’électriser l’homme.

21° Le récipiendaire, de quelque sexe qu’il soit, est, pendant un mois, au noviciat ; il est tout ce temps aux ordres de la Société ; il en est comme le plastron, et ne peut pas entrer aux sérails, ni être admis à aucune place. Il y a peine de mort prononcée contre lui, s’il s’avisait de se refuser à telles propositions qui pourraient lui être faites.

22° Toutes les places s’élisent au scrutin secret ; les cabales sont sévèrement défendues. Ces places sont : celle de la présidence, les deux du secrétariat, celle de la censure, celles des deux directions des sérails, celle du trésorier, du maître d’hôtel, des deux médecins, des deux chirurgiens, de l’accoucheur, de la direction de la secrétairerie, dont le chef a sous lui les écrivains, les imprimeurs, le réviseur et le censeur des ouvrages, et l’inspecteur général des billets d’entrée.

23° On ne reçoit point de sujets au-delà de quarante ans pour les hommes, et de trente-cinq pour les femmes ; mais ceux qui vieillissent dans la Société peuvent y rester toute leur vie.

24° Tout membre que l’on n’aura pas vu d’un an dans la Société en sera exclu, sans que ses emplois publics ou ses charges puissent légitimer ses absences.

25° Tout ouvrage contre les mœurs ou la religion, présenté par un membre de la Société, soit qu’il l’ait composé ou non, sera sur-le-champ déposé à la bibliothèque de la maison, et l’on récompensera celui qui l’aura offert, en raison du mérite de l’ouvrage et de la part qu’il y aura prise.

26° Les enfants faits dans la Société seront aussitôt placés dans la maison du noviciat des sérails, pour en devenir membres, dès qu’ils auront atteint l’âge de dix ans pour les garçons, de sept pour les filles. Mais une femme ou une fille qui serait sujette à faire des enfants, serait promptement exclue : la propagation n’est nullement l’esprit de la Société ; le véritable libertinage abhorre la progéniture ; la Société le réprime donc. Les femmes dénonceront les hommes assujettis à cette manie, et si l’on les reconnaît incorrigibles, ils seront également priés de se retirer bientôt.

27° Les fonctions du président sont de veiller à la police générale de l’assemblée. Il a sous lui le censeur ; tous deux doivent maintenir le calme, la tranquillité, les caprices des agents, la soumission des patients, le silence, modérer les rires, les conversations, tout ce qui n’est pas enfin dans l’esprit du libertinage, ou tout ce qui y nuit. Il a, pendant sa présidence, la grande inspection sur les sérails. Dans le cours de sa séance, il ne peut quitter le bureau sans s’y faire remplacer par son devancier.

28° Les jurements, et surtout les blasphèmes, sont autorisés ; on peut les employer à tous propos. On ne doit jamais se parler entre soi qu’en se tutoyant.

29° Les jalousies, les querelles, les scènes ou propos d’amour, sont absolument défendus : tout cela nuit au libertinage, et l’on ne doit s’occuper là que de libertinage.

30° Tout tapageur, tout duelliste, sera exclu sans miséricorde. La poltronnerie y sera révérée comme à Rome : le poltron vit en paix avec les hommes ; il est d’ailleurs assez communément libertin, c’est le sujet qu’il faut à la Société.

31° Jamais le nombre des membres ne pourra être au-dessus de quatre cents, et l’on le maintiendra toujours le plus possible en égalité de sexe.

32° Le vol est permis dans l’intérieur de la Société, mais le meurtre ne l’est que dans les sérails.

33° Un membre n’aura pas besoin d’apporter les meubles nécessaires au libertinage : la maison fournira ces objets avec abondance, choix et propreté.

34° Nulles infirmités dégoûtantes ne seront souffertes. Quelqu’un qui se présenterait affligé de cette manière ne serait assurément pas reçu. Et si de pareils maux survenaient à des membres déjà reçus, ils seraient priés de donner leur démission.

35° Un membre attaqué du mal vénérien sera contraint à se retirer jusqu’à son entier rétablissement, attesté par les médecins et chirurgiens de la maison.

36° Aucun étranger ne sera reçu, pas même les habitants de la province. Cet établissement n’existe absolument que pour les personnes domiciliées à Paris ou dans la banlieue.

37° Les titres de naissance ne feront rien pour l’admission ; il ne s’agira que de prouver que l’on a le bien nécessaire et indiqué ci-dessus. Telle jolie que puisse être une femme, elle ne sera point reçue si elle ne prouve la fortune requise. Il en sera de même d’un jeune homme, quelque beau qu’il puisse être.

38° La beauté, ni la jeunesse, n’ont aucun droit exclusif dans la Société : ces droits détruiraient bientôt l’égalité de mœurs qui doit y régner.

39° Il y a peine de mort contre tout membre qui révélerait les secrets de la Société ; il sera poursuivi partout, aux frais d’icelle.

40° L’aisance, la liberté, l’impiété, la crapule, tous les excès du libertinage, tous ceux de la débauche, de la gourmandise, de ce qu’on appelle, en un mot, la saleté de la luxure, régneront impérieusement dans cette assemblée.

41° Il y aura toujours cent frères servants en activité, soudoyés par la maison, qui, tous jeunes et jolis, pourront être employés comme patients aux scènes libidineuses ; mais ils n’y joueront jamais d’autre rôle. La Société possède à ses ordres seize équipages, deux écuyers et cinquante valets extérieurs. Elle a une imprimerie, douze copistes et quatre lecteurs, sans comprendre ici tout ce que nécessitent les sérails.

42° Aucune arme, aucun bâton ne sera toléré dans les salles destinées aux jouissances. Tout se laisse en entrant dans une vaste antichambre, où des femmes sûres vous déshabillent et vous répondent de vos vêtements. Il y a, aux environs de la salle, plusieurs cabinets d’aisances servis par des jeunes filles et de jeunes garçons, obligés de se prêter à toutes les passions, et de la même espèce que ceux qui sont dans les sérails. Ils tiennent là : des seringues, des bidets, des lieux à l’anglaise, des linges très fins, des odeurs, et généralement tout ce qui est nécessaire, avant, après le besoin, ou pendant qu’on y procède ; leur langue, après, est à votre service.

43° Il est absolument défendu de s’immiscer dans les affaires du gouvernement. Tout discours de politique est expressément interdit. La Société respecte le gouvernement sous lequel elle vit ; et si elle se met au-dessus des lois, c’est parce qu’il est dans ses principes que l’homme n’a pas le pouvoir de faire des lois qui gênent et contrarient celles de la nature. Mais les désordres de ses membres, toujours intérieurs, ne doivent jamais scandaliser ni les gouvernés, ni les gouvernants.

44° Deux sérails sont affectés aux membres de la Société, et leurs bâtiments forment les deux ailes de la grande maison. L’un est composé de trois cents jeunes garçons, depuis sept ans jusqu’à vingt-cinq ; l’autre d’un pareil nombre de filles, de cinq ans à vingt et un. Ces sujets varient perpétuellement, et il n’y a pas de semaine où l’on ne réforme au moins trente sujets de chaque sérail, afin de procurer plus d’objets nouveaux aux membres de la Société. Près de là, est une maison où l’on élève quelques sujets destinés à des remplacements ; soixante maquerelles sont chargées de ces renouvellements ; et il y a, comme on l’a dit, un inspecteur à chaque sérail. Ces sérails sont commodes, bien distribués ; on y fait absolument tout ce que l’on veut ; les passions les plus féroces s’y exécutent ; tous les membres de la Société y sont admis sans payer. Les meurtres seuls s’y paient cent écus par sujet. Ceux des membres qui veulent souper là sont les maîtres ; les cartes pour y entrer sont distribuées par le président, qui ne peut jamais les refuser à tout membre ayant fait son mois de noviciat. La plus grande subordination des sujets règne dans les sérails ; les plaintes que l’on aurait à faire du défaut de soumission ou de complaisance seront sur-le-champ portées à l’inspecteur de ce sérail ou au président, et l’on punit aussitôt le sujet de la peine prononcée par vous, et que vous avez le droit d’infliger vous-même, si cela vous amuse. Il y a douze cabinets de supplice par sérail, où rien ne manque de ce qui peut plonger la victime dans les tourments les plus féroces et les plus monstrueux. On peut mêler les sexes et conduire à volonté des hommes chez les femmes, ou celles-ci chez les hommes. Il y a aussi douze cachots, par chaque sérail, pour ceux qui se plaisent à y laisser languir des victimes. Il est défendu de conduire, ni chez soi, ni dans les salles, aucun des sujets de ces deux sérails. On trouve également dans ces pavillons des animaux de toutes les espèces, pour ceux qui sont adonnés au goût de la bestialité : c’est une passion simple et dans la nature, il faut la respecter comme les autres.

Trois plaintes contre un même sujet suffisent à le faire renvoyer. Trois demandes de mort suffisent à l’en faire punir sur-le-champ. Il y a, dans chaque sérail, quatre bourreaux, quatre geôliers, huit fustigateurs, quatre écorcheurs, quatre sages-femmes et quatre chirurgiens, aux ordres des membres qui, dans leurs passions, pourraient avoir besoin du ministère de pareils personnages ; bien entendu que les sages-femmes et les chirurgiens ne sont là que pour des supplices, et nullement pour des soins à rendre. Dès qu’un sujet a le plus léger symptôme de maladie, il est envoyé à l’hôpital, et ne rentre plus à la maison.

Les deux sérails sont environnés de hauts murs. Toutes les fenêtres en sont grillées, et jamais les sujets ne sortent. Entre le bâtiment et le haut mur environnant, est un intervalle de dix pieds formant une allée plantée de cyprès, où les membres de la Société font quelquefois descendre les sujets, pour se livrer avec eux, dans cette promenade solitaire, à des plaisirs plus sombres et souvent plus affreux. Au pied de quelques-uns de ces arbres sont ménagés des trous, où la victime peut à l’instant disparaître. On soupe quelquefois sous ces arbres, quelquefois dans ces trous mêmes. Il y en a d’extrêmement profonds, où l’on ne peut descendre que par des escaliers secrets, et dans lesquels on peut se livrer à toutes les infamies possibles avec le même calme, le même silence que si l’on était dans les entrailles de la terre.

45° Nul ne peut être reçu sans signer préalablement, et le serment qu’on lui fait prononcer, et les obligations imposées à son sexe.


L’heure arrivée, nous partîmes. J’étais parée comme la déesse du Jour. Clairwil, comme jouant le rôle de ma marraine, était mise avec une coquetterie moins jeune. Elle me prévint, en route, de l’extrême docilité que je devais apporter à tous les désirs des membres de la Société, et me dit aussi de ne point m’impatienter, si je ne pouvais, comme novice, participer d’un mois aux plaisirs du sérail.

La maison se trouvant dans un des faubourgs les plus déserts et les moins peuplés de Paris, nous fûmes près d’une heure en chemin. Le cœur me battit, dès que je vis la voiture entrer dans une cour très sombre, absolument entourée de grands arbres, et dont les portes se refermèrent aussitôt sur nous. Un écuyer vint nous recevoir à la descente de notre voiture, et nous introduisit dans la salle. Clairwil fut obligée de se mettre nue ; je ne devais me déshabiller qu’en cérémonie. Le local me parut superbe et magnifiquement éclairé ; nous ne pûmes arriver qu’en marchant sur un grand crucifix tout parsemé d’hosties consacrées, au bout duquel était la Bible, qu’il fallait de même fouler aux pieds. Vous croyez bien qu’aucune de ces difficultés ne m’arrêta.

Je pénétrai. C’était une fort belle femme de trente-cinq ans qui présidait ; elle était nue, magnifiquement coiffée ; ce qui l’entourait au bureau était également nu : il y avait deux hommes et une femme. Plus de trois cents personnes étaient déjà réunies et nues : on enconnait, on se branlait, on se fouettait, on se gamahuchait, on se sodomisait, on déchargeait, et tout cela dans le plus grand calme ; on n’entendait aucune autre espèce de bruit que celui nécessité par les circonstances. Quelques-uns se promenaient doubles ou seuls ; beaucoup examinaient les autres, et se branlaient lubriquement en face des tableaux. Il y avait plusieurs groupes, quelques-uns même formés de huit ou dix personnes ; beaucoup d’hommes seuls avec des hommes ; beaucoup de femmes entièrement livrées à des femmes ; plusieurs femmes entre deux hommes ; et plusieurs hommes occupant deux ou trois femmes. Des parfums extrêmement agréables brûlaient dans de grandes cassolettes et répandaient des vapeurs enivrantes qui plongeaient, malgré soi, dans une sorte de langueur voluptueuse. Je vis plusieurs personnes sortir ensemble des cabinets d’aisances. Au bout d’un instant, la présidente se leva et prévint, à voix basse, qu’on lui prêtât, quand on pourrait, un moment d’attention. Quelques minutes après, tout le monde m’entoura ; je n’avais été de ma vie tant examinée ; chacun prononçait, et j’ose dire que je ne recueillis de tout cela que des éloges ; de grands complots, de grands projets se formèrent sur moi et autour de moi, et je frémis d’avance de l’obligation où j’allais être de me prêter à tous les désirs que faisaient naître ma jeunesse et mes charmes. Enfin la présidente me fit monter sur une estrade en face d’elle ; et là, séparée par une balustrade de toute l’assemblée, elle ordonna que l’on me mît nue : deux frères servants arrivèrent, et, en moins de trois minutes, il ne me resta pas un vêtement sur le corps. J’avoue qu’un peu de honte s’empara de moi, lorsque les frères, en se retirant, m’exposèrent absolument nue aux yeux de l’assemblée, mais les nombreux applaudissements que j’entendis me rendirent bientôt toute mon impudence.

Telles furent les questions que m’adressa la présidente ; j’y joins mes réponses :

— Promettez-vous de vivre éternellement dans les plus grands excès du libertinage ?

— Je le jure.

— Toutes les actions luxurieuses, même les plus exécrables, vous paraissent-elles simples et dans la nature ?

— Je les vois toutes comme indifférentes à mes yeux.

— Les commettriez-vous toutes au plus léger désir de vos passions ?

— Oui, toutes.

— Protestez-vous de vous conformer exactement à tout ce qui vous a été lu par votre marraine dans les statuts de notre Société ? et vous soumettez-vous aux peines portées par ces statuts, si vous devenez réfractaire ?

— Je jure et promets tout ce qui est contenu dans cet article.

— Êtes-vous mariée ?

— Non.

— Êtes-vous pucelle ?

— Non.

— Avez-vous été enculée ?

— Souvent.

— Foutue en bouche ?

— Souvent.

— Fouettée ?

— Quelquefois.

— Comment vous appelez-vous ?

— Juliette.

— Quel âge avez-vous ?

— Dix-huit ans.

— Vous êtes-vous branlée avec des femmes ?

— Souvent.

— Avez-vous commis des crimes ?

— Plusieurs.

— Avez-vous attenté à la vie de vos semblables ?

— Oui.

— Promettez-vous de vivre toujours dans les mêmes écarts ?

— Je le jure.

(Ici de nouveaux applaudissements se firent entendre.)

— Ferez-vous recevoir à la Société tous ceux qui vous tiendront par les liens du sang ?

— Oui.

— Promettez-vous de ne jamais trahir les secrets de la Société ?

— Je le jure.

— Promettez-vous la complaisance la plus entière à tous les caprices, à toutes les lubriques fantaisies des membres de la Société ?

— Je la promets.

— Qu’aimez-vous le mieux, des hommes ou des femmes ?

— J’aime beaucoup les femmes pour me branler, infiniment les hommes pour me foutre.

(Cette naïveté fit éclater de rire tout le monde.)

— Aimez-vous le fouet ?

— J’aime à le donner et à le recevoir.

— Qu’aimez-vous le mieux des deux jouissances qui peuvent être procurées à une femme : celle de la fouterie en con, ou celle de la sodomie ?

— J’ai quelquefois raté l’homme qui m’enconnait, jamais celui qui me foutait en cul.

(Il me parut que cette réponse faisait aussi le plus grand plaisir.)

— Que pensez-vous des voluptés de la bouche ?

— Je les idolâtre.

— Aimez-vous à être gamahuchée ?

— Infiniment.

— Et gamahuchez-vous bien les autres ?

— Très moelleusement.

— Vous sucez donc aussi des vits avec plaisir ?

— Et j’en avale le foutre.

— Avez-vous fait des enfants ?

— Jamais.

— Protestez-vous de vous en abstenir ?

— Le plus que je pourrai.

— Vous détestez donc la progéniture ?

— Je l’abhorre.

— S’il vous arrivait de devenir grosse, auriez-vous le courage de vous faire avorter ?

— Assurément.

— Votre marraine est-elle munie de la somme que vous devez payer avant que d’être reçue ?

— Oui.

— Êtes-vous riche ?

— Immensément.

— Vous n’avez jamais fait de bonnes œuvres ?

— Je les déteste.

— Vous ne vous êtes livrée à aucun acte de religion depuis votre enfance ?

— À aucun.

Clairwil remit aussitôt entre les mains du secrétaire la somme convenue, et elle prit un papier que l’on m’ordonna de lire à haute voix. Ce papier imprimé avait pour titre : Instructions aux femmes admises à la Société des Amis du Crime.

— Le voilà, mes amis, dit Mme de Lorsange, il est trop intéressant pour que je ne vous en fasse pas la lecture41 :

« En quelque état ou condition que soit née celle qui va signer ceci, dès qu’elle est femme, elle est, de ce moment-là seul, créée pour les plaisirs de l’homme ; il faut donc lui prescrire une conduite qui la mette à même de rendre ces plaisirs utiles à sa bourse et à sa lubricité. C’est dans l’état de mariage que nous allons la prendre ; car celles qui, n’étant point mariées, vivent néanmoins avec un homme, soit comme maîtresses, soit comme entretenues, se trouvant avec les mêmes chaînes que celles qui existent sous les nœuds de l’hymen, trouveront, dans les conseils suivants, les mêmes avis pour se soustraire à ces chaînes ou pour se les rendre plus douces. On prévient donc que le mot homme employé dans cet écrit, voudra génériquement dire amant, époux ou entreteneur, tout individu s’arrogeant, en un mot, des droits sur une femme, dans quelque état qu’elle soit, parce que, fût-elle riche à millions, elle doit néanmoins toujours retirer de l’argent de son corps. La première loi de toutes les femmes étant de ne foutre jamais que par libertinage ou par intérêt, et comme souvent elle est obligée de payer ceux qui lui plaisent, il faut qu’elle se mette en fonds pour cela, par le moyen de ce qu’elle retire des prostitutions où elle se livre avec ceux qui ne lui plaisent pas. Bien entendu, que tout ceci n’a pour objet que sa conduite dans le monde : les statuts qu’elle vient de jurer fixent celle que l’on doit garder dans la Société.

« 1° Pour réussir à cette apathie nécessaire à conserver, soit qu’elle foute pour de l’argent, soit qu’elle foute pour son plaisir, la première chose qu’elle observera sera de tenir toujours son cœur inaccessible à l’amour ; car si elle fout pour son plaisir, elle jouira mal, étant amoureuse ; l’occupation où elle sera de donner des plaisirs à son amant l’empêchera d’en goûter elle-même ; et si elle fout pour de l’argent, elle n’osera jamais pressurer celui qu’elle aimera : telle doit être pourtant son unique occupation avec l’homme qui la paye.

« 2° Abstraction faite de tout sentiment métaphysique, elle donnera donc toujours la préférence à celui qui, si elle fout par plaisir, bandera le mieux, aura le plus beau vit ; et si elle fout par intérêt, à celui qui la payera le plus cher.

« 3° Qu’elle évite toujours avec soin ce qu’on appelle des greluchons : cette engeance-là paye aussi mal qu’elle fout. Qu’elle s’en tienne aux valets, aux crocheteurs : voilà les culottes où la vigueur est reléguée !… les esprits où le secret se conserve !… On change de cela comme de chemise, et il n’y a jamais d’indiscrétion à redouter.

« 4° Quel que soit l’homme qui l’enchaîne, qu’elle se garde bien de la fidélité. Ce sentiment puéril et romanesque n’est bon qu’à perdre une femme, à lui causer beaucoup de chagrins ; elle peut être sûre qu’il ne lui rapportera jamais aucun plaisir. Et par quelle raison serait-elle fidèle, puisqu’il est certain qu’il n’est pas un seul homme dans le monde qui le soit ? N’est-il pas ridicule que le sexe le plus fragile, le plus faible, celui que tout entraîne perpétuellement au plaisir, celui que des séductions journalières autorisent à succomber, n’est-il pas absurde que ce soit celui-là qui résiste, pendant que l’autre n’a pour faire le mal que sa seule et unique méchanceté ? Et d’ailleurs, à quoi sert la fidélité à une femme ? Si son homme l’aime véritablement, il doit être assez délicat pour tolérer toutes ses faiblesses, et pour partager même idéalement les jouissances qu’elle se procure ; s’il ne l’aime pas, quelle extravagance elle ferait de s’enchaîner à quelqu’un qui la trompe journellement ! Les infidélités de la femme sont les torts de la nature : celles de l’homme, ceux de sa fourberie et de sa méchanceté. La femme dont il s’agit ici ne se refusera donc à aucune infidélité : au contraire, elle en fera naître les occasions le plus souvent possible, et elle les multipliera journellement.

« 5° La fausseté est un genre de caractère essentiel dans une femme. De tout temps elle fut l’arme du faible : toujours placée devant son maître, comment résisterait-elle à l’oppression, sans le mensonge et sans l’imposture ? Qu’elle use donc sans crainte de ses armes ; elles lui sont données par la nature pour la défendre contre toutes les entreprises de ses oppresseurs. Les hommes veulent être trompés, une agréable erreur est plus douce qu’une triste réalité : ne vaut-il pas mieux qu’elle déguise ses torts que de les avouer ?

« 6° Une femme ne doit jamais avoir de caractère à elle : il faut qu’elle emprunte, avec art, celui des gens qu’elle a le plus d’intérêt à ménager, soit pour sa luxure, soit pour son avarice, sans néanmoins que cette souplesse lui ôte l’énergie essentielle à se plonger dans tous les genres de crimes qui doivent flatter ses passions ou les servir, tels que ceux de l’adultère, de l’inceste, de l’infanticide, des empoisonnements, du vol, du meurtre, et tous ceux enfin qui peuvent lui être agréables, et auxquels, sous le voile de la fausseté et de la fourberie que nous lui conseillons, elle peut se livrer sans aucune espèce de crainte ni de remords, parce qu’ils sont placés par la nature dans le cœur des femmes, et que de faux principes reçus avec l’éducation l’empêchent seuls de les caresser chaque jour comme elle le devrait.

« 7° Que le libertinage le plus excessif, le plus renouvelé, le plus crapuleux, loin de l’effrayer, devienne la base de ses plus délicieuses occupations. Si elle veut écouter la nature, elle verra qu’elle a reçu d’elle les plus violents penchants à cette sorte de plaisir, et qu’elle doit, par conséquent, s’y livrer journellement sans crainte : plus elle fout, mieux elle sert la nature ; elle ne l’outrage que par sa continence42.

« 8° Qu’elle ne se refuse jamais à tel acte de débauche qui lui sera proposé par son homme ; la complaisance la plus entière en ce cas-là lui deviendra toujours un des plus sûrs moyens de captiver celui qu’elle a intérêt de conserver. La jouissance d’une femme fatigue bientôt un homme : qu’arrive-t-il, si elle n’a pas l’art de le ranimer ? Il se dégoûte et l’abandonne. Mais celui qui reconnaîtra dans une femme l’étude la plus entière à deviner et savoir ses goûts, à les prévenir et à s’y enchaîner, celui-là, dis-je, trouvant la possession d’une femme toujours nouvelle, se fixera bien plus certainement : il deviendra dès lors bien plus facile à la femme de le tromper ; et telle doit toujours être la plus chère étude de l’individu du sexe dont nous traçons les devoirs.

« 9° Que cet individu charmant évite avec le plus grand soin l’air de la pruderie et de la modestie, quand elle est avec son homme : il en est très peu qui aiment cette manière d’être, et l’on risque de dégoûter fort promptement ceux qui ne l’aiment point. Qu’elle adopte ce masque pour en imposer dans le monde, si elle le croit nécessaire : tout ce qui tend à l’hypocrisie est bon, c’est un moyen de plus de tromper, et il n’en est aucun qu’elle ne doive prendre.

« 10° On ne saurait trop lui recommander d’éviter les grossesses, soit en faisant un grand usage de toutes les manières de jouir qui détournent la semence du vase prolifique, soit en détruisant le germe, sitôt qu’elle en soupçonne l’existence. Une grossesse trahit, gâte la taille, et n’est bonne sous aucun rapport. Qu’elle se livre de préférence au plaisir antiphysique ; cette délicieuse jouissance lui assure à la fois et plus de plaisir et plus de sûreté : presque toutes les femmes qui en ont essayé s’y tiennent. L’idée, d’ailleurs, de donner ainsi bien plus de plaisir aux hommes doit être, pour leur délicatesse, un motif puissant de ne plus adopter d’autre genre.

« 11° Que son âme, absolument cuirassée, ne laisse jamais pénétrer dans elle une sensibilité qui la perdrait. Une femme sensible doit s’attendre à tous les malheurs, car, comme elle est plus faible et plus délicate que les hommes, tout ce qui attaquera cette sensibilité la déchirera bien plus cruellement, et, dès lors, plus aucun plaisir pour elle. Sa complexion la porte à la luxure : si par cet excès de sensibilité que nous cherchons à détruire, elle va s’enchaîner à un seul homme, elle divorce, de ce moment-là, avec tous les charmes du libertinage, les seuls qui soient vraiment faits pour elle, et qui doivent la combler de volupté, d’après l’organisation qu’elle a reçue de la nature.

« 12° Qu’elle évite soigneusement toute pratique de religion : ces infamies, qu’elle doit avoir foulées sous les pieds longtemps, ne pourraient, en timorant sa conscience, que la rappeler à un état de vertu, qu’elle ne reprendrait pas sans être obligée de renoncer à toutes ses habitudes et à tous ses plaisirs ; ces platitudes affreuses ne valent pas les sacrifices qu’elle serait obligée de leur faire, et, comme le chien de la fable, elle quitterait, en les poursuivant, la réalité pour l’apparence. Athée, cruelle, impie, libertine, sodomiste, tribade, incestueuse, vindicative, sanguinaire, hypocrite et fausse, voilà les bases du caractère d’une femme qui se destine à la Société des Amis du Crime, voilà les vices qu’elle doit adopter, si elle veut y trouver le bonheur. »

L’énergie avec laquelle je lus ces principes, en convainquant la société qu’ils étaient déjà tous au fond de mon cœur, me valut de nouveaux applaudissements, et je descendis dans la salle.

Tous les couples, distraits par l’événement de ma réception, se renouèrent, et je fus bientôt attaquée ; de ce moment jusqu’à celui du souper, je ne revis plus Clairwil. Le premier qui m’aborda était un homme de cinquante ans.

— Te voilà bien putain, pour le coup ! me dit-il en me conduisant sur un canapé, il n’y a plus à t’en dédire à présent ; te voilà garce comme une raccrocheuse ; j’ai été content de toi, tu m’as fait bander.

Et le paillard m’enconne en me disant cela. Il lime un quart d’heure, baise beaucoup ma bouche, puis, saisi par une autre femme, il me quitte sans décharger. Une vieille de soixante ans vint à moi, et m’ayant recouchée sur le canapé que j’allais quitter, elle me branla, et se fit branler fort longtemps. Trois ou quatre hommes nous examinaient ; un d’eux encula la matrone, et la fit crier de plaisir. Un autre de ces hommes, voyant que je me pâmais sous les coups de doigts de la tribade, vint m’offrir son vit à sucer ; et comme la vieille me quitta, le coquin passa de ma bouche à mon con ; il avait le plus beau vit du monde, et foutait à merveille. Une jeune personne me l’enleva encore, il me laissa là pour la foutre à mes yeux ; ma rivale me fit un signe, je l’approchai et la putain me gamahucha ; elle eut le foutre de l’homme qu’elle m’avait enlevé, je lui donnai le mien. Deux jeunes gens nous assaillirent, et formèrent le groupe le plus agréable, en nous enconnant toutes deux ; ma compagne suivit le jeune homme avec lequel elle venait de s’amuser, et me laissa seule un instant. Un homme, que je reconnus pour un évêque avec lequel j’avais fait des parties chez la Duvergier, m’enconna de même, après s’être fait pisser sur le nez. Celui qui vint après, et que je reconnus également pour un ecclésiastique, me le mit dans la bouche, et y déchargea. Une jeune personne très jolie vint se faire branler, je la gamahuchai de tout mon cœur. Un homme d’environ quarante ans la prit, les fesses en l’air, et l’encula ; le libertin m’en fit bientôt autant ; il nous invectivait, en jouissant ainsi de nous, il nous traitait de tribades, de gamahucheuses, et lorsqu’il en enculait une, il claquait toujours les fesses de l’autre.

— Que fais-tu de ces deux bougresses ? lui dit un jeune homme, en l’abordant et l’enculant lui-même ; tiens, bougre, voilà ce qu’il te faut, disait-il, et non pas des culs de femmes.

Tout me quitte encore une fois, lorsqu’un vieil homme, armé d’une poignée de verges, vient m’en échauffer le derrière, et se faire un instant branler.

— N’est-ce pas toi qu’on a reçue ce soir ? me dit-il.

— Oui.

— Je suis fâché de ne t’avoir pas vue, j’étais au sérail ; tu as le plus beau cul du monde… Courbe-toi, que je te sodomise.

Et le vilain triompha, j’eus son foutre. Un très joli jeune homme parut, et me traita de même, mais je fus fouettée bien plus fort : il en vint dix de suite, parmi lesquels je reconnus, à la coiffure, six robins et quatre prêtres ; tous m’enculèrent. J’étais en feu, je m’approchai d’une garde-robe ; comme les femmes n’allaient qu’à celles qui étaient servies par des hommes, et les hommes à celles que les femmes soignaient, le jeune garçon, après m’avoir placée sur le fauteuil, me demanda si j’emploierais sa langue. Lui ayant répondu en lui exposant mon derrière, il me nettoya d’une manière si agréable que je perdis du foutre. Je m’aperçus, en rentrant, qu’il y avait des hommes qui guettaient les femmes sortant de ces garde-robes ; l’un d’eux m’aborde, et me demande le cul à baiser : je le présente, il gamahuche, et paraît très fâché de ne plus trouver de vestiges. Il me quitta sans me rien dire, pour prendre un jeune homme qui entrait dans le même lieu, et qu’il suivit. Parcourant alors un instant la salle, je puis dire que je vis là tous les tableaux que l’imagination la plus lascive pourrait à peine concevoir en vingt ans : que d’attitudes voluptueuses, que de caprices bizarres, quelle variété de goûts et de penchants ! Oh, Dieu ! me dis-je, comme la nature est belle, et combien sont délicieuses toutes les passions qu’elle nous donne ! Mais une chose fort extraordinaire, que je ne cessais de remarquer, c’est qu’excepté les mots nécessaires à l’action, les cris de plaisir et beaucoup de blasphèmes, on eût entendu le vol d’une mouche. Le plus grand ordre régnait au milieu de tout cela. S’élevait-il quelques altercations, ce qui était fort rare, d’un geste la présidente ou le censeur y ramenait l’ordre : les plus décentes actions ne se seraient point passées avec plus de calme. Et je pus facilement me convaincre, en cette circonstance, que ce que l’homme respecte le plus dans le monde, ce sont ses passions.

Beaucoup d’hommes et de femmes passaient aux sérails ; la présidente, en souriant, leur distribuait des cartes. En ce moment, plusieurs femmes m’attaquèrent ; je me branlai avec trente-deux, dont plus de la moitié avait passé quarante ans ; elles me sucèrent, me foutirent en cul et en con avec des godemichés ; une d’elles me fit pisser dans sa bouche, pendant que je la gamahuchais ; une autre me proposa de nous chier mutuellement sur les tétons, elle le fit, je ne pus le lui rendre ; un homme, en se faisant enculer, vint manger l’étron que cette femme avait fait sur mon sein, et il chia lui-même après, en déchargeant dans la bouche de celui qui venait de le foutre.

La présidente eut envie de moi. Elle se fit relever par un homme, et vint me trouver ; nous nous baisâmes, nous nous suçâmes, nous nous dévorâmes de caresses ; je n’avais jamais vu de femme, excepté Clairwil, décharger avec tant d’abondance et de lubricité ; sa passion favorite était de se faire enculer, pendant qu’appuyée sur le visage d’une femme, elle s’en faisait sucer le con, en en gamahuchant une autre ; nous exécutâmes ce tableau, et la putain reprit son fauteuil.

Les hommes revinrent. À cette seconde séance, je trouvai peu de conistes, mais infiniment de bougres, quelques masturbateurs et une douzaine de fouteurs en bouche ; un d’eux se fit sucer par un jeune homme, pendant qu’il sentait et respirait mes aisselles ; il les léchait de temps en temps, ce qui m’occasionnait un chatouillement très agréable. Je fus fouettée cinq ou six fois ; je reçus trois ou quatre lavements que ceux qui les administraient me firent rendre dans leur bouche ; on me fit péter, cracher ; un homme se fit enfoncer un million d’épingles dans les couilles, dans les fesses, et resta ainsi toute la soirée ; un autre avait pour manie de me sucer partout : il passa pendant deux heures sa langue dans ma bouche, sur mes yeux, autour de mes oreilles, dans mes narines, entre les doigts de mes pieds, et déchargea en me l’enfonçant dans le cul. Plusieurs femmes exigèrent de moi d’être enculée avec des godemichés ; une me fit branler sur le trou de son cul le vit d’un homme qu’elle m’amena, elle voulut que j’y fisse ensuite entrer le foutre avec le bout de mon doigt ; une très jolie fille me chia sur les fesses, un vieil homme la suivit, qui l’encula en dévorant sur mon cul l’étron qu’elle venait d’y faire ; on m’assura que c’était le père et la fille. Je vis d’autres couples semblables ; je vis des frères enculant leurs sœurs ; des pères enconnant leurs filles ; des mères foutues par leurs enfants ; enfin tous les tableaux de l’inceste, de l’adultère, de la sodomie, de la prostitution, de l’impureté, de la crapule, de l’impiété, s’offrirent à moi sous mille nuances, et je crois que jamais des bacchantes ne réunirent à la fois plus d’ordures et plus d’infamie.

Lassée du rôle de victime, je voulus être agente à mon tour. J’attaquai cinq ou six jeunes gens dont les vits me parurent fort gros, et qui, tantôt d’un côté, tantôt de l’autre, quelquefois de tous deux ensemble, me foutirent pendant près de deux heures. Au sortir de là, un vieil abbé se fit branler sur mon clitoris par une très jolie nièce que je gamahuchais ; un assez beau jeune homme voulut baiser mes fesses pendant qu’il enculait sa mère. Deux jolies sœurs me mirent entre elles, l’une me branlait le con, pendant que l’autre me chatouillait le derrière ; je déchargeai, sans me douter que le papa les enconnait alternativement toutes deux. Un autre père me fit enculer par son fils, pendant, qu’il jouissait du jeune homme de la même manière ; il me sodomisa lui-même après, et le fils lui rendit ce qu’il venait d’en recevoir. Un frère m’enconna, pendant que sa sœur l’enculait avec un bijou de religieuse… Et tous ces prétendus outrages à la nature se passaient avec un ordre, une tranquillité, bien capables de nourrir les réflexions d’un philosophe. S’il y a quelque chose de simple, en effet, dans le monde, c’est l’inceste : il est dans les principes de la nature, il est conseillé par elle ; les lois climatériales seules le poursuivirent ; mais ce qui est toléré dans les trois quarts de la terre peut-il faire un crime dans l’autre quart ? L’impossibilité de commettre ce délicieux crime me désolait ; je ne sais ce que j’aurais donné pour avoir un père ou un frère : avec quelle ardeur je me serais livrée à l’un ou l’autre… comme il eût fait de moi tout ce qu’il aurait voulu !…

D’autres objets m’environnèrent bientôt.

Deux très jolies sœurs, de dix-huit à vingt ans, me menèrent dans un cabinet où elles s’enfermèrent avec moi. Là, elles me firent exécuter sur elles tout ce que la lubricité peut avoir de plus piquant et de plus fort.

— Si nous nous amusions ainsi dans le salon, me dirent-elles, nous serions entourées de ces vilains hommes qui viendraient nous inonder de leur sperme gluant ; il est bien plus joli de n’être qu’entre femmes.

Et les petites friponnes, alors, me firent l’aveu de leurs goûts. Délicates zélatrices de leur sexe, elles ne pouvaient supporter les hommes ; entraînées dans cette société par leur père, l’espoir de posséder des femmes tant qu’elles en voudraient les avait consolées de l’obligation de se prêter aux hommes…

— Vous ne vous marierez donc point ? leur dis-je.

— Oh ! jamais ! nous aimerions mieux mourir que de nous enchaîner avec des hommes.

Je les tâtai sur leurs autres principes. Quoique si jeunes encore, elles étaient fermes : philosophiquement élevées par leur père, on ne trouvait plus dans ces cœurs-là ni morale, ni religion, tout était soigneusement élagué ; elles avaient tout fait, étaient prêtes à tout recommencer, et leur énergie m’étonna. De tels caractères s’arrangeaient trop parfaitement au mien pour que je n’accablasse pas ces charmantes filles de caresses ; et après avoir bien perdu du foutre ensemble, et nous être promis de nous cultiver, nous rentrâmes. Un jeune homme, qui m’avait vue sortir d’avec elles, me pria de me renfermer un instant avec lui dans le cabinet.

— Oh, ciel ! me dit-il dès que nous fûmes seuls, j’ai frémi, vous voyant avec ces créatures ; méfiez-vous d’elles, ce sont des monstres qui, malgré leur extrême jeunesse, sont capables de toutes les horreurs.

— Mais, dis-je, n’est-ce donc point ainsi qu’il faut être ?

— Soit ; mais entre nous, il faut se respecter, se chérir ; ce n’est qu’au-dehors que doivent s’aiguiser nos armes ; et les créatures que vous venez de quitter n’ont de plaisir qu’à nuire à leurs frères. Méchantes, sournoises, traîtresses, elles ont tous les défauts qui peuvent déplaire à la Société : il suffit qu’elles viennent de s’amuser avec vous, pour tâcher de vous perdre ou de vous faire esclave, si elles peuvent en venir à bout ; sachez-moi quelque gré de vous prévenir, et donnez-moi votre cul pour récompense.

Je crus qu’il allait me foutre : point du tout. La seule passion de cet original consistait à m’épiler en dessous, en léchant le trou de mon cul. Sur ce que je lui représentai qu’il me faisait mal, il me dit que l’avis qu’il me donnait m’en épargnait de bien plus grands. Nous sortîmes enfin au bout d’un quart d’heure de ce supplice, sans que mon jeune homme éjaculât. À peine l’eus-je quitté, que j’appris que tout ce qu’il m’avait dit sur les deux sœurs n’était pas vrai, que la calomnie le faisait bander, et, par ces faux avis, il croyait payer à merveille les tourments auxquels il condamnait toutes les femmes.

Une musique mélodieuse se fit entendre : on me dit que c’était l’avertissement du souper. Je passai avec tout le monde dans la voluptueuse salle du festin. La décoration représentait une forêt coupée par une infinité de petits bosquets, sous lesquels étaient des tables de douze couverts. Des guirlandes de fleurs pendaient aux festons des arbres, et des millions de lumières, placées avec le même art que celles de l’autre selon, répandaient la clarté la plus douce. Deux frères servants, attachée à chacune de ces tables, la soignaient avec autant de propreté que de promptitude. Il n’assiste guère que deux cents personnes au souper ; tout le reste était aux sérails. Chacun choisissait sa compagnie pour se placer à ces différentes tables ; et là, splendidement et magnifiquement servis, au son d’une musique enchanteresse, on se livrait à la fois aux intempérances de Comus et à tous les désordres de Cypris.

Clairwil, revenue des sérails, s’était rapprochée de moi. Il était facile de voir, à son désordre, les excès où elle venait de se porter ; ses regards brillants, ses joues animées, ses cheveux flottants sur son sein, les mots obscènes ou féroces qu’elle prononça, tout, tout peignait encore des nuances de délire qui la rendaient mille fois plus belle ; je ne pus m’empêcher de la baiser en cet état.

— Scélérate, lui dis-je, à combien d’horreurs tu viens de te livrer !

— Console-toi, me dit-elle, nous les ferons bientôt ensemble.

Les deux petites sœurs avec lesquelles je venais de me branler, deux femmes de quarante ans, deux fort jolies de vingt à vingt-cinq, et six hommes, composaient notre table.

Ce qu’il y avait de fort régulier dans l’arrangement de ces bosquets, c’est qu’il n’était pas une seule table d’où l’on ne pût voir toutes les autres ; et, par une suite du cynisme qui avait dirigé tout ceci, les lubricités du souper ne pouvaient pas plus échapper à l’œil observateur que celles du salon.

Ces dispositions me firent voir des choses bien extraordinaires : on ne se figure point l’égarement d’une tête luxurieuse en de pareils instants. Je croyais tout savoir en libertinage, et cette soirée me convainquit que je n’étais encore qu’une novice. Oh ! mes amis, que d’impuretés, que d’horreurs, que d’extravagances ! Quelques-uns sortaient de table pour passer dans des cabinets, et il était impossible de se refuser à ces désirs : ceux des membres de la Société devenaient des lois pour l’individu qui en était l’objet. Celui-ci bientôt en faisait autant : il ne se voyait là que des despotes et des esclaves, et ces derniers, consolés par l’espoir de changer à l’instant de rôle, ne balançaient jamais à se plier aux soumissions qu’ils retrouvaient bientôt à leur tour.

La Présidente, élevée dans une chaire d’où elle dominait sur tout, maintenait l’ordre au souper comme au salon, et le même calme y régnait. Le ton des conversations y était extrêmement bas ; on s’y croyait dans le temple de Vénus, dont la statue se voyait sous un bosquet de myrtes et de roses, et on s’apercevait là que ses sectateurs recueillis ne voulaient troubler leurs mystères par aucune de ces vociférations dégoûtantes qui n’appartiennent qu’au pédantisme et à l’imbécillité.

Électrisés par les vins étrangers et par la bonne chère, les orgies de l’après-soupée furent encore plus luxurieuses que celles d’avant. Je vis un instant où tous les membres de la société ne formaient plus qu’un seul et unique groupe ; il n’y en avait pas un qui ne fût agent ou patient, et l’on n’entendait plus que des soupirs et des cris de décharges. J’eus encore de terribles amants à soutenir : pas un sexe qui ne me passât par les mains, pas une partie de mon corps qui ne fût souillée ; et si j’avais les fesses meurtries, j’avais la gloire d’en avoir outragé beaucoup d’autres. Enfin je sortis au jour, dans un tel état de fatigue et d’épuisement, que je fus obligée d’être trente-six heures dans mon lit.

Je ne respirai qu’après la fin de mon mois de noviciat ; il arrive enfin, ce terme si désiré : l’entrée des sérails m’est permise. Clairwil, qui voulait me faire tout connaître, m’accompagna partout.

Rien de si délicieux que ces sérails, et comme celui des garçons ressemblait à celui des filles, en vous donnant la description de l’un, vous aurez celle de l’autre.

Quatre grandes salles entourées de chambres et de cabinets formaient l’intérieur de ces ailes séparées ; ces salles servaient à ceux qui voulaient, comme à la Société, s’amuser l’un devant l’autre ; les cabinets se donnaient aux personnes qui désiraient isoler leurs plaisirs, et les chambres étaient destinées à loger les sujets. Le goût et la fraîcheur présidaient à l’ameublement ; les cabinets surtout étaient de la dernière élégance : c’étaient autant de petits temples consacrés au libertinage, où rien ne manquait de tout ce qui pouvait en échauffer le culte. Quatre duègnes présidaient à chaque salle ; elles recevaient les billets que vous apportiez, s’informaient de vos désirs, et vous satisfaisaient aussitôt. On voyait, dans le même lieu, également toujours prêts, un chirurgien, une sage-femme, deux fustigateurs, un bourreau et un geôlier ; rien d’aussi rébarbatif que la figure de ces derniers personnages.

— Ne t’imagine pas, me dit Clairwil, que ces êtres-là soient simplement pris dans la classe qui les fournit ordinairement ; ce sont des libertins comme nous, mais qui, n’ayant pas de quoi payer ce qu’il faut pour être admis, exercent ces fonctions par plaisir, et la besogne, de cette manière, est, comme tu le vois, bien mieux faite ; quelques-uns se payent, d’autres ne demandent que les droits d’un membre de la Société, on le leur accorde.

Lorsque ces êtres-là étaient en fonctions, ils étaient revêtus d’un costume effrayant ; les geôliers avaient autour d’eux des ceintures de clefs, les fustigateurs étaient entourés de verges et de martinets, et le bourreau, les bras nus, deux effrayantes moustaches sous les lèvres, avait toujours deux sabres et deux poignards à ses côtés. Celui-ci se leva dès qu’il vit entrer Clairwil et vint la baiser sur la bouche.

— M’emploies-tu aujourd’hui, bougresse ? lui dit-il.

— Tiens, répondit Clairwil, voilà une novice que je t’amène et qui, sois-en bien sûr, fera, pour le moins, de tes bras, un usage aussi grand que moi.

Et le scélérat, me baisant comme il avait fait à mon amie, m’assura qu’il était sous tous les rapports à mes ordres. Je le remerciai, lui rendis son baiser de tout mon cœur, et nous poursuivîmes notre examen.

Chacune de ces salles était destinée à un genre de passion particulière. On se livrait dans la première aux goûts simples, c’est-à-dire, à toutes les masturbations et à toutes les fouteries possibles. La seconde salle était destinée aux fustigations et autres passions irrégulières. La troisième aux goûts cruels. La quatrième au meurtre. Mais comme un sujet de l’une ou l’autre de ces salles pouvait mériter la prison, le fouet ou la mort, il se trouvait également dans toutes, des geôliers, des bourreaux, des fustigateurs. Les femmes étaient aussi bien reçues dans le sérail des garçons que dans celui des filles, et les hommes dans celui des filles que dans celui des garçons. Tous les sujets, lorsque nous entrâmes, étaient employés, ou attendaient dans leurs chambres qu’on les mît en œuvre. Clairwil ouvrit quelques cellules du sérail féminin et me fit voir des créatures vraiment célestes : elles étaient en chemises de gaze, coiffées de fleurs, et toutes celles dont nous ouvrîmes les portes nous reçurent avec l’air du plus profond respect. J’allais m’amuser d’une de seize ans qui me parut belle comme un ange, je lui maniais déjà le con et la gorge, lorsque Clairwil me gronda de l’air de délicatesse et d’honnêteté que j’employais avec cette jolie personne.

— Ce n’est point ainsi que l’on se conduit avec ces garces-là, me dit-elle ; trop heureuses du choix que tu veux bien en faire… commande, et l’on t’obéira.

Je changeai de ton aussitôt, et l’on répondit à mes ordres par la plus aveugle obéissance. Nous visitâmes d’autres chambres : partout mêmes grâces, mêmes beautés, partout même soumission.

— Il ne faut pas sortir d’ici, dis-je à Clairwil, sans quelques petites expéditions.

Et comme cette idée me vint dans la cellule d’une fille de treize ans, jolie comme l’amour, par laquelle je venais de me faire lécher le cul et le con pendant plus d’un quart d’heure, je choisis sur-le-champ celle-là pour ma première victime. Nous appelâmes un fustigateur ; l’enfant fut conduite par une des vieilles dans un des cabinets de supplices, et là, liée, garrottée comme une carotte de tabac, nous fîmes mettre la donzelle en sang, pendant que nous nous branlions en face du sacrifice. Clairwil, s’apercevant que l’opérateur bandait, développa son vit, et se l’introduisit dans le con, pendant qu’à la prière de ce libertin, je lui rendais ce qu’il venait d’appliquer à ma jeune victime. Le coquin m’enfila après Clairwil, et nous nous remîmes à fustiger la petite fille, qui sortit de nos mains en un tel état, qu’il fallut l’envoyer à l’hôpital le lendemain. Nous passâmes au sérail des hommes.

— Que veux-tu faire ici ? me dit Clairwil.

— Branler beaucoup d’engins, lui dis-je ; il n’y a rien que j’aime autant que de secouer un vit ; la récolte du foutre humain est une chose délicieuse pour moi : j’aime à le moissonner, j’aime à voir jaillir le sperme, à m’en sentir arrosée.

— Eh bien, satisfais-toi ! me répondit mon amie, je ne me nourris pas de viande si creuse. Écoute, contractons ensemble un arrangement que je fais quelquefois avec une femme de mes amies. Comme je ne veux pas que les vits me déchargent dans le corps, ils me foutront, et tu les branleras : je te les enverrai tout roides, tu auras de moins la peine de les mettre en train.

— J’accepte.

On nous envoya, dans la grande salle, quinze garçons de dix-huit à vingt ans. Nous les rangeâmes en haie devant nous, et sur des canapés ; en face d’eux, nous nous placions, pour les défier, dans les plus lascives postures. Le moins fourni avait un engin de sept pouces de long sur cinq de tour, et le plus gros huit sur douze ; ils arrivaient à nous en raison du feu que nous leur inspirions. Clairwil les recevait et me les renvoyait : je les faisais couler sur mon sein, sur ma motte, sur mon visage ou sur mes fesses ; au quatrième, je me sentis des démangeaisons si violentes autour de l’anus, que je mis à présenter le derrière à tous ceux qui sortaient du vagin de Clairwil ; ils se préparaient dans son con, et venaient décharger dans mon cul ; ils redoublèrent, mais sans nous rassasier. Rien n’est tel que le tempérament d’une femme quand il est excité, c’est un volcan que l’on enflamme en voulant l’apaiser. Nous redemandâmes des hommes ; on nous en envoya dix-huit de vingt à vingt-cinq ans. Ici nous avions changé de rôle : ces nouveaux vits, pour le moins aussi beaux que les précédents, s’allumaient dans mon con et s’éteignaient au cul de ma compagne ; mais nous branlions nous-mêmes ceux que nous préparions ; et il arrivait souvent que l’excès de nos désirs troublant l’ordre que nous avions établi, nous en trouvions tout d’un coup six ou sept, ou dans nous, ou autour de nous.

Nous nous relevâmes enfin, collées de foutre sur nos sophas, comme Messaline sur le banc des gardes de l’imbécile Claude, après avoir été foutues quatre-vingt-cinq coups chacune.

— Les fesses me brûlent, me dit Clairwil ; quand j’ai été prodigieusement foutue, j’éprouve un incroyable besoin d’être fouettée.

— J’ai la même envie, répondis-je.

— Il faut faire venir deux fustigateurs.

— Prenons-les tous les quatre, mon ange : il faut, ce soir, que mon cul soit mis en marmelade.

— Attends, dit Clairwil en voyant entrer un homme de sa connaissance, il faut faire de cela une petite scène.

Elle parle bas à cet homme, qui, se chargeant d’avertir les fustigateurs, eut l’air de nous condamner lui-même au supplice.

Nous fûmes saisies, on nous lia les mains, et, fustigées toutes deux devant cet homme qui se branlait en ordonnant, et en maniant le cul des flagellateurs, quand nous fûmes en sang, nous présentâmes le con à nos bourreaux, qui, munis de vits monstrueux, nous foutirent encore deux coups chacun.

— Pour moi, mes belles poulettes, me dit le maître des cérémonies, je ne vous demande, pour ma récompense, que de contenir à mes attaques le râble d’un de ces gaillards-là.

Nous le satisfaisons, il encule ; les autres le fouettent pendant qu’il sodomise, et nous suçons avec délices les vits des fustigateurs.

— Je n’en puis plus, dit Clairwil, dès que nous fûmes seules, le libertinage m’entraîne aux cruautés ; immolons une victime… As-tu remarqué ce joli garçon de dix-huit ans, qui nous baisait avec tant d’ardeur… Il est joli comme un ange, et m’échauffe horriblement la tête. Faisons-le passer dans la salle des tourments, nous l’égorgerons.

— Friponne, tu ne m’as point fait la même proposition dans le sérail des femmes !

— Non, j’aime mieux massacrer les hommes ; je te l’ai dit, j’aime à venger mon sexe, et s’il est vrai que celui-là ait une supériorité sur le nôtre, l’imaginaire offense à la nature n’est-elle pas plus grave en l’immolant ?

— On te croirait désolée de ce que cette offense est nulle.

— Tu me juges bien : je suis au désespoir de ne trouver jamais que le préjugé, au lieu du crime que je désire et que je ne rencontre nulle part. Oh ! foutre, foutre ! quand pourrai-je donc en commettre un !

Nous emmenons le jeune homme.

— Nous faudra-t-il un bourreau ? dis-je à mon amie.

— N’en ferons-nous pas bien nous-mêmes les fonctions ?

— À merveille.

— Allons donc.

Nous fîmes entrer notre victime dans un cabinet attenant à cette salle, où nous trouvâmes tout ce qui était nécessaire pour le supplice que nous destinions à ce jeune homme. Il fut aussi long qu’affreux : l’infernale Clairwil but son sang et avala une de ses couilles. Moins portée à ces meurtres masculins que Clairwil, mon délire ne fut peut-être pas aussi vif que le sien : il l’eût été davantage avec une femme. Quoi qu’il en fût, je déchargeai beaucoup, et, quittant le sérail des hommes, nous repassâmes dans celui des filles.

— Montons dans la salle où il se fait des choses extraordinaires, dis-je à Clairwil, nous ne ferons rien si tu veux, mais nous verrons faire.

Un homme de quarante ans (c’était un prêtre) tenait une petite fille de quinze ans, fort jolie, pendue par les cheveux au plafond ; il la lardait à coups d’aiguille : le sang ruisselait de toutes parts. Il encula Clairwil en mordant mon cul. Un second donnait le fouet sur la gorge et sur le visage à une très belle fille de vingt ans ; il se contenta de nous demander si nous voulions en recevoir autant. C’était par un pied que le troisième avait pendu sa victime. Rien n’était plaisant comme de voir cette créature ainsi accrochée : elle paraissait avoir dix-huit ans, un beau corps ; au moyen de cette attitude, le con se trouvant fort écarté, le vilain enfonçait dedans un godemiché à pointes de fer. Quand il nous vit, il dit à Clairwil de tenir celle des jambes de cette fille qui pendait, afin de lui entrouvrir davantage le vagin, et il me plaça à genoux près de lui, en m’ordonnant de lui branler le cul d’une main, le vit de l’autre ; en très peu de minutes, nous fûmes toutes deux couvertes du sang que perdait la victime. Le quatrième était un vieux robin de soixante ans ; il avait enchaîné sur un gril une très jolie petite fille de douze ans, et, par le moyen d’un vaste réchaud de braise que le vilain ôtait et remettait à volonté, il la faisait rôtir en détail : je vous laisse à penser quels cris poussait la malheureuse, quand il plaisait à cet homme cruel de lui griller les chairs. Dès qu’il nous vit, il chauffa sa créature, et me demanda le cul ; je le lui présentai ; il l’enfile en claquant celui de ma compagne ; mais malheureusement il décharge : le supplice est interrompu, et le barbare nous maudit d’être ainsi venues le troubler.

Tout cela m’avait échauffé la tête : je voulus absolument passer dans la salle des meurtres. Clairwil m’y suivit par complaisance : quoiqu’elle n’aimât pas tuer les femmes, sa férocité naturelle lui faisait indifféremment accepter tout ce qui flattait ses goûts.

Je fis mettre vingt filles en haie, sur lesquelles j’en choisis une de dix-sept ans, de la plus jolie figure qu’il fût possible de voir. Je passai avec elle dans le cabinet qui m’était destiné.

La malheureuse que j’allais sacrifier, s’imaginant trouver plus de pitié dans mon cœur que dans celui d’un homme, se jeta à mes pieds pour m’attendrir : belle comme un ange, et pleine de délicatesse, ses moyens eussent nécessairement triomphé avec une âme moins endurcie, moins corrompue que la mienne… Il n’était plus temps. Tout ce qu’elle employa pour m’adoucir ne servit qu’à m’irriter davantage… Aurais-je osé faiblir sous les yeux de Clairwil ! Après m’être fait sucer deux heures par cette belle fille, après l’avoir souffletée, battue, fustigée, après l’avoir enfin flétrie de toutes les manières, je la fis lier sur une table, et la criblai de coups de poignard, pendant que mon amie, accroupie sur moi, me chatouillait à la fois, le clitoris, l’intérieur du vagin, et le trou du cul. De mes jours je n’avais fait une aussi délicieuse décharge ; elle m’épuisa au point de m’ôter la force de reparaître au salon. J’emmenai Clairwil chez moi ; nous soupâmes et couchâmes ensemble. Ce fut là où cette charmante femme, s’imaginant m’avoir vu manquer d’énergie dans l’action que je venais de commettre, crut devoir m’adresser le conseil suivant :

— En vérité, Juliette, me dit-elle, ta conscience n’est pas encore où je la voudrais ; ce que j’exige est qu’elle devienne tellement tortue qu’elle ne puisse jamais se redresser ; il faudrait employer mes moyens pour en venir là ; je te les indiquerai, si tu veux, mais je crains que tu n’aies pas la force de les mettre en usage. Ces moyens, chère amie, sont de faire à l’instant, de sang-froid, la même chose qui, faite dans l’ivresse, a pu nous donner des remords. De cette manière, on heurte fortement la vertu quand elle se remonte, et cette habitude de la molester positivement, à l’instant où le calme des sens lui donne envie de reparaître est une des façons les plus sûres de l’anéantir pour jamais. Emploie ce secret, il est infaillible ; dès qu’un instant de calme laisse arriver à toi la vertu sous la forme du remords (car c’est toujours là le déguisement qu’elle prend pour nous ressaisir), dès que tu t’en aperçois, fais, sur-le-champ, la chose dont tu allais concevoir du regret : à la quatrième fois, tu n’entendras plus rien, et tu seras tranquille toute ta vie. Mais il faut beaucoup de force pour cela ; car c’est l’illusion qui soutient le crime, et il devient très difficile, pour une âme faible, de le commettre quand elle est dissipée ; le secret est pourtant certain : je dis mieux, c’est que, par vertu même, tu ne concevras plus le repentir, car tu auras pris l’habitude de faire mal dès qu’elle se montre ; et pour ne plus faire mal, tu l’empêcheras de paraître. Ô Juliette ! sois-en sûre, il est difficile de te donner un meilleur conseil sur cette importante matière : tu le vois, puisqu’il t’apprend à vaincre totalement la plus pénible des situations, soit que tu veuilles la combattre par le vice, soit que tu veuilles l’anéantir par la vertu.

— Clairwil, dis-je à mon amie, ce conseil est excellent, sans doute, mais mon âme a fait un tel chemin dans la carrière du vice, que je ne crois pas avoir besoin de ton remède pour lui redonner de la vigueur : sois bien assurée que tu ne me verras jamais frémir, quelle que soit l’action qu’il me faille commettre, soit pour mes intérêts, soit pour mes plaisirs.

— Cher ange, me dit Clairwil en me baisant, je t’exhorte à n’avoir jamais d’autres Dieux.

À quelque temps de là, Clairwil vint me proposer une assez singulière partie. Nous étions dans le carême.

— Allons faire nos dévotions, me dit-elle.

— Es-tu folle ?

— Non : c’est une fantaisie fort extraordinaire que j’ai conçue depuis quelque temps, et que je ne veux passer qu’avec toi. Il y a, aux Carmes, un religieux de trente-cinq ans, beau comme le jour ; je le convoite depuis six mois ; je veux absolument en être foutue, mais par un moyen bien plaisant : nous allons aller en confesse à lui ; nous échaufferons sa tête par les plus lubriques détails ; il bandera ; je suis persuadée que, de lui-même, il nous fera des propositions ; il nous indiquera la façon de le voir, nous nous y rendrons sur-le-champ, et nous l’épuiserons… Nous n’en resterons pas là ; nous irons communier, nous recueillerons les hosties dans nos mouchoirs, puis nous reviendrons déjeuner chez toi et faire des horreurs sur ce misérable symbole de l’infâme religion chrétienne.

Ici, je crus devoir faire observer à mon amie que la première partie de ses projets me paraissait avoir plus de charmes et plus de réalité que la seconde.

— Dès que nous ne croyons pas en Dieu, ma chère, lui dis-je, les profanations que tu désires ne sont plus que des enfantillages absolument inutiles.

— J’en conviens, me dit-elle, mais je les aime ; elles échauffent ma tête ; rien, selon moi, n’enlève comme cela la possibilité du retour : on ne peut plus rendre aucune existence à des objets qu’on a traités de cette manière. Te l’avouerai-je, d’ailleurs ? je ne te crois pas encore très ferme sur toutes ces choses-là.

— Ah ! Clairwil, quelle est ton erreur, répondis-je, je suis peut-être plus rassurée que toi ; mon athéisme est à son comble. N’imagine donc pas que j’aie besoin des enfantillages que tu me proposes pour m’y affermir ; je les exécuterai, puisqu’ils te plaisent, mais comme de simples amusements, et jamais comme une chose nécessaire, soit à fortifier ma façon de penser, soit à en convaincre les autres.

— Eh bien ! mon ange, me répondit Clairwil, eh bien ! soit, nous ne les ferons que comme un plaisir : bien sûre de toi maintenant, je ne les exigerai pas d’une autre manière. Mais livrons-nous à cette plaisanterie par libertinage, je t’en conjure.

— La confession où nous séduirons le carme en est un acte bien constaté et bien délicieux, répondis-je ; mais la profanation du petit morceau de pâte rond, qui forme la ridicule idole des chrétiens, ne saurait pas plus en être un, que la rupture ou la brûlure d’un chiffon de papier.

— D’accord, reprit Clairwil, mais aucune sorte d’idée n’est attachée à ce morceau de papier, et les trois quarts de l’Europe en attachent de très religieuses à cette hostie… à ce crucifix, et voilà d’où vient que j’aime à les profaner ; je fronde l’opinion publique, cela m’amuse ; je foule aux pieds les préjugés de mon enfance, je les anéantis, cela m’échauffe la tête.

— Eh bien ! partons, répondis-je, je suis à toi.

Nous montâmes en voiture ; notre toilette simple et sans art répondait parfaitement à nos projets, et le père Claude, que nous demandâmes et qui arriva bientôt au confessionnal, ne put assurément nous prendre que pour deux dévotes.

Clairwil commença ; je m’en aperçus : le pauvre carme était déjà tout en feu quand je le pris.

— Oh ! mon père, lui dis-je, accordez-moi beaucoup d’indulgence, car j’ai de grandes horreurs à vous révéler !

— Courage, mon enfant, Dieu est bon et miséricordieux, il nous écoute avec bonté ; de quoi est-il donc question ?

— De fautes énormes, mon père, et qu’un affreux libertinage me fait commettre chaque jour : quoique bien jeune encore, j’ai brisé tous les freins, j’ai cessé d’implorer l’Être suprême et il s’est séparé de moi. Oh ! quel besoin j’ai de votre intercession près de lui ! les écarts de ma luxure vous feront frémir, j’ose à peine vous les avouer.

— Êtes-vous mariée ?

— Oui, mon père, et j’outrage chaque jour mon époux par la conduite la plus débordée.

— Un amant… une inclination ?

— Le goût des hommes en général, celui des femmes, tous les genres possibles de débauche.

— Vous avez donc un tempérament ?…

— Irrassasiable, mon père ; voilà ce qui m’entraîne dans la carrière du vice… ce qui m’y plonge avec un tel acharnement, que je crains bien de succomber sans cesse, malgré tous les secours que la religion peut m’offrir… Faut-il vous l’avouer, dans ce moment-ci même, le plaisir de vous entretenir en secret vient troubler l’action de la grâce ; je cherche Dieu dans ce saint tribunal, et je n’y vois qu’un homme charmant que je suis prête à préférer à lui.

— Ma fille… dit le pauvre moine tout troublé, votre état me fait peine… il m’afflige… De grandes pénitences pourront seules…

— Ah ! la plus cruelle pour moi sera de ne plus vous voir… Et pourquoi donc les ministres de Dieu ont-ils des charmes qui distraient du seul objet qui devrait occuper ici ? Mon père, je brûle au lieu d’être apaisée ; homme céleste, c’est à mon cœur que vont tes paroles, et non à mon esprit, et je ne rencontre que de l’irritation où je voudrais trouver du calme. Voyons-nous dans un autre lieu ; quitte cet appareil redoutable qui m’effraie, cesse un moment d’être l’homme de Dieu, pour n’être plus que l’amant de Juliette.

Claude bandait comme un homme de son ordre ; une gorge blanche et ronde que j’avais adroitement découverte devant lui, des yeux très animés, des gestes qui devaient le convaincre de l’état où j’étais, tout détermina le carme ; il était hors de lui.

— Aimable dame, me dit-il de l’air le plus ardent, votre amie, dans le même cas que vous, vient aussi de me proposer des choses… que vos yeux m’inspirent… que je brûle de faire… Vous êtes deux sirènes qui m’enivrez par vos douces paroles, et je ne suis plus en état de résister à tant de charmes : quittons l’église ; j’ai près d’ici une petite chambre… voulez-vous y venir ? je ferai tout ce qui dépendra de moi pour vous calmer.

Puis, quittant le confessionnal et prenant la main de Clairwil :

— Suivez-moi, suivez-moi toutes deux, femmes séductrices, c’est l’esprit infernal qui vous envoie pour me tenter : ah ! puisqu’il fut plus puissant que Dieu même, il faut bien qu’il maîtrise un carme.

Nous sortîmes. La nuit était déjà fort sombre ; Claude nous dit de bien examiner où il entrerait, et de le suivre à vingt pas de distance. Il prit le chemin de la barrière de Vaugirard, et nous arrivâmes bientôt dans un réduit mystérieux et baie, où le bon moine nous offrit des biscuits et des liqueurs.

— Homme charmant, lui dit ma compagne, laissons là le langage mystique ; nous te connaissons maintenant toutes les deux ; nous t’aimons : que dis-je, nous brûlons du désir d’être foutues par toi. Ris avec nous de la ruse que nous avons employée ; et satisfais-nous. Il y a pour mon compte six mois que je t’adore, et deux heures que je décharge pour ton vit. Tiens, poursuit notre libertine, en se troussant, voilà où je veux le nicher ; vois si la cage est digne de l’oiseau.

Se jetant aussitôt sur le lit, la coquine a bientôt mis le braquemart à l’air.

— Oh ! juste ciel, quel engin !… Juliette, me dit Clairwil eu se pâmant d’avance, saisis cette poutre, si tes mains peuvent l’empoigner, et conduis-là ; je te rendrai bientôt le même service.

Clairwil est obéie ; l’engin disparaît bientôt dans un con qui, déjà tout humecté de foutre, bâillait depuis un quart d’heure pour le recevoir. Oh ! mes amis, qu’on a raison de citer un carme, quand on veut offrir un modèle de vit et d’érection. Le membre de Claude, semblable à celui d’un mulet, portait neuf pouces six lignes de tour sur treize pouces de long, tête franche, et cette tête redoutable, mes amis, mes deux mains l’empoignaient à peine. C’était le plus beau champignon, le plus rubicond qu’il soit possible d’imaginer. Par un miracle de la nature, uniquement accordé par elle à ses favoris, Claude était doué de trois couilles !… mais comme elles étaient pleines !… comme elles étaient gonflées ! Il y avait, de son propre aveu, plus d’un mois que le coquin n’avait perdu de semence. Quels flots il en répandit dans le con de Clairwil, sitôt qu’il en eut touché le fond ! et dans quel état cette prolifique éjaculation mit ma voluptueuse compagne ! Claude me maniait en foutant, et la manière adroite dont il chatouillait mon clitoris me fit bientôt imiter le modèle que j’avais sous les yeux. Le moine se retire ; je le patine ; Clairwil reste en attitude ; la putain se chatouille en attendant qu’on la refoute. L’outil reprend sa vigueur : j’ai si bien l’art de le branler43 ! Claude, échappant bientôt de la main qui le dirige, veut s’engloutir au vagin présenté.

— Non, non, dit Clairwil en contenant l’ardeur de son amant, Juliette, fais-le moi désirer ; branle-moi le clitoris.

Et Claude ne se prête à ces préliminaires qu’en me palpant ; pendant qu’une de ses mains entrouvre le con de Clairwil, l’autre me masturbe. Enfin, semblable au coursier fougueux qui se dérobe au frein de son conducteur, Claude s’engloutit dans l’antre qui lui est offert… et, me renversant à côté de Clairwil, le fripon fout l’une à tour de reins, pendant qu’il branle l’autre avec toute l’adresse imaginable.

— Tu me crèves, scélérat ! dit Clairwil en jurant comme me forcenée. Ah ! sacré foutredieu ! je ne tiens pas à tes coups de reins : il n’en est pas un qui ne me coûte un torrent de sperme… Baise-moi donc, au moins, redoutable fouteur… enfonce ta langue dans ma bouche, aussi avant que ton vit l’est dans ma matrice… Ah ! foutre, je décharge… Ne m’imite pas, poursuit-elle en le jetant de côté d’un vigoureux coup de cul, réserve tes forces ! il faut que tu me limes encore.

Mais le malheureux, ne pouvant se contenir, déchargeait une seconde fois ; je le branlai en dirigeant sur le con tout bâillant de Clairwil les flots écumants qu’il lançait. C’était avec du foutre que je tâchais d’éteindre les feux qu’allumait le foutre.

— Ah ! double foutu Dieu ! dit Clairwil en se relevant, ce bougre-là m’a tuée… Juliette, tu ne le soutiendras pas.

Cependant, elle s’empare du moine, elle le secoue ; pour presser l’érection du serviteur de Dieu, la coquine essaye de le sucer, mais l’engin est trop gros pour entrer dans sa bouche ; usant d’un autre moyen, elle lui enfonce deux doigts dans le cul : avec des moines faits à s’enculer, un tel remède est toujours efficace.

Sur les libertines questions de Clairwil à ce sujet, Claude convient que, dans sa jeunesse, il servit de bardache à ses confrères.

— Eh bien ! nous te foutrons aussi, dit Clairwil en découvrant les fesses du moine, les lui baisant et gamahuchant le trou. Oui, nous te sodomiserons, poursuit-elle en lui montrant un godemiché : ta maîtresse va devenir ton amant. Oui, mon ami, je vais t’enculer, et tu nous enculeras toutes deux après, si cela t’amuse. Tiens, vois ce derrière, dit-elle en montrant ses fesses au carme, ne valent-elles pas bien le con que tu viens de foutre ? Tout est bon pour des putains comme nous ; et lorsque nous venons pour être foutues, c’est dans toutes les parties de notre corps que nous prétendons l’être. Allons, scélérat ! tu bandes, fous cette charmante novice qui vient de se confesser à toi, enconne-là, jean-foutre ! pour sa pénitence, et fous-là surtout aussi roide que tu m’as foutue.

Elle m’amène ce monstre ; j’étais sur le lit, les cuisses écartées… l’autel s’offrait au sacrificateur…

Mais quel que fût mon libertinage, à quelque point que je fusse accoutumée aux introductions des plus beaux vits de Paris, il me fut cependant impossible de soutenir celui-là sans préparation. Clairwil a pitié de moi ; elle humecte de sa bouche, et les lèvres de mon con et l’énorme tête du vit de Claude. Pressant ensuite mes fesses d’une main, pour avancer mon ventre sur le bélier, et rapprochant de l’autre ce terrible engin sur mon con, elle fit tant, qu’il pénétra de quelques lignes. Claude, encouragé par ce commencement de victoire, me saisit les reins avec force ; il sacre, il écume, il pourfend, il triomphe. Mais ses lauriers me coûtent du sang ; j’en perds autant que le jour où mon pucelage fut cueilli, et les douleurs furent les mêmes ; bientôt métamorphosées, néanmoins, dans les plus douces sensations de plaisir, je rends à mon vainqueur tous les coups de reins dont il m’accable.

— Fixe un moment ces impétueux élans, dit Clairwil à mon cavalier, je ne puis saisir ton cul dans ces voluptueuses agitations, et tu sais que je t’ai promis de le foutre.

Claude s’arrête ; deux très belles fesses s’entrouvrent sous les doigts libertins de Clairwil : affublée d’un godemiché, la garce encule mon fouteur. Cet épisode, si précieux pour un libertin, ne sert qu’à le rendre plus agile encore, il pousse, il presse, il décharge, et je n’ai pas le temps de le rejeter : l’aurais-je pu, grand Dieu ! et ma tête égarée me l’eût-elle permis ? Ah ! pense-t-on à des dangers quand on est ivre de plaisir ?

— À mon tour, dit Clairwil, ne le laissons pas reposer ; tiens, bougre, voilà mes fesses, encule-moi ; tu vas me mettre en sang, je le sais, que m’importe ? Prends le godemiché, Juliette, tu le sodomiseras, tu me rendras ce que j’ai fait pour toi.

Claude, excité par mes caresses, par la perspective du beau cul que lui présente Clairwil, n’est pas longtemps à se ranimer ; je rends à mon amie ce que j’en ai reçu, ma bouche humecte son anus et le saint dard du serviteur du Christ. On ne se figure pas les peines que Claude éprouve à pénétrer : vingt fois il est hors de combat par la difficulté de l’entreprise ; mais mon amie se prête avec tant d’art, elle désire ce vit avec tant d’ardeur, qu’il s’engloutit enfin dans son cul…

— Oh ! foutre, il m’estropie ! s’écrie-t-elle.

Elle veut fuir, elle veut se débarrasser du poignard monstrueux qui la sonde. Il n’est plus temps : l’engin, disparu tout entier, ne laisse plus même apercevoir sa liaison avec le libertin qui l’emploie.

— Ah ! Juliette ! s’écrie mon amie, laisse ce bougre-là, ne l’excite pas plus qu’il n’est ; j’ai bien plus besoin de ta main que son cul n’a besoin de ton godemiché ; viens me branler, car je me meurs.

Quoi qu’elle en dise, j’encule avant tout le moine, puis, allongeant mon bras, je branle mon amie : vivement chatouillée par moi, la putain soutient avec un peu plus de courage les assauts qui lui sont portés.

— J’ai trop auguré de mes forces ! s’écrie-t-elle ; Juliette, ne m’imite pas, il pourrait t’en coûter la vie.

Cependant Claude décharge ; on ne vit jamais ardeur mieux soutenue, le vilain braie comme un âne, et laisse au fond du cul de ma compagne des preuves non équivoques du plaisir qu’il vient de goûter.

Clairwil était en sang ; je brûlais de l’imiter, elle s’y opposa.

— Il ne faut pas, dit-elle, pour le vain plaisir d’un instant, risquer le bonheur de ses jours : ce n’est pas un homme que ce drôle-là, c’est un taureau ; je suis bien persuadée qu’il n’a jamais pu foutre de femmes de sa vie.

Et le pénaillon avoua qu’il n’y avait, dans tout Paris, que le cul de son supérieur qui pût résister à son vit.

— Tu l’encules donc, scélérat ? dit Clairwil.

— Très souvent.

— Et tu dis la messe, tu confesses, avec la journalière habitude de ces désordres ?

— Pourquoi pas ? le plus dévot des hommes est celui qui sert tous les Dieux… Mesdames, poursuivit le moine assis au milieu de nous et maniant un cul de chaque main, vous imaginez-vous que nous croyons à la religion plus que vous ? Placés plus près de l’Être qu’elle suppose, nous apercevons bien mieux que d’autres tous les linéaments de la chimère. La religion est une fable sacrée dont nous avons besoin pour vivre, et le marchand ne doit pas discréditer sa boutique. Nous vendons des absolutions et des Dieux, comme une maquerelle vend des putains. Sommes-nous donc d’une autre chair que la vôtre, pour être insensibles à vos passions ? et croyez-vous que quelques actions ridicules, quelques simagrées absurdes, nous cuirassent aux dards de l’humanité ? Eh non ! « Les passions, dit un homme d’esprit, prennent une nouvelle force sous le froc ; on les porte dans le cœur, l’exemple les fait éclore, l’oisiveté les renouvelle, l’occasion les augmente : le moyen d’y résister ? » Les vrais athées sont chez les prêtres, mes chères dames ; vous ne faites, vous autres, que soupçonner le néant de l’idole : nous qui sommes les prétendus confidents, nous sommes bien sûrs qu’elle n’existe pas. Toutes les religions révélées que l’on voit dans le monde sont remplies de dogmes mystérieux, de principes inintelligibles, de merveilles incroyables, de récits étonnants qui ne semblent imaginés que pour confondre la raison ; elles annoncent toutes un Dieu caché, dont l’existence est un mystère. La conduite que l’on lui prête est aussi difficile à concevoir que l’essence de ce Dieu lui-même : si la Divinité existait, aurait-elle parlé d’une façon si énigmatique ? Que signifierait de se révéler, pour n’annoncer que des mystères ? Plus une religion a de mystères, plus elle présente à l’esprit de choses incroyables, et plus elle plaît, malheureusement, aux hommes, qui y trouvent dès lors une pâture continuelle ; plus une religion est ténébreuse, et plus elle paraît divine, c’est-à-dire conforme à la nature d’un être caché, et duquel on n’a point d’idée. C’est le propre de l’ignorance de préférer l’inconnu, le fabuleux, le merveilleux, l’incroyable, le terrible même, à ce qui est clair, simple et vrai. Le vrai ne donne pas à l’imagination des secousses aussi vives que la fiction ; le vulgaire ne demande pas mieux que d’écouter les fables absurdes que nous lui débitons ; les prêtres et les législateurs, en inventant des religions et en forgeant des mystères, ont bien servi le peuple à son gré ; ils se sont attaché par là des enthousiastes, des femmes, des ignorants ; de pareils individus se payent aisément de raisons qu’ils sont incapables d’examiner ; l’amour du simple et du vrai ne se trouve que dans le petit nombre de ceux dont l’imagination est réglée par l’étude et par la réflexion. Non, non, mesdames, rassurez-vous, il n’est point de Dieu : l’existence de cette infâme chimère est impossible à supposer, et toutes les contradictions qu’elle renferme suffisent à la culbuter, au plus léger examen que nous daignons en faire.

Pendant cette discussion, le moine, assis entre Clairwil et moi, ainsi que je viens de vous le dire, branlait à la fois nos deux culs.

— Le beau derrière ! disait-il en parlant du mien… quel dommage de ne pouvoir enfiler cela !… Mais si nous essayions ?… Oh ! madame, un peu de complaisance : avec tant de beauté, peut-on être cruelle ?

— Scélérat, dis-je en me relevant, je ne te prêterai même plus mon con ; je me ressens encore trop du mal que tu m’as fait, pour avoir envie de m’exposer à de nouvelles douleurs. Secouons-le, Clairwil, faisons-le décharger jusqu’au sang pour qu’il n’ait plus envie de recommencer.

Nous l’étendîmes sur le lit ; Clairwil le branlait sur ses tétons, et moi, accroupie sur son nez, je lui faisais baiser la porte du temple dont je lui interdisais l’entrée ; il le chatouillait avec sa langue, et, repassant une de ses mains sur ma motte, il me branlait le clitoris ; nous déchargeâmes encore une fois tous les deux.

Clairwil demanda au moine s’il existait beaucoup de libertins comme lui dans son couvent ; Claude lui ayant assuré qu’il y en avait au moins trente, mon amie voulut savoir s’il serait possible d’aller faire une partie dans l’intérieur de sa maison.

— Assurément, répondit le moine ; si vous voulez être bien foutues, vous n’avez qu’à venir l’une et l’autre, et je vous réponds qu’on vous forcera d’implorer grâce.

Alors Clairwil demanda si la partie d’impiété qu’elle désirait aurait également lieu de cette manière.

— Bien mieux qu’ailleurs, dit le carme, nous vous ferons faire chez nous tout ce que vous voudrez.

— Mon cher, dit Clairwil, comme nous ne voulons pas venir en vain, va demander à ton supérieur si ce que nous désirons est possible ; explique-lui bien tout ; nous attendons ta réponse.

— Juliette, me dit Clairwil, dès que le moine fut dehors, tu sens que ce coquin-là m’a trop bien foutue pour que je ne lui désire pas la mort… et la plus affreuse, sans doute.

— Oh, ciel ! tu complotes déjà contre ce malheureux ?

— L’horreur que j’ai pour les hommes, quand ils m’ont satisfaite, se mesure aux plaisirs que j’ai reçus, et il y avait bien longtemps que je n’avais aussi délicieusement déchargé… Il faut qu’il meure. Deux moyens s’offrent à mon esprit pour le perdre : celui de le faire mettre in pace par son supérieur ; il ne s’agit pour cela que de faire sentir à ce chef combien il est dangereux d’avoir chez lui un homme capable de révéler, comme Claude l’a fait avec nous, tous les secrets de la maison ; mais, par ce moyen, il ne me restera plus rien de lui : et j’ai des projets sur son merveilleux engin.

— Mais si tu le fais mourir, comment ces projets s’exécuteront-ils ?

— Le plus facilement du monde ; engageons-le à venir passer vingt-quatre heures à la terre : on verra le reste… Oh, Juliette ! quel beau godemiché que le vit de ce bougre-là !

Et comme mon amie ne voulut pas s’expliquer davantage, en attendant le retour du moine, nous nous amusâmes à fouiller son manoir.

On n’a pas d’idée de ce que nous y trouvâmes d’estampes et de livres obscènes : le premier que nous aperçûmes, fut le Portier des Chartreux, production plus polissonne que libertine, et qui, néanmoins, malgré la candeur et la bonne foi qui y règne, donna, dit-on, au lit de la mort, des repentirs à son auteur… Quelle sottise ! l’homme capable de se repentir en ce moment de ce qu’il osa dire ou écrire pendant sa vie, n’est qu’un lâche dont la postérité doit flétrir la mémoire.

Le second fut l’Académie des Dames, ouvrage dont le plan est bon, mais l’exécution mauvaise ; fait par un homme timide qui avait l’air de sentir la vérité, mais qui n’osait la dire, et d’ailleurs, plein de bavardage.

L’Éducation de Laure fut le troisième : autre production manquée net, par de fausses considérations. Si l’auteur eût prononcé l’uxoricide, qu’il laisse soupçonner, et l’inceste, autour duquel il tourne sans cesse en ne l’avouant jamais, s’il eût multiplié davantage les scènes luxurieuses… mis en action les goûts cruels dont il ne fait que donner l’idée dans sa préface, l’ouvrage, plein d’imagination, devenait délicieux : mais les trembleurs me désespèrent, et j’aimerais cent fois mieux qu’ils n’écrivissent rien, que de nous donner des moitiés d’idées.

Thérèse philosophe figurait : ouvrage charmant du marquis d’Argens44, le seul qui ait montré le but, sans néanmoins l’atteindre tout à fait ; l’unique qui ait agréablement lié la luxure à l’impiété, et qui, bientôt rendu au public tel que l’auteur l’avait primitivement conçu, donnera enfin l’idée d’un livre immoral.

Le reste était de ces misérables petites brochures, faites dans des cafés ou dans des bordels, et qui prouvent à la fois deux vides dans leurs mesquins auteurs : celui de l’esprit et celui de l’estomac. La luxure, fille de l’opulence et de la supériorité, ne peut être traitée que par des gens d’une certaine trempe… que par des individus, enfin, qui, caressés d’abord par la nature, le soient assez bien ensuite par la fortune pour avoir eux-mêmes essayé ce que nous trace leur pinceau luxurieux ; or, cela devient parfaitement impossible aux polissons qui nous inondent des méprisables brochures dont je parle, parmi lesquelles je n’excepte pas même celle de Mirabeau, qui voulut être libertin pour être quelque chose, et qui n’est et ne sera pourtant rien toute sa vie45.

À la suite de nos recherches chez le moine, nous trouvâmes des godemichés, des condoms, des martinets, tous meubles qui nous convainquirent que le père Claude ne nous avait pas attendues pour se jeter dans le libertinage. Il revint.

— J’ai, nous dit-il, l’acceptation en forme de mon supérieur : vous pouvez venir quand il vous plaira.

— Ce ne sera pas long, mon ami, répondis-je, nous avons été trop bien choyées par un seul membre de l’ordre, pour ne pas merveilleusement augurer du reste : repose-toi sur nos cons fougueux, et juge, par ce que tu leur as vu faire, de ce qu’ils pourront entreprendre quand ils seront encore mieux foutus. En attendant, Claude, je t’invite à nous venir voir dans trois jours ; mon amie et moi nous te recevrons dans une terre charmante où tu nous combleras de plaisirs ; répare tes forces, et ne manque pas.

Nous voulûmes, en passant, prendre langue nous-mêmes avec le supérieur ; c’était un homme de soixante ans, d’une superbe figure, et qui nous reçut à merveille.

— Vous nous ferez le plus grand plaisir, nous dit-il ; parmi les trente moines qui sont dignes de ces orgies, je vous en promets vingt de trente à trente-cinq ans qui, membrés comme Claude et vigoureux comme des moines, vous traiteront comme des Messalines. À l’égard du mystère, vous pouvez être sûres qu’il sera plus exact qu’il ne saurait jamais l’être dans le monde. Vous avez désiré quelques impiétés ; nous savons ce que sont toutes ces petites folies, soyez tranquilles, vous serez satisfaites sur tout. Les sots disent que les moines ne sont bons à rien : nous vous prouverons, mesdames, que les carmes, au moins, sont excellents pour foutre.

Un langage aussi énergique, joint aux épreuves que nous venions de faire, ne pouvait plus nous laisser de doutes sur la façon dont nous serions reçues. Nous prévînmes ces honnêtes anachorètes que nous amènerions avec nous deux jolies filles pour aider et servir nos amusements. Mais comme différentes affaires s’opposaient à ce que cette agréable partie s’arrangeât aussi vite que nous l’aurions désiré, elle fut remise au jour de Pâques.

— Ce choix s’arrange on ne peut mieux avec nos petites impiétés, dit Clairwil ; j’aurai, quoi qu’on en puisse dire, un véritable plaisir à profaner le plus saint des mystères de la religion chrétienne, dans celui des jours de l’année qu’elle regarde comme une de ses plus grandes fêtes.

Il y avait près d’un mois jusqu’à cette époque, et comme cet intervalle est marqué par deux événements assez singuliers, je crois devoir les placer ici dans leur ordre, avant que de vous entretenir des suites de notre libertinage aux Carmes.

Le premier de ces événements fut la mort tragique de Claude. Le malheureux vint à la campagne au jour indiqué ; Clairwil s’y trouva ; nous entourâmes cet infortuné de plaisirs, et quand son vit fut dans la plus grande érection, ma scélérate amie, le faisant aussitôt captiver par cinq femmes, lui fit trancher la verge au niveau du ventre et, l’ayant fait préparer par un chirurgien, elle s’en composa le plus singulier et le plus beau godemiché qu’on ait vu de la vie. Claude expira dans d’affreux tourments, dont Clairwil nourrit sa lubrique rage, pendant que trois femmes et moi la branlions à deux pieds de la victime, et parfaitement en face d’elle.

— Eh bien ! me dit la putain après nous avoir inondées de foutre, ne t’avais-je pas dit qu’en massacrant ce bougre-là il me resterait pourtant quelque chose de lui ?

Voici quel fut le second événement. Je doute qu’il fasse plus d’honneur à mon âme que n’en fit, à celle de mon amie, le trait que je viens de vous raconter.

J’étais à ma toilette, entourée d’une foule de courtisans qui paraissaient attendre avec respect toute leur fortune de moi. Un de mes gens m’annonce un homme de quarante-cinq ans, dans la plus extrême misère, et qui sollicite avec ardeur la grâce de m’entretenir un instant en particulier. Je fais répondre d’abord que je ne suis pas dans l’usage de recevoir de pareilles gens, que, s’il s’agit de secours ou de recommandations auprès du ministre, on n’a qu’à me présenter un mémoire, et que je verrai ce qu’il sera possible de faire. L’ardent solliciteur insiste : plus par curiosité que par aucun autre motif, je dis enfin qu’on fasse entrer dans un petit salon où je donnais communément mes audiences secrètes ; et, après avoir ordonné à mes gens de ne point s’éloigner, je vais écouter ce nouveau personnage.

— Je me nomme Bernole, madame, me dit l’inconnu, je sais que ce nom doit être ignoré de vous : il ne le serait pas autant de la mère que vous avez eu le malheur de perdre, et qui, malgré le faste où vous vivez, ne vous laisserait pas dans le désordre et le libertinage qui vous le procurent.

— Monsieur, dis-je à cet homme en l’interrompant, le ton que vous prenez n’est guère, ce me semble, celui de quelqu’un qui sollicite des secours…

— Doucement, Juliette, reprit Bernole, il est possible que je demande des secours, et très possible en même temps que j’aie avec vous des droits qui m’autorisent au ton dont vous vous plaignez.

— Quel que soit votre rang, apprenez, monsieur…

— Apprenez vous-même, Juliette, que si je viens implorer des secours près de vous, je vous honore en vous les demandant ; jetez les yeux sur ces papiers, mademoiselle, et vous y verrez à la fois, et le besoin que j’ai de ces secours, et le droit que j’ai de les demander à vous.

— Oh, ciel ! que vois-je ? interrompis-je après avoir parcouru ces papiers ; quoi, ma mère !… elle fut coupable… et c’est avec vous ?

— Oui, Juliette, je suis votre père, reprit Bernole avec vivacité… c’est moi qui vous donnai le jour ; j’étais le cousin de votre mère ; mes parents me destinaient à elle : un mariage plus avantageux se présenta, elle fut sacrifiée ; elle était déjà grosse de vous : nous osâmes tromper votre père, il s’aveugla sur votre naissance… C’est à moi seul que vous la devez ; une tache de café au-dessous du sein droit prouve ce que j’avance… Juliette, portez-vous cette marque ?

— Oui monsieur.

— Reconnais donc ton père, âme insensible et froide ! ou, si tu balances encore, parcours avec plus d’attention ces papiers : ils éclairciront tous tes doutes. Après la mort de ta mère… mort affreuse… fruit de la scélératesse d’un certain Noirceuil, avec lequel tu oses, quoique instruite, avoir des liaisons, et qui serait roué demain si nous avions des preuves (elles nous manquent malheureusement)… après cette mort, dis-je, toutes les infortunes possibles sont venues fondre sur ma tête : mon bien fut englouti avec celui de ta mère ; il y a dix-huit ans que je ne vis que des charités publiques. Mais je te retrouve, Juliette, tous mes malheurs sont finis…

— Monsieur, dis-je, j’ai ma sœur, que des préjugés, vaincus par moi, retiennent sans doute dans la misère : est-ce aussi de vous qu’elle tient la vie ?

— Justine !

— Oui, monsieur.

— Assurément, elle est aussi ma fille, rien ne put vaincre le penchant qu’eut pour moi ta mère de tout temps, et j’ai toujours joui seul du bonheur de la rendre mère.

— Ô ciel ! s’écria la malheureuse Justine, mon père était vivant, et je l’ignorais ! Dieu ! que ne me l’envoyais-tu ? J’eusse adouci ses peines, j’eusse partagé ma misère avec lui, et il eût, ma sœur, retrouvé dans mon âme sensible les consolations que la vôtre lui refusa barbarement, sans doute.

— Mon enfant, dit le marquis, qu’une nuit passée avec Justine avait étonnamment irrité contre cette fille, quand on vous fait ici l’honneur de vous admettre, ce n’est point pour entendre vos jérémiades, et je prie madame de continuer.

— J’imagine, mes amis, que vous me rendez assez de justice pour croire que je n’étais ni flattée, ni attendrie de cet événement ; aucune âme n’était moins faite que la mienne aux reconnaissances dramatiques ; je n’avais pas même versé une larme pour la perte de celui que je croyais mon père depuis ma naissance : était-il naturel que je fusse fort touchée des malheurs de celui que le hasard me rendait ? J’avais d’ailleurs, vous le savez, un profond éloignement pour les aumônes ; c’était, selon moi, l’argent le plus mal employé ; et l’individu qui se présentait avait beau se dire mon père, il n’en fallait pas moins, pour le contenter, ou diminuer mon trésor, ou implorer pour ce malheureux un ministre qui, aussi dur, aussi inflexible que moi sur ces sortes de réclamations, ne pouvait pas souffrir que je l’importunasse pour lui en faire. Assurément, je ne pouvais pas douter que le personnage dont il s’agissait ne fût l’auteur de mes jours ; j’en avais la preuve sous les yeux, mais la nature était muette : j’avais beau l’interroger, elle ne m’inspirait rien pour cet original.

— Monsieur, lui dis-je fermement, tous les contes que vous me faites peuvent être vrais, mais je ne vois pas la plus petite nécessité à ce que je les entende ; j’ai d’invariables principes qui m’éloignent, malheureusement pour vous, de cette commisération que vous implorez ; quant aux titres de paternité que vous établissez vis-à-vis de moi, les voilà, monsieur, je vous les rends, en vous assurant que je n’en ai pas le moindre besoin : que j’aie un père, que je n’en aie pas, tout cela est pour moi d’une indifférence dont vous pourriez difficilement vous faire une idée. Je vous conseille donc, monsieur, de me débarrasser fort vite de votre présence, à moins que par un entêtement ridicule, vous ne vouliez me contraindre, en restant malgré moi, à vous faire jeter par les fenêtres.

Et je me lève aussitôt pour sonner ; mais Bernole, se précipitant au-devant de moi…

— Enfant ingrat ! s’écrie-t-il, ne me punis pas d’une faute que j’ai pleurée toute ma vie ; si ta naissance n’est pas légitime, en es-tu moins sortie de mon sang, et m’en dois-tu moins des secours ? Que les accents plaintifs de la misère et du désespoir remplacent, s’il est possible, dans ton âme endurcie, les sentiments que la nature paraît avoir oublié d’y mettre !

Et, se courbant à mes genoux qu’il arrose de larmes :

— Juliette, s’écrie-t-il, tu nages au milieu des richesses, et ce n’est que du pain que demande ton malheureux père ! Soulage les malheurs de l’amant de ta mère ! respecte le seul homme qu’ait aimé celle qui t’a portée neuf mois dans son sein, et si tu ne veux pas que le ciel te punisse, ne ferme pas ton cœur aux accents plaintifs de l’infortune !

Il y avait sans doute beaucoup de pathétique dans ce que m’adressait ce malheureux homme ; mais il existe des âmes qui s’endurcissent au lieu de s’émouvoir aux efforts de ceux qui cherchent à les attendrir. Semblables à cette espèce de bois que l’on met au feu pour le rendre plus dur, c’est dans l’élément même qui paraîtrait devoir les consumer qu’elles retrouvent un nouveau degré de force. Bernole, au lieu d’exciter en moi les sentiments de la compassion, était au moment d’y faire naître cette commotion lubrique, née du refus de procurer un bien : imparfaite image de celle qui arrive à nous par l’action du mal. Mes regards, qui n’étaient encore que ceux de l’indifférence, s’enflammèrent bientôt de plaisir ; ce chatouillement perfide qui nous délecte à l’idée, au souvenir ou au complot d’une mauvaise action, vint glisser sur mon cœur46 ; mes sourcils se froncent, ma respiration se presse. Et sentant que je deviens plus dure, parce que je commence à l’être avec volupté… parce que je bande, enfin :

— Je vous ai déclaré, mon ami, dis-je à ce manant, que je vous méconnaissais, que je vous méconnaîtrais toujours, et que je ne donne jamais rien aux pauvres ; c’est donc pour la dernière fois que je vous supplie de sortir de mon appartement, si vous ne voulez pas que je vous fasse périr dans un cachot.

Un mouvement de rage s’empare aussitôt de cet homme : employant tour à tour les imprécations et les prières, les invectives et les mots les plus tendres, il se jette la tête contre terre, il se la brise, des flots de sang inondent mon cabinet… Ce sang est le mien, et c’est avec délices que je le vois répandre ; après avoir joui quelques instants, je sonne.

— Qu’on prenne l’adresse de cet original, dis-je à mes gens, et qu’on le fasse aussitôt sortir de chez moi.

On m’obéit… J’étais dans une agitation… dans un feu… Je fus obligée d’aller m’éteindre dans le sein de mes femmes, qui furent deux heures avant de pouvoir m’apaiser. Puissant effet du crime sur un cœur comme le mien ! Il était écrit, dans le livre sacré de la nature, que tout ce qui révolterait les âmes ordinaires devait délecter la mienne, et que tout ce qui devait outrager cette nature méconnue par elles, devait absolument devenir pour moi les premiers moyens du plaisir.

Le ministre et Noirceuil dînaient tous les deux chez moi ce jour-là : je demandai à celui-ci s’il avait connaissance d’un certain Bernole, se disant l’amant de ma mère, et convaincu de m’avoir donné le jour ?

— Oui, me dit Noirceuil, j’ai connu cela ; il avait des fonds chez ton père, perdus avec ceux de ta famille, et perdus par mes soins. Je me souviens que ce Bernole était effectivement fort bien avec ta mère, qu’il la regretta beaucoup, et que ce n’est pas sa faute si je n’ai pas été pendu… Il faut se défaire de ce drôle-là.

— Assurément, dit le ministre, Juliette n’a qu’à dire, nous le ferons coucher ce soir à la Bastille.

— Non, non, dit Noirceuil, il faut faire de cela une scène pathétique.

— Assurément, répondis-je, des cachots sont trop doux pour de tels scélérats… Noirceuil et vous, Saint-Fond, vous savez à quel point vous avez travaillé mon âme, croyez qu’en cette occasion elle ne se montrera pas au-dessous de vos leçons ; puisque nous faisons tant que de commettre un crime, faisons-le bon : il faut que ce coquin-là périsse de ma main, pendant que vous jouirez de moi.

— Oh ! Juliette, s’écrie le ministre déjà bien pris de vin de Champagne… tu es délicieuse ! (Et se déculottant :) Vois comme ton idée met mon vit en courroux… Quoi ? tu auras la force de te déterminer à cela ?

— J’en fais serment sur ce vit que j’anime ! dis-je en empoignant le redoutable membre que Saint-Fond venait de mettre au jour.

Et Noirceuil, profitant de l’attitude penchée où me tenait mon mouvement, s’empare de mon cul en s’écriant :

— Oh ! foutre, ne t’ai-je pas dit, Saint-Fond, que cette créature était délicieuse ?

Et il se donne deux ou trois coups de poignets sur mes fesses.

— Écoute, dis-je en me remettant, il faut joindre à ceci quelques épisodes divins. Je vais me raccommoder avec Bernole, le tromper par des avances, le rendre amoureux de moi, lui faire beau jeu… Il me le mettra… Je veux plus : il faut qu’il m’encule… Il le fera. Vous, Saint-Fond, vous le surprendrez, vous tomberez sur lui au moment de la crise, et pour me punir, le poignard sur le sein, vous m’obligerez à le tuer moi-même. Confions cette idée à Clairwil, qu’elle en partage la douce exécration, et faisons de cela une scène unique.

Le projet d’un crime est toujours sûr de plaire aux scélérats. Ces deux-ci s’échauffèrent tellement la tête de mon plan, qu’il ne fut plus possible de les contenir. Un boudoir s’ouvre ; quelques individus secondaires se joignent à nous, et mon cul reçoit la double offrande de deux monstres qu’irritait ma perfide imagination : un bon de cinq cent mille francs me fut aussitôt remis, avec promesse du double, le jour de l’exécution.

Elle me chatouillait trop pour la reculer ; je vole à ma terre ; j’écris à Bernole que la tendresse filiale vient enfin d’entrouvrir mon âme. La pureté de l’air de la campagne adoucit, je crois, cette férocité dont celui de Paris souille nos cœurs, lui mandai-je ; venez me voir au sein de la nature, et vous éprouverez bientôt tout ce qu’elle m’inspire pour vous. Mon homme arrive… Vous n’imaginez pas à quel point jouissais de le tromper… J’en étais exactement dans l’ivresse. Mon premier soin est d’étaler à ses yeux tout le luxe dont j’étais environnée ; de séduisantes caresses achèvent d’étourdir Bernole.

— Comment, lui dis-je après un excellent souper, comment réparer tous les torts que ma mauvaise tête m’a fait commettre envers vous ? Faut-il vous l’avouer, Bernole ? Je me suis crainte ; j’ai des précautions bien sévères à garder ; je suis la confidente et l’amie du ministre ; d’un mot, il peut me perdre : vous ne m’avez rien inspiré comme père, je l’avoue ; un autre sentiment mille fois plus tendre et plus délicat, en me faisant redouter la chute, m’a contrainte à ne vous montrer que de la dureté, où s’allumait le plus saint amour… Bernole, vous avez aimé ma mère, je veux que vous m’aimiez aussi ; il ne s’agit, pour être heureux ensemble, que d’une discrétion à toute épreuve ; en êtes-vous capable ?

L’honnête et loyal Bernole frémit à ce discours.

— Ô Juliette ! me dit-il très ému, je ne cherche à ranimer en vous que les sentiments de l’amour filial ; ceux-là seuls me sont dus ; la religion et l’honneur, dont je fis toujours profession, m’empêchent d’en accepter d’autres : ne me taxez pas d’immoralité pour avoir vécu avec votre mère ; nous n’avons jamais cru, l’un et l’autre, ne devoir respecter d’autres nœuds que ceux volontairement adoptés par nous à la face du ciel : c’est un tort, j’en conviens, mais c’est celui de la nature, et ceux que vous me proposez lui feraient horreur.

— Quel préjugé, Bernole ! m’écriai-je, en devenant pressante au point de baiser sa bouche et de laisser tomber une main sur ses cuisses ; toi que j’adore, hélas ! poursuivis-je en redoublant de chaleur, ne te refuse pas à mon empressement ; viens rendre une seconde fois à la vie celle qui se glorifie de la tenir de toi : je dus ma première existence à l’amour, laisse-moi lui devoir la seconde ; laisse embellir par lui les jours qu’il a formés. Oh ! mon ami, je le sens, je ne puis plus exister sans toi !

Une gorge blanche et fraîche, qui se découvre alors comme par hasard, des yeux pleins de langueur et de volupté… des mains s’égarant au point de déboutonner la culotte paternelle et de secouer avec art l’instrument à demi bandé qui m’a donné le jour, tout réveille à la fin les passions timides de Bernole.

— Ô grand Dieu ! s’écrie-t-il, quels assauts… et comment puis-je y résister ? Comment repousser la vivante image de celle que j’adorai jusqu’au dernier soupir ?

— Tu la retrouves en moi, Bernole, la voilà celle que tu aimas… Elle respire, achève de la rendre à la vie, par les tendres baisers que sa bouche implore. Tiens, vois l’état où tu me mets, ajoutai-je en me troussant et me précipitant sur un canapé… oui, vois-le, cet état cruel, et résistes-y, si tu l’oses.

Le crédule Bernole, entraîné, tombe dans le piège que je tends à sa vertu, et vient s’enivrer d’amour dans le sein de celle qui ne s’occupe, en le caressant, que de la manière perfide dont elle le fera bientôt tomber sous ses coups. Bernole, doué d’un membre sec, dur, nerveux, et surtout fort long, foutait délicieusement ; il m’échauffait, je le traitais bien, je maniais ses fesses en le pressant sur moi. Bientôt, me coulant sous lui, je pompe avec plaisir ce premier mobile de mon existence ; reprenant ensuite mon poste, je me le renfonce jusqu’aux couilles : Bernole, très échauffé de mes écarts, n’est pas long ; le coquin décharge ; je l’imite, et reçois dans mes entrailles incestueuses le germe d’un fruit semblable à celui qu’il laissa jadis dans le sein de ma mère. Telle fut l’époque de la grossesse dont je vous parlerai bientôt.

Bernole, égaré par l’amour, oubliant, sous les lois de ce Dieu, celles de l’honneur et de la probité qui l’avaient si bien contenu jusqu’alors, me conjure de lui laisser passer la nuit avec moi. Très échauffée de la délicieuse idée de foutre avec un père que ma férocité condamne à mort, je consens à tout. Les efforts de Bernole surpassèrent mes espérances : je fus foutue sept coups, et moi, toujours brûlée de mes projets féroces, je décharge le double, à la délicieuse pensée d’enterrer le lendemain celui qui joint, au tort d’être mon père, le tort plus grand de m’enivrer de délices. Ce fut vers le milieu de ces courses que, lui dévoilant les craintes affreuses où j’étais qu’une grossesse ne vînt à trahir notre intrigue, je lui tournai le plus beau cul du monde, pour l’engager à changer de route : le crime, hélas ! était si loin du cœur de mon vertueux père, qu’il ignorait jusqu’à la manière de procéder à ces infamies (je me sers de ses expressions), auxquelles il ne consentait, me dit-il, que par prudence et par excès d’amour. Le butor m’encula trois fois : cette répétition était nécessaire à la pièce qui devait se jouer le lendemain. Ce que j’en ressentis fut si vif que je m’évanouis de plaisir.

Il arriva, cet heureux lendemain où je devais enfin goûter les charmes indicibles d’un crime que je me désolais de ne pouvoir exécuter : la nature, que j’allais si grièvement outrager, ne m’avait jamais paru si belle ; jamais je ne m’étais trouvée si jolie, si fraîche et si bien portante ; jamais des chatouillements aussi vifs ne s’étaient fait éprouver en moi… Je me sentis, dès en me levant, d’une luxure… d’une méchanceté… J’éprouvais le besoin des horreurs, et, près de lui, le désespoir affreux de ne pouvoir les aggraver au point où je le désirais… C’est un crime que je vais commettre, me disais-je… un très grand crime, assure-t-on, mais ce n’en est qu’un : et qu’est-ce qu’un crime pour celle qui voudrait n’exister qu’au milieu du crime, ne vivre que pour lui seul et n’adorer que lui ? Je fus quinteuse, maussade, capricieuse, taquine, toute la matinée. Je fouettai deux de mes femmes, en colère ; je fis méchamment tomber par la fenêtre un enfant confié à l’une d’elles, il se tua, j’en fus enchantée : il n’y eut enfin sorte de petites cruautés, de petites lutineries auxquelles je ne me livrasse tout le jour. L’heure du souper vint enfin ; j’avais ordonné qu’il fût aussi délicieux que la veille ; et comme la veille, dès qu’il fut fini, j’entraîne Bernole sur un canapé, et c’est mon cul que je lui présente. Séduit par mes sophismes, le malheureux s’y plonge… À peine y est-il, que Clairwil, Noirceuil et Saint-Fond se jettent sur nous avec impétuosité : Bernole est garrotté de tous ses membres.

— Juliette, me dit Saint-Fond, tu mériterais que je t’immolasse à côté de ce monstre, pour te punir d’abuser ainsi de ma confiance… Un seul moyen, perfide, peut te sauver la vie : saisis ce pistolet destiné pour ton crime, trois balles sont dedans… Il faut qu’elles fassent voler la cervelle de ce scélérat !

— Oh, ciel ! qu’exigez-vous ? c’est mon père !

— Celle qui fut à la fois sodomiste et incestueuse pourra bien être parricide.

— Quel arrêt !

— Il le faut, ou vous périssez à l’instant vous-même.

— Confiez donc cette arme à ma main chancelante… Père adoré, m’écriai-je, pardonneras-tu cette mort aux violences dont tu vois que je suis victime

— Monstre, répond Bernole, exécute, et souviens-toi seulement que tu ne me rends pas ici la dupe de tes fourberies et de tes crimes…

— Eh bien ! papa, dit Clairwil, en éclatant de rire, cesse donc d’être dupe, puisque tu ne veux pas l’être, et sache qu’il est très vrai que ta mort est l’ouvrage de ta fille, qui, certes, n’a pas grand tort d’immoler un individu qui ne peut être qu’un grand scélérat, puisqu’il a pu donner le jour à une telle fille.

Tout s’arrange ; Bernole est lié sur une chaise attachée par de grands clous à terre ; sa tête, à dix pas de moi, se trouve à ma portée. Saint-Fond se couche dans un canapé et me fixe sur lui par le moyen du membre qu’il m’introduit dans le derrière, Noirceuil dirige l’instrument d’une main, il se branle de l’autre ; Clairwil, à droite, baise la bouche de Saint-Fond, et chatouille mon clitoris. Je mets en joue :

— Saint-Fond, dis-je, attendrai-je les flots de ton foutre ?

— Non, non, sacré nom d’un foutredieu ! non, non ! tue, garce, tue ! c’est le coup qui fera jaillir mon sperme.

Je le lâche. Bernole, atteint au front, expire, et nous déchargeons tous les quatre en jetant des cris furieux.

Le barbare Saint-Fond se lève et va contempler la victime ; c’était son plus grand plaisir. Il m’appelle, il veut que j’observe avec lui… il m’examine, il est content de mon sang-froid. C’est avec une curiosité méchante que Clairwil observe les contorsions de la mort sur le visage de ce malheureux.

— Rien ne me fait bander comme cela, dit la scélérate : qui de vous trois veut me branler pendant cet examen ?

Je m’offre, et comme je suis penchée sur les genoux du mort, Noirceuil m’encule en cet état, pendant que Saint-Fond, prenant Clairwil à revers, la traite de même… Tout le monde décharge encore une fois, et le plus voluptueux souper est de nouveau servi sur une table, aux pieds de laquelle on veut que le corps reste.

— Juliette, me dit Saint-Fond en me baisant avec ardeur, tiens, voilà ce que je t’ai promis. Faut-il te l’avouer ? chère fille, ce n’est en vérité que d’aujourd’hui que je te crois bien digne de nous.

— Je ne pense pas tout à fait comme cela, dit Clairwil, et je lui trouve toujours le même défaut : elle ne commet le crime que dans l’enthousiasme, il faut qu’elle bande ; et l’on ne doit jamais s’y livrer que de sang-froid. C’est au flambeau du crime qu’il faut allumer celui de ses passions, tandis que ce n’est qu’à celui des passions que je la soupçonne d’allumer celui du crime.

— La différence est fort grande, dit Saint-Fond, car le crime alors n’est que l’accessoire, et il doit toujours être le principal.

— Je pense comme Clairwil, ma chère Juliette, dit Noirceuil : vous avez encore besoin de quelques encouragements ; il faut diminuer cette sensibilité qui vous perd.

Tous les écarts où notre imagination nous entraîne, poursuivit Noirceuil, deviennent des preuves certaines de notre esprit. Sa vivacité, ses élans ne lui permettent de s’arrêter à rien ; plus il voit de digues à franchir, plus il conçoit de délices ; mais ce n’est point une preuve qu’il se déprave, comme les sots se l’imaginent : c’en est une bien plus certaine qu’il se fortifie. Vous voilà parvenue, Juliette, à l’âge où cette faculté de notre existence est dans sa plus extrême vigueur ; vous avez prévenu cette époque par de bonnes études, par des réflexions solides, par un abandon total de tous les liens et de tous les préjugés de l’enfance. Ne doutez point qu’à présent, cet espoir si bien préparé ne vous fasse culbuter toutes les bornes : un tempérament ardent et vigoureux, une santé robuste, une grande chaleur d’entrailles, un cœur très froid viennent à l’appui de cet esprit bouillant, instruit et dégagé de tous les freins. Soyons bien assurée que Juliette ira aussi loin qu’elle peut aller. Mais qu’elle ne s’arrête pas en chemin, qu’elle ne tourne jamais les yeux en arrière que pour se reprocher son peu de progrès et non pour s’étonner de la grandeur du chemin qu’elle a fait.

— Je veux plus, dit Clairwil, je vous répète que j’exige d’elle de faire le mal, non pas pour s’exciter à la luxure, comme je crois qu’elle le fait, mais pour le seul plaisir de le commettre. Je veux qu’elle trouve dans le mal, dénué de toute luxure, l’entière volupté qui existe pour elle dans la luxure ; je veux qu’elle n’ait besoin d’aucun véhicule pour exercer le mal. Qu’une fois dans cette situation, elle y éprouve tous les attraits piquants du libertinage, à la bonne heure ! mais je ne veux pas qu’elle ait besoin de se branler pour faire un crime, parce qu’alors, il résultera de cette manière de se conduire, qu’aussitôt que son tempérament sera usé, elle n’osera plus se livrer à aucun écart ; au lieu que par le moyen que j’indique, ce sera dans le crime qu’elle retrouvera le feu des passions. Elle n’aura plus besoin de se branler pour commettre un crime ; mais en commettant ce crime, elle désirera se branler. Il est, je crois, impossible de s’expliquer plus clairement.

— C’est précisément parce que je comprends à merveille ta philosophie, ma chère, dis-je à Clairwil, que je crois devoir t’assurer que j’en adopte tous les principes, et que j’en suis l’esprit mot à mot. Je suis prête à te le prouver par telle épreuve où il te plaira de me soumettre. Si tu m’avais mieux observée que tu n’as fait, dans l’événement qui vient de se passer, tu ne m’adresserais, j’en suis sûre, aucun reproche ; j’aime à présent le mal pour lui-même ; ce n’est que dans son sein que mes plaisirs s’allument, et nulle volupté n’existerait pour moi si le crime ne l’assaisonnait. Je ne dois plus maintenant vous consulter que sur un seul point. Le remords est nul, je vous proteste que je n’en ressens pas la plus légère atteinte, quelle que soit l’horreur où je me livre : mais j’ai quelquefois de la honte ; je rougis comme Ève après son péché, il me semble, qu’excepté vous et nos amis, je ne voudrais pas que personne sût les écarts où nous nous livrons. Expliquez-moi, je vous prie, pourquoi, placée entre ces deux sentiments, j’éprouve le plus faible, n’étant plus sensible au plus actif ; quelle est, en un mot, la différence qui se trouve entre la honte et le remords ?

— La voici, dit Saint-Fond : c’est que la honte est le fruit de la douleur d’une mauvaise action, relativement à l’opinion publique ; et le remords, relativement à notre propre conscience ; en sorte qu’il est possible d’avoir honte d’une action qui ne donne aucun remords, si cette action n’offense que les usages reçus, sans effleurer la conscience ; et qu’il est également possible d’avoir des remords sans honte, si l’action commise s’accorde avec les lois et les usages de notre pays, quoiqu’elle répugne à notre conscience. Un homme, par exemple, rougirait d’aller se promener tout nu dans la grande allée des Tuileries, quoiqu’il n’y eût rien dans cette action qui dût lui donner des remords ; et un général d’armée aura peut-être des remords d’avoir fait tuer vingt mille hommes dans une bataille, quoiqu’il n’y ait rien dans cette action qui doive lui donner de la honte. Mais ces deux mouvements fâcheux s’énervent également par l’habitude. La Société des Amis du Crime, dans laquelle Clairwil vous a fait entrer, absorbera dans vous ce sentiment pusillanime de la honte ; l’habitude que vous vous ferez d’un cynisme toujours prononcé, dissipera bientôt cette faiblesse ; et pour vous en guérir, je vous exhorte à faire parade de vos écarts, à vous montrer souvent nue en public, à affecter le plus grand désordre dans la manière de vous habiller : insensiblement vous finirez par ne plus rougir de rien. Quand la fermeté des principes se joindra aux procédés que je vous conseille, tout se dissipera, tout s’aplanira petit à petit, et vous ne sentirez plus que du plaisir où vous éprouviez jadis de la honte.

Des choses plus sérieuses succédèrent à cette discussion. Saint-Fond m’annonça que le mariage d’Alexandrine, sa fille, avec son ami Noirceuil, allait enfin se terminer, et que, d’accord avec son gendre, la jeune personne demeurerait trois mois dans ma maison pour y être instruite et formée aux goûts du nouvel être avec lequel on allait l’unir.

— Nous vous prions, Noirceuil et moi, poursuivit Saint-Fond, de mettre cette petite âme au même point que la vôtre… Ne lui refusez aucun soin, aucun conseil, aucun exemple. Peut-être Noirceuil la conservera-t-il, s’il la trouve aussi ferme que vous : à coup sûr, il ne la gardera pas longtemps, si elle est prude ou bégueule. Tâchez, Juliette, que cette éducation vous fasse honneur, et soyez bien assurée que vos peines ne seront pas perdues.

— Monsieur, dis-je au ministre, vous savez que de pareilles leçons ne peuvent se donner qu’entre deux draps.

— C’est bien ainsi que je l’entends, dit Saint-Fond.

— Moi de même, très assurément, dit Noirceuil.

— Peut-on instruire une fille sans coucher avec elle ? dit Clairwil.

— Aussi, reprit Noirceuil, notre chère Juliette couchera-t-elle avec ma femme aussi souvent que bon lui semblera.

Saint-Fond nous entretint ensuite d’un projet cruel de dévastation qu’il avait conçu pour la France.

— Nous craignons, nous dit-il, une prochaine révolution dans le royaume ; nous en voyons le germe dans une population beaucoup trop nombreuse. Plus le peuple s’étend, plus il est dangereux ; plus il s’éclaire, plus il est à craindre : on n’asservit jamais que l’ignorance. Nous allons, poursuivit le ministre, supprimer d’abord toutes ces écoles gratuites dont les leçons, se propageant avec rapidité, nous donnent des peintres, des poètes et des philosophes où il ne doit y avoir que des crocheteurs. Quel besoin tous ces gens-là ont-ils donc de talents, et quelle nécessité y a-t-il de leur en donner ? Diminuons bien plutôt leur nombre ; la France a besoin d’une vigoureuse saignée, et ce sont les parties honteuses qu’il faut attaquer. Pour parvenir à ce but, nous allons d’abord vivement poursuivre la mendicité : telle est la classe où se trouvent presque toujours les agitateurs. Nous démolissons les hôpitaux, les maisons de piété ; nous ne voulons pas laisser au peuple un seul asile qui puisse le rendre insolent. Courbé sous des chaînes mille fois plus lourdes que celles qu’il porte en Asie, nous voulons qu’il rampe en esclave, et il n’y aura sorte de moyens que nous ne mettions en usage pour y réussir.

— Ces moyens seront longs, dit Clairwil, et si vous avez besoin d’une diminution subite, il en faut de plus prompts : la guerre, la famine, la peste.

— Le premier est sûr, dit Saint-Fond, nous allons avoir la guerre. Nous ne voulons pas du dernier, parce qu’il serait à craindre que nous nous en trouvassions les premières victimes. Quant à celui de la famine, l’accaparement total des grains auquel nous travaillons, en nous comblant d’abord de richesses, va bientôt réduire le peuple à se dévorer lui-même. Nous espérons beaucoup de ce moyen.

Il est arrêté dans le conseil, parce qu’il est prompt, infaillible, et qu’il nous couvre d’or…

Il y a bien longtemps, poursuivit le ministre que, pénétré des principes de Machiavel, je suis infiniment persuadé que les individus ne sont rien en politique. Machines secondaires du gouvernement, les hommes doivent travailler à la prospérité de ce gouvernement, et jamais le gouvernement ne doit travailler à celle des hommes. Tout gouvernement qui s’occupe de l’homme est faible ; il n’y a de vigoureux que celui qui se compte pour tout, et les hommes pour rien ; le plus ou le moins d’esclaves dans un État est indifférent : ce qui est essentiel, c’est que la chaîne pèse lourdement sur le peuple, et que le souverain soit despote. Rome fut languissante et faible, tant qu’elle voulut se gouverner elle-même ; elle maîtrisa la terre, quand des tyrans envahirent l’autorité. C’est dans le souverain seul que doit être considérée toute la force, et puisque cette force n’est que morale, dès que physiquement le peuple est le plus puissant, ce ne doit donc être que par une suite non interrompue d’actions despotiques que le gouvernement peut établir en lui la force physique qui lui manque : elle n’y sera jamais qu’idéalement sans cela. Lorsque nous sommes jaloux d’en imposer aux autres, il faut les accoutumer petit à petit à voir en nous ce qui foncièrement n’y existe pas, autrement ils nous verront tels que nous sommes, et nous y perdrons infailliblement.

— J’ai toujours cru, dit Clairwil, que l’art de gouverner les hommes était celui qui demandait le plus de fausseté.

— Cela est vrai, et la raison en est simple, reprit Saint-Fond : on ne gouverne les hommes qu’en les trompant ; or, il faut être faux pour les tromper ; l’homme éclairé ne se laissera jamais conduire : il faut donc le priver de la lumière pour le mener à sa guise, et la fausseté seule conduit à tous ces moyens.

— Mais la fausseté n’est-elle pas un vice ? demandai-je à Saint-Fond.

— Je la vois bien plutôt comme une vertu, répondit le ministre. Elle est la seule clef du cœur de l’homme : il serait impossible de vivre avec lui en n’employant que la franchise. Uniquement occupé à nous tromper, où en serions-nous, si nous n’apprenions pas à le tromper nous-mêmes ? La principale étude de l’homme, et surtout de l’homme d’État, est de pénétrer toujours les autres, sans se laisser démêler lui-même ; c’est son seul talent. Or, s’il n’arrive là que par la fausseté, la fausseté est donc une vertu. Dans un monde absolument corrompu, il n’y a jamais de danger à être plus gangrené que les autres ; c’est s’assurer alors toute la somme de bonheur et de tranquillité que nous procurerait la vertu dans un gouvernement moral. Mais jamais la machine qui mène le gouvernement ne pourra être vertueuse, parce qu’il est impossible de prévenir tous les crimes, de se mettre à l’abri de tous les crimes sans être criminel aussi ; ce qui mène les hommes corrompus doit être corrompu lui-même ; et ce ne sera jamais avec la vertu, qui est un mode sans action, que vous conduirez le vice, qui est un mode toujours en action. Le gouvernant doit avoir plus d’énergie que le gouverné ; or, si celle du gouverné n’est pétrie que de crimes, comment voulez-vous que celle du gouvernant ne soit pas elle-même criminelle ? Les punitions que l’on emploie pour l’homme sont-elles autre chose que des crimes ? Qui les excuse ? la nécessité de le gouverner. Voilà donc le crime un des ressorts du gouvernement. Je vous demande maintenant de quelle nécessité peut être, dans le monde, le mode que vous appelez vertu, lorsqu’il est constant que vous ne pouvez obtenir ce mode que par des crimes ? D’ailleurs, il est extrêmement nécessaire, pour le gouvernement même, que la masse des hommes soit très corrompue : plus elle le sera, plus il agira facilement. Examinez, en un mot, la vertu sous tous ses rapports, et vous la verrez toujours inutile et dangereuse. Je voudrais, Juliette, poursuivit Saint-Fond en ne s’adressant plus qu’à moi, détruire radicalement en vous tous les préjugés sur cet objet, qui feront infailliblement votre malheur ; je voudrais assurer vos opinions dans le cours de votre vie, car il est affreux d’être née avec des penchants à mal faire et de ne pouvoir s’y livrer sans frémir. Convainquez-vous bien, mon ange, que dussiez-vous troubler et déranger l’ordre de la nature dans tous les sens possibles, vous n’auriez jamais fait qu’user des facultés qu’elle vous a données pour cela… des facultés qu’elle savait bien que vous emploieriez à cela, usage qu’elle ne blâme pas, sans doute, puisque loin de vous priver d’aucune de ces facultés nuisibles, elle vous inspire à tout moment le désir de les mettre en œuvre. Faites donc tout le mal qu’il vous plaira, sans que cela trouble un instant votre repos : soyez bien sûre que, de quelque espèce que soit celui que vous inventerez, il ne sera jamais aussi violent que pourrait le désirer la nature… qu’elle veut la destruction… qu’elle l’aime… qu’elle s’en nourrit… qu’elle s’en abreuve, et que vous ne lui plairez jamais mieux que quand vos mains détruiront, comme les siennes, de même que vous ne l’outragez jamais davantage… que vous n’empiétez jamais autant sur ses droits, que lorsque vous travaillez à une propagation qu’elle abhorre… ou que vous laissez subsister sans trouble cette masse d’hommes qui nuit à ses facultés : car le crime et la mort sont les véritables lois de la nature, et nous ne la servons jamais mieux qu’en moissonnant, comme elle, tout ce que nos bras peuvent atteindre.

— Ô Saint-Fond ! dis-je à mon amant, j’adhère à tous les principes que vous venez d’établir. Une seule chose m’inquiète. Il faut, avez-vous dit, être fausse avec tout le monde : si malheureusement vous l’étiez avec moi, vous sentez tout ce que j’aurais à craindre.

— Ne redoutez point cela, dit le ministre, je ne serai jamais faux avec mes amis, parce qu’au fait, il faut avoir quelque chose de solide dans le monde ; et sur quoi pourrait-on compter, si ce n’est sur le commerce de ses amis ? Vous pouvez donc être certains, tous trois, que je ne vous tromperai jamais, à moins que vous ne me trompiez les premiers. La raison de cela est bien simple, je vais l’étayer par l’égoïsme, la seule règle que je connaisse pour se bien juger soi et les autres.

Nous vivons ensemble : n’est-il pas vrai que si vous vous aperceviez que je vous trompe, vous me le rendriez bientôt ? Et je ne veux pas être trompé. Voilà toute ma logique en amitié. C’est, dans le fait, un sentiment fort difficile entre sexe égal, impossible entre sexe différent, et que je n’estime qu’autant (ce qui est fort rare) qu’il peut être fondé sur des rapports d’humeurs et de goûts. Mais il est faux de dire qu’il faille que la vertu en soit le ciment : il deviendrait alors, si cela était vrai, un sentiment fort plat, que la monotonie détruirait bientôt. Quand les plaisirs en sont la base, chaque nouvelle idée en resserre les liens ; le besoin, seul aliment réel de l’amitié, rapproche ses nœuds à tous les instants ; d’autant plus, que tous les jours on a plus besoin l’un de l’autre : on jouit de son ami, on jouit avec son ami, on jouit pour son ami, les voluptés s’augmentent les unes par les autres, et ce n’est véritablement qu’alors qu’on peut se flatter de les connaître. Mais qu’obtiens-je d’un sentiment vertueux ? Quelques voluptés sèches, quelques jouissances intellectuelles qui se détruisent à la première épreuve, et qui donnent des regrets d’autant plus amers que l’amour-propre en demeure blessé, et qu’il n’est point de traits plus sensibles que ceux qui vont à l’orgueil.

Il était tard, on se coucha. Nous nous mîmes tous quatre dans un lit de huit pieds carrés, construit pour de pareilles scènes, et, après quelques luxures, on s’endormit. Des affaires ayant rappelé Noirceuil, à Paris, il nous quitta de bonne heure. Clairwil et moi tînmes compagnie à Saint-Fond, qui désirait passer quelques jours à la campagne.

À notre retour à Paris, Saint-Fond m’amena sa fille, dont l’appartement avait été préparé pendant notre voyage. Il était impossible de rien voir d’aussi régulièrement beau : la plus sublime gorge, de très jolis détails dans les formes, de la fraîcheur dans la peau, du dégagement dans les masses, de la grâce, du moelleux dans l’attachement des membres, une figure céleste, l’organe le plus flatteur, le plus intéressant, et beaucoup de romanesque dans l’esprit.

— Voici ma fille, me dit Saint-Fond en me la présentant, vous savez que je la destine à Noirceuil, qui ne se scandalisera pas des privautés que j’ai déjà prises et que je prends encore tous les jours avec elle. Tout n’est pas cueilli : Alexandrine est vierge d’un côté… Mais son cul… ce superbe cul, Juliette, est depuis bien longtemps effeuillé par moi… Eh ! comment y aurais-je résisté ? Regardez-le, mon ange, et dites si, de vos jours, vous vîtes quelque chose de plus délicieux.

Il était difficile, en effet, de rien voir de plus blanc et de mieux coupé.

— Il n’y paraît pas, poursuivit Saint-Fond en écartant, on ne peut se douter, ni que je la fouette tous les matins, ni que je la sodomise tous les soirs. Je vous laisse cette fille, Juliette, éduquez-la pendant quelque temps, rendez-la digne de l’ami auquel je la destine, inspirez-lui le goût de tous les crimes et la plus forte horreur pour toutes les vertus. Je vous cède mes droits sur elle ; transmettez-lui les principes que vous avez reçus de celui qui doit l’épouser ; donnez-lui tous nos goûts, communiquez-lui toutes nos pulsions. Jamais le mot de Dieu ne fut prononcé devant elle ; ce n’est pas avec vous que je crains qu’elle puisse en concevoir l’idée : je lui brûlerais moi-même la cervelle, à l’instant où je lui entendrais parler de cette exécrable chimère. D’importants objets empêchent Noirceuil et moi de nous livrer aux soins que nous vous confions : ils ne sauraient être en meilleures mains.

Ce fut à cette occasion que le ministre m’apprit la nomination de Noirceuil à l’une des places les plus importantes de la cour, et qui lui valait cent mille écus de rente.

— Il l’a obtenue, me dit Saint-Fond, au même temps que le roi vient de m’en conférer une qui me vaut le double.

Et pendant que le vice triomphait avec cette impudence, vous voyez, mes amis, comme la main du sort écrasait toutes les victimes de ces indignes scélérats… Combien ces réflexions, si fort au désavantage du bien, si singulièrement en faveur du mal, achevèrent de me captiver à jamais dans le sein du crime et de l’infamie !… Oh ! quelle horreur j’avais pour la vertu !

Je passai la nuit suivante avec Alexandrine. Cette jeune fille était, sans doute, délicieuse, mais j’avoue que je la vis si philosophiquement, avec des sens tellement rassis, que je ne serais pas trop en état de vous parler des voluptés que j’en reçus : il aurait fallu de l’enthousiasme, à peine y eut-il de l’émotion. J’étais si fort affermie dans mes idées, le moral dominait si bien en moi le physique, mon indifférence était telle, mon flegme si soutenu, que, soit satiété, soit dépravation, soit système, je pus, sans m’émouvoir, la tenir nue dix heures dans mon lit, la branler, m’en faire branler, la sucer, la gamahucher, sans que ma tête en fût seulement échauffée. Et voilà, j’ose le dire, un des plus heureux fruits du stoïcisme. En roidissant notre âme contre tout ce qui peut l’émouvoir, en la familiarisant au crime par le libertinage, en ne lui laissant de la volupté que le physique, et en lui en refusant opiniâtrement la délicatesse, on l’énerve ; et de cet état dans lequel son activité naturelle ne lui permet pas de rester longtemps, elle passe à une espèce d’apathie qui se métamorphose bientôt en plaisirs mille fois plus divins que ceux que lui procureraient des faiblesses ; car le foutre que je perdis avec Alexandrine, quoiqu’il ne fût dû qu’à cette fermeté que je vous peins, me procura des jouissances bien plus vives que celles qui n’eussent été le fruit que de l’enthousiasme ou des tristes feux de l’amour.

Quoi qu’il en soit, Alexandrine me parut presque aussi neuve au moral qu’au physique ; son cœur et son esprit n’avaient encore fait nuls progrès. Cependant la petite coquine avait du tempérament, et quand je cherchais à l’émouvoir, je la trouvais toujours pleine de foutre. Je lui demandai si son père lui faisait beaucoup de mal en l’enculant.

— Les premières fois, me dit-elle.

Mais elle y était si fort accoutumée, qu’elle ne souffrait plus. Sur ma demande si elle n’avait jamais vu que Noirceuil, elle me dit que son père avait exigé d’elle des complaisances pour un autre homme, et je vis, au portrait, que c’était Delcour. Mais ce Delcour l’avait-il enculée ?… Non, il l’avait seulement fouettée devant son père, et vous pouvez juger par là quelle est la trempe de l’imagination d’un père qui bande et qui décharge en faisant fouetter devant lui sa fille par un bourreau. J’appris, dès la première nuit, à mon écolière tout ce qui tient à la théorie du libertinage, et, au bout de trois jours, elle me branlait aussi bien que Clairwil. Peu à peu, néanmoins, cette petite fille parvint à me monter la tête, je l’immolais déjà dans ma perfide imagination, lorsque je demandai enfin à Noirceuil ses intentions sur cette créature.

— Je veux en faire une victime, me répondit-il, comme j’ai fait de toutes mes autres femmes.

— En ce cas, pourquoi retarder ?

— À cause de la dot, à cause d’un enfant qu’il faut que je lui fasse, ou que je lui fasse faire, à cause de la protection du ministre qu’il faut que je conserve au moyen de cette alliance.

Ces réflexions, auxquelles je ne m’étais pas livrée, dérangèrent un peu mes idées. Et comme j’ai à vous raconter des événements plus intéressants pour moi que ceux-là, vous saurez seulement, pour ne plus revenir à Alexandrine, qu’elle épousa Noirceuil, qu’elle devint grosse, je ne sais comment, et que, comme rien dans elle ne répondit aux instructions morales que je lui avais données, elle périt au bout de fort peu de temps, victime de la scélératesse de son époux et de son père, dans des orgies, que des événements, dans le détail desquels je vais bientôt entrer, m’empêchèrent de partager.

Les filles que j’étais obligée de fournir au ministre ne me coûtaient pas toujours les soins que je recevais pour elles. Il arrivait même quelquefois qu’elles me rapportaient au lieu de me coûter : je vais vous en citer un exemple, qui ne vous donnera peut-être pas une haute idée de ma probité.

Un homme de province m’écrit un jour que le gouvernement lui doit cinq cent mille francs pour des avances dans la dernière guerre. Sa fortune, bouleversée depuis lors, le réduit, faute de cette somme, à mourir de faim, lui et une fille de seize ans qui fait la consolation de ses jours, et qu’il marierait avec une partie de cet argent, s’il pouvait en obtenir la rentrée. Le crédit qu’il me connaît auprès du ministre l’engage à s’adresser à moi, et il m’envoie toutes ses pièces. Je m’informe ; le fait est vrai : ce ne sera pas sans beaucoup de crédit qu’on aura ces fonds, mais ils sont dus très effectivement. La jeune personne dont il s’agit est d’ailleurs, m’assure-t-on, l’une des plus intéressantes créatures qu’il y ait au monde. Sans rien expliquer de mes projets au ministre, je lui demande un ordre pour retirer l’argent. Je l’obtiens à la minute ; vingt-quatre heures suffisent à me procurer ce que le bon provincial ne pouvait obtenir depuis six ans. Dès que je suis en possession de la dette, j’écris au solliciteur que tout est en bon train, mais que sa présence est absolument nécessaire, qu’une jeune et jolie personne produite avec lui dans les bureaux ne peut qu’accélérer la réussite de sa demande ; que je l’invite, en conséquence, à amener sa fille avec lui. Le benêt, dupe de mes conseils perfides, apporte lui-même sa réponse, et me présente effectivement une des plus belles filles que j’eusse encore vues. Je ne les fis pas languir longtemps après leur arrivée. Un de ces dîners ministériels que je donnais chaque semaine à Saint-Fond les mit en ma puissance. Déjà maîtresse des cinq cent mille francs, et le devenant, par cette insigne trahison, du père et de la fille, vous devinez, je crois, aisément l’emploi que je fis des uns et des autres. L’argent, qui eût fait la fortune de plusieurs familles, fut dépensé par moi dans moins d’une semaine ; et la fille, destinée à faire la félicité d’un honnête homme, après avoir été souillée par nos pollutions nocturnes pendant trois jours de suite, devint, le quatrième, victime avec son père de la férocité de Saint-Fond et de Noirceuil, qui les firent expirer tous deux dans un supplice d’autant plus barbare qu’ils y vécurent douze heures dans les angoisses les plus effrayantes.

À ces preuves de ma perfidie, je dois, pour achever de me peindre à vous, vous en donner de mon avarice. Croiriez-vous que je la portais au point de prêter sur gages ? M’en trouvant un jour pour huit cent mille francs, qui m’eussent à peine, en les rendant, rapporté le quart de la somme, je fis banqueroute et ruinai, par ce trait, vingt malheureuses familles qui n’avaient mis dans mes mains leurs effets les plus précieux, que pour se procurer une triste subsistance momentanée, et qu’ils ne trouvaient pas dans des travaux qui leur coûtaient néanmoins tant de peines et tant de sueurs.

L’époque de Pâques approchait, Clairwil fut la première à me rappeler notre partie des Carmes. Introduites dans l’intérieur du couvent avec Elvire et Charmeil, mes deux plus jolies tribades, le supérieur commença par nous demander des nouvelles de Claude. Il n’avait pas paru, nous assura-t-il, depuis l’invitation que nous lui avions faite. Nous assurâmes le bon moine que nous ignorions absolument le sort de son confrère ; mais qu’avec le libertinage que nous lui avions reconnu, il paraissait fort vraisemblable qu’il avait jeté le froc aux orties. Il n’en fut plus question. Nous passâmes dans une salle immense, et ce fut là où le supérieur nous fit faire la revue des combattants. Eusèbe les faisait tous passer les uns après les autres ; ils arrivaient entre les mains de mes deux femmes, qui les branlaient et nous montraient les vits. Tout ce qui n’avait pas au moins six pouces de tour sur neuf de long fut réformé, ainsi que tout ce qui passait cinquante ans. On ne nous en avait promis qu’une trentaine : il y eut soixante-quatre moines et six novices, tous munis d’engins dont les plus petits se trouvent dans les proportions qui viennent d’être dites, et quelques-uns de dix sur quatorze. La cérémonie commença.

Clairwil et moi, toujours dans cette même salle, nous étions étendues sur des canapés larges, élastiques et profonds, les jambes pendantes, les reins soulevés par de gros carreaux, absolument nues, et c’était le con que, dans cette première attaque, nous présentions à nos adversaires. Les tribades nous envoyaient les vits par rang de taille, de manière à ce que les plus petits commençassent ; mais ce n’était qu’aux pollutions de nos doigts qu’on adressait des vits, attendu que nous branlions de chaque main les deux successeurs de celui qui nous enconnait. Aussitôt que le con se remplissait aux dépens d’une main, il arrivait tout de suite un nouveau vit dans cette main, et nous avions toujours trois hommes chacune sur le corps. Celui qui était hors de combat se retirait dans une salle voisine jusqu’à nouvel ordre. Tous étaient nus, et tous déchargeaient dans un gondon, dont leur vit était revêtu. Ils passaient successivement de Clairwil à moi : nous fûmes donc ainsi foutues chacune d’abord soixante-quatre coups. Pendant les derniers, nos femmes étaient passées dans la seconde pièce, où elles travaillaient à faire rebander les moines. La seconde course recommença… Encore soixante-quatre coups chacune. Mêmes procédés pour la troisième, mais ce fut le cul que nous présentâmes, et nos athlètes nous furent envoyés cette fois de manière à ce que nous eussions toujours un vit dans le cul, l’autre dans la bouche ; et c’est celui qui sortait de nos culs que nous sucions afin de le préparer à la quatrième attaque. Ici l’on observait l’alternative, c’est-à-dire que je suçais le vit qui se retirait du cul de Clairwil, et elle suçait celui qui sortait du mien. On redoubla, de manière qu’après cette première scène, nous avions été foutues chacune cent vingt-huit coups en con et cent vingt-huit en cul, formant deux cent cinquante-six en tout. On servit des biscuits et des vins d’Espagne, puis les groupes se formèrent.

Nous reçûmes à la fois huit hommes : nous avions un vit sous chaque aisselle, un dans chaque main, un dans les tétons, un dans la bouche, le septième en con, le huitième en cul. Ici plus de gondons ; il fallait que tous déchargeassent, afin que nous nous trouvassions arrosées de foutre sur toutes les parties de nos corps, et que, de toutes parts, on le vît bouillonner sur nous. Chaque brigade de huit redoubla, en changeant de femme et de manière de foutre, de façon que nous éprouvâmes chacune huit pareils assauts, au bout desquels nous n’exigeâmes plus rien. Toutes deux offertes à leur lubricité, nous leur déclarâmes qu’ils étaient les maîtres de choisir entre Clairwil et moi, et de jouir comme bon leur semblerait. Clairwil, de cette manière, fut encore foutue quinze coups en bouche, dix en con et trente-neuf en cul ; et moi quarante-six en cul, huit en bouche et dix en con : deux cents coups chacune au total47.

Le jour parut, et comme c’était celui de Pâques, les coquins, en nous traitant ainsi, allaient dire leur messe et en revenaient. On nous avertit pour le dîner ; nous témoignâmes au supérieur le désir de procéder avant aux petites impiétés convenues. Spectateur de nos lubricités, Eusèbe, qui n’aimait que les hommes, s’était contenté de nous disposer des vits, et d’enculer quelques-uns de ses confrères, pendant que nous en étions foutues.

— Eh bien ! nous dit-il, je vais moi-même célébrer le saint mystère dans la chapelle de la Vierge, en haut. Comment désirez-vous que cela se fasse ?

— Il faut, dit Clairwil, qu’un autre moine célèbre à côté de vous. Ces deux messes se diront sur les cons de nos deux tribades ; un moine les foutra en bouche pendant ce temps-là, afin de présenter son cul au célébrant, et il chiera sur le ventre de la fille dès que l’hostie sera consacrée. De ce moment, le prêtre fera tenir le petit Dieu dans cet étron ; mon amie et moi irons le chercher là ; nous en brûlerons une partie ; nous donnerons des coups de couteau dans l’autre. On fera quatre parts ensuite de ce qui restera : deux de ces parts seront enfoncées à coups de vit dans le cul des deux célébrants, le reste s’introduira de même dans le cul de Juliette et dans le mien. Au bout d’un instant, le vin consacré s’introduira dans quatre petites seringues, et l’on injectera ces quatre portions dans le cul des deux prêtres et dans les deux nôtres. On nous resodomisera tous quatre, et l’on nous déchargera dans le cul. Vos plus beaux crucifix seront sous nos ventres et sous nos pieds pendant l’opération, et nous chierons dessus, ainsi que dans vos ciboires et vos calices, dès que nous aurons été foutues.

Tout se passa comme l’avait désiré mon amie.

— Allons, dit-elle, je suis satisfaite ; je sais bien que ce sont des enfantillages, des inutilités, mais cela m’a échauffé la tête : n’était-ce donc pas tout ce qu’il fallait ? Les voluptés ne sont que ce que l’imagination les fait, et la plus délicieuse de toutes n’est jamais que celle qui plaît le mieux :

Tous les goûts sont dans la nature

Le meilleur est celui qu’on a.

Eusèbe et les quatre moines qui nous avaient plu davantage furent les seuls admis au magnifique repas qui nous fut servi ; nous reposâmes deux heures, et les orgies recommencèrent.

Cette fois-ci, nos deux tribades, placées au-dessus de la tête de Clairwil, exposaient l’une son con, l’autre son cul ; moi, je devais branler les soixante-quatre vits et les introduire l’un après l’autre, d’abord dans le vagin, ensuite dans l’anus de ma compagne, qui les attendait couchée sur le dos et les jambes en l’air liées aux quenouilles d’un lit ; ils ne faisaient que s’exciter dans le con : tous étaient obligée de décharger dans le cul. Je pris la place de Clairwil ; elle me rendit le même service. Ces libertins, en jouissant ainsi de nous, avaient non seulement le plaisir de foutre de deux manières, mais même encore celui (pendant qu’ils foutaient) d’être aidés, servis par une jolie main, et de baiser une bouche, un con ou un cul, à leur volonté ; tous répandirent du foutre. À la seconde séance, chacune de nos tribades nous branlait un vit sur la figure, nous en branlions un de chaque main, et deux moines nous gamahuchaient. Nous étions assises sur le visage de celui qui nous léchait le trou du cul ; entre nos jambes, à genoux, était celui qui nous suçait le con ; le septième et le huitième attendaient nos ordres, le vit à la main, et ils nous enconnaient ou nous enculaient au moment où, suffisamment excitées par les gamahucheurs, nous leur faisions signe de s’introduire. Nous obtînmes encore huit coups de cette manière.

Ma compagne et moi étions excédées, lorsqu’il passa par la tête de Clairwil une idée bien digne de son libertinage.

— En s’y prenant, dit-elle, avec adresse, il est possible qu’une femme soit enconnée par deux hommes à la fois. Que ceux qui bandent encore m’approchent ; que le mieux fourni des deux m’enfile en me prenant sur lui ; que l’autre me le mette à l’envers en me branlant le trou du cul ; qu’un troisième vienne se faire sucer ; tout cela ne m’empêchera pas d’en pouvoir branler encore deux.

Clairwil se trouvait heureusement assez large pour l’exécution de son projet. Vigoureusement secouée par deux monstrueux engins, dont l’un se retirait pendant que l’autre s’engloutissait jusqu’au poil48, ainsi foutue en mesure pendant plus de trois heures par vingt-six moines, qui furent assez adroits pour réussir, la putain sortit de là comme une frénétique : ses yeux étincelaient, sa bouche écumait, elle était en nage. Et tout excédée qu’elle paraissait, la garce en désirait encore ; on la voyait, comme une bacchante, parcourir les rangs et sucer les vits pour tâcher d’en obtenir de nouveaux efforts. Trop jeune et trop délicate pour me permettre d’essayer même l’obscène irrégularité que ma compagne venait de mettre en œuvre, je m’étais amusée pendant ces orgies à lui préparer des vits, mais il ne m’était plus possible de rien faire : j’éprouvais, dans l’une et l’autre région du plaisir, un tel feu, une cuisson si considérable, que je pouvais à peine me tenir assise.

Nous soupâmes… Il était tard. Clairwil dit qu’elle voulait coucher au couvent.

— Tu me feras mettre un matelas sur le maître-autel, dit-elle au supérieur : je veux y foutre toute la nuit. Juliette m’imitera : il fait chaud, nous serons là plus fraîchement. Ou bien elle ira dans la chapelle de cette putain qui, dit-on, fut la mère du Dieu pendu de l’infâme religion chrétienne… Juliette, tu coucheras sur cet autel, en te modelant sur le putanisme de la garce chez laquelle tu seras : au lieu des soldats de la garnison de Jérusalem, par qui la bougresse s’en faisait donner tous les jours, tu choisiras parmi ces moines ceux dans qui tu soupçonneras encore quelque vigueur.

— Ah ! je ne peux plus foutre ! m’écriai-je.

— Eh bien ! tu les branleras, ils te branleront ; tu les suceras, ils te suceront : il y aura toujours du foutre de répandu sur les autels impies de cette effroyable putain.

Pour moi, continua-t-elle, je ne te ressemble pas, il s’en faut. À quelque point que j’aie été limée, je brûle encore du besoin d’être foutue ; les flots de sperme qui m’ont inondé le cul et le con n’ont fait que m’enflammer : je brûle… Plus l’on fout, à mon âge, et plus l’on veut foutre : ce n’est que le foutre qui apaise l’inflammation causée par le foutre, et quand une femme a le tempérament que m’a donné la nature, ce n’est qu’en foutant qu’elle peut être heureuse. Le putanisme est la vertu des femmes ; nous ne sommes créées que pour foutre : malheur à celle qu’une stupide vertu enchaîne encore à de plats préjugés ! Victime de ses opinions et de la froide estime qu’elle attend presque en vain des hommes, elle aura vécu sans plaisir et mourra sans être regrettée. Le libertinage des femmes fut honoré sur toute la terre ; partout il eut et des sectateurs et des temples. Ah ! comme je deviens sa zélatrice ! comme je jure et proteste d’être putain le reste de mes jours !… Que de grâces j’ai à rendre à ceux qui m’ont aplani la carrière du vice : c’est à eux seuls que je dois la vie ! Je l’avais reçue de mes parents, souillée d’indignes préjugés : le feu des passions les a consumés tous, et puisque le jour n’est pur à mes yeux que depuis que je connais l’art de foutre, c’est de cette seule époque que j’ai reçu l’existence… Des vits oui, sacredieu ! des vits ! voilà mes dieux, mes parents, mes amis ; je ne respire que pour ce membre sublime, et quand il n’est ni dans mon con, ni dans mon cul, il se place si bien dans ma tête, qu’en me disséquant un jour on le trouvera dans ma cervelle !

Après ce mouvement d’effervescence, prononcé de l’air et du ton d’une énergumène, Clairwil prit deux carmes avec elle, et fut se coucher sur l’autel. Je l’imitai. M’étant bien bassinée avec de l’eau de rose, j’essayais de me prêter aux nouvelles attaques de deux superbes novices que j’avais amenés, et j’en jouissais, lorsque Clairwil, se jetant au bas de l’autel où elle s’est mise, s’écrie qu’il lui faut de nouveaux hommes.

— Que l’on soit difficile et que l’on choisisse au sein de l’abondance, dit-elle, rien de plus simple. Mais nous manquons maintenant ; ces bougres-là sont anéantis : le crois-tu, Juliette ? je viens d’être ratée… moi, qui jamais n’éprouvai cet affront. Allons, allons ! il y a d’autres vits dans ce couvent ; nous n’avons choisi que les plus beaux, tâtons les autres maintenant ; suis-moi. Si le supérieur, poursuit-elle en ordonnant qu’on aille le lui chercher, n’a pas été bon pour satisfaire individuellement mes désirs, il le sera pour les faire apaiser par ceux de ses confrères qui, reposés, frais et gaillards, et n’ayant encore rien fait avec nous, doivent avoir toutes les forces requises pour nous contenter… Allons ! lui dit-elle, dès qu’elle le vit paraître, conduis-nous dans les cellules habitées par les moines qui n’ont point paru à nos bacchanales !

Nous le suivons ; les portes s’ouvrent à notre approche ; et quelle que fût la conformation de ceux que nous trouvions dans ces chambres, il fallait qu’ils jouissent de nous. Tous souscrivent au marché, tous le signèrent de leur sperme ; les uns nous prenaient par-devant ; d’autres, et ce fut le plus grand nombre, ne voulaient enfiler que le cul ; et nous, ne poursuivant qu’un seul objet, celui d’être foutues, nous présentions indistinctement tout ce qu’on pouvait exiger de nous, contentes d’obtenir du foutre, dans quelque partie du corps qu’il dût couler : voilà comment doivent penser toutes les femmes. Est-il rien de plus absurde, en effet, que de supposer qu’il n’y ait pour recevoir des vits qu’une partie de notre corps, et que si malheureusement on s’écarte de la grande route, il y a aussitôt des crimes de commis ? comme si la nature, en nous formant deux trous, n’avait pas indiqué à l’homme que c’était pour les boucher indistinctement l’un et l’autre ; et que, quel que soit celui qu’il préférât, il accomplirait toujours les lois d’une mère trop sage pour avoir donné à l’une de ses plus faibles créatures le plaisant droit de l’outrager.

Très partisane de cette manière de jouir, et la préférant, sans nulle comparaison, à l’autre, je fus assez heureuse, dans cette seconde tournée, pour ne m’entendre demander que le cul, et je ne le refusai à personne.

Nous passâmes enfin chez les vieux.

— Il ne faut rien excepter, dit Clairwil ; tous les hommes sont intéressants dès qu’ils déchargent : je n’exige d’eux que du foutre.

Quelques-uns, couchés avec des novices, nous repoussèrent.

— Vous ne nous dédommageriez pas de l’infidélité, nous dirent-ils ; dussiez-vous même nous offrir l’autel où nous sacrifions, il y aurait un voisin trop redoutable pour que nous puissions essayer l’hommage :

Une femme a beau faire, elle a beau se tourner,

Ce sera toujours une femme.

martial, Épig

D’autres nous reçurent, mais, que de peines nous eûmes seulement à les faire bander… que de complaisances… que de soins… que de lubriques attentions ! que de différents rôles à jouer ! Tour à tour victimes ou prêtresses, tantôt il nous fallait réveiller chez les uns, par de cruelles macérations, une nature épuisée, que les autres ne sortaient de la léthargie qu’en nous molestant nous-mêmes. Un de ces vieux pécheurs voulut nous fouetter, nous le souffrîmes ; nous étrillâmes les autres ; il fallut prêter nos bouches à cinq ou six, et, dupes de nos complaisances avec ceux-là, leurs forces s’y épuisèrent sans que nous puissions y rien gagner. D’autres voulurent des choses plus singulières encore ; nous fîmes tout… Tout déchargea, jusqu’au sacristain, jusqu’au portier, jusqu’aux balayeurs, qui nous foutirent deux ou trois cents coups chacune. Et après avoir couru plus de trois cents postes, soit d’un côté, soit de l’autre, nous nous retirâmes, épuisées de tous les genres de fatigue qui peuvent accabler le corps humain. Un régime exact de neuf jours, pendant lesquels nous prîmes beaucoup de bains et de petit lait, nous rendit aussi fraîches que si nous n’eussions jamais imaginé cette partie.

Mais s’il n’en restait plus de vestige à mon extérieur, ma tête n’en était pas moins embrasée ; on n’imagine pas dans quel état cette extravagance l’avait mise : j’étais exactement dans le délire de la lubricité. Je voulus, ou pour m’apaiser ou pour m’enflammer davantage, aller toute seule, une fois, à notre Société des Amis du Crime. Il y a des moments où, quelque agréable que soit la compagnie d’un être qui pense comme nous, on préfère cependant la solitude : il semble que l’on sera plus libre, que l’on inventera davantage ; on est alors dispensé de cette espèce de honte dont on a tant de peine à se débarrasser avec les autres, et rien ne vaut enfin les crimes solitaires.

Il y avait quelque temps que je n’avais paru dans ce cercle : perpétuellement entourée de plaisirs, je savais rarement auquel donner la préférence. Je n’y fus pas plus tôt entrée, que je reçus mille éloges et mille compliments nouveaux, et je me vis bientôt contrainte à n’être que victime, lorsque j’arrivais pour être sacrificateur. Un homme de quarante ans m’enconna, et, fort peu occupée de répondre à ses feux, me laissant faire comme une machine, j’observais avec bien plus d’attention un fort bel abbé, enculant alternativement deux jeunes personnes, pendant qu’on le fouettait lui-même. Il était à deux pieds de moi ; je l’excitai par des propos, et je m’aperçus promptement qu’il faisait à moi bien plus attention qu’aux individus dont il se servait. Nous étant donc promptement débarrassés de nos entours, nous nous liâmes.

— Votre façon de jouir me plaît bien plus que celle de celui où vous venez de me voir livrée, lui dis-je : je ne conçois pas comment un homme fait pour être dans cette société, ose encore s’amuser d’un con.

— Je ne l’entends pas non plus, me dit Chabert (car c’était lui, mes amis, lui qui fait aujourd’hui les délices de notre campagne, et que vous allez bientôt voir jouer un rôle dans mes aventures). C’est-à-dire, poursuivit mon aimable abbé, que ce vit que vous voyez bander encore, vous chatouillera davantage au cul qu’au con !

— Assurément, répondis-je.

— Eh bien ! dit-il, en emmenant avec nous celui qui le foutait, passons dans un boudoir, et je vous ferai voir là que nos goûts se ressemblent.

Nous entrons. Le fouteur de Chabert l’avait comme un mulet, l’abbé lui-même était fort bien muni : mon cul les épuisa tous deux. Je promis à Chabert de le retrouver, et m’esquivai bientôt dans les sérails, où les stimulants que je venais de recevoir me firent entrer tout en feu. Après m’en être fait donner trois heures dans celui des hommes, je fus me chercher des victimes dans celui des femmes. Je brûlais de descendre dans ces trous pratiqués sous terre, entre les deux murs, et dans lesquels il semblait que l’on fût au bout du monde. J’y conduisis deux petites filles de cinq ou six ans, et n’ai jamais eu tant de plaisir. On criait, on déraisonnait, on battait la campagne, là, tant que l’on voulait : les antipodes nous eussent plutôt entendues que les habitants de notre hémisphère. Et après des horreurs dont vous vous doutez sans que je sois obligée de vous les peindre, je remontai seule, quoique nous fussions descendues trois.

Ce fut à quelque temps de là que je me trouvai à dîner chez Noirceuil avec un fort bel homme de quarante-cinq ans, qui fut annoncé sous le nom du comte de Belmor.

— Voilà notre nouveau président, me dit Noirceuil ; c’est aujourd’hui le jour de son entrée à la présidence, et il a promis, pour sa réception, un discours sur l’amour, que je suis charmé de te faire entendre pour prémunir ton cœur contre ce sentiment que les femmes n’ont que trop souvent l’extravagance de concevoir pour les hommes. Vous, mon ami, continua-t-il en s’adressant à Belmor, trouvez bon que je vous présente la fameuse Juliette. Vous êtes-vous rencontrés à la société ?

— Non, dit le comte, je ne me rappelle pas avoir vu madame.

— Eh bien ! dit Noirceuil, vous ferez connaissance ici avant de partir. C’est le cul le plus blanc… et l’âme la plus noire ! Oh ! elle est bien digne de nous ! Elle viendra vous entendre cette après-midi… Voulez-vous faire quelque chose avant dîner ?… J’attends Clairwil… Mais avant que sa toilette ne soit finie, il sera quatre heures : or, comme il n’en est que trois, je vous exhorte à passer tous deux un instant dans mon boudoir ; mon valet de chambre va vous suivre.

Belmor consentit, le valet vint, et nous nous enfermâmes tous trois. La passion de Belmor était simple : il baisait, il examinait longtemps les fesses de la femme pendant que l’homme l’enculait ; puis, dès que cet homme avait déchargé, il lui branlait le vit sur le cul de la femme, lui faisait perdre une seconde fois le foutre, bien positivement au trou, et dévorait ce que venait de perdre cet homme, pendant que la femme pétait ; on le fouettait alors. Le comte remplit avec moi tous les épisodes de ses goûts ; mais, se sentant de la besogne pour le soir, il ne déchargea pas. Nous rentrâmes ; Clairwil, belle comme un ange, venait d’arriver ; on se mit à table.

— Juliette, me dit Noirceuil, ne vous imaginez pas que le comte ait toujours des passions aussi douces que celle que vous venez de lui satisfaire : il vous a traitée comme notre amie.

— Comme un homme qui se ménage, dit Clairwil.

— Vous savez donc, madame, ce que fait monsieur dans ses moments de délire, dis-je à Clairwil en souriant ? Si cela est, dites-le moi, je vous en conjure, car il me paraît si aimable, que je ne veux rien ignorer de ce qui le concerne.

— Comte, dit Noirceuil, trouvez-vous bon qu’on le lui dise ?

— Je ne devrais pas y consentir, cela va donner à madame une beaucoup trop mauvaise idée de moi.

— Je connais assez mon amie, dit Clairwil, pour vous assurer qu’elle ne vous estimera qu’en raison de la multitude ou de la supériorités de vos vices.

— Eh bien ! dit Noirceuil, ce scélérat a pour passion favorite de faire attacher un petit garçon de cinq ou six ans sur les épaules d’une belle femme ; on fait couler le sang de la petite victime par mille plaies différentes, mais de manière à ce que le ruisseau coule sur le trou du cul de cette femme, obligée de chier pendant cette opération. Quant à lui, agenouillé devant le derrière, il avale le sang, pendant que trois hommes s’énervent dans son cul. Vous voyez que ce que vous venez de faire avec lui n’est qu’un diminutif de sa fantaisie de choix : tant il est vrai que les petites habitudes, chez les hommes, caractérisent les plus grandes, et que le vice dominant s’annonce toujours par quelque chose.

— Oh, foutre ! dis-je au comte, en l’embrassant de tout mon cœur, votre manie me fait tourner la tête : employez souvent, je vous prie, mes fesses à de semblables opérations, et soyez bien sûr que je ne négligerai rien de ce qui pourra perfectionner votre extase.

M. de Belmor m’assura que la journée ne se passerait pas sans cela, et il me conjura tout bas de lui réserver mon étron.

— Ah ! dit Clairwil, je savais bien que vous ne déplairiez pas à mon amie en lui annonçant votre libertinage.

— Il est certain, dit Noirceuil, que c’est une sotte vertu que la tempérance ; l’homme est né pour jouir, et ce n’est que par ses débauches qu’il connaît les plus doux plaisirs de la vie : il n’y a que les sots qui se contiennent.

— Pour moi, reprit Clairwil, je pense qu’il faut aveuglément se livrer à tout, et que ce n’est qu’au milieu de ces égarements que doit se trouver le bonheur.

— La nature, dit le comte, indique à l’homme de ne le chercher que dans les excès ; l’inconstance dont il est doué, en lui conseillant d’augmenter ses sensations chaque jour, prouve bien que les plus douces ne sont que dans les écarts. Malheur à ceux qui, contenant les passions de l’homme dans sa jeunesse, lui font une habitude des privations, et le rendent par là le plus infortuné des êtres : quels mauvais services on lui rend alors !

— Il ne faut pas se tromper sur le but de ceux qui se conduisent ainsi, dit Noirceuil ; ne doutons point que ce ne soit par méchanceté, par jalousie… de peur que les autres ne soient aussi heureux que ces pédants-là sentent bien qu’on peut l’être en se livrant à toutes leurs passions.

— La superstition, dit Belmor, y contribue beaucoup. Il fallait bien composer des offenses envers le Dieu que la superstition créait ; un Dieu qui ne se serait fâché de rien, devenait un être sans puissance : et où pouvait mieux se trouver le germe des crimes, que dans le jet des passions ?

— Que de torts, dit Noirceuil, la religion a fait à l’univers ! Je la regarde, dis-je, comme le fléau le plus dangereux de l’humanité ; celui qui le premier put en parler aux hommes, dut être nécessairement son plus grand ennemi : le plus effrayant des supplices eût encore été beaucoup trop doux pour lui.

— On ne sent pas assez, dit Belmor, la nécessité de la détruire… de l’extirper, dans notre patrie.

— Ce sera fort difficile, dit Noirceuil : il n’y a rien à quoi l’homme tienne, comme aux principes de son enfance. Un jour, peut-être, par un enthousiasme de préjugés tout aussi ridicules que ceux de la religion, vous verrez le peuple en culbuter les idoles. Mais semblable à l’enfant timide, il pleurera, au bout de quelque temps, le brisement de ses hochets, et les réédifiera bientôt avec mille fois plus de ferveur. Non, non ! jamais vous ne verrez la philosophie dans le peuple : ses organes épais ne s’amolliront jamais sous le flambeau sacré de cette déesse : l’autorité sacerdotale, un instant affaiblie peut-être, ne se rétablira qu’avec plus de violence, et c’est jusqu’à la fin des siècles que vous verrez la superstition nous abreuver de ses venins.

— Cette prédiction est horrible.

— Elle est vraie.

— Le moyen de s’y opposer ?

— Le voici, dit le comte, il est violent, mais il est sûr : il faut arrêter et massacrer tous leurs prêtres dans un seul jour… traiter de même tous les adhérents, détruire à la même minute jusqu’au plus léger vestige du culte catholique… proclamer des systèmes d’athéisme ; confier dans l’instant l’éducation de la jeunesse à des philosophes ; multiplier, donner, répandre, afficher les écrits qui propagent l’incrédulité, et porter sévèrement, pendant un demi-siècle, la peine de mort contre tout individu qui rétablirait la chimère49. Mais, ose-t-on vous dire, on fait des prosélytes avec la sévérité : l’intolérance est le berceau de tous les martyrs. Cette objection est absurde : ce que l’on me dit là n’est arrivé que parce qu’on a mis, au contraire, beaucoup trop de mollesse et de douceur dans le procédé : on a tâtonné l’opération, et jamais on n’a été au but. Ce n’est pas une des têtes de l’hydre qu’il faut couper, c’est le monstre en entier qu’il faut étouffer. Le martyr d’une opinion voit la mort avec courage, parce que cette force lui est inspirée par celui qui le précède : massacrez tout en un seul jour, que rien ne reste, et vous n’aurez plus, de ce moment, ni sectateurs, ni martyrs.

— Cette opération n’est pas aisée, dit Clairwil.

— Infiniment plus qu’on ne pense, répondit Belmor, et je me charge de l’exécuter avec vingt-cinq mille hommes, si le gouvernement veut me les confier. Il ne faut à cela que de la politique, du secret, de la fermeté, surtout point de mollesse et point de queue : vous craignez les martyrs, vous en aurez, tant qu’il restera un sectateur à l’abominable Dieu des chrétiens.

— Mais, dis-je, il faudrait donc détruire les deux tiers de la France !

— Pas même un, répondit Belmor ; mais à supposer que la destruction nécessaire fût aussi grande que vous le dites, vaudrait-il pas cent fois mieux que cette belle partie de l’Europe ne fût habitée que par dix millions d’honnêtes gens que par vingt-cinq millions de coquins ? Cependant, je le répète, ne croyez pas qu’il y ait en France autant de sectateurs de la religion chrétienne que vous semblez l’imaginer ; le triage serait bientôt fait : un an dans l’ombre et le silence me suffirait à l’établir, et je n’éclaterais que sûr de mon fait.

— Cette saignée serait prodigieuse !

— J’en conviens, mais elle assurerait à jamais le bonheur de la France : c’est un remède violent administré sur un corps vigoureux : en le tirant promptement d’affaire, il lui évite une infinité de purgations qui, trop multipliées, finissent par l’épuiser tout à fait. Soyez bien certains que toutes les plaies qui déchirent la France depuis dix-huit cents ans ne viennent que des factions religieuses50.

— À vous entendre, comte, dit Noirceuil, vous n’aimez pas infiniment la religion ?

— Je la vois peser sur les peuples comme une des plaies dont la nature afflige quelquefois les hommes, et si je n’aimais pas autant mon pays, j’abhorrerais moins tout ce qui peut l’embraser et le détruire.

— Allons ! dit Noirceuil, puisse le gouvernement vous confier le soin que vous désirez : je jouirais bien sincèrement avec vous du résultat, puisqu’il bannirait de dessus la partie du monde que j’habite, une abominable religion que je hais pour le moins autant que vous.

Et, comme il était tard, après le plus succulent et le plus somptueux dîner, on partit pour la Société.

Il y avait un usage fort extraordinaire à la réception d’un nouveau président. Appuyé sur le ventre, dans un canapé au bas de sa chaire, il fallait que tous les membres de la Société fussent lui baiser le cul, avant qu’il ne s’établît dans son fauteuil. Le comte se place, et chacun satisfait à l’hommage. Il monte.

— Mes frères, dit-il, j’ai promis d’entretenir aujourd’hui la Société sur l’amour, et quoique ce discours n’ait l’air de s’adresser qu’aux hommes, les femmes, j’ose vous l’assurer, trouveront de même tout ce qui leur est nécessaire pour se préserver d’un sentiment aussi dangereux.

Puis, s’étant couvert, et l’assemblée l’écoutant avec le plus grand silence, voici comme il s’exprima :

« On appelle amour ce sentiment intérieur qui nous entraîne, pour ainsi dire comme malgré nous, vers un objet quelconque, qui nous fait vivement désirer de nous unir à lui… de nous en rapprocher sans cesse… qui nous flatte… qui nous enivre quand nous réussissons à cette union, et qui nous désespère… qui nous déchire, quand quelques motifs étrangers viennent nous contraindre à briser cette union. Si cette extravagance ne nous entraînait jamais qu’à la jouissance prise avec cette ardeur, cet enivrement, elle ne serait qu’un ridicule ; mais comme elle nous conduit à une certaine métaphysique qui, nous transformant en l’objet aimé, nous rend ses actions, ses besoins, ses désirs aussi chers que les nôtres propres, par cela seul elle devient excessivement dangereuse, en nous détachant trop de nous-même et en nous faisant négliger nos intérêts pour ceux de l’objet aimé ; en nous identifiant, pour ainsi dire, avec cet objet, elle nous fait adopter ses malheurs, ses chagrins, et ajoute, par conséquent, ainsi, à la somme des nôtres. D’ailleurs, la crainte ou de perdre cet objet, ou de le voir se refroidir, nous tracasse sans cesse ; et de l’état le plus tranquille de la vie, nous passons insensiblement en adoptant cette chaîne, au plus cruel, sans doute, qui se puisse imaginer dans le monde. Si la récompense ou le dédommagement de tant de peines était autre chose qu’une jouissance ordinaire, peut-être conseillerais-je de le risquer ; mais tous les soucis, tous les tourments, toutes les épines de l’amour ne conduisent jamais qu’à ce qu’on peut aisément obtenir sans lui : où donc est la nécessité de ses fers ? Lorsqu’une belle femme s’offre à moi et que j’en deviens amoureux, je n’ai pas avec elle un but différent que celui qui la voit qui la désire sans former aucune espèce d’amour. Tous deux nous voulons coucher avec elle : lui, ce n’est que son corps qu’il désire, et moi, par une métaphysique fausse et toujours dangereuse, m’aveuglant sur le véritable motif qui, néanmoins, n’est autre que celui de mon concurrent, je me persuade que ce n’est que le cœur que je veux, que toute idée de jouissance est exclue, et je me le persuade si bien, que je ferais volontiers avec cette femme l’arrangement de ne l’aimer que pour elle-même, et d’acheter son cœur au prix du sacrifice de tous mes désirs physiques. Voilà la cause cruelle de mon erreur ; voilà ce qui va m’entraîner dans ce gouffre affreux de chagrins ; voilà ce qui va flétrir ma vie ; tout va changer pour moi dans cet instant : les soupçons, les jalousies, les inquiétudes vont devenir les aliments cruels de ma malheureuse existence ; et plus j’approcherai de mon bonheur, plus il se constatera, plus la fatale crainte de le perdre empoisonnera mes jours.

« En renonçant aux épines de ce sentiment dangereux, n’imaginez pas que je me prive de ses roses : je les cueillerai alors sans danger ; je ne prendrai que le suc de la fleur, j’en éloignerai toutes les matières hétérogènes ; j’aurai, de même, la possession du corps que je désire, et n’aurai pas celle de l’âme qui ne m’est utile à rien. Si l’homme s’éclairait mieux sur ses vrais intérêts dans la jouissance, il épargnerait à son cœur cette fièvre cruelle qui le brûle et qui le dessèche. S’il pouvait se convaincre qu’il n’est nullement besoin d’être aimé pour bien jouir, et que l’amour nuit plutôt aux transports de la jouissance qu’il n’y sert, il renoncerait à cette métaphysique du sentiment qui l’aveugle, se bornerait à la simple jouissance du corps, connaîtrait le véritable bonheur, et s’épargnerait pour toujours le chagrin inséparable de sa dangereuse délicatesse.

« C’est pour un être de raison, une sensation tout à fait chimérique, que cette délicatesse que nous plaçons dans le désir de la jouissance. Elle peut être de quelque prix dans la métaphysique de l’amour : c’est l’histoire de toutes les illusions, elles s’embellissent mutuellement. Mais elle est inutile, nuisible même, dans ce qui ne tient qu’à la satisfaction des sens. De ce moment, vous le voyez, l’amour devient parfaitement inutile, et l’homme raisonnable ne doit plus voir, dans l’objet de sa jouissance, qu’un objet pour lequel le fluide nerveux s’enflamme, qu’une créature fort indifférente par elle-même, qui doit se prêter à la satisfaction purement physique des désirs allumés par l’embrasement qu’elle a causé sur ce fluide, et qui, cette satisfaction donnée et reçue, rentre, aux yeux de l’homme raisonnable, dans la classe où elle était auparavant. Elle n’est pas unique dans son espèce : il peut en retrouver d’aussi bonnes, d’aussi complaisantes. Il vivait bien autrefois, avant de l’avoir connue : pourquoi ne vivrait-il pas tout de même après ? Comment l’infidélité de cette femme pourrait-elle le troubler en quoi que ce pût être ? En prodiguant ses faveurs à un autre, enlève-t-elle quelque chose à son amant ? Il a eu son tour : de quoi se plaint-il ? Pourquoi un autre ne l’aurait-il pas de même ? et que perdra-t-il en cette créature qu’il ne puisse aussitôt retrouver dans une autre ? Si elle le trompe, d’ailleurs, pour un rival, elle peut de même tromper ce rival pour lui ; ce second amant ne sera donc pas plus aimé que le premier : pourquoi, d’après cela, serait-il jaloux, puisqu’ils ne sont pas mieux traités l’un que l’autre ? Ces regrets seraient tout au plus pardonnables, si cette femme chérie était unique dans le monde : ils sont extravagants dès que cette perte est réparable. Me mettant un instant ici à la place de ce premier amant, qu’a-t-elle donc, cette créature, je vous prie, pour occasionner ainsi mes douleurs ? Un peu d’attention sur moi-même, quelque retour sur mes sentiments : l’illusion seule me prêtait de la force, c’est le désir de posséder cette femme, c’est la curiosité qui l’embellissait à mes yeux, et si la jouissance ne me les dessille pas, c’est, ou parce que je n’ai pas encore assez joui, ou, par un reste de mes premières erreurs, c’est le voile que j’étais accoutumé de porter avant de jouir qui retombe encore malgré moi sur mes yeux. Et je ne l’arrache pas ! C’est de la faiblesse… de la pusillanimité. Détaillons-la bien après la jouissance, cette déesse qui m’aveuglait avant… Saisissons le moment du calme et de l’épuisement pour la considérer de sang-froid ; passons un instant, comme dit Lucrèce, dans les arrière-scènes de la vie. Eh bien ! nous le verrons, cet objet divin qui nous faisait tourner la tête, nous le verrons doué des mêmes désirs, des mêmes besoins, des mêmes formes de corps, des mêmes appétits… affligé des mêmes infirmités que toutes les autres créatures de son sexe ; et nous dépouillant, à cet examen de sang-froid, du ridicule enthousiasme qui nous entraînait vers cet objet entièrement semblable à tous les autres du même genre, nous verrons qu’en ne l’ayant plus, nous ne perdons que ce que nous pouvons aisément réparer. Ne faisons entrer pour rien ici les agréments du caractère : ces vertus, entièrement du ressort de l’amitié, ne doivent être appréciées que par elle. Mais, en amour, je me trompe, si j’ai cru que c’était là ce qui m’avait décidé ; c’est le corps seul que j’aime, et c’est le corps seul que je plains, quoique je puisse le retrouver à tout moment : à quel point, dès lors, sont donc extravagants mes regrets !

« Osons le dire, dans aucun cas, la femme n’est faite pour le bonheur exclusif de l’homme. Envisagée du côté de la jouissance, assurément elle ne la rend pas complète, puisque l’homme en trouve une beaucoup plus vive avec ses semblables. Si c’est comme amie, sa fausseté, sa soumission ou plutôt sa bassesse, s’opposent à la perfection du sentiment de l’amitié. Il faut dans l’amitié de la franchise et de l’égalité ; si l’un des deux amis domine l’autre, l’amitié se détruit ; or, cette autorité de l’un des deux sexes sur l’autre, fatale à l’amitié, existe nécessairement entre deux amis de sexe différent : donc la femme n’est bonne ni pour maîtresse, ni pour amie. Elle n’est réellement bien placée que dans l’esclavage où les orientaux la tiennent : elle n’est bonne que pour la jouissance, au-delà de laquelle, comme le disait le bon roi Chilpéric, il faut s’en défaire le plus tôt possible.

« S’il est aisé de démontrer que l’amour n’est qu’un préjugé national, que les trois quarts des peuples de l’univers dont la coutume est d’enfermer leurs femmes, n’ont jamais connu ce délire de l’imagination, en remontant alors à l’origine de ce préjugé, il nous sera facile et de nous assurer qu’il n’est que cela, et d’arriver au moyen sûr de sa guérison. Or, il est certain que notre esprit de galanterie chevaleresque, qui offre ridiculement à notre hommage l’objet qui n’est fait que pour nos besoins, il est certain, dis-je, que cet esprit vient de l’ancien respect que nos ancêtres avaient autrefois pour les femmes, en raison du métier de prophétesses qu’elles exerçaient dans les villes et dans les campagnes : on passa par frayeur du respect au culte, et la galanterie naquit au sein de la superstition. Mais ce respect ne fut jamais dans la nature, on perdrait son temps à l’y chercher. L’infériorité de ce sexe sur le nôtre est trop bien établie pour qu’il puisse jamais exciter en nous aucun motif solide de le respecter, et l’amour, qui naquit de ce respect aveugle, n’est qu’un préjugé comme lui. Le respect pour les femmes augmente en raison de ce que l’esprit du gouvernement s’éloigne des principes de la nature ; tant que les hommes n’obéissent qu’à ces premières lois, ils doivent souverainement mépriser les femmes : elles deviennent des Déesses quand ils s’avilissent parce que l’homme s’affaiblit alors, et qu’il faut nécessairement que le plus faible commande quand le plus fort se dégrade : aussi le gouvernement est-il toujours débile quand les femmes règnent. Ne me citez point la Turquie ; si son gouvernement est faible, ce n’est que depuis l’époque où les intrigues du sérail ont réglé ses démarches : les Turcs ont détruit l’empire de Constantinople quand ils traînaient ce sexe enchaîné, et quand, en face de son armée, Mahomet second tranchait la tête d’Irène, à laquelle on soupçonnait trop d’empire sur lui. Il y a de la bassesse et de la dépravation à rendre le plus léger culte aux femmes ; ce culte est impossible, même au moment de l’ivresse : comment le peut-on soupçonner après ? Si de ce qu’une chose sert, devient un motif pour l’adorer, il faut donc de même adorer son bœuf, son âne, sa chaise percée, etc.

« Ce qui s’appelle amour, en un mot, n’est autre chose que le désir de jouir ; tant qu’il existe, le culte est inutile ; dès qu’il est satisfait, il est impossible : ce qui prouve que ce ne fut certainement point du culte que naquit le respect, mais du respect que naquit le culte. Jetez les yeux sur les exemples d’avilissement où ce sexe fut autrefois, où il est encore chez une grande partie des peuples de la terre, et vous achèverez de vous convaincre que la passion métaphysique de l’amour n’est nullement innée dans l’homme, mais qu’elle est le fruit de ses préjugés et de ses usages, et que l’objet qui fit naître cette passion, généralement méprisée partout, n’aurait jamais dû l’aveugler.

« Ce mépris est tel chez les Croates, plus particulièrement connus des géographes sous le nom d’Uscoques et de Morlaques51, que quand ils veulent parler de leurs femmes, ils emploient cette même expression vulgaire dont se sert le peuple au sujet d’un animal vil52. Jamais ils ne les souffrent dans leur lit, elles couchent à terre, sont obligées d’obéir au moindre signe, et déchirées à coups de nerfs de bœuf à la plus légère désobéissance. Leur soumission, leur régime, leurs fatigues journalières ne s’interrompent jamais, même dans leur grossesse : on les voit souvent accoucher en pleine campagne, ramasser leurs enfants, les laver au premier ruisseau, les rapporter chez elles, et continuer leurs occupations. On a remarqué que, dans ce pays, les enfants étaient beaucoup plus sains, beaucoup plus robustes, et les femmes beaucoup plus fidèles. Il semble que la nature ne veuille pas perdre les droits que notre luxe et notre fausse délicatesse cherchent à lui ravir en nos climats, sans en recueillir d’autres fruits que d’abaisser notre sexe, en lui assimilant celui qu’elle n’a créé que pour en être l’esclave.

« Chez les Cosaques Zaporariens, les femmes sont absolument exclues des peuplades ; celles qui servent à la propagation sont reléguées dans des îles séparées, et ils vont s’en servir là quand ils en ont besoin, mais sans choix, sans distinction ; le besoin seul agit ; l’âge, la figure, ni le sang n’établissent aucune différence, en sorte que le père a des enfants de sa fille ; le frère, de sa sœur ; et point d’autres lois chez ces peuples, que celles qu’établit le besoin.

« Il y a des pays où, quand les femmes ont leurs règles, elles sont traitées comme des bêtes ; on les enferme étroitement, et on leur jette à manger de loin, comme à des tigres ou à des ours : croyez-vous que ces peuples-là soient bien amoureux de leurs femmes ?

« Au royaume de Louango, en Afrique, les femmes enceintes sont encore plus maltraitée. Une fois dans cet état, elles n’en paraissent que plus impures, que plus difformes et plus dégoûtantes. Et qu’y a-t-il, en effet, de plus affreux qu’une femme grosse ? Pour se bien pénétrer de toute l’horreur qu’inspire ce sexe, il me semble que ce devrait être toujours à nu, et dans cet état, qu’il faudrait l’offrir à ses sectateurs.

« Les nègres de Barré n’ont de commerce avec elles que quatre ans après qu’elles sont accouchées.

« Les femmes de Maduré ne parlent de leurs maris qu’avec des circonlocutions qui expriment le profond respect qu’elles ont pour eux.

« Les Romains et les Celtes avaient sur leurs femmes le droit de vie et de mort, et ils en usaient souvent. Ce droit nous est assuré par la nature : nous lui désobéissons et nous dégradons ses lois en ne l’exerçant pas.

« Leur esclavage est affreux dans presque toute l’Afrique : elles se trouvent bien heureuses en ce pays, quand le mari daigne accepter leurs soins.

« Elles sont si maltraitées, si malheureuses, dans le royaume de Juida, que celles que l’on recrute pour compléter le sérail du souverain aiment mieux, quand elles le peuvent, se tuer que de se laisser conduire, ce prince ne jouissant jamais de ses femmes qu’en leur imposant, dit-on, d’exécrables supplices.

« Jetterons-nous les yeux sur ces magnifiques retraites de l’Asie ? Nous y verrous d’orgueilleux despotes faisant prendre leurs désirs pour des ordres, assouplir la beauté la plus pure aux sales caprices de leur imagination, et réduire à l’avilissement le plus extrême ces fières divinités que notre bassesse encense.

« Les Chinois méprisent souverainement les femmes ils disent qu’il faut se presser de les rejeter aussitôt qu’on s’en est servi.

« Lorsque l’empereur de Golconde veut se promener, douze des plus grandes et des plus vigoureuses filles de son sérail forment, en s’arrangeant les unes sur les autres, une espèce de dromadaire dont les quatre plus grandes composent les jambes ; on huche Sa Majesté sur les reins de ces filles, et elles partent. Je vous laisse à soupçonner les mœurs de ce monarque dans l’intérieur de son harem, et dans quel étonnement il serait, si l’on venait lui dire que les créatures dont il se sert pour ses besoins sont des objets de culte en Europe.

« Les Moscovites ne veulent rien manger de ce qui a été tué par une femme.

« Ah ! croyez-le, mes frères, ce n’est pas pour nous avilir par un sentiment aussi bas que celui de l’amour, que la nature a mis la force de notre côté : c’est, au contraire, pour commander à ce sexe faible et trompeur, pour le contraindre à servir nos désirs ; et nous oublions totalement ses vues, quand nous laissons quelque empire aux êtres qu’elle nous a soumis.

« Nous imaginons trouver le bonheur dans la tendresse que nous supposons aux femmes pour nous. Mais ce sentiment n’est jamais que joué, que mesuré sur le besoin qu’elles croient avoir de nous, ou l’espèce de passion que nous flattons en elles. Que l’âge vienne, ou que la fortune change, ne pouvant plus servir à leurs plaisirs ou à leur orgueil, elles nous abandonnent à l’instant, et deviennent souvent nos plus mortelles ennemies. Dans tous les cas, nous n’en avons point de plus cruels que les femmes qui même nous adorent sincèrement : si nous en jouissons, elles nous tyrannisent ; si nous les méprisons, elles se vengent, et finissent toujours par nous nuire. D’où il résulte que, de toutes les passions de l’homme, l’amour est la plus dangereuse et celle dont il doit se garantir avec le plus de soin.

« Mais faut-il autre chose que son aveuglement pour en juger la folie ? faut-il autre chose que cette illusion fatale qui lui fait prêter tant de charmes à l’objet qu’il encense ? Il n’est pas un tort qui ne devienne une vertu ; pas un défaut qui ne soit une beauté ; pas un ridicule qui ne soit une grâce. Eh ! quand l’ivresse est dissipée, et qu’éclairé sur le misérable objet de son culte, l’homme peut le considérer de sang-froid, ne devrait-il pas au moins, en rougissant de son indigne erreur, prendre de fermes résolutions pour ne plus s’aveugler à l’avenir !

« L’inconstance et le libertinage : voilà, mes frères, les deux contrepoisons de l’amour. Tous deux, en nous accoutumant au commerce de ces fausses divinités, font insensiblement tomber l’illusion : on n’adore plus ce que l’on voit tous les jours. Par l’habitude de l’inconstance et du libertinage, le cœur perd insensiblement de cette mollesse dangereuse qui le rend susceptible des impressions de l’amour ; il se blase, il s’endurcit, et la guérison suit de près. Eh ! comment irais-je me morfondre près des rigueurs de cette créature qui me brave, lorsque avec un peu de réflexion, je vois qu’un couple de louis peut me procurer sans peine la possession d’un corps aussi beau que le sien ?

« Ne perdons jamais de vue que la femme qui essaie de nous captiver le mieux, cache certainement des défauts qui nous dégoûteraient bientôt si nous pouvions les connaître. Que notre imagination les voie, ces détails… qu’elle les soupçonne, qu’elle les devine ; et cette première opération, faite dans le moment où l’amour naît, parviendra peut-être à l’éteindre. Est-elle fille ? certainement elle exhale quelque odeur malsaine ; si ce n’est dans un temps, c’est dans l’autre : est-ce bien la peine de s’enthousiasmer devant un cloaque ? Est-elle femme ? les restes d’un autre peuvent, j’en conviens, exciter un moment nos désirs, mais notre amour ?… Et qu’idolâtrer là, d’ailleurs ? Le vaste moule d’une douzaine d’enfants… Représentez-vous-la quand elle accouche, cette divinité de votre cœur ; voyez cette masse informe de chair sortir, gluante et empestée, du centre où vous croyez trouver le bonheur ; déshabillez enfin, même dans un autre temps, cette idole de votre âme : seront-ce ces deux cuisses courtes et cagneuses qui vous tourneront la cervelle ? ou ce gouffre impur et fétide qu’elles soutiennent ?… Ah ! ce sera peut-être ce tablier plissé qui, retombant en ondes flottantes sur ces mêmes cuisses, échauffera votre imagination ?… ou ces deux globes amollis et pendant jusqu’au nombril ? Peut-être est-ce au revers de la médaille que votre hommage s’érige ? Et ce sont ces deux pièces de chair flasque et jaune, renfermant en elles un trou livide, qui se réunit à l’autre ; oh ! ce sont assurément ces charmes-là dont votre esprit se repaît ! et c’est pour en jouir que vous vous ravalez de la condition des bêtes les plus stupides !… Mais je me trompe, ce n’est rien de tout cela qui vous attire : de bien plus belles qualités vous enchaînent ! C’est ce caractère faux et double, cet état perpétuel de mensonge et de fourberie, ce ton acariâtre, ce son de voix semblable à celui des chats, ou ce putanisme, ou cette pruderie (car jamais une femme n’est hors de ces deux extrêmes), cette calomnie… cette méchanceté… cette contradiction… cette inconséquence… Oui, oui ! je le vois, ce sont ces attraits qui vous retiennent, et, sans doute, ils valent bien la peine de vous tourner la tête53.

« N’imaginez pas que j’outre la matière. Si tous ces défauts ne sont pas réunis dans le même être, celui que vous adorez en possède assurément une partie. Si vous ne les voyez pas, c’est qu’on vous les dérobe, mais ils existent. Si la toilette, ou l’éducation, déguise ce qui nous dégoûterait, le défaut n’en est pas moins réel ; recherchez-le avant de vous lier, vous le reconnaîtrez infailliblement, et si vous êtes sages, n’allez pas sacrifier votre bonheur et votre tranquillité à la jouissance d’un objet qui certainement vous fera bientôt horreur.

Ô mes frères ! jetez les yeux sur la multitude de peines où cette funeste passion entraîne les hommes : les maladies cruelles, fruits des tourments qu’elle donne, la perte des biens, du repos, de la santé, l’abandon de tous les autres plaisirs ; sentez les sacrifices énormes qu’elle coûte, et, profitant de tous ces exemples, faites comme le nautonier prudent, qui ne passe point auprès de l’écueil où vient d’échouer le navire qui fendait les mers avec lui.

« Eh ! la vie ne vous offre-t-elle pas bien d’autres plaisirs sans ceux-là ?… Que dis-je ?… elle vous présente les mêmes, et elle vous les donne sans épines. Puisque le libertinage vous assure les mêmes jouissances, et ne vous demande que de les dégager de cette métaphysique à la glace qui n’ajoute rien aux plaisirs, jouissez sans liens de tous les objets offerts à vos sens. Et quelle nécessité y a-t-il donc d’aimer une femme pour s’en servir ? Il me semble que nous éprouvons tous ici qu’on s’en sert beaucoup mieux quand on ne l’aime point, ou qu’il est au moins très inutile de l’aimer pour en venir là. Qu’avons-nous besoin de prolonger ces plaisirs par une ivresse folle et ridicule ? Au bout de cinq à six heures, n’avons-nous pas eu de cette femme tout ce qu’il nous en faut ? Une autre nuit, cent autres nuits ne nous ramèneraient que les mêmes plaisirs : et d’autres objets vous en préparent de nouveaux. Quoi ! tandis que des millions de beautés vous attendent, vous auriez la folie de ne vous attacher qu’à une ? Ne ririez-vous pas de la simplicité d’un convive qui, dans un repas magnifique, ne se nourrirait que d’un seul plat, quoique plus de cent fussent offerts à son appétit ? C’est la diversité, c’est le changement qui fait le bonheur de la vie, et il n’est pas un seul objet sur la terre qui ne puisse vous procurer une volupté nouvelle : comment pouvez-vous porter l’extravagance au point de vous captiver à celui qui ne peut vous en présenter qu’une ?

« Ce que j’ai dit des femmes, mes frères, vous pouvez le rapporter aux hommes. Nos défauts sont aussi grands que les leurs, et nous ne méritons pas mieux de les fixer : toute espèce de chaîne est une folie, tout lien est un attentat à la liberté physique dont nous jouissons sur la surface du globe. Et tandis que je perds mon temps avec cet être quelconque, cent mille autres se flétrissent autour de moi, qui mériteraient bien mieux mon hommage.

« Est-ce une maîtresse, d’ailleurs, qui peut satisfaire un homme ? Est-ce, alors qu’esclave des volontés et des désirs de sa déesse, il ne travaillera qu’à la contenter, qu’il pourra s’occuper de ses voluptés personnelles ? La supériorité est nécessaire dans l’acte de la jouissance : celui des deux qui partage, ou qui obéit, est certainement exclu du plaisir. Loin de nous cette délicatesse imbécile qui nous fait trouver des charmes, même dans nos sacrifices… Ces jouissances, purement intellectuelles, peuvent-elles valoir celles de nos sens ? Il en est de l’amour des femmes comme de celui de Dieu : ce sont des illusions qui nous nourrissent dans l’un et l’autre cas. Dans le premier, nous voulons n’aimer que l’esprit, abstraction faite du corps ; dans le second, nous prêtons un corps à l’esprit ; et dans tous deux, nous n’encensons que des chimères.

« Jouissons : telle est la loi de la nature. Et comme il est parfaitement impossible d’aimer longtemps l’objet dont on jouit, subissons le sort de tous les êtres que nous ravalons injustement au-dessous de nous, et que nous enchaînons par la force, bien plus que par la raison. Voyons-nous le chien ou le pigeon reconnaître sa compagne quand il en a joui ? Si l’amour l’enflamme un instant, cet amour n’est que le besoin, et sitôt qu’il est satisfait, l’indifférence ou le dégoût succède, jusqu’au moment d’un nouveau désir. Mais ce ne sera plus avec la même femelle : toutes celles qui se rencontreront, deviendront tour à tour l’objet des vœux du mâle inconstant ; et s’il s’élève une dispute, la favorite de la veille sera sacrifiée comme le rival du jour. Ah ! ne nous éloignons pas de ces modèles, plus rapprochés que nous de la nature ! ils en suivent bien mieux les lois ; et si nous avons reçu quelques sens de plus qu’eux, c’est pour raffiner leurs plaisirs. Du moment que la femelle de l’homme n’a, au-dessus de l’animal, précisément que ce qui forme ses défauts, pourquoi voulons-nous adorer dans elle cette portion qui ne l’en distingue que pour l’humilier ? Aimons le corps, comme fait l’animal ; mais n’ayons aucun sentiment pour ce que nous croyons être distinct du corps, puisque c’est positivement là que se trouve ce qui contrebalance le reste, et ce qui devrait servir seul à nous en éloigner. Quoi ! c’est le caractère d’une femme, c’est son esprit bourru, c’est son âme perfide, qui devraient toujours me refroidir sur l’envie que j’ai de jouir de son corps, et j’oserais dire, dans mon ivresse métaphysique, que ce n’est point le corps que je veux, mais le cœur, c’est-à-dire, précisément la chose qui devrait m’éloigner de ce corps ! Cette extravagance ne peut se comparer à rien. Et d’ailleurs, la beauté n’étant qu’une chose de convention, l’amour ne peut plus être qu’un sentiment arbitraire, dès que ces traits de beauté qui font naître l’amour ne sont pas uniformes.

« L’amour, ne devenant plus que le goût exigé par les organes, ne peut plus être qu’un mouvement physique où la délicatesse ne peut plus s’allier ; car, de ce moment, il est clair que j’aime une blonde, parce qu’elle a des rapports qui s’enchaînent à mes sens ; vous… une brune, par de semblables raisons ; et, dans tous deux, l’objet matériel s’identifiant à ce qu’il y a de plus matériel en nous, comment adapterez-vous de la délicatesse et du désintéressement à cet unique organe du besoin et de la convenance ? Tout ce que vous y mettrez de métaphysique ne sera plus qu’illusoire, fruit de votre orgueil bien plus que de la nature, et que le plus léger examen doit dissiper comme un souffle. Ne traiteriez-vous pas de fou l’homme qui, de sang-froid, vous assurerait qu’il n’aime d’un œillet que l’odeur, mais que la fleur lui est indifférente ? Il est impossible d’imaginer dans quelles erreurs on tombe, en s’attachant ainsi à toutes les fausses lueurs de la métaphysique.

« Mais, m’objectera-t-on peut-être, ce culte exista de tout temps : les Grecs et les Romains firent des divinités de l’Amour et de sa mère. Je réponds à cela que ce culte put avoir chez eux les mêmes principes que chez nous. Les femmes prédisaient aussi l’avenir chez les Grecs et chez les Romains : de là, sans doute, sont nés le respect et le culte du respect, ainsi que je l’ai fait voir. D’ailleurs, il faut très peu s’en rapporter aux Grecs et aux Romains, sur les objets de culte ; et les peuples qui adoraient la merde sous le nom du dieu Sterculius, et les égouts sous celui de la déesse Cloacine, pouvaient bien adorer les femmes, si souvent rapprochées par l’odeur de ces deux antiques divinités.

« Soyons donc sages à la fin, et faisons de ces ridicules idoles ce que les Japonais font des leurs, quand ils n’en obtiennent pas ce qu’ils désirent. Adorons, ou faisons semblant d’adorer, si l’on veut, jusqu’à l’obtention de la chose désirée : méprisons-les, dès qu’elle est à nous. Si on nous refuse, donnons cent coups de bâton à l’idole, pour lui apprendre à dédaigner nos vœux ; ou, si vous l’aimez mieux, imitons les Ostiaques qui fustigent leurs Dieux à tour de bras, aussitôt qu’ils en sont mécontents. Il faut pulvériser le Dieu qui n’est bon à rien : c’est bien assez d’avoir l’air d’y croire dans le moment de l’espérance.

« L’amour est un besoin physique, gardons-nous de le considérer jamais autrement54. L’amour est, dit Voltaire, l’étoffe de la nature que l’imagination a brodée. Le but de l’amour, ses désirs, ses voluptés, tout est physique en lui. Fuyons pour toujours l’objet qui semblerait prétendre à quelque chose de plus. L’absence et le changement sont les remèdes assurés de l’amour : on ne pense bientôt plus à la personne qu’on cesse de voir, et les voluptés nouvelles absorbent le souvenir des anciennes ; les regrets de pareilles pertes sont bientôt oubliés. Ce sont les plaisirs irretrouvables qui peuvent en donner d’amers : mais ceux qui se remplacent aussi facilement, ceux qui renaissent à toutes les minutes… à tous les coins de rues, ne doivent pas coûter une larme.

« Eh ! si l’amour était vraiment un bien, s’il était réellement fait pour notre bonheur, un quart de la vie s’écoulerait donc sans en pouvoir jouir ? Quel est l’homme qui peut se flatter d’enchaîner le cœur d’une femme, quand il a passé soixante ans ? Il en a pourtant quinze encore à jouir, s’il est bien constitué : il doit donc renoncer au bonheur pendant ces quinze années-là ? Gardons-nous d’admettre un pareil système : si l’âge vient faner les roses du printemps, il n’éteint ni les désirs, ni les moyens de les satisfaire ; et les plaisirs que goûte le vieillard, toujours plus recherchés… toujours plus améliorés… toujours plus dégagés de cette froide métaphysique, véritable tombeau des voluptés, ces plaisirs, dis-je, seront mille fois plus délicieux, cueillis au sein de la débauche, de la crapule et du libertinage, que ne pouvaient l’être ceux qu’il procurait jadis à sa belle maîtresse : alors, il ne travaillait que pour elle, c’est de lui seul qu’il s’occupe aujourd’hui. Regardez ses raffinements ; observez comme il craint de perdre ce qu’il sait bien ne pouvoir caresser qu’une minute ; quels détails dans sa lubrique jouissance !… comme tout est pour lui, et comme il veut qu’on ne s’occupe que de lui ! L’apparence même du plaisir le troublerait dans l’objet qui le sert : ce n’est que de la soumission qu’il veut. La blonde Hébé détourne ses regards, elle ne peut cacher ses dégoûts : qu’importe au septuagénaire Philatre ? Ce n’est pas pour elle qu’il veut jouir, c’est pour lui seul ; ces mouvements d’horreur qu’il produit, tournent au profit de sa volupté même ; il est bien aise de l’inspirer. Il est obligé de contraindre, il faut presque qu’il menace, pour obtenir qu’on dirige dans sa bouche fétide une langue douce et fraîche, que la jeune beauté qui lui est sacrifiée craint de profaner par ce sale ministère : et voilà tout d’un coup l’image du viol, et, par conséquent, pour Philatre, un plaisir de plus. Jouissait-il de tous ces plaisirs à vingt ans ? On le prévenait, on l’accablait de caresses, à peine avait-il le loisir d’en désirer, et la jouissance, éteinte dans elle-même, ne lui laissait jamais aucune pointe. Est-ce un désir, que le mouvement satisfait avant que de naître ? La résistance n’est-elle donc pas la seule âme du désir : où peut-elle, en ce cas, exister plus entière qu’au sein des dégoûts ? Si donc le plaisir ne s’irrite que par la résistance, et que celle-ci ne soit réelle qu’enfantée par le dégoût, il peut donc devenir délicieux d’en causer, et toutes les fantaisies qui en donnent à une femme peuvent donc devenir plus sensuelles, et cent fois meilleures que l’amour… que l’amour… la plus absurde de toutes les folies, et dont je crois vous avoir suffisamment démontré le ridicule et tous les dangers. »

On imagine bien que cette dissertation ne fut pas très applaudie par les femmes ; mais Belmor, qui ne recherchait guère plus leurs éloges que leurs sentiments, fut amplement consolé par les applaudissements masculins qui partirent de tous les coins de la salle. Remettant les attributs de la présidence à son devancier, il descendit pour aller prendre connaissance des sérails et y exercer son autorité. Noirceuil, Clairwil et moi, le rejoignîmes au bout de la tribune, et nous passâmes ensemble aux harems. Un homme de soixante ans arrête Belmor comme il allait sortir avec nous de la salle, et pour lui témoigner la reconnaissance qu’il avait du discours qu’il venait de prononcer, il le supplie de lui prêter son cul. Belmor, ne pouvant refuser, se mit en posture. Le sexagénaire l’encule, et ne nous rend Belmor qu’après lui avoir déchargé dans le derrière.

— Voilà une bonne fortune, à laquelle je ne m’attendais pas, dit le comte.

— Elle est due à ton éloquence, répondit Noirceuil.

— Partisan du physique, comme vous venez de le voir, dit Belmor, j’aimerais mieux la devoir à mon cul qu’à mon esprit.

Et nous entrâmes au sérail, en riant tous de cette saillie.

Le président se fit tout ouvrir, et, pendant ce temps, personne ne put pénétrer que nous, à qui il permit de l’escorter. Vous imaginez qu’avec le genre d’esprit que vous venez de lui reconnaître, le nombre des coupables qu’il trouva fut prodigieux. Il était suivi, dans sa tournée, de quatre bourreaux, de deux écorcheurs, de six flagellateurs et de quatre geôliers. Le premier sérail qui s’ouvrit fut celui des femmes. Il en condamna au fouet trente, de cinq à dix ans ; vingt-huit, de dix à quinze ; quarante-sept, de quinze à dix-huit ; soixante-cinq, de dix-huit à vingt et un. Il y eut, dans ce même sérail, trois enfants condamnés à être écorchés vifs, de l’âge de six à dix ans ; trois de cette même classe reçurent leur sentence de mort ; dans celle de dix à quinze, il y eut six filles destinées à ce premier supplice, quatre au second ; dans celle de quinze à dix-huit, six écorchées et huit sentences de mort ; et dans la dernière, seulement quatre à la mort et cinq à être écorchées. Ces sortes d’exécutions ne se faisaient pas tout de suite. Les créatures ainsi condamnées passaient dans des chambres séparées, et c’étaient les premières qu’on livrait aux libertins qui voulaient sacrifier à ces goûts. Quatre sujets chez les femmes furent condamnée au cachot. À l’égard des flagellations, elles furent toutes subies sous nos yeux. On amenait la victime nue au président ; il l’examinait, la maniait à son aise un instant ; ensuite, un des flagellateurs s’en emparait, il la courbait vigoureusement sur ses genoux, et dès qu’elle était en position de ne pouvoir plus remuer, un second flagellateur, armé de verges ou de martinets, le tout au gré du président, appliquait le nombre de coups prescrit de même par lui. Belmor nous fit l’honnêteté de nous laisser presque toujours fixer ce nombre, et vous imaginez aisément que nous ne fûmes pas en dessous de sa sévérité. Six de ces jeunes filles reçurent une si grande quantité de coups, qu’on fut obligé de les emporter à moitié mortes. Tous les quatre, enlacés dans les bras l’un de l’autre, nous nous branlions beaucoup pendant ces lubriques opérations, et le foutre jaillissait souvent.

On passa chez les hommes. Ici Clairwil excite vivement Belmor à n’être pas plus compatissant ; et celui-ci, dont je vous ai dit que les goûts consistaient à faire massacrer des petite garçons sur lui, n’eut pas besoin de stimulant pour montrer sa férocité. Quarante-deux enfants de sept à douze ans reçurent le fouet avec la plus extrême rigueur ; il y eut dans cette classe six sentences de mort et dix d’écorchure. Soixante-quatre garçons de douze à dix-huit ans ne furent pas plus épargnés ; et là, trois sentences de mort et huit d’écorchure. Dans la dernière classe, c’est-à-dire dans celle de dix-huit à vingt-cinq ans, il y eut cinquante-six culs fouettés, deux morts et trois écorchures ; six en tout, sur le total, furent condamnés au cachot. Il y eut aussi deux matrones de fouettées pour cause de relâchement dans leur service, et ce fut Belmor qui les étrilla de sa main, jusqu’à ce qu’il eût enlevé la première peau de leurs fesses.

Je n’avais pas cessé de le branler pendant toutes ces opérations ; il bandait excessivement ; mais je dois rendre à la fermeté de son caractère la justice de dire qu’il ne déchargea pas une seule fois, et ne s’apitoya pas un instant.

— Allons, lui dit Noirceuil, occupons-nous de plaisirs maintenant : fais-nous voir ta passion, Belmor, tu nous l’as promis.

— J’y consens, dit le comte, mais comme me voilà furieusement échauffé, je prétends lui donner une extension terrible.

— À la bonne heure, dit Noirceuil, nous en jouirons mieux.

Le président, alors, révisa tous les petits garçons ; il en choisit dix de sept ans ; il lui fallait un pareil nombre de belles et grandes filles, mais, ayant désiré tenir la place de l’une d’elles, il n’en fit sortir que neuf. Elles étaient toutes de dix-huit à vingt et un ans ; je remarquai, comme une chose assez singulière, que ces neuf sujets étaient tous du nombre de ceux que sa méchanceté venait de condamner à la mort ou à l’écorchure. Dix hommes, mais uniquement choisis à la supériorité du membre, furent nommés pour le foutre pendant son opération, et voici comme elle commença.

On lia d’abord sur une fille (afin qu’avant de servir à la chose, j’eusse au moins le plaisir d’en juger), on lia, dis-je, un des enfants sur les épaules de cette fille, mais si étroitement garrotté, qu’on eût presque dit que les deux corps n’en faisaient qu’un. Alors la fille, avec son paquet sur le dos, se mit à plat ventre sur un sopha, les fesses prodigieusement exposées. Le comte examina, mordit, pinça vigoureusement le cul de l’enfant et claqua de même celui de la fille ; une autre fille, sur trois de douze ans, choisie à cet effet, s’étendit à terre entre les jambes de celle qui avait l’enfant sur le dos, et Belmor, se mettant à genoux sur un carreau, de même, entre les jambes de la fille au paquet, foutit en bouche celle qui était étendue ; on l’encula dans cette posture, et Clairwil devait enculer le fouteur. Par l’attitude du comte, sa tête se trouvait à la hauteur des fesses de la fille appuyée sur le sopha ; deux bourreaux s’emparèrent alors du corps de l’enfant lié, et, par mille différentes blessures, firent couler son sang dans l’entre-deux des fesses en face desquelles se trouvait la tête du comte.

— Allons, chiez, dit-il à la fille, dès qu’il aperçut le premier ruisseau de sang, chiez, putain ! chiez-moi dans la bouche.

On obéit, et le paillard, collant ses lèvres au trou du cul, reçut par ce moyen, à la fois, et le sang qui coulait du corps de l’enfant, et la merde qui sortait du cul de la fille. Il ne se faisait aucun changement, que la victime liée n’eût perdu tout son sang. Dès qu’il n’avait plus de vie, la fille qui le portait se relevait, et sans quitter son fardeau, elle se portait en face de l’opération, de manière à former une perspective au comte. Je fus seule dispensée de cette cérémonie ; je passai la troisième, et l’on détacha l’enfant dès que je me relevai ; tous dix furent ainsi massacrés, pendant que les dix filles chiaient, et que les trois suceuses se relayaient. Belmor déchargea une fois dans chaque bouche, et continua toujours son opération sans s’arrêter. Clairwil était excédée ; elle avait au moins distribué plus de dix mille coups de fouet sur le cul des fouteurs du comte. Pour Noirceuil, il avait examiné avec assez de sang-froid, au milieu de deux filles de seize ans, fort jolies, qui le branlaient et le suçaient tour à tour, pendant qu’il molestait leurs fesses.

— Voilà une charmante passion, dit-il à Belmor, quand celui-ci eut déchargé pour la dernière fois, mais je vais, moi, avec la permission du comte, lui faire voir qu’on pourrait, ce me semble, donner une autre tournure à cette même fantaisie. Qu’on m’amène, dit-il, dix petites filles de cinq à sept ans, et dix garçons de seize à dix-huit ; il me semble que les fouteurs du comte bandent encore : je me servirai d’eux. Voici maintenant comme je disposerai cette jouissance.

Il fit tenir droit un des jeunes gens de seize à dix-huit ans, et ce fut sur son sein qu’il lia la petite fille, en sorte qu’elle avait le con sur la bouche du jeune homme ; la ligature se fit si serrée, que le jeune homme étouffait presque.

— Vous voyez, nous dit Noirceuil, que le porteur et le porté souffrent, dans mon opération, ce qui n’est pas dans celle du comte, où la porteuse n’éprouve pas la moindre douleur ; et il me semble que de telles expéditions ne se perfectionnent qu’autant que les douleurs se multiplient.

Noirceuil s’agenouilla devant le porteur et lui suça le vit ; les bourreaux se mirent à travailler l’enfant ; les suceuses pompèrent tour à tour le vit de Noirceuil, et on le foutit ; le sang de la victime coula bientôt sur le vit que suçait Noirceuil, qui, par ce moyen, avalait à la fois et du foutre et du sang. Les victimes passèrent, et cette fantaisie barbare coûta, comme vous le voyez, la vie à vingt enfants.

— J’aime mieux la scène de cette manière, dis-je, et s’il n’était pas si tard, ce serait ainsi que je l’exécuterais dans l’instant.

Belmor, loin de combattre l’avis de Noirceuil, parut approuver.

— Mais ce qui fait pourtant, nous dit-il, que je ne changerai pas, c’est que ce sont des filles que sacrifie Noirceuil, et que j’ai, moi, le mauvais goût de n’aimer à sacrifier que des petits garçons.

— Ah ! voilà ce qui me décidera toujours pour votre genre, s’écrie Clairwil ; il n’y a rien de délicieux dans le monde comme de choisir ses victimes parmi les hommes ; qu’est-ce que le triomphe de la force sur la faiblesse ? ce qui est tout simple, peut-il amuser ? Mais qu’elles sont flatteuses, qu’elles sont douces, les victoires remportées par la faiblesse sur la supériorité.

Puis, s’adressant aux deux amis, avec cette effervescence qui la rendait si belle :

— Hommes féroces ! s’écria-t-elle, massacrez des femmes tant que vous voudrez : je suis contente, pourvu que je venge seulement dix victimes de mon sexe par une du vôtre.

Ici l’on se sépara ; Noirceuil et Belmor passèrent au sérail des femmes, où nous sûmes qu’ils avaient encore immolé une dizaine de créatures de toutes les manières et de tous les genres possibles. Clairwil et moi, nous restâmes à celui des hommes, dont nous sortîmes après nous être fait foutre soixante ou quatre-vingts coups chacune, et après quelques autres petites horreurs, dont vous vous doutez sans que je sois obligée de vous le dire.

Très peu de jours après les infamies où nous nous étions livrées, à la Société, avec le comte de Belmor et son amie, cet aimable président de notre assemblée vint me voir et me convaincre que Clairwil ne m’avait point trompée en m’assurant qu’il éprouvait le plus grand désir de se lier à moi. Le comte, excessivement riche, me proposa cinquante mille francs par mois, seulement pour deux soupers par semaine : rien ne s’y opposait, puisque Saint-Fond ne me gênait nullement. Je répondis au comte que je me lierais avec lui de bon cœur, mais que les cinquante mille francs qu’il me proposait ne suffiraient seulement pas à payer les frais des soupers. Le comte m’entendit, et doubla la somme, en se chargeant de payer tous les détails à part… lesquels étaient d’autant plus considérables que le libertin voulait avoir régulièrement, à chaque souper, trois superbes femmes nouvelles sur le corps desquelles il immolerait, ou ferait immoler, trois jeunes garçons. Ses meurtres consommés, il coucherait avec moi, et nous nous branlerions quelquefois encore deux ou trois heures, au bout desquelles il se retirerait chez lui. Telles étaient ses conventions ; j’acceptai.

Sans en excepter Noirceuil et Saint-Fond, il y avait peu d’hommes aussi corrompus que Belmor ; il l’était par principe… par tempérament… par goût, et sa perfide imagination lui faisait souvent inventer des choses qui surpassaient tout ce que j’avais conçu… entendu jusqu’alors.

— Cette imagination que vous vantez en moi, Juliette, me dit-il un jour, est précisément ce qui m’a séduit chez vous : on en a difficilement une plus lascive… une plus riche… une plus variée ; et vous avez dû remarquer que mes plus douces jouissances avec vous, sont celles où, donnant l’essor à nos deux têtes, nous créons des êtres de lubricité dont l’existence est malheureusement impossible. Ô Juliette ! qu’ils sont délicieux les plaisirs de l’imagination, et que l’on parcourt voluptueusement toutes les routes que nous offre sa brillante carrière ! Conviens, cher ange, que l’on n’a pas d’idée de ce que nous inventons, de ce que nous créons, dans ces moments divins où nos âmes de feu n’existent plus que dans l’organe impur de la lubricité : de quelles délices on jouit en se branlant mutuellement pendant l’érection de ces fantômes, comme on les caresse avec transport !… comme on les entoure !… comme on les augmente de mille épisodes obscènes ! Toute la terre est à nous dans ces instants délicieux ; pas une seule créature ne nous résiste ; tout présente à nos sens émus la sorte de plaisir dont notre bouillante imagination le croit susceptible : on dévaste le monde… on le repeuple d’objets nouveaux, que l’on immole encore ; le moyen de tous les crimes est à nous, nous usons de tous, nous centuplons l’horreur, et les épisodes de tous les esprits les plus infernaux et les plus malins n’atteindraient pas, dans leurs plus malfaisants effets, où nous osons porter nos désirs… « Heureux, cent fois heureux, dit La Mettrie, ceux dont l’imagination vive et lubrique tient toujours les sens dans l’avant-goût du plaisir !… » En vérité, Juliette, je ne sais si la réalité vaut les chimères, et si les jouissances de ce que l’on n’a point ne valent pas cent fois celles qu’on possède : voilà vos fesses, Juliette, elles sont sous mes yeux, je les trouve belles, mais mon imagination, toujours plus brillante que la nature, et plus adroite, j’ose le dire, en crée de bien plus belles encore. Et le plaisir que me donne cette illusion n’est-il pas préférable à celui dont la vérité va me faire jouir ? Ce que vous m’offrez n’est que beau, ce que j’invente est sublime ; je ne vais faire avec vous que ce que tout le monde peut faire, et il me semble que je ferais avec ce cul, ouvrage de mon imagination, des choses que les Dieux mêmes n’inventeraient pas.

Il n’était pas étonnant qu’avec une telle tête, le comte n’eût donné dans bien des écarts. Peu d’hommes, sans doute, avaient été aussi loin que lui, et peu d’hommes étaient plus aimables. Mais j’ai tant de choses à vous raconter encore, qu’il m’est impossible de m’arrêter aux horreurs que nous commîmes ensemble ; qu’il vous suffise de savoir qu’elles furent à leur comble, et que ce que vous pourriez concevoir se trouverait toujours au-dessous du vrai.

Il y avait environ quatre mois écoulés, depuis que j’avais admis mon père à l’honneur de ma couche ; le moment où il m’avait vue étant critique, je mourais de peur d’être restée grosse. Cette funeste crainte ne se réalisa que trop ; il ne me fut plus possible de m’aveugler ; mon parti fut bientôt pris. J’en fis part à un célèbre accoucheur qui, nullement scrupuleux sur cette manière, introduisit adroitement une aiguille aussi longue qu’effilée dans ma matrice, en atteignit l’embryon et le perça : deux heures après, je le rendis sans la plus légère douleur. Ce remède, plus sûr et meilleur que la sabine, parce qu’il n’attaque en rien l’estomac, est celui que je conseille à toutes les femmes qui, comme moi, auront assez de courage pour préférer leur taille et leur santé à quelques molécules de foutre organisées qui, venues à maturité, feraient souvent le désespoir de celles qui les auraient vivifiées dans leur sein. L’enfant de monsieur mon père une fois dans la fosse d’aisances, je reparus avec une taille plus belle et plus dégagée que jamais.

— Écoute, me dit Clairwil un jour, j’ai l’adresse d’une femme fort extraordinaire, il faut que nous y allions ensemble ; elle compose et vend des poisons de toutes les sortes ; elle dit, de plus, la bonne aventure, et rarement elle manque la vérité.

— Et donne-t-elle, dis-je, la recette des poisons qu’elle vend ?

— Pour cinquante louis.

— Éprouvés ?

— Devant soi, si l’on veut.

— Assurément, je te suis, Clairwil ; j’ai toujours aimé l’idée des poisons.

— Ah ! mon ange, il est délicieux d’être maître de la vie des autres !

— Il faut absolument, dis-je, que ce soit une grande jouissance que celle-là, car, au même instant où tu m’as parlé de ce projet, j’ai senti mes nerfs tressaillir ; une flamme inconcevable embrasait leur masse, et je suis sûre que si tu me touchais, tu me verrais encore toute mouillée.

— Ah ! sacredieu, me dit Clairwil en me troussant pour vérifier, quelle tête est la tienne, ma chère !… Comme je t’aime !… tu es un dieu pour moi… Mais ne m’as-tu pas dit, ce me semble, que Saint-Fond t’avait confié une caisse entière ? Qu’en as-tu fait ?

— Elle est consommée, et je n’ose plus lui en demander.

— Comment, tu as usé ?

— Tout.

— Pour ses besoins ?

— Un tiers au plus, le reste pour mes passions.

— Des vengeances ?

— Quelques-unes, mais beaucoup de lubricités.

— Délicieuse créature !

— Oh ! Clairwil ! tu n’imaginerais jamais jusqu’où j’ai porté l’horreur en ce genre… les voluptés que m’ont fait éprouver ces écarts ! Une boîte de dragées empoisonnées dans mes poches, je parcourais à pied, déguisée, les promenades publiques, les rues, les bordels ; je distribuais indifféremment ces funestes bonbons ; je poussais la noirceur au point d’en donner de préférence aux enfants. Je vérifiais ensuite mes forfaits ; trouvais-je une bière à la porte de l’individu auquel j’avais administré, le jour d’avant, mes cruelles attrapes, un feu divin circulait dans mes veines… je n’étais plus à moi… il fallait que je m’arrêtasse, et la nature qui, pour mes besoins sans doute, m’organisa différemment que les autres couronnait d’une extase indicible ce que des sots auraient cru devoir l’outrager d’autant.

— Rien de plus facile à concevoir, me répondit Clairwil, et les principes dont Saint-Fond, Noirceuil et moi, t’avons nourrie depuis longtemps, doivent dévoiler à tes yeux, sur tout cela, les grands secrets de la nature. Il n’est pas plus extraordinaire d’en venir là, que d’aimer à donner le fouet ; c’est le même plaisir raffiné, et dès qu’il est prouvé que, de la commotion de la douleur éprouvée par les autres, il résulte une vibration sur la masse de nos nerfs qui doit nécessairement disposer à la lubricité, tous les moyens possibles de faire ressentir de la douleur en deviendront pour nous de goûter des plaisirs, et, débutant par les choses légères, nous arriverons bientôt aux exécrations. Les causes sont les mêmes, il n’y a que les effets qui diffèrent. Par un accroissement insensible, suite nécessaire des lois de la nature, et, plus que tout, de la satiété, on commence par une piqûre, on finit par un coup de poignard. Il y a, d’ailleurs une sorte de perfidie dans l’emploi du poison qui en accroît singulièrement les délices. Te voilà supérieure à tes maîtres, Juliette : j’en avais peut-être conçu davantage, mais je n’en avais pas tant exécuté…

— Conçu davantage ! dis-je à mon amie, et que diable, je te prie, pouvais-tu concevoir de plus ?

— Je voudrais, dit Clairwil, trouver un crime dont l’effet perpétuel agît, même quand je n’agirais plus, en sorte qu’il n’y eût pas un seul instant de ma vie, ou même en dormant, où je ne fusse cause d’un désordre quelconque, et que ce désordre pût s’étendre au point qu’il entraînât une corruption générale, ou un dérangement si formel, qu’au-delà même de ma vie l’effet s’en prolongeât encore.

— Je ne vois guère, mon ange, répondis-je, pour remplir tes idées sur cela, que ce qu’on peut appeler le meurtre moral, auquel on parvient par conseil, par écrit ou par action. Belmor et moi, nous avons raisonné sur cette matière ; il y a peu d’imaginations comme la sienne, et voici un petit calcul de sa main qui suffira à te faire voir la rapidité de cette contagion, et combien elle peut être voluptueuse à produire, s’il est vrai, comme ni moi, ni toi n’en doutons, que la sensation gagne en raison de l’atrocité du crime.

Et Mme de Lorsange montra à ses amis le même papier qu’elle avait autrefois reçu de Belmor. Le voici :

« Un libertin décidé à cette sorte d’action peut aisément, dans le cours d’une année, corrompre trois cents enfants ; au bout de trente ans, il en aura corrompu neuf mille ; et si chaque enfant corrompu par lui l’imite seulement dans le quart de ses corruptions, ce qui est plus que vraisemblable, et que chaque génération ait agi de même, au bout de ses trente ans, le libertin, qui aura vu naître sous lui deux âges de cette corruption, aura déjà près de neuf millions d’êtres corrompus, ou par lui ou par les principes qu’il aura donnés. »

— Charmant ! me répondit Clairwil, mais le projet adopté, il faut le suivre.

— Il faut, dis-je, que non seulement le nombre des trois cents victimes soit régulièrement corrompu tous les ans, mais il faut même aider, autant qu’on le peut, à la corruption du reste.

— Sacredieu ! dit Clairwil, si dix personnes s’entendaient pour le même plan, ce qui est extrêmement possible, le degré de la corruption, sous leurs yeux mêmes, deviendrait plus rapide que les progrès les plus violents de la peste ou de la fièvre maligne !

— Assurément, répondis-je ; mais quand on entreprend un tel projet, il faut employer à la fois, pour la plus grande sûreté de la réussite, les trois moyens que je viens d’indiquer : conseils, actions, écrits.

— Comme tout cela peut être dangereux ! dit Clairwil.

— J’en conviens, répondis-je, mais souviens-toi que Machiavel a dit qu’il valait mieux être impétueux que circonspect, parce que la nature est une femme de qui l’on ne saurait venir à bout qu’en la tourmentant. On voit, par expérience, continue le même écrivain, qu’elle accorde ses faveurs bien plutôt aux gens féroces qu’aux gens froids.

— Sais-tu, continua Clairwil, que ton Belmor doit être délicieux ?

— Il l’est aussi, répondis-je ; peu d’hommes sont plus aimables ; il n’en est pas de plus libertins.

— Il aimera les emplettes que nous allons faire : il faudra les lui vendre au poids de l’or.

— Tu crois donc qu’à quelque point que l’on aime un homme, quels que soient ses rapports avec nous, tu crois donc, dis-je, que nous devons, malgré cela, le tromper toujours également ?

— Bien certainement, répondit Clairwil, sa seule qualité d’homme nous oblige à le traiter comme il le fait toujours quand il vit avec nous, et dès qu’il n’y a pas un seul homme de franc, pourquoi veux-tu donc que nous le soyons avec eux ? Amuse-toi des goûts de ton amant, dès qu’ils s’enchaînent avec tes caprices, jouis de ses facultés morales et physiques, échauffe-toi de son esprit, de ses talents ; mais ne perds point de vue qu’il est d’un sexe ennemi déclaré du tien, que tu ne dois jamais manquer l’occasion de te venger des outrages que ton sexe a reçus de lui, et que tu es tous les jours toi-même à la veille d’en recevoir : en un mot, il est homme, et tu dois le duper… Tu es encore d’une incroyable bonhomie sur tout cela : tu respectes les hommes, tandis qu’il ne faut que s’en servir et les tromper. Tu ne tires pas de Saint-Fond le quart de ce que j’en aurais à ta place : avec l’extrême faiblesse qu’il a pour toi, j’en obtiendrais des millions tous les jours.

Et comme toute cette conversation se tenait dans la voiture de Clairwil qui nous conduisait chez la sorcière, les chevaux, que nous sentîmes s’arrêter, nous contraignirent à suspendre.

C’était au bout du faubourg Saint-Jacques, dans une petite maison isolée et située entre cour et jardin, que demeurait l’aventurière que nous allions consulter. Nos gens sonnèrent ; une vieille servante s’étant informée de ce que nous voulions, nous introduisit, dès qu’elle le sut, dans une salle basse, en nous priant d’ordonner à nos gens d’aller avec notre voiture nous attendre dans un cabaret assez loin ; ce qui fut aussitôt exécuté.

Au bout d’un quart d’heure, la Durand parut. C’était une très belle femme de quarante ans, des formes bien prononcées, étonnamment d’éclat, la taille majestueuse, une tête à la romaine, les yeux les plus expressifs, un très bon ton, des manières nobles, et généralement tout ce qui annonce des grâces, de l’éducation et de l’esprit.

— Madame, lui dit mon amie, des personnes qui vous connaissent bien et que vous avez satisfaites, nous envoient vers vous… Il faut d’abord que vous nous disiez ce que nous prépare l’avenir : voilà vingt-cinq louis pour cela. Il faut ensuite que vous nous donniez les moyens de maîtriser cet avenir, en nous vendant une collection complète de tous les poisons que vous préparez : voilà, poursuivit Clairwil, en lui donnant cinquante autres louis, la somme que vous prenez ordinairement pour apprendre à composer ces mêmes poisons, pour faire voir votre cabinet et votre jardin de plantes venimeuses ; soyez assurée que nous n’en resterons pas là.

— La première chose que j’observe, répondit la Durand, c’est que vous êtes deux dames fort jolies, et qu’il vous faut subir, avant que d’être satisfaites sur les objets que vous demandez, des cérémonies préliminaires qui, peut-être, ne vous plairont pas.

— De quoi s’agit-il, madame ? dit Clairwil.

— Il faut, répondit la sorcière, que vous me suiviez dans un cabinet fort obscur où je vais vous faire passer, et que là, toutes les deux parfaitement déshabillées, vous soyez fustigées par moi.

— Vigoureusement ?

— Au sang, mes belles amies… oui… au sang : je n’accorde jamais rien sans cette complaisance préliminaire ; j’ai besoin de votre sang pour vous expliquer l’avenir, et du sang résultant d’une fustigation préalable.

— Entrons, dis-je à Clairwil, dans de semblables circonstances, il ne faut se refuser à rien.

Le cabinet où nous pénétrâmes était trop singulier pour ne pas mériter une description particulière, et quoiqu’il ne fût éclairé que par une lampe, nous en discernâmes assez bien les objets pour en expliquer les détails. Ce cabinet, peint en noir, avait à peu près vingt pieds carrés : toute la partie droite était remplie d’alambics, de fourneaux et autres instruments de chimie ; à gauche, se voyaient des tablettes contenant une grande quantité de bocaux et des livres ; quelques tables étaient au-dessous ; en face, un rideau noir cachait une pièce dont je parlerai tout à l’heure, et le milieu était orné d’une colonne de bois, garnie de velours noir, autour de laquelle Mme Durand nous lia toutes deux en face l’une de l’autre.

— Alors, nous dit l’exécutrice, êtes-vous déterminées à souffrir quelques douleurs pour parvenir aux instructions que vous désirez ?

— Agissez, répondîmes-nous, agissez madame, nous sommes prêtes à tout.

Et la Durand, alors, nous baisa toutes deux très amoureusement sur la bouche, mania nos fesses, et nous mit un bandeau sur les yeux. Dès lors, le plus grand silence s’observa ; on s’approcha doucement de nous, et sans trop savoir qui nous frappait, nous reçûmes alternativement l’une et l’autre d’abord cinquante coups chacune ; on se servait de verges, mais elles étaient si vertes et si dures, l’on y allait d’une telle violence que, malgré l’habitude où nous étions, Clairwil et moi, de ces plaisirs, je suis bien sûre que le sang paraissait déjà. Cependant on ne disait mot, et nous n’osions nous plaindre. Nos fesses furent palpées, et certainement les mains qui les empoignèrent n’étaient pas celles de Mme Durand.

On recommença. Ici nous ne pûmes plus douter de quel sexe était le bourreau ; un vit s’approcha de nos fesses, on le frotta sur le sang qui en coulait ; quelques soupirs, quelques gémissements voluptueux se firent entendre, et deux ou trois baisers se portèrent au trou de nos culs, une langue même y pénétra quelques instants. Une troisième reprise eut lieu, mais on ne se servit plus de verges : quoique nos culs fussent endormis, il nous fut facile de discerner que les coups qu’on nous appliquait ne pouvaient venir que de martinets très aigus ; ils devaient l’être, sans doute, puisque je sentis aussitôt mes cuisses et mes jambes inondées de sang. Le vit se rapprocha, la langue se fit encore sentir, et la cérémonie cessa. On enleva le bandeau de nos yeux, et nous ne vîmes plus que Mme Durand, une soucoupe à la main, qui, placée par elle soigneusement sous nos fesses, se remplit aussitôt de sang. Elle nous détacha, nous bassina le derrière avec de l’eau et du vinaigre, puis nous demanda si nous avions souffert.

— Cela est égal, répondîmes-nous ; et y a-t-il autre chose à faire ?

— Oui, répondit la Durand, il faut que l’on vous branle le clitoris ; je ne puis vous faire aucune prédiction si je ne vous ai pas vues dans le plaisir.

Alors la sorcière nous coucha toutes deux, près l’une de l’autre, sur un canapé, de façon que nos têtes, passées derrière le rideau dont j’ai parlé, ne se trouvaient plus dans la même chambre. Ce fut dans celle-là où vint la maîtresse du lieu, qui, resserrant un cordon au-dessus de nos seins nous ôta, par ce moyen, la possibilité de nous relever et de pouvoir distinguer à qui nous avions affaire.

Elle était assise près de nous, à moitié nue ; sa superbe gorge était presque à la hauteur de nos visages ; elle se plaisait à nous la faire baiser ; elle nous observait et regardait la soucoupe teinte de notre sang. On nous branla d’abord sur le clitoris, ensuite, avec beaucoup d’art, dans le con et au trou du cul ; on nous gamahucha à l’un et l’autre de ces orifices ; puis, relevant et rattachant nos jambes par des cordons qui les maintenaient en l’air, un vit assez médiocre s’introduisit alternativement et dans nos cons et dans nos culs.

— Madame, dis-je à la Durand, dès que je m’aperçus de cette supercherie, êtes-vous au moins bien sûre de l’homme qui nous voit ?

— Simple créature, répondit la Durand, ce n’est pas un homme qui jouit de vous, c’est Dieu.

— Vous êtes folle, madame, dit Clairwil, il n’y a point de Dieu ; et s’il y en avait un, comme tout ce qu’il ferait rapprocherait de la perfection, on l’enculerait peut-être, mais il ne foutrait pas des femmes.

— Silence ! dit la Durand, livrez-vous aux impressions de la chair, sans vous inquiéter de ceux qui vous les font sentir : si vous dites encore un mot, tout est perdu.

— Nous ne dirons rien, répondis-je, mais réfléchissez bien, surtout, que nous ne voulons ni vérole, ni enfants.

— Aucune de ces choses n’est à craindre avec Dieu, reprit la Durand. Encore une fois, silence, car je ne peux plus rien vous répondre.

Et je sentis très distinctement le vit du personnage qui se servait de moi, abondamment décharger dans mon cul ; il jura même, il devint furieux ; et, sans presque nous en apercevoir, à l’instant nous fûmes enlevées, toujours sur le même sopha.

Nous nous trouvâmes dans une chambre sans meubles, laquelle, au temps que nous avions été à monter, nous parut extrêmement haute. Là, plus de rideaux qui séparassent nos têtes de nos corps. La Durand nous avait suivies : la même trappe l’avait enlevée près de nous. Deux petites filles de treize à quatorze ans se trouvaient dans cette chambre ; elles étaient liées sur des fauteuils… À leur contenance, à leur pâleur, nous jugeâmes facilement que ces créatures devaient être nées dans la plus extrême misère ; près de là, reposaient dans un berceau deux petits garçons de neuf mois. Une grande table était dans la chambre, et sur cette table beaucoup de paquets ressemblant à ceux qui enveloppent des drogues dans une pharmacie. Il y avait aussi dans cette pièce une beaucoup plus grande quantité de bocaux que nous n’en avions vu dans l’autre.

— C’est ici que je vais vous parler, dit la Durand, et elle nous détacha. Vous, Clairwil, dit-elle en fixant les yeux sur la coupe qui contenait son sang (et vous voyez que je sais votre nom sans que vous me l’ayez appris), vous, dis-je, Clairwil, vous ne vivrez plus que cinq ans ; vous en auriez vécu soixante, sans les excès où vous vous plongez ; votre fortune augmentera, à mesure que votre santé s’affaiblira, et le jour que l’Ours passera dans la Balance vous regretterez les fleurs du printemps.

— Je ne vous comprends pas, dit Clairwil.

— Écrivez mes paroles, dit la Durand, et vous verrez qu’elles seront justes un jour. Pour vous, Juliette… (et qui m’a dit votre nom ? je vous prie), vous, Juliette, vous serez éclairée par un songe ; un ange vous apparaîtra, il vous dévoilera des vérités incompréhensibles ; mais ce que je puis, en attendant, vous prédire, moi, c’est qu’où le vice cessera, le malheur arrivera.

Ici, un nuage fort épais s’éleva dans la chambre. La Durand tomba en syncope, elle cria, fit d’étranges contorsions, pendant lesquelles son beau corps parut tout nu, et revint à elle dès que le nuage fut dissipé. Cette vapeur avait laissé dans la chambre une odeur mêlée d’ambre et de soufre. Nos vêtements nous furent rendus. Dès que nous les eûmes repris, la Durand nous demanda quelles étaient les sortes de poisons que nous désirions.

— Votre prédiction me tourmente, dit Clairwil… Mourir dans cinq ans !…

— Peut-être l’éviterez-vous, répondit la Durand, j’ai dit ce que j’ai vu, mes yeux me trompent quelquefois.

— J’embrasse cet espoir, dit Clairwil, il me devient nécessaire… Que m’importe, au reste, n’eussé-je que huit jours à vivre, il faut qu’ils soient souillés par des crimes. Allons, faites-moi voir tous les poisons que vous avez : nous voulons visiter, et vos bocaux, et toutes les plantes curieuses de votre jardin. Vous nous expliquerez les propriétés de toutes ces choses ; nous ferons mettre de côté celles qui nous plairont ; vous nous en donnerez le compte après.

— Il me faut encore vingt-cinq louis, dit la sorcière, tout le reste aura son prix à part. Si vous voulez faire des expériences, vous en serez les maîtresses ; les deux petites filles que vous voyez là sont à vos ordres : si elles ne vous suffisent pas, à cinquante louis pièce, je vous fournirai des hommes ou des femmes à volonté.

— Vous êtes délicieuse, madame ! dis-je en sautant au cou de la Durand… oui, vous êtes une femme adorable, et vous serez contente de nous.

La sorcière, s’emparant alors d’une baguette d’ébène, et descendant à mesure tous les bocaux qui se trouvaient sur les rayons, commença l’explication des aphrodisiaques et des philtres amoureux, ainsi que des emménagogues et des électuaires anti-aphrodisiaques. Nous fîmes mettre de côté une ample provision des premiers, parmi lesquels beaucoup de cantharide, de ginseng, et quelques fioles de la liqueur de joui, du Japon, que la Durand nous fit payer, à cause de sa rareté et de ses vertus surprenantes, dix louis la fiole.

— Ajoutez pour mon compte quelques-unes des dernières, dit Clairwil, il y a beaucoup d’hommes à qui j’en ferai prendre avec plaisir.

— Venons maintenant aux poisons, dit la Durand ; s’il est quelquefois beau de travailler à la progéniture de l’espèce humaine, il est plus souvent délicieux d’en arrêter le cours.

— Ne mettez donc point ces deux actions sur la même ligne, dis-je à la Durand : l’une est horrible, l’autre est divine. Ce n’est point pour travailler à la progéniture que nous achetons ces philtres, c’est pour doubler notre lubricité ; et cette progéniture, bien constamment abhorrée, c’est pour la détruire avec délices que nous allons acheter ce qui suit.

— Embrassez-moi, dit la Durand, voilà les femmes que j’aime ; plus nous nous connaîtrons, et plus, j’espère, nous nous conviendrons mutuellement.

Ces poisons étaient en très grand nombre, classés chacun suivant son genre. Dans la nomenclature des premiers que nous parcourûmes, la Durand nous fit remarquer particulièrement la poudre du crapaud verdier : les effets qu’elle nous en raconta irritèrent tellement notre imagination, que nous témoignâmes sur-le-champ à la Durand le désir d’en faire une épreuve.

— Volontiers, nous dit-elle, choisissez l’une des deux filles qui nous accompagnent.

Et ayant détaché celle qui paraissait nous convenir, elle nous demanda si nous avions la fantaisie de la faire foutre par un homme, et de l’empoisonner pendant ce temps : nous répondîmes que cet épisode nous amuserait. La Durand sonna : un homme grand, sec, pâle et bilieux, d’environ cinquante ans, parut dans un assez grand désordre.

— Voilà, dis-je tout bas à ma compagne, l’homme qui vient de s’amuser de nous.

— Je le crois, me répondit Clairwil.

— Alzamor, dit la Durand, il faut dévirginer cette pucelle, pendant que ces dames vont la désorganiser avec cette poudre ; bandes-tu ?

— Abandonnez-moi l’enfant, dit Alzamor, je verrai ce que je pourrai faire.

— Madame, dis-je à la Durand, quel est cet homme ?

— C’est un vieux sylphe, me répondit la Durand, voulez-vous que d’un mot je le fasse disparaître ?

— Oui, dis-je.

La Durand prononça deux effroyables paroles qu’il me fut impossible de retenir, et nous ne vîmes plus que de la fumée.

— Faites revenir le sylphe, dit Clairwil.

Un mot presque pareil, et un second nuage le ramenèrent. Cette fois-ci, le sylphe bandait, et ce fut le vit en l’air qu’il s’empara de l’enfant. Cet homme était d’une vigueur prodigieuse : en deux minutes, il dépucela la jeune fille, et fit couler le sang dans la chambre. Ce fut alors que Clairwil fit avaler à la petite fille de la poudre de crapaud verdier dans un bouillon. Ses convulsions furent subites. Au milieu de ces convulsions, Alzamor la retourna promptement pour l’enculer : alors ses contorsions et ses cris augmentèrent ; elle faisait horreur à regarder. En six minutes elle creva, et le sylphe ne lui déchargea dans le cul que lorsqu’elle fut absolument sans vie. Ses angoisses furent épouvantables ; lui-même poussa des cris affreux, et ce fut à la violence de cette extase que nous achevâmes de nous convaincre que cet homme était le même qui avait joui de nous. Le mot barbare fut répété : Alzamor disparut et la victime avec lui.

La Durand poursuivit son poison, et après nous avoir expliqué quelques instructions du second genre.

— Voici, nous dit-elle, de la chair calcinée de l’engri, espèce de tigre d’Éthiopie : son effet est d’une subtilité qui mérite d’être observée par des dames aussi curieuses que vous.

— Faisons donc un essai, dit Clairwil, mais sur un jeune homme.

— De quel âge le voulez-vous ? demanda la Durand.

— Dix-huit ou vingt ans.

Aussitôt il en parut un beau, bien fait, porteur d’un superbe membre, mais dans un état de misère et de délabrement qui nous fit voir quelle était la classe où notre sorcière choisissait ses victimes.

— Vous en amuserez-vous ? dit la Durand.

— Oui, dis-je, mais nous voulons que tu sois en tiers avec nous ; il faut qu’il nous foute toutes les trois.

— Comment ! vous avez envie de me voir foutre ?

— La plus grande, répondis-je.

— Je suis une scélérate, je vous effrayerais.

— Non, garce, non, dit Clairwil en lui sautant au cou, non, tu ne nous effrayeras pas ; tu es digne de nous, et nous brûlons de te voir en action.

Et, sans autre formalité, Clairwil vole au jeune homme ; elle l’excite pendant que je trousse la Durand, et que je dévore des yeux, des mains et de la langue, toutes les parties de son beau corps. Il était impossible d’être mieux faite, d’avoir des chairs plus fraîches, plus fermes et plus blanches ; Durand avait surtout les plus belles fesses et les plus beaux tétons qu’il fût possible de voir, et un clitoris… oh ! de nos jours nous n’en avions vu ni de si longs ni de si raides. J’avoue que je ressentis dès lors un penchant invincible pour cette femme, et je la gamahuchais déjà de tout mon cœur, lorsque Clairwil, amenant le jeune homme par le bout du vit, m’écarta pour enfoncer ce vit dans le con de la sorcière : mais elle s’y opposa avec un cri terrible.

— Pourquoi donc exiger cette horreur de moi ? dit-elle. Je n’aime pas à foutre en con, je ne le puis, d’ailleurs : me prenez-vous donc pour une femme ordinaire ?

Et rejetant l’homme d’un vigoureux coup de poing, elle lui présente aussitôt les fesses. Clairwil conduit le membre, qui disparaît sans préparation dans l’anus, avec la même facilité qu’il se serait englouti dans le plus vaste con. Et ce fut alors que la putain frétilla de la plus lubrique manière ; Clairwil et moi, nous nourrissions son extase en la gamahuchant, en la polluant, en la baisant, en la caressant de tous nos moyens physiques et moraux. On ne se peint point l’ardeur de l’imagination de cette femme, la saleté de ses propos, le décousement original de ses idées luxurieuses, le désordre, en un mot, qui régnait dans toute sa personne, établi par l’incroyable chaleur de ses passions. Au milieu de la crise, elle voulut baiser nos culs ; et la putain les gamahucha et les foutit comme l’eût fait un homme.

— Empoisonnez !… empoisonnez donc ! nous cria-t-elle, au moment où le délire allait s’emparer de ses sens.

— Non, pardieu ! dit Clairwil, il faut que ce manant-là nous encule toutes les deux avant.

Ici la Durand jeta des cris affreux, se tordit les membres, tomba dans une affreuse attaque de nerfs, et perdit une si grande quantité de foutre, que ma bouche, qui la suçait alors, s’en trouvait pleine exactement.

— Il n’a rien perdu, nous dit-elle en rejetant le jeune homme, empêchez-le de décharger, afin qu’il vous foute mieux.

Et mon cul se trouvant présenté le premier, ce fut dedans que le fouteur vint élancer son sperme dont le derrière de la Durand avait si bien préparé l’éjaculation. Je continuai, pendant qu’on m’enculait, de pomper les jets de foutre jaillissant encore du vagin de la Durand, dont Clairwil langotait l’anus.

Mon amie me remplaça bientôt et ce fut pendant que le jeune homme la sodomisait que la Durand lui fit avaler la poudre. Les convulsions lui prirent avant qu’il n’eût le temps de sortir du cul de mon amie, de manière qu’il mourut en l’enculant, ce qui jeta Clairwil dans une crise de plaisir si violente, que je crus qu’elle en expirerait elle-même.

— Sacredieu, nous dit la bougresse, je crois que j’ai son âme et son foutre à la fois. Vous n’imagineriez pas à quel point le vit de ce coquin-là s’est grossi pendant que les convulsions le travaillaient ; on n’a pas d’idée du plaisir que donne une semblable opération.

Ô femmes voluptueuses ! empoisonnez vos fouteurs pendant qu’ils sont dans vos culs ou dans vos cons, et vous verrez ce qu’on y gagne… Nous eûmes effectivement toutes les peines du monde à retirer le vit du mort de l’anus de ma compagne, et quand nous en fûmes venues à bout, nous nous aperçûmes que les convulsions de la mort ne l’avaient point empêché de décharger.

— Eh bien ! dit Clairwil, ne vous avais-je pas bien dit que son âme s’était exhalée avec son foutre, et que mon cul avait tout recueilli.

Le cadavre s’emporte, et notre examen continue.

Ce troisième examen nous offrit, entre autres, le poison royal (celui qui, sous Louis XV, fit périr tant d’individus de sa famille) : des épingles et des dards empoisonnés, des venins mêlée des serpents connus sous les noms de cucurucu, de kokob et d’aimorrhoüs, celui de polpoch, sorte de serpent qui se trouve dans la province Jupatan.

— La liqueur où je le tiens, nous dit la Durand, est suffisamment empreinte de ce venin pour devenir très dangereuse : jamais les épreuves que j’en ai faites n’ont manqué. Voulez-vous en voir une ?

— Assurément, répondis-je, vous êtes bien sûre que nous ne refuserons jamais de telles propositions.

— Quelle victime choisissez-vous ?

— Un beau jeune homme, dit Clairwil.

— Allons, dis-je, tu m’entraînes dans toutes les erreurs ; il faut bien que je me corrompe avec toi.

Un simple coup de cloche fit apparaître un garçon de dix-huit ans, plus beau que le dernier, et dans le même état de misère.

— Voulez-vous, dit la Durand, qu’Alzamor l’encule devant vous ?

— Volontiers.

Un nuage s’élève et le sylphe paraît.

— Foutez ce garçon, dit la Durand, ces dames veulent éprouver sur lui la liqueur du polpoch.

— Attendez, dit Clairwil, il faut qu’il m’encule pendant ce temps-là.

— Et que ferons-nous, Durand et moi ?

— Tu gamahucheras le cul d’Alzamor, Juliette ; et la Durand, sur laquelle je serai couchée, m’enconnera avec son clitoris ; rien n’empêchera ma fouteuse d’agir, et quand elle verra le jeune homme prêt à me décharger dans le cul, elle lui donnera un petit verre du poison dont nous désirons voir l’épreuve.

Tout s’arrange au gré de mon amie ; mais, le verre avalé, le jeune homme éprouve une si forte crise que toutes les attitudes se dérangent. Nous cédons le milieu de la chambre au patient ; Alzamor branle Clairwil. Je me jette dans les bras de la Durand, qui me chatouille à ravir : on n’a ni plus d’art, ni plus d’expérience, toutes les issues de la volupté sont également parcourues par les doigts libertins de cette délicieuse femme, dont la bouche amoureuse me couvre des plus chauds baisers. Cependant la malheureuse victime chancelle comme un homme ivre ; peu à peu l’infortuné tombe, toujours sous nos yeux, dans un vertige effrayant. Les commotions ressenties au cerveau étaient si terribles, qu’il s’imaginait avoir la tête pleine d’eau bouillante. Cet état fut suivi d’une enflure générale de tout le corps ; le visage devint livide, les yeux lui sortaient de la tête, et le malheureux, en se débattant d’une manière horrible, tombe enfin à nos pieds au milieu des contorsions et des convulsions les plus bizarres, pendant que nous répandions, tous quatre, des flots du foutre le plus impur et le plus abondant.

— Voilà la plus divine de toutes les passions dit Clairwil ; voilà celles qui me feront toujours tourner la tête, et auxquelles je me livrerai sans cesse avec délices, toutes les fois que je le pourrai sans crainte !

— Jamais, dit la Durand, le meurtre causé par le poison ne peut en inspirer : quels témoins vous trahiront dans ce cas ? quelles traces déposeront contre vous ? L’art du plus habile chirurgien y échoue, et il lui est presque impossible de discerner les effets du poison d’avec les causes d’une maladie naturelle d’entrailles. Niez, et soyez ferme ; que le crime soit gratuit ; que l’on ne vous trouve point d’intérêt à l’avoir commis, et vous serez toujours à couvert.

— Poursuis, séductrice, poursuis, lui dit Clairwil, si je te croyais, je dépeuplerais, je crois, tout Paris ce soir !

La Durand prononça son mot barbare : le sylphe disparut.

— Descendons maintenant au jardin, nous dit la sorcière ; je vous le propose pour vous contenter, car la rigueur du dernier hiver a fait périr toutes mes plantes : il ne me reste presque plus rien.

Ce jardin, extrêmement sombre, ressemblait beaucoup à un cimetière. Excepté dans la partie des plantes rares, de très grands arbres l’ombrageaient partout. Notre curiosité nous porta sur-le-champ vers un coin isolé où la terre nous parut fraîchement remuée.

— Voilà où tu caches tes crimes, est-il vrai, Durand ? demanda Clairwil.

— Venez, venez, dit la sorcière en nous entraînant : il vaut mieux vous faire voir avec quoi l’on tue, que ce qui est tué.

Nous la suivîmes. Après plusieurs explications qu’elle nous fit :

— Écoute, lui dis-je, la vue de ce cimetière, positivement à côté de nous, m’échauffe étonnamment la tête. Je voudrais que tu fisses avaler de la plante qui occasionne les crises les plus violentes à une petite fille de quatorze ou quinze ans. On ouvrirait un trou prêt à la recevoir, nous nous enfermerions dans ce cimetière, et lorsque les convulsions du venin entraîneraient naturellement la victime dans le trou préparé, on la couvrirait de terre et nous déchargerions.

— Je suis décidée à ne rien vous refuser, nous dit la Durand. Vous voyez que j’ai prévu votre proposition, car voilà une jeune fille, et, si vous voulez bien observer le cimetière, vous y verrez, vers l’orient, une fosse toute prête. Une très jolie enfant se trouve effectivement toute nue derrière un figuier sauvage de Cayenne, et le trou qu’annonçait la Durand s’ouvrit sous nos yeux, sans qu’il nous fût possible de deviner par quelle magie.

— Eh bien ! dit la sorcière en nous voyant pétrifiées, est-ce que vous avez peur de moi ?

— Peur ! non : mais nous ne te concevons pas.

— Toute la nature est à mes ordres, nous répondit la Durand, et elle sera toujours aux volontés de ceux qui l’étudieront : avec la chimie et la physique on parvient à tout. Archimède ne demandait qu’un point d’appui pour soulever la terre, et moi, je n’ai plus besoin que d’une plante pour la détruire en six minutes.

— Délicieuse créature, dit Clairwil en la serrant dans ses bras, que je suis heureuse d’avoir rencontré quelqu’un dont les procédés répondent si bien à mes opinions !

Nous nous enfermâmes dans le cimetière avec la petite fille. Dès qu’elle eut avalé le venin, ses contorsions commencèrent.

— Asseyons-nous, dis-je, sur la paille la plus fraîchement remuée.

— Je vous entends, répondit la sorcière.

Elle sort une boîte de sa poche, parsème le cimetière de la poudre contenue dans cette boîte, et le terrain, se bouleversant aussitôt, nous offre un sol hérissé de cadavres.

— Oh ! foutre, quel spectacle ! dit Clairwil se vautrant sur ces monceaux de morts. Allons, sacredieu ! branlons-nous ici toutes trois, en voyant souffrir cette garce.

— Mettons-nous nues, dit la Durand : il faut que nos chairs pressent et foulent ces ossements ; c’est de cette voluptueuse sensation que nous devons obtenir une des meilleures branches de lubricité.

— Il y a, dis-je, une chose toute simple à faire : formons-nous des godemichés avec les os de ces victimes.

Et Clairwil, trouvant l’idée délicieuse, se hâte de nous donner l’exemple.

— Bien ! dis-je à ma compagne, mais il faut être assise sur des têtes, il faut que le trou de nos culs soit chatouillé de cette pression aiguë… Voyez où je me place…

— Ah ! dit Durand, c’est justement sur la tête fraîche encore du dernier garçon que vous avez immolé. Attends, Juliette, je vais saisir une de ses mains, pour te branler avec.

Que vous dirai-je… mes amis ! le délire et l’extravagance furent à leur comble, nous imaginâmes… nous exécutâmes cent autres choses plus infâmes encore, et la victime expira sous nos yeux dans d’exécrables convulsions. Les dernières l’ayant machinalement conduite vers son trou, elle y tomba ; je déchargeai dans les bras de mes deux amies qui, elles-mêmes, m’inondèrent de foutre en suçant l’une ma gorge, l’autre ma bouche. Nous nous rhabillons, et notre examen se poursuit avec le même sang-froid qu’auraient fait des sots qui viendraient de se livrer à la vertu. Après avoir parcouru le reste de son jardin, nous remontâmes.

— Les deux enfants que vous voyez dans ce berceau, nous dit la Durand, sont les matières dont je vais, si vous voulez, me servir devant vous, pour composer le plus cher et le plus actif de mes poisons. Désirez-vous jouir de ce spectacle ?

— Assurément, répondîmes-nous.

— Je ne m’en étonne pas, dit la Durand, je vous connais maintenant pour des femmes philosophes qui ne voient la désorganisation de la matière que comme une opération de chimie, et le puissant intérêt des résultats l’emporte dans vous sur le prétendu crime que trouvent les sots dans cette action… Je vais manipuler.

La Durand saisit, l’un après l’autre, les enfants qui étaient dans ce berceau ; elle les pend au plafond par les pieds, et les déchire à coups de verges. La bouche de ces infortunés se couvre d’écume : la sorcière recueille précieusement cette mousse, et nous la vend cent louis, en nous certifiant que, de tous les poisons qu’elle compose, celui-là est le plus violent, et c’était vrai. Les enfants expirèrent, sans que la Durand, qui les laissa toujours accrochés, eût seulement l’air de s’en douter. Heureux flegme du crime ! voilà où il faut être pour vous commettre avec délices !

— Oh ! ma chère amie, dit Clairwil en réfléchissant sur tout ce qu’elle venait de voir, vous avez là de terribles secrets.

— J’en ai bien d’autres, mesdames, répondit la Durand. La vie des hommes est entre mes mains. Je puis répandre des pestes, empoisonner des rivières, propager des épidémies, putréfier l’air des provinces, corrompre des maisons, des vignes, des vergers, transformer en venin la chair des bestiaux, incendier des maisons, faire mourir subitement celui qui respirera une fleur ou décachettera une lettre : je suis, en un mot, une femme unique dans mon genre, personne ne peut me le disputer.

— Mais, madame, dis-je à la Durand, comment quelqu’un qui connaît aussi bien la nature peut-il admettre l’existence d’un Dieu ? Quand nous vous avons demandé tout à l’heure par qui nous étions foutues, vous nous avez répondu que c’était par Dieu.

— En est-il un plus puissant que le vit ? répondit la Durand.

— Ah ! j’aime mieux que vous me répondiez ainsi qu’autrement… Allons, de la franchise, ma chère, n’est-il pas vrai que vous ne croyez pas en Dieu ?

— Mes amies, nous dit la Durand, plus on étudie la nature, plus on lui arrache ses secrets, mieux on connaît son énergie, et plus on se persuade de l’inutilité d’un Dieu. L’érection de cette idole est, de toutes les chimères, la plus odieuse, la plus ridicule, la plus dangereuse et la plus méprisable ; cette fable indigne, née, chez tous les hommes, de la crainte et de l’espérance, est le dernier effet de la folie humaine. Encore une fois, c’est méconnaître la nature que de lui supposer un auteur ; c’est s’aveugler sur tous les effets de cette première puissance, que d’en admettre une qui la dirige, et vous ne verrez jamais que des sots ou des fripons admettre ou croire à l’existence d’un Dieu. Le prétendu Dieu des hommes n’est que l’assemblage de tous les êtres, de toutes les propriétés, de toutes les puissances ; il est la cause immanente et non distincte de tous les effets de la nature ; c’est parce qu’on s’est abusé sur les qualités de cet être chimérique, c’est parce qu’on l’a cru tour à tour bon, méchant, jaloux, vindicatif, qu’on a supposé de là qu’il devait punir ou récompenser ; mais Dieu n’est que la nature, et tout égal à la nature ; tous les êtres qu’elle produit sont indifférents à ses yeux, puisqu’ils ne lui coûtent pas plus à créer l’un que l’autre, et qu’il n’y a pas plus de mal à détruire un bœuf qu’un homme.

— Et votre système sur l’âme, quel est-il, madame ? demanda Clairwil, car votre philosophie s’accorde trop avec nos principes, pour que nous n’aimions pas à l’analyser.

— Aussi matérialiste sur le système de l’âme que sur celui de la divinité, je vous avouerai, nous dit la Durand, qu’après avoir lu avec attention toutes les rêveries des philosophes sur cet article, j’en suis venue à me convaincre que l’âme de l’homme, absolument semblable à celle de tous les animaux, mais autrement modifiée dans lui, à cause de la différence de ses organes, n’est autre chose qu’une portion de ce fluide éthéré, de cette matière infiniment subtile dont la source est dans le soleil. Cette âme, que je regarde comme l’âme générale du monde, est le feu le plus pur qui soit dans l’univers, il ne brûle point par lui-même, mais, en s’introduisant dans la concavité de nos nerfs, où est sa résidence, il imprime un tel mouvement à la machine animale, qu’il la rend capable de tous les sentiments et de toutes les combinaisons. C’est un des effets de l’électricité dont l’analyse ne nous est pas encore suffisamment connue, mais ce n’est absolument pas autre chose. À la mort de l’homme, comme à celle des animaux, ce feu s’exhale et se réunit à la masse universelle de la même matière, toujours existante et toujours en action. Le reste du corps se putréfie et se réorganise sous différentes formes que viennent animer d’autres portions de ce feu céleste. Jugez, d’après cette définition, ce que doivent être, aux yeux de ceux qui l’admettent, les comiques idées de l’enfer et du paradis.

— Ma chère, dit Clairwil, après cette manière franche de raisonner avec nous, et d’après celle dont vous nous voyez adopter vos opinions, vous devriez bien nous avouer, avec la même candeur, quel est ce Dieu par qui vous nous avez fait si bien fouetter et foutre tout à l’heure. Dès que vous révélez à nos yeux les mystères de la nature, pourquoi craindriez-vous de nous dévoiler ceux de votre maison ?

— Parce que ceux de la nature sont à tout le monde, répondit la Durand, et que ceux de ma maison n’appartiennent qu’à moi. Je puis, d’après cela, les avouer ou les taire, suivant ma volonté : or elle n’est pas de vous les dire, et si vous persistez à me les demander, dussiez-vous me couvrir d’or, vous n’emporterez rien de chez moi.

— Eh bien, dis-je, n’appuyons pas davantage sur un objet qu’il plaît à madame de nous cacher ; continuons seulement de lui faire quelques-unes des questions où il me semble qu’elle peut répondre… Il est certain qu’il se fait du libertinage chez vous, nous sommes payées pour en être sûres : quel est celui que vous pouvez nous faire ? car nous sommes extrêmement libertines.

— Il n’est pas une seule passion, répondit la Durand, pas une seule fantaisie, pas un être vivant sur la terre, pas un égarement, quelque bizarre qu’il puisse être, dont vous ne puissiez vous procurer ici la jouissance. Indiquez-moi seulement, quelques heures avant, ce à quoi vous avez envie de vous livrer, et, tel extravagant, tel irrégulier, tel effroyable que cela puisse être, je vous proteste de vous le faire exécuter. Je dis plus, s’il y a quelques hommes ou quelques femmes dans le monde dont vous vouliez connaître les goûts ou les passions, je les ferai trouver ici, et sans qu’ils puissent soupçonner la trahison, vous les observerez au travers d’une gaze. Cette maison est tout entière à moi ; la facilité avec laquelle on arrive de quatre côtés sans être vu, sa position isolée, la sévérité de sa clôture, le mystérieux, en un mot, dont elle est, assure, ce me semble, à la fois, et la discrétion et le plaisir. Ordonnez donc et vous serez servies : tous les individus, toutes les nations, tous les sexes, tous les âges, toutes les passions, toutes les débauches, tous les crimes, tout… tout est à vos ordres ici. Vous payez bien, je le sais, et avec de l’argent l’on fait tout chez moi.

— Vous ne devez pourtant pas en avoir grand besoin, madame, vos richesses doivent être immenses ?

— Oui, répondit la Durand, mais j’ai des goûts aussi, et comme je mange presque tout ce que je gagne, je ne suis pas, à beaucoup près, aussi riche que vous pourriez le penser… Oui, madame, oui, le mystère et la distraction sont dans leur centre ici ; vous avez immolé cinq ou six victimes : vous en assassineriez cinq cents, qu’il n’en serait pas davantage. Voulez-vous renouveler quelques expériences sur des garçons, sur des filles, sur des personnes faites, sur des enfants, sur des vieillards ? Parlez, dans un instant vous serez servies.

— Je veux, dit Clairwil, enculer, avec des godemichés de fer rouge, deux garçons de quinze ans, pendant que vous les martyriserez, et que deux beaux hommes, déjà tout empoisonnés, m’enculeront.

— Cent louis pour chaque victime, dit la Durand, et vous serez satisfaites.

— Vous me donnerez donc deux jeunes filles, dis-je, car je n’aime à faire que sur mon sexe ce que cette putain veut faire aux hommes. Je les enconnerai avec des godemichés semblables, et votre sylphe leur déchirera le corps avec des martinets d’acier également rouges ; on me fouettera pendant l’opération.

— Cinquante louis par fille, dit la Durand.

Nous payâmes, et en moins de dix minutes tout fut en train.

Rien de plus joli comme les petites filles qu’on me donna, et rien de féroce comme les procédés du sylphe. Les malheureuses victimes expirèrent dans nos bras, et notre délire à l’une et l’autre devint impossible à peindre ; le sylphe et les cadavres disparurent, mais rien ne nous apaisait. Clairwil, échevelée comme une bacchante, écumait de luxure, et je n’étais guère plus calme. La Durand nous conjura de nous livrer à quelque autre passion, et que si cela nous plaisait, elle nous ferait, pendant ce temps-là, observer par des libertins.

— Donnez une victime à chacune, répondîmes-nous, et les examinateurs seront contents.

On m’amène une fille charmante, nue et garrottée ; un semblable holocauste du sexe masculin est offert à ma compagne. Nous commençâmes à les étriller avec des paquets d’orties et des martinets à pointes. Ici, la Durand, qui s’était retirée, revint doucement frapper à notre porte.

— La preuve qu’on vous regarde, nous dit-elle, c’est qu’on vous conjure de prolonger le supplice, et de vous tourner de ce côté en opérant : on veut voir vos culs, l’on n’a pu les juger encore.

— Sors, et dis qu’on sera satisfait, répondit Clairwil.

Nous continuâmes. La féroce créature ouvre le ventre du jeune garçon qu’on lui a donné, elle lui arrache le cœur et se l’enfonce tout chaud dans le con ; elle se branle avec.

— Oh ! sacredieu ! dit-elle en se pâmant, il y a un siècle que j’ai la fantaisie de me branler avec des cœurs d’enfants ! tu vas voir comme je vais décharger.

Couchée sur le cadavre de sa malheureuse victime, elle lui suçait encore la bouche en se foutant avec le cœur.

— Je veux qu’il m’entre tout entier dans le con, dit-elle.

Et pour se procurer la facilité de le retirer, elle passa une ficelle au travers, et le viscère disparut.

— Oh, foutre ! que c’est délicieux ! dit Clairwil en hurlant de plaisir ; essaye, Juliette, essaye ! il n’est pas au monde de voluptés plus grandes.

— J’ai connu, répondis-je, un homme qui avait à peu près le même goût. Il faisait un trou dans un cœur encore palpitant, y fourrait son vit et y déchargeait.

— Cela pouvait être charmant, dit Clairwil, mais moins joli que ce que je fais : tâtes-en, Juliette, je t’en conjure.

Rien de tel que l’exemple sur une imagination comme la mienne : il décide, il encourage, il électrise. J’eus promptement éventré ma victime, et son cœur palpitant fut bientôt dans mon con. Mais les voies, plus étroites que celles de ma compagne, résistèrent : je ne pus jamais l’introduire.

— Coupe-le, me dit Clairwil en voyant mon embarras, pourvu qu’il en entre une partie, c’est tout ce qu’il faut.

J’exécute, et par les mêmes procédés que Clairwil, je m’enfonce une moitié du cœur dans la matrice. L’affreuse coquine avait raison : il n’est point de godemiché qui vaille cela ; il n’en est point qui ait autant de chaleur et d’élasticité… Et le moral, mes amis, comme il est embrasé par ces horreurs ! Oh ! oui, oui, je l’avoue, Clairwil avait une excellente idée, et depuis bien longtemps je n’avais si délicieusement déchargé. Au bout d’une heure passée dans ces infamies, nous fîmes remonter la Durand.

— Foutre ! dit-elle en voyant ces affreux débris, il ne s’agit, me semble, que de vous en faire voir !

— Nous en massacrerions comme cela à toutes les heures du jour, dit Clairwil ; va, ma chère, le meurtre nous est aussi familier qu’à toi… nous l’idolâtrons comme toi, et dès qu’on tue dans ta maison, tu as dans nous deux excellentes pratiques.

— Mes bonnes amies, nous dit la Durand, ce n’est pas tout, j’ai encore quelque chose à vous proposer. Voulez-vous me faire gagner cinquante louis ?

— Assurément.

— Eh bien, ayez la complaisance de vous prêter toutes les deux un moment à l’examinateur : il brûle du désir de s’amuser avec vous, il en bande comme un furieux.

— Soit, dis-je, mais nous voulons aussi de l’argent : rien ne porte bonheur comme celui qu’on gagne au bordel. Demande-lui cent louis, nous en voulons vingt-cinq chacune.

— Je suis de l’avis de ma compagne, dit Clairwil : mais que nous fera cet homme ? Il faut se faire payer en raison des complaisances.

— Ah ! dit Durand, il vous fera beaucoup de choses, il est extrêmement libertin. Mais il sait que vous êtes des dames comme il faut, et il vous ménagera.

— Qu’il entre, dis-je, et qu’il paye bien, nous n’avons pas envie d’être ménagées : nous sommes des putains, et nous voulons être traitées comme telles.

Le personnage parut. C’était un petit homme d’environ soixante ans, gros, court, et de la tournure d’un opulent financier ; il était presque nu, on le sodomisait, son enculeur l’instrumentait tout en marchant.

— Les beaux culs… foutre !… les beaux culs ! s’écria-t-il en nous les maniant, vous avez fait des choses délicieuses… (et continuant toujours de se branler) vous avez tué… vous avez massacré : comme j’aime toutes ces choses-là ! Quand vous voudrez, nous en ferons ensemble.

À ces mots, le paillard me renverse sur le lit, et m’encule, en maniant les fesses de Clairwil. Au bout de quelques allées et venues assez grossièrement faites, il change de poste et c’est ma compagne qu’il gommorrhise, en examinant et baisant mon derrière. Ici son fouteur déchargea. Le petit homme, bien persuadé qu’il ne peut se tenir valeureusement en selle s’il n’est étayé d’un bon vit au derrière, décule aussitôt, et, s’emparant d’une poignée de verges, il ordonne à son fouteur de nous tenir, pendant qu’il va nous fouetter à la fois. Mais dans quelle posture bizarre le petit scélérat nous met ! Son homme était entre nous deux, nous étions chacune sous un des bras de cet homme, et contenues par les cheveux. Au moyen de cela, M. Mondor avait un beau vit à branler et deux superbes culs à fesser. Il se met à l’ouvrage : nos derrières, déjà très en train, reçoivent tout ce qu’il plaît à ce bougre-là de leur administrer ; l’opération devient aussi longue que sanglante, il usa six poignées de verges, et nos cuisses furent aussi maltraitées que nos fesses ; dans les intervalles, il suçait le vit de son homme, et dès qu’il l’eut fait bander, il nous fit foutre par ce superbe membre. Après avoir été aussi bien flagellées, vous imaginez facilement que nous avions besoin de ce baume. Pendant que cet homme nous foutait alternativement, le financier maniait le cul du fouteur, et y introduisait son vit de temps en temps. Quand sa passion fut bien allumée, le scélérat désira un meurtre. On lui amena un petit garçon de onze qu’il encula ; on le foutit, le vilain nous ordonna d’ouvrir la victime, d’en arracher le cœur comme nous venions de faire, et de lui en barbouiller le nez pendant qu’il déchargeait : tout s’exécuta, et le monstre, inondé de sang, perd son foutre en beuglant comme un taureau. À peine a-t-il fini, qu’il disparaît comme un éclair, sans nous adresser un seul mot. Tels sont les effets du libertinage sur des âmes timorées : le remords et la honte suivent de près l’instant du délire, parce que ces gens-là ne savent pas se faire de principes, et qu’ils s’imaginent toujours avoir mal fait, parce qu’ils n’ont pas fait comme tout le monde.

— Quel est cet original ? demandâmes-nous à la Durand.

— C’est un homme excessivement riche, nous répondit-elle, mais dont vous ne saurez pas le nom : vous ne voudriez pas que je dise les vôtres ?

— Et ses mains quelquefois se souillent-elles de meurtres ?

— Très souvent il opère lui-même ; il n’était pas en train aujourd’hui, et voilà d’où vient qu’il vous a chargées de l’opération ; il est timide… dévot même… il va prier Dieu quand il fait des horreurs.

— L’imbécile ! que je le plains. Quand on fait tant que de se jeter dans la carrière où nous sommes, il faut avoir franchi tous les préjugés ; il faut y marcher d’un pas ferme, ou l’on se prépare bien des maux.

Et, nous rajustant, nous fîmes un paquet de tous les poisons que nous avions achetés, payâmes largement une aussi bonne connaissance, et regagnâmes notre voiture, en nous promettant bien, l’une et l’autre, de cultiver une femme si utile, et de faire de nos emplettes chez elle l’usage le plus multiplié.

— J’en donnerai, me dit Clairwil, à toutes les créatures que je rencontrerai, dans la seule vue de commettre une action qui, je le sens, devient la plus chatouilleuse pour mes sens et la plus chérie de mon cœur.

Je brûlais de faire connaître la Durand à Belmor, je les trouvais tous deux si dignes l’un de l’autre, que je me branlais depuis longtemps sur l’idée de voir mon amant dans les bras de cette mégère. Je lui en parlai, il ne la connaissait pas ; nous y fûmes. Je n’avais pas eu le temps d’y retourner depuis la fameuse visite que nous lui avions faite avec Clairwil. Après quelques reproches de l’avoir négligée si longtemps, elle reçut le comte à merveille. Enchanté de tout ce qu’il vit là, après un grand nombre d’emplettes, il ne put tenir aux titillations voluptueuses que lui inspirait cette belle femme. La scène, ainsi que je la voulais, se passa sous mes yeux. Après avoir sodomisé la coquine, Belmor la pria de satisfaire à sa passion de choix : je fus chargée de l’expliquer. Les victimes paraissent à l’instant, et Belmor, aidé par moi, se satisfait délicieusement.

— Cette passion est charmante, nous dit la Durand ; si vous voulez venir après demain chez moi, je vous en ferai voir une à peu près dans le même genre, quoique mille fois plus extraordinaire.

Nous n’y manquâmes pas ; mais la Durand était disparue ; la maison, bien fermée, ne s’ouvrit point ; et quelques perquisitions que je pusse faire, il me fut impossible de savoir ce qu’était devenue cette femme.

Deux ans passèrent ainsi, sans qu’il m’arrivât rien de bien singulier. Mon luxe, mes débauches se multipliaient à tel point, que je ne goûtais plus les plaisirs simples de la nature, et que s’il n’y avait pas quelque chose d’extraordinaire ou de criminel dans les fantaisies qui m’étaient proposées, j’y devenais absolument insensible. Il est vraisemblable que c’est dans cet état d’anéantissement que la vertu fait un dernier effort en nous, soit que notre épuisement nous mette dans cette situation de faiblesse où sa voix reprend son empire, soit que, par une inconstance naturelle, nous voulions, ennuyés de crimes, essayer un peu du contraire. Toujours est-il qu’il est un moment où les préjugés reparaissent, et s’ils triomphent lorsqu’on a pris la route du vice assurément ils nous rendent bien malheureux : il n’est rien de pis que les retours. Les événements que je vais raconter vous convaincront de cette assertion.

Je venais d’atteindre ma vingt-deuxième année, lorsque Saint-Fond me fit part d’un projet exécrable. Toujours entiché de ses vues de dépopulation, il s’agissait de faire mourir de faim les deux tiers de la France par d’affreux accaparements. Je devais avoir la plus grande part à l’exécution de ce dessein. Je l’avoue, toute corrompue que j’étais l’idée me fit frémir. Funeste mouvement, que vous me coûtâtes cher ! Pourquoi ne pus-je vous vaincre ? Saint-Fond, qui le surprit, se retira sans dire un mot. Et comme il était tard, je me couchai. Je fus longtemps avant de m’endormir ; un rêve affreux vint troubler mes sens : je crus voir une figure épouvantable, embrasant d’un flambeau mes meubles et ma maison ; au milieu de cet incendie, une jeune créature me tendait les bras… cherchait à me sauver, et périssait elle-même dans les flammes. Je m’éveille en songe, la prédiction de la sorcière se présente aussitôt à mon esprit : Où le vice cessera, m’a-t-elle dit, le malheur arrivera. Oh ciel ! je suis perdue ! j’ai cessé un instant d’être vicieuse ; j’ai frémi d’une horreur proposée ; le malheur va m’engloutir, cela est sûr… Cette femme que j’ai vue dans mon songe, c’est ma sœur, c’est la triste Justine avec laquelle je me suis brouillée, parce qu’elle a voulu suivre la carrière de la vertu ; elle s’offre à moi, et le vice s’affaiblit dans mon cœur. Fatale prédiction !… et toi qui pourrais me l’expliquer, tu disparais au moment où j’ai besoin de tes conseils… J’étais encore dans mon lit, affaissée de ces terribles réflexions, lorsqu’un inconnu, sans être annoncé, me remet un billet et se sauve. Je reconnais l’écriture de Noirceuil…

« Vous êtes perdue, me mande-t-il ; je n’aurais jamais soupçonné de faiblesse celle que j’avais formée… celle qui s’était toujours aussi bien conduite. En vain chercheriez-vous à réparer votre tiédeur, le ministre ne serait plus votre dupe : votre premier mouvement vous a trahie. Quittez Paris dans le jour même, emportez avec vous l’argent que vous pourrez avoir, mais ne comptez plus sur autre chose. Tous les biens que vous vous êtes acquis par les largesses de Saint-Fond sont perdus pour vous. Vous connaissez d’ailleurs son crédit, sa colère, quand on lui manque : partez donc vite, et silence, surtout ; il y va de vos jours. Je vous laisse les dix mille livres de rente que je vous ai faites, elles seront payées partout sur vos quittances. Fuyez, et que vos amis ignorent tout. »

Un coup de foudre m’eût frappée moins cruellement ; mais je redoutais trop Saint-Fond pour ne pas prendre aussitôt mon parti. Je me lève à la hâte. Ayant déposé toutes mes richesses et toutes mes économies chez le notaire de Saint-Fond, je n’ose les aller dégager. Cinq cents louis… voilà tout ce qui me reste ; j’en fais aussitôt des rouleaux que je cache avec soin sur moi, et je sors seule… à pied, de cette maison où tant de faste m’environnait la veille… de cette maison sur laquelle je jette en pleurant les yeux pour la dernière fois. Je brûle de voir Clairwil ; je ne l’ose, on me l’a sévèrement défendu ; n’est-ce pas elle d’ailleurs qui m’a trahie ?… n’est-ce point elle qui veut usurper ma place ?… Ah ! comme le malheur rend injuste, et quel tort j’avais (vous le verrez bientôt), en soupçonnant ainsi ma meilleure amie. Allons, me dis-je, du courage ! n’attendons plus de secours que de nous-même… Je suis jeune encore… c’est une carrière à recommencer ; les fautes de ma jeunesse m’ont instruite… Ô funeste vertu !… j’ai pu me trouver ta dupe une fois ! Ah ! ne crains pas qu’on me revoie encore au pied de tes exécrables autels ; je n’ai fait qu’une seule faute, et ce sont de malheureux mouvements de probité qui me l’ont fait commettre. Absorbons-la pour jamais dans nous : elle n’est faite que pour perdre l’homme, et le plus grand malheur qui puisse arriver dans un monde tout à fait corrompu, est de vouloir se garantir seule de la contagion générale. Que de fois je l’avais pensé, grand Dieu !

Sans projets, et sans autre dessein que celui de me soustraire promptement à la vengeance de Saint-Fond, je me jetai machinalement dans la première voiture publique ; c’était celle d’Angers ; j’y arrivai bientôt. Étrangère dans cette ville, et n’y connaissant absolument personne, je résolus d’y prendre une maison et d’y donner à jouer. J’eus bientôt chez moi toute la noblesse du pays… Une infinité d’amants se déclarèrent ; mais l’air de pudeur et de retenue que j’affectais, persuada bientôt à mes soupirants que je ne me rendrais qu’à celui qui ferait ma fortune. Un certain comte de Lorsange, le même dont je porte aujourd’hui le nom, me parut plus assidu et beaucoup plus riche que les autres. Il était âgé de quarante ans… d’une fort belle figure, et la manière dont il s’exprimait me convainquit qu’il avait des vues plus relevées et plus légitimes que ses concurrents ; je l’écoutai. Le comte ne fut pas longtemps à me déclarer ses desseins. Célibataire, jouissant de cinquante mille livres de rente, n’ayant point de parents, si je me rendais digne de sa main, il aimait mieux, en m’épousant, me laisser sa fortune, que de la faire passer à des collatéraux inconnus ; et si je voulais être franche avec lui, ne lui cacher aucune circonstance de ma vie, dès le lendemain je devenais sa femme, et il me reconnaissait vingt mille livres de rente. De telles propositions étaient trop belles pour que je ne me rendisse pas aussitôt. Il fallait au comte une confession générale : j’osai tout dire.

— Écoutez-moi, Juliette, reprit M. de Lorsange après m’avoir entendue, les aveux que vous venez de me faire prouvent une franchise que j’aime. Celle qui avoue ses fautes avec une telle candeur est bien plus près de n’en jamais commettre, que celle qui n’a jamais connu que la vertu : la première sait à quoi s’en tenir, la seconde voudra peut-être essayer ce qu’elle ne connaît pas. J’exige de vous, madame, de vouloir bien m’écouter quelques instants. Votre conversion m’est précieuse, et je veux vous faire revenir de vos erreurs. Ce n’est point un sermon que je prétends vous faire, ce sont des vérités que je veux vous dire, des vérités que vous déguisa longtemps le bandeau des passions, et que vous trouverez toujours dans votre cœur quand vous voudrez l’écouter seul.

Ô Juliette ! celui qui put vous dire que les bonnes mœurs étaient inutiles dans le monde, vous a tendu le piège le plus cruel dans lequel il fût possible de vous prendre, et celui qui put ajouter à cela que la vertu était inutile et la religion une fable, eût peut-être mieux fait de vous assassiner tout d’un coup : dans ce dernier cas, il ne vous faisait éprouver qu’un instant de douleur ; dans l’autre, il sème la carrière de vos jours de ronces et d’infortunes. L’abus de mots a pu vous entraîner à toutes ces erreurs : sachez donc analyser avec justesse cette vertu qu’on voulut vous faire mépriser. Ce qu’on appelle ainsi, Juliette, est la fidélité constante à remplir nos obligations envers nos semblables. Or, je vous demande quel est l’être assez insensé pour oser placer le bonheur à ce qui brise tous les liens où nous enchaîne la société ? Croira-t-il, cet être-là, osera-t-il se flatter d’être le seul heureux quand il plongera tout le monde dans l’infortune ? sera-t-il assez fort, assez puissant, assez audacieux pour résister seul à la volonté de tous, et pour que la somme des volontés générales puisse céder aux irrégularités de la sienne ? se flatte-t-il d’avoir seul des passions ? si tous les autres en ont comme lui, comment espère-t-il assouplir aux siennes celles de tous les autres ?

Vous m’avouerez, Juliette, qu’il n’y a qu’un fou qui puisse penser de cette manière. Mais à supposer que l’on lui cédât, est-il à l’abri des lois ? croit-il que leur glaive ne l’atteindra pas comme les autres ? Voulez-vous encore le mettre au-dessus de tout cela : eh bien, sa conscience ?… Ah ! croyez Juliette, qu’on n’échappe jamais à cette voix terrible : vous l’avez vu, vous l’avez éprouvé ; vous vous flattiez d’avoir étouffé cet organe à force de lui imposer silence, mais, plus impérieux que vos passions, il les a fait taire en les poursuivant.

En donnant à l’homme le goût de la société, il était nécessaire que l’être quelconque qui le lui inspirait lui donnât en même temps le goût des devoirs qui pouvaient l’y maintenir avec agrément. Or, dans l’accomplissement seul de ces devoirs se trouve la vertu. La vertu est donc un des premiers besoins de l’homme, elle est le seul moyen de sa félicité sur la terre.

Oh ! combien maintenant les vérités religieuses découlent facilement de ces premières vérités morales, et combien l’existence d’un Être suprême est facile à démontrer au cœur de l’homme vertueux ! Les sublimités de la nature, Juliette, voilà les vertus de l’Être créateur, comme la bienfaisance et l’humanité sont celles de l’être créé, et de l’enchaînement des uns aux autres naît la concorde de l’univers.

Dieu est le foyer de la sagesse suprême dont l’âme de l’homme est un rayon ; dès que vous fermez votre âme à ce feu divin, il n’y aura plus qu’erreur et infortune pour vous sur la terre. Jetez les yeux sur ceux qui ont voulu vous donner des principes différents, analysez de sang-froid leurs motifs : en avaient-ils d’autres que ceux de vous séduire et d’abuser de votre bonne foi ? en nourrissaient-ils d’autres que ceux de flatter leurs méprisables et dangereuses passions ? Et ils se trompaient encore, voilà ce qu’il y a de pis, voilà ce que le malhonnête homme ne calcule jamais : pour assurer une de ses jouissances, il en perd mille, et pour passer un jour heureux, il s’en prépare un million d’horribles. La contagion du vice est telle, que celui qui en est atteint veut empoisonner tout ce qui l’entoure ; la vertu blesse ses regards, il voudrait la cacher aux autres et le malheureux ne sent pas que tous les efforts qu’il fait pour l’anéantir deviennent du triomphes pour elle. La jouissance de celui qui fait le mal est de l’aggraver tous les jours : mais l’instant où il faut qu’il s’arrête ne lui prouve-t-il pas sa faiblesse ? En est-il de même de la vertu ? Plus il en améliore les jouissances, plus elles deviennent délicates, et s’il veut atteindre les bornes, il ne les trouve que dans le sein d’un Dieu où son existence se réunit pour revivre éternellement.

Ô Juliette ! que la vertu et la religion ont de douceurs ! J’ai vécu comme les autres hommes, vous le voyez, puisque c’est dans une maison de plaisir où j’ai l’avantage de vous connaître ; mais au milieu de toutes mes passions, au plus grand feu des travers de ma jeunesse, la vertu m’a toujours paru belle, et ce fut toujours dans les devoirs qu’elle m’imposa que je trouvai mes plus douces jouissances. Soyez de bonne foi, Juliette, comment pouvez-vous supposer qu’il puisse y avoir plus de charmes à faire couler les pleurs de l’infortune qu’à soulager les maux du misérable ! Je veux bien vous accorder un moment qu’il puisse exister des âmes assez dépravées pour admettre une jouissance dans le premier cas : croyez-vous qu’elle vaille celle du second ? Ce qui est excessif, et ce qui n’affecte qu’un instant, peut-il se comparer à une jouissance pure, douce et prolongée ? La haine et les malédictions de nos semblables, en un mot, peuvent-elles valoir leur amour et leur bienveillance ? Êtes-vous immortel, êtes-vous impassible, homme immoral et dépravé ? Ne flottez-vous pas, comme nous, sur cet océan dangereux de la vie, et, comme nous, n’avez-vous donc pas besoin de secours si vous venez à faire naufrage ? Croyez-vous retrouver les hommes, quand vous les aurez insultés ? et vous croyez-vous donc un Dieu, pour pouvoir vous passer des hommes ?

Si vous m’accordez ces premiers principes, avec quelle facilité je vais vous conduire, en aimant les vertus, à l’adoption de l’Être qui les réunit toutes… Ô Juliette ! quel est-il donc, le funeste aveuglement de l’athée ? Ah ! je ne vous demande que l’examen des beautés de l’univers, pour vous convaincre de la nécessité de l’existence de son divin auteur. C’est le prestige des passions qui empêche l’homme de reconnaître son Dieu : celui qui s’est rendu coupable aime à douter de l’existence de son juge ; il trouve plus court de le nier que de le craindre, et il devient moins pénible pour lui de dire : Il n’y a point de Dieu, que d’être obligé de redouter celui qu’il outragea. Mais, éloignant de lui ces préjugés qui l’ont trompé, qu’il jette un coup d’œil impartial sur la nature : il y reconnaîtra, dans tout, l’art infini de son auteur.

Ah ! Juliette, la théologie n’est une science que pour le vicieux ; elle est la voix de la nature pour celui qu’anime la vertu : image du Dieu qu’il adore et qu’il sert, il serait bien fâché, celui-là, si sa consolation n’était qu’une fable. Oui, l’univers porte le caractère d’une cause infiniment puissante et industrieuse, et le hasard, triste et faible ressource des malhonnêtes gens, c’est-à-dire le concours fortuit de causes nécessaires et privées de raison, ne saurait avoir rien formé.

L’Être suprême admis, comment se refuser au culte qui lui est dû ? Ce qu’il y a de plus sublime au monde ne mérite-t-il pas nos hommages ? celui de qui nous tenons toutes nos jouissances n’a-t-il donc pas des droits à nos remerciements ? Une fois-là, combien il me deviendra facile de vous prouver que, de tous les cultes de la terre, le plus raisonnable de tous est celui dans lequel vous êtes née… Ah ! Juliette, si vous aimez la vertu, vous aimerez bientôt la sagesse du divin auteur de votre religion. Jetez les yeux sur la sublime morale qui la caractérise, et voyez s’il fut un seul philosophe de l’antiquité qui en prêchât une plus pure et une plus belle. L’intérêt, l’ambition, l’égoïsme, s’annoncent dans la morale de tous les autres : celle du Christ seule n’a d’autre vue que l’amour des hommes. Platon, Socrate, Confucius, Mahomet, attendent une réputation et des sectateurs : l’humble Jésus ne voit que la mort, et sa mort même est un exemple.

J’écoutais cet homme sensé… Juste ciel ! me dis-je en moi-même, voilà sans doute l’ange dont la Durand m’a parlé, voilà celui qui doit m’annoncer des vertus incompréhensibles… Et je serrais machinalement la main de ce nouvel ami ; des larmes coulaient de ses yeux, il me pressait dans ses bras.

— Non, monsieur, lui dis-je, je ne me sens pas digne du bonheur que vous m’offrez… j’en ai trop fait, le retour serait impossible.

— Ah ! me répondit-il, que vous connaissez mal et la vertu, et le Dieu puissant dont elle émane ! Jamais le sein de ce Dieu juste ne fut fermé au repentir ; implorez-le, Juliette, implorez-le avec ardeur, et sa grâce est à vous. Ce ne sont point de vaines formules ni des pratiques superstitieuses que j’exige de vous ; c’est de la foi, c’est de la vertu. C’est l’assemblage de toutes ces façons de vous conduire, qui peut assurer sur la terre les longues années que vous avez à y vivre, et c’est pour votre bonheur que je vous les désire. Ceux qui n’ont aimé de vous que vos vices, parce que les leurs y trouvaient un attrait de plus, étaient loin de vous parler ce langage : il n’appartenait qu’à l’ami de votre âme d’oser vous le tenir, et vous le pardonnerez, mademoiselle, au désir ardent que j’ai de vous voir heureuse.

S’il faut vous l’avouer, mes amis, le joli petit sermon de M. de Lorsange ne m’avait nullement persuadée : la raison avait fait sur moi des progrès trop grands, pour qu’il me fût possible d’entendre encore la voix du préjugé et celle de la superstition. Quels moyens employait d’ailleurs le pauvre Lorsange ! Il n’y avait rien de si ridicule que d’établir (et surtout à mes yeux) le bonheur de l’homme sur la nécessité de la vertu : d’où venaient donc tous mes malheurs, si ce n’est de ma faiblesse de l’avoir un instant écoutée ? Je vous demande ensuite si l’induction captieuse que Lorsange tirait de son système pouvait éblouir, même un instant, quelqu’un d’aussi ferme que moi. Si la vertu devenait nécessaire, disait-il, la religion l’était également, d’où il résultait qu’entassant des mensonges sur des préjugés, toutes les maximes de mon instituteur s’écroulaient aussitôt qu’on en fouillait les bases. Eh ! non, non, me dis-je, la vertu n’est point nécessaire, elle n’est que nuisible et dangereuse : n’en ai-je pas fait la fatale expérience ? et toutes les fables religieuses qu’on veut étayer sur elle ne peuvent avoir, comme elle, que l’absurdité pour principe. L’égoïsme est la seule loi de la nature ; or, la vertu contrarie l’égoïsme, puisqu’elle consiste en un sacrifice perpétuel de ses penchants au bonheur des autres : si la vertu prouve Dieu, comme l’établit Lorsange, qu’est-ce donc que le Dieu qu’on échafaude sur la plus grande ennemie de la nature ? Ô Lorsange ! tout votre édifice s’écroule de lui-même, et vous n’avez bâti que sur le sable. La vertu n’est point utile à l’homme, et le Dieu que vous établissez sur elle est la plus absurde de toutes les chimères. L’homme, créé par la nature, ne doit écouter que les impressions qu’il en reçoit, et quand il dépouillera cet organe de tous les préjugés de son existence, il n’y trouvera jamais, ni la nécessité d’un Dieu, ni celle de la vertu. Mais il faut feindre, je le dois au malheureux état où le sort me réduit ; la main de Lorsange m’est indispensable pour rentrer dans la carrière de la fortune ; emparons-nous-en, à quelque prix que ce puisse être ; que la feinte et la fausseté soient toujours mes premières armes : la faiblesse de mon sexe les lui rend urgentes, et mes principes particuliers doivent en faire la base de mon caractère.

Je m’étais fait depuis longtemps une assez grande habitude du mensonge, pour pouvoir en imposer avec facilité dans telles circonstances que ce pût être. J’eus l’air de me rendre aux conseils de Lorsange ; je cessai de recevoir du monde chez moi ; chaque fois qu’il y venait, il me trouvait toujours seule, et ses prétendus progrès sur mon âme furent tels qu’on me vit bientôt à la messe, Lorsange donna dans le piège ; vingt mille livres de rente me furent reconnues, et je l’épousai six mois après mon arrivée dans la ville d’Angers. Comme j’avais assez bien pris dans ce pays, et que mes anciennes erreurs n’y étaient sues de personne, le choix de M. de Lorsange fut généralement applaudi, et je me vis bientôt à la tête de la meilleure maison de la ville. Mon hypocrisie me redonnait une aisance que m’avait enlevée la crainte du crime… Et voilà donc encore une fois le vice au pinacle : ô mes amis ! l’on a beau dire, il y sera toujours, tant qu’il y aura des hommes.

Je ne vous parlerai point de mes plaisirs conjugaux avec M. de Lorsange : le cher homme n’en connaissait que de simples, comme son esprit. Ignorant en lubricité comme en philosophie, pendant les deux années que j’eus le malheur d’être sa femme, le pauvre diable n’imagina seulement pas une recherche. Excédée de cette monotonie, je désirai bientôt quelques distractions dans cette ville : le sexe m’était assez égal, et pourvu que je trouvasse de l’imagination, l’objet m’était indifférent. Mes recherches furent longues ; l’éducation sévère des provinces, la rigidité des mœurs, la médiocrité de la population, celle des fortunes, tout entravait mes démarches, tout mettait des obstacles à mes, plaisirs.

Une jeune personne de seize ans, fort jolie, fille d’une vieille amie de mon époux, fut la première que j’attaquai. Caroline, séduite par l’immoralité de mes systèmes, céda bientôt à mes désirs. Mais Caroline, qui n’était que belle, pouvait-elle fixer quelqu’un qui, comme moi, ne bandait que d’imagination ? La pauvre enfant n’en avait pas du tout. Je la laissai bientôt là pour une autre, et celle-ci pour une troisième. Je trouvais d’assez jolies personnes, mais des têtes d’un froid !… pas le plus léger écart. Oh ! Clairwil, que je te regrettais ! combien tu manquais à mon bonheur ! On a beau dire, celui qui aime le vice, qui le chérit depuis son enfance, ou par goût ou par habitude, celui-là, dis-je, trouvera toujours bien plus sûrement sa félicité dans la continuelle pratique de ses habitudes dépravées, que n’en pourra rencontrer celui qui n’a jamais frayé que l’ennuyeuse route de la vertu.

J’essayai des hommes : je ne fus guère plus heureuse.

J’en étais au dixième, lorsqu’un jour, me trouvant à la messe à côté de mon vertueux époux, je crus reconnaître dans le célébrant ce certain abbé Chabert avec lequel j’avais eu quelques liaisons dans la Société des Amis du Crime… garçon charmant que vous voyez encore aujourd’hui chez moi. Jamais la messe ne m’avait paru si longue : elle finit enfin. M. de Lorsange se retire ; j’affecte de rester pour quelques prières. Je fais demander le prêtre qui vient d’officier… Il vient : c’était Chabert !

Nous passâmes promptement dans une chapelle isolée, et là, l’aimable abbé, après s’être mille fois félicité du bonheur qu’il avait de me revoir, me dit que de gros bénéfices qu’il possédait dans ce diocèse, l’obligeait à dissimuler, mais que je ne devais pas être dupe des singeries où sa politique le contraignait ; que sa façon de penser, ses habitudes étaient toujours les mêmes, et qu’il m’en donnerait des preuves quand je voudrais. De mon côté, je lui racontai mon histoire. N’étant, lui, que depuis huit jours dans cette ville, il ignorait que j’y fusse, et il me pressait vivement de renouveler amplement notre connaissance.

— Abbé, lui dis-je, n’allons pas plus loin pour cela : fous-moi dans ce lieu même ; cette église est fermée, cet autel nous servira de lit. Hâte-toi de me raccommoder avec des plaisirs dont je pleure tous les jours la perte. Crois-tu que, depuis que je suis dans cette maudite ville, pas un des êtres auxquels je me suis livrée ne s’est avisé de regarder mon cul, moi qui ne chéris que ces attaques, et qui ne vois tous les autres plaisirs que comme les accessoires ou les épisodes de celui-là !

— Eh bien, livrons-nous-y ! dit Chabert en appuyant mon ventre sur l’autel, et retroussant mes jupes par derrière…

Puis, admirant mes fesses :

— Ah ! Juliette, s’écria-t-il, ton cul est toujours le même… c’est toujours celui de Vénus !…

L’abbé s’incline, il le baise. J’aime à sentir, dans mon derrière, cette langue où vient de reposer un Dieu !… Son vit la remplace bientôt… et me voilà sodomisée jusqu’aux couilles… Oh ! mes amis, comme les rechutes sont délicieuses ! je ne puis vous peindre le plaisir que j’eus : il est aussi cruel d’interrompre les habitudes du mal qu’il est délicieux de les reprendre. Depuis l’abstinence forcée de ce genre de plaisir, j’en avais éprouvé les plus violents besoins ; ils se manifestaient par des picotements dans cette partie, assez violents pour me contraindre à les apaiser avec des godemichés. Chabert me rendit à la vie : s’apercevant de l’extrême plaisir qu’il me faisait, il prolongea sa jouissance, et le fripon, jeune et vigoureux encore, me déchargea trois fois de suite dans le cul.

— Conviens qu’il n’y a que cela de bon, Juliette ! me dit-il en se relevant.

— Oh ! l’abbé, à qui le dis-tu ! quelle plus fidèle zélatrice de la sodomie pourras-tu rencontrer de tes jours ! Il faut nous voir mon cher, il le faut absolument.

— Oui, Juliette, il le faut, et je veux que vous ayez doublement à vous louer de ma rencontre.

— Comment cela ?

— J’ai des amis.

— Et vous me destinez à être leur putain ?

— Ce parti convient mieux à un physique comme le vôtre, que celui que vous avez pris.

— Oh ! combien m’est précieuse la justice que tu me rends ! Quel triste rôle à jouer dans le monde, que celui d’une honnête femme : ce titre seul suppose la bêtise. Toute femme pudique est une imbécile qui, manquant de force pour secouer ses préjugés, y reste ensevelie par stupidité ou par défaut de tempérament, et n’est dès lors qu’un être manqué par la nature, ou qu’une erreur de ses caprices. Les femmes, machines de l’impudicité, sont nées pour l’impudicité, et celles qui s’y refusent ne sont faites que pour languir dans le mépris.

Chabert connaissait mon mari ; il me le peignit comme un bigot, et m’engagea vivement à semer quelques roses sur les épines de l’hymen. Il savait que M. de Lorsange devait aller le lendemain dans une de ses terres : il me conseilla de profiter de ce moment pour aller voir, dans une campagne où il me mènerait, un échantillon de nos débauches parisiennes.

— Ce que vous me faites ici est affreux, dis-je en persiflant, vous dérangez tous mes projets de vertu ! Devez-vous flatter mes passions ? devez-vous m’aplanir la route du crime ? devez-vous enlever une femme à son mari ? Vous en répondrez sur votre conscience ! Cessez vos entreprises, il en est temps ; ce ne sont que des projets. Je n’ai qu’à consulter un directeur moins perverti que vous : il m’apprendra à résister à des désirs aussi criminels ; il me prouvera qu’ils ne sont les fruits que d’une âme corrompue ; qu’on se prépare, en s’y livrant, des remords éternels, et des remords d’autant plus affreux, qu’il est des sortes de maux qu’on ne peut jamais réparer… Il ne me dira pas, comme vous, que je peux tout faire… que je n’ai rien à craindre ; il n’encouragera pas mes égarements par l’espoir de l’impunité ; il ne m’aplanira pas la route de l’adultère et de la sodomie ; il ne m’encouragera pas à tromper mon époux… un époux sage… vertueux, qui se sacrifie pour sa femme… Oh ! non, non, il m’effrayera, au contraire, par les grandes terreurs de la religion : il me rappellera, comme le vertueux Lorsange, un Dieu, mort pour me préparer la grâce éternelle55 ; il me fera sentir combien je suis coupable en négligeant de semblables faveurs… Mais, je l’avoue, mon cher abbé, celle qui est aussi libertine… aussi scélérate que tu me connus autrefois enverrait au diable celui qui lui parlerait ainsi. Elle lui dirait : Mon ami, j’abhorre la religion ; je bafoue ton Dieu et me moque de tes conseils ; maladroit enfroqué, la vertu me déplaît, le vice m’amuse, et c’est pour me délecter que la nature m’a placée dans le monde.

— Mauvaise tête, me dit Chabert en nous séparant, tu es toujours la même… toujours aussi aimable ! Et dans la solitude où nous vivons ici, je me félicite bien de t’avoir rencontrée.

Je fus exacte au rendez-vous. Il y avait quatre hommes et quatre femmes, sans compter Chabert et moi. Trois des femmes se trouvaient du nombre de celles avec qui je m’étais branlée ; les quatre hommes m’étaient charnellement inconnus. L’abbé nous fit la plus grande chère, et nous nous gorgeâmes de libertinage. Les femmes étaient jolies, les hommes vigoureux ; mon cul fut foutu par tous les hommes, mon con branlé… sucé par toutes les femmes. Je déchargeai prodigieusement. Je ne vous décrirai point cette partie, huit ou dix qui la suivirent pendant mon séjour à Angers. Vous êtes las de descriptions lubriques, et je ne vous détaillerai plus que celles que je croirai dignes de l’être par le caractère de crimes ou de singularités qu’elles porteront.

Revenons maintenant sur quelques détails essentiels. Onze mois après mon mariage avec M. de Lorsange, je lui lançai, pour fruit de son premier hymen, une petite fille charmante, à laquelle, par politique, je m’efforçai de donner le jour. Ce procédé était essentiel ; il fallait fixer sur ma tête la fortune de celui qui m’avait donné son nom : je ne le pouvais sans un enfant… Mais était-il bien de mon vertueux époux ?… Voilà ce que vous voulez savoir, n’est-ce pas, curieux importuns ?… Eh bien ! trouvez bon que je vous fasse ici la réponse de la Polignac à son mari, sur une question aussi indiscrète : « Oh ! monsieur, quand on se frotte sur un fagot de roses, comment savoir quelle est celle qui nous a piqué ? »

Mais que tout cela faisait-il ? Lorsange prit tout et ne refusa rien ! L’honneur et les charges de la paternité lui restèrent : en fallait-il davantage pour mon avarice ? Cette petite fille, que mon époux nomma Marianne, finissait sa première année, et sa mère sa vingt-quatrième, lorsque les plus solides réflexions m’engagèrent à quitter la France.

J’avais reçu quelques lettres anonymes qui m’avertissaient que Saint-Fond, toujours dans le plus grand crédit et redoutant mes indiscrétions, se repentait de ne m’avoir pas fait enfermer, et qu’il s’informait de moi de toutes parts. Craignant que mon changement de nom et de fortune ne me mît pas encore assez à couvert, je résolus de placer les Alpes entre sa haine et moi. Mais il fallait briser mes liens : pourrais-je exécuter ce projet, tant que je serais sous la puissance d’un époux ? Peu gênée par ce frein, je ne m’occupai plus que des moyens de l’anéantir avec autant de mystère que de sûreté. Tout ce que j’avais fait en ce genre aplanissait à mes regards un crime d’aussi peu d’importance ; je me branlai en le combinant, et l’extrême volupté dont ce complot me fit jouir me détermina bientôt à l’exécution. Il me restait six prises de chacun des poisons achetés chez la Durand : j’administrai à mon cher époux le royal, et par respect pour sa personne et parce que le temps qui devait s’écouler, depuis la prise de ce poison jusqu’à la mort de ce tendre époux, me mettait absolument à l’abri.

Rien de sublime comme la mort de M. de Lorsange. Il fit et dit les plus belles choses du monde : sa chambre devint une chapelle où tous les sacrements se célébrèrent. Il m’exhorta, me sermonna, m’ennuya, me recommanda sa prétendue petite fille, et rendit l’âme entre les bras de trois ou quatre confesseurs. En vérité, si cela avait duré seulement deux jours de plus, je crois que je l’aurais laissé mourir tout seul.

Les soins dus, à ce qu’on assure, aux moribonds, sont encore une de ces obligations sociales que je n’entends pas. Il faut tirer tout le parti possible d’une créature vivante ; mais dès que la nature, en l’affligeant par des maladies, nous avertit qu’elle travaille à réunir cette créature à elle, dans la crainte de contrarier ses lois, nous ne devons plus nous en mêler : il faut la laisser aller, aider même à ses intentions. Les malades, en un mot, doivent être abandonnés ; il faut placer près d’eux quelques objets de soulagement… se retirer ensuite. Il est contre la nature que des gens sains aillent, par un procédé qui contrarie les lois de cette même nature, respirer par anticipation l’air infecté de la chambre du malade, et s’exposer à le devenir eux-mêmes, pour faire quelque chose de criminel : rien ne l’était, selon moi, davantage que de vouloir contraindre la nature à rétrograder. En mettant toujours mes principes en actions, je proteste bien qu’on ne me verra jamais donner nuls soins à des malades, ni les soulager en quoi que ce puisse être. Qu’on ne me dise point que c’est la dureté de mon caractère qui me force à penser ainsi : cette opinion ne vient que de mon esprit, et il me trompe rarement en systèmes.

Mon très chaste époux dans la terre, je pris son deuil avec grand plaisir. Jamais veuve ne fut, dit-on, plus charmante dans ce costume, sous lequel je me fis foutre, dès le jour même, dans la société de Chabert. Mais ce que je trouvai de plus délicieux encore que ces atours lugubres, ce furent les quatre belles terres évaluées à cinquante mille livres de rente, dont je devins maîtresse, ainsi que les cent mille francs d’argent comptant que je trouvai dans les coffres de mon mari. Voici bien amplement de quoi faire mon voyage d’Italie, dis-je, en faisant passer ces rouleaux de la cassette du défunt dans la mienne…

Et voilà donc la main du sort… toujours ami du crime, et le couronnant encore une fois dans l’une de ses plus fidèles zélatrices.

Par un hasard très heureux pour moi, l’abbé Chabert, longtemps en Italie, put garnir mon portefeuille des meilleures lettres de recommandation. Je lui laissai ma fille, dont il me promit d’avoir tous les soins possibles, soins nécessités bien plus par mon intérêt que par une tendresse maternelle trop éloignée de mes systèmes pour jamais être éprouvée de mon cœur. Je ne pris avec moi, pour objets de luxure, qu’un grand laquais de figure charmante, nommé Zéphyr, et dont j’étais bien souvent la Flore, et une femme de chambre, nommée Augustine, âgée de dix-huit ans, et belle comme le jour. Accompagnée de ces deux honnêtes sujets, d’une autre femme sans conséquence, et le coffre-fort bien garni, je pris la poste, sans m’arrêter, jusqu’à Turin, et je ne fis que là mon premier séjour.

Oh ! Dieu ! me dis-je, en respirant un air et plus pur et plus libre, me voilà donc dans cette partie de l’Europe si intéressante et si recherchée par les curieux. Me voilà dans la patrie des Nérons et des Messalines : je pourrai peut-être, en foulant le même sol que ces modèles de crimes et de débauches, imiter à la fois les forfaits du fils incestueux d’Agrippine et les lubricités de la femme adultère de Claude ! Cette idée ne me laissa pas dormir de la nuit et je la passai dans les bras d’une jeune et jolie fille de l’Hôtel d’Angleterre, où j’étais descendue… délicieuse créature que j’avais trouvé le moyen de séduire dès en arrivant, et dans le sein de laquelle je goûtai des plaisirs divins.

Il n’y a point, dans toute l’Italie, de ville plus régulière et plus ennuyeuse que Turin : le courtisan y est fastidieux, le citadin fort triste, le peuple dévot et superstitieux. Très peu de ressources, d’ailleurs, pour les plaisirs. J’avais, en partant, formé le projet d’une véritable libertine, et c’est à Turin que j’en commençai l’exécution. Mon dessein était de voyager en courtisane célèbre, de m’afficher partout, de joindre à ma fortune le tribut retiré de mes charmes, et de profiter, pour le compte de mon libertinage, de tout ce qui ne me serait présenté que par les mains de la jeunesse et de la vigueur. Dès le lendemain de mon arrivée, je fis dire en conséquence à la signora Diana, la plus célèbre appareilleuse de Turin, qu’une jeune et jolie Française était à louer, et que je l’engageais à me venir voir, pour prendre mes arrangements. La maquerelle ne manqua point. Je lui fis part de mes projets, et lui déclarai que, de quinze à vingt-cinq, je me donnais pour rien quand on me garantissait la santé ; que je prenais cinquante louis, de vingt-cinq à trente-cinq ; cent, de trente-cinq à soixante ; et deux cents, de soixante au dernier âge de l’homme ; qu’à l’égard des fantaisies je les satisfaisais toutes, que je me prêtais même aux fustigations.

— Et le cul, ma belle reine, me dit la signora Diana, et le cul ?… C’est qu’il est bien recherché en Italie ! Vous gagnerez plus d’argent avec votre cul en un mois, si vous le prêtez, qu’en quatre ans si vous ne présentez que le con.

J’assurai Diana que, parfaitement complaisante sur cet objet, au moyen du double, je serais parfaitement aux ordres de mes sectateurs.

Je ne fus pas longtemps sans être produite. Diana me fit dire, dès le lendemain, de me trouver chez le duc de Chablais qui m’attendait à souper. Après une de ces toilettes voluptueuses où je savais si bien embellir la nature par la main savante de l’art, j’arrivai chez Chablais, pour lors âgé de quarante ans, et connu dans toute l’Italie par des recherches libidineuses dans les plaisirs de Vénus. Le maître du logis était avec un de ses courtisans, et tous deux me prévinrent que je devais m’attendre à leur faire la chouette.

— Dépouillez-vous de ces parures, me dit le duc en me conduisant dans un très élégant cabinet ; l’art cache si souvent des défauts, que désormais, avec les femmes, nous sommes déterminés, mon ami et moi, à ne vouloir que des nudités.

J’obéis.

— On ne devrait jamais être vêtue quand on possède un aussi beau corps, me dirent mes assaillants.

— C’est l’histoire de toutes les Françaises, dit le duc, leur taille et leur peau sont délicieuses : nous n’avons rien de semblable ici.

Et les libertins m’examinaient, me tournaient et me retournaient en se fixant néanmoins de manière à me laisser bientôt soupçonner que ce n’était pas sans raisons qu’on accusait les Italiens de prédilection pour les charmes méconnus de M. de Lorsange.

— Juliette, me dit le duc, il est bon de vous prévenir qu’avant d’avoir affaire à nous, vous allez nous montrer vos talents sur quelques jeunes garçons que nous allons faire passer tour à tour dans ce cabinet. Mettez-vous sur ce canapé : les hommes que je vous destine vont défiler ici l’un après l’autre ; ils entreront par cette porte et sortiront par celle qui est opposée. À mesure qu’ils arriveront, vous les branlerez avec tout l’art que vous devez avoir apporté de France, car il n’est point de pays au monde où l’on sache mieux branler des vits. Au moment où ils seront près de décharger, vous les approcherez tour à tour de la bouche de mon ami ou de la mienne, ils y perdront leur foutre. Ensuite, et également tour à tour, mon ami et moi les enculerons. Vous ne nous servirez, vous, individuellement, que quand nous serons las de ces premières voluptés, et vous saurez seulement alors les derniers devoirs qui vous resteront à remplir pour terminer cette scène de luxure.

À peine instruite, que la procession commença. Tous les jeunes gens que j’avais à branler étaient de l’âge de quatorze à quinze ans ; des trente que j’expédiai de cette manière, pas un seul ne passait cet âge, et ils étaient de la plus délicieuse figure. Tous déchargèrent, et quelques-uns pour la première fois de leur vie. Les deux amis avalèrent le foutre de tous, en se branlant eux-mêmes, et les enculèrent tous trente ! Ils se tenaient mutuellement le patient, pelotaient cinq ou six minutes dans leurs culs, et ne déchargeaient point. En sortant de cette expédition, la luxure les avait tellement enflammés l’un et l’autre, qu’ils écumaient de rage.

— À votre tour, s’écria le duc, c’est vous, belle Française, qui allez recevoir l’encens allumé par tant de jolis garçons ! votre cul, sans doute, ne sera pas si étroit que le leur, mais nous y suppléerons.

Et ils humectèrent le trou de mon cul d’une essence dont l’effet fut tel, qu’ils me déchirèrent et me mirent en sang quand il fut question de m’enculer ; tous deux y passèrent l’un après l’autre, et tous deux déchargèrent avec d’incroyables marques de plaisir. Six petits garçons les entouraient en cet instant ; deux faisaient baiser leur derrière, ils en branlaient un de chaque main, et deux se relayaient pour leur gamahucher le cul en leur chatouillant les couilles en dessous. Ils disparurent ; je restai seule dans le cabinet. Une vieille femme vint m’y reprendre, et me ramena dans mon hôtel, après m’avoir compté mille sequins. Courage, me dis-je, mes promenades en Italie ne me coûteront pas cher, et j’économiserai le bien de Mlle de Lorsange, si je trouve une pareille aubaine dans toutes les villes où je passerai ! Ah ! les fleurs ne naissent pas toujours sous les pas des courtisanes publiques ; et dès que de plein gré j’en reprenais le titre, il était juste qu’avec les bénéfices j’acceptasse également les charges : mais nous n’en sommes point encore aux dangers.

Tout dévot qu’est le roi de Sardaigne, il aime le libertinage. Chablais lui avait raconté notre entrevue : il voulut de moi. Diana me prévint qu’il ne s’agissait que de recevoir de cette main royale quelques clystères, qu’il devait s’amuser à me voir rendre pendant que je lui branlais le vit, et que j’aurais deux mille sequins pour cette opération. Curieuse de voir si les souverains déchargeaient comme les autres hommes, je ne balançai point. Le roi des ramoneurs s’abaissa au rôle humiliant d’être mon apothicaire ; je lui rendis six lavements dans la bouche ; et comme je branlais fort bien, il déchargea très voluptueusement. Il m’offrit la moitié de son chocolat, j’acceptai ; nous politiquâmes. Les droits que ma nation et mon sexe me donnaient, ceux que je venais d’acquérir, ma franchise naturelle, tout me mit à mon aise, et voici à peu près ce que j’osai dire à ce petit despote.

— Respectable portier de l’Italie, toi qui descends d’une maison dont l’agrandissement est un vrai miracle de politique, toi dont les ancêtres, naguère simples particuliers, ne se sont rendus puissants qu’en permettant aux princes extramontains de traverser tes États pour aller s’agrandir en Italie… permission que tes habiles ancêtres ne leur donnaient qu’aux conditions de partager, roitelet de l’Europe, en un mot, daigne m’écouter un moment.

Placé au-delà de tes montagnes comme l’oiseau de proie qui attend la colombe pour la dévorer, tu commences à comprendre que dans l’état où tu te trouves, tu n’as, pour t’agrandir, que la sottise des cours ou leurs fausses démarches. Voilà, je le sais, ce qu’on te disait il y a trente ans ; mais combien le système a changé depuis lors ! La sottise des cours est maintenant autant à ton désavantage qu’au leur, et nulle de leurs fausses démarches ne peut t’apporter du profit. Laisse donc là ton sceptre, mon ami, abandonne la Savoie à la France, et restreins-toi dans les limites naturelles que t’a prescrites la nature. Voici ces montagnes superbes qui te dominent du côté de ma patrie : la main qui les éleva ne te prouve-t-elle pas, en les amoncelant ainsi, que tes droits ne peuvent dépasser ces monts ? Qu’as-tu besoin de régner en France, toi qui ne sais pas même régner en Italie ?

Eh, mon ami ! ne propage point la race des rois ; nous n’avons déjà, sur la terre, que trop de ces individus inutiles qui, s’engraissant de la substance des peuples, les vexent et les tyrannisent sous le prétexte de les gouverner. Il n’y a rien de plus inutile dans le monde qu’un roi ; renonce à ce vain titre, avant que la mode n’en passe, et qu’on ne te contraigne peut-être à descendre d’un trône dont l’élévation commence à fatiguer les yeux du peuple. Des hommes philosophes et libres voient avec peine au-dessus d’eux un homme qui, bien analysé, n’a ni besoins, ni force, ni mérite de plus. L’oint du Seigneur n’est plus pour nous un personnage sacré, et la sagesse rit aujourd’hui d’un petit individu comme toi, qui, parce qu’il a gardé dans ses archives quelques parchemins de ses pères, s’imagine être en droit de gouverner les hommes. Ton autorité, mon ami, ne consiste plus que dans l’opinion : qu’elle change… elle en est bien près, et te voilà dans la classe des portefaix de ton empire.

Ne t’imagine pas qu’il faille grand-chose pour la faire varier : à mesure que les hommes s’éclairent, ils apprécient ce qui les éblouissait autrefois. Or, tes pareils et toi ne gagnent pas à l’opération : on commence à sentir qu’un roi n’est qu’un homme comme un autre (ce ne devrait être, tout au plus, que par sa prudence qu’il pourrait gouverner les autres), et qu’amolli par le luxe et le despotisme, il n’existe pas un seul souverain au monde qui ait les qualités nécessaires à un tel grade. La première vertu de celui qui veut commander aux hommes est de les connaître : et comment les démêlera celui qui, perpétuellement aveuglé par leurs flatteries… et toujours trop éloigné d’eux, n’a jamais pu les apprécier ni les juger ? Ce n’est pas au sein du bonheur qu’on apprend à mener ses semblables : celui qui, n’ayant jamais été qu’heureux, ignore ce qui convient à l’infortune, pourra-t-il commander à des êtres toujours grevés par le malheur ? Sire, redeviens cultivateur, je te le conseille, c’est là le seul parti qu’il te reste à prendre.

L’empereur des marmottes, un peu surpris de ma franchise, ne me répondit que par des cajoleries aussi fausses que doit l’être tout ce qui émane d’un Italien, et nous nous séparâmes.

On me mena, le soir, dans un cercle assez brillant où je vis, autour d’un tapis vert, la société réunie en deux classes : celle des fripons d’un côté, celles des dupes de l’autre. J’appris là que l’usage, à Turin, était de voler au jeu, et qu’un homme ne pouvait pas faire sa cour à une femme sans se laisser escroquer par elle.

— Voilà une assez plaisante coutume, dis-je à une des joueuses qui me mettait au fait.

— Elle est toute simple, me répondit mon institutrice. Le jeu est un commerce : donc, toutes les ruses y doivent être permises. Cherche-t-on chicane à un négociant, parce qu’il met à sa fenêtre des planches qui vous induisent en erreur, en déguisant le jour ? tous les moyens de s’enrichir sont prouvés bons, madame : autant celui-là qu’un autre.

Ici, je me rappelai les maximes de Dorval sur le vol, et je conçus qu’elles n’avaient rien qui ne pût s’appliquer à ce genre. Je demandai à la femme qui m’instruisit, comment l’on pouvait se perfectionner dans cette manière de dérober le bien d’autrui, en l’assurant que je connaissais parfaitement les autres.

— Il y a des maîtres, me répondit-elle, et si vous voulez, dès demain, je vous en enverrai un.

J’acceptai. L’instituteur parut, et, en huit jours, il me forma si bien dans l’art d’être maîtresse des cartes, que je ramassai deux mille louis pendant les trois mois que je fus à Turin. Lorsqu’il fallut payer mon maître, il n’exigea que mes faveurs, et comme c’était à l’italienne qu’il les exigeait, et que cela me convenait infiniment, après m’être bien assurée de sa santé, précaution indispensable dans ce pays-là, je le laissai jouir d’une manière convenable à un homme dont la trahison était le métier.

Sbrigani, c’était le nom de ce maître, joignait à une figure séduisante, à un très beau vit, l’âge de la force et de la santé ; trente ans au plus, beaucoup de libertinage dans l’esprit… de la philosophie, et le plus grand art de s’approprier le bien des autres, de quelque manière que cela pût être. Je crus qu’un tel homme pourrait m’être utile dans mes voyages ; je lui proposai, il accepta.

Sous quelque titre qu’un homme accompagne une courtisane en Italie, il n’y a jamais rien là de repoussant pour ceux qui la recherchent. Il est d’usage que le frère, le mari, le père, se retirent, quand paraît le chaland. Les feux de ceux-ci sont-ils amortis, le parent se remontre, se met en cercle avec vous, et repasse dans la garde-robe, s’il prend au monsieur quelques nouvelles tentations : on sait qu’il soutient le ménage, dont à son tour il est soutenu, et le complaisant Italien se prête au mieux à ces arrangements. Comme je savais assez le langage de ce beau pays pour m’en faire supposer originaire, j’assignai sur-le-champ à Sbrigani le rôle de mon époux, et nous partîmes pour Florence.

Nous marchions à petites journées ; rien ne nous pressait, et j’étais bien aise de contempler à l’aise un pays qui donnerait l’idée du ciel, si l’on pouvait le traverser sans voir les hommes. Le premier jour nous fûmes coucher à Asti. Cette ville, prodigieusement déchue de son ancienne grandeur, n’est presque plus rien aujourd’hui. Le lendemain, nous ne dépassâmes point Alexandrie : Sbrigani m’ayant assuré qu’il y avait beaucoup de noblesse dans cette ville, nous prîmes le parti d’y passer quelques jours, afin d’y trouver des dupes.

Aussitôt que nous arrivions quelque part, mon soigneux époux faisait faire une sorte de proclamation secrète, mais suffisante, néanmoins, d’après les soins qu’il prenait, pour que tous ceux qui se trouvaient en état de payer mes charmes, pussent en savoir à peu près le détail et le prix.

Le premier qui se présenta fut un vieux prince piémontais, retiré de la cour depuis dix ans ; il ne voulait, disait-il, que voir mon derrière. Sbrigani lui fit d’abord payer cinquante sequins le premier plaisir ; mais le duc échauffé de la perspective, exigea bientôt davantage. Toujours soumise à mon mari, j’annonce que je ne puis rien faire sans sa participation. Le duc, hors d’état d’entreprendre une attaque sérieuse, témoigne l’envie de fouetter : cette manie console les amants du cul, on aime à outrager le dieu dont on ne peut entrouvrir le temple. Au prix d’un sequin par coup, Sbrigani l’assure qu’il peut essayer, et, au bout d’un quart d’heure, j’ai trois cents sequins dans ma bourse. Mon époux voyant, à la manière coulante dont agit le grand seigneur, qu’il deviendra possible de l’attirer dans quelque piège, s’instruit de tout ce qui peut le concerner, et le prie de faire à sa femme l’honneur de souper chez elle. Tout bouffi de cette faveur, le vieux courtisan accepte.

— Respectable favori du plus grand prince d’Italie, dit mon époux, en lui présentant Augustine, à qui nous avions donné le mot, il est temps que le sang parle, il est temps que la nature agisse dans votre âme. Rappelez-vous l’intrigue que vous eûtes autrefois dans Venise avec la signora Delphine, épouse d’un noble de la seconde classe : eh bien ! Excellence, voilà le fruit de cette intrigue, Augustine est votre fille ; embrassez-la, seigneur, elle est digne de vous. C’est moi qui formai son enfance, et vous voyez si j’ai réussi ; j’ose me flatter d’en avoir fait une des plus belles et des plus savantes créatures qu’il y ait en Europe. Je vous désirais, Excellence, je vous cherchais depuis longtemps ; ayant entendu dire que vous habitiez Alexandrie, j’ai voulu me convaincre par mes yeux : je vois que je ne me trompe pas, monseigneur ; j’espère que vous récompenserez mes soins, et que vous aurez quelques bontés pour un pauvre Italien, qui n’a d’autres richesses que la beauté de sa femme.

La taille leste et fringante d’Augustine, qui parlait aussi bien italien que moi, ses jolis yeux noirs et l’extrême blancheur de sa peau ne tardèrent pas à enflammer le duc piémontais. Et les attraits de l’inceste augmentant de beaucoup, à ses yeux, la dose de luxure qu’il attendait de cette jolie fille, après quelques explications, quelques éclaircissements parfaitement donnés par Sbrigani, le pauvre duc assura que le sang s’exprimait en lui, qu’il reconnaissait Augustine, et qu’il allait l’emmener sur l’heure pour lui assigner le rang qu’elle devait tenir dans sa famille.

— Doucement, monseigneur, dit mon illustre époux, votre Excellence va vite en besogne ! cette fille est à moi, tant que vous ne me remettrez pas les frais immenses qu’elle me coûte : dix mille sequins les payeront à peine. Cependant l’honneur singulier que vous avez bien voulu faire à ma femme est cause que je me contenterai de cette légère somme : si vous voulez qu’Augustine vous suive, ayez la complaisance de la compter, monseigneur, autrement je ne saurais la laisser aller.

Le duc, aussi riche que paillard, crut ne pouvoir trop payer un aussi joli morceau ; dès le même soir l’argent est donné, et ma femme de chambre suit son prétendu père. Parfaitement instruite par nous, la chère fille, pour le moins aussi adroite que moi dès qu’il s’agissait d’écorner la propriété d’autrui, ne tarda pas à faire un excellent coup. Nous étions allés l’attendre à Parme : quinze jours après elle revint, et nous raconta que le duc, éperdument amoureux d’elle, avait exigé ses couches dès le même soir. Plus elle lui avait représenté les liens qui s’opposaient à une telle intrigue, plus le paillard s’était échauffé, plus il avait désiré la jouissance, en assurant qu’on n’y regardait pas de si près en Italie. Mieux à son aise dans sa maison, plus à même d’employer des tiers ou des restaurants dont il n’avait apparemment osé faire usage chez moi, le libertin en était venu à son honneur, et le charmant cul d’Augustine, après avoir été vigoureusement fouetté, avait fini par être foutu. L’extrême complaisance de cette belle enfant avait tellement enflammé le pauvre duc, qu’il l’avait comblée de présents, et qu’il lui avait absolument donné toute sa confiance. Maîtresse de toutes les clefs, la coquine avait décampé avec la cassette, dans laquelle nous trouvâmes plus de cinq cent mille francs.

Après une telle capture, vous comprenez facilement, mes amis, que nous ne restâmes pas longtemps dans le voisinage, quoique le danger fut bien médiocre. Il ne s’agit, en Italie, que de changer de province pour être à l’abri de la justice : celle d’un État ne peut plus vous poursuivre dans l’autre ; et comme l’on change d’administration tous les jours, et souvent deux fois par jour, le crime commis à la dînée ne peut être poursuivi le soir. Rien n’était aussi commode pour des voyageurs comme nous, qui avions envie d’en commettre beaucoup en chemin.

Cependant nous quittâmes les États de Parme, et ne séjournâmes qu’à Bologne. La beauté des femmes de cette ville ne me permit pas de passer outre, sans m’en être rassasiée : Sbrigani, qui me servait à merveille, et que je couvrais d’or, me procura les moyens de satisfaire ma lubricité chez une veuve de ses amies, passionnée comme moi pour son sexe. Cette charmante créature, âgée de trente-six ans, et belle comme Vénus, connaissait toutes les tribades de Bologne : en huit jours, je me branlai avec plus de cent cinquante femmes, toutes plus jolies les unes que les autres.

Nous finîmes par aller passer une semaine entière dans une célèbre abbaye, près de la ville, où mon introductrice allait de temps en temps faire des incursions. Oh ! mes amis, le pinceau de l’Arétin ne peindrait qu’imparfaitement les inconcevables luxures où nous nous livrâmes dans cet asile sacré. Toutes les novices, plusieurs religieuses, cinquante pensionnaires, cent vingt femmes en tout, nous passèrent par les mains ; et je puis dire que de ma vie je n’avais été branlée comme je le fus là. Les religieuses bolonaises possèdent, plus qu’aucune autre femme de l’Europe, l’art de gamahucher des cons : elles font passer leurs langues avec une telle rapidité, du clitoris au con, et du con au cul, que, quoiqu’elles quittent un moment l’un pour aller à l’autre, il ne me semble pas qu’elles varient ; leurs doigts sont d’une flexibilité et d’une agilité surprenantes, et elles ne les laissent pas oisifs avec leurs Saphos… Délicieuses créatures ! je n’oublierai jamais vos charmes, ni l’inconcevable adresse avec laquelle vous savez éveiller et soutenir les titillations voluptueuses ; jamais vos savantes recherches ne sortiront de ma mémoire ; et les instants les plus lubriques pour moi, seront ceux où je me rappellerai ces plaisirs.

Toutes étaient si jolies, si fraîches, qu’il me fut impossible de faire un choix ; si quelquefois je voulais me fixer, la multitude des beautés qui venaient troubler mon attention, ne me laissait plus offrir mon hommage qu’à l’ensemble. Ce fut là, mes amis, où j’exécutai ce que les Italiennes appellent le chapelet. Toutes, munies de godemichés et placées dans une salle immense, nous nous enfilâmes au nombre de cent ; les grandes en con, les petites en cul, pour ménager les pucelages. Une des plus âgées se mettait à chaque neuvaine, on l’appelait le pater ; celles-là seules avaient le droit de parler : elles commandaient les décharges, elles prescrivaient les déplacements, et présidaient généralement à tout l’ordre de ces singulières orgies.

Elles inventèrent bientôt une autre façon de me donner du plaisir : ici, l’on ne s’occupait que de moi seule. Étendue sur un groupe de six qui m’élevaient et me rabaissaient par leurs mouvements voluptueux, toutes les autres venaient par demi-douzaine consulter mes sensations et les assouvir de lubricités : une me faisait sucer son con, j’en chatouillais une de chaque main ; une autre, à cheval sur ma poitrine, se servait du bout de mes tétons pour se branler ; celle-ci se frottait sur mon clitoris, et la sixième se polluait sur mes yeux : toutes déchargeaient, toutes m’inondaient de sperme, et jugez si le mien s’y refusait.

Enfin, je les priai de m’enculer. On plaçait un con sous ma bouche, dont j’avalais le foutre : ce con se relayait à chaque fois qu’un nouveau godemiché m’entrait dans le cul. Mon amie s’en fit faire autant dans le con, et c’était un cul qu’elle baisait.

Sbrigani, pendant ce temps-là, raccommodait, par sa profonde adresse, les folles dépenses que je faisais, et par le moyen de cinq ou six étrangers qu’il dévalisa, mes dilapidations furent réparées. Heureux talent, que celui qui apprend à n’asseoir jamais ses dépenses que sur la fortune d’autrui, et qui rajuste toutes les brèches de la sienne, au moyen de celle des autres !

Nous quittâmes Bologne à peu près aussi riches que nous l’étions en arrivant, quoique j’y eusse dépensé deux ou trois mille sequins en extravagances.

J’étais anéantie ; mais comme les excès du libertinage, en fatiguant le corps, n’allument que davantage l’imagination, je projetais mille nouvelles débauches : je me repentais de n’en avoir pas fait assez, je m’en prenais à la stérilité de ma tête, et ce fut alors que j’éprouvai bien que le remords qu’on a de n’avoir pas tout fait dans le crime, est supérieur à celui qu’éprouvent les âmes faibles pour s’être écartées de la vertu.

Tel était l’état de mon physique et de mon moral, lorsque nous traversâmes l’Apennin. Cette chaîne immense de montagnes, qui partage l’Italie, est du plus grand intérêt pour le voyageur curieux : il est impossible de se représenter le pittoresque des sites qui s’offrent à tout instant dans de certains endroits ; on découvre en entier, d’un côté, la vaste plaine de Lombardie, de l’autre, la mer Adriatique ; munis d’un télescope, notre vue se portait à plus de cinquante lieues.

Nous dînâmes à Pietra-Mala, avec l’intention d’en aller observer le volcan. Zélées sectatrices de toutes les irrégularités de la nature, adorant tout ce qui caractérise ses désordres, ses caprices, et les affreux forfaits dont sa main, chaque jour, nous donne l’exemple, après un assez mauvais repas, malgré les précautions que nous prenions d’avoir toujours un cuisinier en avant, nous nous avançâmes à pied dans la petite plaine sèche et brûlée où s’aperçoit ce phénomène. Le terrain qui l’environne est sablonneux, inculte et rempli de pierres ; à mesure que l’on avance, on éprouve une chaleur excessive, et l’on respire l’odeur de cuivre et de charbon de terre que le volcan exhale. Nous aperçûmes enfin la flamme, qu’une légère pluie fortuitement survenue rendit plus ardente : ce foyer peut avoir trente ou quarante pieds de tour. Si l’on creuse la terre dans les environs, le feu s’allume aussitôt, sous l’instrument qui la déchire…

— C’est, dis-je à Sbrigani observant avec moi cette merveille, c’est mon imagination, s’allumant sous les coups de verges que mon cul reçoit…

La terre prise dans le milieu du foyer est cuite, consumée et noire ; celle du voisinage est comme de la glaise, et de la même odeur que le volcan. La flamme qui sort du foyer est extrêmement ardente, elle brûle et consume à l’instant toutes les matières qu’on y jette, sa couleur est violette comme celle qui s’exhale de l’esprit de vin.

Sur la droite de Pietra-Mala, se voit un autre volcan, qui ne s’enflamme que quand on y met le feu. Rien ne me parut plaisant comme l’expérience que nous en fîmes : au moyen d’une bougie, nous allumâmes toute la plaine. Avec une tête comme celle dont j’étais douée, on ne devrait jamais voir de telles choses, il faut que j’en convienne avec vous, mes amis ; mais la bougie que je présentais au sol l’allumait moins vite que la flamme évaporée de ce terrain n’embrasait mon esprit.

— Oh ! mon cher, dis-je à Sbrigani, comme je forme ici le vœu de Néron ! ne t’ai-je pas dit qu’en respirant l’air natal de ce monstre, j’adopterais bientôt ses penchants ?

Lorsqu’il a plu, et que le foyer de ce second volcan est rempli d’eau, cet élément s’élève en bouillonnant, et sans rien perdre de sa fraîcheur. Ô nature ! que tu es capricieuse !… et tu ne voudrais pas que les hommes t’imitassent ?

Il est à craindre que tous les volcans dont Florence est environnée ne lui causent quelque dommage un jour : le bouleversement que l’on aperçoit dans toute cette partie légitime amplement ces craintes.

Ici, quelques idées comparatives se présentèrent à mon esprit. N’est-il pas très probable, me dis-je, que l’embrasement des villes de Sodome, Gomorrhe, etc., dont on nous compose un miracle, afin de nous effrayer sur le vice national des habitants de ces villes, n’est-il pas, dis-je, très possible que cet embrasement n’ait été produit que parce que ces cités se trouvaient assises sur un sol semblable à celui-ci ? Les environs du lac Asphaltite, où elles étaient situées, n’étaient que des volcans mal éteints ; c’était un sol égal à celui-ci : pourquoi s’obstiner à voir du surnaturel, quand ce qui nous entoure peut être produit par des moyens si simples ? D’autres idées, nées de l’influence du climat, se présentèrent de même à moi ; et quand je vis qu’à Sodome comme à Florence, qu’à Gomorrhe comme à Naples et qu’aux environs de l’Etna comme à ceux du Vésuve, les peuples ne chérissent et n’adorent que la bougrerie, je me persuadai facilement que l’irrégularité des caprices de l’homme ressemble à ceux de la nature, et que, partout où elle se déprave, elle corrompt aussi ses enfants56.

Alors je me crus transportée dans ces heureuses villes de l’Arabie. C’est ici où était Sodome, me disais-je, rendons hommage aux mœurs de ses habitants, et, m’inclinant sur le bord du foyer, je présentai les fesses à Sbrigani, pendant que, sous mes yeux, Augustine nous imitait avec Zéphyr. Nous changeâmes ; Sbrigani s’enfonça dans le beau cul de ma soubrette, et je devins la proie de mon valet. Augustine et moi, en face l’une de l’autre, nous nous chatouillions pendant ce temps-là.

Voilà, certes, une charmante occupation ! nous crie tout à coup une voix terrible qui nous parut sortir de derrière un buisson… Ne vous dérangez pas, je veux plutôt partager vos plaisirs que les troubler, poursuivit une espèce de centaure en s’approchant de nous, et nous faisant voir une figure gigantesque, et telle que de nos jours nous n’en avions encore vu.

Le personnage qui nous parlait, haut de sept pieds trois pouces, ayant des moustaches énormes retroussées sur un visage aussi brun qu’effrayant, nous fit croire un moment que nous parlions au Prince des ténèbres… Surpris de la manière dont nous le considérions :

— Comment ! s’écrie-t-il, ne connaissez-vous donc pas l’ermite de l’Apennin ?

— Assurément non, dit Sbrigani, nous n’avons jamais entendu parler d’un animal aussi effrayant que toi !

— Eh bien ! nous dit l’ermite, suivez-moi tous les quatre, je vous montrerai des choses plus étonnantes encore : les occupations dans lesquelles je vous surprends me convainquent que vous êtes dignes d’observer ce que j’ai à vous faire voir, et de tout partager avec moi.

— Géant, dit Sbrigani, nous aimons les choses extraordinaires, et, pour les observer, il n’est rien que nous ne fassions, sans doute ; mais la suprême force dont il paraît que tu jouis, ne nuira-t-elle pas à notre liberté ?

— Non, parce que je vous crois dignes de ma société, dit ce singulier personnage ; sans cela, elle y nuirait très certainement ; tranquillisez-vous donc et suivez-moi.

Déterminés à tout pour connaître les suites de cette aventure, nous fîmes prévenir nos gens de retourner nous attendre à l’auberge, jusqu’à ce que nous vinssions les reprendre. Cette précaution prise, nous nous mîmes en marche sous la direction de notre géant.

— Ne vous impatientez ni ne vous fatiguez, nous dit notre guide ; nous avons du chemin à faire, mais il y a encore sept heures du jour, et nous arriverons avant que les voiles de la nuit se soient étendus sur l’univers.

On fit ensuite le plus grand silence, et j’eus le temps d’observer la route et les abords de l’habitation où elle nous conduisait.

En quittant la plaine volcanique de Pietra-Mala, nous remontâmes, pendant une heure, une haute montagne située sur la droite. Du sommet de cette montagne, nous aperçûmes des abîmes de plus de deux mille toises de profondeur, où nous dirigeait notre marche. Toute cette partie était enveloppée de bois si touffus, si prodigieusement épais, qu’à peine y voyait-on pour se conduire. Après avoir descendu à pic pendant près de trois heures, nous arrivâmes au bord d’un vaste étang. Sur une île située au milieu de cette eau, se voyait le donjon du palais qui servait de retraite à notre guide ; la hauteur des murailles qui l’entouraient était cause qu’on n’en pouvait distinguer le toit. Il y avait six heures que nous marchions sans avoir rencontré la moindre maison… pas un individu ne s’était offert à nos regards. Une barque noire comme les gondoles de Venise nous attendait au bord de l’étang. Ce fut de là que nous pûmes considérer l’affreux bassin dans lequel nous étions : il était environné de toutes parts de montagnes à perte de vue, dont les sommets et les flancs arides étaient couverts de pins, de mélèzes et de chênes verts. Il était impossible de rien voir de plus agreste et de plus sombre ; on se croyait au bout de l’univers. Nous montâmes dans la barque ; le géant la conduisit seul. Du port au château, il y avait encore trois cents toises ; nous arrivâmes au pied d’une porte de fer, pratiquée dans le mur épais qui environne le château ; là, des fossés de dix pieds de large se présentèrent à nous, nous les traversâmes sur un pont qui s’enleva dès que nous l’eûmes passé ; un second mur s’offrit, nous passâmes encore une porte de fer, et nous nous trouvâmes dans un massif de bois si serré que nous crûmes impossible d’aller plus loin. Nous ne le pouvions effectivement plus, ce massif, formé d’une haie vive, ne présentant que des pointes et n’offrant aucun passage. Dans son sein était la dernière enceinte du château ; elle avait dix pieds d’épaisseur. Le géant lève une pierre de taille énorme et que lui seul pouvait manier ; un escalier tortueux se présente ; la pierre se referme, et c’est par les entrailles de la terre que nous arrivons (toujours dans les ténèbres) au centre des caves de cette maison, desquelles nous remontons au moyen d’une ouverture, défendue par une pierre semblable à celle dont nous venons de parler. Nous voilà enfin dans une salle basse toute tapissée de squelettes ; les sièges de ce local n’étaient formés que d’os de morts, et c’était sur des crânes que l’on s’asseyait malgré soi ; des cris affreux nous parurent sortir de dessous terre, et nous apprîmes bientôt que c’était dans les voûtes de cette salle qu’étaient situés les cachots où gémissaient les victimes de ce monstre.

— Je vous tiens, nous dit-il, dès que nous fûmes assis, vous êtes en ma puissance ; je veux faire de vous ce qu’il me plaira. Ne vous effrayez pourtant point : les actions que je vous ai vus commettre sont trop analogues à ma façon de penser pour que je ne vous croie pas dignes de connaître et de partager les plaisirs de ma retraite. Écoutez-moi, j’ai le temps de vous instruire avant le souper ; on le prépare pendant que je vais vous parler.

Je suis Moscovite, né dans une petite ville qui se trouve sur les bords du Volga. On m’appelle Minski. Mon père, en mourant, me laissa des richesses immenses, et la nature proportionna mes facultés physiques et mes goûts aux faveurs dont me gratifiait la fortune. Ne me sentant point fait pour végéter dans le fond d’une province obscure comme celle où j’avais reçu le jour, je voyageai ; l’univers entier ne me paraissait pas encore assez vaste pour l’étendue de mes désirs ; il me présentait des bornes : je n’en voulais pas. Né libertin, impie, débauché, sanguinaire et féroce, je ne parcourus le monde que pour en connaître les vices et ne les pris que pour les raffiner. Je commençai par la Chine, le Mogol et la Tartarie ; je visitai toute l’Asie ; remontant vers le Kamtchatka, j’entrai en Amérique par le fameux canal de Béring. Je parcourus cette vaste partie du monde, tour à tour chez les peuples policés et chez les sauvages, ne copiant jamais que les crimes des uns, les vices et les atrocités des autres. Je rapportai dans votre Europe des penchants si dangereux, que je fus condamné à être brûlé en Espagne, rompu en France, pendu en Angleterre, et massolé en Italie : mes richesses me garantirent de tout.

Je passai en Afrique ; ce fut là où je reconnus bien que ce que vous avez la folie de nommer dépravation, n’est jamais que l’état naturel de l’homme, et plus souvent encore le résultat du sol où la nature l’a jeté. Ces braves enfants du soleil se moquèrent de moi quand je voulus leur reprocher la barbarie dont ils usaient avec leurs femmes. Et qu’est-ce donc qu’une femme, me répondaient-ils, sinon l’animal domestique que la nature nous donne pour satisfaire à la fois, et nos besoins et nos plaisirs ? quels sont ses droits pour mériter de nous, plus que le bétail de nos basses-cours ? La seule différence que nous y voyons, me disaient ces peuples sensés, c’est que nos animaux de ménage peuvent mériter quelque indulgence par leur douceur et leur soumission, au lieu que les femmes ne méritent que de la rigueur et de la barbarie, vu leur état perpétuel de fraude, de méchanceté, de trahison et de perfidie. Nous les foutons : d’ailleurs, et que peut-on faire de mieux d’une femme qu’on a foutue, sinon de s’en servir comme d’un bœuf, d’un âne, ou de la tuer pour s’en nourrir ?

En un mot, ce fut là où j’observai l’homme vicieux par tempérament, cruel par instinct, féroce par raffinement ; ce caractère me plut, je le trouvai plus rapproché de la nature, et je le préférai à la simple grossièreté de l’Américain, à la fourberie européenne et à la cynique mollesse de l’Asiatique. Ayant tué des hommes à la chasse avec les premiers, ayant bu et menti avec les seconds, ayant beaucoup foutu avec les troisièmes, je mangeai des hommes avec ceux-ci. J’ai conservé ces goûts : tous les débris de cadavres que vous voyez ici, ne sont que les restes des créatures que je dévore ; je ne me nourris que de chair humaine ; j’espère que vous serez contents du régal que je compte vous en faire faire, et l’on a tué pour notre souper un jeune garçon de quinze ans que je foutis hier, et qui doit être délicieux.

Après dix ans de voyage, je revins faire un tour dans ma patrie ; ma mère et ma sœur vivaient. J’étais héritier naturel de toutes deux ; ne voulant plus remettre les pieds en Moscovie, je crus essentiel à mes intérêts de réunir ces deux successions : je les violai et les massacrai dans le même jour. Ma mère était encore fort belle, aussi grande que moi, et quoique ma sœur n’eût que six pieds, c’était bien la plus superbe créature qu’il fût possible de voir dans les deux Russies.

Je recueillis ce qui pouvait me revenir de ces héritages, et me trouvant près de deux millions à manger tous les ans, je repassai en Italie avec le dessein de m’y fixer. Mais je voulais une position singulière, agreste, mystérieuse, et dans laquelle je pusse me livrer à tous les perfides égarements de mon imagination ; et ces égarements ne sont pas légers, mes amis : pour peu que nous passions quelques jours ensemble, vous vous en apercevrez, je l’espère. Il n’est pas une seule passion libertine qui ne soit chérie de mon cœur, pas un forfait qui ne m’ait amusé. Si je n’ai pas commis plus de crimes, c’est faute d’occasions ; je n’ai pas à me reprocher d’en avoir négligé une seule, et j’ai fait naître toutes celles qui ne se décidaient pas avec assez d’énergie. Si j’eusse été assez heureux pour doubler la somme de mes forfaits, il me resterait de plus agréables souvenirs ; car ceux du crime sont des jouissances qu’on ne saurait trop multiplier.

Ce début va me faire passer à vos yeux pour un scélérat ; ce que vous allez voir dans cette maison, me confirmera, je l’espère, cette réputation. Vous ne vous doutez pas de l’étendue de ce logis : il est immense, et renferme deux cents petits garçons dans l’âge de cinq à seize ans, qui passent communément de mon lit dans ma boucherie, et à peu près le même nombre de jeunes gens destinés à me foutre. J’aime infiniment cette sensation : il n’en est pas de plus douce au monde que celle d’avoir le cul vigoureusement limé, pendant qu’on s’amuse soi-même de telle manière que ce puisse être. Les plaisirs que je vous ai vus goûter tantôt sur le bord du volcan, me prouvent que vous partagez cette façon de perdre du foutre, et voilà pourquoi je vous parle avec tant de franchise : je ferais, sans cela, tout simplement de vous des victimes.

J’ai deux harems. Le premier contient deux cents petites filles, de cinq à vingt ans : je les mange, quand, à force de luxure, elles se trouvent suffisamment mortifiées ; deux cents femmes de vingt à trente sont dans le second : vous verrez comme je les traite. Cinquante valets des deux sexes sont employés au service de ce nombre considérable d’objets de lubricité, et j’ai, pour le recrutement, cent agents dispersés dans toutes les grandes villes du monde. Croiriez-vous qu’avec le mouvement prodigieux qu’exige tout ceci, il n’y ait cependant, pour entrer dans mon île, que la seule route que vous venez de faire ? On ne se douterait assurément pas de la quantité de créatures qui passent par ce mystérieux sentier.

Jamais les voiles que j’étends sur tout ceci ne seront déchirés. Ce n’est pas que j’aie la moindre chose à craindre ; ceci tient aux États du grand duc de Toscane : on y connaît toute l’irrégularité de ma conduite, et l’argent que je sème me met à l’abri de tout.

Il vous faut maintenant, pour achever de me faire connaître à vous, un petit développement sur ma personne. J’ai quarante-cinq ans ; mes facultés lubriques sont telles, que je ne me couche jamais sans avoir déchargé dix fois. Il est vrai que l’extrême quantité de chair humaine dont je me nourris, contribue beaucoup à l’augmentation et à l’épaisseur de la matière séminale. Quiconque essayera de ce régime, triplera bien sûrement ses facultés libidineuses, indépendamment de la force, de la santé, de la fraîcheur, qu’entretiendra cette nourriture en lui. Je ne vous parle pas de mon agrément : qu’il vous suffise de savoir qu’une fois qu’on en a goûté, il n’est plus possible de manger autre chose, et qu’il n’est pas une seule chair, d’animaux ou de poissons, qui puisse se comparer à celle-là. Il ne s’agit que de vaincre les premières répugnances, et, les digues franchies, on ne peut plus s’en rassasier. Comme j’espère que nous déchargerons ensemble, il est nécessaire que je vous prévienne des effrayants symptômes de cette crise en moi. D’épouvantables hurlements la précèdent, l’accompagnent, et les jets de sperme élancés pour lors s’élèvent au plancher, souvent dans le nombre de quinze ou vingt. Jamais la multiplicité des plaisirs ne m’épuise : mes éjaculations sont aussi tumultueuses, aussi abondantes à la dixième fois qu’à la première, et je ne me suis jamais senti le lendemain des fatigues de la veille. À l’égard du membre dont tout cela part, le voici, dit Minski en mettant au jour un anchois de dix-huit pouces de long sur seize de circonférence, surmonté d’un champignon vermeil et large comme le cul d’un chapeau. Oui, le voici, il est toujours dans l’état où vous le voyez, même en dormant, même en marchant…

— Oh ! juste ciel ! m’écriai-je, en voyant cet outil… Mais mon cher hôte, vous tuez donc autant de femmes et de garçons que vous en voyez ?…

— À peu près, me répondit le Moscovite, et comme je mange ce que je fous, cela m’évite la peine d’avoir un boucher. Il faut beaucoup de philosophie pour me comprendre… je le sais : je suis un monstre, vomi par la nature pour coopérer avec elle aux destructions qu’elle exige… je suis un être unique dans mon espèce… un… Oh ! oui, je connais toutes les invectives dont on me gratifie, mais assez puissant pour n’avoir besoin de personne, assez sage pour me plaire dans ma solitude, pour détester tous les hommes, pour braver leur censure, et me moquer de leurs sentiments pour moi, assez instruit pour pulvériser tous les cultes, pour bafouer toutes les religions et me foutre de tous les Dieux, assez fier pour abhorrer tous les gouvernements, pour me mettre au-dessus de tous les liens, de tous les freins, de tous les principes moraux je suis heureux dans mon petit domaine. J’y exerce tous les droits de souverain, j’y goûte tous les plaisirs du despotisme, je ne crains aucun homme, et je vis content. J’ai peu de visites, point même, à moins que, dans mes promenades, je ne rencontre des êtres, qui, comme vous, me paraissent assez philosophes pour venir s’amuser quelque temps chez moi : voilà les seuls que j’invite et j’en rencontre peu. Les forces dont m’a gratifié la nature me font étendre très loin ces promenades : il n’y a pas de jours où je ne fasse douze ou quinze lieues…

— Et par conséquent quelques captures, interrompis-je.

— Des captures, des vols, des incendies, des meurtres : tout ce qui se présente de criminel à moi, je l’exécute, parce que la nature m’a donné le goût et la faculté de tous les crimes et qu’il n’en est aucun que je ne chérisse, et dont je ne fasse mes plus doux plaisirs.

— Et la justice ?

— Elle est nulle dans ce pays-ci ; voilà pourquoi je m’y suis placé : avec de l’argent on fait tout ce qu’on veut… et j’en répands beaucoup57.

Deux esclaves masculins de Minski, basanés et de figures hideuses, vinrent avertir que le souper était servi ; ils se mirent à genoux devant leur maître, lui baisèrent respectueusement les couilles et le trou du cul, et nous passâmes dans une autre salle.

— Il n’y a point de préparatifs pour vous, dit le géant : tous les rois de la terre viendraient me voir, que je ne m’écarterais pas de mes coutumes.

Mais le local et les accessoires de la pièce où nous entrâmes méritent quelques descriptions.

— Les meubles que vous voyez ici, nous dit notre hôte, sont vivants : tous vont marcher au moindre signe.

Minski fait ce signe, et la table s’avance : elle était dans un coin de la salle, elle vient se placer au milieu ; cinq fauteuils se rangent également autour ; deux lustres descendent du plafond et planent au milieu de la table.

— Cette mécanique est simple, dit le géant, en nous faisant observer de près la composition de ces meubles. Vous voyez que cette table, ces lustres, ces fauteuils, ne sont composés que de groupes de filles artistement arrangés ; mes plats vont se placer tout chauds sur les reins de ces créatures ; mes bougies sont enfoncées dans leurs cons, et mon derrière, ainsi que les vôtres, en se nichant dans ces fauteuils, vont être appuyés sur les doux visages ou les blancs tétons de ces demoiselles : c’est pour cela que je vous prie de vous trousser, mesdames, et vous, messieurs, de vous déculotter, afin que, d’après les paroles de l’Écriture, la chair puisse reposer sur la chair.

— Minski, observai-je à notre Moscovite, le rôle de ces filles est fatigant, surtout si vous êtes longtemps à table.

— Le pis-aller, dit Minski, est qu’il en crève quelques-unes, et ces pertes sont trop faciles à réparer pour que je puisse m’en occuper un instant.

Au moment où nous nous troussions et où les hommes se déculottaient, Minski exigea que nos fesses lui fussent présentées ; il les mania, il les mordit, et nous remarquâmes que de nos quatre culs, celui de Sbrigani, par un raffinement de caprices facile à supposer dans un tel homme, fut celui qu’il fêta le plus ; il le gamahucha pendant près d’un quart d’heure. Cette cérémonie faite, nous nous assîmes à cru sur les tétons et les visages des sultanes, ou plutôt des esclaves de Minski.

Douze filles nues, de vingt à vingt-cinq ans, servirent les plats sur les tables vivantes, et comme ils étaient d’argent et fort chauds, en brûlant les fesses ou les tétons des créatures qui formaient ces tables, il en résulta un mouvement convulsif très plaisant, et qui ressemblait aux agitations des flots de la mer. Plus de vingt entrées ou plats de rôti garnissaient la table, et sur des servantes composées de quatre filles groupées, et qui s’approchèrent de même au plus léger signal, furent placés des vins de toute espèce.

— Mes amis, nous dit notre hôte, je vous ai prévenus qu’on ne se nourrissait ici que de chair humaine ; il n’est aucun des plats que vous voyez qui n’en soit.

— Nous en tâterons, dit Sbrigani ; les répugnances sont des absurdités : elles ne naissent que du défaut d’habitude ; toutes les viandes sont faites pour sustenter l’homme, toutes nous sont offertes à cet effet par la nature, et il n’est pas plus extraordinaire de manger un homme qu’un poulet.

En disant cela, mon époux enfonça une fourchette dans un quartier de garçon qui lui parut fort bien apprêté, et, en ayant mis au moins deux livres sur son assiette, il les dévora. Je l’imitai. Minski nous encourageait ; et comme son appétit égalait toutes ses passions, il eut bientôt vidé une douzaine de plats.

Minski buvait comme il mangeait : il était déjà à sa trentième bouteille de Bourgogne, quand on servit, l’entremets qu’il arrosa de Champagne ; l’Aleatico, le Falerne, et autres vins précieux d’Italie, furent avalés au dessert.

Plus de trente nouvelles bouteilles de vin étaient encore entrées dans les entrailles de notre anthropophage, lorsque ses sens suffisamment enivrés de toutes ces débauches physiques et morales, le vilain nous déclara qu’il avait envie de décharger.

— Je ne veux foutre aucun de vous quatre, nous dit-il, parce que je vous tuerais ; mais, au moins, vous servirez mes plaisirs… vous les examinerez : je vous crois dignes d’en être échauffés… Allons, qui voulez-vous que je foute ?

— Je veux, dis-je à Minski, qui se penchait lubriquement sur mon sein et qui paraissait avoir fort envie de moi, je veux que tu enconnes et que tu encules à mes yeux une petite fille de sept ans.

Minski fait un signe, et l’enfant paraît. Une machine fort ingénieuse servait aux viols de ce libertin. C’était une espèce d’escabeau de fer sur lequel la victime n’appuyait que les reins ou le ventre, en raison de la partie qui devait être offerte ; sur quatre branches qui retombaient en croix, à terre, se liaient les membres de cette victime… qui, par la position, offrait au sacrificateur, dans le plus grand écart possible, ou le con, si on la liait sur les reins, ou le cul, si elle était attachée sur le ventre. Rien n’était joli comme la petite créature qu’allait immoler ce barbare, et rien ne m’amusait autant comme l’incroyable disproportion qui se trouvait entre l’assaillant et la victime. Minski sort de table comme un furieux :

— Mettez-vous nus, nous dit-il à tous quatre ; vous, poursuivit-il en désignant Zéphyr et Sbrigani, vous m’enculerez pendant que j’agirai, et vous, ajoute-t-il en touchant Augustine et moi, vous me ferez baiser vos culs réunis.

Tout se dispose ; on attache la petite fille d’abord sur le dos. Je n’exagère pas en assurant que le membre dont elle allait être perforée était plus gros que sa taille. Minski jure, il hennit ainsi que les animaux, il flaire l’orifice qu’il va perforer. Je me plaisais à diriger ce membre. Nul art n’était employé, il fallait que la nature seule fît ici les frais de l’entreprise : la putain nous servit comme elle le fait toutes les fois qu’il s’agit d’un forfait qui l’amuse, la sert ou la délecte. En trois tours de reins, l’outil est dedans, les chairs se fendent, le sang coule, et la pucelle perd connaissance.

— Ah ! bon ! dit Minski qui commençait à rugir comme un lion, bon, c’est ce que je voulais.

Oh ! mes amis, le crime s’achève, on enculait Minski, il baisait, il mordait, il gamahuchait alternativement les fesses d’Augustine et les miennes ; un cri terrible annonce son extase, il profère d’affreux blasphèmes… Le scélérat ! en déchargeant, il avait étranglé sa victime ; la malheureuse ne respirait plus.

— C’est égal, nous dit-il, elle ne se défendra plus maintenant, on n’aura plus besoin de l’attacher.

Et la retournant toute morte qu’elle est, le libertin la sodomise en étranglant de même une des filles qui venaient de servir au souper, et qu’il avait fait à dessein approcher de lui…

— Eh ! quoi ! dis-je, aussitôt qu’il eut déchargé une seconde fois, vous ne goûtez donc jamais ce plaisir qu’il n’en coûte la vie à un individu ?

— Au moins, me répondit l’ogre. Il faut qu’une créature humaine meure pendant que je foute : je ne déchargerais pas, sans l’alliance des soupirs de la mort à ceux de ma lubricité, et je ne dois jamais l’éjaculation de mon foutre qu’à l’idée de cette mort que j’occasionne.

Passons dans une autre pièce, continue cet anthropophage, les glaces, le café et les liqueurs nous y attendent ; puis, se tournant vers mes deux hommes : Amis, leur dit-il, vous m’avez parfaitement foutu ; vous avez trouvé mon cul large, n’est-ce pas ? N’importe, je suis persuadé qu’il vous a donné du plaisir : le foutre que vous y avez répandu l’un et l’autre m’en répond. Quant à vous, charmantes femmes, vos fesses m’ont puissamment délecté, et pour vous en témoigner ma reconnaissance, je vous abandonnerai pendant deux jours toutes les beautés de mon sérail, afin que vous puissiez vous gorger de voluptés tout à l’aise.

— Aimable homme, dis-je au géant, c’est tout ce que nous demandons ; la volupté doit couronner la luxure, et les récompenses du libertinage doivent être offertes par les mains seules de la lubricité.

Nous entrâmes. À l’odeur qui régnait en ce lieu, nous devinâmes bientôt quelle était l’espèce de glaces qui nous étaient offertes. Dans cinq jattes de porcelaine blanche, étaient disposés douze ou quinze étrons de la plus belle forme et de la plus grande fraîcheur.

— Voilà, nous dit l’ogre, les glaces dont j’use après dîner ; rien ne facilite autant la digestion, et rien en même temps ne me fait autant plaisir. Ces étrons viennent des plus beaux culs de mon sérail, et vous pouvez les manger en sûreté.

— Minski, répondis-je, il faut beaucoup d’habitude pour ce mets-là ; peut-être pourrions-nous l’adopter dans un moment d’égarement, mais de sang-froid, c’est impossible.

— À la bonne heure, dit l’ogre en s’emparant d’une jatte, et en dévorant le contenu, faites comme vous voudrez je ne vous contrains point. Tenez, voilà des liqueurs : pour moi, je n’en prendrai qu’après.

Rien d’aussi lugubre que l’illumination de cette salle ; elle était bien digne du reste. Vingt-quatre têtes de morts renfermaient entre elles une lampe dont les rayons sortaient par les yeux et par les mâchoires : je n’ai jamais rien vu d’effrayant à ce point. Ici, l’ogre en bandant voulut s’approcher de moi : je mis tant d’art à l’éviter que je détournai ses désirs. De jeunes garçons servaient dans cette pièce, je lui en fis enculer un de douze ans, qui tomba mort au sortir de ses bras.

Minski s’aperçut enfin qu’épuisés par la fatigue, nous n’étions plus en état, de lui tenir tête. Il nous fit conduire par ses esclaves dans une galerie superbe, où quatre niches de glaces, en face les unes des autres, contenaient les lits nécessaires à nous reposer. Un même nombre de filles avaient ordre de veiller autour de nous pour éloigner les insectes et brûler des parfums pendant notre sommeil.

Il était tard quand nous nous réveillâmes. Nos gardiennes nous firent voir des salles de bains, où, servis par elles, nous fûmes merveilleusement rafraîchis, et nous introduisant de là dans les cabinets d’aisances, elles nous firent chier d’une manière aussi commode que voluptueuse, et que nous ne connaissions pas encore. Elles trempaient leur doigts dans de l’essence de rose, puis les introduisaient dans l’anus ; elles détachaient doucement et moelleusement toutes les matières qui s’y rencontraient… mais avec un tel art et une si prodigieuse adresse, qu’on avait tout le plaisir de l’opération, sans aucune de ses douleurs. Dès que cela était fait, elles nettoyaient toutes les parties avec leur langue, et cela avec une légèreté, une dextérité sans égale.

Sur les onze heures, Minski nous fit dire que nous serions admis à l’honneur de le venir visiter au lit. Nous entrâmes ; sa chambre à coucher était fort grande, on y voyait de superbes fresques représentant dix groupes de libertinage, dont la composition peut bien passer pour le nec plus ultra de la luxure.

Au fond de cette pièce était une vaste alcôve entourée de glaces et ornée de seize colonnes de marbre noir, à chacune desquelles était liée une jeune fille vue par derrière. Au moyen de deux cordons, placés comme des cordons de sonnette au chevet du lit de notre héros, il pouvait faire arriver, sur chacun des culs qui lui étaient présentés, un supplice toujours différent, lequel durait tout le temps qu’il ne retirait pas le cordon. Indépendamment de ces seize filles, il y en avait six autres et douze jeunes garçons, tant agents que patients, qui se tenaient dans deux cabinets voisins, pour le service libertin de leur maître, pendant la nuit. Deux duègnes veillaient sur tout cela, pendant son sommeil.

La première chose qu’il fit, quand nous l’approchâmes, fut de nous faire voir qu’il bandait ; il ricana d’une manière horrible, en nous montrant son engin monstrueux. Il nous demanda le cul ; nous obéîmes ; en palpant celui d’Augustine, il assura qu’il l’enculerait avant la fin du jour : la malheureuse en frémit ; il branla beaucoup Sbrigani, et parut s’amuser de ses fesses ; ils se gamahuchèrent l’anus, et y prirent le plus grand plaisir. Il nous demanda si nous voulions voir la manière dont il pourrait blesser à la fois les seize filles liées aux colonnes. Je le pressai de nous faire voir cette singulière machine. Il tire ses funestes cordons, et les seize malheureuses, criant toutes à la fois, reçoivent toutes individuellement une blessure différente. Les unes se trouvaient piquées, brûlées, flagellées ; les autres, tenaillées, coupées, pincées, égratignées, et tout cela d’une telle force que le sang coula de toutes parts.

— Si je redoublais, nous dit Minski, et cela m’arrive quelquefois, c’est selon l’état de mes couilles, mais enfin si je redoublais, du même coup ces seize putains périraient sous mes yeux ; j’aime à m’endormir dans l’idée de pouvoir commettre seize meurtres à la fois, au plus léger de mes désirs.

— Minski, dis-je à mon hôte, vous possédez assez de femmes pour faire ce petit sacrifice : mes amis et moi nous vous conjurons de nous rendre témoins de cette charmante scène.

— J’y consens, dit Minski, mais je veux décharger en opérant : faites-moi sodomiser votre fille de compagnie, son cul me plaît, et en lui lançant mon foutre dans l’anus, vous verrez périr mes seize femmes.

— Cela en fera bien dix-sept ! s’écria Augustine en nous suppliant de ne point la livrer à ce monstre ; comment voulez-vous que je soutienne une pareille opération ?

— Le mieux du monde, dit Minski.

Et la faisant déshabiller par ses femmes, il la plaça aussitôt dans l’attitude propice à ses désirs.

— N’ayez pas peur, continua-t-il, jamais une femme ne m’a résisté, et j’en fous tous les jours de plus jeunes que vous.

Devinant dans les yeux du Moscovite que les refus ne serviraient qu’à l’irriter, nous n’osâmes seulement pas lui témoigner la peine que nous faisait un tel désir.

— Laissez-moi faire, me dit Minski tout bas, je vous l’ai dit, cette fille m’irrite, elle a un cul qui me met en colère ; si je la tue, ou si je l’estropie, je vous la remplacerai par deux autres infiniment plus belles.

Et en disant cela, deux de ses jeunes filles qui étaient de service dans la chambre, préparent les voies, humectant l’instrument et le présentant au trou. Minski avait une telle habitude de toutes ces horreurs, que ce fut pour lui l’affaire d’un instant : deux tours de reins enfoncent le poignard au fond du cul de la victime avec une telle vitesse, qu’à peine nos yeux le virent-ils disparaître ; le vilain riait pendant ce temps-là. Augustine s’évanouit, et ses cuisses s’inondèrent de sang. Minski, aux nues, ne s’en embrase que davantage ; quatre filles et autant de garçons l’entourent : ils sont tous si bien accoutumés aux soins qu’il faut lui rendre en ce moment, qu’en une seconde tout est à sa place. Augustine est couverte, nous ne la voyons plus. L’ogre blasphème, il est près d’atteindre le but, il décharge : les cordons partent, seize différentes façons de trancher la vie dérobent le jour aux seize créatures attachées. Elles ne font qu’un cri, et toutes expirent au même instant, l’une poignardée, l’autre étouffée, celle-ci tuée d’une balle ; en un mot, pas une n’était frappée de la même manière, et toutes étaient expirées à la fois.

— Votre Augustine avait, je crois, raison nous dit froidement Minski en déculant, oui, certes, elle avait grandement raison, quand elle disait qu’elle ferait la dix-septième…

Et nous aperçûmes aussitôt la malheureuse, à la fois étranglée et percée de dix coups de poignard : le scélérat avait opéré je ne sais comment, nous ne nous en étions pas doutés.

— Il n’y a rien que j’aime comme de les étrangler pendant que je les fous, dit flegmatiquement ce terrible libertin. Point de regrets : je vous ai promis de vous en donner deux plus belles, je vous tiendrai parole… Mais il fallait qu’elle y passât, son foutu cul me tournait la tête, et mes désirs, avec les objets de mes débauches, sont toujours des arrêts de mort.

Les duègnes jetèrent le cadavre de ma malheureuse amie au milieu de la chambre ; on y joignit ceux des seize filles liées aux colonnes ; et Minski, après avoir un instant examiné ce monceau, après les avoir toutes maniées les unes après les autres, avoir mordu quelques fesses et quelques tétons, en désigna trois pour sa cuisine, parmi lesquelles se trouvait la malheureuse que nous venions de perdre.

— Qu’on les prépare pour notre dîner, dit-il, pendant que je vais passer dans une de mes salles en tête à tête avec Juliette.

Ici, Sbrigani me dit à l’oreille qu’il croyait prudent de nous méfier d’un tel monstre, et que nous ferions bien de demander à sortir de ses États le plus tôt possible. Comme je trouvais autant de danger à rester qu’à demander notre sortie, en entrant avec Minski dans la salle où il nous menait je me contentai de lui prouver, par mon air froid, combien l’indignité de son procédé me donnait des soupçons sur ce qu’il se permettrait peut-être bientôt de faire sur ma personne.

— Écoutez, me dit l’ogre en m’attirant sur une chaise auprès de lui, je vous croyais assez philosophe pour ne pas regretter autant cette fille, et pour être persuadée que les droits de l’hospitalité ne pouvaient pas avoir d’accès sur une âme comme la mienne.

— Vous ne réparerez jamais cette perte.

— Pourquoi donc ?

— Je l’aimais.

— Ah ! si vous êtes encore assez niaise en lubricité pour aimer l’objet qui vous sert, il est certain que je n’ai plus rien à dire ; je chercherais en vain des raisonnements pour vous convaincre : il n’en est point contre la stupidité.

— Eh bien ! c’est pour moi-même : j’ai peur, puisque vous ne respectez rien. Qui me garantit du traitement que vous venez de faire éprouver à mon amie ?

— Rien, rien absolument, dit Minski, et si je bandais pour vous assassiner, vous n’existeriez pas un quart d’heure. Mais je vous ai crue aussi scélérate que moi, et puisque vous me ressemblez, de ce moment, j’aime mieux vous prendre pour ma complice que pour ma victime. Les deux hommes qui vous accompagnent me paraissent de même, je les crois comme vous, moins propres à servir mes luxures qu’à les partager : votre sûreté se trouve dans cette hypothèse. Il s’en fallait bien qu’Augustine en fût là ; je suis bon physionomiste : plus complaisante que criminelle, elle se prêtait à ce que vous désiriez, mais il s’en fallait bien qu’elle fît ce qu’elle voulait. Ô Juliette ! rien n’est sacré pour moi : vous épargner tous quatre eût été croire aux droits de l’hospitalité… L’apparence… la seule idée d’une vertu me fait horreur ; il fallait que je violasse ces droits… au moins en quelque sorte : me voilà satisfait maintenant, soyez tranquilles.

— Minski, vous me parlez avec une franchise qui doit mériter la mienne. Il y a dans tout ceci plus de crainte pour moi, que de regrets pour Augustine. Connaissez assez mon cœur pour le croire incapable de pleurer un sujet de libertinage ; j’en ai sacrifié beaucoup dans ma vie, et je vous jure que je n’en ai jamais regretté aucun. Et comme il allait se lever : Non, lui dis-je en le priant de se rasseoir, vous venez de faire le procès à la vertu de l’hospitalité, Minski ; j’aime les principes : suggérez-moi les vôtres sur cet objet. Quoique aucune vertu ne fût respectable pour moi, je ne m’étais pas défaite de mes maximes sur l’hospitalité, peut-être même encore osé-je les croire inviolables : détruisez, combattez, déracinez, Minski, je vous écoute.

— La plus grande de toutes les extravagances, sans doute, dit le géant en ayant l’air de me savoir gré des moyens que je lui donnais de développer son esprit, est celle qui nous fait regarder comme sacré l’individu que sa curiosité, ses besoins ou le hasard amènent dans nos foyers. Il n’y eut jamais qu’un motif personnel qui pût nous jeter dans cette erreur : plus un peuple est rapproché de la nature, moins il connaît les droits de l’hospitalité ; une infinité de sauvages tendent au contraire des embûches aux voyageurs pour les attirer chez eux, et ils les immolent dès qu’ils les tiennent. Quelques nations faibles et grossières, agissant différemment, s’empressent, au contraire, de fêter ceux qui les visitent, et elles portent, sur ce point, l’honnêteté jusqu’à leur présenter leurs femmes et leurs enfants de l’un et l’autre sexe. Ne soyons pas la dupe de ce procédé : il est encore le fruit de l’égoïsme. Les peuples qui se conduisent ainsi cherchent des appuis, des protections parmi les étrangers qui les visitent ; les trouvant plus forts, plus beaux qu’eux, ils désireraient que ces étrangers se fixassent dans leur pays, ou pour les défendre, ou pour leur former, en voyant leurs femmes, des enfants qui régénérassent leur nation. Voilà le but de cette hospitalité qui séduit, et que les sots s’avisent de louer : soyez bien persuadée qu’aucun autre sentiment ne l’a fait naître.

D’autres peuples attendent des jouissances des hôtes qu’ils reçoivent, et les caressent pour s’en servir : ils les foutent. Mais aucune nation, soyez-en bien certaine, n’exerça gratuitement l’hospitalité. Lisez l’histoire de toutes, et vous découvrirez dans toutes les motifs qui les portèrent à recevoir généreusement des hôtes.

Et qu’y aurait-il en effet de plus ridicule que d’accueillir dans sa maison un individu dont on n’attendrait rien ? En vertu de quoi un homme est-il engagé à faire du bien à un autre homme ? La ressemblance morale ou matérielle d’un corps à un autre entraîne-t-elle, pour un de ces corps, la nécessité de faire du bien à l’autre ? J’estime les hommes autant qu’ils me servent ; je les méprise et les déteste même, dès qu’ils ne peuvent m’être bons ; car n’ayant plus alors que des vices à m’opposer et n’étant plus que redoutables à mes regards, je dois les fuir comme des bêtes féroces qui, dès ce moment, ne peuvent plus que me nuire.

L’hospitalité fut la vertu prêchée par le faible : sans asile, sans énergie, n’attendant son bien-être que des autres, il dut assurément préconiser une vertu qui lui préparait des abris. Mais quel besoin le fort a-t-il de cette action ?… Toujours mise en usage par lui, sans jamais en tirer rien, ne serait-ce pas une dupe de s’y soumettre ! Or, je vous demande si une action quelconque peut réellement être réputée pour vertu, quand elle ne sert qu’une des classes de la société ?

Dans quels dangers ceux qui l’exercent ne précipitent-ils pas les infortunés qu’ils hébergent ! En les accoutumant à la fainéantise, ils pervertissent les qualités morales de ces hôtes paresseux, qui finiront bientôt par aller loger de force dans vos maisons, quand votre générosité ne leur en ouvrira plus les portes, comme les mendiants finissent par vous voler, quand vous leur refusez l’aumône. Or, en analysant une action quelconque, que devient-elle, je vous prie, quand d’un côté, vous l’observez comme inutile, et de l’autre, comme dangereuse ? Répondez avec franchise, Juliette, sera-ce d’une telle action que vous oserez faire une vertu ? et si vous voulez être juste, ne reléguerez-vous pas bien plutôt cette action dans le rang des vices ? N’en doutons point, l’hospitalité est aussi dangereuse que l’aumône. Tous les procédés qui émanent de la bienfaisance, sentiment né de la faiblesse et de l’orgueil, tous généralement sont pernicieux sous une infinité de rapports ; et l’homme sage, cuirassant son cœur à tous ces mouvements pusillanimes, doit se garantir, avec le plus grand soin, des funestes suites où ils nous entraînent.

Les habitants d’une des îles Cyclades sont si ennemis de l’hospitalité, qu’ils se rendent absolument inaccessibles aux étrangers. Ils les redoutent et les détestent, au point qu’ils ne prennent jamais avec leurs mains ce que ceux-ci leur offrent : ils le reçoivent entre deux feuilles vertes, et l’attachent ensuite au bout d’un bâton. Si par hasard un étranger touche leur peau, ils se la purifient sur-le-champ, en frottant la place avec des herbes.

On ne traite avec une certaine tribu des Brésiliens, que dans l’éloignement de cent pas, et toujours les armes à la main58.

 Les Africains du Zanguébar sont si ennemis de l’hospitalité, qu’ils massacrent impitoyablement tous ceux qui s’avancent dans leur pays59.

Les Thraces et les habitants de la Tauride pillèrent et tuèrent pendant des siècles tous ceux qui venaient les visiter60.

Les Arabes dépouillent encore aujourd’hui, et réduisent à l’esclavage, tous les êtres que les vents jettent sur leurs côtes.

L’Égypte fut longtemps inaccessible aux étrangers : le gouvernement ordonna de réduire en servitude, ou de tuer, ceux qu’on surprenait le long de la côte.

À Athènes, à Sparte, l’hospitalité était défendue : on punissait de mort ceux qui l’imploraient61.

Plusieurs gouvernements s’arrogèrent des droits sur les étrangers : ils les punissaient de mort, et confisquaient leurs biens.

Le roi d’Achem s’empare de tous les navires qui font naufrage sur ses côtes.

L’insociabilité endurcit le cœur de l’homme, et le rend, par ce moyen, bien plus propre aux grandes actions. De ce moment, le vol et le meurtre s’érigent en vertu, et chez les seules nations où cela arriva, l’on vit de grands traits et de grands hommes.

Au Kamtchatka, le meurtre des étrangers est une bonne action.

Les nègres de Louango portent plus loin l’horreur qu’ils ont pour les vertus hospitalières : ils ne souffrent même pas qu’on enterre un étranger dans leur pays.

L’univers entier, en un mot, nous offre des exemples de la haine des peuples qui l’habitent, pour les vertus hospitalières. Et nous devons conclure de ces exemples et de nos réflexions, qu’il n’est rien, sans doute, de plus pernicieux, de plus contraire à sa propre énergie et à celle des autres, qu’une vertu dont l’objet est d’engager le riche à accorder au pauvre un asile dont celui-ci ne profitera jamais qu’à son détriment et à celui de l’individu qui le lui offre. Deux seuls motifs attirent les étrangers dans un pays, la curiosité ou le plaisir de faire des dupes : dans le premier cas, il faut qu’ils paient ; dans le second, il faut qu’ils soient punis.

— Oh ! Minski, répondis-je, vous me persuadez. Depuis longtemps j’embrassais, sur la charité, sur la bienfaisance, des maximes trop ressemblantes à celle que vous avez sur l’hospitalité, pour ne pas me trouver du même avis que vous dans ce cas-ci. Mais il est encore une chose sur laquelle je vous prie de m’éclairer. Augustine, qui m’était attachée depuis quelque temps, a des parents dans l’infortune, qu’elle me recommanda lorsque nous partîmes, en me priant d’en avoir soin, dans le cas où elle viendrait à leur manquer pendant le voyage : dois-je leur faire tenir quelque récompense ?

— Assurément non, répondit Minski. Et de quel droit devriez-vous donc quelque chose aux parents de votre amie ? quelles prétentions peuvent-ils avoir à vos bienfaits ? Vous avez payé, entretenu cette fille, tant qu’elle vous a servie ; il n’y a aucun rapport entre ses parents et elle ; vous ne devez absolument rien à ses parents. Si vos idées sont bien éclaircies sur le néant du lien fraternel entre les hommes, comme votre philosophie me l’annonce, si votre tête a bien mûri ces idées, vous devez comprendre d’abord, qu’entre Augustine et les services qu’elle vous a rendus, il n’existe aucune espèce de lien, car ces services n’ont plus qu’une action passée, et celle qui les a rendus n’a plus aucune sorte d’action. Il n’y a donc qu’illusion, que chimère, entre l’une et l’autre de ces choses. Le seul sentiment qui pourrait nous rester serait celui de la reconnaissance, et vous savez que la reconnaissance ne saurait exister dans une âme fière. Celui qui refuse un service d’un autre, ou qui, l’ayant reçu, s’imagine ne rien devoir, parce que l’action n’a servi qu’à l’orgueil du bienfaiteur, celui-là, dis-je, est bien plus grand que celui qui s’enchaînant à ce bienfaiteur, lui prépare le plaisir de le traîner à son char comme une victime triomphale. Je vais plus loin, et peut-être vous l’a-t-on déjà dit, mais on doit désirer la mort du bienfaiteur avec lequel on ne s’est pas acquitté ; fût-on même jusqu’à la lui donner, je ne m’en étonnerais pas. Ô Juliette ! comme l’étude et la réflexion servent à connaître le cœur de l’homme, et comme on désire braver ces principes dès que l’on connaît bien celui qui les créa ! car tout est à l’homme, tout vient de l’homme ! et de quel droit voulez-vous me faire respecter ce qui n’est l’ouvrage que de mon semblable ? Oui, je le répète, cette étude bien approfondie, beaucoup de crimes qui paraîtraient atroces aux sots, ne nous semblent plus que tout simples. Qu’on aille dire aux âmes vulgaires que Pierre, ayant reçu cent louis de Paul dans un besoin urgent, lui a plongé un poignard dans le sein pour toute reconnaissance… les imbéciles se déchaîneront, on criera à l’atrocité, et l’âme de ce meurtrier sera pourtant bien plus grande que celle de son adversaire, puisque l’un, en obligeant, n’a sacrifié qu’à son orgueil, et que l’autre n’a pu tenir à voir le sien humilié : et voilà donc l’ingratitude d’une belle action.

Faibles mortels ! comme vous vous composez aveuglément des vices et des vertus ; et comme le plus léger examen met à l’instant les uns à la place des autres ! Tu n’imagines pas, Juliette, l’invincible penchant que j’éprouvai toujours pour l’ingratitude : elle est la vertu de mon cœur, et je me suis senti révolté toutes les fois qu’on a voulu m’obliger. Je disais un jour à quelqu’un qui m’offrait ses services : Ah ! prenez garde que je ne vous prenne au mot, si vous ne voulez pas que je vous déteste.

Cette espèce de charité, d’ailleurs, que vous voulez faire aux parents infortunés d’Augustine, ne retomberait-elle pas dans tous les inconvénients de l’aumône et de la pitié dont vous m’avez paru si persuadée ? Juliette, la charité ne fait que des dupes, la bienfaisance, que des ingrats ; soyez persuadée de ces systèmes, et consolez-vous, puisque je ne vous en rendrai pas la victime.

— Ces principes font également ma félicité, dis-je au géant. Toujours la vertu me fit horreur ; jamais aucun plaisir ne naquit dans mon sein.

Et pour convaincre le Moscovite, je lui racontai par quelle terrible catastrophe toute ma fortune avait été bouleversée pour avoir été vertueuse un jour.

— Je n’ai point de semblables reproches à me faire, dit Minski, et depuis ma plus tendre enfance, pas un instant mon cœur ne fut combattu par ces sentiments pusillanimes dont les effets sont si dangereux. Je hais la vertu comme la religion, je les crois toutes deux aussi funestes l’une que l’autre, et jamais l’on ne me verra plier sous leur joug. Je ne connais pas d’autre remords que celui de n’avoir pas fait assez de crimes. Le crime, en un mot, est mon élément, lui seul me fait vivre et m’inspire, je ne vis que pour lui, et je ne pourrais plus que végéter sur la terre, si je cessais d’en commettre au moins un par heure.

— Avec cette façon de penser, répondis-je au géant, vous devez avoir été le bourreau de votre famille ?

— Hélas ! j’ai manqué mon père, c’est ce qui me désole : j’étais trop jeune quand il mourut. Mais tout le reste a passé par mes mains. Je vous ai déjà dit la mort de ma mère et de ma sœur : j’aurais voulu les voir renaître pour avoir le plaisir de les massacrer encore ; je suis assez malheureux maintenant pour ne pouvoir plus sacrifier que des victimes ordinaires ; mon cœur se blase, je ne jouis plus.

— Ô Minski ! que vous êtes heureux ! m’écriai-je, j’ai, comme vous, tâté de ces plaisirs, mais non pas avec tant d’étendue… Mon ami, vous échauffez ma tête à point prodigieux. J’ai une grâce à vous demander : c’est de me laisser moissonner à l’aise dans vos innombrables possessions. Ouvrez-moi ce vaste champ de crimes et de lubricité, que je le fertilise par du foutre et des cadavre !

— Je le veux, dit Minski, mais j’y mets une condition : je ne vous propose pas de vous sodomiser : je vous crèverais ; mais j’exige de vous l’abandon total de ce jeune homme, dit-il en parlant de Zéphyr.

Je balance… Un poignard à l’instant s’élève sur mon sein.

— Choisissez, dit cet homme féroce, entre la mort ou les plaisirs que peut vous donner ma maison.

Hélas ! malgré mon attachement pour Zéphyr, je cédai… pouvais-je faire autre chose !



Tome huitième



Nous entrâmes dans un autre appartement. Un magnifique déjeuner, des fruits, des pâtisseries, du lait et des boissons chaudes nous furent offerts par de jolis garçons à demi nus, et qui faisaient, en nous présentant les plats, mille caracoles, mille polissonneries plus libertines les unes que les autres. Mes deux hommes et moi déjeunâmes amplement. Pour Minski, des choses plus solides lui furent servies : huit ou dix bouts de boudin fait avec du sang de pucelles et deux pâtés aux couilles parvinrent à le rassasier, dix-huit bouteilles de vin grec délayèrent ces vivres dans son prodigieux estomac. Il fouetta jusqu’au sang une douzaine de ces petits échansons, auxquels il chercha querelle sans aucun fondement. Un d’eux ayant résisté, il lui cassa les deux bras avec le même flegme, que s’il eût fait la chose du monde la plus simple ; il en poignarda deux autres, et nous commençâmes notre inspection.

La première salle dans laquelle nous entrâmes contenait deux cents femmes âgées de vingt à trente-cinq ans. Dès que nous parûmes, et cet usage était consacré, deux bourreaux s’emparèrent d’une victime, et la pendirent nue sur-le-champ à nos yeux. Minski s’approche de la créature accrochée, il lui manie les fesses, il les lui mord, et, dans l’instant, toutes les femmes se rangent sur six rangs. Nous traversâmes et longeâmes ces rangs, afin de mieux voir celles qui les formaient. La manière dont ces femmes étaient vêtues ne déguisait aucun de leurs charmes ; une simple draperie les ceignait, sans voiler ni leur gorge, ni leurs fesses, mais leurs cons ne se voyaient pas : ce raffinement, désiré par Minski, dérobait à ses yeux libertins un temple où son encens ne fumait guère.

À l’une des extrémités de cette salle, en était une moins grande qui contenait vingt-cinq lits. Là se mettaient les femmes blessées par les intempérances de l’ogre, ou celles qui tombaient malades.

— Si l’incommodité devient grave, me dit Minski en ouvrant une des fenêtres de cette salle, voici où je les place.

Mais quel fut notre étonnement, de voir la cour où donnait cette fenêtre, remplie d’ours, de lions, de léopards et de tigres !

— Certes, dis-je, en voyant cet horrible lieu, voilà des médecins qui doivent promptement les tirer d’affaire.

— Assurément. Il ne faut qu’une minute pour les guérir en ce lieu : j’évite par là le mauvais air. De quelle utilité, d’ailleurs, peut être à la luxure une femme flétrie, corrompue par la maladie ? J’épargne des frais, au moyen de ce procédé ; car vous conviendrez, Juliette, qu’une femme malade ne vaut pas ce qu’elle coûte.

La même loi s’exécutait pour les autres sérails.

Minski visite les malades ; six, trouvées seulement un peu plus mal que les autres, sont impitoyablement arrachées de leur lit, et précipitées, sous nos yeux, dans la ménagerie, où elles sont dévorées en moins de trois minutes.

— Tel est, me dit tout bas Minski, l’un des supplices qui irrite le plus mon imagination.

— Je t’en livre autant, mon cher, dis-je au géant, en dévorant ce spectacle des yeux ; mets ta main là, continuai-je, en la lui posant sur mon con, et tu verras si je partage ton délire…

Je déchargeais. Minski, devinant alors que je serais bien aise de lui voir faire une seconde réforme, revisita les lits, et en fit cette fois emporter de malheureuses filles qui n’étaient là que pour quelques blessures presque guéries. Elles frémirent en voyant leur sort. Pour nous en amuser plus longtemps et plus cruellement, nous leur fîmes observer les furieux animaux dont elles allaient devenir la pâture. Minski leur égratignait les fesses, et je leur pinçais les tétons. On les jette. Le géant et moi, nous nous branlons durant leur supplice : je n’ai de ma vie perdu de foutre plus lubriquement.

Nous parcourûmes les autres salles où s’exécutèrent différentes scènes, toutes plus féroces les unes que les autres, et dans lesquelles périt Zéphire, victime de la rage de ce monstre.

— Eh bien ! dis-je au géant, quand ma passion fut satisfaite, convenez que ce que vous vous permettez ici, et ce que j’ai eu la faiblesse d’imiter, est d’une abominable injustice.

— Asseyons-nous, me dit ce libertin en me prenant à part, et écoutez-moi. Avant de me condamner sur l’action que je commets, parce que vous voyez à cette action un vernis d’injustice, il faudrait, ce me semble, mieux asseoir ses combinaisons sur ce qu’on entend par juste et par injuste. Or, si vous réfléchissez bien sur les idées que donnent ces mots, vous reconnaîtrez qu’elles ne sont absolument que relatives, et qu’elles n’ont intrinsèquement rien de réel. Semblables aux idées de vice et de vertu, elles sont purement locales et géographiques, en sorte que, tout comme ce qui est vicieux à Paris se trouve une vertu à Pékin, de même ce qui est juste à Ispahan devient injuste à Copenhague. Les lois d’un pays, les intérêts d’un particulier, voilà les seules bases de la justice. Mais ces lois sont relatives aux mœurs du gouvernement où elles existent, et ces intérêts le sont aussi au physique du particulier qui les a. En sorte que l’égoïsme, comme vous le voyez, est ici la seule règle du juste ou de l’injuste, et qu’il sera très juste, suivant telle loi, de faire mourir un particulier en ce pays-ci pour une action qui lui aurait valu des couronnes ailleurs, tout comme tel intérêt particulier trouvera juste une action qui, néanmoins, sera trouvée très inique par celui qu’elle lésera. Citons quelques exemples. À Paris, la loi punit les voleurs ; elle les récompense à Sparte : voilà donc une action juste en Grèce et fort illégale en France, et par conséquent la justice aussi chimérique que la vertu. Un homme casse les deux bras à son ennemi ; selon lui, il a fait une action très juste : demandez à la victime si elle la voit comme telle. Thémis est donc une déesse fabuleuse, dont la balance est toujours à celui qui la fait pencher, et sur les yeux de laquelle on a eu raison de mettre un bandeau.

— Minski, répondis-je, j’ai toujours ouï dire, cependant, qu’il y avait une sorte de justice naturelle dont l’homme ne s’écartait jamais, ou dont il ne s’écartait pas sans remords.

— Cela est faux, dit le Moscovite, cette prétendue justice naturelle n’est que le fruit de sa faiblesse, de son ignorance ou de ses préjugés, tant qu’il n’aura aucun intérêt à la chose. S’il est le plus faible, il se rangera machinalement de ce côté, et trouvera injuste toutes les lésions du fort sur les individus de sa classe ; devient-il le plus puissant, ses opinions, ses idées sur la justice, changeront sur-le-champ : il n’y aura plus de juste que ce qui le flattera, plus d’équitable que ce qui servira ses passions, et cette prétendue justice naturelle, bien analysée, ne sera jamais que celle de ses intérêts. Réglons toujours nos lois sur la nature, c’est le moyen de ne nous jamais tromper : or, combien d’injustices ne lui voyons-nous pas commettre journellement ? Y a-t-il rien de si injuste que les grêles dont sa main ravage l’espérance du pauvre, tandis que, par un caprice bizarre, la moisson du riche sera respectée, et les guerres dont elle désole le monde entier pour les seuls intérêts du tyran, et les fortunes dont elle permet que le scélérat jouisse, pendant que l’honnête homme est dans la misère ? Ces maladies dont elle dépeuple des provinces entières, ces triomphes multipliés qu’elle donne au vice, pendant qu’elle humilie chaque jour la vertu, cette protection qu’elle accorde journellement au fort sur le faible : tout cela est-il juste, je le demande, et pouvons-nous nous supposer coupables en l’imitant ?

Il n’y a donc aucune espèce de mal à violer tous les principes imaginaires de la justice des hommes, pour s’en composer une à sa guise, qui sera toujours la meilleure quand elle servira nos passions et nos intérêts, parce qu’il n’est que cela seul de sacré dans le monde, et que nous n’avons vraiment tort que toutes les fois que nous préférons des chimères à des sentiments donnés par la nature, véritablement outragée des sacrifices que nous aurions la faiblesse de leur faire. Il est faux, comme le dit votre demi-philosophe Montesquieu, que la justice soit éternelle, immuable, de tous les temps et de tous les lieux : elle ne dépend que des conventions humaines, des caractères… des tempéraments… des lois morales d’un pays. Si cela était, continue le même auteur62, si la justice n’était qu’une suite des conventions humaines, des caractères, des tempéraments, etc., ce serait une vérité terrible qu’il faudrait se déguiser à soi-même… Et pourquoi donc se déguiser des vérités aussi essentielles ? en est-il une seule que l’homme doive éviter ?… Elle serait dangereuse, poursuit Montesquieu, parce qu’elle mettrait toujours l’homme en crainte avec l’homme, et que nous ne serions jamais assurés de notre bien, de notre honneur et de notre vie. Mais quelle nécessité, pour adopter ce misérable préjugé, de s’aveugler sur des vérités aussi grandes… aussi essentielles ? Nous rendrait-il service, celui qui, nous voyant entrer dans une forêt où il aurait été attaqué par des voleurs, ne nous préviendrait pas des dangers qui peuvent nous environner ? Oui, oui, osons dire aux hommes que la justice est une chimère, et que chaque individu n’a jamais que la sienne ; osons le leur dire sans crainte. En le leur annonçant, et leur faisant sentir par là tous les dangers de la vie humaine, nous les mettons à même de s’en garantir, et de s’armer à leur tour d’injustice, puisque ce n’est qu’en devenant aussi injustes, aussi vicieux que les autres, qu’ils pourront se mettre à l’abri de leurs pièges…

La justice, poursuit Montesquieu, est un rapport de convenances qui se trouve réellement entre deux choses, quel que soit l’être qui les considère. Est-il au monde un sophisme plus grand que celui-là ? Jamais la justice ne fut un rapport de convenances existant réellement entre deux choses. La justice n’a aucune existence réelle, elle est la divinité de toutes les passions ; celui-ci la trouve à une chose, celui-là à une autre, et quoique ces choses se contrarient, tous les deux la trouveront juste. Cessons donc de croire à l’existence de cette chimère, et elle n’en a pas plus que le Dieu dont les sots la croient l’image : il n’y a ni Dieu, ni vertu, ni justice dans le monde ; il n’y a de bon, d’utile, de nécessaire que nos passions ; il n’y a de respectable que leurs effets.

Je vais plus loin, et regarde les choses injustes comme indispensables au maintien de l’univers, nécessairement troublé par un ordre équitable de choses. Cette vérité établie, d’où vient donc que je me refuserais à toutes les iniquités conçues par mon esprit, dès qu’il est démontré qu’elles sont utiles au plan général ? Est-ce ma faute, si c’est de ma main qu’il plaît à la nature de se servir pour maintenir l’ordre dans ce monde ? Non, certes, et si ce n’est qu’avec des atrocités, des horreurs, des exécrations qu’on peut arriver à ce but, livrons-nous-y donc sans aucune frayeur : nous avons, en nous délectant, rempli le but de la nature.

Nous continuâmes notre visite des appartements, et nous mîmes en pratique les principes que venait de me développer le géant. Les exécrations que nous y fîmes m’épuisèrent tellement, que je témoignai à Minski le désir de consacrer au repos le reste de la journée.

— Volontiers, me dit-il, je remettrai donc jusqu’à demain à vous faire voir deux pièces de ma maison que vous ne connaissez pas encore, et dont les dispositions et l’examen vous étonneront sans doute.

Je me retirai avec Sbrigani, et me trouvant seule avec l’unique compagnon de voyage qui me restait :

— Mon ami, lui dis-je, ce n’est pas tout que d’être entrés dans le palais du vice et de l’horreur, il faut en sortir. Ma confiance en l’ogre n’est pas assez entière pour prolonger plus longtemps notre séjour chez lui. J’ai des moyens sûrs pour me défaire de ce personnage, après la mort duquel il nous serait bien facile de nous emparer de ses richesses, et de fuir. Mais cet homme est trop nuisible à l’humanité, il est trop dans mes principes pour que j’en prive l’univers. Ce serait jouer ici le rôle des lois, ce serait servir la société, que d’en bannir ce scélérat, et je n’aime pas assez la vertu pour la servir à ce point-là. Je laisserai vivre cet homme si nécessaire au crime : ce ne sera point l’ami du crime qui détruira son sectateur. Il faut le voler, cela est essentiel : il a plus d’argent que nous, et l’égalité fut toujours la base de nos principes. Il faut fuir : par jouissance, et peut-être pour le plaisir de nous dépouiller nous-mêmes, il nous tuerait infailliblement. Arrivons donc à nos deux buts, en le laissant subsister. J’ai du stramonium dans ma poche : endormons-le, volons-le, enlevons ses deux plus belles filles, et fuyons.

Sbrigani combattit quelque temps mon projet : le stramonium, sur un aussi gros corps, pourrait ne pas réussir ; une dose de poison bien violent lui paraissait plus sûre. Telles spécieuses que fussent mes considérations, elles s’évanouissaient devant notre sûreté, et selon Sbrigani, tant que l’ogre vivait, elle n’était pas entière. Mais, ferme dans ma résolution de ne jamais, autant que je le pourrais, faire tomber sous mes coups ceux qui étaient aussi méchants que moi, je persistai. Nous convînmes qu’après avoir endormi l’ogre le lendemain, en déjeunant avec lui, nous le ferions passer pour mort, afin de ne trouver du côté de ses gens aucun obstacle à nous emparer de ses richesses, et que nos opérations faites, nous décamperions aussitôt.

Le plus étonnant succès couronna nos desseins. Peu de minutes après que Minski eut avalé le chocolat dans lequel nous avions glissé le somnifère, il tomba dans une telle léthargie, que nous n’eûmes pas de peine à persuader de sa mort. Son intendant fut le premier à nous supplier de régner à sa place ; nous eûmes l’air d’accepter, et nous étant fait ouvrir le trésor, nous fîmes charger dix hommes de tout ce qu’il contenait de plus précieux. Passant de là au harem des femmes, Élise et Raimonde, deux Françaises charmantes de dix-sept à dix-huit ans, en furent aussitôt enlevées par nous, et nous regagnâmes nos voitures, en assurant à l’intendant de Minski que nous ne tarderions pas à le venir prendre avec le reste ; qu’assurément nous consentions à succéder dans tout à son maître, mais qu’il fallait transporter en plaine d’aussi brillantes possessions, et renoncer à vivre, comme les ours, dans un réduit aussi effrayant. Cet homme, enchanté, facilite tout, accepte tout, et en fut sans doute bien récompensé par le géant, lorsqu’il apprit à son réveil et ses pertes et notre évasion.

Ayant fait mettre dans nos voitures les trésors que nous dérobions, et y étant montés avec nos femmes, nous congédiâmes nos porteurs après les avoir bien récompensés, et leur avoir conseillé de fuir comme nous, et de ne plus rentrer dans une caverne où leurs jours étaient à tout instant menacés. Ils nous le promirent, et l’on se sépara. Nous fûmes, dès le même jour, coucher à Florence où, dès en arrivant, notre premier soin fut d’examiner à l’aise, et nos deux femmes et nos trésors : rien de joli comme ces deux créatures.

Élise, âgée de dix-sept ans, réunissait à toutes les grâces de Vénus, les attraits séduisants de la déesse des fleurs ; Raimonde, un peu plus âgée, avait une figure si piquante, qu’il était impossible de la fixer sans émotion ; toutes deux, nouvellement chez Minski, n’avaient pas encore été touchées, et vous imaginez bien que cette circonstance était l’une de celles qui m’avaient le plus décidée à les choisir. Elles nous aidèrent à compter nos trésors : il y avait six millions en espèces, et quatre en pierreries, en argenterie ou en papiers sur l’Italie. Ah ! comme mes yeux se repaissaient de ces richesses, et qu’il est doux de compter l’or, quand il nous appartient par un crime ! Ces soins remplis, nous nous reposâmes, et je passai dans les bras de mes deux nouvelles conquêtes la plus délicieuse nuit que j’eusse eue depuis longtemps.

Permettez maintenant, mes amis, que je vous entretienne un moment de la superbe ville où nous arrivions bientôt. Ces détails reposeront votre imagination, salie depuis trop longtemps par mes récits obscènes : une telle diversion, ce me semble, ne peut que rendre encore plus piquant ce que la vérité, que vous avez exigée de moi, nécessitera peut-être bientôt.

Florence, ouvrage des soldats de Sylla, embellie par les triumvirs, détruite par Totila, rebâtie par Charlemagne, agrandie aux dépens de l’ancienne ville de Fiésole, dont on ne voit plus aujourd’hui que les ruines, longtemps en butte à des révolutions intestines, subjuguée par les Médicis qui, l’ayant gouvernée deux cents ans, la laissèrent à la fin passer à la maison de Lorraine, est maintenant régie, ainsi que la Toscane dont elle est capitale, par Léopold, archiduc, et frère de la reine de France63, prince despote, orgueilleux et ingrat, crapuleux et libertin comme toute sa famille, ainsi que mes récits vont bientôt l’apprendre.

La première observation politique que je fis en arrivant dans cette capitale, fut de me convaincre que les Florentins regrettaient encore les princes de leur nation, et que ce n’était pas sans peine qu’ils s’étaient soumis à des étrangers. L’extérieur simple de Léopold n’en impose à personne ; toute la morgue allemande éclate, malgré son costume populaire, et ceux qui connaissent l’esprit de la maison d’Autriche savent bien qu’il lui sera toujours plus aisé de feindre des vertus que d’en acquérir.

Florence, située au pied de l’Apennin, est partagée par l’Arno ; cette partie centrale de la capitale de la Toscane ressemble un peu à celle que coupe la Seine, à Paris ; mais il s’en faut que cette ville soit, et aussi peuplée et aussi grande que celle à laquelle nous la comparons un moment. La couleur brune des pierres, qui servent à la construction de ses palais, lui donne un air de tristesse qui la rend désagréable à l’œil. Si j’eusse aimé les églises, j’aurais eu sans doute de belles descriptions à vous faire ; mais mon horreur pour tout ce qui tient à la religion est si forte, que je ne me permets même pas d’entrer dans aucun de ses temples. Il n’en fut pas ainsi de la superbe galerie du grand duc : je fus la voir dès le lendemain de mon arrivée. Je ne vous rendrai jamais l’enthousiasme que je sentis au milieu de tous ces chefs-d’œuvre. J’aime les arts, ils échauffent ma tête ; la nature est si belle, qu’on doit chérir tout ce qui l’imite… Ah ! saurait-on trop encourager ceux qui l’aiment et qui la copient ! La seule façon de lui arracher quelques-uns de ses mystères, est de l’étudier sans cesse ; ce n’est qu’en la scrutant jusque dans ses replis les plus secrets, qu’on arrive à l’anéantissement de tous les préjugés. J’adore une femme de talent : la figure séduit, mais les talents fixent, et je crois que pour l’amour-propre, l’un est bien plus flatteur que l’autre.

Mon guide, ainsi que vous l’imaginez facilement, ne manqua pas de m’arrêter à celle des pièces qui fait partie de cette galerie célèbre, où Cosme Ier de Médicis fut surpris dans une opération assez singulière… Le fameux Vasari peignait la voûte de cet appartement, lorsque Cosme y entra avec sa fille, dont il était fort amoureux : ne se doutant point que l’artiste travaillait dans les combles, ce prince incestueux caressa l’objet de son ardeur d’une manière assez peu équivoque. Un canapé se présente, Cosme en profite, et l’acte se consomme aux regards du peintre, qui, dès le même instant, décampa de Florence, persuadé que l’on emploierait des moyens violents pour étouffer un tel secret, et que celui qui en aurait connaissance serait bientôt mis hors d’état d’en parler. Le Vasari avait raison ; il vivait dans un siècle et dans une ville où le machiavélisme faisait des progrès : il était sage à lui de ne pas s’exposer aux cruels effets de cette doctrine.

On me fit observer, non loin de là, un autel d’or massif, orné de belles pierres précieuses, que je ne vis pas sans les convoiter. Cette immensité de richesses était, m’expliqua-t-on, un ex-voto que le grand-duc Ferdinand second, qui mourut en 1630, offrit à saint Charles Borromée, pour le rétablissement de sa santé. Le présent était en route, lorsque le prince mourut : les héritiers décidèrent assez philosophiquement que, puisque le saint n’avait pas exaucé le vœu, ils étaient exempts de le récompenser, et ils firent revenir le trésor. Que d’extravagances deviennent les fruits de la superstition, et comme on peut assurer avec vérité que, de toutes les folies humaines, celle-là, sans doute, est celle qui dégrade le plus l’esprit et la raison !

Je passai de là à la fameuse Vénus du Titien, et j’avoue que mes sens se trouvèrent plus émus à la contemplation de ce tableau sublime, qu’ils ne l’avaient été des ex-voto de Ferdinand ; les beautés de la nature intéressent l’âme, les extravagances religieuses la font frissonner.

La Vénus du Titien est une belle blonde, les plus beaux yeux qu’on puisse voir, les traits un peu trop prononcés pour une blonde, dont il semble que la main de la nature doive adoucir les charmes comme le caractère. On la voit sur un matelas blanc, éparpillant des fleurs d’une main, cachant sa jolie petite motte de l’autre. Son attitude est voluptueuse, et l’on ne se lasse pas d’examiner les beautés de détail de ce tableau sublime. Sbrigani trouva que cette Vénus ressemblait prodigieusement à Raimonde, l’une de mes nouvelles amies : il avait raison. Cette belle créature rougit innocemment quand nous le lui dîmes ; un baiser de feu, que je collai sur sa bouche de rose, la convainquit à quel point j’approuvais la comparaison de mon époux.

Nous vîmes dans la pièce suivante, nommée la chambre des idoles, une infinité de chefs-d’œuvre du Titien, de Paul Véronèse et du Guide. Une idée bizarre est exécutée dans cette salle. On y voit un sépulcre rempli de cadavres, sur lesquels peuvent s’observer tous les différents degrés de la dissolution, depuis l’instant de la mort, jusqu’à la destruction totale de l’individu. Cette sombre exécution est de cire, colorée si naturellement, que la nature ne saurait être ni plus expressive, ni plus vraie. L’impression est si forte, en considérant ce chef-d’œuvre, que les sens paraissent s’avertir mutuellement : on porte, sans le vouloir, la main au nez. Ma cruelle imagination s’amusa de ce spectacle. À combien d’êtres ma méchanceté a-t-elle fait éprouver ces affreuses gradations !… Poursuivons : la nature me porta sans doute à ces crimes, puisqu’elle me délecte encore, seulement à leur souvenir.

Non loin de là, est un autre sépulcre de pestiférés, où les mêmes gradations s’observent ; on y remarque surtout un malheureux, tout nu, apportant un cadavre qu’il jette avec les autres, et qui, suffoqué lui-même par l’odeur et le spectacle, tombe à la renverse et meurt ; ce groupe est d’une effrayante vérité.

Nous passâmes ensuite à des objets plus gais. La chambre dite la Tribune nous offrit la fameuse Vénus de Médicis, placée au fond de cette pièce. Il est impossible, en voyant ce superbe morceau, de se défendre de la plus douce émotion. Un Grec, dit-on, s’enflamma pour une statue… Je l’avoue, je l’eusse imité près de celle-là. En examinant les beautés de détail de ce célèbre ouvrage, on croit aisément que l’auteur dut, comme la tradition le rapporte, se servir de cinq cents modèles pour le terminer : les proportions de cette sublime statue, les grâces de la figure, les contours divins de chaque membre, les arrondissements gracieux de la gorge et des fesses, sont des traits de génie qui pourraient le disputer à la nature, et je doute que le triple de modèles, choisi sur toutes les beautés de la terre, pût aujourd’hui fournir une créature qui n’eût à perdre à la comparaison ; l’opinion générale est que cette statue nous représente la Vénus maritime des Grecs. Je ne m’appesantirai pas davantage sur un morceau dont les copies se sont autant multipliées ; tout le monde peut la posséder, sans doute, mais personne ne l’appréciera comme moi… L’exécrable dévotion fit autrefois briser ce beau morceau… Les imbéciles ! ils adoraient l’auteur de la nature, et croyaient la servir en détruisant son plus bel ouvrage. On ne s’accorde point sur le nom du sculpteur : l’opinion commune prête ce chef-d’œuvre à Praxitèle, d’autres à Cléomène : qu’importe, elle est belle, on l’admire, c’est tout ce qu’il faut à l’imagination, et quel que puisse être l’auteur, le plaisir que l’on prend à admirer l’ouvrage n’en est pas moins un des plus doux que l’on puisse goûter.

Mes yeux se portèrent de là sur l’Hermaphrodite. Vous savez que les Romains, tous passionnés pour ce genre de monstre, les admettaient de préférence dans leurs libertines orgies : celui-là, sans doute, est un de ceux dont la réputation lubrique fut la mieux établie. Il est fâcheux que l’artiste, en lui croisant les jambes, n’ait pas voulu laisser voir ce qui caractérisait le double sexe ; on le voit couché sur un lit, exposant le plus beau cul du monde… cul voluptueux que Sbrigani convoita, en m’assurant qu’il avait foutu celui d’une semblable créature, et qu’il n’était pas de plus délicieuse jouissance au monde.

Tout près, est un groupe de Caligula caressant sa sœur : ces maîtres orgueilleux de l’univers, loin de cacher leurs vices, les faisaient éterniser par les arts. On voit aussi, dans cette même pièce, la fameuse effigie du Priape, sur lequel les jeunes filles étaient obligées, par dévotion, d’aller frotter les lèvres de leur vagin. Il est d’une telle grosseur, qu’assurément l’introduction en eût été impossible, si par hasard elle eût fait partie des mystères.

On nous montra des ceintures de virginité. Et sur la menace que je fis à mes deux amies de les revêtir de meubles semblables pour être sûre d’elles, la tendre Élise m’assura, délicatement qu’elle n’avait besoin que de l’amour que je lui inspirais, pour être contenue dans les bornes de la plus exacte tempérance.

Nous vîmes ensuite la plus belle et la plus singulière collection de poignards ; quelques-uns étaient empoisonnés. Aucun peuple n’a raffiné le meurtre comme les Italiens : il est donc tout simple de voir chez eux tout ce qui peut servir à cette action, de la manière la plus cruelle et la plus traîtresse.

L’air est très mauvais à Florence ; l’automne y est même mortel : un morceau de pain que l’on laisserait s’imprégner des miasmes de l’Apennin pendant cette saison, empoisonnerait celui qui le mangerait ; les morts subites, les coups de sang, y sont très fréquents alors. Mais comme nous étions au commencement du printemps, je crus pouvoir y passer l’été sans aucun risque. Nous ne couchâmes à l’auberge que deux nuits ; dès le troisième jour, je louai une superbe maison sur le quai de l’Arno, dont Sbrigani faisait les honneurs : je passais toujours pour sa femme, et mes deux suivantes pour ses sœurs. Établie là sur le même pied qu’à Turin et que dans les autres villes d’Italie où j’avais passé, les propositions arrivèrent, aussitôt que nous fûmes connus. Mais un ami de Sbrigani l’ayant prévenu qu’avec de la modération et point trop de promptitude, nous serions peut-être admises aux plaisirs secrets du grand-duc, pendant quinze jours nous refusâmes ce qui se présentait.

Les émissaires du prince arrivèrent enfin. Léopold voulait nous réunir toutes trois aux objets journaliers de ses débauches secrètes, et il y avait mille sequins pour chacune, si notre complaisance était entière.

— Les goûts de Léopold sont despotes et cruels comme ceux de tous les souverains, nous dit l’émissaire, mais vous ne serez point le plastron de ses luxures, vous les servirez seulement.

— Nous serons aux ordres du grand-duc, répondis-je, mais pour mille sequins… non : mes belles-sœurs et moi, nous ne marcherons que pour le triple… Vous reviendrez si cela vous convient.

Le libertin Léopold, qui nous avait déjà lorgnées, n’était pas un homme à renoncer à de telles jouissances pour deux mille sequins de plus. Avare avec sa femme, avec les pauvres, avec ses sujets, le fils de l’Autrichienne ne l’était pas pour ses voluptés. On vient donc nous prendre le lendemain matin pour nous conduire à Pratolino, dans l’Apennin, sur la route par laquelle nous étions arrivée à Florence.

Cette maison, fraîche, solitaire et voluptueuse, avait tout ce qui caractérise un lieu de débauche. Le grand-duc sortait de dîner, quand nous parûmes ; il n’avait avec lui que son aumônier, agent et confident de ses lubricités.

— Mes belles amies, nous dit le souverain, je vais, si vous le trouvez bon, vous réunir aux jeunes objets qui doivent aujourd’hui servir à ma luxure.

— Léopold, répondis-je avec cette noble fierté qui me caractérisa dans tous les temps, mes sœurs et moi, nous nous soumettrons à tes caprices, nous satisferons tes désirs ; mais si tu étais sujet, comme tous les gens de ton espèce, à des fantaisies dangereuses, préviens-nous : notre intention n’étant pas d’entrer, que nous ne soyons sûres de n’avoir rien à craindre.

— Les victimes sont là, nous dit le grand-duc, vous n’êtes que les prêtresses… l’abbé et moi, les sacrificateurs…

— Entrons, dis-je à mes compagnes ; à quelque point que les souverains soient fourbes, on ne risque pourtant rien de les croire quelquefois, surtout lorsque l’on porte avec soi des moyens certains de vengeance…

Et je laissais voir en même temps le bout du manche d’un poignard qui ne me quittait pas depuis que j’étais entrée en Italie.

— Quoi ! me dit Léopold en s’appuyant sur mon épaule, vous attenteriez aux jours d’un souverain ?

— Mon cher, dis-je effrontément, je ne t’attaquerais pas la première, mais si tu t’oubliais avec moi, ceci, poursuivis-je en montrant le poignard, te ferait souvenir que c’est à une Française que tu parles… À l’égard de ton caractère sacré, mon ami, permets-moi d’en rire un instant. Ne t’imagine pas, je t’en prie, que le ciel, en te formant, t’ait donné une existence différente de celle du dernier individu de tes États, et tu n’es pas, pour moi, plus respectable. Zélée partisane de l’égalité, je n’ai jamais cru qu’il y eût sur la terre une créature qui valût mieux qu’une autre, et comme je n’ai pas de foi aux vertus, je n’imagine pas même que les vertus puissent les différencier.

— Mais je suis roi.

— Pauvre homme ! comment oses-tu m’objecter ce titre ? Qu’il est méprisable à mes yeux ! N’est-ce pas le hasard qui t’a mis où tu es ? qu’as-tu fait pour obtenir ton rang ? Le premier qui le mérita, par son courage ou par ses talents, put prétendre à quelque estime, peut-être ; mais celui qui ne l’obtient que par héritage, n’a droit qu’à la compassion des hommes.

— Le régicide est un crime.

— Imaginaire… mon ami : il y a autant de mal à tuer un savetier qu’un roi, et pas plus à massacrer l’un ou l’autre, qu’une mouche ou qu’un papillon, également l’ouvrage de la nature. Crois bien affirmativement, Léopold, que la façon de ton individu n’a pas plus coûté que celle d’un singe, à notre mère commune, et qu’elle n’a pas plus de prédilection pour l’un que pour l’autre.

— J’aime la franchise de cette femme, dit le duc à son aumônier.

— Et moi aussi, monseigneur, répondit l’homme de Dieu ; mais je crains qu’avec cet orgueil, elle n’apporte pas à vos plaisirs toute la subordination qu’ils exigent.

— Erreur que tout cela, M. l’abbé, répondis-je ; fière et franche dans le monde, douce et soumise dans les plaisirs : voilà le rôle d’une jolie courtisane française ; ce sera le mien. Mais si vous me trouvez esclave dans le boudoir, songez que je ne veux l’être que de vos passions, et nullement de votre qualité de souverain. Je respecte les passions, Léopold, j’en ai comme toi, mais je me refuse opiniâtrement aux honneurs des rangs : tu obtiendras de moi tout comme homme, rien comme prince, je t’en avertis ; commençons.

Nous entrâmes. Je ne m’attendais pas à l’espèce de créatures qui nous attendaient dans le voluptueux salon où nous fit passer Léopold, et dans lequel nous nous enfermâmes : c’étaient quatre filles de quinze à seize ans, toutes quatre grosses à pleine ceinture…

— Que diable veux-tu faire de ce gibier ? demandai-je au duc.

— Tu vas l’apprendre, me répondit-il. Je suis père des enfants que ces créatures portent dans leur sein, et je ne les ai faits que pour me donner le délicieux plaisir de les détruire. Je ne connais pas de satisfaction plus grande que celle de faire avorter une femme grosse de moi, et comme ma semence est très prolifique, j’en engrosse une tous les jours, pour me procurer ensuite l’insigne volupté de détruire mon ouvrage.

— Ah ! ah ! dis-je à l’Autrichien, ta passion est assez bizarre : je la servirai de tout mon cœur… Et comment t’y prends-tu pour opérer ?

— C’est ce que tu vas voir, dit Léopold, qui jusque-là ne m’avait parlé qu’à l’oreille. Commençons par leur annoncer le sort qui les attend.

Et, s’approchant des quatre filles, il leur déclare ses intentions. Je vous laisse à juger, mes amis, la douleur où ce perfide arrêt les plongea toutes quatre ; deux s’évanouirent, les deux autres beuglèrent comme des veaux qu’on mène au boucher. Mais Léopold, peu sensible, les fit aussitôt mettre nues par son agent.

— Belles dames, nous dit alors le grand-duc, voudriez-vous bien imiter ces demoiselles, et vous déshabiller de même ? Je ne jouis jamais d’une femme que quand elle est nue, et je soupçonne, d’ailleurs, vos corps assez beaux pour mériter d’être observés sans voiles.

Nous obéîmes, et, dans l’instant, Léopold eut sept femmes nues sous les yeux. Les premiers hommages de ce libertin s’adressèrent à nous : il nous examine, il nous compare, nous éloigne, nous rapproche, et finit enfin cette première scène par nous gamahucher toutes les trois, pendant qu’il se faisait branler alternativement par chacune des femmes grosses. Léopold aimait le foutre ; il ne nous lâcha pas, qu’il ne nous eût fait décharger dans sa bouche au moins trois ou quatre fois chacune. Pendant qu’il nous branlait ainsi, l’abbé nous socratisait, de manière qu’excitées de toutes parts, nous ne lui épargnâmes pas les libations. Au bout d’une heure, l’inconstant changea de temple, et nous faisait successivement langoter par son croque-dieu ; le vilain nous lécha le cul, toujours branlé par les femmes grosses.

— Je bande beaucoup, nous dit Léopold, il est temps d’en venir à quelque chose de plus sérieux. Voici quatre fers rouges, tous marqués, continua-t-il : sur chacun est gravée la condamnation d’une de ces femmes grosses ; je vais leur bander les yeux, et elles viendront elles-mêmes choisir un de ces fers.

On exécute, mais à mesure que le colin-maillard avait choisi son fer, Léopold le lui appliquait tout bouillant sur le ventre. Telles étaient les quatre différentes inscriptions résultatives de ces terribles fers : la plus jeune, celle de quatorze ans, reçut de la main du hasard l’inscription qui portait : « Elle avortera sous les coups de fouet » ; celle d’ensuite, et qui paraissait du même âge, eut pour inscription : « Elle avortera par une boisson » ; la troisième, âgée de quinze ans, eut pour arrêt : « Elle avortera foulée aux pieds » ; la sentence de la quatrième, ayant environ seize ans, fut : « On lui arrachera son enfant du ventre ».

La cérémonie faite, on enleva les bandeaux, et les malheureuses, en se considérant, purent lire leur mutuelle condamnation. Alors Léopold les fit placer toutes quatre debout sur un canapé, bien en face de lui ; il m’étendit sur ce canapé et m’enconna, en réjouissant ses yeux de la perspective de ces quatre ventres bouffis, portant chacun la sentence qui devait les faire fondre. Élise fustigeait pendant ce temps-là Monseigneur, et l’abbé se branlait sur les tétons de Raimonde.

— Léopold, dis-je en foutant, ne m’engrosse pas, je t’en conjure, car il est vraisemblable que si j’avais le malheur d’être fécondée par toi, je pourrais bien accoucher comme ces demoiselles.

— Rien ne serait plus certain, dit le grand-duc en me lançant des yeux et des coups de reins qui n’avaient certainement pas la galanterie pour motif, mais ce qui doit te rassurer, c’est que je décharge difficilement.

Et en même temps, il me quitta pour dépuceler Élise, qui l’étrillait depuis un quart d’heure, et qui fut bientôt remplacée par Raimonde, dont je pris les soins auprès de l’abbé, lequel après moi, prit Élise. On ne vit jamais rien de si roide et de si en colère que les membres de ces deux libertins.

— N’enculons-nous donc pas ? nous dit l’abbé, qui, depuis longtemps, caressait et maniait mon derrière en homme qui avait envie de le foutre.

— Pas encore, dit Léopold, il faut expédier une victime.

La petite fille condamnée à l’avortement par le supplice du fouet fut aussitôt saisie par le souverain qui, armé d’abord d’une simple poignée de verges, ensuite d’un martinet à pointes d’acier, lui travailla près d’une demi-heure le derrière, d’une telle violence qu’il la mit en sang tout d’un coup. Alors la victime fut attachée debout, les mains en l’air et les pieds au parquet, et le duc la frappa d’un nerf de bœuf sur le ventre, avec une force si prodigieuse, que l’embryon se détacha bientôt. La mère crie ; la tête de l’enfant apparaît, et Léopold l’arrachant lui-même, le jette dans le brasier et renvoie la mère.

— Foutez en cul, monseigneur, dit le respectable aumônier : les veines gonflées de votre vit, l’écume dont votre bouche royale est couverte, le feu qui sort de vos yeux, tout annonce le besoin que vous avez d’un cul ; ne craignez pas de perdre votre foutre, vous rebanderez par nos soins, et nous expédierons les autres.

— Non, non, nous dit le grand-duc qui me baisait et me maniait beaucoup pendant toutes ces lubricités, j’ai beaucoup déchargé hier, je ne répondrais pas d’aller à deux fois aujourd’hui : je veux tout expédier avant que de perdre mes forces.

Et la seconde fut prise. Sa sentence portait : « Elle avortera par une boisson ». Le fatal breuvage était là ; la jeune enfant fait beaucoup de difficultés ; le féroce ecclésiastique contient d’une main cette fille par les cheveux, et lui entrouvre de l’autre la bouche avec une lime ; je suis chargée de faire avaler la potion, et le duc, branlé par Élise, manie pendant ce temps-là mes fesses et celles de la victime… Quel effet ! grand Dieu ! je n’en aurais jamais soupçonné de semblable. À peine ce venin dangereux a-t-il atteint les entrailles de la petite personne, qu’elle jette des cris terribles ; elle se débat, elle se roule à terre, et l’enfant paraît. Cette fois-ci, c’est l’abbé qui le retire. Léopold, trop agité, nous maniait si lubriquement, Élise et moi, pendant que Raimonde le suçait, qu’il lui fut impossible d’opérer ; je crus qu’il allait partir : il se retire à temps.

La troisième fille est liée sur le dos par terre : c’était en la foulant aux pieds que son fruit devait périr. Soutenu par Élise et moi, pendant que Raimonde, à genoux, le corps de la victime entre ses jambes, lui branle le vit sur ses tétons, le libertin trépigne d’une manière si forte l’estomac de la malheureuse, qu’elle pond son fruit. Il est précipité comme les autres dans le brasier, sans prendre seulement la peine d’examiner le sexe, et la mère plus morte que vive, est promptement expulsée.

Si la dernière était la plus belle, elle était aussi la plus malheureuse. On devait lui arracher l’enfant du ventre : je vous laisse à penser quel supplice !

— Elle n’en reviendra pas, celle-ci, nous dit Léopold, ce sont à ses affreuses douleurs que ma décharge sera due. Cela devait être, puisque c’est celle des quatre qui, quand je les foutis, me donna le plus de plaisir : la petite putain devint grosse le jour même où je lui fis perdre son pucelage.

On l’étend sur une croix diagonale qui, relevée en bosse sur son milieu, lui tenait le ventre dans une extrême hauteur. Les quatre membres furent fortement comprimés, rabaissés, et recouverts ensuite de manière à ce que l’on n’apercevait exactement plus que la masse ronde et boursouflée qui contenait l’enfant. L’abbé opère… Léopold, bien en face, m’encule… de chacune de ses mains, il branle, à droite le con d’Élise, à gauche le con de Raimonde. Et pendant que le perfide aumônier fend en quatre le ventre de la victime, et la précipite au tombeau en lui arrachant son fruit, le grand successeur des Médicis, le célèbre frère de la première putain de France, me décharge un torrent de foutre dans le trou du cul, en blasphémant comme un crocheteur.

— Mesdames, nous dit le duc pendant qu’il essuyait son vit, en vous accordant à chacune les trois mille sequins que vous avez exigés, j’ai compté payer le secret.

— Il sera sévèrement gardé, répondis-je, mais j’y mets une condition.

— Est-ce à toi de parler ainsi ?

— Assurément… et tes crimes me donnent des droits, dès que je peux te perdre en les divulguant.

— Voilà ce que c’est, monseigneur, dit l’abbé, que de se mettre ainsi à la disposition de ces coquines : ou il ne faut jamais leur rien laisser voir, ou il faut les tuer dès qu’elles ont vu. Toutes ces commisérations-là vous perdront ou vous ruineront, je vous l’ai dit cent fois ; est-ce à vous à composer avec de pareilles gueuses ?

— Doucement, l’abbé, répondis-je, le ton que tu prends serait, au plus, convenable avec des coquines comme celles que ton patron et toi vous voyez, sans doute, ordinairement : il ne l’est pas avec des femmes de notre rang qui, peut-être aussi riches que toi, dis-je en m’adressant au duc, se prostituent par goût et non par avarice. Terminons cette discussion ! le duc a besoin de nous, nous avons besoin de lui : que des services mutuels rétablissent ici la balance. Léopold, nous te jurons le plus profond secret, si tu nous assures de ta part l’impunité la plus entière, tout le temps que nous habiterons Florence. Jure-nous que, quelque chose que nous fassions dans tes États, nous n’y serons jamais recherchées sur rien.

— Je pourrais me soustraire à cette inquisition, dit Léopold, et, sans me souiller du sang de ces créatures, je pourrais les convaincre qu’il y a ici, comme à Paris, des châteaux où l’on sait contraindre les indiscrets au silence. Mais je n’aime pas ces moyens avec des femmes qui me paraissent aussi libertines que moi : je vous accorde l’impunité que vous me demandez, pour vous, votre mari et vos sœurs, seulement l’espace de six mois : sortez après de mes États, je vous l’ordonne.

Obtenant tout ce que je voulais, je ne crus pas devoir répliquer, et après avoir remercié Léopold, reçu l’argent et ses promesses bien en règle, nous prîmes congé de lui et nous retirâmes.

— Il faut jouir de ce jubilé, me dit Sbrigani dès qu’il eut su notre arrangement, et tâcher de ne pas quitter Florence sans ajouter au moins trois millions à ceux que nous avons déjà. Ce qui me déplaît, c’est que cette nation-ci est vilaine et pauvre ; enfin, nous prendrons tout ce que l’on ne nous offrira pas, et puisque nous avons six mois à nous, c’est assez pour une bonne récolte.

Les mœurs sont très libres à Florence. Les femmes se costument comme des hommes, ceux-ci comme des filles. Il y a peu de villes dans toute l’Italie où l’on aperçoive un penchant plus décidé pour trahir son sexe, et cette manie leur vient assurément de l’extrême besoin qu’ils ont de les déshonorer tous deux. Les Florentins, passionnés pour la sodomie, obtinrent autrefois une indulgence plénière des papes pour ce vice, sous quelque rapport qu’on pût le considérer. L’inceste et l’adultère s’y montrent également sans aucun voile : les maris cèdent leurs femmes, les frères couchent avec leurs sœurs, les pères avec leurs filles. Le climat, dit ce bon peuple, est l’excuse de notre dépravation, et le Dieu qui nous y fit naître ne s’étonnera pas des excès où lui-même nous porte. Il y avait autrefois, à Florence, une loi fort singulière à ce sujet. Il était impossible, le jeudi gras, qu’une femme refusât la sodomie à son époux : si elle s’en avisait, et que celui-ci s’en plaignît, elle risquerait de devenir la fable de la ville. Heureuse, mille fois heureuse la nation assez sage pour ériger ses passions en lois ! Il n’y a d’extravagante que celle qui, par des principes aussi stupides que barbares, au lieu d’allier prudemment l’un et l’autre, contrarie, par des lois absurdes, tous les penchants de la nature.

À quelque point cependant que soit porté le dérèglement des mœurs à Florence, on n’y souffre aucune raccrocheuse dans les rues. Les putains ont un quartier séparé dont elles ne peuvent sortir, et dans lequel règnent le plus grand ordre et la plus extrême tranquillité. Mais ces filles, rarement jolies, sont d’ailleurs assez mal logées ; et l’observation de ces lieux de débauche n’offre d’autres circonstances singulières à l’examinateur philosophe, que l’extrême complaisance de ces victimes publiques qui, trop heureuses de vous attirer par leur résignation, vous présentent indifféremment toutes les parties de leur corps, et souffrent même avec assez de patience, sur chacune d’elles, tout ce qui plaît à la cruauté libertine de leur imposer. Sbrigani et moi, nous en avons battu, fouetté, souffleté, estropié, brûlé, sans que jamais, comme en France, une seule plainte se soit fait entendre. Mais si le putanisme est secret et peu abondant à Florence, le libertinage n’y est pas moins excessif, et les murs épais, reculés, des gens riches, recèlent bien des infamies : une infinité de malheureuses, conduites furtivement dans ces criminelles enceintes, y laissent bien souvent l’honneur et la vie.

Peu de temps avant mon arrivée, un riche particulier de cette ville, ayant violé deux petites sœurs de sept ou huit ans, fut accusé par la famille de ces enfants de les avoir fait mourir après en avoir joui : quelques sequins étouffèrent les plaintes, et l’on n’en parla plus.

À peu près vers ce temps, une célèbre maquerelle fut soupçonnée de mener tous les jours chez de grands seigneurs de jeunes bourgeoises arrachées du sein de leur famille. Interrogée sur le nom de ceux auxquels elle avait fourni, elle compromit une telle quantité de gens en place, à commencer par le souverain, que la procédure fut brûlée, et qu’on lui défendit d’en dire davantage.

Presque toutes les femmes de qualité, à Florence, sont dans l’habitude de se prostituer dans des bordels ; leur misère et leur tempérament les y portent. Il n’y a point de ville en Europe où la constitution de l’État mette les femmes plus mal à leur aise, et il y en a peu où leur libertinage soit plus étendu. Le sigisbéat n’est qu’un voile ; rarement le sigisbée a des droits sur la femme qu’il sert ; placé là comme l’ami de l’époux, il accompagne cette femme quand elle le veut et la quitte quand elle l’ordonne. Ceux qui croient que le sigisbée est un amant sont dans une grande erreur : il est l’ami commode de la femme, quelquefois l’espion du mari, mais il ne couche point, et c’est sans doute, de tous les rôles, le plus plat à jouer en Italie. Si un étranger riche paraît dans le monde, et le mari et le sigisbée, tout se retire, tout cède la place à celui sur la bourse duquel on se fonde, et j’ai souvent vu le complaisant époux sortir de la maison pour quelques sequins, quand l’étranger témoigne le plus petit désir d’entretenir madame seule.

Je vous ai donné cette légère esquisse des mœurs florentines, afin de vous faire voir, pour les escroqueries, pour les débauches que nous méditions, ce que nous donnaient, ou ce que nous refusaient, les usages du peuple dont nous voulions, et dont nous pouvions, nous amuser six mois avec impunité.

Sbrigani crut que, pour mieux réussir dans nos projets, il fallait ériger notre manoir plutôt en un lieu célèbre de débauches qu’en une maison de jeu. Perfide insatiabilité de l’avarice ! n’avions-nous pas suffisamment de quoi vivre, sans frayer de nouveau la route du crime ? Mais, la quitte-t-on quand on y est !

Nous fîmes donc courir des billets, pour prévenir le public que les hommes trouveraient à toute heure, chez nous, non seulement de jolies petites bourgeoises, mais même des femmes de première qualité, et les dames furent également averties qu’elles trouveraient toujours chez nous des hommes et des jeunes filles pour leurs voluptés secrètes. Comme nous réunîmes à cela le local le plus agréable et le plus délicieusement meublé, et la table la plus splendide, nous eûmes promptement toute la ville. Nous formions, mes compagnes et moi, le fond de la maison ; mais au moindre ordre, au plus léger désir, nous avions, dans les deux sexes, ce qu’il était possible de se procurer de plus délicieux. Tout se payait exorbitamment cher, mais on était merveilleusement servi. Par les soins de mes deux compagnes, dressées à l’escroquerie, il s’égarait infiniment de bourses et de bijoux ; mais on avait beau se plaindre, la protection qui nous était accordée repoussait tout, et nous triomphions de toutes les vaines dénonciations qu’on osait faire sur notre conduite.

Le premier qui parut fut le duc de Pienza. Sa passion est assez singulière pour vous être détaillée. Il fallait seize jolies filles au duc ; on les arrangeait par couples, une coiffure égale caractérisait chaque couple. J’étais dans un sofa près de lui, et nue comme les couples ; seize musiciens, tous jeunes, jolis, et également nus, étaient placés à droite sur des gradins. Chaque couple devait paraître à son tour. Avant qu’il n’entrât, le duc me confiait l’attitude ou la volupté qu’il exigeait de ce couple, on prévenait les musiciens du secret, et c’était par le son plus ou moins fort des instruments que le couple parvenait à deviner ce qu’il avait à faire. Devinait-il ? la musique cessait, et le duc enculait les deux filles. Ne devinait-il pas (et le temps était réglé pour cela, chaque couple n’avait que dix minutes), les deux filles étaient alors fustigées jusqu’au sang par notre libertin, qui, comme vous l’imaginez facilement, goûtait d’abord le plus grand plaisir aux détails.

Le premier secret qu’on offrit à la divination du premier couple fut de venir sucer tour à tour le vit du paillard ; parfaitement guidées par la musique, elles devinèrent : elles furent sodomisées. Le secret du second couple fut de venir me lécher le con ; il ne le trouva pas : le fouet s’ensuivit. La troisième passion à deviner fut de venir fouetter le duc : elles devinèrent ; la quatrième d’aller branler le vit des musiciens : elles ne le trouvèrent pas ; la cinquième de chier au milieu de la chambre : le fouet devint bientôt la punition de n’avoir pas deviné cette saleté. Le sixième couple pénétra qu’il s’agissait de se branler ensemble. Le septième ne trouva jamais qu’il fallait se fouetter mutuellement, et il le fut vigoureusement par le duc. La musique fit, enfin, parfaitement deviner au huitième qu’il fallait enculer le héros avec des godemichés, et ce fut le moment qu’il choisit lui-même pour me décharger dans le cul. Tout fut dit.

Il y avait environ trois mois que nous menions une vie aussi délicieuse que lucrative, lorsqu’une affreuse trahison de ma part vint augmenter mes fonds de cent mille écus.

De toutes les femmes qui fréquentaient ma maison avec le plus d’assiduité, la jeune ambassadrice d’Espagne était celle qui s’y distinguait le plus par ses excessives débauches. Femmes, filles, garçons, castrats, tout était bon pour elle, et la putain, quoique jeune et jolie comme un ange, était si débordée, si impure, qu’elle exigeait que je lui fisse voir des portefaix, des crocheteurs, des valets, des gadouards, tout ce que la crapule, enfin, peut avoir de plus vif et de plus rabaissé. Voyait-elle des femmes ? c’étaient des coureuses de corps de garde ; et s’il y avait eu quelque chose de plus horrible et de plus affreux, je l’eusse bien mieux satisfaite en le lui procurant. Une fois enfermée chez moi avec cette canaille, la coquine s’en donnait sept ou huit heures de suite, et faisait succéder les plaisirs de la table à ceux de Vénus ; elle finissait sa journée par perdre la raison au sein des plus sales débauches.

L’ambassadrice avait un mari fort dévot, très jaloux, auquel elle faisait croire que tout le temps de ses absences se passait chez une amie qui, comme elle, fréquentait ma maison avec la plus grande assiduité.

Voyant un grand parti à tirer de tout cela, je vais trouver un jour l’ambassadeur.

— Excellence, lui dis-je, un homme comme vous ne mérite pas d’être trompé : la femme qui porte votre nom est indigne de vous posséder. Je vous conjure de vous éclaircir ; vous le devez à votre honneur, à votre tranquillité.

— Moi, trompé ? répondit l’ambassadeur, cela est impossible : je connais trop ma femme.

— Vous ne la connaissez pas, monseigneur ; vous êtes loin de soupçonner les affreux excès où elle se livre, et je veux en convaincre vos yeux mêmes.

Florella, confondu hésite un moment ; il ne sait s’il osera ajouter aux malheureux soupçons que je jette en son âme la conviction que je lui offre. Revenant de là, néanmoins, avec plus de fermeté que je ne lui en aurais soupçonné :

— Êtes-vous en état de me prouver ce que vous me dites, madame ? me demanda-t-il.

— Ce soir même, monseigneur, si vous l’exigez. Voilà mon adresse, trouvez-vous chez moi sur les cinq heures, vous verrez quels sont les gens que choisit votre épouse pour vous perdre et vous déshonorer.

L’ambassadeur accepte. Voilà qui va à merveille.

— Monseigneur, dis-je alors, mais prenez garde à la perte énorme que je fais en vous dénonçant votre épouse. C’est moi qui lui fournis des hommes, et elle me les paie fort cher ; une fois punie par vous, je ne la reçois plus : ou rien de fait, ou je veux être indemnisée.

— Cela est juste, dit Florella, combien exigez-vous ?

— Cinquante mille écus.

— Les voilà dans ce portefeuille ; je les porterai avec moi, ils seront à vous si vous m’éclairez.

— Tout est dit, monseigneur, je vous attends.

Mais je ne bornais pas à cette seule ruse l’horreur que je méditais sur ce malheureux ménage. En faisant tomber la femme dans un piège, j’y voulais envelopper le mari, et vous allez voir les moyens que j’employai pour y réussir. Je vais trouver l’ambassadrice.

— Madame, lui dis-je, vous vous gênez pour votre mari, vous le croyez sage, et vous prenez des précautions pour éviter ses reproches : venez ce soir de bonne heure chez moi ; je vous ferai voir qu’il enfreint les liens conjugaux, pour le moins avec autant d’impunité que vous, et sa conduite alors vous mettant à l’aise, vous devez, de ce moment, renoncer à toutes les précautions qui troublent journellement vos plaisirs.

— Je m’étais doutée de ce que tu m’apprends, me répondit l’ambassadrice, et je ne te cache pas que j’en recevrai la conviction avec bien du plaisir : quand veux-tu me la donner ?

— Ce soir même ; une partie délicieuse vous attend chez moi, vous le savez : six crocheteurs de vingt ans, beaux comme l’Amour. Eh bien ! trois jeunes garçons, également demandés par votre époux, doivent ce soir assouvir sa luxure.

— Le monstre

— Il est bougre.

— Ah ! je ne m’étonne plus de ses persécutions pour m’enculer… de ses fantaisies… de ses beaux laquais… Oh ! Juliette, fais-moi voir cela, je t’en supplie… Il faut absolument que je sache tout.

— J’y consens, mais je le perds en vous le dévoilant, et sa pratique est encore meilleure que la vôtre.

— Eh bien, qu’exiges-tu ? demande, Juliette, il n’est pas de sacrifice que je ne sois prête à faire pour acquérir ma tranquillité.

— Serait-ce trop de cinquante mille écus ?

— Les voilà dans ce portefeuille, pars et compte sur moi.

Les deux rendez-vous assurés, je vole préparer tout. Le piège de la femme était sûr : son libertinage naturel l’y enveloppait. Celui que je préparais à l’époux ne l’était pas autant. Il fallait de l’art, de la séduction : j’avais affaire à un Espagnol… à un dévot. Rien ne m’effraya. Les lieux des scènes assez bien distribués, pour qu’au moyen d’une fente pratiquée d’un appartement à l’autre, le mari pût se voir outrager par sa femme, et la femme par son mari, j’attends patiemment mes deux dupes. L’époux arrive le premier.

— Monseigneur, lui dis-je, après la manière dont votre femme se conduit, vous ne devez plus, ce me semble, gêner vos goûts et vos plaisirs.

— Non ; je n’aime point ces sortes de choses.

— Avec des femmes, j’en conviens, il y a tant de dangers ! Mais, tenez, monseigneur, ces jolis enfants, poursuivis-je en levant un rideau derrière lequel j’avais fait cacher, tout nus et simplement ornée de guirlandes de roses, trois petits garçons plus beaux que l’Amour même… ces Ganymèdes délicieux, vous conviendrez que leur jouissance ne vous prépare aucun regret ; il n’y a nulle conséquence à cela, en vérité : on se conduit si mal avec vous !…

Et tout en discourant, les jolis poupons, par mes ordres, entouraient l’Espagnol, le baisaient, le cajolaient, et mettaient à l’air, malgré lui, sa virilité chancelante. L’homme est faible, et les dévots surtout, quand on leur offre des garçons. On ne se doute pas de l’extrême analogie qui se trouve entre les croyants en Dieu et les bougres.

— Monseigneur, dis-je, dès que les choses furent en train, je vais vous laisser ; quand votre épouse sera à l’ouvrage, je viendrai vous en donner avis, et, convaincu par vos yeux de ses affreuses infidélités, vous vous gênerez moins dans les vôtres.

Je vole à l’ambassadrice ; elle venait d’entrer.

— Regardez, madame, lui dis-je en la plaçant au trou, voyez à quoi monsieur votre mari passe son temps…

Et vraiment le cher homme, bien loin de soupçonner le piège qu’on lui tendait, séduit par mes propos, par les beautés qui l’environnaient, presque nu au milieu de ces trois enfants, jouissait déjà des plus doux préludes de la lubricité sodomite.

— Oh ! l’exécrable homme ! dit l’ambassadrice… en voilà assez. Qu’il vienne maintenant critiquer ma conduite… Ah ! comme il sera reçu ! Oh ! Juliette, tout cela est affreux… Mes hommes ! mes hommes ! que je me venge, Juliette ! que je me venge avec usure.

Et, ayant mis en train les lubricités de la femme, je ne suis pas longtemps à les aller faire observer au mari.

— Mille pardons, si je vous dérange, monseigneur, dis-je en entrant, mais voici l’instant, je ne veux pas qu’il vous échappe. Tenez, lui dis-je en le conduisant à un trou différent de celui par lequel lui-même avait été vu par sa femme, examinez comme on vous trahit.

— Ô ciel ! dit Florella… Avec six hommes, et de quelle espèce encore !… Oh ! la scélérate !… Juliette, voilà votre argent ; ce spectacle est un coup de foudre pour moi… je ne puis achever… reprenez ces enfants… ne me parlez jamais de plaisir. Ce monstre empoisonne ma vie… je suis au désespoir.

Peu m’importait que ses lubricités se terminassent ou non, sa femme les avait vues commencer, c’était tout ce qu’il me fallait. Ce qu’il y eut de délicieux pour ma maudite tête, c’est que les choses n’en restèrent point là, et ma petite méchanceté fut bien réjouie, quand j’appris que, deux jours après, l’ambassadrice avait été poignardée. Cette aventure fit le plus grand bruit. Cent émissaires publièrent à l’instant l’histoire, et chargèrent le duc, qui, ne pouvant résister à ses remords, ne pouvant soutenir le poids de l’infamie, prêt à tomber sur sa tête, se brûla la cervelle. Mais je n’avais pas coopéré à cette mort, à peine en étais-je la seconde cause : cette idée me désespérait. Voici ce que j’entrepris, quelques jours après, pour m’en consoler et m’en dédommager en même temps.

Tout le monde sait que les Italiens font un grand usage de poisons : l’atrocité de leur caractère se trouve en action par cette manière de servir leur vengeance ou leur lubricité. J’avais récompensé avec Sbrigani, tous ceux dont la Durand m’avait donné les recettes : j’en vendais de tous les genres ; une infinité de gens venaient s’en fournir chez moi, et cette branche de commerce me valait un argent immense.

Un jeune homme assez joli, dont j’avais été parfaitement foutue, et qui faisait journellement des orgies chez moi, vint me conjurer de lui en donner un pour sa mère, qui gênait vivement ses plaisirs, et dont il attendait une énorme succession. Tant d’excellents motifs le déterminaient à se débarrasser fort vite de cet Argus, et comme l’individu était ferme dans ses principes, il ne balançait nullement à commettre une action qui lui paraissait aussi simple. Il m’avait demandé un poison violent, et surtout très prompt. Je lui en vendis au contraire un lent, mais sûr, et, dès le lendemain de la conclusion du marché, je vais trouver la mère. L’opération devait être faite : mon jeune homme était trop pressé pour attendre. Mais comme le venin ne devait agir qu’au bout de quelques jours, on ne pouvait encore s’apercevoir de rien. Je révèle à la mère tous les desseins du fils :

— Madame, lui dis-je, vous êtes perdue sans mes soins ; mais votre fils n’est pas seul dans cet affreux complot formé contre vos jours : ses deux sœurs y trempent également, et c’est l’une d’elles qui est venue me demander le poison nécessaire à trancher le fil de vos jours.

— Oh, ciel ! vous me faites frémir !

— Il est d’affreuses vérités dans le monde : bien pénible est le soin de ceux que l’amour de l’humanité contraint à les dévoiler. Il faut vous venger, madame, il le faut au plus vite. Je vous apporte ce que ces monstres voulaient vous donner ; usez-en sur eux dans l’instant : la plus juste des lois est celle du talion. N’ébruitez rien, vous vous déshonoreriez, vengez-vous en silence. Il n’y a pas le moindre mal à préparer aux autres le supplice qu’ils cherchaient à nous infliger : vous serez louée de tous les honnêtes gens.

Je parlais à la femme la plus vindicative de Florence ; je le savais. Elle prend mes poudres, me les paye. Dès le lendemain, elle les mêle aux aliments de ses enfants, et comme ce venin-ci était fort actif, le frère et les deux sœurs expirèrent à la fois ; huit jours après, la mère les suivit. Tous ces enterrements passèrent devant ma porte.

— Sbrigani, dis-je en les entendant, fous-moi, mon ami, pendant que, courbée sur cette fenêtre, mes yeux vont se fixer sur mon ouvrage. Fais rapidement et chaudement jaillir un foutre que, depuis huit jours, les horreurs où je me livre font extraordinairement bouillonner ; il faut que je décharge en voyant mes forfaits.

Vous allez peut-être me demander pourquoi j’avais enveloppé les deux filles dans cette terrible proscription ? le voici. Elles étaient belles comme des anges ; j’avais depuis deux mois fait l’impossible pour les séduire, elles avaient toujours résisté : en fallait-il davantage pour allumer mon courroux contre elles ? Et la vertu n’est-elle pas toujours un tort aux yeux du crime et de l’infamie ?

Vous imaginez facilement, mes amis, qu’au milieu de toutes ces perfides scélératesses, ma lubricité personnelle ne s’oubliait pas. Maîtresse de choisir parmi les hommes superbes et les sublimes femmes que je procurais aux autres, vous croyez bien que je commençais par prendre ce qui me convenait le mieux : mais les Italiens bandent mal, et leur santé, d’ailleurs, toujours suspecte, me jeta totalement dans le saphotisme. La comtesse de Donis était pour lors la femme la plus belle, la plus riche, la plus élégante et la plus tribade de Florence ; elle passait publiquement pour m’entretenir, et ce n’était pas sans quelque fondement.

Mme de Donis était veuve, trente-cinq ans, faite à peindre, d’une figure charmante, beaucoup d’esprit, remplie de grâces. Attachée à elle et par les nœuds du libertinage, et par les liens de l’intérêt, nous nous livrions ensemble aux dérèglements de l’impudicité les plus bizarres et les plus monstrueux. J’avais appris à la comtesse l’art d’aiguillonner ses plaisirs par tous les raffinements de la cruauté, et la putain, dirigée par moi, était déjà presque aussi scélérate ; nous faisions des horreurs ensemble.

— Ô mon amie ! me disait-elle un jour, combien d’espèces de désirs échauffe l’idée d’un crime ! Je la compare à une étincelle qui met rapidement le feu à tout ce qu’elle trouve de combustible… dont le ravage s’accroît en raison des aliments qu’elle rencontre, et qui se termine par produire en nous un incendie qu’on n’éteint plus qu’avec des flots de foutre. Mais, Juliette, il doit y avoir une théorie sur cela comme sur tout, il doit y avoir des principes, des règles… Je brûle de les connaître. Instruis-moi mon ange ; tu vois mes dispositions, mes penchants ; apprends-moi, mon amour, à régler tout cela.

— Femme adorable, répondis-je, croyez que j’aime trop mon écolière pour ne pas la former tout à fait. Prêtez-moi tant soit peu d’attention, et je vais vous dévoiler les principes qui m’ont conduite où vous me voyez. Voici, ma chère comtesse.

Lorsque vous avez envie de commettre un crime, quelles sont les précautions générales que vous devez employer, abstraction faite des particulières que la nature seule des événements doit prescrire ? Combinez d’abord votre projet plusieurs jours à l’avance, réfléchissez sur toutes ses suites, examinez avec attention ce qui pourra vous servir… ce qui serait susceptible de vous trahir, et pesez ces choses avec le même sang-froid que s’il était sûr que vous dussiez être découverte. S’il s’agit d’un meurtre, souvenez-vous qu’il n’y a pas un seul être au monde assez parfaitement isolé pour que ses attenances ne puissent nuire ; quelles qu’elles soient, elles le réclameront tôt ou tard. Considérez donc, avant que de vous livrer, et la manière de leur répondre, et celle de leur imposer silence. Une fois déterminée, agissez seule autant qu’il vous sera possible ; si vous êtes obligée d’employer un complice, intéressez-le tellement à votre crime, liez-le si fortement à l’action, qu’il lui devienne impossible de vous perdre. L’intérêt est le premier mobile des hommes ; ne doutez donc point, d’après cela, que si vous avez négligé ces précautions, et que le complice ait du profit à vous trahir… un profit plus grand que celui qu’il trouve à garder votre secret, ne doutez pas, dis-je, qu’il ne vous trahisse, surtout s’il est faible, et qu’il croie trouver à l’aveu un moyen d’apaiser sa conscience.

Si vous devez retirer quelque bénéfice de votre crime, cachez soigneusement cet intérêt ; n’en paraissez jamais occupée dans le public, car c’est là ce qui vous trahira ; il vous échapperait des propos involontaires produits par votre préoccupation, et, quand l’action sera commise, on se rappellera ces propos ; ils deviendront dès lors des probabilités, et bien souvent des semi-preuves. Si le crime commis a doublé votre fortune, ne changez rien de longtemps ni à votre train, ni à votre aisance : on partirait encore de là pour vous rechercher.

Tâchez d’être seule après l’action faite ; cela est d’autant plus nécessaire à ceux qui débutent, que la figure est le miroir de l’âme : les muscles de notre physionomie s’arrangent malgré nous à l’effet qui vient d’être reçu dans notre intérieur. Évitez, par le même motif, de rien mettre sur le tapis qui soit analogue à cette action ; car si c’est la première fois que vous l’avez commise, vous vous embarrasserez vous-même en en parlant, et si c’est, au contraire, un crime d’habitude, un crime qui soit en possession de vous donner du plaisir, on pourra lire sur votre physionomie les impressions flatteuses que viendront y peindre ce qui aura du rapport à cette action. Accoutumez-vous en général à être tellement maîtresse du jeu de votre figure, qu’elle puisse perdre insensiblement cette habitude de mettre à découvert les passions dont vous êtes émue ; faites-y régner le calme et l’indifférence, et tâchez d’acquérir le plus de sang-froid possible dans cette situation. Or, tout cela ne s’obtient que par la plus grande habitude dans le vice, et le plus entier endurcissement de l’âme ; l’une et l’autre de ces choses vous étant nécessaires, je dois donc vous les conseiller vivement.

Si vous n’étiez pas sûre de n’avoir point de remords, et vous ne le serez jamais que par l’habitude du crime, si, dis-je, vous n’en étiez pas bien certaine, inutilement travailleriez-vous à vous rendre maîtresse du jeu de votre physionomie : il viendrait la décomposer sans cesse et vous trahir à tous les instants. Ne restez donc point en chemin : vous seriez la plus malheureuse des femmes, si vous ne commettez qu’un seul délit. Ou ne commencez pas, ou plongez-vous entièrement dans l’abîme, dès que vous avez mis le pied sur le bord. La multitude seule de vos forfaits étouffera le remords… fera naître la douce habitude qui les émousse si bien, et assurera à votre physionomie le masque nécessaire à tromper les autres. Ne combinez rien d’ailleurs sur l’atrocité du crime, elle ne doit être d’aucun poids dans la balance ; ce n’est point l’atrocité qui fait punir, c’est l’éclat et plus le crime est violent, plus il suppose des précautions. Il est donc presque impossible de faire un crime atroce sans précautions, au lieu que l’on les néglige dans les petits, et voilà d’où vient qu’ils éclatent. L’atrocité n’est que pour vous : et qu’importe, dès que votre conscience est à l’épreuve ? tandis que l’éclat est contre vous : il faut donc le redouter avec soin.

Mettez l’hypocrisie en pratique ; elle est nécessaire dans le monde, où l’usage n’est guère que de vous peser à votre balance : on suppose rarement des crimes à celui chez lequel on voit de l’indifférence pour tout. Chacun n’est pas si malheureux, ni si maladroit que Tartuffe. Ce n’est pas d’ailleurs, comme Tartuffe, jusqu’à l’enthousiasme des vertus qu’il faut porter l’hypocrisie, c’est seulement jusqu’à l’indifférence du crime. Vous n’êtes pas idolâtre de la vertu, mais vous n’aimez pas le crime, et cette sorte d’hypocrisie ne se fait jamais découvrir, parce qu’elle laisse en paix l’orgueil des autres, que le genre d’hypocrisie du héros de Molière afflige nécessairement.

Évitez les témoins avec le même soin que vous emploieriez à choisir vos complices, et, s’il vous est possible, n’ayez ni l’un, ni l’autre. Ce n’est jamais que l’un ou l’autre, et souvent tous les deux, qui mènent le criminel au supplice64. Quand vos moyens sont bien pris, vous n’avez plus affaire de ces gens-là. Ne dites jamais : Mon fils, mon valet, ma femme ne me trahira point, parce que si ces sortes de gens-là le veulent, ils ont une manière de vous dénoncer que la loi adopte, et qui ne vous perdra pas moins.

N’ayez surtout jamais aucun recours à la religion ; vous êtes perdue si vous lui rendez son empire ; elle vous bourrellera, elle remplira votre âme de crainte et de chimères, et vous finirez par vous rendre vous-même votre premier délateur. Toutes ces choses pesées et combinées de sang-froid (car je veux bien que vous conceviez le crime dans le délire des passions, je vous y exhorte même, mais je veux que, conçu dans l’ivresse, il soit combiné dans le calme), alors, jetez un coup d’œil sur vous-même, voyez ce que vous êtes, ce que vous pouvez ; examinez votre fortune, vos moyens, votre crédit, vos emplois ; voyez jusqu’à quel point la loi peut vous atteindre, de quelle trempe est l’égide que vous trouvez des motifs d’assurance dans tout cela ; allez en avant ; mais une fois que vous êtes décidée, ne vous arrêtez plus. Quand vous n’aurez aucun reproche à vous faire du côté de la prudence, ne vous étonnez pas si vous êtes découverte. Dans le fait, quel est le pis-aller ? Une mort très douce et très prompte. Autant là que dans son lit ; en vérité, l’on y souffre moins, et c’est bien plus tôt fait ; qu’importe le déshonneur ! vous ne le ressentirez pas, puisque vous n’existerez plus : et ce n’est pas un individu philosophe qui s’alarme de ce qui peut refluer sur une famille, dont il s’inquiète fort peu. Craindrez-vous celui qui pourrait vous accabler, à supposer que l’on se contente de vous noter d’infamie, sans vous ravir le jour ? Quelle chimère !… et qu’est-ce que l’honneur ? Un mot vide de sens, qui n’est rien en lui-même… qui dépend de l’opinion des autres, et qui, par cette seule définition, ne doit ni nous flatter quand nous en jouissons, ni nous alarmer quand nous le perdons. Osons croire, avec Épicure, que la réputation et l’honneur étant des choses qui ne dépendent point de nous, il faut savoir s’en passer quand on ne peut les acquérir. Souvenez-vous enfin qu’il n’y a pas de crime au monde, quelque médiocre qu’il soit, qui n’apporte un plus grand plaisir à celui qui le fait, que le déshonneur ne peut lui apporter de peine. En vit-on moins, pour être flétri ? Et que m’importe, si mon aisance et mes facultés me restent ! C’est dans elles que je trouve mon bonheur, et non dans une vaine opinion qui ne saurait dépendre de moi, puisqu’on voit tous les jours dans le monde des gens perdus d’honneur et de réputation, trouver pourtant une existence, une considération à laquelle ne pourraient jamais prétendre des êtres faibles qui auraient encensé la vertu toute leur vie.

Voilà, ma chère comtesse, les avis que je donnerais au vulgaire. Voyez maintenant combien votre état, votre personnel, votre richesse, votre crédit, vous assurent de repos et d’impunité ; vous êtes au-dessus des lois par votre naissance, de la religion par votre esprit, de vos remords par votre sagesse… Eh ! non, non ! il n’est point d’égarement que vous ne deviez caresser, aucun dans lequel vous ne deviez vous plonger aveuglément.

Néanmoins, je vous dirai sans cesse : évitez l’éclat, toujours il nuit, sans apporter une nuance de plus au plaisir ; je vous dirai : choisissez bien vos complices, parce que vous ne pouvez vous en passer dans votre état ; mais votre fortune vous les assure : enchaînez-les par des bienfaits, et ils ne vous trahiront point ; s’ils l’osaient avec vous, d’ailleurs, que de risques n’auraient-ils pas à courir ? ne les feriez-vous pas punir la première ? Vous voyez donc que ce qui forme une barrière impénétrable aux autres est à peine un lien de fleurs à vos yeux.

Après vous avoir un peu sermonnée, je vais maintenant, ma belle amie, vous indiquer le plus joli secret pour découvrir quelle est l’espèce de crime qui doit le mieux amuser votre tempérament ; car, pour la chose, il vous la faudra toujours. Vous êtes de tournure à ce que le crime doive vous échauffer sans cesse ; avant que de vous divulguer mon secret, je vais vous expliquer pourquoi je conçois ainsi votre tempérament.

L’excès de votre sensibilité est extrême ; mais vous en avez dirigé les effets de manière qu’elle ne peut plus vous porter maintenant qu’au vice. Tous les objets extérieurs qui ont quelque genre de singularité mettent dans une irritation prodigieuse les particules électriques de votre fluide nerveux, et l’ébranlement, reçu sur la masse des nerfs, se communique à l’instant sur ceux qui avoisinent le siège de la volupté. Vous y sentez aussitôt des chatouillements ; cette sensation vous plaît, vous la flattez, vous la renouvelez ; la force de votre imagination vous y fait concevoir des augmentations, des détails… l’irritation devient plus vive, et vous multiplieriez ainsi, si vous vouliez, vos jouissances à l’infini. L’objet essentiel est donc, pour vous, d’étendre, d’aggraver. Je vais vous dire quelque chose de bien plus fort : mais ayant franchi toutes barrières comme vous l’avez fait, n’étant plus retenue par quoi que ce soit, il faut que vous alliez loin. Ce ne sera donc plus qu’à l’excès le plus fort, le plus exécrable, le plus contraire aux lois divines et humaines, que s’enflammera désormais votre imagination. Ainsi, ménagez-vous, car malheureusement les crimes ne s’offrent pas à nous en raison du besoin que nous avons de les commettre, et la nature, en nous créant des âmes de feu, devait au moins nous fournir un peu plus d’aliment. N’est-il pas vrai, ma belle amie, que vous avez déjà trouvé vos désirs bien supérieurs à vos moyens ?

— Oh ! oui, oui, répondit en soupirant la belle comtesse.

— Je connais cet état affreux, il fait le malheur de mes jours ; quoi qu’il en soit, voici mon secret65. Soyez quinze jours entiers sans vous occuper de luxures, distrayez-vous, amusez-vous d’autres choses ; mais jusqu’au quinzième ne laissez pas même d’accès aux idées libertines. Cette époque venue, couchez-vous seule, dans le calme, dans le silence et dans l’obscurité la plus profonde ; rappelez-vous là tout ce que vous avez banni depuis cet intervalle, et livrez-vous mollement et avec nonchalance à cette pollution légère par laquelle personne ne sait s’irriter ou irriter les autres comme vous. Donnez ensuite à votre imagination la liberté de vous présenter, par gradation, différentes sortes d’égarements ; parcourez-les tous en détail ; passez-les successivement en revue ; persuadez-vous bien que toute la terre est à vous… que vous avez le droit de changer, mutiler, détruire, bouleverser tous les êtres que bon vous semblera. Vous n’avez rien à craindre là : choisissez ce qui vous fait plaisir, mais plus d’exception, ne supprimez rien ; nul égard pour qui que ce soit ; qu’aucun lien ne vous captive ; qu’aucun frein ne vous retienne ; laissez à votre imagination tous les frais de l’épreuve, et surtout ne précipitez pas vos mouvements ; que votre main soit aux ordres de votre tête et non de votre tempérament. Sans vous en apercevoir, des tableaux variés que vous aurez fait passer devant vous, un viendra vous fixer plus énergiquement que les autres, et avec une telle force, que vous ne pourrez plus l’écarter ni le remplacer. L’idée, acquise par le moyen que je vous indique, vous dominera, vous captivera ; le délire s’emparera de vos sens, et vous croyant déjà à l’œuvre, vous déchargerez comme une Messaline. Dès que cela sera fait, rallumez vos bougies, et transcrivez sur vos tablettes l’espèce d’égarement qui vient de vous enflammer, sans oublier aucune des circonstances qui peuvent en avoir aggravé les détails ; endormez-vous sur cela, relisez vos notes le lendemain, et en recommençant votre opération, ajoutez tout ce que votre imagination, un peu blasée sur une idée qui vous a déjà coûté du foutre, pourra vous suggérer de capable d’en augmenter l’irritation. Formez maintenant un corps de cette idée, et, en la mettant au net, ajoutez-y de nouveau tous les épisodes que vous conseillera votre tête. Commettez ensuite, et vous éprouverez que tel est l’écart qui vous convient le mieux, et que vous exécuterez avec le plus de délices. Mon secret, je le sens, est un peu scélérat, mais il est sûr, et je ne vous le conseillerais pas si je n’en avais éprouvé le succès.

Belle et divine amie, poursuivis-je en voyant mon écolière s’enflammer à mes leçons, permettez-moi de joindre encore quelques conseils à ceux que je viens de vous offrir : votre bonheur seul m’intéresse, et c’est pour lui que je veux travailler.

Il y a deux observations essentielles à faire lorsque l’on est décidé à commettre un crime d’amusement : la première est de lui donner toute l’extension dont il est susceptible ; la seconde est qu’il soit d’une telle force qu’on ne puisse jamais le réparer. Cette dernière circonstance est d’autant plus nécessaire, qu’elle étouffe le remords ; car ce qui console du remords, quand on l’a ressenti, c’est presque toujours l’idée de pouvoir l’apaiser ou l’anéantir par la réparation du mal que l’on a fait. Cette idée l’endort, et ne l’éteint pas ; à la plus petite maladie, au plus petit calme des passions, il reparaît et vous désespère. Si, au lieu de cela, l’action commise est d’un tel genre qu’elle ne vous laisse plus le moindre espoir de la réparer, la raison, dans ce cas, anéantit le remords : à quoi servirait-il de se repentir d’un mal que rien ne réparera jamais ? Cette réflexion, souvent présentée, l’extirpe entièrement, et dans quelque situation que vous puissiez vous trouver, vous ne le sentez plus. En ajoutant à cela la multiplicité, vous achèverez de vous calmer tout à fait. D’un côté, l’impossibilité de la réparation, de l’autre, celle de pouvoir deviner duquel il faut se repentir davantage, et la conscience s’étourdit et se tait alors à tel point, que vous devenez capable de prolonger le crime au delà même des bornes de la vie ; ce qui vous fait voir que cette situation de la conscience a cela de particulier sur les autres affections de l’âme, de s’anéantir en raison de ce qu’on l’accroît.

Les premiers principes bien inculqués, rien ne doit plus vous arrêter. Je conviens que vous ne pourrez vous procurer cette situation tranquille qu’aux dépens d’autrui ; mais vous vous la procurerez. Et qu’importe le prochain, quand il est question de soi ! Si trois millions de victimes ne devaient pas, en les immolant, vous procurer une volupté plus vive que celle de faire un bon dîner, tel mince que fût ce plaisir, eu égard à son prix, vous ne devez pas pourtant balancer un instant à vous le donner ; car il résulterait nécessairement une privation pour vous du sacrifice de ce bon dîner, et il n’en résulterait aucune de la perte des trois millions de créatures indifférentes qu’il faudrait sacrifier pour l’obtenir, parce qu’il existe une correspondance, telle légère qu’elle soit, entre ce bon dîner et vous, et qu’il n’en existe aucune entre vous et les trois millions de victimes. Or, si le plaisir que vous attendez de leur perte devient une des plus voluptueuses sensations que vous puissiez faire éprouver à votre âme, je vous demande si vous devez même balancer un instant66 ?

Tout dépend de l’anéantissement total de cette absurde fraternité dont on nous inculque l’existence avec l’éducation. Brisez totalement ce lien chimérique, ne lui laissez plus nul empire, convainquez-vous qu’il n’existe absolument rien entre un autre homme et votre individu, et vous verrez que vos plaisirs s’étendront d’un côté, pendant que vos remords s’éteindront de l’autre. Il n’importe nullement que le prochain éprouve une sensation douloureuse, s’il n’en résulte rien pour vous. Ainsi, voilà un cas où la perte des trois millions de victimes doit vous être indifférente ; vous ne devez donc pas vous opposer à cette perte, quand même vous le pourriez, puisqu’elle est utile aux lois de la nature ; mais il importe extrêmement que cette perte ait lieu, si elle vous délecte, parce qu’entre elle et votre plaisir il n’y a aucune proportion : tout doit être à l’avantage de la sensation que vous goûtez. Vous devez donc travailler à cette perte sans remords, si vous pouvez le faire avec prudence ; non que la prudence soit une vertu par elle-même, mais elle est bonne par les avantages que l’on en retire. Ce n’est pas non plus qu’elle soit toujours nécessaire, car elle glacerait souvent les plaisirs ; il faut néanmoins l’employer dans certains cas, parce qu’elle assure l’impunité, et que l’impunité est un des plus grands et des plus divins attraits du crime ; mais comme elle tient, pour ainsi dire, à vos richesses, à votre considération, à votre crédit, vous avez moins besoin de prudence qu’une autre. Ainsi vous pouvez la négliger à votre aise, et surtout quand vous la croirez susceptible d’émousser vos plaisirs.

La comtesse, enthousiasmée des conseils que je lui donnais, m’embrassa mille fois pour me remercier.

— Je veux essayer ton secret, me dit-elle : ne nous voyons pas de quinze jours. Fidèle observatrice de tes recommandations, je te jure de ne voir absolument personne ; nous passerons une nuit ensemble, après cet intervalle, je te rendrai compte de mes idées, et nous travaillerons à les réaliser.

À l’époque prescrite, la comtesse ne manqua pas de me faire avertir ; un souper délicieux nous attendait. Après nous être échauffées par la bonne chère et par les vins les plus délicats, on ferma les portes, et nous nous enfonçâmes dans une niche moelleuse que l’art et l’opulence paraissaient avoir préparée pour les plus savantes recherches de la luxure.

— Ô Juliette ! me dit alors la comtesse en se précipitant sur mon sein, j’ai besoin des ombres qui nous environnent pour oser t’avouer le résultat de tes perfides secrets. Jamais peut-être un crime plus atroce ne se conçut, il est affreux… mais je bande en le complotant… je décharge en croyant m’y livrer… Ô mon amour, comment te confier cette horreur ? Où nous emporte une imagination déréglée ! où la satiété, l’abandon des principes, l’endurcissement de la conscience, le goût des vices, et l’usage immodéré de la luxure, n’entraînent-ils pas une faible et malheureuse créature !… Tu connais, Juliette, ma mère et ma fille ?

— Assurément.

— L’une, ma mère, à peine âgée de cinquante ans, possède encore tous les attraits de la beauté. Tu sais qu’elle m’adore. Aglaé, ma fille, âgée de seize ans… Aglaé que j’idolâtre, avec laquelle je me suis branlée deux ans de suite, comme ma mère l’avait fait avec moi… eh bien, Juliette, ces deux créatures…

— Achève donc.

— Ces deux femmes qui devraient m’être si chères, je veux m’abreuver de leur sang… Je veux que toi et moi, couchées l’une sur l’autre dans une baignoire, pendant que nous nous branlerons toutes les deux… je veux, dis-je, que le sang de ces putains nous inonde, je veux que nous en soyons couvertes… je veux que nous y nagions… je veux que ces deux femmes, que j’abhorre aujourd’hui, expirent à nos yeux de cette manière… Je veux que nous nous embrasions de leurs derniers soupirs, et que, plongées ensuite toutes deux au fond de cette même baignoire, ce soit sur leurs cadavres et dans leur sang que nous couronnions nos derniers plaisirs.

Mme de Donis, qui n’avait pu cessé de se branler pendant l’aveu qu’elle me faisait, s’évanouit en déchargeant. Singulièrement échauffée moi-même de ce que je venais d’entendre, j’eus toutes les peines du monde à la faire revenir ; elle m’embrassa dès qu’elle eut ouvert les yeux.

— Juliette, me dit-elle, je t’ai dit des horreurs ; mais tu vois, à l’état où elles m’ont mise, l’effet prodigieux qu’elles font sur mes sens… Je suis loin de me repentir de ce que j’ai dit ; j’exécuterai ce que j’ai conçu, et cela sans délai : il faut que cette infamie remplisse demain notre journée…

— Belle et délicieuse amie, dis-je à cette femme charmante, vous n’avez pas craint, je me flatte, de trouver un censeur en moi ! Je suis loin de blâmer vos idées, mais je leur demande quelques recherches et quelques épisodes. Il me paraît que des choses délicieuses pourraient se joindre à tout cela. De quelle manière prétendez-vous que vos victimes répandent sur nous tout leur sang ? N’est-il donc pas essentiel, au complément de votre jouissance, qu’il ne coule que par les plus violents supplices ?

— Ah ! me répondit vivement la comtesse, crois-tu que ma perversité ne les ait pas déjà conçus… arrangés ? Je veux que ces supplices soient aussi longs qu’affreux, je veux dix heures de suite m’enivrer de leurs exécrations, je veux que nous déchargions vingt fois l’une sur l’autre, en nous repaissant des cris des victimes, en nous repaissant de leurs larmes. Ah ! Juliette ! poursuivit cette femme emportée, en me polluant avec autant d’ardeur qu’elle en employait sur elle-même, tout ce que mon âme épanche dans la tienne n’est que le fruit de tes conseils… de tes instructions. Que de titrez cette cruelle vérité me donne à ton indulgence !… Écoute, Juliette, puisque j’ai autant fait que de m’ouvrir à toi sur des désirs aussi dangereux, il faut que j’achève de te faire une confidence, et que je te demande, en même temps, ton secours dans une affaire bien importante pour moi. Aglaé est fille de mon mari, voilà pourquoi je la déteste ; son père avait le même rang dans mon cœur, et si la nature n’eût pas accompli mes vœux, j’employais l’art pour la contraindre à me satisfaire… tu m’entends ? Je possède une autre fille dans le monde : un homme que j’idolâtrais en est le père. Fontange, c’est le nom de ce gage chéri de ma passion, est maintenant âgée de treize ans ; on l’élève à Chaillot, près Paris. Je veux lui faire un sort considérable. Tiens, Juliette, continua Mme de Donis en me remettant un fort gros portefeuille, voilà cinq cent mille francs que je soustrais à mes héritiers légitimes ; quand tu retourneras à Paris, tu placeras cette somme sur la tête de ma fille ; tu la garderas près de toi, tu la marieras, tu feras son bonheur. Mais il faudra que tout ait l’air d’émaner de ta bienveillance ; une conduite différente trahirait bientôt mon secret : mes héritiers chicaneraient ce don, il serait perdu pour ma fille. Je me fie à toi, ma chère Juliette : jure-moi de protéger à la fois mes horreurs et mes bonnes actions. Il y a dans ce portefeuille cinquante mille francs de plus qu’il ne faut, que je te supplie d’accepter… Eh bien ! jures-tu de servir en même temps de bourreau aux deux êtres que je viens de condamner, et de protectrice à la charmante créature que je t’abandonne ? Oh ! mon amie, tu vois ma confiance ; tu m’as dit cent fois que les rouées ne se nuisaient pas entre elles : démentiras-tu cette maxime ? Je ne le crains pas… mon amour, j’attends ta réponse.

Infiniment plus sûre de tenir parole à la comtesse, en lui promettant de la servir dans un crime que dans l’accomplissement d’une bonne œuvre, et sachant déjà à quoi m’en tenir sur l’une et l’autre des propositions qu’elle me faisait, je promis néanmoins toutes les deux.

— Chère amie, dis-je à la comtesse en l’embrassant, votre volonté sera remplie ; soyez sûre qu’avant un an, votre chère Fontange jouira du sort que vous lui destinez. Mais dans ce moment-ci, mon amour, ne nous occupons, je vous supplie, que de l’exécution projetée : vous n’imaginez pas comme la vertu me refroidit quand mon âme est entière au crime.

— Ah ! Juliette, me dit Mme de Donis, tu blâmes peut-être cette bonne action ?

— Non, me hâtai-je de répondre, et j’avais mes raisons pour me presser, non, certes, je ne blâme rien, mais je ne voudrais pas que nous liassions deux objets si distants l’un de l’autre.

— Eh bien ! me répondit la comtesse, ne nous occupons que de celui qui vient de me faire un effet si prodigieux. Tu m’as promis des détails, Juliette, j’en ai quelques-uns dans la tête, communiquons-nous nos idées : je veux voir si nos imaginations se répondent.

— Eh bien, dis-je, il faut d’abord que la scène soit transportée à la campagne ; les luxures cruelles ne sont bonnes que là ; le silence et la tranquillité dont on y jouit ne se rencontrent point ailleurs ; il faut ensuite mêler à tout cela quelques détails luxurieux… Aglaé est-elle vierge ?

— Assurément.

— Il faut que ses prémices s’immolent sur les autels du meurtre ; il faut que ses deux mères la présentent au sacrificateur, il faut…

— Ah ! que les supplices soient effrayants ! interrompit brusquement la comtesse.

— Sans doute, mais ne les arrangeons pas ; que les circonstances nous en fournissent l’idée : ils seront mille fois plus voluptueux.

Le reste de la nuit se passa dans tout ce que le saphotisme peut avoir de plus recherché. Nous nous baisâmes, nous nous suçâmes, nous nous dévorâmes ; toutes deux, armées de godemichés, nous nous portâmes mutuellement les coups les plus redoutables. Et, ayant tout disposé pour aller passer quelques jours à Prato, où la comtesse avait une superbe maison, nous remîmes l’exécution de notre délicieux projet à huitaine.

Mme de Donis avait su conduire très adroitement sa mère et sa fille dans cette campagne, sous le prétexte d’un voyage de six mois, pendant lequel elle prétexterait quelque maladie qui lui ravirait les victimes que sa rage seule devait sacrifier. De mon côté, je devais mener Sbrigani et deux valets sûrs, dont je pouvais répondre comme de moi-même. Nous nous trouvâmes donc à Prato, le jour indiqué, huit personnes en tout : mon amie et moi, Sbrigani, les deux valets, la mère, la fille et une vieille duègne à Mme de Donis, qui depuis longtemps la servait dans tous ses désordres.

À peine connaissais-je Aglaé ; seulement alors, je l’examinai avec beaucoup plus d’attention. Il n’y avait rien au monde de si joli que cette jeune personne : il régnait autant d’agréments que de délicatesse dans ses formes, sa peau était d’une blancheur et d’une finesse incroyables, de grands yeux bleus qui ne demandaient qu’à s’animer, les plus belles dents, les plus beaux cheveux blonds. Mais tout cela flottait sans art : Aglaé n’était pas pétrie par les grâces, elle n’en était que caressée. Vous n’imaginez pas l’impression que me fit cette jeune personne ; aucune femme, depuis bien longtemps, ne m’avait émue avec autant de force.

Une idée me vint aussitôt : changeons de victime, me dis-je, le fidéicommis dont me charge la comtesse, n’est-il pas son arrêt de mort ? Si j’ai bien sincèrement, comme je l’éprouve, le désir de voler cet argent, ne dois-je pas attenter tout de suite aux jours de celle qui me le confie ? Je viens ici pour commettre des crimes ; celui qui termine les jours de la fille ne satisfait que mon libertinage, celui qui tranchera les jours de la mère échauffera de même mes passions, et contentera, de plus, bien amplement mon avarice : j’aurai les cinq cent mille francs, sans être obligée d’en rendre aucun compte, deux jolies filles à ma disposition, et, de plus, le meurtre raffiné d’une femme avec laquelle je me suis assez longtemps branlée pour n’en vouloir plus. Quant à la vieille mère, oh ! qu’elle y passe, rien de plus simple ; faisons grâce, au moins jusqu’à nouvel ordre, à cette douce et charmante créature dont je ne suis pas encore rassasiée.

Ces idées, fort applaudies de mon époux à qui j’en fis part, nous firent prendre le parti d’envoyer sur-le-champ l’ordre à mes femmes de disparaître aussitôt avec nos richesses, et d’aller nous attendre à Rome, où nous devions aller en quittant Florence. Nos intentions furent exécutées avec toute l’exactitude et la ponctualité que je devais attendre de deux femmes qui m’étaient aussi sincèrement attachées qu’Élise et Raimonde. Dès le même jour, je persuadai à Mme de Donis que, pour la sûreté et la perfection de l’œuvre qu’elle méditait, il devenait indispensable de renvoyer toute sa maison, et de faire venir au contraire, à sa campagne, tout ce qu’elle possédait d’or et de bijoux, afin d’avoir au moins cette ressource, S’il nous arrivait quelque malheur dans l’exécution de notre projet. Entrant au mieux dans la perfide sagesse de ces précautions, Mme de Donis, qui ne soupçonnait pas celles que je prenais de mon côté, voulut encore faire dire à tous ses amis qu’elle allait en Sicile, et qu’elle prenait congé d’eux pour six mois. Et ne conservant absolument que la vieille duègne dont je viens de parler, l’imprévoyante créature se livra tout entière à nous… Il devenait impossible de mieux tomber dans le piège que nous lui tendions pour la perdre. Dès le second jour, tout fut en ordre, et la comtesse, à nous, avait avec elle six cent mille francs d’effets, un portefeuille de deux millions et trois mille sequins de numéraire ; pour toute défense, une vieille femme ; tandis que j’avais, moi, indépendamment de Sbrigani, deux vigoureux valets pour nous aider.

Ces dispositions faites, comme je m’amusais infiniment de l’idée de faire commettre à la fille le crime dont la mère voulait la rendre victime, j’engageai la comtesse à nous tranquilliser trois ou quatre jours, avant de rien entreprendre, et de remettre au vendredi suivant notre expédition.

— Usons, lui dis-je, de ruse et de contrainte jusque-là. Puisque nous sommes à la veille de perdre cette charmante Aglaé, avec laquelle vous ne me faites faire connaissance que pour m’en séparer aussitôt, laissez-moi du moins passer avec elle les deux ou trois nuits qui doivent précéder nos opérations.

La comtesse était tellement aveuglée sur mon compte, que rien au monde ne pouvait lui ouvrir les yeux. Voilà les fautes où tombent presque toujours ceux qui méditent des forfaits : éblouis par leurs passions, ils ne voient absolument qu’elles, et, persuadés que leurs complices ont autant d’intérêt ou de plaisir à partager les actions dont il s’agit, ils ferment absolument les yeux sur tout ce qui peut éloigner, ou refroidir les autres, du projet dont ils sont enivrés. Mme de Donis consentit à tout ; Aglaé eut ordre de me recevoir dans son lit, j’en profitai dès le même soir. Ô mes amis, que de charmes ! Ne me soupçonnez ici ni d’enthousiasme, ni de métaphore, mais je n’exagère en vérité pas, lorsque je vous assure qu’Aglaé aurait pu servir seule de modèle à celui qui ne trouva même pas, dans les cent plus belles femmes de la Grèce, assez de beautés pour en composer la sublime Vénus que j’avais admirée chez le grand-duc. Jamais, non, jamais je n’avais vu de formes si délicieusement arrondies, un aussi voluptueux ensemble et des détails si intéressants ; rien d’étroit comme son joli petit con, rien de potelé comme son charmant petit cul, rien de frais, rien de moulé comme sa gorge, et je vous proteste à présent, de sang-froid, qu’Aglaé était bien la plus divine créature que j’eusse encore fêtée de ma vie. À peine eus-je découvert tous ses charmes, que je les dévorai de caresses et, passant rapidement de l’un de ses attraits à l’autre, il me semblait toujours que je n’avais pas encore assez caressé celui que je quittais. La jolie petite friponne, douée du tempérament le plus lascif, se pâma bientôt dans mes bras. Élève de sa mère, la coquine me branla comme Sapho ; mais les savantes langueurs de mes voluptés, mes angoisses, mes crispations, mes tiraillements de nerfs, mes spasmes, mes soupirs, mes blasphèmes, tous ces attributs de la corruption réfléchie, tous ces symptômes de la nature défaillante et vigoureusement irritée, mes propos, mes baisers, mes attouchements, mes descriptions lascives, tout l’étonna, tout alarma sa gentille innocence, et elle finit par m’avouer que sa mère était bien loin de mes luxurieuses recherches. Enfin après les heures les plus voluptueuses, après avoir déchargé, de toutes les manières possibles, cinq ou six fois chacune, après nous être baisées, sucées à toutes les parties de notre corps, nous être mordues, pincées, langotées, fouettées, après avoir fait, en un mot, tout ce qu’il est possible d’inventer de plus crapuleux, de plus sale, de plus débordé, de plus inconcevable, je tins à cette charmante personne à peu près le discours suivant :

— Chère fille, lui dis-je, j’ignore où vous en êtes pour les principes, et si la comtesse, en vous donnant les premières leçons du plaisir, s’est occupée de cultiver votre âme ; mais quoi qu’il en puisse être, ce que j’ai à vous révéler est trop important pour que je puisse vous le cacher une minute. Votre mère, la plus fausse, la plus indigne, la plus criminelle des femmes, a conspiré contre vos jours : demain, vous devez être sa victime, si vous ne parez pas le coup, en le dirigeant la première.

— Oh, ciel ! que m’apprenez-vous ? dit Aglaé en frémissant.

— La vérité, ma chère, elle est affreuse, mais je vous la devais.

— Voilà donc la cause du refroidissement qu’elle me témoigne depuis quelque temps, des traitements…

— Quels traitements avez-vous donc essuyée d’elle ?

Aglaé m’avoua que sa mère, devenue cruelle dans le plaisir, la tourmentait, la souffletait, la fustigeait, et lui disait les choses les plus dures. Curieuse de savoir jusqu’à quel point la Donis avait porté le désordre et l’égarement dans les voluptés qu’elle s’était permises avec sa fille, je découvris qu’elle exigeait de cette enfant un de ces écarts libidineux dont la violence hâte le dégoût. Sensible à tous les genres de libertinage possibles, cette mère impudique n’avait plus avec sa fille de jouissance que celle de la faire chier dans sa bouche, et elle avalait.

— Cher amour, dis-je à cette jeune personne, vous auriez dû mettre plus de retenue dans les faveurs que vous avez accordées à votre mère ; trop de complaisance a fait naître la satiété : il n’est plus temps, l’heure est venue, il ne s’agit que de la prévenir.

— Mais comment échapper ?

— Il n’est pas question d’échapper. Je ne vous propose point de parer ce coup, Aglaé, je ne vous conseille que de le porter vous-même.

Et, ici, je jouis véritablement de la petite méchanceté que je faisais ; car, dans le premier cas, je ne servais que la passion d’une scélérate ; dans celui-ci, je séduisais une jeune fille naturellement douce, vertueuse ; je la déterminais au parricide, et quelque mérité qu’il fût, n’était-ce pas toujours un crime ? la trahison que je faisais à mon amie, m’amusait, d’ailleurs, étonnamment.

Aglaé, faible, délicate et sensible, ne put soutenir la secousse, et la pauvre petite malheureuse ne sut, à cette terrible proposition, que pleurer et se précipiter sur mon sein.

— Mon enfant, lui dis-je avec chaleur, ce ne sont pas des larmes qu’il faut ici, mais des résolutions. Mme de Donis n’est plus pour vous qu’une femme ordinaire qu’il vous faut sacrifier sans remords : arracher la vie à ceux qui complotent contre la nôtre est la première vertu de l’humanité. Vous croiriez-vous donc engagée par la reconnaissance envers une femme abominable qui ne vous a donné le jour que pour vous le ravir ? Détrompez-vous, détrompez-vous, Aglaé, ce n’est plus que de l’horreur et de la vengeance que vous devez à un tel monstre ; vous seriez à jamais méprisable, si vous dévoriez une telle injure. Quelle sûreté d’ailleurs y aurait-il pour vous ? Demain vous êtes la victime de votre mère, si elle n’est pas la vôtre aujourd’hui. Fille trop aveugle, rougis-tu donc de verser un sang aussi criminel ? peux-tu soupçonner encore l’existence de quelques liens entre cette scélérate et toi ?

— Vous étiez son amie ?

— Puis-je l’être, aussitôt qu’elle proscrit les jours de tout ce que j’aime au monde ?

— Vous avez des goûts, des passions comme elle.

— Oui, mais je n’ai pas, comme elle, le crime en vénération ; je ne suis pas, comme elle, une louve affamée de sang, j’abhorre la cruauté ; j’aime mes semblables, et le meurtre est une infamie qui me fait horreur. Cesse, Aglaé, cesse des comparaisons qui ne servent à rien, qui me déshonorent, et qui nous font perdre des instants précieux. Ce ne sont pas des paroles qu’il nous faut, ce sont des actions.

— Qui ? moi, plonger le poignard dans le sein d’une mère !

— Tu ne dois plus la considérer comme telle, dès qu’elle a comploté contre toi. Cette femme n’est plus, de ce moment-ci, qu’une bête venimeuse dont il faut débarrasser la terre.

Et, ressaisissant Aglaé dans mes bras, j’essayai d’étouffer le remords par le feu du libertinage : le moyen me réussit ; Aglaé, séduite, promit tout67. La friponne, guidée par la scélératesse de mes séductions, fut au point de soupçonner quelques aiguillons lubriques au plaisir de la vengeance ; je la fis, en un mot, décharger sur l’idée d’assassiner sa mère. Nous nous levâmes.

— Mon ami, dis-je à Sbrigani, il ne nous reste plus qu’à nous rendre maîtres des victimes ; amène tes gens, et qu’elles soient aussitôt enchaînées.

La mère est saisie d’abord, on la plonge dans les caves du château ; la fille la suit de près. N’ayant rien entendu de la scène, elle paraît glacée de surprise. Aglaé était là.

— Monstre ! dis-je à la comtesse, il faut que tu sois la première victime de tes méchancetés.

— Perfide !… ce complot n’était-il pas ton ouvrage comme le mien ?

— Je te trompais, je jouais le vice pour t’arracher ton secret ; maîtresse de toi maintenant, je n’ai plus besoin de feindre…

Et la malheureuse est bientôt réunie à sa mère. Dès qu’il est nuit, je fais monter ces deux victimes dans le salon préparé par Mme de Donis, pour les horreurs qu’elle méditait. Aglaé, raffermie, sermonnée par moi, s’amuse du spectacle ; l’état où elle voit sa grand-mère ne l’attendrit pas plus que celui où sa mère paraît à ses yeux : j’avais eu l’adresse de lui faire comprendre que la comtesse n’avait agi, dans tout cela, que d’après les instigations de cette vieille… Et le supplice commença.

Je suivis l’idée de la comtesse ; mais au lieu d’être l’agente, la malheureuse fut la patiente. Couchées, sa fille et moi, dans le fond d’une baignoire, et nous branlant toutes deux, Sbrigani nous arrosa du sang des deux mères ; il le faisait couler par mille plaies différentes. Ici, je puis dire à l’honneur d’Aglaé, que son courage et sa fermeté ne se ralentirent pas un instant ; passant avec rapidité du plaisir à l’extase, la fin de l’opération fut la seule borne de son délire, et la scène fut longue. On n’a pas d’idée des raffinements qu’inventa Sbrigani pour prolonger les supplices ; le monstre les couronna en sodomisant ses victimes : elles expirèrent sous lui.

— Nous voilà donc les maîtres de la maison, dis-je à mon barbare époux dès qu’il eut fini ; éloignons-nous promptement, il n’y a pas un moment à perdre. Aglaé, poursuivis-je, vous comprenez à présent l’objet de mon crime ; amie de votre mère, je ne faisais que partager ses richesses : elles sont à moi maintenant. Les feux que vous avez allumés dans mon cœur ne sont point éteints : vous connaissez Élise et Raimonde, vous serez réunie à elles. Mais il faudra, comme elles, vous prostituer aux plus légers besoins, aux plus faibles caprices de la société, il faudra tromper, voler, séduire, commettre tous les crimes, en un mot, comme nous, dès que nos intérêts l’exigeront : ou cela, ou l’abandon et la misère ; choisissez.

— Oh ! ma chère amie, je ne t’abandonnerai jamais, s’écria cette jeune fille, les larmes aux yeux ; ce n’est pas ma situation qui m’y force, c’est mon cœur, et je suis toute à toi.

Mon époux, encore tout échauffé, ne voyait pas sans émotion cette scène d’attendrissement ; ses yeux et son vit me firent soupçonner qu’il voulait foutre, et ses discours me le confirmèrent bientôt.

— Sacredieu ! me dit-il, j’éprouve des remords du crime que je viens de commettre, et il n’y a que le viol de la fille qui puisse me consoler du meurtre de ses mères : abandonne-la-moi, Juliette.

Et sans trop attendre ma réponse, le libertin, qui bandait forme, saisit la poulette et la dépucelle. À peine les cuisses sont-elles teintes du sang qui sort de ce jeune con, que l’Italien retourne la médaille, et, dans trois tours de reins, le voilà dans le cul.

— Juliette, me dit-il en limant, que ferons-nous maintenant de cela ? Les seuls prémices de cette petite fille auraient pu nous valoir de l’argent ; les voilà cueillis : de quelle utilité la putain peut-elle nous être à présent ? Cela n’a ni intrigue, ni caractère (et toujours foutant), Juliette, crois-moi, réunissons ce que la nature avait assemblé, qu’il ne soit plus question de cette famille. Que de piquants détails peut nous offrir le meurtre de cette enfant ! Oh ! foutre, tu m’en vois prêt à décharger.

Et ici, je l’avoue, mes amis, ma férocité naturelle l’emporta sur toutes autres considérations ; le conseil de Sbrigani m’avait émue ; le fripon le savait, et l’arrêt d’Aglaé est à l’instant signé de foutre.

— Vous allez suivre vos parents, lui dis-je ; nous bandons à l’idée de vous faire mourir, et des scélérats comme nous n’eurent jamais d’autres lois que leurs passions.

Nous la livrons à nos valets, malgré ses prières et ses larmes ; et pendant que les fripons l’assouplissent à toutes leurs fantaisies, Sbrigani me fait éprouver tout ce que la luxure a de plus piquant. Des plaisirs, nos valets en viennent bientôt aux brutalités ; insultant sans délicatesse l’objet qu’ils viennent d’encenser, ils passent promptement des injures aux menaces, des menaces aux coups… Et je ne vengeais point Aglaé : ses jolies petites mains, élevées vers moi, m’imploraient, je ne l’écoutais plus. L’infortunée semblait me rappeler tacitement nos plaisirs secrets, et me conjurer d’écouter encore le sentiment qui me guidait alors : j’étais sourde. Incroyablement embrasée par Sbrigani, qui m’enculait pendant ce temps-là, loin de m’apitoyer sur les destins de cette malheureuse, je devenais, à la fois, son accusatrice et son bourreau.

— Fouettez-la ! dis-je à mes valets, mettez en sang ce joli petit cul qui m’a donné tant de plaisir.

Elle était étendue sur une étroite banquette, des courroies contenaient l’attitude, et sa tête, fortement élevée par un collier de fer, s’offrait aux baisers dont je couvrais sa bouche, en présentant le cul à Sbrigani, qui me sodomisait pendant que la vieille le fustigeait. De chacune de mes mains, je branlais le vit des valets, qui, chacun armé d’un fouet, déchiraient à plaisir toutes les parties de derrière de notre intéressante victime. Je déchargeai deux fois à cette scène, et quand je vis enfin les roses de ces charmantes petites fesses tellement flétries, qu’on ne distinguait plus, sur le satin de cette peau si fraîche, que des blessures et des cinglons, je la fis suspendre, par ses beaux cheveux, à la place d’un lustre, puis, écartant ses deux jambes par des cordes, je les fis lier aux deux extrémités de ce salon, et la fustigeai moi-même, dans cette posture, sur les parties les plus délicates de son corps, et principalement dans l’intérieur du con. Je n’ai jamais rien vu de plaisant comme les bonds convulsifs de cette pauvre fille, pendant que je l’étrillais ainsi ; tantôt elle se rejetait en arrière pour éviter mes coups par-devant, et tantôt en avant pour éviter ceux de derrière ; il n’était pas une de ces secousses qui ne lui coûtât une poignée de cheveux. Et je déchargeais comme une gueuse aux convulsions de cette infortunée, lorsqu’une idée vraiment délicieuse vint perfectionner mon délire : elle était trop du goût de Sbrigani pour ne pas être aussitôt exécutée. Nous déterrons les cadavres des deux mères, nous les replaçons à mi-corps dans les trous ; vis-à-vis d’elles, nous plaçons Aglaé, seulement enfouie jusqu’à la poitrine, et c’est en face de cet affreux spectacle que nous la laissons expirer lentement. Un coup de pistolet nous débarrasse de la duègne ; et, chargés de richesses immenses, Sbrigani, nos deux valets et moi, nous gagnons promptement la capitale des États chrétiens, où nous retrouvons nos deux filles, exactement rendues avec le reste de nos biens, à l’adresse dont nous étions convenus à Florence.

— Ô Sbrigani ! m’écriai-je en entrant dans Rome, nous voilà donc enfin dans cette superbe capitale du monde ! Que j’aime à établir, dans mon esprit, le parallèle curieux qui se trouve entre Rome l’ancienne et Rome la moderne ! Avec quel étonnement et quel mépris je vais voir les statues de Pierre et de Marie, sur les autels de Bellone et de Vénus ! Aucune idée n’exalte mon imagination comme celle-là. Peuple abruti par la superstition, poursuivis-je en cherchant sur le visage des nouveaux Romains quelques traits de ces anciens maîtres du globe entier, à quel point la plus infime… la plus dégoûtante des religions est parvenue à vous dégrader ! Et que diraient les Catons, les Brutus, s’ils voyaient les Jules, les Borgia, fouler insolemment aux pieds les cendres augustes que ces héros du monde laissaient avec confiance à la respectueuse admiration de l’univers ?

Malgré le serment que j’avais fait de n’entrer dans aucune église, je ne pus tenir, en arrivant à Rome, au désir de visiter celle de Saint-Pierre. Ce monument, il en faut convenir, est non seulement au-dessus de toutes les descriptions, mais bien supérieur même à tout ce que la plus fertile imagination peut concevoir. Mais cette partie de l’esprit de l’homme s’afflige en voyant que de si grands talents se sont épuisés, que des dépenses si prodigieuses se sont faites, en l’honneur d’une religion aussi stupide, aussi ridicule que celle dans laquelle nous avons eu le malheur de naître. Rien n’est superbe comme l’autel isolé qui s’élève entre quatre colonnes torses, aux trois quarts et demi de l’église, sur le tombeau même de saint Pierre, qui, pourtant, ne parut ni ne mourut jamais à Rome.

— Oh ! quel sofa pour se faire enculer ! dis-je à Sbrigani… Va, laisse-moi faire, dans moins d’un mois, Juliette recevra, sur cet autel magnifique, le modeste vit du vicaire de Jésus.

Et vous allez voir, mes amis, si mes prédictions furent justes.

En arrivant à Rome, je crus devoir jouer un tout autre rôle qu’à Florence. Munie de quelques lettres de recommandation que j’avais obtenues du grand-duc, je profitai du titre de comtesse que je l’avais prié de me donner dans ces lettres, et comme j’avais de quoi le soutenir, je pris une maison faite pour l’étayer. Mon premier soin fut de placer mes fonds. Le vol énorme fait chez Minski, celui de Mme de Donis, les cinq cent mille francs du fidéicommis, tout me forma, avec ce que j’avais, huit cent mille livres de rente : fortune, comme on voit, assez considérable, pour que ma maison pût rivaliser avec celles des plus brillants princes de l’Italie. Élise et Raimonde furent mes dames de compagnie, et Sbrigani crut plus avantageux à mes intérêts de passer, de ce moment-là, plutôt pour mon gentilhomme que pour mon époux.

Je fus faire mes visites dans une voiture superbe. J’avais des lettres pour le cardinal de Bernis, notre ambassadeur dans cette cour, qui me reçut avec toute la galanterie du charmant émule de Pétrarque.

Je fus, de là, chez la belle princesse de Borghèse, femme très libertine, que vous allez bientôt voir jouer le plus grand rôle dans mes aventures.

Deux jours après, je parus chez le cardinal Albani, le plus grand débauché du sacré Collège, et qui, dès le premier jour, voulut absolument que son peintre me peignît toute nue, pour orner sa superbe galerie.

Ensuite, chez la duchesse de Grillo, femme charmante, ridiculement sacrifiée au plus maussade époux, et dont je devins folle dès que je la vis.

Mes connaissances particulières se bornèrent là, et c’est dans ce cercle délicieux où vous allez me voir renouveler tous les égarements de ma jeunesse… de ma jeunesse, oui, mes amis, je puis me servir de cette expression, puisque j’entrais alors dans ma vingt-cinquième année. Je n’avais pourtant point encore à me plaindre de la nature ; loin de dégrader aucun de mes traits, elle leur avait donné cet air de maturité, d’énergie, communément refusé à l’âge tendre, et je puis dire sans orgueil que si j’avais passé pour jolie jusqu’alors, je pouvais maintenant prétendre, avec juste raison, à la plus extrême beauté. La délicatesse de ma taille s’était parfaitement conservée, ma gorge, toujours fraîche et ronde, s’était merveilleusement soutenue. Mes fesses, relevées, et d’une agréable blancheur, ne se ressentaient nullement des excès de luxure où je les avais livrées ; leur trou était un peu large à la vérité, mais d’un beau rouge brun, sans poil, et ne s’offrant jamais sans appeler des langues ; mon con n’était pas non plus très étroit, mais avec de la coquetterie, des essences et de l’art, tout cela reprenait, à mes ordres, l’éclat des roses de la virginité. À l’égard de mon tempérament, acquérant des forces avec l’âge, il était vraiment excessif, et toujours aux ordres de ma tête : une fois en train, il devenait impossible de le lasser. Mais, pour l’allumer plus sûrement, je commençais à désirer l’usage du vin et des liqueurs, et lorsqu’une fois ma tête était prise, il n’était plus d’excès où je ne me portasse ; j’employais aussi l’opium et les autres stimulants d’amour, dont j’avais reçu les indications chez la Durand, et qui, dans l’Italie, se vendent ouvertement et avec profusion. On ne doit jamais craindre d’irriter ses appétits lascifs par de tels moyens ; l’art sert toujours mieux que la nature, et le seul inconvénient qui résulte d’en avoir essayé une fois, est l’obligation de continuer toute sa vie.

Deux femmes s’offraient à moi, dès mon arrivée à Rome. L’une, la princesse Borghèse. Celle-là ne fut pas deux jours à me laisser lire dans ses yeux tout le désir qu’elle avait que nous nous connussions plus étroitement. Trente ans, de la vivacité, des traits piquants, de l’esprit, du libertinage, des yeux pleins d’âme, la plus jolie taille, les plus beaux cheveux, de l’imagination, des prévenances : voilà ce que me présentait la première.

La duchesse Grillo, plus modeste, plus jeune, plus belle et plus sage, m’offrait un port de reine, de la pudeur, de la retenue, moins de vivacité, peu d’imagination, mais infiniment plus de tendresse, de vertu et de sensibilité. Également éprise de ces deux femmes, il était donc tout simple, d’après le tableau que j’en fais, que si l’une échauffait vivement ma tête, l’autre triomphât seule de toutes les affections de mon cœur.

Au bout de huit jours de connaissance, la princesse m’invita à souper dans sa petite maison près de Rome.

— Nous serons seules, me dit-elle ; tu me parais une femme délicieuse, ma chère comtesse, et je veux absolument me lier avec toi.

Vous jugez facilement qu’avec de telles avances, tout cérémonial fut bientôt banni. Il faisait excessivement chaud. Après un souper aussi abondant que voluptueux, qui nous avait été servi par cinq filles charmantes, dans un cabinet de roses et de jasmins, environné de cascades dont l’agréable murmure et la douce fraîcheur réunissaient tous les charmes de la nature à tous les attraits de l’art, la princesse, éclairée par ses nymphes, m’entraîna dans un petit pavillon solitaire situé sous des peupliers qui l’ombrageaient. Nous entrâmes dans une salle ronde, autour de laquelle régnait un canapé circulaire qui n’avait pas plus de huit pouces d’élévation, et totalement garni de coussins ; des glaces, multipliées à l’infini, achevaient de rendre ce petit local l’un des plus jolis temples que Vénus eût en Italie. Dès que les jeunes filles eurent allumé plusieurs quinquets garnis d’huile odoriférante, et dont les foyers déguisés par des gazes vertes ne pouvaient offenser la vue, elles se retirèrent.

— Mon amour, me dit la princesse, ne nous appelons plus que de nos noms de filles : j’abhorre tout ce qui me rappelle aux nœuds de l’hymen. Olympe est le nom de mon enfance, ne m’en donne point d’autres ; de mon côté, je ne t’appellerai plus que Juliette, tu y consens, n’est-ce pas mon ange ?

Et le baiser le plus ardent vient aussitôt s’imprimer sur mes lèvres.

— Chère Olympe, dis-je, en saisissant cette créature enchanteresse dans mes bras, à quoi ne consentirais-je pas avec toi ? La nature, en te parant d’autant de charmes, ne t’a-t-elle pas donné des droits sur tous les cœurs, et ne dois-tu pas nécessairement séduire tous les êtres que brûleront tes yeux ?

— Tu es divine, ma chère Juliette, baise-moi mille et mille fois ! me dit Olympe en se laissant tomber sur l’ottomane… Ô ma plus tendre amie, je sens que nous allons faire beaucoup de choses ensemble… Mais je crains de m’ouvrir à toi, je suis si libertine ; ne t’y trompe pas, chère âme, je t’adore ; mais ce n’est pas l’amour qui m’enflamme pour toi maintenant : je ne connais pas l’amour en luxure, je n’adopte que la lubricité.

— Ô ciel ! m’écriai-je, est-il possible qu’à cinq cents lieues l’une de l’autre, la nature ait formé des âmes si semblables !

— Quoi ! Juliette, me répondit vivement Olympe, tu es libertine aussi ? Nous nous branlerions sans nous aimer, nous déchargerions comme des coquines, sans pudeur, sans délicatesse, nous mêlerions des tiers dans nos plaisirs !… Ah ! que je te dévore, mon ange, que je te baise mille et mille fois ! C’est la satiété qui conduit là… c’est l’habitude, c’est l’extrême opulence dans laquelle nous vivons l’une et l’autre ; accoutumées à ne nous rien refuser, nous sommes rassasiées de tout, et les sots n’entendent pas où mène cette apathie de l’âme.

Olympe, tout en jasant, me déshabillait, se déshabillait elle-même, et nues toutes les deux, nous nous trouvâmes bientôt dans les bras l’une de l’autre. Les premiers mouvements de Borghèse furent de se précipiter à mes genoux, de m’ouvrir les cuisses, de passer ses deux mains sur mes fesses, et de darder sa langue le plus avant qu’elle put dans mon con. J’étais dans une telle ivresse, que la tribade triompha bientôt ; elle avale mon foutre ; je la renverse, et nous précipitant sur les coussins qui jonchent ce boudoir, je me couche à contresens sur elle, et pendant que, ma tête entre ses jambes, je la gamahuche de toutes mes forces, la coquine me rend le même service ; nous déchargeons cinq ou six fois ainsi.

— Nous ne nous suffisons pas, me dit Olympe. Il est impossible que deux femmes seules se satisfassent : faisons entrer les filles qui nous ont servies ; elles sont belles, la plus âgée n’a pas dix-sept ans, la plus jeune quatorze. Il n’y a pas de jours où elles ne me branlent ; les veux-tu ?

— Eh ! sans doute, j’aime tout cela comme toi ; ce qui ajoute au libertinage est précieux à mes sens.

— C’est qu’on ne saurait trop en multiplier les effets, me répondit Olympe égarée ; c’est que rien n’est si plat que ces femmes timides, retenues ou délicates, et qui, ne recevant jamais le plaisir hors de l’amour, s’imaginent imbécilement qu’il faut s’adorer pour se foutre.

Et comme la princesse avait sonné, les cinq jeunes filles, au fait de ce petit manège luxurieux, arrivèrent à nous toutes nues. Rien n’était joli comme leur figure, rien d’aussi frais, d’aussi bien tourné que leur corps, et quand elles entourèrent Olympe, je crus voir un instant les Grâces folâtrant autour de Vénus.

— Juliette, me dit la princesse, je vais m’asseoir en face de toi ; ces cinq filles t’environneront, et, par les titillations les plus amoureuses, par les postures les plus lascives, elles feront éjaculer ton foutre ; je te verrai décharger, c’est tout ce que je veux. Tu n’imaginerais pas le plaisir que j’éprouve à voir une jolie femme dans l’ivresse : je me branlerai pendant ce temps-là, je laisserai voyager ma tête, et je te réponds qu’elle ira loin.

La proposition flattait trop ma lubricité pour que je m’y refusasse. Olympe arrangea les groupes ; une de ces jolies filles, accroupie sur moi, me faisait sucer un joli petit con ; soutenue moi-même sur une espèce de bandage composé de sangles rembourrées et recouvertes de satin noir, mes fesses posaient sur le visage d’une seconde, qui me léchait le trou du cul ; la troisième, étendue sur moi, me gamahuchait, et j’en branlais une de chaque main ; en face de ce spectacle, Olympe, qui le dévorait, avait à la main un cordon de soie qui tenait aux sangles sur lesquelles j’étais suspendue, et agitant ce cordon avec douceur, elle m’imprimait un mouvement actif et rétroactif qui prolongeait, qui multipliait les coups de langue que je donnais et que je recevais, et qui leur imprimait, par ce délicieux mouvement, une incroyable augmentation de volupté. Je crois que de ma vie je n’avais goûté tant de plaisir. Alors, et j’avais ignoré jusque-là l’augmentation de volupté que me préparait Olympe, alors, dis-je, une musique délicieuse se fit entendre, sans qu’il fût possible de discerner d’où elle partait. Réalisant les chimères de l’Alcoran, je me crus transportée dans son paradis, et là, entourée des houris qu’il promet aux fidèles, je crus qu’elles ne me caressaient que pour me plonger dans les derniers excès de la plus délicieuse lubricité. Les mouvements que m’imprimait Olympe ne se firent plus maintenant qu’en cadence ; j’étais aux nues, je n’existais plus que par le sentiment profond de ma luxure. Au bout d’une heure d’ivresse, Olympe se mit dans la balançoire, environnée comme moi des cinq filles. Délicieusement émue par la musique, qui variait à chaque instant les morceaux tendres dont elle nous enivrait, je la polluai cinq quarts d’heure de suite dans cette voluptueuse machine ; puis, un instant de repos ayant succédé, nous variâmes nos plaisirs.

Couchées toutes deux à terre, sur les piles de carreaux qui couvraient le sol de ce charmant boudoir, nous plaçâmes la plus jolie fille entre nous deux. Elle nous branlait de chaque main ; deux autres filles, placées entre nos cuisses, nous gamahuchaient, et les deux dernières, à cheval sur nos poitrines, nous donnaient leurs cons à sucer : nous nous plongeâmes ainsi, près d’une heure, dans la plus voluptueuse extase. Les filles varièrent ensuite : nous gamahuchâmes celles qui venaient de nous sucer, et celles qui venaient d’être gamahuchées par nous, nous gamahuchèrent à leur tour. La musique continuait ; Olympe me demanda si je voulais qu’on fît entrer les musiciens.

— J’y consens, répondis-je, je voudrais être vue de l’univers entier, dans l’état d’ivresse où je suis.

— Ô ma bonne, ma chère bonne ! me dit Olympe en baisant ma bouche avec ardeur, tu es bien putain, je t’adore ; voilà comme il faudrait que fussent toutes les femmes. Qu’elles sont imbéciles celles qui ne sacrifient pas tout à leurs plaisirs : ah ! qu’elles sont stupides celles qui peuvent avoir d’autres Dieux que Vénus… d’autres mœurs que celles de se prostituer sans cesse à tous les sexes, à tous les âges, à toutes les créatures vivantes. Ô Juliette ! la plus sainte des lois de mon cœur est le putanisme ; je ne respire que pour répandre du foutre ; je ne connais ni d’autres besoins ni d’autres plaisirs : je voudrais être prostituée, mais l’être pour fort peu d’argent. Cette idée m’échauffe la tête à un point que je ne puis dire. Je veux qu’on me fasse voir à des libertins bien difficiles ; je veux être obligée d’employer mille ressources pour les ranimer ; je veux être leur victime ; qu’ils fassent de moi tout ce qu’ils voudront… je souffrirai tout… même des tourments…

Juliette, prostituons-nous… vendons-nous… livrons-nous… soyons putains dans toutes les parties de notre corps… Ah ! foutre, mon ange, je perds la tête ; semblable au coursier fougueux, je m’enfonce moi-même sous le dard qui me perce ; je vole à ma perte, je le sens, elle est infaillible… et je la brave. Je suis presque fâchée du crédit et des titres qui favorisent mes égarements ; je voudrais qu’ils fussent sus de toute la terre ; je voudrais qu’ils pussent m’entraîner, comme la dernière des créatures, au sort où les conduit leur abandon… T’imagines-tu donc que je craindrais ce sort ?… Non, non, quel qu’il puisse être, j’y volerais sans peur… L’échafaud même serait pour moi le trône des voluptés, j’y braverais la mort, et déchargerais en jouissant du plaisir d’expirer victime de mes forfaits et d’en effrayer un jour l’univers. Voilà où j’en suis, Juliette, voilà où le libertinage m’a conduite, voilà où je veux vivre et mourir, j’en fais le serment dans tes mains, je t’aime assez pour te l’avouer. Faut-il t’en dire plus ? Je sens que je suis à la veille de me jeter dans une débauche épouvantable ; tous les préjugés se dissipent à mes yeux, tous les freins se brisent devant moi ; je me détermine aux plus grands écarts, le bandeau tombe : je vois l’abîme, et m’y précipite avec délices. Je foule aux pieds cet honneur chimérique, où les femmes immolent imbécilement leur félicité, sans qu’il les dédommage en rien des sacrifices offerts. L’honneur est dans l’opinion ; mais l’opinion qui rend heureux, c’est la sienne, et non pas celle des autres. Que l’on soit assez sage pour mépriser cette opinion publique, qui ne dépend en rien de nous, assez éclairé pour anéantir le sentiment imbécile qui ne nous conduit au bonheur que par des privations, et l’on éprouvera bientôt qu’il est possible de vivre aussi heureux, devenu l’objet du mépris universel, que sous les tristes couronnes de l’honneur ! Ô mes compagnes de libertinage et de crime, moquez-vous de ce vain honneur comme du plus vil de tous les préjugés : un égarement d’esprit, une jouissance, vaut mille fois mieux que tous les faux plaisirs que donne l’honneur. Ah ! vous sentirez un jour, à mon exemple, combien les voluptés s’améliorent en enchaînant cette chimère, et, comme moi, vous jouirez d’autant mieux que vous l’aurez plus complètement méprisée.

— Adorable créature, répondis-je à Olympe (belle comme le jour dans ce moment d’effervescence), avec l’esprit… avec les dispositions que tu me montres, tu dois aller bien loin un jour, et je crains cependant que tu n’en sois pas encore où je voudrais. Peut-être admets-tu tous les égarements de la lubricité, mais je ne crois pas que tu connaisses… que tu conçoives même encore tous ceux qui peuvent dériver d’elle. Quoique j’aie quelques années de moins que toi, jetée dans une carrière infiniment plus débordée, il serait possible que j’eusse plus d’expérience. Eh ! non, non, chère Olympe, non, tu ne sais pas encore où conduisent les crimes de luxure ; tu es bien éloignée d’admettre les horreurs où ces forfaits peuvent entraîner…

— Des horreurs ?… interrompit vivement Borghèse, ah ! je crois que je ne suis pas en reste sur un article qui semble te paraître aussi essentiel. J’ai empoisonné mon premier mari, le même sort attend le second.

— Délicieuse femme, m’écriai-je en prenant Olympe dans mes bras, voilà où je te voulais ; mais ce crime commis, ce crime projeté, ce sont des crimes nécessaires, et ceux que j’exigerais de toi seraient des crimes gratuits. Eh ! le crime n’est-il pas assez délicieux par lui-même, pour qu’on le commette sans objet ? est-il donc besoin de prétexte pour le commettre ? et le sel piquant dont il est empreint, ne suffit-il pas seul à aiguillonner nos passions ? Je ne veux pas, mon ange, qu’il soit une seule sensation au monde que tu n’aies éprouvée ; avec la tête que tu as, tu serais désolée de savoir qu’il existe une sorte de plaisir que tu ne te sois pas procurée. Persuade-toi qu’il n’est rien sur la terre qui n’ait été fait, rien qui ne se fasse tous les jours, et rien surtout qui puisse contrarier les lois d’une nature qui ne nous inspire jamais le mal que quand elle a besoin que nous le fassions…

— Explique-toi, Juliette, me dit Olympe tout émue…

— De quel sentiment, répondis-je, ton âme brûlait-elle, lorsque tu fis mourir ton mari ?

— Vengeance… dégoût… ennui, ardent désir de briser mes freins.

— Et la lubricité ne te parlait pas ?

— Je ne l’interrogeai point, elle ne se fit point entendre.

— Eh bien ! si tu commets encore quelques crimes semblables, ose l’interroger en agissant. Que le flambeau du crime s’allume à celui de la lubricité ; réunis l’une et l’autre de ces passions, et tu verras ce qu’on retire de toutes deux.

— Oh ! Juliette, l’étincelle que tu viens de jeter dans mon âme l’électrise : tu viens à la fois, d’un seul mot, d’éveiller mille idées… Ah ! je n’étais qu’une enfant, je n’avais rien conçu, tu me le prouves.

Alors j’expliquai à Mme de Borghèse tout ce qu’un être libertin pouvait retirer de l’union de la cruauté et de la luxure, et je lui développai, sur cette matière, tous les systèmes que vous connaissez déjà, mes amis, et que vous mettez si bien en pratique. Elle me comprit à merveille, sa tête s’égara, et la coquine me jura que nous ne nous quitterions point sans avoir exécuté toutes deux quelques-unes de ces voluptueuses horreurs.

— Ô mon amour ! me dit-elle tout en feu, je le sens, il doit être divin de priver un être semblable à nous du trésor de l’existence, le plus précieux de tous pour les hommes. Anéantir… briser les liens qui attachent cet être à la vie, et cela dans la seule vue de se procurer un prurit agréable… dans l’unique motif de décharger plus délicieusement… oh ! oui, oui, ce choc sur la masse des nerfs, produit par l’effet de la douleur chez les autres, est parfaitement conçu de moi, et la volupté qui naît de cette union de mouvement doit devenir, je le conçois, l’extase même des dieux.

Et comme elle était dans une prodigieuse agitation, les musiciens parurent. Dix jeunes garçons de seize à vingt ans composaient ce cortège ; il était impossible de rien voir de plus joli ; une gaze légère les enveloppait à la manière grecque. Ils furent nus au plus léger signe d’Olympe.

— Voilà les acteurs de mon concert, me dit cette lubrique créature en me les présentant, sois d’abord témoin des plaisirs que je vais goûter avec eux ; tu m’imiteras, si tu veux, après.

Alors les deux plus jeunes de ces aimables garçons se placèrent, l’un vers la tête d’Olympe, toujours étendue sur les carreaux qui jonchaient le parquet, l’autre près de sa motte. Les huit autres se partagèrent, quatre vinrent se mettre de même près de la tête, et quatre près du ventre ; les deux placés près de l’une et l’autre partie branlaient les vits de leurs quatre compagnons ; celui de la tête faisait sucer un moment, à Olympe, les engins qu’il secouait, et puis en exhalait le foutre sur son visage ; celui du ventre enfonçait un instant, tour à tour, les quatre vits dont il était chargé, et les faisait ensuite éjaculer sur le clitoris : en très peu d’instants, par ces procédés, Olympe fut couverte de foutre. Plongée dans la plus délicieuse extase, elle ne disait mot, on n’entendait d’elle que quelques soupirs, on ne distinguait sur son corps que des frémissements. Quand tous les vits furent branlés, les deux masturbateurs sautent sur elle, un la prend dans ses bras, l’enconne, expose les belles fesses d’Olympe à son camarade qui s’en empare et les sodomise ; tous les vits, pendant qu’Olympe fout, lui repassent tour à tour dans la bouche ; elle les ressuce, les repompe encore tous, les uns après les autres, et décharge comme une bacchante.

— Eh bien ! me dit-elle en se relevant, es-tu contente de moi ?

— Oui, lui dis-je, encore tout égarée moi-même du plaisir que je venais de goûter avec les cinq femmes, en l’examinant. Oui, sans doute, je suis assez contente ; mais l’on peut faire mieux, et je vais t’en convaincre.

Les jeunes filles sont aussitôt chargées par moi du soin de faire rebander les jeunes gens. Dès qu’ils furent en l’air, je me livre à eux. Ils étaient souples… agiles… J’en mets deux dans mon con, un dans mon cul, j’en suce un, deux se placent sous mes aisselles, un dans mes cheveux, j’en branle un de chaque main, le dixième se branle sur mes yeux : mais je défends la décharge ; ils devaient tous varier dix fois ; tous, à leur tour, devaient sacrifier sur chacun des temples offerts à leur luxure : le dénouement ne fut permis qu’alors. Singulièrement irrités des préludes, ces beaux garçons m’inondèrent de foutre, et la Borghèse qui, branlée par ses jeunes filles, m’avait examinée voluptueusement, convint que mon exécution était plus savante que la sienne.

— Allons, dis-je, songeons maintenant aux plaisirs de ces cinq jeunes filles, devenons leurs maquerelles.

Et les couchant dans des attitudes aussi variées que voluptueuses, nous leur appliquâmes, à chacune, deux jeunes gens sur le corps. Par un renversement de tous principes, bien digne de l’état où nous étions, les plus gros vits furent introduits dans le cul et les plus petits dans le con. Nous parcourions les groupes, nous les encouragions ; le grand plaisir d’Olympe était de retirer les vits des routes qu’ils parcouraient, de les sucer et de les rétablir. Quelquefois aussi, lorsque les routes étaient vacantes, soit que ce fût celle du cul, soit que ce fût celle du con, elle y enfonçait sa langue, et gamahuchait un quart d’heure : celui dont elle avait pris la place la foutait alors pendant ce temps-là. Toujours plus empressée qu’elle, c’était par de vigoureuses claques sur les fesses que j’excitais le zèle des combattants, ou bien je leur pelotais les couilles, je suçais leur bouche, je langotais celle des filles, je polluais leur clitoris. Il n’était rien, en un mot, que je n’inventasse pour précipiter l’émission du foutre, et je le déterminai chez presque tous. Mais c’était dans mon cul qu’elle se faisait : je ne laissais pas ces filles jouir de mon ouvrage, et ce n’était que par intérêt personnel que j’avais l’air d’enflammer leurs amants.

Cette scène achevée, je proposai la suivante. Il s’agissait de s’accroupir à plat ventre sur la bouche d’une des jeunes filles qui nous gamahucherait, d’en gamahucher une autre en avant de nous, et de présenter les fesses aux dix jeunes gens qui, servis par la cinquième fille que nous n’employions pas, nous enculeraient tour à tour. Olympe, que je n’aurais pas crue si libertine, ne changea qu’une chose pour elle à ce tableau : elle voulait baiser un cul au lieu de sucer un con, et la putain, d’elle-même et sans conseil, toute pleine de mes idées, mordit si vivement ce cul qu’il en saigna. Je ne me contraignis plus, et, saisissait les tétons de celle dont je gamahuchais le con, je les lui comprimai de manière à lui faire jeter les hauts cris. En ce moment, Olympe déchargea.

— Ah ! je te tiens, friponne, lui-je, tu commences à soupçonner du plaisir à la commotion de la douleur imprimée sur les autres ; je me flatte de te mener bientôt plus loin.

Après avoir été enculées dix fois de suite, nous présentâmes le devant. Une fille, accroupie sur nos fronts, nous faisait à la fois baiser et son con et ses fesses ; une seconde nous chatouillait à deux mains le clitoris et le trou du cul ; on nous enconnait pendant ce temps-là : nous déchargions… nous nagions dans un océan de délice. La bouche eut son tour ; nous suçâmes tous ces jeunes gens, nous les fîmes tous décharger dans nos bouches ; deux filles, pendant ce temps-là, nous suçaient à la fois l’anus et le clitoris. Olympe, épuisée, parla de se mettre à table. Nous passâmes dans un cabinet aussi voluptueusement meublé que magnifiquement éclairé. Une superbe collation était servie sans ordre dans une grande corbeille de fleurs qui paraissait jetée au milieu d’un vaste oranger couvert de fruits ; je voulus manger un de ces fruits, ils étaient de glace. Tout le reste surprenait également, tout était marqué au coin du goût le plus délicat et de la plus élégante somptuosité. Les filles seules nous servaient ; les jeunes gens, retirée derrière une décoration, ne nous charmaient plus alors que du ton de leurs mélodieux instruments.

Olympe et moi, toutes deux ivres de luxure, le fûmes bientôt de vins et de liqueurs.

— Allons, dis-je tout étourdie à ma compagne, allons terminer par une infamie.

— Ordonne, je suis prête à tout.

— Immolons une de ces filles.

— Celle-ci, me dit Olympe en me présentant la plus jolie des cinq.

— Quoi ! tu consens ?

— Et pourquoi ne t’imiterais-je pas ? crois-tu que le meurtre m’effraye ?… ah ! tu verras si je suis digne d’être ton écolière.

Et nous rentrâmes avec cette victime dans la salle que nous venions d’occuper pour nos orgies. Tout se retire, tout se ferme, nous restons seules.

— Comment tourmenterons-nous cette coquine ! dis-je à Olympe, nous n’avons aucun instrument ici.

Et, en parlant, j’examinais le corps de cette fille véritablement superbe ; je l’examinais à la lueur de deux bougies que je lui éteignis cinq ou six fois de suite sur les fesses, sur les cuisses, et sur les tétons. Olympe m’imita ; nous nous amusons à brûler ainsi cette créature, une heure entre nous deux. Ensuite nous la pinçâmes, nous la piquâmes, nous l’égratignâmes. Absolument grises toutes les deux, nous ne savions plus ni ce que nous faisions, ni ce que nous disions ; nous vomissions, nous battions la campagne, nous tourmentions la victime. La malheureuse jetait les hauts cris, mais les précautions étaient si bien prises qu’il était impossible de rien entendre. Je proposai à la Borghèse de pendre cette fille par les tétons et de la faire ainsi mourir entre nous deux à coups d’épingle. Olympe, dont les progrès étaient aussi rapides que les leçons, consentit à tout. Le supplice de cette infortunée dura plus de deux heures, pendant lesquelles nous nous achevâmes avec du punch. Ensuite, ma compagne et moi, toutes deux épuisées de luxure, de cruautés… d’excès de table, nous laissant aller sur les coussins qui nous environnaient, nous nous endormîmes cinq heures, la victime pendue au milieu de nous. Il faisait grand jour quand nous nous réveillâmes ; j’aidai ma complice à cacher le cadavre sous le sol d’un des bosquets, et nous nous séparâmes en nous protestant toutes deux de ne pas rester en si beau chemin.

Sbrigani et mes femmes, que je n’avais pas prévenus, étaient inquiets de moi : ma présence les calma ; je me couchai. Sbrigani, qui ne pensait qu’à l’argent, me demanda le lendemain quel parti j’imaginais qu’on pût tirer de cette intrigue.

— Jusqu’à présent, que des plaisirs, répondis-je.

— J’y vois mieux que cela, me répondit mon gentilhomme d’honneur. J’ai déjà pris des informations… La Borghèse est l’amie du pape ; il faut qu’elle vous fasse connaître le Saint-Père ; il faut attaquer les trésors de l’Église, il faut que nous emportions sept ou huit millions de Rome. Je suis presque fâché des titres fastueux que nous avons pris ici, j’ai peur qu’ils ne s’opposent à nos vues.

— Reviens de cette erreur, dis-je à Sbrigani ; ces titres sont au contraire un moyen d’aiguillonner la luxure : ils seront flattés d’avoir affaire à une femme de qualité, et je me ferai payer bien plus cher.

— Ah ! dit Sbrigani, ce n’est ici l’histoire que de quelque cent mille francs de plus ou de moins, et mes vues sont bien plus élevées. Pie VI a des trésors immenses : il faut bien lui en dérober une partie.

— Il faut bien, pour cela, pénétrer dans ses appartements, et le puis-je sans un motif de libertinage ?

— Soit, mais il faut se presser de le faire naître, il faut s’introduire au Vatican le plus tôt possible, il faut se hâter de dépouiller ce coquin-là…

Sbrigani finissait à peine, qu’un écuyer du cardinal de Bernis m’apporta une lettre de son maître. C’était une charmante invitation de souper à la Villa-Albani, près Rome, et c’était le cardinal de ce nom qui m’attendait avec Bernis dans cette charmante campagne.

— Juliette, me dit Sbrigani, sachez profiter de cela, et n’oubliez jamais que le vol et l’escroquerie sont les uniques buts de notre voyage ; nous enrichir, voilà l’objet, et nous devenons très coupables si nous le manquons ; ce n’est que sur la route de la fortune qu’on peut se permettre la moisson des plaisirs : il faut les oublier jusque-là.

Aussi ambitieuse que Sbrigani, adorant l’or autant que lui, je ne pensais pourtant pas absolument de même sur les motifs. Le goût du crime s’annonçait avant tout chez moi, et je songeais bien plus à dérober de l’or pour me procurer le plaisir du vol, qu’à le prodiguer en jouissances.

J’arrive au rendez-vous, parée de tout ce que l’art pouvait ajouter aux charmes que m’avait prêtés la nature ; il était, j’ose le dire, impossible d’être plus belle et plus élégante.

Si je ne craignais d’interrompre mes récits, je vous devrais sans doute une description de cette campagne enchanteresse que l’on vient voir des extrémités de l’Europe, et qui peut-être est le lieu de Rome qui renferme le plus d’antiques précieux. Il faudrait que je vous peignisse ces jardins en terrasses, les plus frais, les mieux ornés, les plus agréablement dessinés de toute l’Italie. Mais, moins empressée de vous tracer des détails que de vous transmettre des faits, je passerai de suite aux événements, sûre de ne point vous déplaire en ne vous faisant grâce des uns que pour appuyer sur les autres.

Mon étonnement, je l’avoue, fut extrême, d’apercevoir en entrant la princesse Borghèse chez le cardinal Albani. Elle causait avec Bernis, dans une embrasure ; tout deux s’interrompirent pour venir au-devant de moi, dès qu’ils m’aperçurent.

— Comme elle est belle ! dit Olympe… Cardinal, continua-t-elle en s’adressant au vieil Albani, qui ne cessait de me considérer, convenez que nous n’avons pas une plus jolie femme dans Rome ?

— Rien n’est plus certain, dirent à la fois les deux cardinaux.

Et nous nous retirâmes.

L’usage des Italiens, afin de mieux profiter de la fraîcheur, est de placer au plus haut de leurs maisons les logements qu’ils occupent le plus : cet air, disent-ils, avec raison, est nécessairement plus pur et beaucoup moins épais. Rien n’est élégant au monde comme les appartements supérieurs de la Villa Albani ; des gazes, agréablement rabaissées y laissaient circuler l’air, en s’opposant aux insectes qui auraient pu troubler les projets voluptueux dont tout ce que je voyais ne m’annonçait que trop les intentions.

Dès que nous fûmes installés, Olympe s’approcha de moi.

— Juliette, me dit-elle, recommandée aux deux cardinaux que tu vois ici, par des lettres du duc de Toscane semblables à celles que tu m’as apportées de ce prince, je ne te déguiserai pas qu’ils ont voulu savoir qui tu étais… quels étaient tes mœurs… ton esprit… Infiniment liée avec ces gens-ci, et les connaissant comme nous nous connaissons déjà toutes les deux, je n’ai pas cru devoir leur faire mystère de rien ; j’ai tout dit, et tu n’imagines pas le point auquel j’ai embrasé leur tête. Ils te désirent ; livre-toi, je t’en conjure : le crédit de ces personnages-ci près du pape est énorme. Tous deux forment le canal des grâces, des faveurs ; ce n’est que par eux qu’on obtient quelque chose à Rome. Quelque aisée que tu sois, sept ou huit mille sequins ne peuvent te nuire ; on est souvent assez riche pour vivre, jamais assez pour les fantaisies, et surtout quand on nous ressemble. Imite-moi, j’ai souvent reçu d’eux, j’en reçois encore. Eh ! les femmes sont faites pour être foutues, elles le sont aussi pour être appuyées, et nous ne devons jamais refuser l’occasion d’un présent. Bernis et son confrère ont d’ailleurs une manie fort singulière, c’est qu’ils ne goûteraient aucun plaisir s’ils ne le payaient point ; je suis sûre que tu conçois cela. Je t’exhorte, d’ailleurs, à la plus extrême complaisance ; il en faut avec de pareils libertins ; ce n’est qu’à force d’art qu’on peut ranimer leurs désirs ; point de restriction, livre tout, je te donnerai l’exemple : il faut absolument qu’ils perdent du foutre, nous ne devons rien négliger pour y réussir. Attends-toi donc à faire tout ce qui généralement pourra nous conduire à ce but.

Ce discours m’étonna, je l’avoue. Il n’eût pas produit chez moi cet effet, si j’eusse mieux connu les mœurs romaines. Quoi qu’il en fût, s’il me surprit, il ne me répugna point, et j’avais passé par assez d’autres épreuves pour n’être point épouvantée de celles-là. Dès que Bernis s’aperçut que j’étais au fait, il s’approcha de mon oreille.

— Nous savons que vous êtes charmante, me dit-il, pleine d’esprit et sans préjugés : Léopold nous a tout écrit, Olympe n’a pas été plus mystérieuse. Nous nous flattons donc, Albani et moi, que vous ne ferez pas la prude avec nous, et nous en demandons, pour première preuve, de vous montrer à nous aussi coquine que vous l’êtes en effet, parce qu’une femme n’est véritablement aimable qu’autant qu’elle est putain. Vous m’avouerez qu’elle serait bien dupe alors, si, lorsque la nature lui donne le goût des plaisirs, elle ne cherchait pas, pour ses charmes, autant d’admirateurs qu’elle peut rencontrer d’hommes sur la terre.

— Aimable chantre de Vaucluse, répondis-je, en lui faisant voir que je connaissais ses charmantes poésies, vous qui sûtes vous déchaîner, contre le libertinage avec un tel art que vous le fîtes adorer dès qu’on vous eut lu68, il faudrait beaucoup plus de vertus que je ne m’en crois pour résister à ceux qui vous ressemblent. Et, en lui serrant la main avec affectation : Ah ! croyez, lui dis-je, que je suis à vous pour la vie, et que vous trouverez toujours une écolière en moi, digne du grand maître qui veut bien l’entreprendre.

La conversation devient générale, et bientôt la philosophie l’anima. Albani nous fit voir une lettre de Bologne, dans laquelle on lui apprenait la mort de l’un de ses amis qui, quoiqu’il occupât l’une des premières places de l’Église, ayant toujours vécu dans le libertinage, n’avait jamais voulu se convertir, même à ses derniers moments.

— Vous l’avez connu, dit-il à Bernis, il n’y a jamais eu moyen de le prêcher : gardant sa tête et son joli esprit jusqu’au dernier moment, il a rendu la vie dans les bras d’une nièce qu’il adorait, en l’assurant que ce qui le fâchait dans la nécessité de ne pouvoir admettre l’existence du Ciel, était le désespoir où cela le laissait de ne pas la retrouver un jour.

— Il me semble, dit le cardinal de Bernis, que ces morts-là commencent à devenir fréquentes : l’auteur d’Alzire et d’Alembert les ont mises à la mode.

— Assurément, dit d’Albani, il y a une grande faiblesse à changer d’esprit en mourant. N’avons-nous pas le temps de nous déterminer dans le cours d’une aussi longue vie ? Il faut employer les années de la force et de la vigueur à choisir un système quelconque ; achever d’y vivre, et y mourir, quand une fois il est adopté. Se trouver encore dans l’incertitude à cette époque, est se préparer une mort affreuse. Vous me direz peut-être que la crise, en dérangeant les organes, affaiblit aussi les systèmes. Oui, si des systèmes sont, ou nouvellement ou légèrement embrassés, jamais quand ils sont empreints de bonne heure, quand ils ont été les fruits du travail, de l’étude et de la réflexion, parce qu’alors ils forment habitude, et que les habitudes ne nous quittent qu’avec la vie.

— Assurément, répondis-je flattée de pouvoir faire connaître ma façon de penser aux libertins célèbres devant lesquels j’étais, et si le stoïcisme heureux, auquel je tiens comme vous, nous prive de quelques plaisirs, il nous épargne bien des peines, et il nous apprend à mourir. Je ne sais, continuai-je, si ce n’est parce que je n’ai que vingt-cinq ans, et que l’époque qui doit me rendre aux éléments dont je suis formée est peut-être encore loin de moi, ou si ce sont réellement mes principes qui me soutiennent et qui m’encouragent, mais c’est sans aucune terreur que j’aperçois la désunion des molécules de mon existence. Bien fermement persuadée de n’être pas plus malheureuse après ma vie que je ne l’étais avant que de naître, il me semble que je rendrai mon corps à la terre avec le même calme, le même sang-froid que je l’ai reçu.

— Et qui produit en vous cette tranquillité ? dit Bernis : c’est le mépris profond que vous avez toujours eu pour les balivernes religieuses, un seul retour sur elles vous eût perdue. On ne saurait donc les fouler aux pieds de trop bonne heure.

— Cela est-il aussi facile que l’on le pense ? dit Olympe.

— Cela est aisé, dit Albani, mais c’est par la racine qu’il faut couper l’arbre : si vous ne travaillez qu’à l’extirpation des branches, il renaîtra toujours des bourgeons. C’est dans la jeunesse qu’il faut s’occuper de détruire avec énergie les préjugés inculqués dès l’enfance. Et c’est le plus enraciné de tous qu’il faut impitoyablement combattre ; c’est ce Dieu vain et chimérique dont il faut absorber l’existence.

— Je me garderais bien, dit Bernis, de mettre cette opération au rang de celles qui doivent donner le plus de peine à une jeune personne, parce que cette opinion déifique ne peut se soutenir un quart d’heure dans un bon esprit. Et, en effet, qui ne voit pas qu’un Dieu, rempli de contradictions, de bizarreries, de qualités incompatibles, en échauffant l’imagination, ne rapporte néanmoins à l’esprit qu’une chimère ? On croit fermer la bouche à ceux qui nient l’existence de ce Dieu, en leur disant que les hommes, dans tous les siècles, dans tous les pays, ont reconnu l’empire d’une divinité quelconque ; qu’il n’est pas de peuple sur la terre qui n’ait eu la croyance d’un être invisible et puissant, dont il a fait l’objet de son culte et de sa vénération ; enfin, qu’il n’est pas, de nation si sauvage qu’on puisse la supposer, qui ne soit persuadée de l’existence de quelque être supérieur à la nature humaine. Premièrement, je nie ce fait : mais cela fût-il, même, la croyance de tous les hommes peut-elle changer une erreur en vérité ? Il fut un temps où tous les hommes ont cru que le soleil tournait autour de la terre, tandis que celle-ci demeurait immobile : cette unanimité de foi changea-t-elle cette erreur en réalité ? Il fut un temps où personne ne voulait croire à l’existence des antipodes ; on persécutait ceux qui avaient la témérité de la soutenir. Que de peuples crurent aux sorciers, aux revenants, aux apparitions, aux esprits. Cette étendue d’opinions fait-elle des réalités de toutes ces choses ? Non, sans doute ; mais les gens les plus sensés se font une obligation de croire à un esprit universel, sans voir, sans réfléchir que tout dément les belles qualités qu’on prête à ce Dieu. Dans la famille nombreuse de ce père si tendre, je n’aperçois pourtant que des malheureux… Sous l’empire de ce souverain si juste, je ne vois que le crime au pinacle et la vertu dans les fers. Parmi ces bienfaits que vous me vantez dans l’adoption de ce système, je vois une foule de maux de toute espèce sur lesquels vous vous obstinez de fermer les yeux. Forcés de reconnaître que votre Dieu si bon, en perpétuelle contradiction avec lui-même, distribue de la même main et le bien et le mal, vous vous trouvez contraints, pour le justifier, de me renvoyer aux chimériques régions de l’autre vie. Inventez donc, en ce cas, un autre Dieu que le Dieu de la théologie, car le sien est aussi contradictoire qu’absurde. Un Dieu bon, qui fait le mal, ou qui permet qu’il se fasse, un Dieu rempli d’équité, et dans l’empire duquel l’innocence est toujours opprimée ; un Dieu parfait, qui ne produit que des ouvrages imparfaits : ah ! convenez que l’existence d’un tel Dieu est plus pernicieuse aux hommes qu’elle ne peut leur être utile, et ce que l’on pourrait faire de mieux serait de l’anéantir à jamais.

— Charlatan, m’écriai-je, tu parles contre les drogues que tu distribues ! Que deviendraient ta puissance et celle de ton sacré Collège si tous les hommes étaient aussi philosophes que toi ?

— Je sais parfaitement, dit Bernis, que l’erreur nous est nécessaire ; il faut en imposer aux hommes, nous ne le pouvons qu’en les trompant ; mais il ne s’ensuit pas de là que nous devions nous tromper nous-mêmes. À quels yeux démasquerons-nous l’idole, si ce n’est devant ceux de nos amis ou des philosophes qui pensent comme nous ?

— Dans ce cas, dit Olympe, éclaircissez mes idées, je vous conjure, sur un point de morale essentiel à ma tranquillité. Mes oreilles ont été mille fois rebattues de ce système, et je n’ai jamais été satisfaite de sa définition. Il s’agit de la liberté de l’homme : que pensez-vous, Bernis, de cette doctrine ? C’est vous que j’interpelle, et ce sont vos lumières que je désire.

— J’y consens, dit le célèbre amant de Pompadour : écoutez-moi donc avec d’autant plus d’attention que la matière est un peu abstraite pour les femmes.

La faculté de comparer les différentes manières d’agir et de se déterminer pour celle qui nous paraît la meilleure, est ce qu’on appelle liberté. Or, l’homme a-t-il, oui ou non, cette faculté de se déterminer ? J’ose affirmer qu’il ne l’a pas, et qu’il est impossible qu’il puisse l’avoir. Toutes nos idées doivent leur origine à des causes physiques et matérielles qui nous entraînent malgré nous, parce que ces causes tiennent à notre organisation et aux objets extérieurs qui nous remuent ; les motifs sont le résultat de ces causes, et, par conséquent, notre volonté n’est pas libre. Combattus par différents motifs, nous balançons, mais l’instant où nous nous déterminons ne nous appartient pas ; il est contraint, il est nécessité par les différentes dispositions de nos organes ; nous sommes toujours entraînés par eux, et jamais il n’a dépendu de nous d’avoir pris plutôt un parti que l’autre ; toujours mus par la nécessité, toujours esclaves de la nécessité, l’instant même où nous croyons avoir le mieux prouvé notre liberté est celui où nous sommes le plus invinciblement entraînés. Le flottement, l’incertitude nous font croire à notre liberté, mais cette prétendue liberté n’est que l’instant de l’égalité des poids dans la balance. Dès que le parti est pris, c’est que l’un des deux côtés s’est trouvé plus chargé que l’autre, et ce n’est pas nous qui sommes cause de l’inégalité, ce sont les objets physiques qui agissent sur nous et qui nous rendent le jouet de toutes les conventions humaines, le jouet de la force motrice de la nature, ainsi que le sont les animaux et les plantes. Tout réside dans l’action du fluide nerveux, et la différence d’un scélérat à un honnête homme ne consiste que dans le plus ou le moins d’activité des esprits animaux qui composent ce fluide.

« Je sens, dit Fénelon, que je suis libre, que je suis absolument dans la main de mon conseil ». Cette assertion gratuite est impossible à prouver. Qui assure à l’archevêque de Cambrai que lorsqu’il se détermine à embrasser la doctrine douce de Mme de Guyon, il soit libre de choisir le parti contraire ? Il pourra me prouver tout au plus qu’il a balancé, mais je le défie de me convaincre qu’il a été libre de prendre le parti opposé, du moment qu’il a pris celui-là : « Je me modifie moi-même avec Dieu, continue cet auteur, je suis cause réelle de mon propre vouloir ». Mais Fénelon n’a pas pris garde, en disant cela, que Dieu étant le plus fort, il le rendait cause réelle de tous les crimes ; il n’a pas pris garde non plus que rien ne détruisait plus sûrement la puissance de Dieu que la liberté de l’homme, car cette puissance de Dieu que vous supposez, et que je vous accorde un instant, n’est vraiment telle, que parce que Dieu a réglé toutes choses dès le commencement, et c’est en conséquence de cette règle invariable que l’homme ne doit plus devenir qu’un être passif qui ne peut rien changer au mouvement reçu et qui, par conséquent, n’est pas libre. S’il était libre, il pourrait à tout moment détruire ce premier ordre établi, et il deviendrait alors aussi puissant que Dieu. Voilà ce qu’un partisan de la divinité comme Fénelon aurait dû considérer plus mûrement.

Newton coulait légèrement sur cette grande difficulté, il n’osait ni l’approfondir, ni s’y engager ; Fénelon, plus tranchant, quoique bien moins instruit, ajoute : « Quand je veux une chose, je suis maître de ne la vouloir pas ; quand je ne la veux pas, je suis maître de la vouloir ». Non. Puisque vous ne l’avez pas faite quand vous l’avez voulu, c’est que vous n’étiez pas le maître de la faire, et que toutes les causes physiques qui doivent diriger la balance l’avaient emporté, cette fois, du côté de la chose que vous avez faite, et vous n’avez pas été le maître de choisir, dès qu’une fois vous avez été déterminé. Donc vous n’avez pas été libre ; vous avez balancé, mais vous n’avez pas été libre, et vous ne l’êtes jamais. Lorsque vous vous laissez aller à celui des deux partis que vous prenez, c’est qu’il était impossible que vous prissiez l’autre. C’est votre incertitude qui vous a aveuglé : vous vous êtes cru maître du choix, parce que vous vous êtes senti maître de balancer ; mais cette incertitude, effet physique de deux objets extérieurs qui se présentent à la fois, et la liberté de choisir entre ces deux objets, sont deux choses très différentes.

— Me voilà convaincue, dit Olympe ; l’idée d’avoir pu ne pas commettre les crimes où je me suis livrée tourmentait quelquefois ma conscience : mes chaînes démontrées, je suis calme, et je poursuivrai sans remords.

— Je vous y exhorte, dit Albani, rien n’est inutile comme le remords : parvenant toujours trop tard dans notre âme, il n’empêche pas que le mal ne soit fait, et comme les passions parlent plus haut que lui, quand on veut refaire le mal, il devient trop faible pour l’empêcher.

— Eh bien ! livrons-nous donc à ce mal délicieux, pour en conserver l’habitude, et pour nous étourdir sur celui que nous avons fait ! dit Olympe avec enthousiasme.

— Oui, répondit le cardinal de Bernis, mais ce mal projeté, pour qu’il nous délecte davantage, faisons-le avec autant d’étendue que de réflexion. Belle Juliette, poursuit l’ambassadeur de France, nous savons que vous avez deux jolies filles dans votre maison, qui sûrement doivent être aussi complaisantes que vous ; leur beauté fait le plus grand bruit dans Rome ; il n’est question que de vous trois : nous vous prions de les envoyer prendre et de permettre qu’elles jouent un rôle dans la scène libidineuse que mon collègue et moi nous proposons d’exécuter ce soir avec vous.

Ne croyant pas, aux termes où j’en étais avec Olympe, devoir refuser une proposition qu’elle me pressait tout bas d’accepter, j’envoyai promptement chercher Élise et Raimonde, et la conversation, dès lors, prit un tour différent.

— Juliette, me dit Bernis, à l’empressement que mon confrère et moi venons de vous témoigner de connaître les deux jolies femmes que vous possédez, n’allez pas nous soupçonner d’un goût bien particulier pour un sexe à qui nous ne pardonnons le tort d’être femmes qu’à la condition d’être hommes avec nous. Il est même essentiel que nous vous déclarions à ce sujet que tout dessein d’amusement serait nul, si vous ne nous assurez pas, pour vous et pour vos compagnes, d’une absolue résignation aux fantaisies que cet énoncé vous expose.

— En vérité, dit Olympe, ces éclaircissements sont superflus avec Juliette ; elle m’a donné des exemples en ce genre qui doivent complètement vous rassurer, et je suis bien persuadée que les femmes qu’elle adopte doivent, par cela seul qu’elle les protège, avoir au moins autant de philosophie qu’elle.

— Mes amis, dis-je en tâchant de mettre tout le monde à l’aise, heureusement ma réputation en luxure est assez bien établie pour qu’il ne puisse vous rester le moindre doute sur ma manière de me comporter dans de telles parties. Ma lubricité, toujours modelée sur le caprice des hommes, ne s’allume jamais qu’au feu de leurs passions ; je ne suis vraiment échauffée que de leurs désirs, et je ne connais de volupté qu’à satisfaire tous leurs écarts. Si ce qu’ils exigent de moi se trouve tout simple, mes voluptés sont médiocres ; ont-ils besoin de recherches, j’éprouve aussitôt, par sympathie, le plus violent désir de les contenter, et je n’ai jamais connu ni conçu de restriction dans les actes du libertinage, attendu que plus ils outragent les mœurs, plus ils dépassent les bornes de la pudeur et de l’honnêteté, et plus ils flattent mes jouissances.

— On ne peut pas être plus aimable, dit Bernis ; il est certain qu’une femme qui refuse ces choses-là est une bégueule qui ne mérite ni la considération de ses amis, ni l’estime des honnêtes gens.

— De tels refus sont absurdes, dit Albani, l’un des plus zélés sectateurs de tous les goûts bizarres de la lubricité ; ils ne prouvent dans la femme qui les fait que de la bêtise ou de la froideur, et je vous avoue qu’une femme glacée ou stupide, aux yeux de ceux qui ne pardonnent le sexe dont elles sont qu’en faveur de leur complaisance, est un individu bien méprisable à mes yeux.

— Eh ! quelle serait donc la femme assez bête, dis-je, pour imaginer qu’un homme fit plus de mal à lui mettre le vit au derrière qu’à le lui introduire dans le con ? Une femme n’est-elle pas femme partout, et n’est-ce pas une extravagance que de vouloir consacrer à la pudeur une des parties de son corps, lorsqu’elle consent à livrer les autres ? Il est ridicule de dire que cette manie puisse jamais outrager la nature : nous inspirerait-elle ce goût, s’il l’offensait ? Osons assurer, au contraire, qu’elle le chérit, qu’il lui est favorable ; que les lois de l’homme, toujours dictées par l’égoïsme, n’ont pas le sens commun sur cet objet, et que celles de la nature, bien plus simples, bien plus expressives, doivent nécessairement nous inspirer tous les goûts destructeurs d’une population, qui, la privant du droit de recréer les premières espèces, la maintient dans une inaction qui ne peut que déplaire à son énergie.

— Voilà sans doute une très belle idée, dit Bernis, je voudrais maintenant qu’à cette érudition théorique, nous joignissions un peu de pratique. Je vous invite donc, belle Juliette, à venir exposer à nos yeux ce trône de volupté qui, d’après notre consentement, fera, lorsque nous l’exigerons, l’unique objet de nos caresses et de nos plaisirs. Celui d’Olympe nous est assez connu pour que nous n’exigions dans ce moment-ci que le vôtre.

Les deux cardinaux s’étant rapprochés, je fus à l’instant leur présenter l’objet de leur culte. Troussée jusqu’au-dessus des hanches, rien ne put troubler leur examen, et je puis assurer qu’il fut fait avec les détails les plus lubriques et les plus circonstanciés. Albani poussait la sévérité des mœurs sodomites au point de déguiser scrupuleusement avec sa main tout ce que l’attitude penchée que l’on me faisait prendre lui faisait involontairement découvrir dans le voisinage : il n’est pas de vrai sodomiste qui ne débande à la vue d’un con. Après les attouchements, vinrent les baisers, les gamahuchades. Et comme, chez des libertins de ce genre, la barbarie devient presque toujours la suite des impulsions de la lubricité, on passa des suçons aux claques, aux pinçons, aux morsures, aux introductions vigoureuses et à sec de plusieurs doigts dans l’anus, et, définitivement, aux propositions du fouet qui se seraient exécutées sur-le-champ, sans doute, si l’on n’eût annoncé mes compagnes. Comme c’est de ce moment que la scène commence à devenir véritablement sérieuse, c’est aussi de cette époque que je vais vous la peindre avec la cynique franchise qui caractérisera toujours mes crayons.

Les cardinaux, enchantés des deux délicieuses créatures que j’offrais à leur lubricité, exigèrent bientôt l’examen le plus scrupuleux des beautés postérieures que leur promettaient deux aussi jolies femmes. Olympe elle-même s’empressait autour d’elles avec la même ardeur que les hommes. Ce fut alors, qu’en tirant Albani à part, je lui tins à peu près le discours suivant :

— Saint homme, lui dis-je, tu ne t’es pas imaginé sans doute que ces deux jolies femmes et moi venions satisfaire ici toutes tes fantaisies brutales uniquement par amour pour toi. Il ne faut pas que la figure que je fais dans Rome t’en impose ; elle n’est le fruit que de mes prostitutions, elles seules me font vivre et me soutiennent ; je ne me donne que pour de l’argent, et il m’en faut beaucoup.

— Bernis et moi avons toujours pensé de même, me dit le cardinal.

— À la bonne heure, répondis-je ; en ce cas, dites-moi ce que vous destinez à mes amies et à moi : autrement rien de fait, je crois devoir vous en prévenir.

Albani se rapproche de son confrère, il lui parle bas un moment, et tous deux, venant à moi, m’assurent que j’aurai lieu d’être satisfaite de leur manière d’agir.

— Ces promesses-là sont trop vagues pour me contenter, répondis-je. Vous savez que chacun vit de son métier ; celui de croquer de petites idoles de pâte vous vaut cinq ou six cent mille livres de rentes ; trouvez bon que le mien, infiniment plus agréable à la société, me rapporte de même en raison de son mérite. Vous allez me montrer beaucoup de turpitudes ; je deviendrai maîtresse de votre secret, je puis vous compromettre en en abusant. Vous vengerez-vous par des coups d’éclat ? Au moyen de mon or, je serai, comme vous, entendue, et mes défenseurs vous perdront en vous dévoilant. Pour six mille sequins, et la promesse de me faire faire une partie avec le pape, tout s’arrangera, et je n’aurai plus que des plaisirs à vous donner. Peu de femmes au monde sont aussi lubriques, aussi complaisantes, aussi scélérates que moi, et ce que mon imagination déréglée ajoutera à vos plaisirs, les rendra peut-être les plus vifs et les plus délicieux de la terre.

— Aimable enfant, me dit Bernis, vous ne vous donnez pas à bon marché ; mais trop aimable pour qu’on puisse rien vous refuser, nous vous introduirons chez le pape. Le désir que vous témoignez a déjà été conçu par lui-même, et puisqu’il faut tout vous dire, cette partie préliminaire n’est arrangée que par ses ordres : il veut, avant que de vous connaître, que nous lui rendions compte de vous.

— Allons, dis-je, il ne faut que l’argent, et je suis à vos ordres.

— Quoi ! tout de suite ?

— Assurément.

— Mais si, après…

— Ah ! vous connaissez mal les Françaises ! Franches comme le pays dont elles portent le nom, elles veulent être sûres de leur fait avant que de conclure un marché ; mais elles sont incapables de l’enfreindre quand elles en ont reçu l’argent.

Alors Albani, sur un signe de son confrère, me fit passer dans un cabinet, et ayant ouvert un secrétaire, il en sortit en billets payables à vue la somme exigée par moi. Je n’eus pas plus tôt jeté les yeux sur ce secrétaire que les richesses dont il me parut rempli me séduisirent. Bon ! me dis-je aussitôt que j’eus conçu la ruse qui allait me l’approprier, je puis d’autant mieux entreprendre le coup, que ces scélérats, par la multitude d’horreurs qu’ils se permettront avec moi, vont s’enchaîner au point qu’ils n’oseront jamais me poursuivre. En profitant avec promptitude du moment où le meuble était encore ouvert, je feins un évanouissement avec une telle vérité, qu’Albani s’effraye et sort promptement pour appeler au secours. Je me relève légèrement, je mets la main sur les billets, sur les portefeuilles, et d’un coup de filet je m’empare de près d’un million. Je referme le secrétaire. Dans le trouble où il est, pensais-je, il ne se ressouviendra pas de l’état où il a laissé son trésor, et je serai moins soupçonnée quand il le trouvera de cette manière. Tout ce que je vous dis, exécuté en moins de temps que je n’en mets à vous le rendre, je me replace à terre dans la situation où m’avait mise mon évanouissement supposé. Albani rentre, suivi d’Olympe et de Bernis. Aussitôt que je les vois, je reprends connaissance, dans la crainte qu’en tournant trop autour de moi, l’on ne découvre ce qu’à peine j’ai pu cacher sous mes jupes.

— Ce ne sera rien, dis-je promptement, mon extrême sensibilité me rend parfois sujette à ces crampes de nerfs, et je suis mieux maintenant, et parfaitement à vos ordres…

J’avais au mieux prévu les idées d’Albani : voyant son secrétaire fermé, il crut l’avoir laissé de cette manière-là, et sans la moindre apparence de soupçon, nous repassâmes dans une salle délicieuse où devaient s’exécuter les orgies projetées.

Là nous trouvâmes huit personnages nouveaux dont les rôles n’étaient pas de peu d’importance dans les mystères que nous allions célébrer. Ces huit personnages étaient d’abord quatre petits garçons de quinze ans, beaux comme l’Amour, ensuite quatre fouteurs de dix-huit à vingt ans, dont les membres étaient monstrueux. Nous étions donc là douze en tout pour les plaisirs de ces deux scélérats, car Olympe, mixte dans cette scène, fut toujours infiniment plus du côté des victimes que de celui des sacrificateurs ; le libertinage, l’intérêt, l’ambition, la livraient à ces libertins et elle y remplissait absolument le même emploi que nous.

— Allons ! dit Bernis, commençons. Juliette, vous Élise, et vous Raimonde, en vous faisant aussi chèrement payer, vous nous donnez le droit de vous parler comme à des putains : servez-nous donc avec la même obéissance.

— Cela est juste, répondis-je, voulez-vous nous voir nues ?

— Oui.

— Eh bien, donnez-nous donc une garde-robe où mes compagnes et moi puissions nous déshabiller…

On en ouvre une. Je partage aussitôt mon énorme paquet avec mes deux compagnes, nous insérons le tout avec soin dans nos poches, nous nous déshabillons, et, une fois nues, nous paraissons dans le cercle où les cardinaux nous attendaient.

— Un peu d’ordre à tout ceci, dit Bernis. Je remplirai les fonctions de maître des cérémonies, mon confrère y consent : que tout le monde m’obéisse donc. L’examen que nous devons faire de vos culs, mesdames, n’étant qu’esquissé, ayez pour agréable de venir les offrir tour à tour à notre critique ; les petits garçons passeront aussi, et à mesure qu’un sujet sera vu, il entourera sur-le-champ l’un des fouteurs et le disposera au plaisir, de manière que, l’examen fait, nous puissions retrouver en attitude, sous nos yeux, chacun de ces fouteurs entouré d’une femme et d’un garçon.

Le premier tableau s’exécute : nous passions alternativement de l’un à l’autre de ces libertins. Nos fesses étaient baisées, palpées, mordues, pincées, et nous nous rangions sur-le-champ autour d’un des fouteurs, en observant qu’il n’y eût jamais qu’un homme et qu’une femme auprès de chacun.

— Maintenant, dit le maître des cérémonies, il faut qu’un petit garçon, agenouillé entre nos cuisses, nous suce le vit ; un des grands nous fera sucer le sien ; en avant de lui, pour l’exciter, il gamahuchera le cul d’une femme ; nous aurons sous nos mains, à droite le vit d’un fouteur que nous branlerons, à gauche les fesses d’un petit garçon, et les deux autres femmes, placées à côté de nous et un peu au-dessous, nous chatouilleront les couilles et le trou du cul.

Pour la troisième scène, dit Bernis, nous resterons couchés comme nous voilà ; ce seront des femmes qui nous pomperont ; deux petits garçons, agenouillés sur nos poitrines, nous feront sucer le trou de leur cul ; ils baiseront, au-dessus d’eux, les fesses des deux femmes, qui, elles-mêmes, branleront les vits des deux petits garçons ; et les quatre fouteurs seront branlés par nous, chacun d’une main.

Tels vont être nos rangs dans la quatrième scène, poursuit le charmant cardinal : deux femmes, différentes de celles qui viennent de nous sucer, agenouillées contre ces sofas, vont recevoir nos vits dans leur bouche ; les deux autres femmes nous serviront de maquerelles ; elles disposeront les quatre fouteurs à nous enculer tour à tour, elles les socratiseront, elles les gamahucheront, elles les langoteront : en un mot, elles n’épargneront rien pour les faire bander, et, quand elles les verront prêts à nous perforer, elles humecteront de leur bouche et de leur langue le trou de notre derrière, et conduiront avec soin leurs membres dans notre cul ; les quatre petits garçons se relayeront sous notre bouche, et, couchés en face de nous, à plat ventre, ils nous feront alternativement baiser leurs quatre culs.

Les quatre fouteurs étaient vigoureux ; nous les excitions à merveille. Les deux vieilles culasses pourprées furent sodomisées chacune huit fois de suite ; mais, plus durs que le diable, les coquins éprouvèrent cette dernière scène avec le même flegme que celles qui l’avaient précédée, et nous n’en obtînmes même pas une demi-érection.

— Ah ! dit Bernis, je vois bien qu’il faut des stimulants plus actifs : rien n’agit, dans l’état de dépérissement où nous sommes. La dévorante satiété veut tout engloutir, rien ne la satisfait, c’est une maladie semblable à ces soifs brûlantes que l’eau la plus fraîche ne fait qu’accroître. Albani me ressemble : regardez si toutes ces épreuves ont seulement fait guinder son vit d’un cran. Essayons autre chose, puisque la nature nous en a fait une loi. Vous êtes douze, partagez-vous ; que chaque escouade soit composée de deux fouteurs, de deux petits garçons et de deux femmes : la première opérera sur mon vieil ami, la seconde sur moi. Rangés près de nous, tour à tour, vous vous ferez branler par nous, vous nous sucerez et vous nous chierez dans la bouche…

À cette dégoûtante opération, les membres de nos agonisants se dérident, et, dès ce moment, nos paillards se croient en état d’essayer de plus sérieuses attaques.

— La sixième scène se passera de cette manière, dit l’ordonnateur : Albani, qui me paraît aussi en état que moi, sodomisera Élise ; je vais enculer Juliette ; les quatre fouteurs, préparés par Olympe et par Raimonde, soigneront nos culs ; deux petits garçons, couchés au-dessus de nous, nous présenteront à baiser, les uns leurs vits, les autres leurs fesses.

Les groupes s’arrangent ; mais nos deux champions, trompés par leurs désirs, baissent le nez devant le tabernacle, et ne réussissent seulement pas à en effleurer les portes.

— Je m’en doutais, dit Albani, avec ta fureur de nous faire enculer des femmes !… Sur un garçon, je n’eusse pas essuyé cette avanie.

— Eh bien ! changeons, dit l’ambassadeur, n’en avons-nous pas le moyen ?

Mais l’épreuve n’est pas plus heureuse ; nos cardinaux sont foutus, mais ne foutent point ; on a beau les branler, les sucer, leurs vieux outils se replient au lieu de se déployer, et Bernis annonce que l’épreuve ne réussissant pas plus avec son confrère qu’avec lui, on va s’occuper d’autre chose.

— Mesdames, nous dit le grand maître, puisque les bons procédés que nous avons pour vous ne servent à rien, il en faut essayer de plus durs. Vous connaissez les effets de la fustigation ? Nous allons les essayer avec vous.

À ces mots, il s’empare de moi, et m’applique sur une machine assez étrange pour mériter une description particulière.

J’étais liée contre un mur, les mains en l’air et les pieds au plancher. Une fois là, Bernis releva contre moi une espèce de tablette d’acier semblable au banc d’une stalle, et dont la partie qui touchait mon ventre était aussi tranchante qu’une lame de rasoir. Pressée par cette tablette, vous imaginez bien que je rejetai mes reins en arrière ; voilà précisément ce que voulait Bernis : je n’avais jamais fait si beau cul. Armé d’une poignée de verges, le paillard commence à me flageller, mais sans aucune préparation, et les coups qu’il me porte deviennent si violents que le sang coule déjà sur mes cuisses. Vigoureusement pressée par l’infernale machine dont mon ventre était menacé, il me devenait absolument impossible d’esquiver aucun des coups qui m’étaient portés ; l’essayais-je, je n’y parvenais qu’en me déchirant : heureusement que, faite à cette cérémonie dont je faisais souvent mes délices, je pus sans inconvénient endurer toute l’opération. Il n’en fut pas de même de celles qui me succédèrent : Élise, placée après moi sous ces cruels lies, s’y coupa le ventre, et jeta les hauts cris ; Raimonde y souffrit également beaucoup. Olympe brava tout, elle aimait le fouet ; cette vexation ne fit que l’irriter. Toutes les quatre, replacées pour Albani, subirent encore la même opération, et nos scélérats bandèrent à la fin. Ne s’étant pas assez bien trouvés des femmes pour les resoumettre à leur jouissance, ils enfilèrent des petits garçons ; on les fouettait pendant qu’ils sodomisaient, et leur attitude était telle qu’ils pouvaient baiser alors des clitoris, des trous de culs et des vits, artistement offerts à leur libertinage. Pour le coup, la nature irritée les servit : tous deux déchargèrent presque en même temps. Ce sont mes fesses qu’Albani baise pendant sa crise, et elle est si violente, le coquin s’abandonne avec tant de furie, qu’il m’y laisse l’empreinte des deux seuls chicots que cinq ou six véroles et autant de cristallines ont laissés dans sa bouche impure. Le derrière de Raimonde, baisé par Bernis, n’avait pas été plus heureux ; mais c’était à coups d’ongles, à coups d’épingle, que ce libertin l’avait molesté : il était en sang quand la crise eut lieu. Un moment de repos succéda et les orgies recommencèrent.

À la première scène de cette reprise, ces débauchés nous firent placer tour à tour entre les bras de quatre fouteurs, qui nous enconnaient pendant qu’eux jouissaient de la vue de nos fesses, et que, pour nous exciter à mieux foutre, les barbares nous picotaient, nous pinçaient et nous flagellaient de mille différentes manières. Cela fait, les couples se retournèrent, les quatre culs d’hommes furent montrés ; les quatre petits garçons les sodomisèrent, et les cardinaux foutirent les petits garçons, mais sans décharger. Les femmes reprirent les petits garçons dans leurs bras, les fouteurs enculèrent ces Ganymèdes ; ils enculèrent ensuite les femmes, dont les petits garçons léchaient le clitoris. Ensuite, on mit les petits garçons au mur, les planches d’acier se relevèrent sur eux comme sur nous, et l’on les étrilla jusqu’au sang. C’est alors que l’envie de perdre encore du foutre s’empara à la fois de nos deux faunes. Semblables à des tigres qui cherchent une pâture, ils errent au milieu de nous, en nous lançant des regards furieux. Ils ordonnent aux hommes de nous prendre et de nous fouetter devant eux ; ils sodomisent pendant ce temps un petit garçon, et baisent les fesses d’un autre. Leur foutre part une seconde fois, et l’on se met à table.

Rien de délicieux comme le repas qui nous fut servi ; le pittoresque dont il fut mérite un peu de détail.

Au milieu d’un cercle assez étroit, était une table ronde à six couverts seulement : deux étaient occupés par les cardinaux ; Olympe, Élise, Raimonde et moi occupions les quatre autres. Des gradins circulaires, à quatre étages, environnaient la table. Là, cinquante des plus belles courtisanes de Rome, cachées sous des masses de fleurs, ne laissaient voir que leurs derrières, de façon que ces culs groupés, parmi des lilas, des œillets et des roses, s’apercevaient çà et là sans symétrie, et donnaient sous un même aspect l’image de tout ce que la nature et la volupté pouvaient offrir de plus délicieux. Vingt petits Amours, représentés par de jolis bardaches, formaient une coupole, et la salle n’était éclairée que par les flambeaux tenus par ces petits dieux. Un ressort faisait varier les services : au moment qu’il partait, le bourrelet des couverts restait devant les convives, le rond du milieu s’enfonçait, et revenait seulement chargé de six petites gondoles d’or contenant les mets les plus exquis et les plus délicats. Six jeunes garçons nus, vêtus comme Ganymède, faisaient le service de l’intérieur, et versaient aux convives les vins les plus exquis. Nos libertins, qui nous avaient fait rhabiller pour l’instant du repas, exigèrent que la nouvelle nudité où ils voulaient nous mettre ne vînt, comme chez les courtisanes de Babylone, que par gradation. Au premier service on enleva un fichu, on dégarnit le buste au second, ainsi de suite jusqu’aux fruits, où nos vêtements tombèrent en entier ; alors le libertinage et l’abrutissement augmentèrent. Le dessert fut servi dans quinze petites barques de porcelaine verte et or. Douze petites filles de six à sept ans, à moitié nues et seulement ornées de guirlandes de myrtes et de roses, parurent pour faire couler à longs flots dans nos verres les vins étrangers et les liqueurs. Les têtes s’embrasent, Bacchus vient rendre aux esprits de nos deux libertins toute l’énergie nécessaire à la tension décidée du nerf érecteur, et le désordre est complet.

— Poète charmant, dit le maître de la maison au cardinal de Bernis, il court deux morceaux dans Rome, que les gens d’esprit t’attribuent : nos convives sont dignes de les entendre, dis-les-nous, je t’en prie.

— Ce ne sont que des paraphrases, répondit Bernis, et je suis étonné de leur publicité, car je ne les ai montrés qu’au pape.

— En voilà beaucoup plus qu’il ne faut pour qu’ils ne soient ignorés de personne… En un mot, dis-les-nous, cardinal, nous voulons absolument les entendre.

— Volontiers, dit Bernis, je n’ai rien de caché pour des philosophes comme vous… L’un est la paraphrase du fameux sonnet de Des Barreaux, l’autre, celle de l’Ode à Priape. Je vais commencer par la première69.


Sot Dieu ! tes jugements sont pleins d’atrocité,

Ton unique plaisir consiste à l’injustice :

Mais j’ai tant fait de mal, que ta divinité

Doit, par orgueil au moins, m’arrêter dans la lice.


Foutu Dieu ! la grandeur de mon impiété

Ne laisse en ton pouvoir que le choix du supplice,

Et je nargue les fruits de ta férocité.

Si ta vaine colère attend que je périsse,


Contente, en m’écrasant, ton désir monstrueux ;

Sans craindre que des pleurs s’écoulent de mes yeux,

Tonne donc ! je m’en fous ; rends-moi guerre pour guerre :


Je nargue, en périssant, ta personne et ta loi.

En tel lieu de mon cœur que frappe ton tonnerre,

Il ne le trouvera que plein d’horreur pour toi.


Ce morceau ayant été fort applaudi, Bernis nous récita l’autre à l’instant.


Foutre des Saints et de la Vierge,

Foutre des Anges et de Dieu !

Sur eux tous je branle ma verge,

Lorsque je veux la mettre en feu…

C’est toi que j’invoque à mon aide,

Toi qui dans les culs, d’un trait raide,

Lanças le foutre à gros bouillons !

Du Chaufour, soutiens mon haleine,

Et pour un instant, à ma veine

Prête l’ardeur de tes couillons70.


Que tout bande, que tout s’embrase ;

Accourez, putains et gitons :

Pour exciter ma vive extase,

Montrez-moi vos culs frais et ronds,

Offrez vos fesses arrondies,

Vos cuisses fermes et bondies,

Vos engins roides et charnus,

Vos anus tout remplis de crottes ;

Mais, surtout, déguisez les mottes :

Je n’aime à foutre que des culs.


Fixez-vous, charmantes images,

Reproduisez-vous sous mes yeux ;

Soyez l’objet de mes hommages,

Mes législateurs et mes Dieux !

Qu’à Giton l’on élève un temple

Où jour et nuit l’on vous contemple,

En adoptant vos douces mœurs.

La merde y servira d’offrandes,

Les gringuenaudes de guirlandes,

Les vits de sacrificateurs.


Homme, baleine, dromadaire,

Tout, jusqu’à l’infâme Jésus,

Dans les cieux, sous l’eau, sur la terre,

Tout nous dit que l’on fout des culs ;

Raisonnable ou non, tout s’en mêle,

En tous lieux le cul nous appelle,

Le cul met tous les vits en rut,

Le cul, du bonheur est la voie,

Dans le cul gît toute la joie,

Mais, hors du cul, point de salut.


Dévots, que l’enfer vous retienne :

Pour vous seuls sont faites ses lois ;

Mais leur faible et frivole chaîne

N’a sur nos esprits aucun poids.

Aux rives du Jourdain paisible,

Du fils de Dieu la voix horrible

Tâche en vain de parler au cœur :

Un cul paraît71, passe-t-il outre ?

Non, je vois bander mon jean-foutre.

Et Dieu n’est plus qu’un enculeur.


Au giron de la sainte Église,

Sur l’autel même où Dieu se fait,

Tous les matins je sodomise

D’un garçon le cul rondelet.

Mes chers amis, que l’on se trompe

Si de la catholique pompe

On peut me soupçonner jaloux.

Abbés, prélats, vivez au large :

Quand j’encule et que je décharge,

J ai bien plus de plaisirs que vous.


D’enculeurs l’histoire fourmille,

On en rencontre à tout moment.

Borgia, de sa propre fille,

Lime à plaisir le cul charmant ;

Dieu le Père encule Marie ;

Le Saint-Esprit fout Zacharie :

Ils ne foutent tous qu’à l’envers.

Et c’est sur un trône de fesses

Qu’avec ses superbes promesses,

Dieu se moque de l’univers.


Saint Xavier aussi, ce grand sage

Dont on vante l’esprit divin,

Saint Xavier vomit peste et rage

Contre le sexe féminin.

Mais le grave et charmant apôtre

S’en dédommagea comme un autre.

Interprétons mieux ses leçons :

Si, de colère, un con l’irrite,

C’est que le cul d’un jésuite

Vaut à ses yeux cent mille cons.


Près de là, voyez saint Antoine

Dans le cul de son cher pourceau,

En dictant les règles du moine72,

Introduire un vit assez beau.

À nul danger il ne succombe ;

L’éclair brille, la foudre tombe,

Son vit est toujours droit et long.


Et le coquin, dans Dieu le Père

Mettrait, je crois, sa verge altière

Venant de foutre son cochon.


Cependant Jésus dans l’Olympe,

Sodomisant son cher papa,

Veut que saint Eustache le grimpe,

En baisant le cul d’Agrippa73.

Et le jean-foutre, à Madeleine,

Pendant ce temps, donne la peine

De lui chatouiller les couillons.

Amis, jouons les mêmes farces :

N’ayant pas de saintes pour garces,

Enculons au moins des gitons.


Ô Lucifer ! toi que j’adore,

Toi qui fais briller mon esprit,

Si chez toi l’on foutait encore,

Dans ton cul je mettrais mon vit.

Mais puisque, par un sort barbare,

L’on ne bande plus au Ténare,

Je veux y voler dans un cul.

Là, mon plus grand tourment, sans doute,

Sera de voir qu’un démon foute,

Et que mon cul n’est point foutu.


Accable-moi donc d’infortunes,

Foutu Dieu qui me fais horreur ;

Ce n’est qu’à des âmes communes

À qui tu peux foutre malheur :

Pour moi je nargue ton audace.

Que dans un cul je foutimasse,

Je me ris de ton vain effort ;

J’en fais autant des lois de l’homme :

Le vrai sectateur de Sodome

Se fout et des Dieux et du sort.


Les applaudissements redoublèrent. Cette ode fut trouvée bien plus forte que celle de Piron, unanimement accusé de poltronnerie pour avoir niché là les Dieux de la fable, quand il n’aurait dû ridiculiser que ceux du christianisme.

Les têtes plus électrisées que jamais, l’on sortit de table dans un tel état d’ivresse qu’à peine pouvait-on marcher. Un nouveau salon magnifique nous reçut, et là se retrouvèrent les cinquante courtisanes dont nous avions observé les fesses pendant le repas, les six petits frères servants et les douze pucelles du dessert. La délicatesse de l’âge de ces petites nymphes, leurs intéressantes figures, échauffèrent prodigieusement nos paillards. Ils se jetèrent comme des lions sur les deux plus jeunes, et ne pouvant les foutre, leur fureur s’en accrut. Ils les attachent sur les perfides machines, et les déchirent à coups de martinets armés d’aiguilles ; nous les branlons, nous les suçons pendant ce temps-là ; ils bandent. Deux nouvelles pucelles sont saisies ; à force d’art, les libertins parviennent à les sodomiser ; mais voulant ménager leurs forces, ils se précipitent sur d’autres victimes ; tantôt de jeunes filles, tantôt de petits garçons deviennent la proie de leur lubricité ; tout leur passe par les mains, et ce n’est qu’après avoir dépucelé chacun sept ou huit enfants de l’un et l’autre sexe, que s’éteint le flambeau de leur luxure, l’un dans le cul d’un petit garçon de dix ans, l’autre dans celui d’une petite fille de six. Tous deux ivres morts tombent sur des canapés et s’endorment… Nous nous rhabillons.

Quelque étourdie que je fusse moi-même, le goût du vol ne m’abandonnant jamais, je me rappelai que le trésor d’Albani n’était point épuisé par ma première incursion. J’ordonne à Raimonde d’amuser Olympe, et vole au secrétaire avec Élise… J’y retrouve la clef, nous pillons tout. Cette seconde prise jointe à la première me vaut quinze cent mille francs que, dès le lendemain, je plaçai comme mes autres fonds. Olympe ne s’étant aperçue de rien, nous partons. Je vous laisse à penser, mes amis, si mon gentilhomme Sbrigani fut aise de me voir revenir couverte de tant de richesses.

Cette aventure fit pourtant du bruit quelques jours après. Olympe accourut chez moi :

— Le cardinal est volé de plus d’un million, me dit-elle ; c’était la dot de sa nièce. Il est loin de te soupçonner, Juliette, mais il craint que le coup, positivement exécuté le jour où tu soupas chez lui, n’ait été l’ouvrage de tes deux compagnes.

En sais-tu quelque chose, mon ange ? Avoue-le-moi, je t’en conjure.

Et ici, suivant mon usage, j’imaginai une horreur infernale pour couvrir celle dont je m’étais souillée. J’avais appris indirectement que, la veille du jour où j’avais soupé chez Albani, une autre de ses nièces, qu’il avait voulu séduire, s’était sauvée du palais de ce cardinal pour échapper à la flétrissure. Je jette aussitôt des soupçons sur cette jeune personne : ils sont avidement saisis par Olympe, promptement rapportés par elle au cardinal qui, par faiblesse ou par méchanceté… peut-être par unique envie de se venger du refus de sa nièce, met aussitôt après ses trousses tous les sbires de l’État ecclésiastique. La pauvre fille est attrapée sur les confins du royaume de Naples, au moment où elle allait se jeter dans un couvent de Bernardines dépendant encore de l’État romain. Ramenée dans Rome, elle y est aussitôt mise au cachot. Sbrigani trouve des témoins qui déposent contre elle ; il ne s’agit que de savoir ce qu’elle a fait de l’argent et des bijoux : d’autres témoins, également gagnés par nous, déposent qu’elle a tout remis à un Napolitain qu’elle aime, et qui a quitté Rome quelques jours avant elle… Toutes ces dépositions s’enchaînent si bien, nous savons donner à toutes un si grand air de vérité, que la pauvre créature est condamnée, le septième jour, à mort. On lui coupa le cou dans la place Saint-Ange, et j’eus le plaisir d’assister à son supplice, à côté de Sbrigani qui me branlait pendant ce temps-là. Être suprême ! m’écriai-je dès que l’opération fut faite, voilà donc comme tu venges l’innocence ; voilà comme tu fais triompher ceux de tes enfants qui te servent le mieux, en pratiquant sur la terre cette vertu dont tes attributs sont l’image ! Je vole le cardinal, sa nièce le fuit pour éviter de servir au crime où il la destine : je jouis de mon forfait, elle périt sur un échafaud… Être saint et sublime ! voilà comme tu conduis les hommes… N’est-il pas bien juste qu’ils t’adorent !

Au travers de tous mes désordres, la charmante duchesse de Grillo ne me sortait pas de la tête. À peine âgée de vingt ans, Honorine de Grillo, mariée depuis dix-huit mois à un homme de soixante ans qu’elle détestait, se trouvait encore aussi vierge avec ce vieux faune qu’à l’époque où sa mère la sortit du couvent des Ursulines, à Bologne, pour la lui livrer. Ce n’était pas que le vieux duc ne fît ses efforts pour triompher des résistances de sa femme ; mais, abhorré par elle, il n’avait encore pu les vaincre. Je n’avais été que deux fois chez la duchesse, la première en visite de cérémonie pour lui présenter mes lettres de recommandation ; la seconde pour jouir un peu plus longtemps de l’inconcevable plaisir que sa société me faisait éprouver. J’y fus cette troisième fois, bien déterminée à lui déclarer ma passion, et bien résolue à la satisfaire, quels que fussent les obstacles que sa vertu pût m’opposer.

Ce fut au sortir d’une de ces toilettes lubriques, si propres à séduire et à entraîner tous les cœurs, que je me présentai chez elle. Le hasard favorisant mes projets, je la trouvai seule. Les premiers compliments faits, je laissai parler mes yeux… Par pudeur, on les évita. Je mis aussitôt les louanges et la séduction à la place de l’amour, et saisissant une des mains de la duchesse :

— Femme délicieuse, lui dis-je, s’il existe un Dieu dans le ciel, et qu’il soit juste, vous devez être la femme la plus heureuse de la terre, comme vous en êtes la plus belle.

— Votre indulgence vous fait parler ainsi, mais je me rends justice.

— Ah ! si vous vous la rendiez, madame, ce serait sur l’autel des Dieux qu’il faudrait vous placer : celle qui mérite aussi bien les hommages de l’univers entier ne devrait habiter qu’un temple…

Et je lui serrais les mains, je les lui baisais en disant cela…

— Pourquoi me flattez-vous ? me dit Honorine en rougissant.

— Ah ! c’est que je vous adore.

— Est-ce que des femmes peuvent s’aimer ainsi ?

— Et pourquoi pas ? Plus est grande leur sensibilité, plus il leur est permis d’idolâtrer ce qui est beau, sous tel sexe qu’il puisse se présenter. Les femmes sages fuient le commerce des hommes : il est si dangereux… l’union qu’elles forment entre elles est si douce… Ah ! ma chère Honorine, d’où vient que je ne pourrais pas être à la fois… votre amie… votre amant… votre époux ?…

— Folle créature ! dit la duchesse, pourriez-vous donc jamais être tout cela ?

— Eh ! oui, oui, poursuivis-je avec chaleur, en la pressant dans mes bras, oui, le dernier surtout, je le serai si tu veux, mon ange !…

Et ma langue enflammée se glisse dans sa bouche. Honorine reçoit le baiser d’amour, elle le reçoit sans se fâcher, et quand j’essaie le second, c’est l’amour lui-même qui le rend : la plus fraîche, la plus jolie petite langue vient frétiller sur mes lèvres brûlantes. Je devins plus hardie ; écartant les gazes qui dérobent à mes yeux les plus beaux seins du monde, j’accable ces tétons d’albâtre des plus délicieuses caresses, ma langue en chatouille amoureusement le bouton de rose, pendant que mes mains avides en éparpillent les lis. Honorine, émue, se laisse faire, ses grands yeux bleus, remplis du plus vif intérêt, s’allument insensiblement, les larmes de la volupté les mouillent, et moi… semblable à une bacchante… furieuse… ivre de lubricité… franchissant toutes les bornes, je cherche à lui communiquer l’ardeur dont je suis dévorée…

— Que fais-tu ! me dit Honorine, oublies-tu donc et mon sexe et le tien ?

— Ah ! cher amour, m’écriai-je, outrageons quelquefois la nature pour mieux savoir lui rendre hommage ! Que nous serions malheureuses, hélas ! si nous ne savions pas nous venger de ses torts.

Et devenant toujours plus entreprenante, j’ose lâcher les rubans d’une jupe de linon, qui mettait en mon pouvoir presque tous les charmes dont je recherche la possession avec tant de chaleur. Honorine égarée… électrisée de mes brûlants soupirs, ne m’oppose plus de résistance. Je la renverse sur le canapé où nous sommes, j’écarte avidement ses cuisses et palpe toute à l’aise la petite motte la plus rebondie qu’il soit possible de voir. La duchesse était penchée dans mes bras, la main qui l’entourait, placée sur son sein rose, en chatouillait un pendant que ma bouche effleurait l’autre ; mes doigts s’exerçaient déjà sur son clitoris ; j’essayais sa sensibilité… Grand Dieu qu’elle était vive ! Honorine pensa s’évanouir aux savantes pollutions par lesquelles je savais si bien la livrer au plaisir. Malgré tous les combats de sa vertu mourante, quelques soupirs m’annoncent sa défaite c’est alors que mes caresses redoublent.

Aucun être ne sert les crises de la volupté comme moi… Je sens le besoin que mon amante a d’être secourue : il faut pomper sa semence pour en faciliter les jets. Peu de femmes sont pénétrées, comme elles le devraient, du besoin qu’elles ont d’être gamahuchées quand leur foutre va s’élancer : il n’est pourtant point alors de service plus divin à leur rendre. Avec quelle ardeur je remplis ce soin avec mon amie ! À genoux entre ses cuisses, je soulève ses hanches de mes mains, j’enfonce ma langue dans son con, je le suce, je le pompe, et, pendant ce temps, mon nez, collé sur son clitoris, continue de la décider au plaisir. Quelles fesses mes mains manient ! c’étaient celles de Vénus même ! Je sentais la nécessité d’allumer un embrasement général ; on ne saurait trop bien servir ces crises-là… aucune espèce de restriction, et si la femme que l’on branle avait reçu de la nature vingt issues qui pussent allonger ou perfectionner son extase, il faudrait les attaquer toutes, afin de centupler son désordre74. Je cherche donc son joli petit anus, pour joindre, en y enfonçant un doigt, les titillations dont il est susceptible à toutes celles que ma bouche éveille par-devant. Il est si petit, si étroit, ce trou mignon, que j’ai peine à le rencontrer : je le saisis enfin ; un de mes doigts y pénètre… Délicieux épisode ! ah ! vous ne manquerez jamais votre effet avec les femmes sensibles. À peine cette charmante fossette est-elle effleurée qu’Honorine soupire… elle se pâme, cette femme céleste !… elle décharge, elle est dans la plus divine extase, et c’est à moi que son délire est dû !

— Ah ! je t’adore, mon ange ! me dit cette douce colombe en rouvrant les yeux à la lumière… tu m’as fait mourir de volupté ! Mais comment ferai-je pour te le rendre !…

— Ah ! tiens, le voilà, le voilà, m’écrai-je en me déshabillant comme elle, et plaçant une de ses mains sur mon con : Branle-moi, mon amour, je me livre à tes coups… Juste ciel ! que n’en pouvons-nous faire davantage ?…

Mais Honorine, maladroite comme toutes les honnêtes femmes, allumait en moi des désirs et ne savait en éteindre aucun ; j’étais obligée de lui donner des leçons.

Imaginant enfin qu’elle en ferait plus avec sa langue qu’avec ses doigts, je la fais placer entre mes cuisses, et elle me gamahuche pendant que je me branle moi-même. Prodigieusement excitée par cette femme délicieuse, je décharge trois fois de suite dans sa bouche… Dévorée enfin du désir de la voir entièrement nue, je la relève, je la débarrasse de ses vêtements… Oh ! Dieu, c’est alors que je crois voir l’astre du jour, lorsqu’il se dégage, au printemps, des brouillards de l’hiver. Ah ! je puis dire avec vérité que jamais plus beau cul ne s’était offert à ma vue. Quelle blancheur !… quelle délicatesse de peau !… quelle coupe de gorge !… quelles hanches !… quelles fesses délicieuses !… Sublime autel de l’amour et du plaisir ! il n’est peut-être pas de jour où mon imagination, élancée vers vous, ne vous offre encore quelque hommage !

Je ne pus tenir à ce cul divin. Homme dans mes goûts, comme dans mes principes, quel encens plus réel j’eusse voulu brûler pour lui ! Je le baisais, je l’entrouvrais, je le sondais avec ma langue, et pendant qu’elle frétillait à ce trou divin, je rebranlais le clitoris de cette belle femme : elle déchargea encore une fois de cette manière. Mais plus j’allumais son tempérament, plus je me désolais de ne pouvoir l’enflammer davantage.

— Oh ! ma chère bonne, lui dis-je, en éprouvant ce regret, sois sûre que la première fois que nous nous reverrons, je serai munie d’un instrument capable de te porter des coups plus sensibles : je veux être ton amant, ton époux, je veux jouir de toi comme un homme.

— Ah ! fais de moi tout ce que tu voudras, me répondit la duchesse avec sensibilité, multiplie les preuves de ton amour, et je doublerai toujours avec toi les gages les plus sacrés du mien.

Honorine veut aussi me voir nue, elle me regarde partout ; mais elle est si neuve au plaisir, qu’elle ignore l’art de m’en donner… Ah ! qu’importe à mon âme de feu : elle me voyait, elle m’examinait ; j’étais foutue des rayons de ses yeux, et mon bonheur était parfait. Ô femmes lubriques ! si jamais vous êtes dans ma position, vous me plaindrez, vous sentirez le désespoir où mettent des désirs trompés, et vous maudirez comme moi la nature de vous avoir inspiré des sentiments que la bougresse ne saurait éteindre… De nouveaux plaisirs recommencèrent. Ne pouvant nous donner tout le soulagement dont nous avions besoin, nous nous procurâmes au moins tout celui que nous pûmes, et nous ne nous séparâmes qu’avec la promesse formelle de nous revoir bientôt.

Deux jours après cette scène, Olympe vint chez moi ; elle savait que j’avais vu la duchesse, elle en était jalouse.

— Honorine est belle, je le sais, me dit-elle, mais tu m’accorderas qu’elle est bête ; je la défie de pouvoir jamais te donner autant de plaisir que moi. Les inquiétudes de son époux, d’ailleurs, sont telles, que tu courrais les plus grands risques, si jamais il venait à concevoir des soupçons.

— Chère amie, dis-je à la Borghèse, je te demande encore quinze jours avant de m’expliquer plus clairement avec toi sur le compte d’Honorine. Le seul aveu par lequel je puisse te rassurer à présent, c’est que je m’amuse quelquefois de la vertu, mais que le crime seul a des droits sur mon cœur.

— N’en parlons donc plus, dit la princesse en m’embrassant, tu m’éclaires à la fois et tu me tranquillises ; je t’attends à la fin de l’illusion ; elle ne sera pas longue avec Grillo, c’est tout ce que je puis te dire.

Et Olympe poursuivant :

— N’as-tu pas été bien étonnée, me dit-elle, de me voir, l’autre jour, faire autant que toi la putain ?

— Non, en vérité, répondis-je, je connais ta tête, et je me suis bien doutée qu’il n’entrait dans cela que du libertinage.

— Tu te trompes, il y a de l’intérêt, de l’ambition. Ces deux cardinaux disposent de tout au Vatican, et j’ai des raisons pour les ménager ; j’en reçois beaucoup, d’ailleurs, et j’aime autant l’argent que toi… Tiens, Juliette, sois franche, avoue que tu as volé le cardinal ! Ne redoute en moi ni la critique, ni la trahison ; j’aime aussi tous ces légers délits, j’ai peut-être volé ces coquins-là plus que toi ; le vol est délicieux, mon ange, il fait bander ; je décharge, moi, quand je fais de ces choses-là ; il est bas de voler pour vivre, il cet délicieux de le faire pour contenter sa passion.

J’en avais trop fait avec Olympe, pour appréhender quelque chose de ses indiscrétions. On peut, je crois, sans risques, convenir d’un petit vol avec l’individu qui, dans un bien plus grand, nous servit de complice.

— J’aime que tu me connaisses, dis-je à Olympe, je suis flattée de la justice que tu me rends ; oui, j’ai fait ce vol ; j’ai, de plus, contribué à faire périr l’innocente sur laquelle j’ai fait retomber le soupçon, et cette réunion de petits crimes m’a fait bien voluptueusement décharger…

— Ah ! foutre, baise-moi, dit Olympe… Va, je suis digne de toi ; il n’y a pas un an que j’ai fait à peu près la même chose, et je connais toutes les voluptés qui résultent de ces petites lésions à la vertu… Écoute, nous devons bientôt souper chez le pape ; Braschi doit se livrer avec nous à d’horribles excès ; tu verras à quel point ce chef suprême de l’Église est débauché, impie, meurtrier… tu verras comme il aime le sang. Près du lieu où se célébreront ces orgies, est le cabinet des trésors de l’État, je me charge de t’y faire entrer ; il y a des millions à prendre ; ne crains rien, nous les emporterions sous ses yeux qu’il n’oserait rien dire… Nous aurons son secret, il frémirait de nous le voir trahir. Ai-je ta parole ?

— Peux-tu douter de moi quand il s’agit d’un crime ?

— Mais surtout que Grillo n’en sache jamais rien.

— Augure mieux de ma sagesse, Olympe, et ne t’imagine pas qu’une fantaisie me fasse compromettre ou négliger une passion ; je m’amuse d’un goût, mais ne me fixe jamais qu’à l’infamie : elle seule a des droits sur mon cœur, elle seule aura toujours celui de m’enflammer…

— C’est que le crime est si délicieux ! me dit Olympe, je ne connais rien qui m’échauffe comme le crime : l’amour est si bête auprès de lui. Ah ! chère amie, poursuivit cette femme emportée, j’en suis au point de n’en plus trouver d’assez forts pour moi ; ceux que la vengeance m’a fait commettre ne me paraissent pas aussi bons que ceux de la lubricité dont je te dois la connaissance ; je chéris ceux-là plus que tout.

— Tu as raison, répondis-je, les crimes les plus délicieux à commettre sont ceux qui n’ont aucun motif : il faut que la victime soit parfaitement innocente ; ses fautes, en légitimant ce que nous faisons, ne laissent plus à notre iniquité le délicieux plaisir de s’exercer gratuitement. Il faut absolument faire mal, il faut avoir des torts : cela se peut-il, lorsque la victime s’en trouve elle-même couverte ? J’aime l’ingratitude, dans ce cas, poursuivis-je : elle éveille dans l’âme de celui qu’on outrage de petits remords que j’aime à produire ; nous le forçons à se désoler de nous avoir fait plaisir, et rien n’est délicieux comme cela.

— Je le conçois, répondit Olympe et, dans ce cas, j’aurais quelque chose de bien bon à exécuter. Mon père vit, il m’accable de biens et de caresses, il m’adore, j’ai déchargé vingt fois à la seule idée de rompre de tels nœuds : je n’aime point la reconnaissance, son poids pèse trop fortement sur mon cœur, je ne respire que pour m’en dégager. On assure d’ailleurs que le parricide est un bien grand crime, je brûle de m’en souiller… Mais écoute, Juliette, vois jusqu’où va ma perfide imagination : il faut que tu changes de rôle avec moi ; si quelque autre te faisait un pareil aveu, tu lui aplanirais, pour l’encourager, la carrière du crime, tu lui prouverais qu’il n’y a pas de mal à tuer son père, et, comme tu as beaucoup d’esprit, tes raisonnements convaincraient bientôt. Je te conjure d’agir tout différemment ici : enfermons-nous ; tu me branleras ; pendant ce temps-là, tu me feras sentir toute l’horreur du crime dont il s’agit ; tu m’offriras les supplices qui attendent les parricides… tu m’effrayeras surtout. Plus tu chercheras à me convertir, plus je m’affermirai dans l’idée du crime que je projette, et, de ce combat, dont je sortirai victorieuse, naîtront pour moi des mouvements de volupté si violents, que mon délire n’aura plus de bornes.

— Pour rendre délicieuse la scène que tu médites, répondis-je, il faut nécessairement y introduire des tiers, et non pas que je te branle, mais que je te corrige pendant ce temps-là… Il faudra que je te fouette…

— Oh ! tu as raison, mille fois raison, dit Olympe ; tes conceptions sont plus délicates que les miennes ; mais quels tiers me donneras-tu ?

— Mes deux femmes ; elles te suceront, elles te branleront délicieusement pendant mon discours, et moi, je te fustigerai.

— Nous exécuterons, ensuite ?

— En as-tu les moyens ?

— Oui.

— Quels sont-ils ?

— Trois ou quatre sortes de poisons : ces denrées-là sont d’un usage commun dans Rome, on n’en refuse à qui que ce soit.

— Sont-ils violents ?

— Non, d’un effet assez long, même.

— Ce n’est pas ce qui te convient ; il faut que, pour se délecter, la victime souffre dans ces cas-là, que ses tourments soient horribles ; on se branle pendant qu’elle pâlit : et comment déchargerait-on, si les douleurs n’étaient exécrables ! Tiens, poursuivis-je en donnant à Olympe un des plus violents poisons de la Durand, fais avaler ceci à l’auteur de tes jours : ses angoisses dureront quarante heures, elles seront insoutenables, et son corps, sous tes yeux, tombera par morceaux.

— Oh, foutre ! pressons-nous, Juliette, hâtons-nous, je décharge ; il me serait impossible de t’entendre plus longtemps sans tomber dans le délire.

Élise et Raimonde entrèrent ; Olympe se courbe sur elles en me tendant ses superbes fesses ; je la fouette avec art, doucement d’abord, ensuite à tour de bras et, pendant cette cérémonie, je lui tiens à peu près le discours suivant :

— S’il est un crime effrayant au monde, lui dis-je, c’est assurément celui de vouloir trancher les jours de l’être qui nous fait jouir des nôtres. Unique objet de sa tendresse et de ses sollicitudes, que de reconnaissance ne lui devons-nous pas ? Peut-il être un devoir plus sacré pour nous, que celui de prolonger sa vie ? Toute idée contraire à cela ne peut être qu’un crime, dont l’être qui le conçoit doit être à l’instant puni du dernier supplice, et il n’en saurait exister d’assez grand pour une pareille horreur. Nos aïeux furent des siècles, avant même que de la pouvoir comprendre, et ce ne fut que dans des temps modernes qu’ils promulguèrent des lois pour réprimer le scélérat qui assassine son père. Le monstre qui peut oublier à ce point tous les sentiments de la nature mérite qu’on invente des tourments pour lui, et tout ce qu’il est possible d’imaginer de plus cruel me semble encore trop doux pour cette atrocité. Saurait-on trop effrayer celui qui porte la barbarie, l’ingratitude, l’abandon de tout devoir et de tout principe, au point d’attenter aux jours de l’être qui nous donna la vie ? Furies du Tartare, sortez à l’instant de votre repaire, venez vous-mêmes apprêter des tortures dignes d’une aussi révoltante exécration, et quelque affreuses que soient celles que vous inventerez, elles seront toujours au-dessous de l’offense.

Et je fouettais pendant ce temps-là, et j’étrillais ma putain qui, ivre de luxure, de crime et de voluptés, déchargeait et redéchargeait cent fois sous les mains savantes qui la polluaient.

— Tu ne me parles pas de religion, me dit-elle ; je voudrais que tu m’offrisses mon crime du côté de l’outrage qu’il fait, dit-on, à la divinité… Je voudrais que tu me parlasses de Dieu, que tu me disses à quel point je l’offense… que tu développasses à mes yeux les bûchers que les témoins me prépareront, quand les hommes auront massacré mon corps…

— Eh ! m’écriai-je alors, doutez-vous de l’énormité de l’insulte que vous allez faire à l’Être suprême, en consommant cette abomination ! Ce Dieu puissant, image de toutes les vertus, ce Dieu qui lui-même est notre père en ce monde, ne doit-il pas être révolté d’une offense qui le compromet aussi grièvement lui-même ? Ah ! soyez bien certaine que les plus grands supplices de l’enfer sont réservée au crime affreux que vous projetez, et qu’indépendamment des remords qui vous dévoreront en ce monde, vous éprouverez encore, dans ce lieu d’horreur, tous les maux matériels dont la juste colère de Dieu vous déchirera…

— Ce n’est pas tout, me dit cette libertine ; entretiens-moi maintenant, et des douleurs physiques du tourment qui m’attend, et de la honte qui doit à jamais en rejaillir et sur ma famille et sur moi.

— Malheureuse ! m’écriai-je alors, n’est-ce donc rien à tes yeux que la honte éternelle dont ce crime exécrable va couvrir à jamais ta race ? Vois ta postérité malheureuse n’oser lever un front souillé par tant de forfaits. Du fond des tombeaux, où vont te précipiter tes crimes, les entends-tu te reprocher la tache affreuse dont tu les couvres ? vois-tu ce nom si beau, flétri par tes horreurs ? Et l’affreux tourment qui t’est réservé, ton imagination le conçoit-elle, dis ? Sens-tu le fer vengeur s’appesantir sur toi ? détacher par des douleurs aiguës cette belle tête, du corps impur dont les voluptés odieuses peuvent l’allumer, au point de lui faire commettre un tel crime ? Elles seront horribles, ces douleurs ; elles se ressentent encore longtemps, même après que la tête est détachée du tronc. Mais cela ne fût-il pas, songe que la nature, si grièvement outragée par toi, doit un miracle qui prolonge tes maux, même au delà de l’éternité.

Ici, la Borghèse tomba dans une crise de plaisir si violente, qu’elle s’évanouit… Elle me rappela la Donis de Florence, complotant contre les jours de sa fille et de sa mère.

— Oh ! quelles têtes que les Italiennes, m’écriai-je, il fallait que je vinsse en ce pays pour voir des monstres qui m’égalassent !

— Oh ! sacredieu ! que j’ai eu du plaisir, dit Olympe en revenant à elle, et frottant avec de l’esprit-de-vin les blessures que mes verges avaient imprimées sur ses fesses. Maintenant que me voilà calme, dissertons un moment sur les faits. Crois-tu qu’il y ait réellement un crime à tuer son père ?

— Assurément, je suis loin de le penser, répondis-je.

Et citant à ce sujet tout ce que Noirceuil m’avait dit autrefois, lorsque Saint-Fond voulait se défaire du sien, je rassurai si complètement cette femme charmante sur toutes les craintes qui auraient pu lui rester, que tout fut résolu pour le lendemain. J’arrangeai moi-même avec elle les doses que devait avaler son père, et avec cent fois plus de courage que n’en montra jamais la Brinvilliers, Olympe Borghèse trancha les jours de l’auteur de sa vie, et l’observa délicieusement dans les supplices épouvantables que lui causait la fatale drogue dont je l’avais engagée de se servir.

Le coup fait, elle vint.

— T’es-tu branlée, lui dis-je ?…

— En doutes-tu, me dit la scélérate : je me suis épuisée près de son lit… Jamais les Parques ne furent arrosées de tant de foutre et j’en répands encore en me rappelant et ses discours et ses contorsions. Oh ! Juliette, prolonge mon plaisir ! je viens en chercher de nouveaux dans tes bras. Fais-moi décharger, Juliette : c’est avec du foutre qu’il faut éteindre les remords du crime…

— Des remords ! il serait possible que tu en conçusses ?

— Jamais, jamais… N’importe, branle-moi ; il faut que je m’étourdisse ; il faut que je décharge…

Je ne l’avais point encore vue si vive. Ah ! mes amis, comme le crime embellit une femme ! Olympe n’était que jolie ; elle n’eut pas plus tôt commis cette action, que je la trouvai belle comme un ange. Ce fut alors que j’éprouvai combien est vif le plaisir qu’on reçoit d’un être au-dessus de tous les préjugés et souillé de tous les crimes. Quand Grillo me branlait, je n’éprouvais qu’une sensation ordinaire ; étais-je dans les mains d’Olympe, la tête me tournait, je n’étais plus à moi.

Ce même jour-là, celui où la coquine venait d’irriter ses sens par le plus grand des crimes, elle me proposa de la suivre dans une maison près du Cours, où son intention, m’apprit-elle, était de me faire faire une partie fort extraordinaire. Nous arrivons ; une femme âgée nous reçoit.

— Aurez-vous bien du monde, ce soir ? lui dit Olympe.

— Beaucoup, princesse, répond la maman ; vous savez que je n’en manque jamais le dimanche.

— Établissons-nous donc, dit Olympe.

On nous met dans une assez jolie chambre, garnie de canapés fort bas, et placés de manière que nous avions la vue sur une pièce voisine, dans laquelle étaient trois ou quatre putains.

— Qu’est-ce ceci ? dis-je à la Borghèse, et quel singulier plaisir me prépares-tu ?

— Examine avec attention, me dit Olympe, ce qui va se faire près de nous. Dans l’espace de sept ou huit heures que nous allons demeurer ici, des cohortes de moines, de prêtres, d’abbés, de jeunes gens vont passer par les mains de ces filles. Le nombre des pratiques sera d’autant plus grand, que c’est moi qui paie les frais, et que tous ceux qui seront reçus là s’y amusent pour rien. Aussitôt que ces putains tiendront un vit, elles nous le feront voir ; s’il ne nous convient point, notre silence les en convaincra ; s’il nous plaît, cette sonnette le leur apprendra : le possesseur du membre désiré passera tout de suite ici, et nous régalera de son mieux.

— Voilà qui est délicieux, répondis-je, cette invention est des plus nouvelles pour moi, et je te réponds que je vais en jouir. Indépendamment du plaisir que tu me promets avec les gens qui me plairont, il nous restera encore la volupté très piquante de voir comment ceux que nous ne choisirons pas s’amuseront avec ces coquines.

— Assurément, répondit Borghèse, et c’est en déchargeant nous-mêmes que nous les verrons foutre.

Olympe finissait à peine de parler, qu’un grand séminariste parut. C’était un beau jeune homme de vingt ans, de la plus belle figure ; il dépose dans la main des filles un membre gros de sept pouces sur douze de long. Un si magnifique bijou ne tarda pas à nous être offert, et, comme vous l’imaginez aisément, nous nous gardons bien de le refuser.

— Va dans la chambre, dit la putain dès qu’elle a entendu la sonnette, tu trouveras mieux là ton affaire qu’ici.

Le grand benêt arrive tout bandant. Olympe l’empoigne et me le braque dans le con.

— Fous, fous, me dit-elle, je ne resterai pas longtemps vacante.

Je me livre. À peine mon drôle a-t-il déchargé, qu’un de ses confrères, sonné par Olympe, vient la remplir comme je viens de l’être.

Aux séminaristes succèdent deux sbires75, aux sbires deux augustins, à ceux-ci deux récollets, que deux capucins remplacèrent ; des cochers, des portefaix, des laquais vinrent en foule. Il en parut tant enfin, et de si monstrueux, que je fus obligée de demander grâce. J’en étais, je crois, au cent quatre-vingt-dixième, quand je priai ma compagne de faire cesser ce déluge de foutre, dont elle me faisait inonder presque autant d’un côté que de l’autre : car, vous me rendez, j’espère, assez de justice, pour croire qu’en fêtant aussi bien mon con, je n’avais pas négligé mon cul.

— Oh ! sacredieu, dis-je à Borghèse, en me soulevant à peine, joues-tu souvent à ce jeu-là ?

— Sept ou huit fois par mois, me répondit Olympe ; j’y suis faite, cela ne me lasse point.

— Je te félicite, pour moi, je suis brisée ; je décharge trop et trop vite, cela me tue.

— Allons nous baigner et souper ensemble, dit Olympe, demain il n’y paraîtra plus.

La princesse me mena chez elle, et, après deux heures de bain, nous nous mîmes à table, hors d’état d’entreprendre autre chose qu’une douce et lubrique conversation.

— Te l’es-tu fait mettre dans le cul ? me dit Olympe.

— Assurément, répondis-je, comment diable aurais-tu voulu que je soutinsse une si grande quantité d’assauts dirigée dans le même lieu ?

— Pour moi, me répondit Borghèse, je n’ai foutu qu’en con. Je ne croyais pas que tu cessasses si tôt ; quand je vais dans cette maison, c’est toujours pour vingt-quatre heures, et je n’offre mon derrière aux fouteurs que quand ils ont déchiré mon devant. Oui, déchiré… je veux qu’on me mette en sang.

— Tu es délicieuse, mon ange, je n’ai jamais vu de femme plus libertine que toi. Personne ne connaît comme nous cette chaîne d’égarements secrets qui conduit si bien à tout le reste ! Je suis esclave de ces épisodes voluptueux ; je trouve qu’il en résulte chaque jour des habitudes charmantes qui deviennent comme autant de petits cultes, de petits hommages qu’on offre à son physique, et qui échauffent considérablement l’esprit. Ces divins écarts, à la tête desquels il ne faut pas manquer de placer toutes les débauches de table, d’autant plus nécessaires qu’elles enflamment le fluide nerveux, et déterminent par conséquent la volupté, ces légers écarts, dis-je, abrutissent insensiblement et rendent les excès indispensables ; or, c’est dans les excès qu’existent les plaisirs. Que pouvons-nous donc faire de mieux que de nous maintenir toujours dans l’état qui les exige ? Mais il y a, continuai-je, tout plein de ces petites habitudes, aussi vilaines que secrètes, aussi horribles que sales, aussi crapuleuses que brutales, que tu ignores peut-être, ma chère, et que je veux t’apprendre à l’oreille : elles te prouveront que le célèbre La Mettrie avait raison76, quand il disait qu’il fallait se vautrer dans l’ordure comme les porcs, et qu’on devait trouver, comme eux, du plaisir dans les derniers degrés de la corruption. J’ai fait, sur tout cela, des épreuves très singulières et que je te communiquerai. Crois-tu, par exemple, qu’en abrutissant deux ou trois sens par des excès, combien ce qu’on retire des autres est inouï ? Je te démontrerai, quand tu le voudras, cette inconcevable vérité. Sois sûre, en attendant, qu’en général c’est dans l’insensibilité, dans la dépravation, que la nature commence à nous donner la clef de ses secrets, et que nous ne la devinons qu’en l’outrageant.

— Il y a bien longtemps que je suis persuadée de ces maximes, me répondit Olympe, mais je suis assez malheureuse pour ne plus savoir quels outrages faire à cette coquine-là. Je dirige cette cour à ma volonté. Pie VI m’a aimée, il me voit très souvent encore ; j’ai acquis par sa protection, et par le crédit qu’elle me procure, l’impunité la plus entière, et j’en ai trop joui, je suis blasée sur tout, ma chère. Je comptais étonnamment sur le parricide que je viens de commettre ; le projet avait embrasé mes sens mille fois plus que l’exécution ne les a satisfaits : tout est au-dessous de mes désirs. Mais j’ai trop raisonné mes fantaisies ; il eût cent fois mieux valu pour moi que je ne les analysasse jamais ; en leur laissant l’enveloppe du crime, elles m’eussent au moins chatouillée, mais la simplicité que ma philosophie leur donne fait qu’elles ne m’atteignent même plus.

— C’est sur l’infortune, dis-je, qu’il faut, le plus qu’il est possible, faire tomber le poids de ses méchancetés ; les larmes qu’on arrache à l’indigence ont une âcreté qui réveille bien puissamment le fluide nerveux, et…

— Écoute, me dit Borghèse avec vivacité, j’ai sur cela un projet unique ; je veux brûler à la fois dans Rome, le même jour, à la même heure, tous les hôpitaux, tous les hospices, toutes les maisons de charité, toutes les écoles gratuites… Et ce qu’il y a d’excellent dans ce projet, c’est qu’en flattant ainsi ma lubrique méchanceté, je sers aussi mon avarice. Un homme dont je suis sûre m’offre à l’instant cent mille écus si j’accomplis ce projet, parce qu’il présente aussitôt le sien, dont l’exécution le couvre d’or et de gloire.

— Et tu balances ? dis-je à Olympe.

— Un reste de préjugé… Sais-tu que cette horreur coûtera la vie à trois cent mille êtres ?

— Eh ! qu’importe ! tu déchargeras… tu sortiras tes sens de la langueur où ils croupissent ; les instants délicieux que tu vas goûter sont à toi, le reste ne t’appartient nullement : t’est-il philosophiquement permis de balancer ? Que tu es malheureuse, si tu en es encore là ! Quand te convaincras-tu donc que tout ce qui végète ici-bas n’est que pour nos plaisirs, qu’il n’est pas un seul individu qui ne nous soit offert par la nature, et que ce n’est enfin que par la multitude de nos vols que nous parvenons à la mieux servir ? Ne faiblis plus, mon amour, et puisque tu es en train de t’ouvrir à moi, dis, je t’en conjure, s’il ne t’est pas arrivé de commettre quelque autre crime que ceux dont tu m’as déjà fait l’aveu : pour te mieux conseiller, j’ai besoin de te connaître à fond ; avoue-moi tout sans aucune crainte…

— Eh bien ! me dit Borghèse, je suis coupable d’un infanticide affreux ; il faut que je te le raconte. J’accouchai à douze ans d’une fille plus belle que tout ce qu’il est possible d’imaginer. À peine eut-elle sa dixième année, que j’en devins folle. Mon autorité sur elle, sa candeur, son innocence, tout me fournit bientôt les moyens de me satisfaire. Nous nous branlâmes ; deux ans suffirent pour m’en dégoûter. Mes penchants et la satiété dictèrent bientôt son arrêt : je ne bandai plus qu’au charme de l’immoler bientôt. Mon mari venait d’être ma victime ; plus de parents ; personne au monde qui pût me demander compte de ma fille. Je fais courir dans Rome le bruit de sa mort, et l’enferme avec soin dans la tour d’un château que je possède sur les bords de la mer, et qui ressemble plutôt à une forteresse qu’à l’habitation de gens honnêtes : je l’abandonnai six mois dans cette réclusion, sans la voir. Le rapt de la liberté m’amusa, j’aime à tenir dans la captivité ; je sais qu’alors mes victimes souffrent : cette perfide idée m’enflamma, je serais très heureuse de pouvoir tenir beaucoup d’individus dans ce cruel état77.

J’arrive à la prison de ma fille… je te laisse à penser avec quels projets ! Je m’étais fait accompagner de deux de mes femmes, et d’une jeune fille, amie de la mienne. Après un souper délicieux, les plus savantes pollutions achevèrent d’embraser mes sens, et furent les préliminaires de mon crime. Je pénètre enfin seule dans la tour, et passe d’abord deux heures dans ce déraisonnement, dans cette espèce de délire, dans ce décousement, divin langage de l’ivresse où nous plonge la lubricité, et qu’on hasarde si délicieusement avec un objet qui ne doit plus revoir la lumière. Je te rendrais mal, mon amour, ce que je dis, ce que je fis… J’étais hors de moi : c’était la première victime que je sacrifiais ainsi ouvertement. Je n’avais jusqu’alors employé que la ruse, j’avais peu joui des effets : ici, c’était un assassinat de guet-apens… un meurtre prémédité, une horreur, un infanticide exécrable, une jouissance bien dans notre goût, à laquelle je n’alliais pourtant pas encore la luxure, ainsi que tu m’as conseillé de le faire. Il y avait ici plus de dégoût que de recherches, plus de rage que de volupté. Incroyablement embrasée, j’allais peut-être me jeter comme un tigre sur cette victime de ma frénésie, lorsqu’une affreuse idée m’arrêta… Cette compagne de ma fille… cette créature qu’elle adorait et dont je m’étais servie comme d’elle, je conçus le projet de la faire périr avant elle. Je jouirai d’abord par ce moyen, me disais-je, des effets produits par le spectacle de son amie sacrifiée… Je vole arranger tout.

— Suivez, dis-je en revenant chercher ma fille, je vais vous faire voir votre amie.

— Oh ! maman, où me menez-vous ? Je ne connais point ces détours… Que peut faire Marcelle en ces lieux ?

— Vous l’allez voir, Agnès…

Une porte s’ouvre. Tout est tendu de noir dans le nouveau cachot où je mène ma fille… La tête de Marcelle, séparée du tronc, pendait au plancher ; son corps nu et debout, négligemment placé sur une banquette, était arrangé sous la tête, de manière à ce qu’il n’y avait pas six pouces de séparation ; un de ses bras coupé lui servait de ceinture, et elle avait trois poignards dans le cœur. Le trouble d’Agnès fut extrême, mais elle ne faiblit point ; un désordre incroyable altérait sa figure et je ne la voyais point changer de couleur. Elle considère un instant cet affreux spectacle, puis, tournant ses beaux yeux vers moi :

— Oh ! madame, me dit-elle, est-ce vous qui avez fait cela ?

— Moi-même.

— Quels étaient donc les torts de cette malheureuse ?

— Je ne lui en connais point. Faut-il donc des prétextes pour commettre un crime ? m’en faudra-t-il pour vous immoler vous-même tout à l’heure.

Agnès s’évanouit à ces mots, et je restai entre mes deux victimes, l’une déjà sous la faux de la mort, l’autre prête à en ressentir les coups.

Ô mon amie, poursuivit la princesse, fortement échauffée de son récit, comme ces voluptés sont fortes ! À peine l’organisation peut-elle suffire à leurs violentes secousses. À quel point leurs détails sont entraînants ! Leur ivresse est au-dessus de tous les pinceaux, il faut l’avoir éprouvée pour la comprendre. Faire là, toute seule avec deux victimes, tout ce qui peut vous passer par la tête ; agir, déraisonner à l’aise, sans que personne vous trouble ou vous entende ; être sûre que deux pieds de terre vont couvrir à l’instant tous les désordres de votre imagination ; se dire : voilà un objet que la nature me livre pour en faire absolument tout ce que je voudrai ; je puis le briser, le brûler, le tourmenter, le rompre à ma guise, il est à moi, rien ne peut le soustraire à son sort… ah ! quelles délices ! quels voluptueux égarements !… et que n’entreprend-on point dans ce cas !

Ces réflexions faites, je me précipite sur Agnès. Elle était nue… évanouie… sans aucune défense… J’étais troublée au point que mon existence entière n’avait plus d’action que dans le sentiment de ma fureur. Ô Juliette ! je me satisfis, et après trois heures des supplices les plus variés, les plus monstrueux, je rendis aux éléments cette masse qui n’avait reçu de moi la vie que pour être le funeste jouet de ma rage et de ma méchanceté.

— Voilà, dis-je, une délicieuse action, et qui a dû te coûter bien du foutre ?

— Non, me répondit Olympe. Je te l’ai dit, je n’avais point encore, à ton exemple, lié la volupté au crime ; un voile épais existait encore sur mes yeux ; ta main seule a pu le briser… J’agissais machinalement : oh ! combien je mettrais à présent plus d’esprit à pareille scène !… Mais je ne puis le recommencer, ce crime délicieux… je n’ai plus de fille…

La scélératesse de ce regret, les débauches dont nous sortions, les propos que nous venions de tenir, les excès de table où nous nous étions livrées, tout nous jeta machinalement dans les bras l’une de l’autre. Mais trop émues… trop libertines pour nous suffire, Olympe fit venir ses femmes. De nouvelles heures se passèrent encore dans le sein des plaisirs. Une jeune victime de quinze ans, belle comme le jour, s’immola sur les autels de ce dieu. Je priai Borghèse de la traiter sous mes regards, comme elle avait fait de sa fille ; il en résulta des horreurs et nous ne nous séparâmes que pour en projeter de nouvelles.

Mais, quoi qu’il en pût être, le libertinage effréné de Mme de Borghèse ne me faisait point oublier les plaisirs purs que je me promettais encore avec Honorine. Je retournai la voir quelques jours après ma première aventure avec elle. La duchesse me reçut, ce jour-là, plus chaudement que jamais. Nous nous embrassâmes délicieusement, et la conversation tomba bientôt sur les derniers plaisirs que nous avions goûtés. Il est rare que deux femmes tiennent ensemble de pareils discours, sans mettre aussitôt en action ce qui les fait naître. Il faisait une chaleur horrible ; nous étions seules, nonchalamment couchées dans un boudoir divin : n’eussions-nous pas été coupables de retarder plus longtemps le sacrifice au dieu qui nous préparait ses autels ? J’eus bientôt triomphé du petit moment de pudeur qui semblait retenir encore Honorine, et la volupté l’enchaînant, m’offrit bientôt tous ses charmes. Qu’elle était belle !… Mille fois plus fraîche qu’Olympe, plus jeune, embellie des grâces de la pudeur, pourquoi se faisait-il, néanmoins, qu’elle ne me plaisait pas autant ?… Charmes indicibles de la lubricité, attraits divins de la débauche, avez-vous donc reçu de la nature le don particulier de plaire abstractivement ?… Incroyable ascendant du crime, combien cette réflexion prouve votre empire… à quel point elle établit vos droits !

J’avais apporté, cette fois-ci, de quoi singer le sexe, des qualités duquel nous étions privées l’une et l’autre. Nous nous affublâmes de nos godemichés, et devenant tour à tour amante et maîtresse, devenant épouse, mari, tribade et bardache, il n’y eut sorte de plaisirs que nous n’essayâmes. Mais Honorine toujours novice, n’inventant rien, ne faisait que se prêter, que mettre la pudeur et la timidité à la place de la débauche et de la luxure ; elle ne me donnait pas le quart des plaisirs que j’éprouvais avec la Borghèse. Si elle eût été tout à fait neuve, l’idée de la corrompre eût remplacé, sur mon imagination, tous les plaisirs piquants que je recevais du libertinage ; mais Honorine, quoique prude et presque novice encore, avait pourtant eu des aventures, et ce fut dans un de ces moments d’ivresse mutuelle où les confiances qu’on se fait ajoutent si bien aux plaisirs qu’on se donne, que la charmante duchesse me raconta l’anecdote suivante.

— La première année de mon mariage, me dit-elle (j’avais alors seize ans), j’étais extrêmement liée avec la marquise Salviati, ayant le double de mon âge, et qui avait eu toute sa vie l’art de déguiser les désordres les plus affreux sous les apparences de la plus profonde vertu. Libertine, impie, bizarre dans ses goûts, et jolie comme un ange, Salviati aimait tout ce qu’on peut aimer ; mais une de ses manies favorites était de s’emparer des jeunes mariées, pour les entraîner avec elle dans les écarts où elle se plongeait mystérieusement. La coquine ne me manqua pas. Son air prude, son hypocrisie, ses liaisons, quelques appartenances à ma mère, tout lui fournit bientôt les moyens de se rapprocher de moi, et notre liaison devint si étroite que nous nous branlâmes dès le huitième jour. La scène se passait en villégiature78, chez le cardinal Orsini, où nous nous trouvions l’une et l’autre dans les environs de Tivoli. Nos époux y étaient. Le mien ne m’embarrassait guère : vieux et froid, à ce que je croyais alors, Grillo semblant ne m’avoir épousée que pour mon bien, ne gênait nullement mes plaisirs. Celui de la marquise, quoique très libertin, ne lui laissait pas une oisiveté si complète ; il en exigeait des choses aussi fatigantes que singulières : obligée de coucher toutes les nuits dans sa chambre, nos petites voluptés secrètes se trouvaient extrêmement gênées. Pour nous en dédommager, nous nous égarions le jour dans les bosquets solitaires de la belle campagne d’Orsini, et, pendant ces promenades délicieuses, la marquise travaillait à la fois mon esprit et mon âme, en entremêlant ses leçons des plus doux plaisirs de la débauche féminine.

— Ce n’est pas un amant qu’il faut pour passer agréablement la vie, me disait-elle : il devient dans nos bras indiscret ou perfide. L’habitude d’être aimées nous en fait bientôt prendre un autre, et pour une douzaine de mauvaises nuits, nous nous trouvons décriées pour toute la vie. Ce n’est pas, continuait la marquise, que la réputation soit quelque chose de bien précieux, mais quand on peut la conserver en ayant le double de plaisir, tu m’avoueras que les moyens qui conduisent à ce résultat doivent être les meilleurs de tous.

— Assurément.

— Eh bien ! mon ange, voilà ceux que je te ferai prendre ; dans trois jours, nous retournerons à la ville, je t’expliquerai là les moyens d’être libertine sous le voile.

— Voici le fait, me dit Salviati, le second jour de notre retour dans Rome. Nous sommes quatre : si tu veux, tu feras la cinquième. Nous avons à nos ordres une vieille femme singulièrement entendue, qui nous reçoit dans une maison aussi solitaire que commode. On la prévient, et, sur notre billet, elle fait trouver chez elle tout ce que peut désirer notre luxure, soit en femmes, soit en hommes, et nous en jouissons au gré de nos désirs sous les ombres épaisses du plus profond mystère. Que penses-tu de cet arrangement ?…

— Faut-il te l’avouer, Juliette ? poursuivit Mme de Grillo, jeune et négligée de mon mari, les offres de cette séductrice m’entraînèrent. Je l’assurai de la suivre, la première fois qu’elle irait dans cette maison, mais sous la promesse formelle qu’elle ne m’obligerait pas à voir des hommes… Mon mari ne me voit presque point, tu le sais, lui dis-je, et c’est une raison de plus pour qu’il dût s’apercevoir plus vite des brèches que je ferais à son honneur. La marquise promet tout ce que je veux ; nous partons. En me voyant conduire au delà du Tibre, et dans les quartiers de Rome les plus reculés, un instant j’eus quelques frayeurs ; je les cachai ; nous arrivâmes. La maison me parut vaste et de bonne apparence, mais sombre, isolée, silencieuse, et telle que semblaient l’exiger les mystères que nous allions célébrer.

Jusqu’alors, quoique nous eussions traversé plusieurs pièces, nul objet ne s’était offert à nos yeux, lorsqu’enfin une vieille femme se présente à nous dans une assez grande antichambre. Ce fut alors que le changement de ton de la marquise me surprit : cette décence, cette hypocrisie, cet air de douceur et de vertu, se changèrent bientôt en des propos dont eût rougi la dernière des prostituées.

— Nos garces sont-elles ici ? demanda-t-elle.

— Oui, madame, répondit la vieille ; j’ai quatre créatures charmantes dans cette salle, qui attendent la jeune personne que vous amenez, d’après ce que vous m’avez fait dire de ne lui préparer que des femmes.

— Et qu’as-tu ménagé pour moi ?

— Deux jeunes suisses de la garde, beaux comme l’Hercule Farnèse, et qui vous en donneront d’ici à demain, si vous le voulez.

— Cette putain, dit la marquise en parlant de moi, ferait bien mieux de venir partager ces plaisirs, que d’aller, comme elle veut le faire, se nourrir de viande creuse ; au surplus elle est la maîtresse, chacun fait ce qu’il veut ici… Et nos sœurs sont-elles arrivées ? poursuivit Salviati.

— Vous n’avez encore qu’une de vos amies, madame, répondit la vieille… Elmire.

Je vis alors que ces dames se donnaient ainsi des noms pour épaissir les voiles du mystère, et, d’après cette coutume dont on me fit part, j’adoptai sur-le-champ celui de Rose.

— Et que fait Elmire ? dit Salviati.

— Elle est avec les quatre filles que je destine à madame, dit la vieille.

Alors je regardai la marquise en rougissant.

— Folle, me dit-elle, nous ne nous gênons pas ici, et nous agissons toujours l’une devant l’autre, dans les passions égales : celles qui s’amusent avec les femmes se mettent ensemble, celles qui jouissent avec des hommes se réunissent de même.

— Mais je ne connais point cette femme ! dis-je toute honteuse.

— Eh bien, vous ferez connaissance en vous branlant, c’est la meilleure de toutes les façons. Allons, décide-toi avant que d’entrer là, continua cette libertine en montrant un salon à gauche, tu vois que ce sont des hommes ; ici (montrant à droite), il y a des femmes ; choisis promptement, je vais te présenter.

J’étais dans un état violent ; je brûlais de voir des hommes. Mais comment oser courir tous les risques qui pouvaient résulter de cette incartade ? D’un autre côté, je redoutais cette nouvelle connaissance… Quelle pouvait être cette femme ?… serait-elle discrète ?… sa présence ne me gênerait-elle pas étonnamment ?… Mon embarras se trouva tel que je restai trois ou quatre minutes pétrifiée.

— Décide-toi donc, petite bougresse, me dit Salviati en me poussant ; sais-tu que les moments sont chers ici, et que je n’aime pas à les perdre ?

— Eh bien, dis-je, je vais entrer avec les femmes.

Aussitôt la vieille gratte à la porte.

— Un moment, lui dit-on.

Quelques minutes après, une jeune fille me vint ouvrir ; nous pénétrâmes. La compagne de la marquise était une femme de quarante-cinq ans qui paraissait encore belle, et que je ne me rappelle point avoir vue dans le monde. Mais quelle désordre, grand Dieu !… Ah ! si l’on avait voulu peindre la débauche et l’impureté, il n’eût pas fallu d’autres traits que ceux dont était souillé le front de cette créature effrénée. Elle était nue sur une ottomane, les cuisses écartées ; deux jeunes filles à ses pieds, couchées sur des carreaux, étaient dans la même indécence. Son teint était allumé, ses yeux égarés, ses cheveux flottaient sur son sein dégradé, sa bouche écumait. Deux ou trois mots qu’elle balbutia, en nous voyant entrer, me firent voir qu’elle était ivre ; les débris que j’aperçus près d’elle achevèrent de m’en convaincre.

— Foutre ! dit-elle à la marquise, je déchargeais quand vous avez frappé, voilà pourquoi je vous ai fait attendre ; quelle est cette petite putain ?

— Une de nos sœurs, répondit Salviati ; elle est tribade à ton exemple, et vient se faire branler comme toi.

— Libre à elle, répond la vieille Sapho sans bouger ; voilà des doigts, des godemichés et des cons : qu’elle s’en donne… Mais que je la baise avant, elle est, pardieu, jolie.

Et me voilà dans l’instant baisée, léchée, troussée, avant même que de m’en apercevoir.

— Je te laisse, dit la marquise à son amie ; on m’attend là-haut ; je te recommande la novice, forme-la, je t’en prie.

Et aussitôt les portes se ferment, les quatre filles me sautent sur le corps, et dans un clin d’œil me mettent aussi nue qu’elles. Je ne te rendrai point ce qui se passa, ma pudeur souffrirait trop de ces détails ; tu sauras seulement que le libertinage et la débauche furent portés à leur comble. La vieille dame s’amusa de moi, elle s’amusa devant moi ; je fis, à mon tour, et d’elle et des quatre filles, tout ce qui me passa par la tête ; la duègne se plaisait à m’étonner à me surprendre, à me scandaliser par les épisodes les plus inconcevables et les plus lubriques. On eût dit que ses plus grands charmes eussent consisté à m’offrir la luxure dans ses tableaux les plus sales et les plus bizarres, afin de mieux gâter mon esprit et de mieux corrompre mon cœur. Enfin le jour parut, la marquise vint me reprendre, et nous regagnâmes promptement nos palais toutes les deux, dans la plus grande appréhension que nos maris, qui nous croyaient au bal, ne vinssent à s’apercevoir de la tromperie : ils ne s’en doutèrent pas. Encouragée par ces premiers succès, je me laisse conduire encore dans cette affreuse maison ; séduite par la pernicieuse marquise, je ne tardai pas de me livrer aux hommes, et mon désordre fut au comble. Des remords s’emparèrent enfin de mon âme ; la vertu me rappela dans son sein ; je fis le serment d’être sage, et je le serais encore sans toi, dont les grâces et les attraits touchante feront toujours rompre, aux pieds des autels de l’Amour, les indiscrets serments qu’aurait arrachés la sagesse…

— Charmante femme, dis-je à la duchesse, les serments de vertu, prononcée par toi, sont des extravagances dont la nature te punit ; ce n’est pas pour être sages qu’elle nous a créées, c’est pour foutre ; nous l’outrageons en résistant à ses vues sur nous. Si cette délicieuse maison existe encore, je t’exhorte à y retourner ; je ne suis jamais jalouse des plaisirs que mes amis prennent : je ne leur demande que la permission de les partager, ou de les voir.

— Cette maison n’existe plus, me dit Honorine, mais il serait d’autres moyens de se donner du plaisir.

— Et pourquoi donc n’en pas profiter ?

— Je suis plus gênée que jamais : mon mari se rapproche de moi, il devient jaloux ; je crains même qu’il ne soupçonne notre liaison.

— Il faut se débarrasser d’un tel homme.

— Oh, ciel ! tu me fais frémir.

— Il n’est pourtant rien de plus simple. La première des lois de la nature est de nous défaire de ce qui nous déplaît ; l’uxoricide est un crime imaginaire dont je me suis rendue coupable sans le plus petit remords. Nous ne devons jamais considérer que nous dans le monde. Absolument isolées de toutes les créatures, comme nous ne devons approcher que ce qui nous plaît, nous devons, avec le même soin, éloigner tout ce qui nous gêne. Et qu’y a-t-il donc de commun entre l’existence de celui qui me gêne et moi ? Comment ! je serais assez ennemie de mon bien-être, pour prolonger les jours de celui qui fait mon supplice ? je repousserais assez violemment la voix de la nature, pour ne pas trancher la vie de celui qui, décidément, trouble toute la félicité de la mienne ? Les meurtres moraux et politiques se permettront, et l’on sévira injustement contre les meurtres personnels ! Quelle extravagance ! Il faut se mettre, Honorine, au-dessus de ces préjugés barbares. Celui qui veut être heureux dans le monde doit repousser, sans aucun scrupule, absolument tout ce qui l’offusque… doit embrasser tout ce qui sert ou flatte ses passions… Manques-tu de moyens ? je t’en offre.

— Oh, Dieu ! tu me fais horreur, reprit la duchesse. Je n’aime point M. de Grillo, mais je le respecte ; il protège ma jeunesse ; sa jalousie me retient, elle m’empêche de tomber dans des pièges où le libertinage m’entraînerait infailliblement

— Que de faiblesses, et que de sophismes ! dis-je vivement à cette prude. C’est-à-dire que, parce qu’un être s’oppose aux fleurs que t’offre la nature dans la carrière de la vie, il faut, loin de le repousser, augmenter l’épaisseur des chaînes dont il te surcharge ? Ah ! brise-les sans crainte, ces liens affreux ! Ouvrages de la mode et de l’ambition, que peuvent-ils avoir de sacré pour toi ? Méprise-les, foule-les aux pieds, comme ils méritent de l’être. Une jolie femme, en ce monde, ne doit avoir d’autre Dieu que le plaisir ; d’autres liens, que les roses dont sa main nous enchaîne ; d’autre vertu, que celle de foutre ; d’autre morale, que l’impérieuse loi de ses désirs. Il faut d’abord te faire faire un enfant, n’importe par qui, et cela pour t’assurer les biens de ton époux. Cette opération terminée, nous ferons prendre un bouillon à cet original, et nous nous précipiterons toutes deux ensuite dans le bourbier fangeux des voluptés les plus atroces, les plus abominables, parce que ce sont les plus délicieuses… que tu es faite pour en jouir, et que tout ce que tu leur enlèves est un crime dont tu réponds au tribunal de la Raison et de la Nature.

Mes leçons pénétrèrent mal dans l’âme étroite de cette prude ; ce fut peut-être la seule femme au monde que je ne pus réussir à corrompre. Et, de ce moment, je me déterminai à la perdre.

Afin de dresser plus sûrement mes batteries, je fis part du projet à Borghèse.

— Je te croyais amoureuse de la duchesse, me dit Olympe.

— Moi, de l’amour ? grand Dieu ! ce sentiment puéril fut toujours ignoré de mon cœur : je me suis amusée de cette femme, j’ai voulu la conduire au crime… elle me refuse, c’est une imbécile que je ne pense plus qu’à perdre aujourd’hui.

— Rien de plus simple et de plus aisé.

— Oui, mais je veux que le mari périsse avec elle ; j’avais résolu sa mort ; je voulais armer le bras de sa femme du poignard qui devait trancher le fil de ses jours : si la bêtise de cette femme s’y oppose, dois-je pour cela perdre cette victime ?

— Scélérate !

— Il faut qu’ils périssent tous deux.

— Cette idée me plaît, dit Borghèse, je m’en amuse comme toi ; amène-les à ma campagne, et tu verras ce que nous ferons.

La partie s’arrange, tous les plans se concertent entre Borghèse et moi. Je passe sur-le-champ aux résultats, pour ne pas vous ennuyer des détails.

Nous avions conduit avec nous un jeune homme de la connaissance de Borghèse. Aussi séduisant que joli, aussi adroit que spirituel, Dolni, âgé de vingt ans, nous foutait souvent l’une et l’autre, et les dispositions que nous lui avions reconnues nous l’avaient fait choisir pour la scélératesse que nous méditions. Dès les premiers jours, Dolni sut éveiller avec art, et les passions d’Honorine, et la jalousie de son époux. C’est à moi que Grillo s’adresse, c’est dans mon sein qu’il dépose des craintes, que vous imaginez bien que j’augmente au lieu de les diminuer.

— Mon cher duc, dis-je à cet imbécile, je suis étonnée que ce ne soit que d’aujourd’hui que vous vous aperceviez des désordres de votre femme. Je vous aurais éclairé plus tôt si je l’eusse osé, mais votre sécurité me paraissait si grande… il est si cruel de détruire de telles illusions… Dolni n’est ici que pour la duchesse, et, dès mon arrivée dans Rome, j’étais instruite de ce malheureux penchant. Il me semble, au reste, qu’il serait fort aisé de vous convaincre. C’est ordinairement le matin, ou pendant que vous vous promenez, que Dolni déshonore votre couche : surprenez-les demain, et ne tardez pas à tirer vengeance d’un affront aussi éclatant.

— Vous me servirez, madame ?

Je vous le jure. Il n’est que de Borghèse dont il faille se cacher : intimement liée avec votre femme, je crois qu’elle favorise mutuellement leur passions.

— Eh bien ! nous ne lui dirons mot, et demain matin, enfermé dans le cabinet, je pourrai m’assurer de tout.

Pour n’avoir pas l’air de nous entendre, nous nous séparons à l’instant, et j’engage le duc à m’éviter tout le jour. Je vole chez la duchesse, et l’encourageant à jouir sans scrupule des voluptés dont notre jeune homme l’enivre, je lui confie que le duc projetant une chasse le lendemain, elle doit profiter de cet instant pour passer avec Dolni la plus délicieuse matinée.

— Mettez-vous de bonne heure en train tous les deux, dis-je, j’arriverai, vous ne vous gênerez pas pour moi, et vous m’adopterez en tiers.

La duchesse rit de mon idée, elle me permet de la remplir. L’instant arrivé, dès que je crois nos deux amants aux prises, j’amène le duc dans le cabinet…

— Eh bien ! lui dis-je en lui faisant voir sa femme dans les bras du jeune homme, êtes-vous convaincu maintenant ?…

Grillo furieux se jette, un poignard à la main, sur son couple adultère. Aidant son bras, j’ai soin qu’il se dirige sur son infidèle épouse : elle est atteinte d’un coup dans le flanc, et la rage du duc se portant aussitôt sur l’amant qui s’échappe, il le poursuit avec vigueur. Je ne m’oppose plus à ses coups ; Dolni se sauve, Grillo le poursuit. Au bout du long corridor, une trappe les enfonce tous deux, l’un dans un caveau dont les issues peuvent aussitôt le rejoindre à nous, l’autre dans le milieu d’une machine épouvantable dont mille lames tranchantes sont prêtes à déchirer celui qu’elle enferme.

— Grand Dieu ! qu’ai-je fait ? s’écrie le duc en tombant… Piège affreux !… scélérats ! qui n’aviez d’autres projets que de m’y prendre… Oh ! chère épouse, on m’a trompé… Tu étais séduite… innocente…

À peine le duc a-t-il prononcé ces dernières paroles, que son épouse, nue et blessée, s’enfonce auprès de lui par les soins de Borghèse.

— La voilà, dis-je alors d’une croisée, où Borghèse, Dolni et moi plongions sur cette affreuse machine, la voilà !… Sans doute elle était innocente, et c’est toi seul que nous voulions perdre… Secours-la, si tu l’oses, mais songe que tu ne le peux qu’en périssant toi-même.

Grillo s’élance vers sa femme ; le mouvement qu’il fait agitant aussitôt les ressorts, toutes les lames sont en action, toutes se dirigent à la fois sur ces deux victimes qui, dans moins de dix minutes, sont tellement hachées l’une et l’autre, qu’on ne voit plus que du sang et des os… Je ne vous peindrai point l’extase où cette scène nous mit, Borghèse et moi ; toutes deux branlées par Dolni, nous déchargeâmes au moins dix fois de suite, et cette atrocité, je l’avoue, est une de celles dont les pointes aiguës ont le plus longtemps échauffé ma tête… ont le plus constamment embrasé mes sens.

— Viens passer demain la journée chez moi, me dit Olympe, dès que nous fûmes de retour à Rome, je te ferai connaître celui qui me donne cent mille écus pour brûler tous les hôpitaux et toutes les maisons de charité. Celui qui se charge de l’exécution s’y trouvera de même.

— Quoi ! répondis-je, tu penses toujours à cette horreur ?

— Assurément, Juliette ; tes crimes se bornent à troubler des ménages, et moi, je les étends à la moitié d’une ville au moins, et comme Néron quand il brûla Rome, je veux être, une harpe à la main, sur un balcon d’où je découvrirai les flammes qui dévasteront ma patrie.

— Olympe, tu es un monstre.

— Moins que toi ; l’affreuse scène qui vient de perdre les Grillo est absolument de ta tête, je ne l’aurais jamais inventée.

Je ne manquai pas le rendez-vous.

— Les deux hommes que tu vois là, me dit Olympe en me présentant ses convives, sont, l’un (et c’était du plus âgé qu’elle parlait), monseigneur Chigi, parent de plusieurs princes qui longtemps occupèrent le Saint-Siège ; il se trouve à la tête aujourd’hui de la police intérieure de Rome ; c’est lui qui gagne au projet d’incendie dont je t’ai parlé, et qui me compte cent mille écus pour l’exécuter. Celui-ci est le comte Bracciani, lequel, en sa qualité de premier physicien de l’Europe, se charge de l’exécution (puis se rapprochant de mon oreille) : Tous deux sont mes amis, Juliette ; ne leur refuse rien, je t’en conjure, s’ils exigent quelque chose de toi.

— Ne suis-je pas à toi ? répondis-je.

Et la princesse ayant donné les ordres les plus sévères pour que nous fussions seuls, la conversation s’engagea.

— Je vous fais dîner, dit Olympe, avec une des plus fameuses scélérates de France ; elle nous donne ici, chaque jour, des modèles de crime ; ne craignons donc point, mes amis, d’avouer devant elle celui que nous méditons.

— En vérité, madame, dit le maître de police, vous qualifiez ici de crime l’action la plus simple sans doute. Je regarde les hôpitaux comme la chose du monde la plus dangereuse dans une grande ville ; ils absorbent l’énergie du peuple, ils entretiennent la fainéantise, ils amollissent son courage ; ils sont pernicieux, en un mot, sous tous les rapports. Le nécessiteux est à l’État ce qu’est la branche parasite à l’arbre fruitier : il le dessèche, il se nourrit de sa sève, et ne rapporte rien. Que fait l’agriculteur en apercevant cette branche ? Il la coupe aussitôt sans remords. Que l’homme d’État agisse donc ici comme l’agriculteur : une des premières lois de la nature est qu’il n’y ait rien d’inutile dans le monde. Soyez sûre que le mendiant, toujours nuisible, non seulement profite de la part d’un homme utile, ce qui est déjà un vice dans l’État, mais deviendra lui-même bientôt dangereux, si vos aumônes viennent à lui manquer. Je veux que loin d’en donner à de tels malheureux, on ne s’occupe, au contraire, qu’à les extirper totalement ; je veux qu’on les détruise ; faut-il trancher le mot ? je veux qu’on les tue comme on ferait d’une race d’animaux venimeux. Telle est donc la première raison qui m’a fait proposer à la princesse Borghèse cent mille écus romains pour anéantir ces maisons. La seconde est que j’élève, à la place de ces hôpitaux, un vaste bâtiment qui aura l’air d’en tenir lieu, et qui ne sera néanmoins qu’un hospice pour les voyageurs, ce qui n’a nul inconvénient. Je demande, pour cette maison, les revenus des hôpitaux ; je les obtiens, et j’y gagne cent mille écus de rente : ce n’est donc que la première année d’un revenu sûr que je sacrifie à Mme de Borghèse qui a, dit-elle, dans le comte de Bracciani, l’homme qui convient pour mettre Rome dans le cas de n’avoir plus de ces maisons, et de désirer, à leur place, celle dont je donne le plan aussitôt et pour laquelle j’obtiendrai bien aisément des revenus qui, par l’extinction des hôpitaux, demeureront sans destination79. Il y a vingt-huit de ces maisons-là dans la ville, poursuivit Chigi, et neuf conservatoires contenant dix-huit cents jeunes filles pauvres, que vous imaginez ; bien que je comprends dans mes proscriptions. Il faut que tout cela brûle à la même heure ; ce seront trente ou quarante mille fainéants de sacrifiés… d’abord au bien de l’État… secondement aux plaisirs d’Olympe, qui va mettre, sur cette affaire, cent mille écus comptant dans sa cassette ; troisièmement, à ma fortune, car avec ce que j’ai déjà, je deviens l’un des plus riches ecclésiastiques de Rome, si mon projet réussit.

Il me paraît, dit Bracciani, que je suis, moi qui dois exécuter, le plus malheureux de tous ; car il ne vous est pas encore venu dans l’esprit de m’offrir seulement un sequin sur le grand profit que vous allez faire.

— Chigi a cru, dit Olympe, que nous devions partager, mais il se trompe, je n’ai pas trop de ce qu’il me donne, et je veux que le comte ait la même part ; où Chigi pourrait-il aller chercher des complices, d’ailleurs ?

— Doucement, dit le monsignore, ne nous brouillons pas au commencement d’une entreprise aussi importante, ce serait le moyen de la faire manquer et de nous nuire tous réciproquement. J’accorde au comte la même somme qu’à Mme de Borghèse ; j’accorde, de plus, cent mille francs de pot-de-vin à cette charmante femme, continue Chigi en me montrant : l’amie d’Olympe doit lui ressembler, et mériter, à ce titre, d’être traitée comme une complice.

— Elle en a toutes les vertus, dit la princesse, et je vous garantis que vous serez content d’elle. Que tout soit donc fini, poursuit Borghèse ; j’accepte l’offre faite à mes deux amis ; ne nous occupons plus que de réussir.

— C’est de quoi je me charge, dit Bracciani, et de manière à ce qu’il n’échappe pas une des victimes que la profonde politique, ou plutôt la voluptueuse méchanceté de Chigi, condamne à mort.

— Sur quoi les médecins feront-ils maintenant leurs épreuves ? demandai-je à la société.

— Il est très certain, dit Olympe, que presque tous n’avaient pas d’autres façons d’essayer un remède, et que c’est vraiment un vide pour eux. Il faut, poursuivit-elle, que je vous raconte, à ce sujet, ce que me disait un jour le jeune Iberti, mon médecin, qui vint me voir en sortant d’une de ces expériences…

— Qu’importe à l’État, l’existence des êtres vils qui remplissent ordinairement ces maisons ? me répondait-il, sur ce que j’avais l’air de le blâmer d’abord, afin de voir ce qu’il avait à me dire pour sa justification ; ce serait furieusement gêner la société, que de ne pas permettre aux gens de l’art de s’instruire sur cette lie qui la déshonore. La nature nous indique quel est, par la faiblesse qu’elle lui a départie, l’usage que nous en devons faire, et ce serait tromper ses vues que de nous y refuser.

— Mais, dis-je, en sortant un peu de la question, lorsque, dans un cas différent, quelque vil intérêt engage un homme distingué par ses richesses ou par ses emplois, à profiter de l’état d’un malade pour voiler le crime qu’il a dessein de commettre en sa personne, et que cet homme propose à un médecin de hâter les derniers instants de ce malade, le médecin fait-il un grand mal en acceptant.

— Non, sans doute, me dit mon jeune Esculape, non certainement, s’il est bien payé… et la discrétion certaine du mort doit l’engager à en avoir une égale vis-à-vis de ceux qui le font agir. À quoi lui servirait de trahir son complice, puisqu’il est sûr de ne jamais l’être ? Se refuser à cette action serait une duperie de la part du médecin, car il n’oserait jamais se vanter d’une proposition qui ne le suppose pas honnête homme : ainsi, il ne retirerait de son désintéressement qu’une jouissance isolée et intellectuelle, très inférieure à celle que lui procurerait la somme offerte. Se vantât-il même de rejeter la proposition, il n’en recevrait aucun éloge : on dirait qu’il a fait son devoir. Et comme il n’y a jamais de récompense pour ceux qui le font, il est parfaitement inutile de se gêner pour y prétendre. En comparant à part lui ce qu’il doit retirer de l’acceptation ou du refus, il verra que le refus, ou mettra sa bonne action dans un oubli éternel et, par conséquent, lui en enlèvera toute la jouissance, ou la fera éclater, mais alors en perdant son complice (or que gagne-t-il à perdre plutôt le complice que le malade ?) et en ne lui méritant d’autre jouissance que celle de s’entendre dire : il a fait son devoir. Or, je demande si ce faible éloge, et la futile jouissance qu’il en retirera, vaudra seulement le quart de la somme qui a pu lui être offerte pour le délit ? Il serait donc un fou de balancer : il doit agir et se taire, et se faire bien payer.

— Voilà ce que me disait Iberti, le plus joli, le plus spirituel, le plus aimable docteur de Rome80, et vous comprenez aisément qu’il n’eut pas beaucoup de peine à me convaincre… Mais reprenons notre projet, poursuivit Olympe. Êtes-vous sûr de votre opération, Bracciani ? et ne craignez-vous pas que de perfides secours n’arrêtent les effets que nous projetons ? Je redoute l’humanité autant que je l’abhorre : que d’heureux crimes ses pernicieux effets ont troublés !

— Je ne crains rien, dit le comte, j’opère du haut d’une montagne située dans le milieu de Rome. Les trente-sept bombes invisibles, que je dirige sur les trente-sept hôpitaux, seront renouvelées, sans qu’au moyen de mes procédés personne ne puisse les apercevoir. Je mettrai dans les jets les intervalles nécessaires aux secours, de manière que l’incendie sera propagé en raison des moyens qu’on emploiera pour l’éteindre, et que le feu se rallumera toujours en proportion des soins mis en usage pour l’absorber.

— Comte, lui dit Olympe, vous enflammeriez donc une ville entière par ce procédé terrible ?

— Assurément, répondit le physicien, et rien que par ce que nous entreprenons, il serait très possible que la moitié de la ville y pérît.

— Il y a, dit Chigi, des hôpitaux situés dans des quartiers fort pauvres de Rome, et ces parties périront infailliblement.

— De telles considérations vous arrêtent-elles ? dit Olympe.

— Nullement, madame, répondirent simultanément les deux agents de cette atrocité.

— Ces messieurs me paraissent fermes, dis-je à Mme de Borghèse ; je crois que toutes leurs réflexions sont faites, et que le crime qu’ils vont commettre est pour eux d’une considération bien légère.

— Il n’y a pas de crime à ce que nous projetons, dit Chigi. Toutes nos erreurs en morale viennent de l’absurdité de nos idées sur le bien et le mal. Si nous étions convaincus de l’indifférence de toutes nos actions, si nous étions bien persuadés que celles que nous appelons justes ne sont rien moins que telles aux yeux de la nature, et que celles que nous nommons iniques sont peut-être, auprès d’elle, la plus parfaite mesure de la raison et de l’équité, assurément nous ferions bien moins de faux calculs. Mais les préjugés de l’enfance nous trompent, et ne cesseront jamais de nous induire en erreur tant que nous aurons la faiblesse de les écouter. Il semble que le flambeau de la raison ne nous éclaire que quand nous ne sommes plus à même de profiter de ses rayons, et ce n’est jamais qu’après sottises sur sottises, que nous parvenons à découvrir la source de toutes celles que l’ignorance nous a fait commettre. Presque toujours encore, les lois du gouvernement nous servent de boussole pour distinguer le juste de l’injuste ; nous disons : la loi défend telle action, donc elle est injuste. Il est impossible de voir rien de plus trompeur que cette manière de juger, car la loi est dirigée sur l’intérêt général : or, rien n’est plus en contradiction avec l’intérêt général que l’intérêt particulier, et rien n’est, en même temps, plus juste que l’intérêt particulier. Donc, rien de moins juste que la loi qui sacrifie tous les intérêts particuliers à l’intérêt général. Mais l’homme, dit-on, veut vivre en société ; il faut donc pour cela qu’il sacrifie une portion de sa félicité particulière à la félicité publique. Soit ; mais comment voulez-vous qu’il ait fait un tel pacte, sans être sûr de retirer au moins autant qu’il donne ? Or, il ne retire rien du pacte qu’il fait, en consentant aux lois ; car vous le grevez infiniment plus que vous ne le satisfaites, et pour une occasion où la loi le garantit, il en est mille où elle le gêne : donc il ne devait pas consentir aux lois, ou les faire infiniment plus douces. Les lois n’ont servi qu’à reculer l’anéantissement des préjugés, qu’à nous enchaîner plus longtemps sous le joug honteux de l’erreur ; la loi est un frein que l’homme a donné à l’homme, quand il a vu la facilité avec laquelle il franchissait tous les autres : et comment, d’après cela, a-t-il pu croire que ce frein suppléant pourrait jamais servir à quelque chose ? Il est des punitions pour le coupable : soit, je vois à cela des cruautés, mais aucuns moyens de rendre l’homme meilleur, et ce n’est, ce me semble, qu’à cela qu’il fallait travailler. On échappe tant qu’on veut, d’ailleurs, à ces punitions, et cette certitude encourage l’âme de celui qui a tout franchi. Eh ! convainquons-nous-en donc une bonne fois, les lois ne sont qu’inutiles et dangereuses ; leur seul objet est de multiplier les crimes ou de les faire commettre en sûreté, par le secret où elles contraignent. Sans les lois et les religions, on n’imagine pas le degré de gloire et de grandeur où seraient aujourd’hui les connaissances humaines ; il est inouï comme ces indignes freins ont retardé les progrès : telle est la seule obligation que l’on leur ait. On ose déclamer contre les passions, on ose les enchaîner par des lois ; mais que l’on compare les unes et les autres ; que l’on voie qui, des passions ou des lois, a fait le plus de bien aux hommes. Qui doute, comme le dit Helvétius, que les passions ne soient dans le moral ce qu’est le mouvement dans le physique ? Ce n’est qu’aux passions fortes que sont dues l’invention et les merveilles des arts ; elles doivent être regardées, poursuivit le même auteur, comme le germe productif de l’esprit et le ressort puissant des grandes actions. Les individus qui ne sont pas animés de passions fortes ne sont que des êtres médiocres. Il n’y aura jamais que les grandes passions qui pourront enfanter de grands hommes ; on devient stupide dès qu’on n’est plus passionné, ou dès qu’on cesse de l’être. Ces bases établies, je me demande de quel danger ne sont donc point des lois qui gênent les passions ? Que l’on compare les siècles d’anarchie avec ceux où les lois ont été le plus en vigueur, dans tel gouvernement que l’on voudra : on se convaincra facilement que ce n’est que dans cet instant du silence des lois, qu’ont éclaté les plus grandes actions. Reprennent-elles leur despotisme, une dangereuse léthargie assoupit l’âme de tous les hommes ; et si l’on ne voit plus de vices, à peine découvre-t-on une vertu : les ressorts se rouillent, et les révolutions se préparent.

— Mais, interrompit Olympe, vous ne voudriez donc plus de lois dans un empire ?

— Non. Rendus à l’état de nature, les hommes, je le soutiens, seraient plus heureux qu’ils ne peuvent l’être sous le joug absurde des lois. Je ne veux pas que l’homme renonce à aucune portion de sa force et de sa puissance. Il n’a nullement besoin des lois pour se faire justice ; la nature a placé dans lui l’instinct et l’énergie nécessaire pour se la procurer lui-même ; et celle qu’il se fera sera toujours plus prompte et plus active que celle qu’il peut espérer de la main langoureuse de l’homme, parce que, dans l’acte de cette justice, il ne considérera que son propre intérêt et la lésion qu’il aura reçue, au lieu que les lois d’un peuple ne sont jamais que la masse et le résultat des intérêts de tous les législateurs qui ont coopéré à l’érection de ces lois.

— Mais vous serez opprimé, sans les lois.

— Que m’importe d’être opprimé, si j’ai le droit de le rendre ? J’aime mieux être opprimé par mon voisin, que je puis opprimer à mon tour, que de l’être par la loi, contre laquelle je n’ai nulle puissance. Les passions de mon voisin sont infiniment moins à craindre que l’injustice de la loi, car les passions de ce voisin sont contenues par les miennes, au lieu que rien n’arrête, rien ne contraint les injustices de la loi. Tous les défauts de l’homme appartiennent à la nature ; il ne peut y avoir, d’après cela, de meilleures lois que celles de la nature ; car il n’appartient à aucun homme de réprimer ce qui vient de la nature. Or, la nature n’a point fait de lois ; elle n’en imprime qu’une seule au cœur de tous les hommes : c’est de nous satisfaire, de ne rien refuser à nos passions, quelque chose qu’il puisse en coûter aux autres. Ne vous avisez donc point de gêner les impulsions de cette loi universelle, quels que puissent en être les effets ; vous n’avez pas le droit de les arrêter ; laissez ce soin à celui qu’elles outrageront ; si elles le blessent, il saura bien les réprimer. Les hommes qui crurent que, de la nécessité de se rapprocher dérivait celle de se faire des lois, tombèrent dans la plus lourde erreur ; ils n’avaient pas plus besoin de lois, réunis qu’isolés. Un glaive universel de justice est inutile : ce glaive est naturellement dans les mains de tout le monde.

— Mais chacun ne s’en servira pas à propos, et l’iniquité deviendra générale…

— Cela est impossible, jamais Pierre ne sera injuste envers Paul, quand il saura que Paul peut à l’instant se venger de son injustice ; mais il le deviendra, s’il sait qu’il n’a plus à craindre que des lois qu’il peut éluder, ou auxquelles il peut se soustraire. Je vais plus loin, je vous accorde que sans lois, la somme des crimes s’étendît, que sans lois, l’univers ne fût plus qu’un volcan dont d’exécrables forfaits jailliraient à chaque minute : il y aurait encore moins d’inconvénients dans cet état de lésions perpétuelles ; il y en aurait beaucoup moins, sans doute, que sous l’empire des lois, car souvent la loi frappe l’innocent, et à la masse des victimes produites par le criminel, il doit se joindre encore celle produite par l’iniquité de la loi : vous aurez ces victimes-là de moins dans l’anarchie. Sans doute, vous aurez celle que le crime sacrifie ; mais vous n’aurez pas celle qu’immole l’iniquité de la loi ; car l’opprimé ayant le droit de se venger lui-même, ne punira bien certainement que son oppresseur.

— Mais l’anarchie, ouvrant la porte à l’arbitraire, est nécessairement la cruelle image du despotisme…

— Autre erreur : c’est l’abus de la loi qui mène au despotisme ; le despote est celui qui crée la loi… qui la fait parler, ou qui s’en sert pour ses intérêts. Ôtez ce moyen d’abus au despote, il n’y aura plus de tyran. Il n’est pas un seul tyran qui ne se soit étayé des lois pour exercer ses cruautés ; partout où les droits de l’homme seront assez également répartis pour que chacun puisse se venger lui-même des injures qu’il aura reçues, il ne s’élèvera sûrement point de despote, car il serait terrassé à la première victime qu’il s’aviserait d’immoler. Ce n’est jamais dans l’anarchie que les tyrans naissent : vous ne les voyez s’élever qu’à l’ombre des lois ou s’autoriser d’elles. Le règne des lois est donc vicieux ; il est donc inférieur à celui de l’anarchie : la plus grande preuve de ce que j’avance est l’obligation où est le gouvernement de se plonger lui-même dans l’anarchie quand il veut refaire sa constitution. Pour abroger ses anciennes lois, il est obligé d’établir un régime révolutionnaire où il n’y a point de lois : de ce régime naissent à la fin de nouvelles lois. Mais ce second État est nécessairement moins pur que le premier, puisqu’il en dérive, puisqu’il a fallu opérer ce premier bien, l’anarchie, pour arriver au second bien, la constitution de l’État. Les hommes ne sont purs que dans l’état naturel ; dès qu’ils s’en éloignent, ils se dégradent. Renoncez, vous dis-je, renoncez à l’idée de rendre l’homme meilleur par des lois : vous le rendrez, par elles, plus fourbe et plus méchant… jamais plus vertueux.

— Mais le crime est un fléau sur la terre ; plus il y aura de lois, moins il y aura de crimes.

— Autre balourdise : c’est la multitude des lois qui fait celle des crimes. Cessez de croire que telle ou telle action est criminelle ; ne faites point de lois pour la réprimer ; il est certain qu’alors la multitude de vos crimes disparaîtra. Mais je reprends la première partie de votre proposition : le crime, dites-vous, est un fléau sur la terre. Quel sophisme ! ce qu’à juste titre l’on pourrait appeler un fléau sur la terre, serait la machine destructive de tous les individus qui l’habitent : examinons si c’est là l’effet du crime. Lorsqu’une telle action se commet, l’image qu’elle offre est celle de deux individus dont l’un fait l’action prétendue criminelle et dont l’autre devient la victime de cette action. Voilà donc à la fois un être heureux et un être malheureux ; donc le crime n’est pas le fléau de la terre, puisque rendant malheureuse la moitié des individus qui l’habitent, il rend très heureuse l’autre moitié. Le crime n’est autre chose que le moyen dont la nature se sert pour arriver à ses desseins sur nous, et pour maintenir l’équilibre si nécessaire au maintien de ses opérations. Ce seul exposé suffit à faire voir qu’il n’appartient pas à l’homme de le punir, parce qu’il appartient à la nature, qui a tous droits sur nous, et sur laquelle nous n’en avons aucun. Si, sous un autre rapport, le crime est la suite des passions, et que les passions, ainsi que je viens de le dire, doivent être regardées comme le seul ressort des grandes actions, vous devez toujours préférer le crime, qui donnera de l’énergie à votre gouvernement, aux vertus qui en rouilleront les ressorts. De ce moment, vous ne devez plus sévir contre les crimes ; vous devez, au contraire, les encourager, et laisser les vertus dans l’ombre, où le mépris que vous leur devez doit les ensevelir à jamais. Gardons-nous, sans doute, de confondre ici les grandes actions avec les vertus : très souvent une vertu n’est rien moins qu’une grande action, et plus souvent encore une grande action n’est qu’un crime. Or, les grandes actions sont très souvent nécessaires, et les vertus ne le sont jamais. Brutus, honnête homme au milieu de sa famille, n’eût jamais été qu’un triste et plat individu ; Brutus, meurtrier de César, fait à la fois un crime et une grande action : le premier n’eût jamais été connu dans l’histoire, le second en est un héros.

— Ainsi donc, selon vous, on peut être parfaitement tranquille au milieu des crimes les plus noirs ?

— C’est au sein de la vertu que le calme se trouve impossible, puisqu’il est clair que l’on existe alors dans un état contraire à la nature… à la nature qui ne peut exister, se renouveler, conserver son énergie que par l’immensité des crimes de l’homme. Ainsi ce que nous pouvons faire de mieux est de tâcher de nous faire des vertus de tous les vices des hommes, et des vices de toutes leurs vertus.

— Assurément, dit Bracciani, c’est à quoi je travaille depuis l’âge de quinze ans, et je puis dire avec vérité que j’y ai toujours trouvé le bonheur.

— Mon ami, dit Olympe à Chigi, avec la morale que vous venez de nous étaler, vous devez avoir les passions bien vives ? Vous avez quarante ans, c’est l’âge où elles parlent le plus impérieusement. Oh, oui ! je le répète, vous devez avoir fait des horreurs.

— Avec la place qu’il occupe, dit Bracciani, avec l’inspection générale de la police de Rome, les occasions de mal faire ne doivent pas lui manquer.

— Il est certain, dit Chigi, que je suis fort à même de faire le mal, et ce qu’il y a de plus sûr encore, c’est que je ne laisse guère échapper de moyens de m’y livrer.

— Vous faites des injustices… des prévarications, dit Mme de Borghèse, vous vous servez du glaive de Thémis pour immoler bien des innocents.

— Et quand tout ce que vous dites là serait, j’agirais d’après mes principes : de ce moment, je croirais bien faire. Si je suppose la vertu dangereuse dans ce monde, ai-je tort d’immoler ceux qui la pratiquent ? Si, réciproquement, je crois le vice utile à la terre, ai-je tort de laisser échapper aux lois ceux qui le professent ? Que m’importe d’être traité d’homme injuste : pourvu que ma conduite cadre avec mes principes, je suis tranquille. Avant que d’agir d’après eux, j’ai commencé par les analyser ; ensuite j’ai basé ma conduite sur eux : que l’univers entier me blâme après, peu m’importe, je ne dois compte de mes actions qu’à moi.

— Voilà la vraie philosophie, dit Bracciani, j’ai moins développé mes principes que Chigi, mais je vous assure qu’ils sont absolument les mêmes, et que je les ai mis en pratique tout aussi souvent.

— Monseigneur, dit Olympe au magistrat de la police de Rome, vous êtes accusé d’employer beaucoup trop l’affreux supplice de la corde ; vous y faites, dit-on, appliquer beaucoup d’innocents, et vous le faites prolonger principalement sur eux, à tel point, prétend-on, qu’ils y périssent toujours.

— Je vais vous expliquer l’énigme, dit Bracciani. Ce supplice compose les plaisirs de ce scélérat ; il bande en le voyant exercer, il décharge si le patient en crève.

— Comte, dit Chigi, je ne vois pas ce qui vous engage à faire ici les honneurs de mes goûts : je ne vous ai pas chargé, ce me semble, de dévoiler mes faiblesses.

— Cet aveu du comte nous fait le plus grand plaisir, dis-je avec vivacité ; c’est une jouissance que vous préparez à Olympe, et j’avouerai franchement que c’en est une que vous me donnez aussi.

— Elle serait complète, dit Olympe, si Chigi voulait s’y livrer devant nous.

— Pourquoi pas ? reprit ce libertin… Avez-vous un objet ?

— J’en trouverai facilement.

— Oui, mais cela n’aurait peut-être pas les qualités requises.

— Qu’entendez-vous par ces qualités

— Celles de l’infortune, dit Chigi, de l’innocence, de la soumission due à un juge suprême.

— Il vous est donc possible, dit Olympe, de réunir tout cela ?

— Assurément, reprit le magistrat, mes prisons regorgent de pareils sujets, et je vais, en moins d’une heure, faire conduire ici ce qui convient aux plaisirs que vous avez l’intention de vous procurer.

— Quel sera ce sujet ? dit Olympe.

— Une jeune femme de dix-huit ans, belle comme Vénus et grosse de huit mois.

— Grosse ! objectai-je, et c’est dans cet état que vous lui ferez subir un supplice aussi dangereux ?

— Qu’importe ? elle en mourra, c’est le pis-aller : en vérité, cela ne m’inquiète guère. J’aime étonnamment à les prendre ainsi ; il y a deux plaisirs pour un : c’est ce qu’on appelle la vache et le veau.

— Et cette pauvre créature, dis-je, je gagerais qu’elle est innocente ?

— Il y a deux mois que je la tiens en prison, avec le ferme projet de m’en amuser. Sa mère la soupçonne d’un vol que j’ai fait faire moi-même, afin de m’emparer de la fille ; le piège, tendu fort adroitement, réussit au mieux : la pauvre Cornélie est dans mes filets, et je suis maître de ses jours ; un mot de vous, et je vais vous la faire danser sur la corde, mieux qu’aucun baladin ne le fit de ses jours. Je persuaderai que par humanité je l’ai soustraite à la punition, et tout en me couvrant de ce que les sots appellent un crime, j’aurai le mérite d’une superbe action.

— Voilà qui va le mieux du monde, dis-je ; mais cette mère, que vous laissez vivre, ne peut-elle pas tout découvrir, et où en serions-nous alors ? Il n’y aurait, ce me semble, rien de plus aisé que de lui persuader qu’elle est la complice de sa fille et qu’elle-même a coopéré au vol dont elle veut faire retomber l’iniquité sur sa seule fille.

— Il y a peut-être encore quelques parents dans cette maison, dit le comte.

— Il est certain, dit Olympe, qu’y en eût-il vingt, il me semble que pour la sûreté personnelle de Chigi, il faudrait les immoler tous.

— Vous êtes des gens insatiables, répondit le magistrat ; je voudrais simplement que vous ne missiez pas sur le compte de vos attentions pour moi ce qui ne tient qu’à votre perfide luxure. Eh bien ! il faut vous contenter. Cornélie a un frère et une mère ; je vous réponds que tous trois vont périr sous nos yeux, par le supplice dont le comte prétend que je fais mes plaisirs.

— Voilà ce que nous voulions, dit Olympe ; quand on fait tant que de se permettre une pareille saillie, il me semble qu’il faut lui laisser toute l’extension qu’elle peut avoir ; je ne connais rien de pis que de s’arrêter en chemin. Oh ! foutre, dit alors la putain en se frottant le con par-dessus sa robe, oh ! sacredieu, que de plaisir ! j’en décharge d’avance…

Chigi sort à l’instant pour aller donner les ordres nécessaires. Un petit jardin isolé, environné de cyprès, et tenant au boudoir d’Olympe, est choisi pour le lieu de l’exécution, et nous nous pelotons, en attendant la partie. Chigi et Olympe se connaissaient, mais Bracciani n’avait jamais touché mon amie, et je n’étais connue d’aucun d’eux. La princesse se chargea donc des avances, et les frais, avec de tels libertins, ne devaient pas être fort longs. La coquine, s’approchant de moi, me déshabille et me livre bientôt nue aux mains de ses deux amis. Ils me dévorent, mais à l’italienne : mon cul devient l’unique objet de leurs caresses ; tous deux le baisent, le langotent, le mordent ; ils ne peuvent s’en rassasier ; à peine se doutent-ils que je suis une femme. Un peu d’ordre succède à ces premières caresses… Bracciani s’approche d’Olympe, qui vient de se mettre aussi nue que moi, et je deviens la proie de Chigi.

— Ne vous impatientez pas, charmante créature, me dit cet infâme libertin, le visage collé sur mes fesses ; blasé sur les plaisirs par une longue habitude de leurs sensations, il me faut des recherches pour retrouver en moi l’aiguillon de leur pointe émoussée. Je serai long, je vous impatienterai, peut-être même n’en viendrai-je pas à mon honneur ; mais vous m’aurez donné du plaisir : c’est la seule chose, ce me semble, à laquelle doive prétendre une femme…

Et le paillard se secouait tant qu’il pouvait, en continuant de savourer mes fesses.

— Madame, dit-il à Olympe, que Bracciani fourrageait, je n’aime pas trop à faire ainsi la besogne moi-même ; il me paraît que le comte est dans le même cas ; faites-nous venir quelques jeunes filles ou quelques petits garçons, je vous prie, qui, chargés de branler nos vits, de nous gamahucher, de nous socratiser, ne nous laisseront plus que des roses à cueillir aux autels de Vénus Callipyge…

Olympe sonne, deux jeunes filles de quinze ans paraissent aussitôt ; la libertine en avait toujours à ses ordres.

— Ah, bon ! dit le magistrat, dites-leur de venir promptement vaquer à des fonctions qu’il est désagréable de faire soi-même…

Obéi dès qu’il est entendu, Chigi met entre les mains des pucelles les tristes dépouilles de son humanité fléchissante, et mes fesses continuent d’être l’objet de ses baisers ; bientôt sa langue pénètre, sans que jamais la moindre distraction vienne refroidir son hommage. Bracciani, plus heureux, est déjà dans l’anus d’Olympe, pendant que la jeune satellite, à genoux devant lui, gamahuche le trou de son cul. Ce tableau, duquel Chigi s’approche un moment, le décide ; il écarte mes fesses, s’y place à demi bandant, et se fait flageller pour soutenir l’attaque… Le traître ! il déshonore mes charmes ; n’ayant pas assez de consistance pour se maintenir dans son poste, il en est rejeté. Accoutumé à l’injustice, c’est à la petite fille qu’il s’en prend… Elle le fustigeait.

— Si vous frappiez plus fort, s’écrie-t-il, cela ne m’arriverait pas…

Et en même temps, il lui applique un soufflet si vigoureux, qu’il la jette en arrière à deux pieds de là.

— Vous êtes trop bon, monseigneur, lui crie Olympe, mettez en sang cette petite gueuse : voilà comme je les traite quand elles me manquent.

— Vous avez raison, dit Chigi en s’en emparant…

Et malgré les grâces, la douceur, la gentillesse, la beauté du cul de cette charmante enfant, le barbare la fustige avec une telle violence, que le sang ruisselle au cinquantième coup. M’apercevant alors qu’il toise mes fesses avec ses verges :

— Frappe, libertin ! lui dis-je, ne te gêne pas ; je soupçonne tes projets, je les aime ; je brave tes coups, tu peux les appuyer.

Chigi ne me répond pas, mais il fouette ; il me flagelle si rudement, que son outil mollasse, à la fin rendu à la vie, devient en état de me perforer. Je me hâte de me mettre en posture, il m’encule, on lui rend ce qu’il vient de faire, et nous voilà plongés dans le sein des plaisirs.

— Déchargerons-nous ? dit Bracciani toujours sodomisant ma compagne.

— Non, non, répond Chigi, songe qu’une grande opération nous attend ; il ne faut, ici, que nous mettre en train : aux seuls supplices de la famille de Cornélie, à cette unique atrocité doit être accordé notre foutre.

Cette résolution s’adopte ; nos deux libertins, sans s’embarrasser s’ils nous laissent en chemin ou non, quittent à l’instant leurs montures, et les plaisirs de la table viennent faire diversion à ceux de la lubricité. Au milieu du repas, Chigi, presque ivre, veut qu’on couche à plat ventre sur la table celle des petites filles qu’il n’avait pas fouettée, et qu’on lui mange une douzaine de crêpes81 toutes bouillantes sur les fesses. On exécute ; la pauvre enfant, brûlée jusqu’au vif, jette des cris affreux qui n’empêchent pas les convives de piquer vigoureusement de leurs fourchettes les morceaux qu’ils prennent sur le derrière sanglant de cette infortunée.

— Il serait plaisant de lui en faire autant sur la gorge, dit Bracciani.

— Je le veux, dit Chigi, mais c’est à condition que je la clystériserai pendant ce temps-là avec de l’eau bouillante.

— Et moi dans le con, avec de l’eau-forte, dit Olympe, toujours emportée dès qu’il s’agissait d’infamie.

— Puisqu’il faut que je prononce à mon tour, observai-je à la compagnie, sauf meilleur avis, je voudrais qu’on mangeât des crêpes sur le joli visage de cette petite fille, qu’en piquant les morceaux on lui crevât les yeux avec les fourchettes, qu’elle fût ensuite empalée au milieu de la table.

Toutes ces idées s’exécutent ; on achève de se griser, de se gorger, ayant sous les yeux le divin spectacle de cette charmante petite fille expirante et se livrant aux contorsions horribles que lui arrache la douleur.

— Comment avez-vous trouvé mon dîner ? nous demanda Borghèse au dessert.

— Excellent, répondîmes-nous.

Et, vraiment, il avait été aussi somptueux que délicat.

— Eh bien, dit-elle, avalons ceci.

C’était une liqueur qui nous fit aussitôt rejeter par en haut tout ce dont nous venions de nous remplir, et, dans trois minutes, nous nous trouvâmes autant d’appétit qu’avant de nous mettre à table. Un second dîner se sert, nous le dévorons.

— Avalons de cette autre liqueur, dit Olympe, et tout va couler par en bas.

À peine cette cérémonie est-elle achevée, que l’appétit se fait encore sentir. Un troisième dîner, plus succulent que les deux autres, se ressert ; nous le dévorons.

— Point de vin d’ordinaire à celui-ci, reprit Olympe, débutons par l’Aleatico, nous finirons par le Falerne et les liqueurs dès l’entremets.

— Et la victime ?

— Oh, foutre ! elle respire encore, dit Chigi.

— Changeons-la, dit Olympe, et qu’on enterre celle-là morte ou vive.

Tout s’arrange, et la seconde des jeunes filles, empalée par le trou du cul, nous sert de surtout au troisième dîner. Nouvelle à ces excès de table, je crus que je n’y résisterais pas ; je me trompais : en aiguisant l’estomac, la liqueur que nous prenions le réconfortait ; et quoique nous eussions tous mangé des cent quatre-vingts plats offerts à notre voracité, pas un de nous ne s’en ressentit. À ce troisième dessert, comme notre seconde victime respirait encore, nos libertins impatientés l’accablèrent d’outrages. Écumants de foutre et d’ivresse, il n’y eut rien qu’ils n’exécutassent sur son malheureux corps, et j’avoue que je les aidai beaucoup. Bracciani essaya sur elle deux ou trois expériences de physique, dont la dernière consistait à produire une foudre simulée qui devait l’écraser à l’instant : telle fut sa cruelle fin. Elle expirait, quand la famille Cornélie vint éveiller dans nous l’affreux désir de nouvelles horreurs.

Si rien n’égalait la beauté de Cornélie, rien ne surpassait non plus la majesté des traits, la supériorité de la taille de sa malheureuse mère, âgée de trente-cinq ans. Léonard, frère de Cornélie, atteignait à peine sa quinzième année, et ne le cédait en rien à ses parents.

— Voilà, bien, dit, Bracciani, en le saisissant tout à coup, le plus joli petit bardache que j’aie encore baisé depuis longtemps.

Mais un air d’abattement et de tristesse absorbait tellement cette famille infortunée, qu’on ne put s’occuper un moment que de les considérer en cet état ; et c’est une jouissance pour le crime, que de se repaître des chagrins dont sa scélératesse accable la vertu.

— Tes yeux s’animent, me dit Olympe.

— Cela peut être, répondis-je ; il faudrait être bien froide, pour n’être pas émue d’un tel spectacle.

— Je n’en connais pas de plus délicieux, me répondit Borghèse ; il n’en est pas un seul au monde qui me fasse aussi prodigieusement bander.

— Prisonniers, dit alors le magistrat en affectant le ton le plus sévère, vous êtes, je crois, bien pénétrés de vos crimes ?

— Nous n’en commîmes jamais, dit Cornélie.

— Je crus un moment ma fille coupable, mais, éclairée par ta conduite, je sais maintenant à quoi m’en tenir.

— Vous allez le mieux savoir tout à l’heure…

Et nous les fîmes à l’instant passer avec nous dans le petit jardin préparé pour l’exécution. Chigi leur fit là un interrogatoire dans toutes les formes ; je le branlais pendant ce temps-là… Vous n’imaginez pas l’art avec lequel il les fit tomber dans tous les pièges qu’il leur tendait… les subterfuges qu’il employa pour les faire couper ; et quelque candeur, quelque naïveté que missent dans leurs défenses ces trois infortunés, Chigi les trouva coupables, et leur sentence fut à l’instant prononcée. Olympe s’empare aussitôt de la mère ; je saisis la fille ; le comte et le magistrat sautent sur le petit garçon.

Quelques supplices s’imposèrent, en attendant celui qui devait terminer ces orgies. Olympe voulut fouetter Cornélie sur le ventre, Bracciani et le magistrat déchirèrent à coups de gaule les jolies fesses de Léonard, et je vexai fortement le beau sein de la mère. On les attache à la fin tous les trois aux cordes qui vont leur donner la mort. Quinze cabrioles consécutives leur brisent bientôt la poitrine, les seins, les vaisseaux ; au dixième, l’enfant de Cornélie se détache et tombe sur les cuisses de Chigi, que je branlais sur les fesses d’Olympe, pendant que Bracciani faisait aller la corde. Tout décharge à ce spectacle, et ce que je remarque d’affreux, c’est qu’on le poursuivit. Quoique les têtes fussent calmes, aucun de nous n’imagina de demander grâce ; et les coups de corde se continuèrent jusqu’à ce que les malheureux qu’on y appliquait eussent rendu l’âme. Et voilà comme le crime s’amuse de l’innocence, quand, ayant pour lui le crédit et la richesse, il ne lui reste plus à lutter que contre l’infortune et la misère.

Le projet horrible du lendemain s’exécuta. Olympe et moi, placées sur une terrasse, nous nous branlions en voyant la rapidité de l’incendie. Les trente-sept hôpitaux furent consumés, et plus de vingt mille âmes y périrent.

— Oh ! sacredieu ! dis-je à Olympe, en déchargeant au spectacle enchanteur de ses crimes et de ceux de ses complices, qu’il est divin de se livrer à de tels écarts ! Inexplicable et mystérieuse Nature, s’il est vrai que ces délits t’outragent, pourquoi donc m’en délectes-tu ? Ah ! garce, tu me trompes peut-être, comme je l’étais autrefois par l’infâme chimère déifique à laquelle on te disait soumise ; nous ne dépendons pas plus de toi que de lui. Les causes sont peut-être inutiles aux effets, et nous tous, par une force aveugle, aussi stupide que nécessitée, nous ne sommes que les machines ineptes de la végétation, dont les mystères, expliquant tout le mouvement qui se fait ici-bas, démontrent également l’origine de toutes les actions des hommes et des animaux.

L’incendie dura huit jours, pendant lesquels nous ne vîmes pas nos amis ; ils reparurent le neuvième.

— Tout est fini, dit le magistrat ; le pape est parfaitement consolé du malheur qui vient d’arriver ; j’ai obtenu le privilège que je demandais : voilà mon profit sûr, et votre récompense décidée. Chère Olympe, poursuivit Chigi, ce qui aurait le plus attendri votre âme bienfaisante, c’eût été sans doute l’incendie des conservatoires : si vous eussiez vu toutes ces jeunes filles nues… échevelées, se précipiter les unes sur les autres, pour échapper aux flammes qui les poursuivaient, et la horde des coquins, que j’avais placés là, les y repousser cruellement, sous le prétexte de les secourir, dérober néanmoins les plus jolies, pour les offrir un jour à mes voluptés tyranniques, se hâter de plonger les autres au milieu des flammes… Olympe… Olympe, si vous eussiez vu tout cela, vous en seriez morte de plaisir.

— Scélérat ! dit Mme de Borghèse, combien en as-tu conservées ?

— Près de deux cents, répondit le monsignor ; on les garde dans un de mes palais, d’où elles partiront en détail pour se distribuer dans mes campagnes. Les vingt plus jolies vous seront offertes, je vous le promets, et ne vous demande pour reconnaissance que de me faire voir quelquefois d’aussi belles créatures que cette charmante personne, continua-t-il en me montrant.

— Je suis étonnée que vous y pensiez encore, après ce que je sais de votre philosophie sur cet objet, dit Olympe.

— J’avoue, répondit le magistrat, que mes sentiments sont très loin de se donner avec mon vit, et qu’il suffirait qu’une femme parût aimer ma jouissance, pour n’être plus payée de moi que par de la haine et du mépris. Il m’est arrivé très souvent même de concevoir l’un et l’autre sentiment pour l’objet qui devait me servir, et mes plaisirs, pris de cette manière, se trouvaient y gagner beaucoup. Tout cela tient à ma manière de penser sur la reconnaissance : je ne veux pas qu’une femme s’imagine que je lui doive quelque chose, parce que je me souille sur elle ; je ne lui demande alors que de la soumission, et la même insensibilité que le fauteuil qui sert à pousser ma selle. Je n’ai jamais cru que, de la jonction de deux corps, puisse jamais résulter celle de deux cœurs : je vois à cette jonction physique de grands motifs de mépris… de dégoût, mais pas un seul d’amour ; je ne connais rien de gigantesque comme ce sentiment-là, rien de plus fait pour attiédir une jouissance, rien, en un mot, de plus loin de mon cœur. Cependant, madame, j’ose vous assurer sans fadeur, poursuivit le magistrat en me serrant les mains, que l’esprit dont vous êtes douée vous met à l’abri de cette manière de penser, et que vous méritez toujours le titre et la considération de tous les philosophes libertins. Je vous rends assez de justice pour croire que vous ne devez être jalouse que de plaire à ceux-là.

De ces flagorneries, dont je faisais assez peu de cas, nous passâmes à des choses plus sérieuses. Chigi voulut voir encore une fois mon derrière ; il ne pouvait, disait-il, s’en rassasier. Bracciani, Olympe, lui et moi, nous passâmes donc dans le cabinet secret des plaisirs de la princesse, où de nouvelles infamies se célébrèrent, et je rougis, d’honneur, de vous les avouer. Cette maudite Borghèse avait tous les goûts, toutes les fantaisies. Un eunuque, un hermaphrodite, un nain, une femme de quatre-vingts ans, un dindon, un singe, un très gros dogue, une chèvre et un petit garçon de quatre ans, arrière-petit-fils de la vieille femme, furent les objets de luxure que nous présentèrent les duègnes de la princesse.

— Oh ! grand Dieu ! m’écriai-je en voyant tout cela, quelle dépravation !

— Elle est on ne saurait plus naturelle, dit Bracciani : l’épuisement des jouissances nécessite des recherches. Blasés sur les choses communes, on en désire des singulières, et voilà pourquoi le crime devient le dernier degré de la luxure. Je ne sais, Juliette, quel usage vous ferez de ces bizarres objets, mais je vous réponds que la princesse, mon ami et moi, nous allons sûrement trouver de grands plaisirs avec eux.

— Il faudra bien que je m’en arrange aussi, répondis-je, et je puis vous assurer d’avance que vous ne me verrez jamais en arrière quand il s’agira de débauche et d’incongruités.

Je n’avais pas fini, que le gros dogue, accoutumé sans doute à ce manège, vint farfouiller sous mes jupes.

— Ah ! voilà Lucifer en train ! dit Olympe en riant. Juliette, déshabille-toi ; livre tes charmes aux libidineuses caresses de ce superbe animal, et tu verras combien tu en seras contente.

J’accepte… Et comment une horreur m’eût-elle révoltée, moi qui, journellement, les recherchais toutes avec tant de soins ? On me place à quatre pattes au milieu de la chambre ; le dogue tourne, me flaire, lèche, monte sur mes reins, et finit par m’enconner à merveille, et me décharger dans la matrice. Mais il arriva quelque chose d’assez singulier : son membre grossit tellement dans l’opération, qu’il n’essayait de le retirer qu’en me causant des douleurs énormes. Le drôle alors voulut recommencer ; on décida que c’était le plus court : une seconde décharge l’ayant effectivement affaibli, il se retire après m’avoir deux fois arrosée de son sperme.

— Tenez, dit Chigi, vous allez voir M. Lucifer me traiter bientôt comme Juliette. Extrêmement libertin dans ses goûts, ce charmant animal honore la beauté partout où il la trouve : il va foutre mon cul avec le même plaisir qu’il vient de baiser le con de madame, je le parie. Mais je n’imiterai point l’oisiveté de notre chère amie, et je vais foutre cette chèvre tout en servant de putain à Lucifer.

Je n’ai jamais rien vu de si bizarre que cette jouissance. Chigi, avare de son foutre, ne déchargea point ; mais il eut l’air de prendre de bien grands plaisirs à cette voluptueuse extravagance.

— Regardez-moi, dit Bracciani, je vais vous donner un autre spectacle…

Il se fait enculer par l’eunuque et encule le dindon. Olympe, les fesses tournées vers lui, tenait entre les cuisses la tête de l’animal ; elle la coupe au moment où le physicien perd sa semence.

— Voilà, dit le libertin, le plus délicieux des plaisirs ! On n’imagine pas ce que fait éprouver le resserrement de l’anus du dindon, quand on lui coupe le cou, positivement à l’instant de la crise.

— Je ne l’ai jamais essayé, dit Chigi ; mais j’ai si fort entendu vanter cette manière de foutre, qu’il faut que j’essaie dans un autre genre… Juliette, me dit-il, tenez cet enfant entre vos cuisses pendant que je l’enculerai ; puis, au moment où mes blasphèmes vous annonceront mon délire, vous lui couperez le cou.

— Bien, dit Olympe, mais en le servant, mon cher, il faut que mon amie ait du plaisir. Je vais placer l’hermaphrodite sous sa bouche, et caressant à la fois dans lui les deux sexes, elle lui gamahuchera tout à tour, et les preuves de sa virilité et celles de sa féminine existence.

— Attendez, dit Bracciani, la posture peut s’arranger en telle sorte que je puisse enculer l’hermaphrodite et me faire foutre par l’eunuque, ayant sous mon nez le cul de la vieille, qui me chiera sur le visage.

— Quelle dépravation ! dit Olympe.

— Madame, dit Bracciani, tout cela s’explique ; il n’est pas un seul goût, pas un seul penchant, dont on ne puisse dévoiler la cause.

— Allons, dit Chigi, puisque vous vous enchaînez tous, il faut que le singe m’encule, pendant que le nain, à cheval sur les reins du petit garçon, me présentera ses fesses à baiser.

— Voilà qui va le mieux du monde, dit Olympe ; il n’y a donc de vacant ici que Lucifer, la chèvre et moi.

— Rien de plus aisé, dit Chigi, que de nous mettre tous en scène. Que la chèvre et vous se placent près de moi ; je varierai d’un cul à l’autre, et Lucifer vous sodomisera quand je n’occuperai pas votre cul ; mais je déchargerai toujours dans celui du petit garçon, dont Juliette coupera le cou dès qu’elle me verra pâmer.

Le tableau s’arrange : jamais rien d’aussi monstrueux ne s’était fait en lubricité ; nous n’en déchargeâmes pas moins tous ; l’enfant fut décapité très à point, et nous ne dérangeâmes le tableau que pour faire l’éloge des divins plaisirs que cette bizarrerie venait de nous procurer à tous82.

Le reste de la journée se passa en luxures à peu près semblables. Je fus foutue par le singe ; encore une fois par le dogue, mais en cul, par l’hermaphrodite, par l’eunuque, par les deux Italiens, par le godemiché d’Olympe. Tout le reste me branla, me lécha, et je sortis de ces nouvelles et singulières orgies, après dix heures des plus piquantes jouissances. Un souper délicieux couronna la fête ; un sacrifice grec y fut célébré : on y immola toutes les bêtes dont nous avions joui, et la vieille, liée et garrottée sur le haut de leur bûcher, y fut brûlée vive avec eux ; l’eunuque et l’hermaphrodite furent les seuls individus conservés, et nous volâmes à d’autres plaisirs.

Il y avait cinq mois que j’étais à Rome, sans qu’il fût encore question de la visite au pape, que les cardinaux Bernis et Albani m’avaient fait espérer avec la Borghèse, lorsque je reçus enfin, quelques jours après cette aventure-ci, un petit billet bien galant de Bernis, qui me prévenait de me trouver chez lui le lendemain de bonne heure, pour être présentée à Sa Sainteté qui, quoiqu’elle désirât depuis longtemps me voir, n’avait pourtant pas pu se satisfaire plus tôt. On me recommandait la toilette la plus simple, mais, en même temps, la plus élégante, et point de parfums. « Braschi, comme Henri IV, m’écrivait le cardinal, veut que chaque chose sente ce qu’elle doit sentir ; il a l’art en horreur, et tient à la nature. Il est donc essentiel de vous abstenir même du bidet. » Obéissante dans tous les points, je fus, avant dix heures du matin, toute prête, au palais Bernis. C’était au Vatican que Pie nous attendait.

— Saint-Père, lui dit Bernis en me présentant, voici la jeune Française que vous avez désirée. Singulièrement honorée de la faveur que vous lui faites, elle vous promet de se prêter aveuglément à tout ce qu’il plaira à Votre Sainteté de lui ordonner.

— Elle ne se repentira point de ses complaisances, dit Braschi. Avant que de nous livrer aux impuretés dont il s’agit, je suis bien aise de la voir un peu seule… Sortez, cardinal, et dites aux caméristes que les portes seront aujourd’hui fermées pour tout le monde.

Bernis se retire et Sa Sainteté, me conduisant par la main, m’introduit dans d’immenses appartements, jusqu’en un cabinet solitaire, où le luxe et la mollesse, sous les brunes couleurs de la religion et de la modestie, offraient néanmoins à la luxure tout ce qui pouvait le mieux flatter ses penchants. Là, tout se mêlait indistinctement. Près d’une Thérèse en extase, on voyait Messaline enculée, et, sous l’image du Christ, était une Léda…

— Reposez-vous, me dit Braschi. Dans ce lieu, j’oublie les distances, et, souriant au vice quand il est aussi aimable que vous, je lui permets de s’asseoir auprès de la vertu.

— Fantôme orgueilleux, répondis-je à ce vieux despote, l’habitude où tu es de tromper les hommes fait que tu cherches à te tromper toi-même. Où diable vas-tu chercher la vertu, quand tu ne me fais venir ici que pour te souiller de vices ?

— Un homme comme moi ne se souille jamais, ma chère fille, me répondit le pape. Successeur des disciples de Dieu, les vertus de l’Éternel m’entourent, et je ne suis pas même un homme, quand j’adopte un instant leurs défauts.

Après un éclat de rire dont je ne fus pas maîtresse :

— Évêque de Rome ! m’écriai-je, suspends donc cette morgue insolente avec une femme assez philosophe pour t’apprécier. Écoute : et trouve bon que j’analyse un moment avec toi ta puissance et tes prétentions.

Il se forme dans la Galilée une religion dont les bases sont la pauvreté, l’égalité et la haine des riches. Les principes de cette sainte doctrine sont qu’il est aussi impossible à un riche d’entrer dans le royaume des cieux qu’à un chameau de passer par le trou d’une aiguille… que le riche est damné, uniquement parce qu’il est riche. Il est défendu aux disciples de ce culte, de ne jamais faire aucune provision. Jésus, leur chef, dit positivement : « Je ne suis pas venu pour être servi, mais pour servir ; il n’y aura jamais parmi vous ni premier ni dernier… Celui de vous qui voudra s’agrandir sera abaissé ; celui de vous qui voudra être le premier sera le dernier »83. Les premiers apôtres de cette religion gagnent leur vie à la sueur de leur front. Tout cela est-il vrai, Braschi ?

— Oui, certes.

— Eh bien, je te demande maintenant quel rapport il y a entre ces premières institutions et les immenses richesses que tu te fais donner dans l’Italie. Est-ce de l’Évangile ou de la fourberie de tes prédécesseurs que tu possèdes tant de biens ? Pauvre homme ! et tu crois nous en imposer encore ?

— Athée, respecte au moins le descendant de saint Pierre.

— Tu n’en descendis jamais : jamais saint Pierre ne mit les pieds dans Rome. Il n’y eut aucun évêque dans les premiers siècles d’une église qui ne commence à être connue, à prendre quelque consistance, que vers la fin du second siècle de notre ère. Comment oserais-tu soutenir que ce Pierre était à Rome, quand lui-même écrivait à Babylone84 ?

T’imagines-tu échapper encore à la critique, en disant que Rome et Babylone étaient la même chose ?… Malheureux fou ! on ne te croit plus, on te méprise. Mais Pierre fût-il même ton type ?… Ton prédécesseur ne nous est-il pas dépeint comme un pauvre qui catéchisait des pauvres ? Conviens, Braschi, qu’il ressemble bien, en ce cas, à ces fondateurs d’ordres qui vivaient dans l’indigence, et dont les successeurs nagent dans l’or. Je sais que ceux qui suivirent Pierre ont tantôt gagné et tantôt perdu ; il n’en est pas moins vrai que la superstition et la crédulité sont assez grandes pour qu’il te reste encore trente ou quarante millions de serviteurs sur la terre. Mais crois-tu que le flambeau de la philosophie ne luira pas bientôt à leurs yeux ? crois-tu qu’ils consentiront encore bien longtemps à se donner un maître à trois ou quatre cents lieues d’eux ? qu’ils voudront encore bien longtemps ne penser, ne juger, n’agir que d’après toi ? ne tenir leurs biens qu’aux conditions de t’en payer tribut ? n’épouser qui bon leur semble, que par ton agrément ? Eh ! non, non ! n’imagine pas que leur erreur soit encore longue. Je sais que ces droits ridicules allaient bien plus loin jadis ; vous étiez au-dessus des Dieux, car ces Dieux passaient seulement pour pouvoir disposer des empires, et vous en disposez en effet. Mais je te le répète, Braschi, tout cela s’éclipse, tout cela disparaît ; et en effet, mon cher pape, combien ne doit-on pas être surpris quand on voit à quel point la superstition peut dénaturer les choses les plus simples ! Conviens qu’on ne sait alors qui l’on doit le plus admirer, ou de l’aveuglement des peuples ou de la hardiesse effroyable de ceux qui les trompent. Comment se peut-il que, d’après les dérèglements dont vous vous êtes souillés à la face de l’univers, on puisse encore vous révérer comme vous l’êtes ? et comment peut-il vous rester encore quelques prosélytes ? Ce ne fut que la stupidité des princes et des peuples qui consolida la grandeur des papes, et qui leur donna l’audace inconcevable de s’arroger des prétentions aussi contraires à l’esprit de leur religion que révoltantes à la raison et nuisibles à la politique. Ceux qui connaissent l’empire de la superstition doivent être bien étonnés, cependant, de ses succès ; il n’y a point d’écarts, point d’imbécillités dont la dévotion ne soit susceptible. Quelques motifs politiques vinrent, d’ailleurs, à l’appui des effets de la superstition. Pendant la décadence de l’Empire, les chefs, occupés de guerres dispendieuses et très éloignées, furent contraints à vous ménager, parce qu’ils vous savaient en possession de l’esprit du peuple ; en fermant les yeux sur vos entreprises, ils les dirigèrent, sans s’en douter, vers la destruction de leur empire. Les hordes barbares adoptèrent par ignorance le système politique des empereurs, et voilà comme vous devîntes petit à petit les maîtres d’une partie des peuples de l’Europe.

Le dépôt des sciences restait dans les mains des moines, vos dignes défenseurs ; personne ne put éclairer l’univers ; on se soumit à ce qu’on n’entendait pas, et ces guerriers, qui parcouraient le monde, trouvèrent plus simple de vous rendre un culte que de vous analyser. L’esprit changea au quinzième siècle : l’aurore de la philosophie annonça la chute de la superstition ; les nuages se dissipèrent, on osa vous regarder en face. Alors on ne vit bientôt plus, en vous et les vôtres, que des imposteurs et des fourbes : quelques nations, encore subjuguées par leurs prêtres, vous restent fidèles ; mais le flambeau de la raison luit à la fin pour elles. Ô mon cher, ton rôle est fini ! Pour hâter l’importante révolution qui doit renverser à jamais les colonnes de ton superstitieux empire, qu’on jette les yeux sur l’histoire de tes prédécesseurs. Je vais l’esquisser aux tiens, Braschi ; mon érudition te fera voir que, puisque les femmes de ma nation sont instruites à ce point, cette nation dont je suis fière ne sera pas longtemps à secouer ton joug ridicule.

Que vois-je dans les commencements de ton ère chrétienne ? Des combats, des tumultes, des séditions, des massacres, uniques fruits de l’avidité et de l’ambition des scélérats qui prétendaient à ton trône ; déjà des chars traînaient dans Rome les orgueilleux pontifes de ta dégoûtante Église ; déjà le luxe et la lubricité les souillaient ; déjà la pourpre les enveloppait ; et ce n’est point à tes ennemis que je te renvoie pour te convaincre des reproches que l’on vous adressait, c’est aux partisans, aux Pères mêmes de votre Église ; écoute Jérôme et Basile : Quand j’étais à Rome, dit le premier, je voulus faire entendre le langage de la pitié et de la vertu ; les Pharisiens entourant le pape me tourmentèrent ; je quittai les palais de Rome pour retourner dans la grotte de Jésus. Ainsi vos satellites, entraînés par la force de la vérité, vous désignaient déjà. Avec quelle énergie le même Jérôme vous reproche ailleurs les scandales qu’occasionnaient vos débauches, vos fourberies, vos intrigues pour tirer de l’argent des riches, pour vous faire mettre sur le testament des grands, et surtout des dames de Rome, que vous trompiez après en avoir joui. Te renverrai-je aux édits des empereurs ? Vois-y avec quelle force ceux de Valentinien, de Valens et de Gratien cherchaient à réprimer votre avarice, votre libertinage et votre ambition. Mais suivons notre esquisse, et peignons à grands traits. Crois-tu, Braschi, crois-tu qu’on puisse douter de ta sainteté… de ton infaillibilité, quand on voit :

Un Liberius entraînant, par crainte et par faiblesse, toute l’Église dans l’arianisme.

Un Grégoire proscrivant les sciences et les arts, parce qu’il dit que la seule ignorance peut favoriser les absurdités de sa dégoûtante religion… qui ose porter l’impudence jusqu’à flatter la reine Brunehaut, ce monstre dont la France rougit encore aujourd’hui.

Un Étienne VII regardant Formose, son prédécesseur, comme tellement souillé de crimes, qu’il se soit barbarement et ridiculement obligé d’imposer un supplice à son cadavre.

Un Sergius, souillé de toutes sortes de débauches, et toujours conduit par des putains.

Un Jean XI, fils de l’une de ces coquines, et qui vécut lui-même en inceste réglé avec Marosia, sa mère.

Un Jean XII, magicien idolâtre et faisant servir le temple de Dieu même à ses plus honteuses débauches.

Un Boniface VII, si empressé de la tiare, qu’il assassine Benoît VI, pour lui succéder85.

Un Grégoire VII qui, plus despote que tous les rois, les faisait venir demander grâce à sa porte… qui répandit des flots de sang en Allemagne, uniquement pour son orgueil et pour son ambition… qui soutint, en un mot, que tout pape était infaillible et saint, et qu’il suffisait d’être assis sur la chaire de Saint Pierre pour être aussi puissant que Dieu même.

Un Pascal II qui, d’après ces abominables principes, ose armer un empereur contre son propre père.

Un Alexandre III, qui fait ignominieusement fouetter Henri II, roi d’Angleterre, pour un meurtre que ce prince n’avait jamais commis… qui promulgue une croisade si sanglante contre les Albigeois.

Un Célestin III, qui, plein d’ambition et de tyrannie, ose placer avec son pied la couronne sur la tête d’Henri VI, prosterné devant lui ; renverser ensuite d’un coup de pied cette même couronne, pour apprendre à l’empereur ce à quoi il devait s’attendre, s’il manquait au respect qu’il devait au pape.

Un Innocent IV, empoisonneur de l’empereur Frédéric pendant les guerres interminables des Guelfes et des Gibelins, que votre orgueil et vos passions occasionnèrent et qui démoralisèrent si longtemps l’Italie.

Un Clément IV, qui fait trancher la tête à un jeune prince, pour le seul tort de venir réclamer la succession de ses pères.

Un Boniface VIII, fameux par ses démêlés avec les rois de France ; impie, ambitieux, auteur de cette farce sainte connue sous le nom de jubilé, et dont le seul but est de remplir les coffres pontificaux86.

Un Clément V, assez scélérat pour avoir fait empoisonner l’empereur Henri VI dans une hostie.

Un Benoît XII, qui achète à prix d’argent la sœur du célèbre Pétrarque, pour en faire sa maîtresse.

Un Jean XXIII, fameux par ses extravagances… qui condamna comme hérétiques tous ceux qui soutenaient que Jésus-Christ avait vécu dans la pauvreté, qui disposa des couronnes, qui changea le juste en injuste et qui porta la démence au point d’excommunier les anges.

Un Sixte IV, qui tirait un revenu considérable des bordels qu’il avait installés dans Rome, qui envoya un drapeau rouge aux Suisses, en les invitant de s’égorger entre eux, pour la prospérité de l’Église romaine.

Un Alexandre VI, qu’il suffit de nommer pour exciter contre lui l’indignation et l’horreur de ceux qui ont quelque idée de son histoire ; un scélérat enfin, qui n’avait ni probité, ni honneur, ni bonne foi, ni pitié, ni religion et dont les débauches libidineuses, les cruautés, les empoisonnements, surpassent tout ce que Suétone nous rapporte de Tibère, de Néron, de Caligula ; un libertin, en un mot, qui coucha avec Lucrèce, sa fille87, qui se plaisait à faire courir à quatre pattes cinquante putains toutes nues, pour s’échauffer l’imagination par les différentes postures qu’elles étaient obligées de prendre ainsi.

Un Léon X, qui, pour réparer les dépravations de ses prédécesseurs, imagina de vendre des indulgences, et, néanmoins incrédule, au point qu’il répondit au cardinal Bembo, son ami, qui lui citait un passage de l’Écriture : Eh ! que diable venez-vous me dire ici, avec vos fables de Jésus-Christ ?

Un Jules III, vrai Sardanapale, qui porta l’impudence au point d’élever son bardache au cardinalat ; qui, nu un jour dans sa chambre, obligea les cardinaux qui y entraient de se mettre de même, en leur disant : « Mes amis, si nous courions ainsi les rues de Rome, on ne nous révérerait pas tant. Or, si nos habits seuls inspirent du respect, ce n’est donc qu’à eux que nous avons l’obligation d’être quelque chose. »

Un Pie V, révéré comme un saint, fanatique, cruel, qui fut la cause de toutes les persécutions exercées en France contre les protestants ; instigateur des férocités du duc d’Albe ; assassin de Paléario, dont le seul crime était d’avoir dit que l’Inquisition avait un poignard destiné à frapper les gens de lettres ; et qui prétendait enfin n’avoir jamais autant désespéré de son salut que lorsqu’il était pape.

Un Grégoire XIII, affreux panégyriste de la Saint-Barthélemy, et qui, par des lettres particulières, félicita Charles IX de ce qu’il avait tiré lui-même sur les protestants.

Un Sixte Quint, qui déclara qu’on pouvait s’enculer tant qu’on voudrait, à Rome, pendant la canicule, et qui n’établit l’ordre et la police, dans cette grande ville, qu’en l’inondant de sang.

Un Clément VII, auteur de la fameuse conspiration des poudres.

Un Paul V, qui fit la guerre à Venise, parce qu’un magistrat civil avait voulu punir un moine d’avoir violé et assassiné une fille de douze ans.

Un Grégoire XV, écrivant à Louis XIII : « Égorgez, assassinez tous ceux qui me méconnaissent. »

Un Urbain VIII, coopérateur des massacres d’Irlande, où périrent cent cinquante mille protestants, etc., etc.

Les voilà, mon ami, les voilà ceux qui t’ont précédé ! Et tu ne veux pas que nous concevions une juste horreur pour les chefs insolents ou corrompus d’une pareille secte ? Ah ! puissent tous les peuples se détromper bientôt sur le compte de ces idoles papales qui, jusqu’ici, ne leur ont procuré que des troubles, de l’indigence et des malheurs ! Que tous les peuples de la terre, frémissant des effets terribles causés depuis tant de siècles par de pareils scélérats, s’empressent de détrôner celui qui leur succède, et de culbuter en même temps la religion stupide et barbare, idolâtre, sanguinaire, impie, qui put les admettre ou les ériger un instant !

Pie VI, qui m’avait écoutée très attentivement, me regarda dès que j’eus fini, avec la plus extrême surprise.

— Braschi, lui dis-je, tu t’étonnes de me trouver si savante ; sache que c’est ainsi, maintenant, qu’on élève tous les enfants de ma patrie : ils sont évanouis, les siècles d’erreur. Prends donc ton parti, vieux despote, brise ta croix, brûle tes hosties, foule tes images et tes reliques aux pieds : après avoir dégagé les peuples du serment de fidélité envers leurs souverains, dégage les tiens, maintenant, des erreurs où tu les tenais plongés. Crois-moi, descends de ton trône, si tu ne veux pas être enseveli sous ses ruines : il vaut mieux céder la place au plus fort, que de le voir s’en emparer malgré toi. L’opinion règle tout dans le monde ; elle change sur ton compte et sur celui de toutes tes mômeries : varie comme elle. Quand la faux est levée, il est plus prudent de détourner la tête, que d’attendre le coup. Tu as de quoi vivre, redeviens bourgeois de Rome. Change le costume funèbre de toute cette canaille enfroquée qui t’entoure, licencie tes moines, ouvre tes cloîtres, rends à tes religieuses la liberté de se marier, n’enterre pas le germe de cent générations. L’Europe étonnée t’admirera, ton nom se tracera sur les colonnes des temples de mémoire, dont tu n’approcheras jamais si tu ne changes bientôt le triste honneur d’être pape, contre celui, bien autrement précieux, d’être philosophe.

— Juliette, me dit Braschi, on m’avait bien dit que tu avais de l’esprit, mais je ne t’en croyais pas autant ; un tel degré d’élévation dans les idées est extrêmement rare chez une femme. Je vois bien que ce n’est pas avec toi qu’il faut feindre ; j’ôte le masque : vois l’homme, vois celui qui veut jouir de toi à tel prix que ce puisse être.

— Écoute-moi, vieux singe, répondis-je, je ne suis pas venue ici pour jouer la vestale, et, puisque j’ai tant fait que de me laisser conduire dans les appartements les plus mystérieux de ton palais, tu dois être bien sûr que je n’ai pas envie de te résister ; mais au lieu d’avoir en moi une femme aimable, une femme ardente, prévenant tes goûts, les aimant, tu n’auras qu’une froide idole, si tu ne consens pas aux quatre choses que je vais exiger de toi.

J’exige d’abord, pour première marque de confiance, que tu me donnes les clefs de tes chambres les plus secrètes ; je veux visiter tout, je ne veux pas qu’il y ait un seul cabinet qui m’échappe.

La seconde chose que je désire est une dissertation philosophique sur le meurtre : je me suis souvent souillée de cette action, je veux savoir à quoi m’en tenir sur elle. Ce que tu vas me dire fixera pour toujours ma façon de penser ; non que je croie à ton infaillibilité, mais j’ai confiance aux études que tu as dû faire, et me connaissant philosophe, je suis sûre que tu n’oseras me tromper.

Ma troisième condition est que, pour me convaincre du profond mépris dans lequel doivent être à tes yeux toutes les mômeries sacrées du culte chrétien, tu ne jouiras de moi que sur l’autel de saint Pierre, après avoir fait célébrer, par tes chapelains, la messe sur le cul d’un bardache, et m’avoir enfoncé dans l’anus, avec ton vit sacré, le petit Dieu de pain résultant de cet abominable sacrifice. J’ai fait cent fois toutes ces folies-là, mais je bande à te les voir faire, et tu ne me toucheras jamais sans cela.

La quatrième clause est que tu me donneras, dans quelques jours, un grand souper avec Albani, Bernis et mon amie Borghèse, que tu feras éclater dans ce souper plus de luxure et de libertinage que n’en affichèrent jamais tes prédécesseurs : je veux que ce repas l’emporte mille fois en infamies, sur celui qu’Alexandre VI fit servir à Lucrèce, sa fille.

— Assurément, dit Braschi, voilà d’étranges conditions !

— Ou de tes jours tu ne me posséderas, ou tu les accepteras toutes.

— Songes-tu que tu es à ma disposition ici, et que d’un mot…

— Je sais que tu es un tyran, que tu es un scélérat : tu n’occuperais pas la place où tu es, sans ces qualités ; mais comme je suis aussi coquine que toi, tu me respectes, tu m’aimes ; tu es bien aise de voir jusqu’à quel point la scélératesse, en tout genre, peut maîtriser, peut remplir l’esprit d’une femme ; à ce titre puissant, Braschi, tu m’aimeras… tu me satisferas.

— Ô Juliette ! me dit Pie VI en m’embrassant, tu es une fort singulière créature ; ton ascendant l’emporte, je serai ton esclave ; avec la tête que tu me montres, j’attends de toi les plus piquants plaisirs… Tiens, voilà mes clefs… visite… je te livre tout ; après les faveurs que j’attends de toi, je te promets la dissertation dont tu es curieuse. Tu peux compter sur le souper que tu me demandes, et, cette nuit même, la profanation que tu exiges aura lieu. Je n’ajoute pas plus de foi que toi à toutes ces mômeries spirituelles, mon ange : mais tu connais l’obligation où nous sommes d’en imposer aux faibles. Je suis comme le charlatan qui distribue ses drogues : il faut bien que j’aie l’air d’y croire, si je veux les vendre.

— Voilà bien qui prouve que tu es un coquin, dis-je, en interrompant Braschi ; si tu étais honnête, tu aimerais mieux éclairer les hommes que de les tromper ; tu déchirerais le bandeau qui couvre leurs yeux, au lieu de l’épaissir.

— Mais je mourrais de faim !

— Et quelle nécessité y a-t-il que tu vives ? est-il donc urgent, pour que tu digères, que cinquante millions d’hommes soient dans l’erreur ?

— Oui, parce que mon existence est tout pour moi, et que ces cinquante millions d’hommes ne me sont rien… parce que la première des lois de la nature est de se conserver… n’importe aux dépens de qui.

— Tu es démasqué, pontife, c’était tout ce que je voulais. Donnons-nous donc la main, puisque nous voilà tous deux aussi fripons l’un que l’autre, et que, désormais, entre nous, il n’y ait plus rien de caché.

— J’y consens, dit le pape, ne nous occupons que de plaisirs.

— Eh bien, répondis-je, commence d’abord par acquitter l’une de tes promesses ; charge un guide de toutes les clefs de ce palais, je veux tout voir.

— Je serai ce guide moi-même, dit Braschi… Cette superbe maison, me dit-il, à mesure que nous avancions, est bâtie sur l’emplacement de celle où Néron s’amusait à illuminer ses jardins avec les corps des premiers chrétiens ; il les plaçait de distance en distance, pour lui servir de pots à feu88.

— Oh ! mon ami, interrompis-je, j’étais digne de ce spectacle ; j’aurais bien voulu l’observer ; ma haine pour ta secte infâme me l’eût rendu bien doux à considérer.

— N’oublie donc pas, friponne, me dit le Saint-Père, que tu parles au chef de cette religion…

— Il ne l’aime pas plus que moi, répondis-je, il l’apprécie à sa juste valeur ; l’estime qu’il a pour elle n’est assise que sur les revenus qu’il en recueille. Eh ! mon ami, si tu étais le maître, tu traiterais de même les ennemis de cette religion qui t’engraisse.

— Assurément, Juliette : l’intolérance est la première loi de l’Église ; sans le rigorisme le plus outré, ses temples seraient bientôt détruits ; il faut que le glaive frappe, quand la loi n’agit plus.

— Ô Braschi ! que tu es despote !

— Comment veux-tu que les princes règnent sans le despotisme ? Leur pouvoir n’est que dans l’opinion : qu’elle change, et ils sont perdus. Leur unique moyen, pour la fixer, consiste donc à effrayer les âmes, à placer sur les yeux le bandeau de l’erreur, afin que les pygmées paraissent des géants.

— Braschi, les peuples s’éclairent ; tous les tyrans périront bientôt, et les sceptres qu’ils tiennent, et les fers qu’ils imposent, tout se brisera devant les autels de la liberté, comme le cèdre ploie sous l’aquilon qui le ballotte. Il y a trop longtemps que le despotisme avilit leurs droits ; il faut qu’ils les reprennent, il faut qu’une révolution générale embrase l’Europe entière, et que les hochets de la religion et du trône, ensevelis pour ne plus reparaître, laissent incessamment à leur place, et l’énergie des deux Brutus, et les vertus des deux Catons.

Nous marchions toujours.

— Ce n’est pas une petite besogne que de parcourir le palais, me dit Braschi ; il contient quatre mille quatre cent vingt-deux chambres, vingt-deux cours, et d’immenses jardins. Commençons par voir ceci, me dit le pape en me menant dans une galerie qui est au-dessus du vestibule de l’église de saint Pierre. D’ici, dit le pontife, je répands mes bénédictions sur l’univers… d’ici j’excommunie les rois… je dégage les peuples du serment de fidélité qu’ils doivent à leur prince.

— Méprisable farceur, répondis-je avec force, ton théâtre est bien chancelant, fondé sur l’absurdité des nations de la terre ! La philosophie va l’anéantir.

Nous passâmes de là dans la célèbre galerie. Aucune pièce, en Europe, n’est aussi longue que celle-là, pas même la galerie du Louvre ; aucune, sans doute, ne renferme d’aussi beaux morceaux de peinture. En admirant le Saint Pierre aux trois clés qui termine cette superbe pièce :

— Pontife, dis-je à Braschi, voilà donc encore un monument de ton orgueil ?

— C’est un emblème de la puissance sans bornes, me répondit le pape, que s’attribuèrent Grégoire VII et Boniface VIII.

— Saint-Père, dis-je au vieil évêque, change ces emblèmes, mets un fouet dans la main de ton portier, place ton vieux cul pour en recevoir les coups : tu auras le mérite d’une prédiction.

Nous passâmes, de là, dans une bibliothèque construite dans la forme d’un T. On voit beaucoup d’armoires dans cette bibliothèque, mais peu de livres.

— Tout est faux chez toi, dis-je à Braschi ; vous fermez la moitié de ces rayons, pour qu’on ne se doute pas qu’ils sont vides. Le désir d’en imposer et de tromper les hommes est votre devise partout.

Je vis avec plaisir, dans cet asile des Muses, un manuscrit de Térence, où les masques servant aux acteurs comiques sont dessinés à la tête de chaque pièce. J’y distinguai de même, avec satisfaction, les lettres originales d’Henri VIII à Anne de Boleyn, sa fille, dont il était amoureux, et qu’il épousa malgré le pape ; mémorable époque de la réforme d’Angleterre.

Nous traversâmes de là les jardins, où je vis les plus belles plantations d’orangers, les plus agréables bosquets de myrte, les eaux les plus fraîches et les plus jaillissantes.

— L’autre partie de ce palais où nous allons aboutir, me dit le Saint-Père, sert de logement à quelques objets de luxure de l’un et de l’autre sexe, que j’y tiens enfermés ; ils paraîtront au souper que je t’ai promis ; poursuivons.

— Ah ! Braschi, dis-je avec enthousiasme, tu tiens donc des objets en cage !… et je me flatte au moins que tu leur rends un peu la vie dure… Fouettes-tu ?

— Il faut bien en venir là, quand on est vieux, me dit l’honnête Braschi ; c’est la plus douce jouissance des gens de mon âge, et c’est, en vérité, la meilleure.

— Si tu fouettes, tu es cruel : la fustigation, chez un libertin, n’est que l’élan de sa férocité ; c’est pour lui donner quelque issue qu’il en vient là ; il ferait autre chose s’il osait.

— Eh bien ! j’ose, me dit plaisamment le Saint-Père, oui, j’ose quelquefois, tu le verras, Juliette, tu le verras.

— Mon ami, dis-je au pape, il me reste tes trésors à examiner. Tu dois avoir de l’or, je sais que tu es avare ; je le suis aussi ; il n’est rien dans le monde que j’aime autant que l’or : je veux nager une minute avec toi sur des monceaux de ce métal.

— Nous ne sommes pas loin du lieu qui le recèle, me dit le pape, en me conduisant à travers un corridor obscur, près d’une petite porte de fer qu’il ouvrit. Voilà vraiment tout ce que possède le Saint-Siège, continua mon guide en me faisant entrer dans une petite salle voûtée, au milieu de laquelle il pouvait y avoir tant en écus qu’en sequins, cinquante à soixante millions tout au plus. J’ai plus dépensé que je n’y ai mis. Sixte Quint fut le premier qui forma ce trésor, fondé sur la stupidité des chrétiens.

— Dès que votre couronne n’est point héréditaire, dis-je, vous êtes bien dupes d’amasser ainsi ; il y aurait longtemps qu’à votre place, j’aurais dilapidé toutes les finances. Enrichissez vos amis, multipliez vos plaisirs, ne vous refusez aucune jouissance : cela vaudra bien mieux que de laisser accumuler ces sommes pour les conquérants, car vous serez subjugués. Pontife, je vous le prédis, quelques nations libres et dégagées du frein monarchique s’empareront de vous, et vous êtes, j’ose vous l’assurer, le dernier pape de l’Église romaine. Quoi qu’il en soit, combien peut-on prendre ici ?

— Mille sequins.

— Vieux jean-foutre, répondis-je, voilà une balance ; pèse-moi quand mes poches en seront pleines, et songe que je veux en emporter trois fois ma pesanteur : il t’appartient bien de régler à si bas prix le mérite d’une femme comme moi.

Et, en disant cela, je remplissais mes poches.

— Renonce à ce calcul, dit Braschi, il serait inexécutable ; tiens, voilà un bon de dix mille sequins, payable à vue sur mon trésorier.

— Un tel acte de générosité me touche peu ; c’est de l’argent que tu places sur Vénus, je ne t’en sais pas le moindre gré…

Et au sortir de cette chambre, je n’en pris pas moins, ainsi que je l’avais projeté, l’empreinte de la serrure avec de la cire ; Braschi ne se douta de rien, et nous repassâmes dans l’appartement où il m’avait reçue.

— Juliette, me dit-il alors, quoiqu’il n’y ait encore qu’une seule condition de remplie, tu dois, ce me semble, être contente de moi ; voyons maintenant si je le serai de tes complaisances.

Et le paillard, en même temps, dénoue les cordons de mes jupes89.

— Mais, dis-je, et le reste ?

— Puisque j’ai tenu parole sur le premier article, crois, Juliette, que j’exécuterai de même tous les autres…

Et le vieux paillard me tenait déjà à sa disposition ; j’étais courbée sur un sofa, tandis qu’un genou en terre, le drôle, tout à l’aise, examinait à loisir cette partie qui paraissait l’intéresser autant.

— Il est superbe ! s’écria-t-il ; Albani m’en avait dit du bien, mais je ne croyais pas à ce degré de supériorité…

Insensiblement, les baisers du pontife devinrent plus ardents : sa langue pénétra dans l’intérieur, et je vis qu’une de ses mains se portait vers la région de sa débile humanité. Je brûlais de voir le vit du pape : je me retourne, mais je n’aperçois rien.

— Si, dis-je, vous vouliez vous déranger un instant, nous prendrions une attitude plus commode, je pourrais faciliter vos projets, sans détourner en rien votre hommage.

Puis, l’aidant à se coucher lui-même sur l’ottomane, j’approchai mes fesses de son visage, et lui branlai le vit en me courbant, pendant que la main qui ne s’employait pas à cette besogne, s’égarant sur ses fesses, travaillait à lui chatouiller l’anus. Ces diverses occupations me mirent à même d’analyser le Saint-Père et je vais le peindre de mon mieux.

Braschi a de l’embonpoint, ses fesses sont grasses, fermes et potelées, mais tellement dures et calleuses, par l’habitude où il est de recevoir le fouet, que les pointes d’une aiguille n’y pénétreraient pas plus que sur une peau de chien de mer ; le trou de son cul est prodigieusement large (et comment cela ne serait-il pas, avec l’habitude où il est de se faire foutre vingt-cinq ou trente coups par jour ?) ; son vit, une fois en l’air, n’est pas sans beauté, il est sec, nerveux, bien décalotté, et peut avoir huit pouces de long, sur six de circonférence. Il ne fut pas plus tôt dressé, que les passions papales s’exprimèrent avec énergie : comme il avait le visage collé sur mes fesses, ses dents se firent sentir et ses ongles leur succédèrent. Tant que ce ne fut qu’un jeu, je ne dis mot, mais le Saint-Père s’oubliant, je me retournai :

— Braschi, lui dis-je, je consens au rôle de complice avec toi, mais je n’aime pas celui de victime.

— Quand je bande et que je paie, me répondit le pape, j’observe peu toutes ces différences… Eh bien ! chie… chie… Juliette, cela me calmera ; j’idolâtre la merde, et ma décharge est sûre si tu veux m’en donner…

Je me replace ; ayant la possibilité d’obéir, je le fais ; le vit pontifical se durcit à tel point que je crois qu’il va décharger.

— Viens, prête-toi, continue le pourceau, il faut que je t’encule…

— Non, non, dis-je, tu perdrais ta vigueur, nos orgies nocturnes s’en ressentiraient.

— Tu te trompes, dit le pape tenant mon cul toujours en arrêt, je fous souvent trente ou quarante culs sans perdre mon sperme… Présente-toi, te dis-je, il faut que je t’encule.

Comme je n’avais point d’obstacles à opposer, que ne pût franchir l’état où je le voyais, j’offris mon cul ; Braschi l’enfila sans préparation. Ce froissement mêlé de douleur et de plaisir, l’irritation morale résultative de l’idée de tenir dans mon cul le vit du pape, tout me détermine bientôt au plaisir ; je décharge. Mon bougre, qui s’en aperçoit, me serre avec ardeur, il me baise, il me branle. Mais, entièrement maître de ses passions, le paillard ne fait que les irriter sans leur permettre aucune issue ; il se retire au bout d’un quart d’heure.

— Tu es délicieuse, me dit-il, je n’ai jamais foutu de cul plus voluptueux. Soupons ; je vais donner des ordres pour l’exécution de la scène que tu désires sur l’autel même de saint Pierre ; une galerie de ce palais conduit à l’église, nous y passerons en sortant de table.

Braschi soupa en tête à tête avec moi, et pendant ce repas nous fîmes cent extravagances. Peu d’individus dans le monde sont aussi luxurieux que Braschi ; il n’en est point qui entende mieux toutes les recherches de la débauche. Il fallait souvent que je triturasses les aliments qu’il voulait manger ; je les humectais de ma salive, et les lui passais dans la bouche ; la mienne se rinçait des vins qu’il voulait boire ; il m’en seringuait quelquefois dans le cul, et il l’avalait ; si par hasard il s’y mêlait quelques étrons, il était aux nues.

— Ô Braschi ! m’écriai-je dans un moment de vérité, que diraient les hommes auxquels tu en imposes, s’ils te voyaient au milieu de ces turpitudes !

— Ils me rendraient le mépris que j’ai pour eux, me dit Braschi, et malgré leur orgueil, ils conviendraient de leur absurdité. Qu’importe, continuons de les aveugler : le règne de l’erreur ne sera pas long, il faut en jouir.

— Eh ! oui, oui, m’écriai-je, trompons les hommes, c’est un des plus grands services à leur rendre… Braschi, immolerons-nous quelques victimes au temple où nous devons aller ?

— Assurément, me dit le Saint-Père, il faut que le sang coule pour que les orgies soient bonnes. Assis sur le trône de Tibère, je l’imite dans mes voluptés ; et je ne connais pas, à son exemple, de décharge plus délicieuse que celle dont les soupirs se mêlent aux accents plaintifs de la mort.

— Te livres-tu souvent à ces excès ?

— Il n’est guère de jours où je ne m’y plonge, ô Juliette ! il n’en est point où je ne me souille de sang…

— Mais, d’où vient donc ce goût monstrueux ?

— De la nature, mon enfant. Le meurtre est une de ses lois ; chaque fois qu’elle en éprouve le besoin, elle nous en inspire le goût, et nous obéissons involontairement. J’emploierai bientôt des arguments plus vigoureux pour te prouver la nullité de ce prétendu crime ; si tu le désires, je le ferai. Les philosophes ordinaires ont soumis l’homme à la nature pour s’accommoder aux idées reçues : prenant un vol plus rapide, je te prouverai, quand tu voudras, qu’il n’en dépend nullement.

— Mon ami, répondis-je, je te somme de ta promesse : cette dissertation, tu le sais, est une des clauses de notre pacte, remplis-la, nous en avons le temps.

— J’y consens, dit le philosophe mitré, écoute-moi cela demande la plus grande attention.

De toutes les extravagances où l’orgueil de l’homme dût le conduire, la plus absurde, sans doute, fut le cas précieux qu’il osa faire de son individu. Entouré de créatures qui valaient autant et plus que lui, il se crut permis d’attenter impunément aux jours de ces êtres qu’il s’imaginait lui être subordonnés, et n’imagina qu’aucune peine, qu’aucun supplice pût laver le crime de celui qui attenterait aux siens. À la première folie où ce même orgueil l’avait entraîné, à cette stupidité révoltante de se croire sorti d’une divinité, de se supposer une âme immortelle, ouvrage céleste de cette main savante, à cet aveuglement atroce, il devait, sans doute, ajouter celui de se croire sans prix sur la terre. Eh ! comment, en effet, l’œuvre chérie d’une divinité bienfaisante, comment le favori du ciel aurait-il pu ne pas penser ainsi : les peines les plus rigoureuses devaient être incontestablement décernées contre le destructeur d’une aussi belle machine. Cette machine était sacrée ; une âme, image brillante d’une divinité plus brillante encore, animait cette machine, dont la désorganisation devait être le crime le plus affreux qui pût se commettre. Et, tout en raisonnant ainsi, il mettait à sa broche pour assouvir sa gourmandise, il faisait bouillir dans un pot pour apaiser sa faim, ce mouton paisible et tranquille, créature formée par la même main que lui, et sur laquelle il ne l’emportait que par une construction différente. Avec un peu d’étude pourtant, il se fût beaucoup moins estimé ; un coup d’œil plus philosophique sur cette nature qu’il méconnaissait lui aurait fait voir que, faible et infirme production des mains de cette mère aveugle, il ressemblait à toutes les autres créatures, qu’il était invinciblement lié à toutes les autres, nécessité comme toutes les autres et, d’après cela, nullement fait pour s’estimer davantage.

Aucun être, ici-bas, n’est exprès formé par la nature, aucun n’est fait à dessein par elle ; tous sont les résultats de ses lois et de ses opérations, en telle sorte que, dans un monde construit comme le nôtre, il devait nécessairement y avoir des créatures comme celles que nous y voyons ; de même qu’il en est sans doute de très différents dans un autre globe, dans cette fourmilière de globes dont l’espace est rempli. Mais ces créatures ne sont ni bonnes, ni belles, ni précieuses, ni créées : elles sont l’écume, elles sont le résultat des lois aveugles de la nature, elles sont comme les vapeurs qui s’élèvent de la liqueur raréfiée dans un vase par le feu, dont l’action chasse de l’eau les parties d’air que cette eau contient. Elle n’est pas créée, cette vapeur, elle est résultative, elle est hétérogène, elle tire son existence d’un élément étranger, et n’a par elle-même aucun prix ; elle peut être ou ne pas être, sans que l’élément dont elle émane en souffre ; elle ne doit rien à cet élément, et cet élément ne lui doit rien. Qu’une autre vibration, différente de celle de la chaleur, vienne modifier cet élément, il existera toujours sous sa nouvelle modification, et cette vapeur, qui devenait son résultat sous la première, ne le sera plus sous la seconde. Que la nature se trouve soumise à d’autres lois, ces créatures qui résultent des lois actuelles n’existeront plus sous les lois nouvelles, et la nature existera pourtant toujours, quoique par des lois différentes. Les rapports de l’homme à la nature, ou de la nature à l’homme, sont donc nuls ; la nature ne peut enchaîner l’homme par aucune loi ; l’homme ne dépend en rien de la nature ; ils ne doivent rien l’un à l’autre et ne peuvent ni s’offenser, ni se servir ; l’un a produit malgré soi : de ce moment, aucun rapport réel ; l’autre est produit malgré lui, et, conséquemment, nul rapport. Une fois lancé, l’homme ne tient plus à la nature ; une fois que la nature a lancé, elle ne peut plus rien sur l’homme ; toutes ses lois sont particulières. Par le premier élancement, l’homme reçoit des lois directes dont il ne peut plus s’écarter ; ces lois sont celles de sa conservation personnelle… de sa multiplication, lois qui tiennent à lui… qui dépendent de lui, mais qui ne sont nullement nécessaires à la nature ; car il ne tient plus à la nature, il en est séparé. Il en est entièrement distinct, tellement, qu’il n’est point utile à sa marche… point nécessaire à ses combinaisons, qu’il pourrait ou quadrupler son espèce, ou l’anéantir totalement, sans que l’univers en éprouvât la plus légère altération. S’il se détruit, il a tort, toujours d’après lui. Mais aux yeux de la nature, tout cela change. S’il se multiplie, il a tort, car il enlève à la nature l’honneur d’un phénomène nouveau, le résultat de ses lois étant nécessairement des créatures. Si celles qui sont lancées ne se propageaient point, elle lancerait de nouveaux êtres, et jouirait d’une faculté qu’elle n’a plus. Non qu’elle ne puisse l’avoir encore si elle le voulait, mais elle ne fait jamais rien d’inutile, et tant que les premiers êtres lancés se propagent par les facultés qu’ils ont en eux-mêmes, elle ne propage plus : notre multiplication, qui ne se trouve plus qu’une des lois inhérentes à nous seuls, nuit donc décidément aux phénomènes dont la nature est capable. Ainsi, ce que nous regardons comme des vertus devient donc des crimes à ses yeux. Au contraire, si les créatures se détruisent, elles ont raison, eu égard à la nature, car alors elles cessent d’user d’une faculté reçue, mais non pas d’une loi imposée, et remettent la nature dans la nécessité de développer une de ses plus belles facultés, qu’elle tient enchaînée par l’inutilité dont elle devient. Vous objecterez peut-être à cela que si cette possibilité de se propager, qu’elle a laissée à ses créatures, lui nuisait, elle ne la lui aurait pas donnée… Mais observez donc qu’elle n’est pas maîtresse, qu’elle est la première esclave de ses lois… qu’elle est enchaînée par ses lois, qu’elle n’y peut rien changer, qu’une de ses lois est l’élan des créatures une fois fait, et la possibilité à ces créatures lancées de se propager. Mais que si ces créatures ne se propageaient plus, ou se détruisaient, la nature rentrerait alors dans de premiers droits qui ne seraient plus combattus par rien, au lieu qu’en propageant ou en ne détruisant pas, nous la lions à ses lois secondaires, et la privons de sa plus active puissance. Ainsi, toutes les lois que nous avons faites, soit pour encourager la population, soit pour punir la destruction, contrarient nécessairement toutes les siennes : et toutes les fois que nous nous prêtons à ces lois, nous choquons directement ses désirs ; mais, au contraire, chaque fois, ou que nous nous refusons opiniâtrement à cette propagation qu’elle abhorre, ou que nous coopérons à ces meurtres qui la délectent et qui la servent, nous devenons sûrs de lui plaire… certains d’agir d’après ses vues. Eh ! ne nous prouve-t-elle pas à quel point notre multiplication la gêne… comme elle aurait envie de s’échapper encore une fois, en la détruisant ?… Ne nous le prouve-t-elle point par les fléaux dont elle nous écrase sans cesse, par les divisions, par les zizanies qu’elle sème entre nous… par ce penchant au meurtre qu’elle nous inspire à tout instant. Ces guerres, ces famines, dont elle nous accable ; ces pestes, qu’elle envoie de temps en temps sur le globe, afin de nous détruire ; ces scélérats qu’elle multiplie, ces Alexandre, ces Tamerlan, ces Gengis, tous ces héros qui dévastent la terre ; tout cela, dis-je, ne nous prouve-t-il pas d’une manière invincible que toutes nos lois sont contraires aux siennes, et qu’elle ne tend qu’à les détruire ? Aussi ces meurtres que nos lois punissent avec tant de rigueur, ces meurtres que nous supposons être le plus grand outrage que l’on puisse lui faire, non seulement, comme vous le voyez, ne lui font aucun tort et ne peuvent lui en faire aucun, mais deviennent même, en quelque façon, utiles à ses vues, puisque nous la voyons les imiter si souvent, et qu’il est bien sûr qu’elle ne le fait que parce qu’elle désirait l’anéantissement total des créatures lancées, afin de jouir de la faculté qu’elle a d’en relancer de nouvelles. Le plus grand scélérat de la terre, le meurtrier le plus abominable, le plus féroce, le plus barbare, n’est donc que l’organe de ses lois… que le mobile de ses volontés, et le plus sûr agent de ses caprices.

Allons plus loin. Ce meurtrier croit qu’il détruit, il croit qu’il absorbe, et, de là naissent quelquefois ses remords ; tranquillisons-le donc totalement sur cela, et si le système que je viens de développer n’est pas encore à sa portée, prouvons-lui, par des faits se passant sous ses yeux, qu’il n’a pas même l’honneur de détruire ; que l’anéantissement dont il se flatte quand il est sain, ou dont il frémit quand il est malade, est entièrement nul, et qu’il lui est malheureusement impossible d’y réussir.

La chaîne invisible qui lie tous les êtres physiques, cette dépendance absolue des trois règnes entre eux, prouve que tous trois sont dans le même cas, eu égard à la nature, que tous trois sont résultatifs de ses premières lois, mais ni créés, ni nécessaires. Les lois de ces règnes sont égales entre elles. Ils se reproduisent et se détruisent machinalement tous les trois, parce que tous trois sont composés des mêmes éléments, qui tantôt se combinent d’une façon, tantôt d’une autre ; mais ces lois sont indépendantes de celles de la nature ; elle n’a agi qu’une fois sur eux, elles les a lancés ; depuis qu’ils le sont, ils ont agi par eux-mêmes ; ils ont agi par les lois qui leur étaient propres, dont la première était une métempsycose perpétuelle, une variation, une mutation perpétuelle entre eux.

Le principe de la vie, dans tous les êtres, n’est autre que celui de la mort ; nous les recevons et les nourrissons dans nous, tous deux à la fois. À cet instant que nous appelons mort, tout paraît se dissoudre ; nous le croyons, par l’excessive différence qui se trouve alors entre cette portion de matière, qui ne paraît plus animée ; mais cette mort n’est qu’imaginaire, elle n’existe que figurativement et sans aucune réalité. La matière, privée de cette autre portion subtile de matière qui lui communiquait le mouvement, ne se détruit pas pour cela ; elle ne fait que changer de forme, elle se corrompt, et voilà déjà une preuve de mouvement qu’elle conserve ; elle fournit des sucs à la terre, la fertilise, et sert à la régénération des autres règnes, comme à la sienne. Il n’y a enfin nulle différence essentielle entre cette première vie que nous recevons, et cette seconde qui est celle que nous appelons mort. Car la première se fait par la formation de la matière qui s’organise dans la matrice de la femelle, et la seconde est, de même, de la matière qui se renouvelle et se réorganise dans les entrailles de la terre. Ainsi, cette matière éteinte redevient elle-même, dans sa nouvelle matrice, le germe des particules de matière éthérée, qui seraient restées dans leur apparente inertie, sans elle. Et voilà toute la science des lois de ces trois règnes, lois indépendantes de la nature, lois qu’ils ont reçues, dès leur premier échappement, lois qui contraignent la volonté qu’aurait cette nature de produire de nouveaux jets : voilà les seuls moyens par lesquels s’opèrent les lois inhérentes à ces règnes. La première génération, que nous appelons vie, nous est une espèce d’exemple. Ces lois ne parviennent à cette première génération que par l’épuisement ; elles ne parviennent à l’autre que par la destruction. Il faut, à la première, une espèce de matière corrompue, à la seconde, de la matière putréfiée. Et voilà la seule cause de cette immensité de créations successives : elles ne sont, dans les unes et dans les autres, que ces premiers principes d’épuisement ou d’anéantissement, ce qui vous fait voir que la mort est aussi nécessaire que la vie, qu’il n’y a point de mort, et que tous les fléaux dont nous venons de parler, la cruauté des tyrans, les crimes du scélérat, sont aussi nécessaires aux lois de ces trois règnes que l’acte qui les revivifiait ; que, lorsque la nature les envoie sur la terre, à dessein d’anéantir ces règnes qui la privent de la faculté de nouveaux élancements, elle ne commet qu’un acte d’impuissance, parce que les premières lois reçues par ces règnes, lors du premier jet, leur ont imprimé cette faculté productive qui durera toujours, et que la nature n’anéantira qu’en se détruisant totalement, ce dont elle n’est pas maîtresse, parce qu’elle est soumise elle-même à des lois, de l’empire desquelles il lui est impossible de s’échapper, et qui dureront éternellement. Ainsi, le scélérat, par ses meurtres, non seulement aide la nature à des vues qu’elle ne parviendra jamais pourtant à remplir, mais aide même aussi aux lois que les règnes reçurent lors du premier élan. Je dis premier élan, pour faciliter l’intelligence de mon système, car, n’y ayant jamais eu de création, et la nature étant éternelle, les élans sont perpétuels tant qu’il y a des êtres ; ils cesseraient de l’être s’il n’y en avait plus, et favoriseraient alors de seconds élans, qui sont ceux que désire la nature, et où elle ne peut arriver que par une destruction totale, but où tendent les crimes. D’où il résulte que le criminel qui pourrait bouleverser les trois règnes à la fois, en anéantissant et eux et leurs facultés productives, serait celui qui aurait le mieux servi la nature. Toisez maintenant vos lois sur cette étonnante vérité, et vous reconnaîtrez leur justice.

Point de destruction, point de nourriture à la terre, et, par conséquent, plus de possibilité à l’homme de pouvoir se reproduire. Fatale vérité, sans doute, puisqu’elle prouve d’une manière invincible que les vices et les vertus de notre système social ne sont rien, et que les vices mêmes sont plus nécessaires que les vertus, puisqu’ils sont créateurs et que les vertus ne sont que créées, ou, si vous l’aimez mieux, qu’ils sont causes et que les vertus ne sont qu’effets… qu’une trop parfaite harmonie aurait encore plus d’inconvénient que le désordre ; et que si la guerre, la discorde et les crimes venaient à être bannis de dessus la terre, l’empire des trois règnes, devenu trop violent alors, détruirait à son tour toutes les autres lois de la nature. Les corps célestes s’arrêteraient tous, les influences seraient suspendues par le trop grand empire de l’une d’elles ; il n’y aurait plus ni gravitation ni mouvement. Ce sont donc les crimes de l’homme qui, portant du trouble dans l’influence des trois règnes, empêchent cette influence de parvenir à un point de supériorité qui troublerait toutes les autres, en maintenant dans l’univers ce parfait équilibre qu’Horace appelait rerum concordia discors. Le crime est donc nécessaire dans le monde. Mais les plus utiles, sans doute, sont ceux qui troublent le plus, tels que le refus de la propagation ou la destruction ; tous les autres sont nuls, ou plutôt il n’est que ces deux-là qui puissent mériter le nom de crimes : et voilà donc ces crimes essentiels aux lois des règnes, et essentiels aux lois de la nature. Un philosophe ancien appelait la guerre la mère de toutes choses. L’existence des meurtriers est aussi nécessaire que ce fléau ; sans eux, tout serait troublé dans l’univers. Il est donc absurde de les blâmer ou de les punir, plus ridicule encore de se gêner sur les inclinations très naturelles qui nous entraînent à cette action malgré nous, car il ne se commettra jamais assez de meurtres sur la terre, eu égard à la soif ardente que la nature en éprouve. Eh ! malheureux mortel, ne te flatte donc pas du pouvoir de détruire, cette action est au-dessus de tes forces ; tu peux varier des formes, mais tu n’en saurais anéantir ; tu ne saurais absorber les éléments de la matière : et comment les détruirais-tu, puisqu’ils sont éternels ? Tu les changes de formes, tu les varies ; mais cette dissolution sert à la nature, puisque ce sont de ces parties détruites qu’elle recompose. Donc, tout changement opéré par l’homme, sur cette matière organisée, sert la nature bien plus qu’il ne la contrarie. Que dis-je, hélas ! pour la servir, il faudrait des destructions bien plus entières… bien plus complètes que celles que nous pouvons opérer ; c’est l’atrocité, c’est l’étendue qu’elle veut dans les crimes ; plus nos destructions seront de cette espèce, plus elles lui seront agréables. Il faudrait, pour la mieux servir encore, pouvoir s’opposer à la régénération résultative du cadavre que nous enterrons. Le meurtre n’ôte que la première vie à l’individu que nous frappons ; il faudrait pouvoir lui arracher la seconde, Pour être encore plus utile à la nature ; car c’est l’anéantissement qu’elle veut : il est hors de nous de mettre à nos meurtres toute l’extension qu’elle y désire-

Ô Juliette ! ne perdez jamais de vue qu’il n’y a point de destruction réelle ; que la mort elle-même n’en est point une, qu’elle n’est, physiquement et philosophiquement vue, qu’une différente modification de la matière dans laquelle le principe actif, ou si l’on veut, le principe du mouvement, ne cesse jamais d’agir, quoique d’une manière moins apparente. La naissance de l’homme n’est donc pas plus le commencement de son existence que la mort n’en est la cessation ; et la mère qui l’enfante ne lui donne pas plus la vie, que le meurtrier qui le tue ne lui donne la mort : l’une produit une espèce de matière organisée dans tels sens, l’autre donne occasion à la renaissance d’une matière différente, et tous deux créent.

Rien ne naît, rien ne périt essentiellement, tout n’est qu’action et réaction de la matière ; ce sont les flots de la mer qui s’élèvent et s’abaissent à tout instant, sans qu’il y ait ni perte, ni augmentation dans la masse de ses eaux ; c’est un mouvement perpétuel qui a été, et qui sera toujours, et dont nous devenons les principaux agents sans nous en douter, en raison de nos vices et de nos vertus. C’est une variation infinie ; mille et mille portions de différentes matières qui paraissent sous toutes sortes de formes, s’anéantissent et se remontrent sous d’autres, pour se reperdre et se remontrer encore. Le principe de la vie n’est que le résultat des quatre éléments ; à la mort, chacun rentre dans sa sphère sans se détruire, et prêt à se rejoindre de nouveau, dès que l’exige la loi des règnes ; il n’y a que l’ensemble qui change de formes, les parties restent dans leur entier, et, de ces parties rejointes au grand tout, il se recompose à tout instant de nouveaux êtres. Mais le principe de la vie, l’unique fruit de la combinaison des éléments, n’a rien d’existant par lui-même, il ne serait rien sans cette réunion, et il devient tout autre quand elle cesse, c’est-à-dire plus ou moins parfaite, en raison du nouvel ouvrage créé avec les débris de l’ancien. Or, comme ces êtres sont, et parfaitement indifférents entre eux, et parfaitement indifférents non seulement à la nature, mais même aux lois des règnes, qu’importe le changement que je fais aux modifications de la matière ? qu’importe, comme dit Montesquieu, « que d’une boule ronde j’en fasse une carrée » ? qu’importe, que je fasse d’un homme un choux, une rave, un papillon ou un ver ? Je ne fais en cela qu’user du droit qui m’a été donné, et je puis troubler ou détruire ainsi tous les êtres, sans que je puisse dire que je m’oppose aux lois des règnes, par conséquent à celles de la nature. Je les sers, au contraire, et les unes et les autres ; les premières, en donnant à la terre un suc nourricier qui facilite ses autres productions, qui leur est indispensable, et sans lequel ses productions s’anéantiraient ; les secondes, en agissant d’après les vues perpétuelles de destruction que la nature annonce, et dont le motif est d’être à même de développer de nouveaux jets, dont la faculté devient nulle en elle, par la gêne où le tiennent les premiers.

Pourriez-vous croire que cet épi, ce vermisseau, cette herbe enfin, en laquelle vient de se métamorphoser le cadavre que j’ai privé du jour, pussent être d’un prix différent aux lois des règnes qui, les embrassant tous trois, ne peuvent avoir de prédilection pour aucun ? Sera-ce aux yeux de la nature, qui lance indifféremment tous ces jets, que l’une ou l’autre production de ces jets pourra devenir plus chère ? Il vaudrait autant dire que des millions de feuilles qui composent ce chêne antique, il en est une plus favorisée du tronc que les autres, parce qu’elle a peut-être un plus peu de largeur. « C’est notre orgueil, continue Montesquieu, qui nous empêche de sentir notre petitesse, et qui fait, malgré qu’on en ait, que nous voulons être compté dans l’univers, y figurer, y être un objet important. Nous nous imaginons que la perte d’un être aussi parfait que nous dégraderait toute la nature, et nous ne concevons pas qu’un homme de plus ou de moins dans le monde, que tous les hommes ensemble, que cent millions de terres comme la nôtre, ne sont que des atomes subtils et déliés, indifférents à la nature. » Tourmentez donc, anéantissez, détruisez, massacrez, brûlez, pulvérisez, fondez, variez enfin sous cent mille formes toutes les productions des trois règnes, vous n’aurez jamais fait que les servir, vous n’aurez fait que leur être utile. Vous aurez rempli leurs lois, vous aurez accompli celles de la nature, parce que notre individu est trop borné, trop faible, pour que vous puissiez coopérer à autre chose qu’à l’ordre général, et que ce que vous appelez désordre, n’est autre chose qu’une des lois de l’ordre que vous méconnaissez, et que vous avez faussement nommé désordre, parce que ses effets, quoique bons à la nature, vous gênent ou vous contrarient. Ah ! si ces crimes n’étaient pas nécessaires aux lois générales, nous seraient-ils inspirés comme ils le sont ? sentirions-nous, au fond de nos cœurs, et la nécessité de les commettre, et le charme de les avoir commis ? Comment osons-nous penser que la nature puisse imprimer dans nous des mouvements qui la contrarient ? Ah ! croyons qu’elle a bien su mettre à l’abri de nos coups ce qui réellement pourrait la troubler et lui nuire. Essayons d’absorber les rayons de l’astre qui nous éclaire, essayons de changer la marche périodique des astres… des globes qui flottent dans l’espace : voilà les crimes qui l’offenseraient véritablement ; et vous voyez comme elle sait les éloigner de nous. Ne nous inquiétons nullement du reste ; il est entièrement à notre disposition ; tout ce qui se trouve à notre portée nous appartient ; troublons-le, détruisons-le, changeons-le, sans crainte de lui nuire. Persuadons-nous, au contraire, que nous lui sommes utiles, et que plus nos mains multiplient ces espèces d’actions que nous nommons faussement criminelles, plus nous servons ses volontés.

Mais n’y aurait-il pas de différence dans les espèces, et ne peut-il pas y avoir des meurtres d’une telle noirceur, qu’elle en puisse être révoltée ? Quelle bêtise à le supposer un moment ! Cet être qui vous paraît sacré, d’après nos futiles conventions humaines, peut-il donc se trouver d’un prix supérieur à ses yeux ? En quoi le corps de votre père, de votre fils, de votre mère, de votre sœur, peut-il être plus précieux à ses regards, que celui de votre esclave ? Ces distinctions ne sauraient exister pour elle ; elle ne les voit même pas ; il est impossible qu’elle les aperçoive ; et ce corps si précieux, d’après vos lois, se reproduira, se métamorphosera comme celui de cet ilote que vous méprisez autant. Persuadez-vous, au contraire, que cette atrocité que vous redoutez lui plaît ; elle voudrait que vous en missiez davantage dans ce que vous appelez vos destructions, elle voudrait que vous vous opposassiez à toute reproduction, que vous puissiez anéantir les trois règnes, pour lui faciliter de nouveaux jets. Vous ne le pouvez pas : eh bien ! dès que cette atrocité qu’elle désire ne peut refluer sur ce qu’elle voudrait, tournez-la sur ce que vous pouvez, et vous l’aurez au moins satisfait dans ce qui aura dépendu de vous. Vous ne pouvez lui plaire par l’atrocité d’une entière destruction, plaisez-lui donc du moins par une atrocité locale, et mettez dans vos meurtres toute la noirceur imaginable, afin de satisfaire avec la plus parfaite docilité aux lois qu’elle vous impose ; ne pouvant faire ce qu’elle veut, faites au moins tout ce que vous pouvez.

L’infanticide paraît être dans ce sens l’action qui s’accorderait le mieux à ses vues, parce qu’elle rompt la chaîne de la progéniture, elle ensevelit un plus grand nombre de germes. Le fils, en tuant son père, ne rompt rien, il coupe la chaîne au-dessus ; le père, en tuant son fils, rompt davantage, il coupe la chaîne au-dessous, il empêche la filiation : c’est une branche anéantie ; elle ne l’est pas par la destruction du père produite par ce fils, puisqu’il reste, et que c’est lui qui est la souche. Ou cela, ou les jeunes mères, surtout lorsqu’elles sont grosses, voilà les deux meurtres qui remplissent le mieux le but des règnes, et surtout celui de la nature ; voilà ceux où doit tendre tout homme qui veut plaire à cette marâtre du genre humain90.

Eh ! ne voyons-nous pas, ne sentons-nous pas que l’atrocité dans le crime plaît à la nature, puisque c’est en raison d’elle seule qu’elle règle la dose des voluptés qu’elle nous procure, lorsque nous commettons un crime ? Plus il est affreux, plus nous jouissons ; plus il est noir, plus nous sommes chatouillés. Cette inexplicable nature veut donc de la noirceur… de l’atrocité dans l’action qu’elle nous indique ; elle veut que nous y mettions la même que celle qu’elle emploie dans les fléaux dont elle nous écrase. Livrons-nous donc sans aucune crainte ; cessons de voir rien de sacré sur cet objet ; méprisons les vaines lois humaines… les sottes institutions qui nous captivent : n’écoutons que l’organe sacré de la nature… certains qu’il contrariera toujours les absurdes principes de la morale humaine et de l’infâme civilisation. Croyez-vous donc que la civilisation, ou la morale, aient rendu l’homme meilleur ? Ne l’imaginez pas… gardez-vous de le supposer ; l’un et l’autre n’ont servi qu’à l’amollir, qu’à lui faire oublier les lois de la nature qui l’avaient rendu libre et cruel. De ce moment l’espèce entière s’est trouvée dégradée, la férocité s’est changée en fourberie, et le mal que l’homme a fait n’est devenu que plus dangereux à ses semblables. Puisqu’il faut qu’il commette ce mal, puisqu’il est nécessaire, puisqu’il est agréable à la nature, laissons-le donc commettre aux hommes de la manière dont ils en sont le mieux délectés, et préférons dans lui la férocité à la trahison : l’une est moins dangereuse que l’autre.

Répétons-le sans cesse : jamais aucune nation sage ne s’avisera d’ériger le meurtre en crime. Pour que le meurtre fût un crime, il faudrait admettre la possibilité de la destruction, et nous venons de la voir inadmissible. Encore une fois, le meurtre n’est qu’une variation de forme à laquelle, ni la loi des règnes, ni celle de la nature, ne perdent rien91 à laquelle l’une et l’autre de ces lois gagnent prodigieusement, au contraire. Et pourquoi donc punir un homme de ce qu’il a rendu un peu plus tôt aux éléments, une portion de matière qui doit toujours leur revenir, et que ces mêmes éléments emploient, dès l’instant qu’elle leur rentre, à des compositions différentes ? Une mouche est-elle donc d’un plus grand prix qu’un pacha, ou qu’un capucin ? Il n’y a donc aucun mal à rendre aux éléments les moyens de récompenser mille insectes, aux dépens de quelques onces de sang détournées de leurs canaux ordinaires, dans une espèce d’animal un peu plus grand, et qu’on est convenu de nommer homme. On n’a pas d’idée du point auquel l’absurdité établit son empire sur les chaînes de la civilisation.

Les meurtriers, en un mot, sont, dans la nature, comme la guerre, la peste et la famine ; ils sont un des moyens de la nature, comme tous les fléaux dont elle nous accable. Ainsi, lorsque l’on ose dire qu’un assassin offense la nature, on dit une absurdité aussi grande que si l’on disait que la peste, la guerre ou la famine irritent la nature ou commettent des crimes ; c’est absolument la même chose. Mais nous ne pouvons ni rouer, ni brûler la peste ou la famine, et nous pouvons faire l’un ou l’autre à l’homme : voilà pourquoi il a tort. Vous verrez presque toujours les torts mesurés, non sur la grandeur de l’offense, mais sur la faiblesse de l’agresseur ; et voilà d’où vient que les richesses et le crédit ont toujours raison sur l’indigence.

À l’égard de la cruauté qui conduit au meurtre, osons dire avec assurance, que c’est un des sentiments les plus naturels à l’homme ; c’est un des plus doux penchants, un des plus vifs qu’il ait reçus de la nature ; c’est, en un mot, dans lui, le désir d’exercer ses forces. Il le porte dans toutes ses actions, dans tous ses propos, dans toutes ses démarches ; l’éducation le déguise quelquefois, mais il ne tarde pas à reparaître. Il s’annonce alors sous toutes sortes de formes. Le chatouillement excessif qu’il fait éprouver, soit à l’idée, soit à l’exécution du crime qu’il conseille, nous prouve d’une manière invincible que nous sommes nés pour servir d’instruments aveugles aux lois des règnes, ainsi qu’à celles de la nature, et qu’aussitôt que nous nous y prêtons, la volupté nous caresse à l’instant.

Eh ! récompensez-le ce meurtrier, employez-le au lieu de le punir ! Songez qu’il n’est point de crime, d’aussi peu d’importance par lui-même, qui ne demande néanmoins autant de vigueur et de force, autant de courage et de philosophie. Dans mille cas, un gouvernement éclairé ne devrait se servir que d’assassins… Juliette, celui qui sait étouffer les cris de sa conscience, au point de se faire un jeu de la vie des autres, est, de ce moment seul, capable des plus grandes choses. Il y a tout plein de gens dans le monde qui deviennent criminels pour leur compte, parce que le gouvernement ne sent pas ce qu’ils valent, et qu’il néglige de les employer ; il en résulte que les malheureux se font rouer, au même métier où d’autres se seraient couverts de gloire et d’honneur. Les Alexandre, les Saxe, les Turenne seraient peut-être devenus des voleurs de grands chemins, si leur naissance et le hasard ne leur eussent pas préparé des lauriers dans la carrière de la gloire ; et les Cartouches, les Mandrins, les Desrues, assurément de grands hommes, si le gouvernement eût su les employer.

Oh ! comble affreux de l’injustice ! Il existera des animaux féroces qui ne vivent que de meurtres, tels que le loup, le lion, le tigre ; ces animaux ne s’écartent d’aucune loi en vivant ainsi : et l’on osera soutenir que s’il se rencontre d’autres animaux sur la terre qui, pour satisfaire une passion différente de la faim, se livrent à des excès égaux, ces animaux commettront des crimes ? Quelle absurdité !

Nous nous plaignons souvent de l’existence de tel ou tel animal dont la forme ou l’aspect nous paraît horrible, ou duquel nous éprouvons quelque incommodité, et pour nous en consoler, nous objectons, avec autant de raison que de sagesse : Cet animal est affreux, il nous nuit, mais il est utile : la nature n’a rien créé en vain ; sans doute, il pompe l’air qui nous serait nuisible, ou bien il dévore d’autres insectes qui seraient encore plus dangereux… Ayons donc cette même philosophie dans tous les points, et ne voyons dans le meurtrier qu’une main conduite par des lois irrésistibles, qu’une main qui sert la nature, et qui, par les crimes qu’elle accomplit, de quelque espèce qu’on veuille les supposer, remplit certaines vues que nous ne connaissons pas, ou prévient quelque accident, plus fâcheux peut-être mille fois que celui qu’il occasionne.

Sophismes ! sophismes ! s’écrient ici les sots ; il est vrai que le meurtre offense la nature, que celui qui vient de le commettre en frémit toujours malgré lui… Imbéciles ! ce n’est point parce que l’action est mauvaise en elle-même, que le meurtrier frémit, car certainement, dans le pays où le meurtre est récompensé, il ne frémit pas… Le guerrier frémit-il de l’ennemi qu’il vient d’immoler ? La seule cause du trouble que nous éprouvons alors gît dans la défense de l’action ; il n’y a pas d’homme qui n’ait senti qu’une action toute simple, que la circonstance oblige de défendre, imprime la même terreur à celui qui s’en est rendu coupable. Qu’on affiche au-dessus d’une porte qu’il est défendu de la franchir : qui que ce soit ne l’essaiera, sans une sorte de frémissement, et dans le fait, cette action ne sera pourtant pas mauvaise. C’est donc de la seule défense que naît la terreur éprouvée, et nullement de l’action elle-même qui, comme on voit, peut inspirer cette même crainte, quoiqu’elle n’ait rien de criminelle. Cette pusillanimité qui accompagne le meurtrier, ce petit moment de frayeur tient donc infiniment plus au préjugé qu’à l’espèce d’action. Que pendant un mois la chance tourne, que le glaive de Thémis frappe ce que vous appelez la vertu, et que les lois récompensent le crime : vous verrez, à l’instant, le vertueux frémir et le scélérat tranquille, en se livrant l’un et l’autre à leurs actions favorites. La nature n’a donc point de voix ; celle qui tonne en nous n’est donc plus que celle du préjugé, qu’avec un peu de force nous pouvons absorber pour toujours. Il est pourtant un organe sacré qui retentit en nous, avant la voix de l’erreur ou de l’éducation ; mais cette voix, qui nous soumet au joug des éléments, ne nous contraint qu’à ce qui flatte l’accord de ces éléments, et leurs combinaisons modifiées sur les formes dont ces mêmes éléments se servent pour nous composer. Mais cette voix est bien faible, elle ne nous inspire ni la connaissance d’un Dieu, ni celle des devoirs du sang ou de la société, parce que toutes ces choses sont chimériques. Cette voix ne nous dicte pas non plus de ne pas faire aux autres ce que nous ne voudrions pas qui nous fût fait : si nous voulons bien l’écouter, nous y trouverons positivement tout le contraire.

Souviens-toi, nous dit la nature au lieu de cela, oui, souviens-toi que tout ce que tu ne voudrais pas qui te fût fait, se trouvant des lésions fortes au prochain, dont tu dois retirer du profit, est précisément ce qu’il faut que tu fasses pour être heureux ; car il est dans mes lois que vous vous détruisiez tous mutuellement ; et la vraie façon pour y réunir est de léser ton prochain. Voilà d’où vient que j’ai placé dans toi le penchant le plus vif au crime ; voilà pourquoi mon intention est que tu te rendes heureux, n’importe aux dépens de qui. Que ton père, ta mère, ton fils, ta fille, ta nièce, ta femme, ta sœur, ton ami, ne te soient ni plus chers, ni plus précieux que le dernier des vermisseaux qui rampe sur la surface du globe ; car je ne les ai pas formés, ces liens, ils ne sont l’ouvrage que de ta faiblesse, de ton éducation et de tes préjugés ; ils ne m’intéressent en rien ; tu peux les rompre, les briser, les abhorrer, les réformer ; tout cela m’est égal. Je t’ai lancé comme j’ai lancé le bœuf, l’âne, le chou, la puce et l’artichaut ; j’ai donné à tout cela des facultés plus ou moins étendues ; uses-en ; une fois hors de mon sein, tout ce que tu peux faire ne me touche plus. Si tu te conserves et que tu te multiplies, tu feras bien, par rapport à toi ; si tu te détruis ou que tu détruises les autres, si tu peux même, en usant des facultés relatives à la sorte d’êtres, anéantir… absorber l’empire absolu des trois règnes, tu feras une chose qui me plaira infiniment ; car j’userai à mon tour du plus doux effet de ma puissance, celui de créer, de renouveler les êtres… auxquels tu nuis par ta maudite progéniture. Cesse d’engendrer, détruis absolument tout ce qui existe, tu ne dérangeras pas la moindre chose dans ma marche. Que tu détruises ou que tu crées, tout est à peu près égal à mes yeux, je me sers de l’un et de l’autre de tes procédés, rien ne se perd dans mon sein : la feuille qui tombe de l’arbuste me sert autant que les cèdres qui couvrent le Liban, et le ver qui naît de la pourriture n’est pas d’un prix moindre, ni plus considérable à mes yeux, que le plus puissant monarque de la terre. Forme, donc, ou détruis, à ton aise : le soleil se lèvera de même ; tous les globes que je suspends, que je dirige dans l’espace, n’en auront pas moins le même cours ; et si tu détruis tout, comme ces trois règnes, anéantis par ta méchanceté, sont des résultats nécessaires de mes combinaisons, que je ne forme plus rien, parce que ces règnes sont créés avec la faculté de se reproduire mutuellement, bouleversés par ta main traîtresse, je les reformerai, je les relancerai sur la surface du globe. Ainsi le plus étendu, le plus multiplié de tes crimes, le plus atroce, ne m’aura donné qu’un plaisir.

Les voilà, Juliette, les voilà les lois de la nature ; telles sont les seules qu’elle ait jamais dictées, les seules qui lui soient précieuses et chères, les seules que nous ne devions jamais enfreindre. Si l’homme en a fait d’autres, déplorons sa bêtise, mais ne nous y enchaînons point ; craignons d’être la victime de ses lois absurdes, mais ne les enfreignons pas moins ; et, libres de tous les préjugés, dès que nous le pourrons impunément, vengeons-nous de la contrainte odieuse de ses lois, par les outrages les plus signalés. Plaignons-nous de ne pouvoir assez faire, plaignons-nous de la faiblesse des facultés que nous avons reçues pour partage, et dont les bornes ridicules contraignent à tel point nos penchants. Et, loin de remercier cette nature inconséquente du peu de liberté qu’elle nous donne pour accomplir les penchants inspirés par sa voix, blasphémons-la, du fond de notre cœur, de nous avoir autant rétréci la carrière qui remplit ses vues ; outrageons-la, détruisons-la, pour nous avoir laissé si peu de crimes à faire, en donnant de si violents désirs d’en commettre à tous les instants.

Ô toi ! devons-nous lui dire, toi, force aveugle et imbécile dont je me trouve le résultat involontaire, toi qui m’as jeté sur ce globe avec le désir que je t’offensasse, et qui ne peux pourtant, m’en fournir les moyens, inspire donc à mon âme embrasée, quelques crimes qui te servent mieux que ceux que tu laisses à ma disposition. Je veux bien accomplir tes lois, puisqu’elles exigent des forfaits, et que j’ai des forfaits la plus ardente soif : mais fournis-les-moi donc différents de ceux que ta débilité me présente. Quand j’aurai exterminé sur la terre toutes les créatures qui la couvrent, je serai bien loin de mon but, puisque je t’aurai servie… marâtre !… et que je n’aspire qu’à me venger de ta bêtise, ou de la méchanceté que tu fais éprouver aux hommes, en ne leur fournissant jamais les moyens de se livrer aux affreux penchants que tu leur inspires !

Je vais maintenant, Juliette, poursuivit le pontife, vous présenter quelques exemples faits pour vous prouver qu’en tout temps l’homme fit ses délices de détruire, et la nature les siens de le lui permettre.

À Cabo-di-monte, si une femme accouche de deux enfants à la fois, son mari en écrase un sur-le-champ.

On sait le cas que les Arabes et les Chinois font de leurs enfants : à peine en conservent-ils la moitié ; ils tuent, brûlent ou noient le reste, et principalement les filles. À Formose, la progéniture y est dans le même degré d’horreur.

Les Mexicains ne partaient jamais pour une expédition militaire, sans sacrifier des enfants de l’un ou de l’autre sexe.

Il est permis aux Japonaises de se faire avorter tant qu’elles veulent ; personne ne leur demande compte d’un fruit qu’elles n’ont pas voulu porter92.

Le roi de Calicut a un fauteuil à ressort dans son palais, et sous lequel il allume un grand feu ; là, à certains jours de fête, se fixe un enfant jusqu’à ce qu’il soit consumé.

Jamais le meurtre n’était puni de mort chez les Romains ; et les empereurs suivirent longtemps, à cet égard, la loi de Sylla, qui ne le condamnait qu’à des amendes.

À Mindanao, ce même crime est honoré ; celui qui le commet est sûr, après son expédition, d’être élevé au rang des braves, avec le droit de porter un ruban rouge.

Chez les Caragnos, on n’obtient le même honneur que par la quantité des meurtres ; il faut avoir tué sept hommes pour être honoré du turban rouge.

Sur les bords du fleuve Orénoque, les mères font périr leurs filles dès qu’elles voient le jour.

Dans le royaume de Zopit et dans la Trapobane, les pères égorgent eux-mêmes leurs enfants, de quelque sexe qu’ils soient, sitôt que la figure de ces enfants ne leur plaît pas, ou qu’ils s’en croient trop.

À Madagascar, tous les enfants nés les mardis, jeudis et vendredis sont abandonnés aux bêtes féroces par les propres auteurs de leurs jours.

Jusques à la translation de l’empire romain, les pères faisaient mourir ceux de leurs enfants qui leur déplaisaient, quelque âge qu’ils eussent.

Par plusieurs articles du Pentateuque, on voit que les pères avaient droit de vie ou de mort sur leurs enfants.

Par une loi des Parthes et des Arméniens, un père tuait son fils ou sa fille, même à l’âge nubile.

César trouva ce même usage établi dans les Gaules.

Le czar Pierre adresse à ses peuples une déclaration publique dont le précis était que, par toutes les lois divines ou humaines, un père avait droit de vie ou de mort sur ses enfants, sans appel, et sans prendre l’avis de qui que ce fût. Il donne aussitôt l’exemple du droit qu’il autorisait.

Le chef des Galles doit, sitôt qu’il est élu, se signaler par une incursion dans l’Abyssinie ; c’est la multiplicité de ses crimes qui le rend digne de sa place. Il faut qu’il pille, viole, tue, massacre, incendie ; et plus il a commis d’exécrations, plus il est honoré.

Les Égyptiens sacrifiaient une jeune fille tous les ans au Nil. Quand l’humanité s’empara de leurs cœurs, et qu’ils voulurent interrompre cet usage, les fertiles inondations de ce fleuve cessèrent, et l’Égypte pensa périr par la famine.

Tant que les sacrifices humains forment spectacle, ils ne devraient jamais s’interdire chez une nation guerrière. Rome triompha de l’univers aussi longtemps qu’elle eut des spectacles cruels : elle tomba dans l’avilissement et dans l’esclavage, dès que la stupidité de la morale chrétienne vint lui persuader qu’il y avait plus de mal à voir tuer des hommes que des bêtes. Mais ce n’était point par humanité que raisonnaient ainsi les sectateurs du Christ, c’était par excessive crainte dans laquelle ils étaient que, si l’idolâtrie reprenait son empire, on ne les sacrifiât eux-mêmes aux amusements de leurs adversaires. Voilà pourquoi les coquins prêchaient la charité, voilà pourquoi ils établissaient ce ridicule fil de la fraternité, dont je sais, Juliette, que l’on vous a déjà fait voir le néant. Cette réflexion explique toute cette belle morale que les ennemis mêmes de cette stupide religion ont été assez timides ou assez fous pour respecter. Poursuivons.

Presque tous les sauvages de l’Amérique tuent leurs vieillards, dès qu’ils les voient malades ; c’est une œuvre de charité de la part du fils ; le père le maudit, s’il ne le tue pas lorsqu’il est impotent.

Il existe, dans la mer du Sud, une île où l’on tue les femmes dès qu’elles ont passé l’âge d’engendrer, comme des créatures qui, de ce moment-là, deviennent inutiles au monde ; et dans le fait, à quoi peuvent-elles servir alors ?

Les peuples des États Barbaresques n’ont aucune loi contre le meurtre de leurs femmes ou de leurs esclaves ; ils en sont pleinement et authentiquement les maîtres.

Dans aucun sérail de l’Asie, il n’est défendu de tuer des femmes ; celui qui a tué les siennes en est quitte pour en acheter d’autres.

C’est un point de croyance, à l’île de Bornéo, que tous ceux qu’un homme tue lui serviront d’esclaves dans l’autre monde, moyennant quoi mieux un homme veut être servi après sa mort, plus il tue pendant sa vie.

Quand les Tartares de Karascan voient un étranger qui a de l’esprit, de la valeur et de la beauté, ils le tuent, afin de s’approprier ses qualités et de les répandre sur leur nation.

Au royaume du Tangut, un jeune homme vigoureux sort, un poignard à la main, à certains jours de l’année, et tue impunément tout ce qu’il rencontre ; ceux qui meurent de sa main sont sûrs, à ce qu’on prétend, du plus grand bonheur dans l’autre vie.

Il y a, à Kachao, des meurtriers à gage dont on se sert quand on en a besoin : celui qui a quelqu’un à faire tuer loue un de ces mercenaires, et quand l’action est commise, on le paye.

Ceci rappelle l’histoire du Vieux de la Montagne. Ce prince, maître de la vie de tous les autres souverains, n’avait qu’à détacher un de ses sujets chez tel souverain que bon lui semblait, et ce prince était immolé dans l’instant.

On trouve en Italie de ces assassins de commande dont on peut, de même, se servir au besoin ; ils devraient être tolérés dans un gouvernement sage. Et pourquoi faut-il qu’au seul gouvernement appartienne le droit de disposer de la vie des hommes ?

À Ledur, en Zélande, on immolait autrefois quatre-vingt-dix-neuf hommes par an, aux dieux du pays.

Quand les Carthaginois virent l’ennemi à leurs portes, ils immolèrent deux cents enfants de la première noblesse ; une de leurs lois ordonnait de n’offrir à Saturne que des enfants de cette caste. On imposait une amende aux mères qui laissaient échapper la moindre marque de tristesse ; l’on immolait ces enfants sous leurs yeux. Et voilà donc la sensibilité un crime !

Un roi du Nord, dont le nom m’échappe, immola neuf de ses enfants dans la seule vue, disait-il, de prolonger ses jours aux dépens de ceux dont il les privait. Les préjugés sont pardonnables quand ils produisent des plaisirs.

Shuum-Chi, père d’un des derniers empereurs de la Chine, fit poignarder trente hommes sur la fosse de sa maîtresse, pour apaiser ses mânes.

Cook, lors de ses derniers voyages à Otahiti, découvrit des sacrifices humains dont ceux qui l’avaient précédé dans cette île ne s’étaient pas aperçus.

Hérode, roi des Juifs, à l’instant de rendre les derniers soupirs, fit assembler toute la noblesse de Judée dans l’hippodrome de Jéricho, puis ordonna à sa sœur Salomé de les faire tous périr au moment où il fermerait les yeux, afin que son deuil fût universel, et que les Juifs, en pleurant leurs amis et leurs parents, se trouvassent forcés, malgré eux, d’arroser ses cendres de larmes. Quelle force doit avoir une passion dont les effets se prolongent au delà du tombeau ! Cet ordre ne fut pourtant pas exécuté.

Mahomet II trancha de sa main la tête de sa maîtresse Irène, pour faire voir à ses soldats que l’amour n’était pas capable d’amollir son cœur ; il venait pourtant de passer la nuit avec elle, et d’assouvir ses désirs93. Le même, soupçonnant un des jeunes garçons destinés à ses plaisirs d’avoir mangé frauduleusement un concombre dans ses jardins, fit fendre le ventre à tous ceux qui se trouvaient dans son sérail, jusqu’à ce que le fruit fût découvert dans les entrailles de l’un d’eux… Trouvant quelques défauts dans une décollation de saint Jean-Baptiste, il fit couper devant lui le cou d’un esclave, et fit voir à l’artiste Bellini, Vénitien, et auteur du tableau qu’il blâmait, que la nature n’avait pas été bien saisie. « Tiens ! lui dit-il, voilà comme doit être une tête coupée. » C’est encore ce même grand homme qui, philosophiquement persuadé que la vie des sujets n’est faite que pour servir la passion des souverains, fit jeter cent mille esclaves nus dans les fossés de Constantinople, pour servir de fascines lorsqu’il faisait le siège de cette capitale.

Abdalkar, général du roi de Visapour, avait un sérail de douze cents femmes ; il reçoit des ordres pour se mettre à la tête de ses troupes, il craint que son absence ne devienne un prétexte à l’infidélité de ses maîtresses : il les fait toutes égorger devant lui la veille de son départ.

Les proscriptions de Marius et de Sylla sont des chefs-d’œuvre de cruauté ; Sylla, bourreau de la moitié de Rome, meurt tranquille au sein de ses foyers. Que l’on soutienne, après de tels exemples, qu’un Dieu veille sur nous et doit punir les crimes !

Néron fit égorger dix ou douze mille âmes au cirque, parce qu’on s’était moqué de l’un de ses cochers. Ce fut sous son règne que s’écroula l’amphithéâtre de Préneste, dont la chute fit périr vingt mille âmes : qui doute qu’il ne fut la cause de cet accident, et qu’il l’eût arrangé pour se divertir ?

Commode fit jeter aux bêtes les Romains qui avaient lu la vie de Caligula… Dans ses courses nocturnes, il se plaisait à mutiler les passants ; il réunissait quinze ou vingt malheureux, les faisait lier devant lui, et s’armant d’une massue, il les exterminait pour s’amuser.

Les quatre-vingt mille Romains que Mithridate fit égorger au milieu de ses États, les Vêpres siciliennes, la Saint-Barthélemy, les Dragonnades, les dix-huit mille Flamands décapités par le duc d’Albe, pour établir dans les Pays-Bas une religion qui abhorre le sang : voilà des modèles de meurtres qui prouvent que jamais les passions ne doivent calculer la vie des hommes.

Constantin, cet empereur si révéré, si chéri des chrétiens, avait assassiné son beau-frère, ses neveux, sa femme et son fils.

Les Floridiens déchiraient leurs prisonniers ; mais quelquefois ils y mettaient une recherche singulière : ils leur enfonçaient dans l’anus une flèche jusqu’au haut des épaules.

Rien n’égale la cruauté des Indiens envers les leurs ; il faut que tous aient le plaisir de les frapper et de les meurtrir ; ils les obligent à chanter pendant ce temps-là. Incroyable raffinement de cruauté, qui ne veut même pas permettre les larmes aux victimes.

Les sauvages agissent de même envers les leurs. On leur arrache les ongles, le sein, les doigts ; on leur enlève des lambeaux de chair ; on les pique avec des alênes dans les parties de la génération, et ce sont communément les femmes qui se chargent de ces supplices. Elles les fouettent, elles les déchirent ; il n’est rien, en un mot, que leur férocité n’invente, pour rendre la mort de ces malheureux plus affreuse, et l’on se réjouit quand ils rendent les derniers soupirs.

L’enfant lui-même ne nous offre-t-il pas l’exemple de cette férocité qui nous étonne ? Il nous prouve qu’elle est dans la nature : nous le voyons cruellement étrangler son oiseau, et s’amuser des convulsions de ce pauvre animal !

Les Zélandais, et beaucoup d’autres peuples, mangent leurs ennemis ; quelques-uns les jettent aux chiens ; ceux-là se vengent sur les femmes grosses : ils leur ouvrent le ventre, en arrachent l’enfant, et l’écrasent sur la tête de la mère.

Les Hérules, les Germains sacrifiaient tous leurs prisonniers ; les Scythes se contentaient d’en immoler la dixième partie. Pendant combien de temps les Français n’ont-ils pas égorgé les leurs ? À la bataille d’Azincourt, journée si fatale à la France, Édouard les immola tous.

Quand Gengis Khan s’empara de la Chine, il fit égorger deux millions d’enfants devant lui.

Jetez les yeux sur la vie des douze Césars, dans Suétone : elle vous offrira mille atrocités de ce genre.

Les Poulias, au Malabar, forment une caste si méprisée, qu’il est permis à chacun de les tuer. Quand on veut essayer ses armes, on tire sur le premier que l’on rencontre, sans distinction d’âge ni de sexe.

Les nobles, en Russie, au Danemark et en Pologne, peuvent tuer un serf, en mettant un écu sur le cadavre ; jamais la vie d’un homme, tel qu’il soit, ne peut être estimée qu’à prix d’argent, parce que l’argent peut réparer, et le sang ne répare rien. Si la loi du talion est odieuse, c’est assurément dans ce cas-ci ; car le meurtrier a un motif, quelquefois, pour commettre son assassinat, et vous, imbéciles enfants de Thémis, vous n’en avez aucun pour le vôtre. Mais que l’on me réponde, si cela est possible, à l’objection suivante.

Quoi, selon vous, constitue le crime dans le meurtre ? N’est-ce pas l’action d’ôter la vie à son semblable ? En faisant cette action, voilà le crime constaté sans aucun égard à ce que peut être l’homme privé de la vie ; mais s’il est couvert de crimes, cet homme-là, je ne fais pourtant pas, en le tuant, plus de mal que les lois, et si j’en fais, les lois en font aussi : lequel vaut-il mieux croire, ou l’innocence de celui qui tue le criminel, ou l’infamie de la loi qui tue le criminel ?

Dans combien de pays, et pendant combien de siècles, n’immola-t-on pas des esclaves sur le tombeau des maîtres ? À votre avis, ces peuples croient-ils au crime du meurtre ?

Qui pourrait nombrer ce que les Espagnols immolèrent d’Indiens, dans leur conquête du Nouveau Monde ? Rien qu’en transportant leurs bagages, deux cent mille périrent en une seule année.

Octave fit égorger trois cents personnes dans Pérouse, uniquement pour célébrer l’anniversaire de la mort de César.

Un pirate de Calicut, croisant sur la côte, rencontre un brigantin portugais ; il le prend, trouve l’équipage endormi, et fait égorger tous ceux qui le composaient, parce qu’ils osaient dormir pendant qu’il était en course.

Phalaris faisait enfermer ses victimes dans un taureau d’airain, organisé de manière qu’il répercutait d’une manière horrible les cris des malheureux qu’on y enfermait. Quelle incroyable recherche de cruauté ! et que d’imagination elle suppose dans le tyran qui l’invente !

Les Francs avaient droit de vie ou de mort sur leurs femmes, et ils en usaient fréquemment.

Le roi d’Ava découvre une petite émeute parmi quelques-uns de ses sujets qui refusaient de payer l’impôt ; il en fait saisir quatre mille, et les fait tous périr dans le même feu. Il n’y a jamais de révolutions dans les États d’un tel prince.

Eulins de Romans apprend que la ville de Padoue s’est révoltée contre lui ; il charge de fers onze mille habitants de cette cité, et les fait tous périr devant lui, dans les supplices les plus variés et les plus cruels.

Une des femmes du roi d’Achem pousse en rêvant un cri qui réveille toutes les autres ; le monarque demande la raison de ce bruit ; on ne sait que lui dire : il fait appliquer ses trois mille femmes à la torture, il leur fait souffrir des supplices effrayants, sous ses yeux ; rien ne se découvre ; il leur fait couper à toutes les pieds et les mains, et les fait jeter à l’eau94. Il est aisé de voir le motif de cette cruauté : elle dut allumer, sans doute, des étincelles bien vives de lubricité, dans l’âme de celui qui s’y livrait95.

Le meurtre est, en un mot, une passion, comme le jeu, le vin, les garçons et les femmes ; on ne s’en corrige jamais, dès que l’on s’y est une fois accoutumé. Aucune action n’irrite comme celle-là, aucune ne prépare autant de volupté ; il est impossible de s’en rassasier ; les obstacles en irritent le goût, et ce goût dans nos cœurs va jusqu’au fanatisme. Vous avez éprouvé, Juliette, de quel délice il est dans les débauches, et combien il les rend piquantes et délicieuses. Son empire agit à la fois, et sur le moral et sur le physique ; il enflamme tous les sens, il les enivre, il les étourdit. Sa commotion sur la masse des nerfs est d’une violence bien plus forte que celle de toutes les autres voluptés ; on ne l’aime jamais qu’avec fureur, on ne s’y livre qu’avec transport. Le complot chatouille, l’exécution électrise, le souvenir embrase, on voudrait le multiplier sans cesse, le renouveler à tous les instants. Plus une créature nous approche ou nous intéresse, plus elle nous touche directement, plus ses liens avec nous sont sacrés, plus l’immolation de la victime nous délecte. Les raffinements s’en mêlent, comme dans tous les autres plaisirs ; de ce moment, les écarts n’ont plus de bornes, l’atrocité se porte au dernier point, parce que le sentiment qui la produit s’exalte en raison de l’augmentation ou de la noirceur du supplice ; tout ce qu’on invente alors est toujours au-dessous de ce qu’on désire. Ce n’est plus que par la longueur ou l’infamie du supplice que l’âme se réveille, et l’on voudrait que la même vie pût se produire mille et mille fois, pour avoir le plaisir de les arracher toutes.

Chaque meurtre raffine bientôt sur le meurtre ; ce n’est pas assez de tuer, il faut tuer d’une manière horrible ; et, presque toujours, sans qu’on s’en doute, le sentiment de lubricité dirige ces matières. Jetons un coup d’œil rapide sur ces inventions à la fois voluptueuses et barbares. Je sais que l’esquisse ne vous en déplaira point : tout ce qui est violent dans la nature a toujours quelque chose d’intéressant et de sublime.

Les Irlandais écrasaient leurs victimes… Les Norvégiens leur enfonçaient le crâne… Les Gaulois leur brisaient les reins… Les Celtes leur enfonçaient un sabre dans le sternum… Les Cimbres leur fendaient le ventre ou les jetaient dans des fourneaux ardents.

Les empereurs romains faisaient fouetter devant eux les jeunes vierges chrétiennes ; ils leur faisaient tenailler les tétons et les fesses avec des fers rouges ; on versait ensuite de l’huile et de la poix-résine bouillante sur leurs plaies, et on leur en seringuait dans tous les conduits de la nature. Eux-mêmes servaient souvent de bourreaux, et les supplices alors devenaient bien plus cruels ; rarement Néron cédait à un autre le plaisir d’immoler lui-même une de ces malheureuses.

Les Syriens précipitaient leur victime du haut d’une montagne. Les Marseillais l’assommaient, et choisissaient toujours un pauvre de préférence : autre penchant qu’inspire toujours la nature.

Les nègres de la rivière de Kalabar prennent des petits enfants et les livrent vivants à des oiseaux de proie qui leur dévorent la chair. Ce spectacle amuse prodigieusement ces sauvages.

Au Mexique, on tenait le patient à quatre ; le grand prêtre le fendait par le milieu, il en arrachait le cœur dont il barbouillait l’idole ; quelquefois on traînait le patient sur une pierre tranchante, jusqu’à ce qu’il fût déchiré et qu’on vît sortir ses entrailles.

Parmi cette foule immense de peuples qui couvrent notre globe, à peine en trouve-t-on un seul qui ait attaché la plus légère importance à la vie des hommes parce que, dans le fait, il n’existe rien de moins important.

Les Américains enfoncent dans le canal de l’urètre un petit bâton hérissé d’épines, et le tournent longtemps à diverses reprises, ce qui cause des douleurs épouvantables.

Les Iroquois attachent l’extrémité des nerfs de leurs victimes à des bâtons, et tournant ensuite ces bâtons, ils roulent dessus les nerfs comme un cordage ; les corps se disloquent et se plient d’une manière bizarre, et dont l’examen doit être très piquant…

— N’en doutez pas, dit ici Juliette, en citant au Saint-Père la circonstance de sa vie où elle avait eu occasion d’assister à ce supplice, il n’est rien de piquant comme le spectacle de cette torture ; et tu te baignerais, mon ami, dans le foutre qu’elle m’a fait couler.

— Aux Philippines, poursuivit le pape, une femme coupable s’attache nue à un poteau, la face tournée au soleil ; on la laisse expirer ainsi.

À Juida, on éventre, on arrache les entrailles, on remplit le corps de sel, et on l’attache sur un pieu, au milieu de la place publique.

Les Quoïas percent le dos à coups de javeline ; on coupe ensuite le corps en quartiers, et l’on oblige la femme du mort à le manger.

Quand les Tunquinois vont tous les ans cueillir l’aréqua, ils en empoisonnent une noix qu’ils font manger à un enfant, afin de se rendre la récolte heureuse par l’immolation de cette victime : et voilà donc encore ici le meurtre un acte de religion.

Les Hurons suspendent un cadavre au-dessus du patient, de manière à ce qu’il puisse recevoir sur son visage toutes les immondices qui découlent de ce corps mort, et l’on tourmente là le malheureux jusqu’à ce qu’il expire.

Les Cosaques d’Ouskiens attachent le patient à la queue d’un cheval que l’on fait galoper dans les chemins raboteux ; ce fut aussi, comme vous le savez, le supplice de la reine Brunehaut.

Les anciens Russes empalaient par les flancs et accrochaient par les côtes. Les Turcs font la même cérémonie par le fondement.

Le voyageur Gmelin vit en Sibérie une femme enterrée vive jusqu’au cou, à laquelle on portait à manger ; elle vécut treize jours ainsi.

Les vestales étaient murées dans de petites niches étroites, où était une table, sur laquelle on plaçait une lampe, un pain et une bouteille d’huile. On vient de retrouver nouvellement, à Rome, un souterrain qui communiquait du palais des empereurs au champ sous lequel ces caveaux des vestales étaient construits96. Ce qui prouve que, vraisemblablement, ou les empereurs venaient jouir de ces supplices, ou ils faisaient passer dans leur palais les vestales condamnées, pour s’en divertir et les faire mourir devant eux, ensuite, d’une manière analogue à leurs goûts et à leurs passions.

Au Maroc et en Suisse, on scie le coupable entre deux planches. Hippomène, roi d’Afrique, fit dévorer son fils et sa fille à des chevaux que l’on avait privés longtemps de nourriture ; cela, sans réfléchir à la sublimité des liens ; c’est de là, sans doute, qu’il reçut le nom d’Hippomène.

Les Gaulois emprisonnaient cinq ans leurs victimes, ils les empalaient ensuite, et ils les brûlaient, tout cela en l’honneur de la Divinité, car il faut toujours que cette belle machine se charge de toutes les iniquités de l’homme.

Les Germains étouffaient dans un bourbier. Les Égyptiens inséraient dans toutes les parties du corps des roseaux affilés de la longueur d’un doigt, auxquels ils mettaient ensuite le feu.

Les Perses, les plus ingénieux des peuples pour l’invention des supplices, renfermaient le patient entre deux petits bateaux, de manière que ses pieds, ses mains et sa tête passaient par des ouvertures ; on le forçait à manger et à boire dans cette attitude, en lui piquant les yeux avec des pointes de fer ; quelquefois ils lui frottaient le visage de miel, afin que les guêpes s’y attachassent ; les vers le dévoraient ainsi tout en vie. Qui le croirait ? ils vivaient souvent dix-huit jours dans cette affreuse situation. Quelle sublimité de recherches ! Voilà l’art : il consiste à faire mourir, le plus longtemps possible, un peu tous les jours. Souvent ils écrasaient entre deux pierres, ou écorchaient vifs, et frottaient d’épines vertes le corps ainsi dépouillé, ce qui faisait souffrir des douleurs inouïes. Le supplice à la mode, qu’ils infligent aujourd’hui dans les sérails, quand les femmes ont fait quelque faute, est d’inciser en plusieurs sens toutes les chairs, et de distiller ensuite du plomb fondu dans les blessures, d’empaler par la matrice, ou de larder la patiente avec des mèches soufrées qu’on allume, et qui prennent ensuite leur substance dans la graisse même de la victime.

Et Juliette assura le Saint-Père qu’elle connaissait aussi cette torture.

— Daniel, poursuivit le pape, nous apprend que les Babyloniens jetaient dans une fournaise ardente.

Les Macédoniens crucifiaient, la tête en bas.

Les Athéniens faisaient avaler du poison, étouffaient dans un bain, après avoir ouvert les veines.

Les Romains attachaient quelquefois à un arbre, par les parties viriles ; le supplice de la roue nous vient de chez eux. Souvent, ils écartelaient entre quatre jeunes arbres courbés, et qu’on relâchait à la fois. Métius Suffétius fut écarté à quatre chars. Sous les empereurs, on fouettait jusqu’à la mort ; on enveloppait dans un sac de cuir, avec des serpents, et l’on jetait le sac dans le Tibre ; on plaçait d’autres fois la victime sur une roue, on la tournait longtemps avec violence dans un même sens, puis, tout à coup, de l’autre, ce qui déchirait les entrailles, et les faisait souvent vomir avec d’affreux efforts.

L’inquisiteur Torquemada faisait tenailler les patients devant lui, sur les parties les plus charnues de leur corps ; il les faisait aussi placer sur un pieu préparé, où l’on n’appuie que sur le croupion : affreuse attitude, d’où il résulte de si singulières convulsions, que l’on meurt d’un rire spasmodique très extraordinaire à examiner97.

Apulée parle du tourment d’une femme, dont les détails sont assez plaisants. On la fit coudre dans le ventre d’un âne, dont on avait arraché les entrailles, mais sa tête passait ; on l’exposa ainsi aux bêtes féroces.

Le tyran Maxence faisait pourrir un homme vivant, sur le cadavre d’un mort.

Il est des pays où l’on attache le patient près d’un grand feu ; on lui ouvre le ventre avec des alênes, afin que la flamme s’insinue dans ses entrailles, et les consume ainsi par degrés.

Dans le temps des Dragonnades, on prenait les filles qui ne voulaient pas se convertir, et, pour leur faire aimer la messe, on les remplissait de poudre, avec un entonnoir enfoncé par l’anus et la matrice. On les faisait ensuite sauter comme une bombe. Il est inouï combien cela leur donnait de goût pour l’hostie et pour la confession auriculaire ! Comment ne pas aimer un Dieu, au nom duquel on fait de si belles choses ?

Revenant aux supplices antiques, nous voyons sainte Catherine attachée sur un cylindre garni de pointes, rouler ainsi, du haut d’une montagne. Vous conviendrez, Juliette, que c’est une façon bien douce d’arriver au ciel.

Nous voyons d’autres martyrs de cette même religion, dont je suis l’apôtre bien plus par intérêt que par goût, avoir des aiguilles enfoncées sous les ongles, être roulés nus sur des pointes de verre, rôtis sur des grils, suspendus la tête dans une fosse où l’on mettait un serpent et un chien, auxquels on ne donnait aucune autre nourriture, mutilés en détail, et subissant enfin mille autres horreurs dont vous soupçonnez les détails98.

Passant ensuite aux coutumes étrangères, nous voyons en Chine le bourreau répondre, sur sa vie, de celle du patient, si ce patient la perd avant le temps fixé, lequel est ordinairement fort long, quelquefois même de neuf jours, et, pendant ce temps-là, les supplices sont variés avec le plus grand art.

Les Anglais coupaient en morceaux, et faisaient bouillir au fond d’une marmite. Dans les colonies, ils faisaient écraser les nègres lentement dans les tambours de moulins à sucre, ce qui est un supplice aussi long qu’effroyable.

À Ceylan, ils condamnent à manger sa propre chair ou celle de ses enfants.

Les habitants de Malabar hachent à coups de sabre ou font dévorer aux tigres.

À Siam, ils font écraser par des taureaux. Le roi de ce pays fit mourir un rebelle, en le nourrissant de sa propre chair dont on lui coupait de temps en temps quelques tranches. Les mêmes serrent quelquefois le corps de la victime, le piquent avec des instruments très aigus, pour l’obliger à retenir son haleine : on coupe ensuite ce corps brusquement en deux, on met la partie supérieure sur une plaque ardente de cuivre, ce qui arrête l’hémorragie, et prolonge ainsi la vie du patient dans la seule moitié de son corps.

En Cochinchine, on attache nu à un poteau et l’on fait mourir en détail, arrachant chaque jour un morceau de chair.

Les Coréens gonflent le corps du patient avec du vinaigre, et quand il est ainsi enflé, ils le font mourir à coups de bâton. Le roi de ce pays fit enfermer sa sœur dans une cage de cuivre, au-dessous de laquelle on faisait un feu perpétuel, et il s’amusait à la voir danser là.

En d’autres endroits, on lie la victime sur un petit banc, large de quatre doigts ; on lui met un autre banc sur les jarrets, et on la bâtonne en cet état, sur l’os des jambes, quelquefois sur les fesses ; cette dernière façon est principalement en usage en Turquie et dans les États Barbaresques.

Ce qu’on appelle le paülo, à la Chine, est une colonne de cuivre, longue de vingt coudées, sur huit de diamètre ; cette colonne est creuse ; on la fait rougir dedans ; le patient embrasse cette colonne, on l’y fixe, il se grille en détail ainsi. Ce fut la femme d’un empereur qui inventa, dit-on, ce supplice, et qui n’y voyait jamais un malheureux sans décharger délicieusement99.

Les Japonais fendent le ventre ; le patient quelquefois est tenu par quatre hommes ; le cinquième court de loin sur le malheureux, et lui écrase la tête avec une massue de fer, en cabriolant devant lui.

Les frères Moraves faisaient mourir en chatouillant. On a essayé un supplice à peu près pareil sur des femmes : on les polluait jusqu’à la mort.

Mais ce qui vous étonnera davantage, est de voir le métier de bourreau rempli par des gens d’un rang et d’un état supérieurs. Qu’imaginer alors, sinon que la plus cruelle lubricité les guide ?

Mulei Ismaël était lui-même le grand exécuteur des criminels de son empire ; nul, au Maroc, n’était mis à mort que par sa main royale ; et nul n’enlevait une tête avec autant d’adresse que lui. Il trouvait, disait-il, à cela, d’inexprimables délices. Dix mille malheureux avaient éprouvé la vigueur de son bras : c’était une opinion reçue dans ses États, que celui qui meurt de la main du monarque avait droit à la vie éternelle.

C’est le roi de Mélinde qui donne lui-même la bastonnade dans ses États.

Bonner, évêque de Londres, épilait lui-même ceux qui ne voulaient pas se convertir, ou il les fouettait. Il tint la main d’un homme sur un brasier, jusqu’à ce que les nerfs fussent brûlés.

Uriothesli, chancelier d’Angleterre, fit mettre à la torture, devant lui, une très jolie femme, qui ne croyait pas en la divinité de Jésus-Christ, et, de sa propre main, il lui déchira le corps et la jeta dans les flammes. Et vous croyez que le paillard ne bandait pas à l’exécution ?

En 1700, lors de la guerre des Camisards, l’abbé du Cheyla fouettait lui-même dans les Cévennes toutes les petites filles qui ne voulaient pas renoncer au protestantisme ; il en supplicia plusieurs si violemment, qu’elles en moururent, et les coups de fusil commencèrent de là.

Dans plusieurs pays, pour doubler l’appareil des supplices, quand on exécutait deux criminels à la fois, le bourreau frottait sa main dans le sang du premier et venait en barbouiller le visage de l’autre.

Le meurtre, enfin, a été révéré et mis en usage par toute la terre ; d’un bout du pôle à l’autre, l’on immole des victimes humaines. Les Égyptiens, les Arabes, les Crétois, les Cypriens, les Rhodiens, les Phocéens, les Grecs, les Pélages, les Scythes, les Romains, les Phéniciens, les Perses, les Indiens, les Chinois, les Massagètes, les Gètes, les Sarmates, les Irlandais, les Norvégiens, les Suèves, les Scandinaves, tous les peuples du Nord, les Gaulois, les Celtes, les Cimbres, les Germains, les Bretons, les Espagnols, les Nègres ; tous ces individus… généralement tous, ont égorgé des hommes sur les autels de leurs Dieux. De tout temps, l’homme a trouvé du plaisir à verser le sang de ses semblables, et, pour se contenter, tantôt il a déguisé cette passion sous le voile de la justice, tantôt sous celui de la religion. Mais le fond, mais le but était, il n’en faut pas douter, l’étonnant plaisir qu’il y rencontrait.

Après de tels exemples, Juliette, après d’aussi frappantes démonstrations, serez-vous convaincue qu’il n’est point d’action plus simple au monde que le meurtre, qu’il n’en existe aucune qui soit plus légitime, et que ce serait une extravagance à vous de concevoir le plus léger remords de tous ceux où vous avez pu vous livrer, ou de former la lâche résolution de n’en plus commettre ?

— Philosophe adorable ! m’écriai-je en sautant au cou de Braschi, jamais personne ne s’était expliqué comme vous sur cette importante matière ; jamais tant de précision, de netteté, de vraisemblance ; jamais d’aussi curieuses anecdotes ; jamais d’aussi frappants exemples. Ah ! tous mes doutes sont maintenant dissipés, je suis rendue ; je suis au point de n’avoir plus rien de sacré sur cet objet, au point de désirer, comme Tibère, que le genre humain n’ait qu’une tête, pour avoir le plaisir de la lui trancher d’un seul coup.

— Partons, il est tard : n’avez-vous pas dit qu’il ne fallait point que l’aurore nous retrouvât dans nos impuretés ?…

Nous passâmes dans l’église.



Tome neuvième


D’énormes paravents enveloppaient l’autel isolé de saint Pierre, et donnaient une salle d’environ cent pieds carrés, dont l’autel formait le centre, et qui n’avait plus, au moyen de cela, aucune communication avec le reste de l’église. Vingt jeunes filles ou jeunes garçons, placés sur des gradins, ornaient les quatre côtés de ce superbe autel. Également dans les quatre coins, entre les marches et les gradins, était, dans chacun, un petit autel à la grecque destiné aux victimes. Près du premier se voyait une jeune fille de quinze ans ; près du second, une femme grosse, d’environ vingt ans ; près du troisième, un jeune garçon de quatorze ans ; près du quatrième, un jeune homme de dix-huit ans, beau comme le jour. Trois prêtres étaient en face de l’autel, prêts à consommer le sacrifice, et six enfants de chœur, tout nus, se préparaient à le servir : deux étaient étendus sur l’autel, et leurs fesses allaient servir de pierres sacrées. Braschi et moi, nous étions couchés dans une ottomane élevée sur une estrade de dix pieds de haut, à laquelle on ne parvenait que par des marches recouvertes de superbes tapis de Turquie ; cette estrade formait un théâtre où vingt personnes pouvaient se tenir à l’aise. Six petits Ganymèdes de sept ou huit ans, tout nus, assis sur les escaliers, devaient, au moindre signal, faire exécuter les ordres du Saint-Père ; différents costumes, aussi galants que pittoresques, embellissaient les hommes, mais celui des femmes était trop délicieux pour ne pas mériter une description particulière. Elles étaient vêtues d’une chemise de gaze écrue qui flottait négligemment sur leur taille sans la masquer ; une collerette en fraise ornait leur cou ; et la tunique que je viens de décrire était, par le moyen d’un large ruban rose, renouée au-dessous de leurs reins, qu’elle laissait absolument à découvert ; par-dessus cette chemise, elles avaient une simarre de taffetas bleu, qui, se rejetant et voltigeant en arrière, n’ombrageait en rien le devant ; une simple couronne de roses ornait leurs cheveux, flottant en boucles sur leurs épaules. Ce déshabillé me parut d’une telle élégance que je voulus m’en revêtir sur-le-champ. La cérémonie commença.

Aussitôt que le Saint-Père formait un désir, les six aides de camp, placés sur les marches de notre estrade, volaient aussitôt pour le satisfaire. Trois filles furent demandées. Le pape s’assit sur la figure de l’une, en lui ordonnant de lui gamahucher l’anus ; la seconde suça son vit ; la troisième chatouilla ses couilles ; et mon cul, pendant ce temps-là, devint l’objet des baisers du Saint-Père. La messe se disait, et les ordres donnés pour que mes désirs s’exécutassent avec la même célérité que ceux du souverain pontife. Dès que l’hostie fut consacrée, l’acolyte l’apporta sur l’estrade et la déposa respectueusement sur la tête du vit papal ; aussitôt qu’il l’y voit, le bougre m’encule avec. Six jeunes filles et six beaux garçons lui présentent indistinctement alors, et leurs vits et leurs culs ; j’étais moi-même branlée en dessous par un très joli jeune homme, dont une fille masturbait le vit. Nous ne résistons point à ce conflit de luxure ; les soupirs, les trépignements, les blasphèmes de Braschi m’annoncent son extase et décident la mienne ; nous déchargeons en hurlant de plaisir. Sodomisée par le pape, le corps de Jésus-Christ dans le cul, ô mes amis, quelles délices ! Il me semblait que je n’en avais jamais tant goûté de ma vie. Nous retombâmes épuisés au milieu des divins objets de luxure qui nous entouraient, et le sacrifice s’acheva.

Il s’agissait de retrouver des forces ; Braschi ne voulait pas que les supplices commençassent avant qu’il ne rebandât. Pendant que vingt filles et autant de garçons travaillaient à le rendre à la vie, je me fis foutre une trentaine de coups, sous les yeux du pape, au milieu d’un groupe de jeunes gens ; j’en excitais communément quatre pendant que j’étais l’objet des caresses de deux. Braschi jouissait des excès de mon libertinage ; il m’encourageait à en redoubler les élans. Une nouvelle messe se célébra, et, cette fois-ci, l’hostie apportée sur le plus beau vit de la salle, s’introduisit dans le cul du Saint-Père, qui, commençant à rebander, me rencula en s’entourant de fesses.

— Bon ! dit-il en se retirant au bout de quelques courses, je ne voulais que bander. Immolons maintenant.

Il ordonne le premier supplice ; il devait s’exécuter sur le jeune homme de dix-huit ans. Nous le faisons approcher de nous, et, l’ayant caressé, baisé, pollué, sucé, Braschi lui déclare qu’il va le crucifier comme saint Pierre, la tête en bas. Il reçoit sa sentence avec résignation et la subit avec courage. Je branlais Braschi pendant qu’on exécutait ; et devinez quels étaient les bourreaux ! les mêmes prêtres qui venaient de célébrer des messes. Le jeune homme, ainsi traité, fut attaché avec sa croix à l’une des colonnes torses de l’autel de saint Pierre, et l’on passa à la fille de quinze ans. Également approchée de nous, le pape l’encula ; je la branlais ; elle fut condamnée d’abord à la plus vigoureuse fustigation, puis pendue à la seconde des colonnes de l’autel.

Le petit garçon de quatorze ans parut ; Braschi l’encule de même ; et voulant exécuter celui-là de sa main, il n’y eut sorte de vexations, sorte d’horreurs qu’il ne lui fît éprouver. Ce fut là où je reconnus toute la cruelle scélératesse de ce monstre. Il suffit d’être sur le trône pour porter ces infamies à leur dernier période : l’impunité de ces coquins couronnés les entraîne à des recherches que n’inventeraient jamais d’autres hommes. Enfin ce scélérat, ivre de luxure, arrache le cœur de cet enfant, et le dévore en perdant son foutre. Il restait la femme grosse.

— Amuse-toi de cette coquine, me dit Braschi, je te la livre ; je sens que je ne rebanderai plus, mais je ne t’en verrai pas moins jouir avec la plus entière volupté : dans quelque état que je puisse être, le crime m’amuse toujours ; ne la ménage donc pas.

L’infortunée s’approche.

— De qui est cet enfant ? lui demandai-je.

— D’un des mignons de Sa Sainteté.

— Et cela s’est-il fait sous ses yeux ?

— Oui.

— Le père est-il ici ?

— Le voilà.

— Allons, dis-je à ce jeune homme, fendez vous-même le ventre de celle qui porte votre fruit ; un effrayant supplice vous attend, si vous n’obéissez à la minute.

Le malheureux obéit ; je décharge en criblant de coups de poignard le corps de la victime, et nous nous retirons.

Braschi voulut absolument que je passasse le reste de la nuit avec lui ; le libertin m’adorait.

— Tu es ferme, me disait-il, voilà comme j’aime les femmes : celles qui te ressemblent sont rares.

— La Borghèse me surpasse, répondis-je.

— Il s’en faut, me dit le pape, elle est à tout moment déchirée de remords. Dans huit jours, poursuivit le Saint-Père, je te donne, avec elle et les deux cardinaux, tes amis, le souper où je me suis engagé ; et là, cher amour, sois-en sûre, nous ferons, j’espère, quelques horreurs qui surpasseront celles-ci.

— Je m’en flatte, dis-je faussement au pontife, n’entendant par cette réponse que le vol que je m’apprêtais à lui faire ce jour-là ; oui, j’espère que nous en ferons de bonnes.

Braschi, qui venait de se frotter les couilles avec une eau spiritueuse et faite pour provoquer au plaisir, voulut essayer de nouvelles tentatives.

— Je ne bande pas assez pour t’enculer, me dit-il, mais suce-moi.

Je me mis à cheval sur sa poitrine ; le trou de mon cul posait sur sa bouche, et le coquin, tout pape qu’il était, déchargea en reniant Dieu comme un athée.

Il s’endormit. J’avais bien envie de profiter de cet instant pour aller prendre dans son trésor tout ce que j’en pourrais rapporter ; le chemin qu’il m’avait tracé lui-même me permettait cette tentative sans redouter ses gardes ; mais ce projet ayant été conçu avec Olympe, je ne voulus pas la priver du plaisir d’y participer ; Élise et Raimonde, d’ailleurs, se trouveraient alors avec nous, et notre moisson serait plus abondante.

Pie VI ne tarda pas à se réveiller. Il y avait consistoire ce jour-là. Je le laissai disputer en paix sur l’état de conscience des pays chrétiens, et fus demander pardon à la mienne de ne pas l’avoir chargée d’une suffisante quantité de crimes. Je l’ai dit, et je le soutiens, rien n’est pis que le remords de la vertu, pour une âme accoutumée au mal ; et quand on existe dans un état complet de corruption, il vaut infiniment mieux combler la mesure que de rester en arrière ; car ce qu’on fait de moins donne infiniment plus de peine que ce qu’on fait de plus ne donne de plaisir.

Deux ou trois bains nettoyèrent les souillures pontificales, et je volai chez Mme de Borghèse lui apprendre mes succès du Vatican.

Pour éviter la monotonie des détails, je glisserai légèrement sur ceux des nouvelles orgies que nous y célébrâmes. La grande galerie fut le lieu de la scène ; plus de quatre cents sujets des deux sexes y parurent ; ce qu’on y célébra d’impuretés ne peut se peindre. Trente filles vierges, de sept à quinze ans, et belles comme l’Amour, furent violées, et massacrées après ; quarante jeunes garçons eurent le même sort. Albani, Bernis et le pape s’enculèrent, se gorgèrent de vin et d’infamies, et ce moment d’ivresse fut celui que nous choisîmes, Olympe, Élise, Raimonde et moi, pour aller piller le trésor. Nous enlevâmes vingt mille sequins, que Sbrigani, placé près de là avec des gens sûrs, fit aussitôt transporter chez Borghèse, où nous les partageâmes le lendemain. Braschi ne s’aperçut pas de ce vol, ou feignit politiquement de ne s’en pas douter… Je ne le revis plus ; mes visites, sans doute, lui parurent trop chères. Dès ce moment, je crus prudent de quitter Rome ; Olympe ne s’en consola pas ; il fallut pourtant s’arracher, et je partis pour Naples au commencement de l’hiver, avec un portefeuille rempli de lettres de recommandation pour la famille royale, le prince Francaville, et tout ce qu’il y avait de plus riche et de plus élevé dans Naples. Mes fonds restèrent placés sur des banquiers de Rome.

Nous voyagions dans une excellente berline, Sbrigani, mes femmes et moi. Quatre valets à cheval nous escortaient, lorsque entre Fondi et le môle de Gaëte, sur les confins de l’État ecclésiastique, à environ douze ou quinze lieues de Naples, dix hommes à cheval, vers la brune, nous prièrent, le pistolet à la main, de vouloir bien nous détourner du grand chemin pour aller parler au capitaine Brisa-Testa qui, fort honnêtement retiré dans un château sur le bord de la mer, au-dessus de Gaëte, ne souffrait pas que les honnêtes gens qui voyageaient dans cette contrée passassent ainsi auprès de son habitation sans lui faire une visite. Nous n’eûmes pas de peine à comprendre ce langage, et, proportionnant aussitôt nos forces à celles qu’on nous opposait, nous sentîmes facilement que le plus court était d’obéir.

— Camarade, dit Sbrigani à l’officier, j’avais toujours ouï dire que les coquins ne se détruisaient pas entre eux ; si vous exercez la profession d’une manière, nous l’exerçons de l’autre, et notre métier, comme le vôtre, est de faire des dupes.

— Vous vous expliquerez avec mon capitaine, dit ce sous-chef ; pour moi je ne sais qu’obéir, et surtout quand mes jours en dépendent ; marchons.

Comme les cavaliers, aux ordres de celui qui nous parlait, liaient, pendant ce temps-là, nos valets à la queue de leurs chevaux, il n’y eut pas à répliquer. Nous avançâmes. L’officier s’était mis dans notre voiture, et quatre de ses cavaliers la conduisaient. Nous marchâmes cinq heures de cette manière, pendant lesquelles notre conducteur nous apprit que le capitaine Brisa-Testa était le plus fameux chef de brigands de toute l’Italie.

— Il a, nous dit le guide, plus de douze cents hommes à ses ordres, et nos détachements parcourent d’un côté tout l’État ecclésiastique jusqu’aux montagnes de Trente ; ils vont de l’autre jusqu’aux extrémités de la Calabre. Les richesses de Brisa-Testa, poursuivit l’officier, sont immenses. Dans un voyage qu’il fit l’année dernière à Paris, il épousa une femme charmante qui fait aujourd’hui les honneurs de la maison.

— Frère, dis-je à ce bandit, il me semble que les honneurs de la maison d’un voleur ne doivent pas être bien difficiles à faire.

— Je vous demande pardon, répondit l’officier, l’emploi de madame est plus considérable qu’on ne le pense : c’est elle qui égorge les prisonniers, et je vous assure qu’elle s’y prend d’une manière tout à fait honnête, et que vous serez enchantée de périr de sa main…

— Ah ! dis-je, c’est donc là ce que vous appelez faire les honneurs de la maison ?… Vous êtes consolant, monsieur l’officier… Et le capitaine est-il maintenant au logis, ou si nous n’aurons affaire qu’à madame ?

— Vous les trouverez tous les deux, répondit le brigand ; Brisa-Testa revient en ce moment d’une expédition dans la Calabre intérieure qui nous a coûté quelques hommes, mais qui a valu bien de l’argent. Depuis lors, notre paie a tiercé : voilà ce que ce grand capitaine a de bon… une équité !… une justice !… nous sommes toujours payés d’après ses moyens ; il nous donnerait dix onces par jour100, s’il gagnait à proportion… Mais nous y voici, dit l’officier ; je suis fâché que la nuit vous empêche de distinguer les abords de cette superbe maison. Voici la mer et le château, dont les impraticables alentours nous obligent à quitter ici la voiture ; il faut, comme vous voyez, monter à pic maintenant, et le sentier ne peut être frayé tout au plus que par des chevaux.

Nous nous mîmes en croupe derrière nos gardes, et, au bout d’une heure et demie de trajet, dans la plus haute montagne que j’eusse encore vue de mes jours, un pont-levis se baissa, nous traversâmes quelques fortifications hérissées de soldats qui nous reconnurent militairement, et nous parvînmes au milieu de la citadelle. C’en était effectivement une des plus fortes qu’il fût possible de voir ; et dans l’état où l’avait maintenue Brisa-Testa, elle était capable de soutenir les plus longs sièges.

Il était environ minuit quand nous arrivâmes ; le capitaine et sa femme étaient couchés ; on les éveilla. Brisa-Testa vint nous visiter ; c’était un homme de cinq pieds, dix pouces, dans la force de l’âge, de la figure la plus belle, en même temps la plus dure. Il examina légèrement nos hommes : mes compagnes et moi l’occupèrent un peu plus longtemps, la manière brusque et féroce dont il nous observa nous fit trembler. Il parla bas à l’officier ; les hommes aussitôt furent emmenés d’un côté, nos malles et nos effets de l’autre. Mes amies et moi fûmes jetées dans un cachot où nous trouvâmes, à tâtons, un peu de paille où nous nous couchâmes, bien plus pour pleurer nos malheurs que pour trouver un repos difficile à goûter dans notre horrible état. Que de cruelles réflexions vinrent agiter nos âmes ! Le souvenir déchirant de nos anciennes jouissances ne s’offrait à nous que pour jeter une teinte plus sombre sur notre situation présente. Nous appesantissions-nous sur notre état actuel, ce n’était que pour en déduire les plus fâcheuses présomptions ; ainsi, tourmentées du passé, déchirées du présent, frémissant de l’avenir, à peine, dans l’état affreux où nous étions, le sang circulait-il dans nos veines brûlantes. Ce fut alors que Raimonde voulut me rappeler à la religion.

— Laisse là ces chimères, mon enfant, lui dis-je ; quand on les a méprisées toute sa vie, quel que soit l’état où l’on se trouve, il est impossible d’y revenir ; le remords seul, d’ailleurs, rappelle à la religion, et je suis loin de me repentir d’aucune des actions de ma vie ; il n’en est pas une seule que je ne sois prête à commettre encore, si j’en avais la faculté ; c’est sur la privation de cette faculté que je pleure, et non sur les résultats obtenus d’elle quand je la possédais. Ah ! Raimonde, tu ne connais pas l’empire du vice dans une âme comme la mienne ! Pétrie de crimes, alimentée par le crime, elle n’existe que pour s’en repaître, et mon cou serait sous le glaive, que je voudrais en commettre encore ; je voudrais que mes cendres en fissent exhumer ; je voudrais que mes mânes, errantes sur les mortels, les empoisonnassent de crimes, ou leur en inspirassent… Ne crains rien, au surplus, nous sommes dans les mains du vice : un dieu nous protégera. Je frémirais bien plus, si les fers qui nous captivent étaient ceux de l’épouvantable déesse que les hommes osent appeler Justice. Fille du despotisme et de l’imbécillité, si la putain nous tenait, je te ferais déjà mes derniers adieux ; mais le crime ne m’effraya jamais ; les sectateurs de l’idole que nous adorons respectent leurs égaux et ne les frappent point ; nous prendrons parti avec eux, s’il le faut. J’aime déjà, sans la connaître, cette femme dont on nous a parlé ; je gage que nous lui plairons ; nous la ferons décharger ; si elle veut, nous tuerons avec elle, et elle ne nous tuera pas. Approche, Raimonde, viens aussi près de nous, Élise, et puisqu’il ne nous reste plus d’autre plaisir que de nous branler, jouissons-en.

Échauffées par moi, les coquines s’y livrèrent ; la nature nous servit aussi bien dans les chaînes de l’infortune que sur les roses de l’opulence. Je n’avais jamais eu tant de plaisir ; mais le retour de ma raison fut affreux.

— Nous allons être égorgées, dis-je à mes compagnes ; il ne faut plus nous faire d’illusion, c’est le seul destin qui nous attend. Ce n’est point la mort qui m’effraie : je suis assez philosophe pour être bien sûre de ne pas être plus malheureuse après avoir végété quelques années sur la terre, que je ne l’étais avant que d’y arriver ; mais je crains la douleur, ces coquins-là me feront souffrir ; ils jouiront peut-être à me tourmenter, comme j’ai joui à tourmenter les autres ; ce capitaine m’a l’air d’un scélérat, il a des moustaches qui m’effraient, et sa femme, sans doute, est aussi cruelle que lui… Rassurée tout à l’heure, je frémis à présent…

— Madame, me dit Élise, je ne sais quel espoir parle au fond de mon cœur, mais vos principes me tranquillisent. Il est, m’avez-vous dit, dans les lois éternelles de la nature, que le crime triomphe et que la vertu soit humiliée ; j’attends tout de cet immuable décret… Ah ! ma chère maîtresse, il nous sauvera la vie.

— Mon raisonnement, sur cela, va vous paraître simple, dis-je à mes amies. Si, comme nous ne pouvons en douter, la masse des crimes l’emporte par son poids sur celle de la vertu [et] ceux qui la pratiquent, l’égoïsme dans l’homme n’est que le résultat de ses passions ; presque toutes portent au crime ; or, l’intérêt du crime est d’humilier la vertu : donc, dans presque toutes les données de la vie, je parierai toujours plutôt pour le crime que pour la vertu.

— Mais, madame, dit Raimonde, vis-à-vis de ces gens-ci, nous sommes la vertu, eux seuls représentent le vice ; donc ils nous écraseront.

— Nous parlons de données générales, répondis-je, et ceci n’est qu’un cas particulier ; en faveur d’une seule exception, la nature ne s’écartera pas de ses principes.

Nous raisonnions de cette manière, lorsqu’un geôlier, plus effrayant encore que son maître, parut, en nous apportant un plat de fèves.

— Tenez, nous dit-il d’une voix rauque, ménagez-les, car on ne vous apportera plus rien.

— Eh quoi ! m’empressai-je de répondre, est-ce que le supplice que l’on nous prépare serait de mourir de faim ?

— Non, mais vous serez, je crois, expédiées demain et, jusque-là, madame n’imagine pas que ce ne soit trop la peine de dépenser de l’argent pour former en vous des étrons que vous ne chierez pas.

— Eh ! savez-vous, mon cher, le genre de mort qui nous est préparé ?

— Cela dépendra du caprice de madame, notre commandant lui laisse ce soin ; elle fait sur cet objet tout ce qu’elle veut ; mais, comme femme, votre mort sera plus douce que celle de vos gens ; Mme Brisa-Testa n’est sanguinaire qu’avec les hommes ; avant que de les immoler, elle en jouit… elle les tue quand elle en est lasse.

— Et son mari n’est donc point jaloux ?

— Nullement, il fait de même avec les femmes ; il s’en amuse et les abandonne ensuite à madame, qui dicte leur arrêt, et souvent l’exécute lorsque monsieur, blasé sur ces sortes de plaisirs, lui abandonne l’exécution.

— Il tue donc rarement, votre maître ?

— Ah ! il n’immole pas six victimes par semaine… Il en a tant tué !… il en est las. Il sait d’ailleurs que cela fait les délices de sa femme, et, comme il l’aime beaucoup, il lui abandonne cet emploi. Adieu ! dit le bourru en se retirant, je vous quitte, j’en ai d’autres à servir ; nous ne chômons pas ici ; grâce au ciel, la maison est toujours pleine ; on ne conçoit pas l’immensité de prisonniers que nous faisons…

— Camarade, continuai-je, sais-tu ce que sont devenus nos effets ?

— Cela se met en magasin… Oh ! soyez tranquilles, vous ne les reverrez plus ; mais rien ne se perd, on a soin de tout cela.

Et notre homme sortit.

Une lucarne, de trois ou quatre pouces au plus, nous donnait assez de jour pour nous examiner dans ce cachot, et nous ne manquâmes pas de le faire, sitôt que nous fûmes seules.

— Eh bien ! dis-je à ma chère Élise, ton espoir est-il suffisamment déçu maintenant ?

— Pas encore, me répondit cette aimable fille, rien ne peut me déterminer à y renoncer ; mangeons et ne nous désespérons point.

Ce triste repas était à peine fini, que le geôlier rentra.

— On vous demande à la salle du conseil, nous dit-il brusquement… Vous ne languirez pas, c’est pour aujourd’hui.

Nous pénétrons. Une grande femme, assise à l’extrémité de la salle, nous fit signe de nous tenir debout autour d’elle ; puis, ayant fini d’écrire quelque chose, elle leva les yeux sur nous, nous ordonnant de répondre aux questions qu’elle allait nous faire… Oh ! mes amis, de quelles expressions me servir pour vous témoigner ma surprise !… Cette femme qui m’interrogeait, cette compagne du plus scélérat des brigands de l’Italie, c’était Clairwil… ma chère Clairwil, que je retrouvais dans cette incroyable situation !… Je ne me contiens plus ; je saute dans ses bras.

— Que vois-je ! s’écria Clairwil ! Quoi ! c’est toi Juliette ?… Oh ! ma plus tendre amie ! embrassons-nous, et que ce jour, qui n’en eût été qu’un de deuil pour toute autre, devienne un jour de fête et de plaisirs pour toi !

La multitude de mouvements qui troublèrent mon âme… leur opposition, leur vivacité, me jeta dans une stupeur dont j’eus beaucoup de peine à revenir. En rouvrant les yeux, je me trouvai dans un excellent lit, entourée de mes femmes et de Clairwil, qui se disputaient le plaisir de m’être utiles et de me rendre les soins qu’exigeait mon état.

— Chère âme ! je te retrouve, dit mon ancienne amie, quelle félicité pour moi ! Déjà mon époux est instruit : tes gens, tes richesses, tout te sera rendu, nous n’exigeons de toi que de passer quelques jours avec nous. Notre manière de vivre ne t’effrayera point, je connais assez tes principes pour être sûre que le scandale n’approchera jamais d’une âme comme la tienne. Nous en avons fait autrefois suffisamment ensemble, pour que je puisse en être persuadée.

— Oh ! Clairwil, m’écriai-je, ton amie est toujours la même ; l’âge, en mûrissant ma tête, m’a fait faire des progrès qui ne me rendront que plus digne de toi ; j’attends avec plaisir le spectacle des crimes que tu me prépares… ce seront des jouissances pour moi. Je suis bien loin aujourd’hui de cette pusillanimité qui pensa me perdre autrefois, et ton amie, sois-en bien sûre, ne rougit plus que de la vertu. Mais toi, cher ange, qu’es-tu devenue ? qu’as-tu fait ? quelle heureuse étoile me fait retrouver mon amie dans ces lieux ?

— Tu seras instruite de toutes ces particularités, me dit Clairwil ; mais je veux que tu commences par te calmer… te tranquilliser, par recevoir nos excuses de t’avoir si mal reçue. Tu vas voir mon mari, tu l’aimeras, j’ose en être certaine… Ô Juliette ! reconnais la main de la nature ; de tout temps, elle fit triompher le vice, tu le sais. Tombée chez une femme vertueuse, vue toi-même comme une coquine, tu étais perdue ; mais tu nous ressembles… nous devons te sauver. Froids sectateurs de la vertu, convenez de votre faiblesse, et que le perpétuel empire du crime sur vos âmes de boue vous impose à jamais silence !

Brisa-Testa parut au même instant où son épouse finissait ces mots. Soit que la situation ne fût plus la même, soit que le calme où je me retrouvais me fît voir les objets d’un autre œil, ce brigand ne me parut plus si affreux : l’examinant avec attention, je le trouvai fort beau ; il l’était effectivement.

— Voilà, dis-je à mon amie, un époux bien digne de toi.

— Fixe-le, Juliette, me répondit Clairwil, et dis-moi si tu t’imagines que les liens de l’hymen soient les seuls qui doivent nous unir.

— Il est certain qu’il existe entre vous une ressemblance.

— Ô Juliette ! ce brave homme est mon frère ; des événements nous avaient séparés, un voyage qu’il fit l’an passé me le rendit. L’hymen a resserré nos nœuds ; nous voulons maintenant qu’ils soient indissolubles.

— Ils le seront, dit le capitaine, j’en renouvelle le serment dans les mains de l’aimable Juliette. Quand on se ressemble aussi parfaitement, quand les inclinations, les mœurs ont une conformité si complète, il ne faut jamais se séparer.

— Vous êtes des scélérats, répondis-je, vous vivez dans le sein de l’inceste et du crime, il n’y aura jamais d’absolution pour vous ; si, comme moi, vous reveniez de Rome, tous ces crimes vous effrayeraient ; et la crainte de ne pouvoir les purger vous empêcherait d’y rester engloutis.

— Dînons, Juliette, me dit mon amie, tu finiras ton sermon au dessert ; puis, ouvrant une chambre voisine : Voilà, poursuivit-elle, tes effets, tes gens, ton Sbrigani ; devenez tous amis de la maison et publiez, quand vous ne serez plus ici, que les charmes de la tendre amitié trouvent des sectateurs, même au sein du crime et de la débauche.

Un magnifique repas nous attendait. Sbrigani et mes femmes se mirent à table avec nous ; nos gens aidèrent ceux de mon amie, et nous ne fîmes plus qu’une même famille. Il était huit heures du soir lorsque nous sortîmes de table. Brisa-Testa ne la quittait jamais sans être ivre ; il me parut que sa chère épouse avait adopté le même défaut. Nous passâmes après le repas dans un assez beau salon, où mon ancienne amie proposa bientôt de joindre les myrtes de Vénus aux pampres du dieu de la vigne.

— Ce bougre-là doit bien bander, dit-elle en entraînant Sbrigani sur un canapé… Mon frère, trousse Juliette, et tu lui trouveras des charmes dignes de toi…

— Oh, Dieu ! m’écriai-je, ivre moi-même… être foutue par un brigand, par un assassin !…

Et je n’avais pas fini que, courbée sur un sofa par le capitaine, un vit plus gros que le bras farfouillait déjà mon derrière.

— Bel ange, dit le libertin, pardonnez une petite cérémonie préliminaire sans laquelle, tel bandant que vous voyez mon vit, il me serait cependant impossible de venir à bout de vos charmes : il faut que j’ensanglante ce beau cul ; mais rapportez-vous-en à mes soins, à peine le sentirez-vous.

S’armant aussitôt d’une discipline à pointes d’acier dont il m’appuya fortement une douzaine de coups sur les fesses, je fus en sang en deux minutes, sans avoir éprouvé la moindre douleur.

— Voilà ce qu’il me faut, dit le capitaine, mes cuisses vont s’inonder en m’appuyant sur vous, et mon vit, au fond de vos entrailles, y lancera peut-être un sperme épais, qu’il n’eût point obtenu sans cette cérémonie.

— Frappe, frappe ! mon frère, cria Clairwil, tout en foutant avec Sbrigani, son cul est à l’épreuve, nous nous sommes souvent fouettées toutes deux.

— Oh ! monsieur, m’écriai-je dès que je sentis le monstrueux engin du capitaine me sonder le derrière, je n’ai rien dit aux coups de fouet…

Il n’était déjà plus temps : le monstrueux engin de Brisa-Testa touchait déjà le fond de mes entrailles ; j’étais enculée jusqu’à la garde. On nous imitait : Clairwil n’offrant, selon son usage, que les fesses à son fouteur, en était solidement perforée, tandis que Raimonde, la branlant sur le clitoris, lui rendait avec volupté le même service que je retirais d’Élise.

Ô mes amis ! quel fouteur que ce chef de brigands ! Ne s’en tenant point au seul temple où je croyais que ses goûts l’avaient fixé d’abord, il les parcourait à la fois l’un et l’autre, et, par cette double intromission, le coquin me tenait toujours en décharge.

— Tiens, Juliette, me dit-il en se retirant et braquant son énorme vit sur mes tétons, voilà la cause de tous mes égarements : ce sont les plaisirs que je reçois de ce beau membre qui m’ont précipité dans tous les désordres de ma vie ; à l’exemple de ma sœur, je bande pour le crime, et ce n’est jamais qu’au projet ou qu’à l’exécution de quelque horreur que je puis élancer mon foutre.

— Eh bien ! sacredieu ! répondis-je, faisons-en donc quelques-unes. Puisqu’un même désir nous anime tous et que, vraisemblablement, la possibilité se rencontre ici, mêlons notre sperme à des ruisseaux de sang… N’est-il pas ici des victimes ?

— Ah, garce ! dit Clairwil en déchargeant, comme je te reconnais à ces propos !… Allons, mon frère, satisfaisons cette charmante femme, immolons cette belle Romaine que nous avons arrêtée ce matin.

— Soit, qu’on la fasse venir, son supplice amusera Juliette ; nous nous branlerons et déchargerons tous en l’opérant…

La voyageuse arrive. Oh ! mes amis !… devinez qui s’offre à ma vue ?… Borghèse… la délicieuse Borghèse ; elle n’existait plus, séparée de moi… elle volait sur mes traces ; les gens de Brisa-Testa venaient de l’arrêter comme ils m’avaient arrêtée la veille.

— Clairwil, m’écriai-je, cette femme n’est point encore une victime, c’est une complice, c’est l’amie qui te remplaçait dans mon cœur, s’il était possible que tu le fusses ; aime-la, mon ange, aime-la… la coquine est digne de nous…

Et la, divine Olympe me baisait, caressait Clairwil, semblait implorer Brisa-Testa.

— Oh ! doubledieu ! dit celui-ci, qui bandait comme un carme, cette complication d’aventures, en allumant ma tête sur le désir de foutre cette belle femme, l’attiédit sur d’autres objets ; foutons d’abord, nous verrons ce que cela deviendra.

Olympe me remplace ; son beau cul reçoit les éloges universels qu’il mérite. Par les mêmes moyens dont il s’est servi avec moi, Brisa-Testa le met en sang, et le sodomise l’instant d’après. Mes femmes me branlent, et Sbrigani ne cesse de limer Clairwil. Pour le coup, nos têtes s’embrasent sans avoir besoin d’autre stimulant ; Brisa-Testa nous place toutes les cinq sur le même rang, appuyées sur un large sofa, les reins bien en l’air ; Sbrigani et lui nous sondent tour à tour ; ils se suivent : l’un fout le con, l’autre le cul, et les scélérats déchargent à la fin, Sbrigani dans le cul de Clairwil, Brisa-Testa dans celui d’Olympe.

Un peu d’honnêteté succède à ces plaisirs. Borghèse, nouvellement sortie d’un cachot comme moi, avait besoin de quelque réparation ; on lui servit à souper, et nous nous mîmes au lit. Après le déjeuner du lendemain, la réunion d’une petite-maîtresse de Paris avec un chef de brigands du fond de l’Italie parut si surprenante à tout le monde, que le capitaine fut vivement sollicité d’instruire la compagnie d’une histoire qui paraissait aussi singulière.

— J’y consens, dit Brisa-Testa ; je ne hasarderais pas devant tout autre des détails aussi scandaleux ; mais vos mœurs me répondent de votre philosophie et je sens qu’on peut tout dire avec vous.



histoire de brisa-testa



Si la pudeur habitait encore au fond de mon âme, assurément je balancerais à vous dévoiler mes travers, mais, parvenu depuis longtemps à ce degré de corruption morale où l’on ne rougit plus de rien, je n’ai pas le plus petit scrupule à vous confier les plus petits événements d’une vie tissue par le crime et par l’exécration. L’aimable femme, que vous voyez ici sous le titre de mon épouse, est à la fois ma femme et ma sœur. Nous sommes tous deux nés de ce fameux Borchamps dont les concussions furent aussi célèbres que les richesses et le libertinage. Mon père venait d’atteindre sa quarantième année quand il épousa ma mère, âgée de vingt ans et beaucoup plus riche que lui ; je naquis la première année de son mariage. Ma sœur Gabrielle ne vit le jour que six ans après.

Je prenais seize ans, ma sœur dix, lorsque Borchamps parut ne vouloir plus confier le reste de mon éducation qu’à lui seul. Rentrés dans la maison paternelle, nous n’en connûmes plus que les douceurs : de ce moment, le peu qu’on nous avait appris de religion fut oublié par les soins de mon père, et les talents les plus agréables remplacèrent les ténébreuses obscurités de la théologie. Nous nous aperçûmes bientôt que de tels procédés ne plaisaient nullement à ma mère. Née douce, dévote et vertueuse, elle était loin d’imaginer que les principes que nous inculquait mon père dussent faire un jour notre bonheur ; et, pleine de ses petites idées, elle entrava tant qu’elle le put tous les projets de son mari qui, finissant néanmoins par se moquer d’elle, ne s’en tint seulement pas à détruire en nous tous les principes de religion, mais anéantit même tous ceux de la morale. Les bases les plus sacrées de la loi naturelle furent également pulvérisées ; et cet aimable père, voulant que nous devinssions aussi philosophes que lui, ne négligea rien de tout ce qui pouvait nous rendre impassibles aux préjugés comme aux remords ; afin que de pareilles maximes ne fussent pas dans le cas d’être contrariées, il avait l’attention de nous tenir dans une solitude profonde. Un seul de ses amis, et la famille de cet ami, venaient parfois adoucir cette retraite ; et je dois, pour l’intelligence de mon récit, peindre un moment ce digne ami.

M. de Bréval, âgé de quarante-cinq ans, presque aussi riche que mon père, avait, comme lui, une épouse jeune, vertueuse, sensible, et, comme lui, des enfants charmants, dont l’un, Auguste, atteignait sa quinzième année, et l’autre, Laurence, vraiment belle comme le jour, complétait sa onzième. Chaque fois que Bréval venait chez mon père, il y conduisait sa femme et ses enfants : on nous réunissait alors, sous l’inspection d’une gouvernante nommée Pamphyle, âgée de vingt ans, très jolie, et parfaitement dans les bonnes grâces de mon père. Élevés tous les quatre de même, ayant absolument les mêmes principes, nos conversations et nos jeux se trouvaient très au-dessus de nos âges ; et, vraiment, ceux qui nous auraient entendus auraient plutôt pris nos conciliabules pour des comités de philosophie que pour des récréations d’enfants. À force d’être rapprochés de la nature, nous en écoutâmes bientôt la voix, et ce qu’il y eut de fort extraordinaire, c’est qu’elle ne nous inspira point de nous mêler. Chacun resta dans sa famille ; Auguste et Laurence s’aimèrent, se confièrent leurs sentiments, avec la même candeur… la même joie, que Gabrielle et moi, nous nous déclarâmes les nôtres. L’inceste ne contrarie donc point les plans de la nature, puisque ses premiers mouvements nous l’inspirent. Ce qu’il y a d’assez remarquable, c’est que la jalousie n’éclata point dans nos jeunes ardeurs. Ce sentiment ridicule n’est point une preuve de l’amour : unique fruit de l’orgueil et de l’égoïsme, il tient donc plutôt à la crainte de se voir préférer un autre objet, qu’à celle de perdre celui qu’on adore. Quoique Gabrielle m’aimât mieux qu’Auguste, elle ne l’embrassait pas avec moins d’ardeur ; et quoique j’adorasse Gabrielle, je n’en concevais pas moins les plus violents désirs d’être aimé de Laurence. Six mois se passèrent ainsi, sans que nous mêlassions rien de terrestre à cette métaphysique de nos âmes : ce n’était pas l’envie qui nous manquait, c’était l’instruction, et nos pères, qui nous observaient avec soin, se hâtèrent bientôt d’aider la nature.

Un jour qu’il faisait très chaud, et que nos parents, suivant leur usage, étaient réunis pour passer quelques heures entre eux, mon père, à moitié nu, vint nous proposer d’entrer dans l’appartement où il se tenait avec ses amis ; nous acceptâmes. La jeune gouvernante suivit. Et là, jugez de notre surprise, en voyant Bréval sur ma mère, et sa femme, un instant après, sous mon père.

— Examinez avec attention ce mécanisme de la nature, nous dit la jeune Pamphyle, profitez-en surtout, dès que vos parents veulent bien vous initier dans ces mystères de la lubricité, et pour votre instruction et pour votre bonheur. Parcourez ces groupes ; vous voyez que ceux qui les composent jouissent des voluptés de la nature ; appliquez-vous à les imiter…

Une attention stupide nous saisit d’abord ; c’est l’effet ordinaire de ce spectacle sur l’esprit des enfants ; un plus vif intérêt s’empare bientôt de nos cœurs, et nous approchons. Ce ne fut qu’alors que nous aperçûmes de la différence dans la situation de nos quatre acteurs : les deux hommes jouissaient avec délices ; les deux femmes ne faisaient que se prêter, et même avec répugnance. Pamphyle démontrait, expliquait, nommait les choses et les désignait.

— Retenez bien tout cela, disait-elle, car vous allez bientôt être en exercice…

Elle entrait ensuite dans les détails les plus étendus. La scène, alors, eut un moment de suspension, mais qui, loin de la refroidir, n’y jeta qu’un attrait de plus. Mon père quittant en fureur le cul de Mme de Bréval (car ces messieurs ne foutaient qu’en cul) nous saisit, nous approche de lui, et nous fait toucher son engin à tous quatre, en nous apprenant à le branler. Nous riions, nous exécutions, et Bréval nous examinait en continuant d’enculer ma mère.

— Pamphyle, dit alors mon père, aidez-les à se mettre dans le même état que nous ; il est temps de joindre un peu de pratique à la théorie de la nature…

En un instant, nous sommes nus ; Bréval, sans terminer, quitte pour lors sa jouissance, et voilà les deux pères à nous caresser sans distinction, à nous accabler d’attouchements et de suçons, sans oublier Pamphyle, que les fripons maniaient et baisaient également à l’envi l’un et l’autre.

— Quelle atrocité ! s’écria Mme de Bréval, comment ose-t-on se permettre de pareilles choses avec ses propres enfants !

— Silence, madame, lui cria durement son mari ; renfermez-vous, croyez-moi, l’une et l’autre, dans les rôles passifs qui vous sont prescrits ; vous êtes avec nous pour vous laisser faire, et non pour nous haranguer.

Se remettant ensuite à l’ouvrage avec tranquillité, le libertin et son ami continuèrent leurs examens, avec le même flegme que si ce comble d’impunité n’eût pas outragé les deux mères.

Unique objet des caresses de mon père, il semblait négliger tout le reste pour moi. Gabrielle, si l’on veut, l’intéressait bien aussi ; il la baisait, il la branlait ; mais ses plus voluptueuses caresses ne se dirigeaient que vers mes jeunes attraits. J’avais l’air de l’enflammer seul ; j’étais le seul auquel il fît cette voluptueuse caresse de la langue au cul, signe assuré de la prédilection d’un homme pour un autre, gage certain de la luxure la plus raffinée, et que les vrais sodomistes ne prodiguent guère aux femmes, dans la crainte de l’affreux dégoût où les expose le voisin ; décidé à tout, le coquin me prend dans ses bras, me place sur le ventre de ma mère, m’y fait contenir par Pamphyle qui, nue par ses ordres, lui fait, pendant l’opération, manier le plus beau cul possible. Sa bouche humecte le temple qu’il veut perforer ; dès qu’il en croit l’entrée suffisamment élargie, son engin s’y présente… pousse… pénètre… enfonce… et me dépucelle, en mourant de plaisir.

— Oh ! monsieur, lui criait ma mère, à quelle horreur vous vous livrez ! Votre fils est-il fait pour devenir la victime de votre affreux libertinage ; et ne voyez-vous donc point que ce que vous osez faire porte à la fois l’empreinte de deux ou trois crimes, pour le moindre desquels l’échafaud est dressé ?

— Eh ! mais, vraiment, madame, répondait froidement mon père, c’est précisément ce que vous me dites qui va me faire le plus délicieusement décharger. Ne craignez rien, d’ailleurs, votre fils est parfaitement dans l’âge de soutenir ces médiocres assauts ; il y a quatre ans que cela devrait être fait : je dépucelle ainsi tous les jours des enfants beaucoup plus jeunes. Gabrielle elle-même y passera bientôt, quoiqu’elle n’ait que dix ans : rien n’est moins gros que mon vit, et mon adresse est incroyable.

Quoi qu’il en soit, je suis mis en sang ; des flots de foutre viennent l’étancher, et mon père se calme, mais sans discontinuer de caresser ma sœur, qui vient de me remplacer.

Cependant Bréval ne perdait pas son temps ; mais plus amoureux, au contraire, de sa fille que de son fils, c’est par Laurence qu’il débute, et la jeune personne, placée de même sur le sein de sa mère, vient d’y voir cueillir ses prémices.

— Fous ton fils ! lui crie mon père, je vais enculer ma fille : que tous quatre, en ce jour, assouvissent nos brutalités. Il est temps de leur faire jouer le seul rôle que leur ait assigné la nature ; il est temps qu’ils sachent que ce n’est que pour nous servir de putains qu’ils sont nés, et que sans l’espoir de les foutre, nous ne les eussions peut-être jamais créés…

Les deux sacrifices s’offrent à la fois. À droite, on voit Bréval dépucelant son fils, en baisant le trou du cul de sa femme, et maniant les fesses de sa fille, encore inondées de son foutre ; à gauche, mon père enculant Gabrielle, pendant qu’il lèche mon cul, qu’il moleste celui de sa femme d’une main, en branlant de l’autre l’anus de Pamphyle ; tous deux déchargent et le calme renaît.

Le reste de la soirée se consacre à nous donner des leçons. On nous marie ; mon père m’unit à ma sœur ; Bréval en fait de même avec ses enfants. Ils nous excitent, préparent les voies, consolident les jonctions ; et, pendant qu’ils nous engeancent ainsi par devant, ils sondent nos culs tour à tour, en se cédant mutuellement la place ; en sorte que Bréval m’enculait lorsque Borchamps foutait Auguste, et, pendant ce temps, les mères, obligées de se prêter à la célébration des orgies, venaient étaler, comme Pamphyle, leurs charmes aux deux libertins. Plusieurs autres scènes lubriques succèdent à celles-là : l’imagination de mon père était inépuisable. Ils placent les enfants sur leurs mères, et, pendant que le mari de l’une encule la femme de l’autre, ils obligent les enfants à branler leurs mères. Pamphyle parcourt les rangs, elle encourage les luttes, elle aide les combattants, elle les sert ; on la sodomise à son tour ; et la plus délicieuse décharge venant à la fin calmer les esprits, on se sépare.

Quelques jours après, mon père m’ayant fait venir dans son cabinet :

— Mon ami, me dit-il, toi seul vas faire maintenant mes uniques jouissances ; je t’idolâtre, et ne veux plus foutre que toi ; je vais remettre ta sœur au couvent ; elle est très jolie, sans doute, j’ai reçu beaucoup de plaisir d’elle, mais elle est femme, et c’est un grand tort à mes yeux ; je serais jaloux, d’ailleurs, des plaisirs que tu goûterais avec elle ; je veux que toi seul reste auprès de moi. Tu seras logé dans l’appartement de ta mère ; elle est faite pour te céder le pas ; toutes les nuits, nous coucherons ensemble, je m’épuiserai dans ton beau cul, tu déchargeras dans le mien… nous nous enivrerons de voluptés. Les assemblées que tu as vues n’auront plus lieu ; Bréval, amoureux de sa fille, va se comporter avec elle comme je me conduis avec toi ; nous ne cesserons pas d’être amis ; mais, trop jaloux maintenant de nos mutuelles jouissances, nous ne prétendons plus les mêler.

— Mais ma mère, monsieur, répondis-je, ne sera-t-elle pas fâchée de ces projets ?

— Mon ami, me répondit mon père, écoute avec attention ce que j’ai à te dire sur cela ; tu as suffisamment d’esprit pour m’entendre. Cette femme qui t’a mis au jour est peut-être la créature de l’univers que je déteste le plus souverainement ; les liens qui l’attachent à moi me la rendent mille fois plus détestable encore. Bréval est au même point avec la sienne. Ce que tu nous vois faire avec ces femmes n’est que le fruit du dégoût et de l’indignation ; c’est bien moins pour nous amuser d’elles que pour les avilir, que nous les prostituons ainsi ; nous les outrageons par haine et par une sorte de lubricité cruelle que tu concevras, j’espère, quelque jour, et dont le but est de nous faire goûter un plaisir indicible aux vexations imposées à l’objet dont on a trop joui.

— Mais, monsieur, dis-je avec assez de bon sens, vous me tourmenterez donc aussi quand vous serez las de moi ?

— Cela est fort différent, me répondit mon père, ce ne sont ni les usages, ni les lois qui nous lient, c’est le rapport des goûts, des convenances… c’est l’amour ; cette union, d’ailleurs, est un crime selon les hommes, et jamais l’on ne se lasse du crime.

N’en sachant pas davantage pour lors, je crus tout, et, dès ce moment, je vécus avec mon père absolument comme si j’eusse été sa maîtresse. Je passais toutes les nuits à ses côtés, très souvent dans le même lit, et nous nous enculions tous deux, jusqu’à nous épuiser. Pamphyle était notre seconde confidente, et presque toujours en tiers dans nos plaisirs ; mon père aimait à se faire donner le fouet par elle, pendant qu’il m’enculait ; il la sodomisait et l’étrillait ; quelquefois aussi je devenais, pendant ce temps-là, le plastron de ses baisers ; ensuite, il me la livrait, j’en faisais tout ce que bon me semblait, mais il fallait que je baisasse le cul de mon père pendant ce temps-là. Et Borchamps, comme Socrate, instruisait son disciple, tout en le foutant. Les principes les plus impies, les plus antimoraux m’étaient suggérés ; et si je n’allais pas encore voler sur les grands chemins, ce n’était pas la faute de Borchamps. Ma sœur venait quelquefois à la maison, mais elle y était reçue avec froideur ; bien différent de mon père sur cet objet, chaque fois que je pouvais la rejoindre, je lui témoignais la plus violente ardeur, et je la foutais dès que j’en trouvais le moment.

— Mon père ne m’aime pas, dit Gabrielle… il te préfère… Eh bien ! vis heureux avec lui, et ne m’oublie jamais…

Je baisai Gabrielle, et lui jurai de l’adorer toujours.

Depuis très longtemps, je m’apercevais que ma mère ne sortait jamais du cabinet de Borchamps, sans s’essuyer les yeux… sans pousser de profonds soupirs. Curieux de connaître la cause de ces chagrins, je fis une fente à la cloison qui séparait ce cabinet de mon boudoir, et fus lestement m’établir à ce trou, quand je crus pouvoir les surprendre… Je vis des horreurs ; la haine de mon père, pour cette femme, ne s’exhalait que par des supplices affreux. On ne se figure point ceux que sa féroce lubricité infligeait à cette malheureuse victime de son dégoût : après l’avoir assommée, il la renversait à terre, et la foulait aux pieds ; d’autres fois, il la mettait en sang à coups de martinet, et, plus souvent encore, il la prostituait à un fort vilain homme, que je ne connaissais pas, et dont il jouissait lui-même.

— Quel est cet homme ? demandai-je un jour à Pamphyle à qui j’avais confié mes découvertes, et qui, pleine d’amitié pour moi, m’offrait de m’en faire faire de nouvelles.

— C’est, me dit-elle, un scélérat de profession, que votre père a sauvé deux ou trois fois de la potence ; c’est un coquin qui, pour six francs, irait assassiner l’individu qui lui serait indiqué. Un des plus grands plaisirs de Borchamps est de lui faire fouetter votre mère, et, comme vous l’avez vu, de la lui prostituer ensuite. Borchamps adore cet homme, il le faisait très souvent coucher avec lui, avant que vous n’occupassiez cette place. Mais vous ne connaissez pas encore tout le libertinage de celui de qui vous tenez le jour : placez-vous, demain, au même lieu où vous avez observé tout ce que vous venez de me dire, et vous verrez une autre scène.

À peine suis-je au trou, que quatre grands drilles de six pieds entrent dans le cabinet de mon père, ils lui mettent le pistolet sur la gorge, le saisissent, le garrottent sur la branche d’une échelle double, puis, armés d’une vigoureuse poignée de verges, ils le frappent sur les reins, les fesses et les cuisses, de plus de mille coups chacun ; le sang ruisselait à gros bouillons quand ils le détachèrent ; dès qu’il le fut, ils le jetèrent sur un canapé, et lui passèrent tous les quatre sur le corps, en telle façon qu’il avait toujours un vit dans la bouche, un dans le cul, un dans chaque main. Il fut foutu plus de vingt fois, et par quels vits, grand Dieu ! je ne les aurais pas empoignés.

— Je voudrais bien, dis-je à Pamphyle que j’enculais pendant cette scène, je voudrais, ma chère amie, que tu persuadasses à mon père de rendre ma mère victime d’une pareille joute.

— Ce ne sera pas difficile, me dit cette chère enfant ; il ne s’agit que de proposer une horreur à Borchamps, pour qu’il la saisisse aussitôt ; ce que vous désirez se fera demain, me dit Pamphyle.

Fort peu de jours après, je me place ; ma pauvre mère fut déchirée et sodomisée d’une telle force, que les coquins la laissèrent sans mouvement sur le carreau. Pamphyle, comme à l’ordinaire, m’avait prêté son superbe cul pendant ce spectacle ; et je vous l’avoue, de mes jours encore, je n’avais plus délicieusement déchargé.

J’avouai tout à mon père, et ne lui déguisai pas surtout l’extrême plaisir que ses voluptés secrètes m’avaient procuré.

— C’est d’après mes idées, lui dis-je, qu’il vous a été suggéré de traiter votre femme, comme je venais de voir que vous vous faisiez traiter vous-même…

— Mon ami, me dit Borchamps, es-tu capable de m’aider dans ces opérations ?

— N’en doutez pas, mon père.

— Quoi ! cette femme qui t’a mis au monde ?

— Elle n’a travaillé que pour elle, et je la déteste aussi fortement que vous pouvez le faire.

— Baise-moi, cher amour, tu es délicieux ; et, sois-en bien certain, tu vas, de ce moment, goûter les plus violents plaisirs qui puissent enivrer un homme. Ce n’est qu’en outrageant ce qu’il a la bêtise d’appeler les lois de la nature qu’il peut vraiment se délecter. Quoi ! d’honneur, tu maltraiteras ta mère ?

— Plus cruellement que vous, je le jure.

— Tu la martyriseras ?

— Je la tuerai, si vous le voulez…

Et ici, Borchamps, qui maniait mes fesses pendant cette conversation, ne put retenir son foutre, et le perdit avant que d’avoir le temps de me le lancer dans le derrière.

— À demain, mon ami, me dit-il, c’est demain que je te ferai faire tes preuves. Va te reposer comme moi jusque-là ; et surtout, sois sage : le foutre est l’âme de toutes ces choses-là ; il faut laisser doubler la dose du sien, quand on veut faire des infamies.

À l’heure indiquée, ma mère passa chez Borchamps ; le vilain homme y était ; la scène fut affreuse. La pauvre femme fondit en larmes, en voyant que j’étais un de ses ennemis les plus acharnés. Je renchéris sur les horreurs dont mon père et son ami l’accablaient. Borchamps voulut que cet ami m’enculât sur le sein de ma mère, pendant que j’égratignais ce sein sacré qui m’avait donné l’existence. Vivement pressé par un beau vit au cul, l’imagination singulièrement flattée d’être foutu par un scélérat de profession, j’allais plus loin qu’on ne m’avait dit, et j’emportai, de mes dents, le bout du téton droit de ma très respectable mère ; elle jette un cri, perd connaissance, et mon père en délire vient aussitôt remplacer son ami dans mon cul, en me couvrant d’éloges.

Je venais d’atteindre ma dix-neuvième année, quand mon père, à la fin, s’ouvrit tout à fait à moi.

— Je ne puis plus absolument, dit-il, soutenir la présence de cette femme atroce ; il faudra que je m’en débarrasse… mais par des supplices affreux… M’aideras-tu, mon fils ?

— Il faut, dis-je, lui ouvrir le ventre en quatre parties ; je m’enfoncerai dans ses entrailles, un fer brûlant à la main, je lui déchirerai, je lui calcinerai le cœur et les viscères, je la ferai périr à petit feu…

— Céleste enfant ! me dit mon père, tu es un ange à mes regards…

Et cette infamie, cette exécration par laquelle je débutai dans la carrière du crime et de l’atrocité, elle s’acheva… Mon père et moi la consommâmes, en mourant de plaisir ; le fripon foutait mon derrière et branlait mon vit pendant que je matricidais sa femme.

Malheureuse dupe que j’étais ! je n’avais travaillé qu’à ma perte en me prêtant à ce crime ; ce n’était que pour se remarier que mon père m’avait fait trancher le fil des jours de ma mère, mais il cacha si bien son jeu, que je fus plus d’un an sans m’en douter. À peine instruit de cette trame, je la confiai sur-le-champ à ma sœur.

— Cet homme veut nous perdre, mon enfant, lui dis-je.

— Il y a déjà longtemps que je m’en doute. Ah ! cher frère, me répondit Gabrielle, je t’aurais éclairé, si je ne t’avais pas vu si prodigieusement aveuglé sur son caractère ; nous sommes tous les deux ruinés si nous n’y mettons ordre. Ton âme est-elle aussi ferme que la mienne, et veux-tu que nous agissions ensemble ? Vois cette poudre qu’une de mes compagnes m’a donnée, elle lui a servi, comme nous devons le faire, à s’affranchir du joug odieux de ses parents ; imitons-la, et si tu n’oses agir, laisse-moi faire ; cette action m’est inspirée depuis longtemps par la nature, elle est juste, dès qu’elle me la dicte… Frémis-tu, mon ami ?

— Non ; donne-moi cette poudre : elle sera demain dans l’estomac de celui qui prétend nous jouer de cette manière.

— Oh ! ne t’imagine pas que je te cède l’honneur de dissoudre nos fers, nous agirons ensemble. Je vais dîner demain chez Borchamps ; prends la moitié du paquet, et, pour ne pas manquer notre homme, jette ta portion dans son vin, pendant que je mettrai la mienne, très adroitement, dans sa soupe ; et sous trois jours, nous jouirons seuls des biens que nous a destinés la fortune.

Une souris n’est pas plus tôt prise au piège, que Borchamps ne le fut aux panneaux que notre méchanceté lui tendait ; il tomba mort au dessert. On attribua cette fin funeste à un coup de sang, et tout fut oublié.

Ayant près de vingt et un ans, j’obtins des lettres de majorité et la tutelle de ma sœur. Elle se trouva, dès que les affaires furent arrangées, l’un des plus grands partis de la France. Je lui cherchai un homme aussi riche qu’elle, dont elle eut l’art de se débarrasser dès que, par un enfant, elle s’en fut assuré le bien. Mais n’empiétons pas sur les événements. Aussitôt que je vis ma sœur établie, je lui laissai le soin de mon bien, et lui déclarai l’extrême désir que j’avais de parcourir la terre. Je convertis un million en lettres de change sur les plus fameux banquiers de l’Europe ; puis, embrassant ma chère Gabrielle :

— Je t’adore, lui dis-je, mais il faut nous quitter quelque temps. Nous sommes tous deux faits pour aller au grand ; acquérons tous deux plus d’usage et de connaissances ; nous nous réunirons ensuite pour toujours, car le ciel nous a faits l’un pour l’autre ; il ne faut pas tromper ses désirs. Aime-moi, Gabrielle, et sois sûre que je ne cesserai jamais de t’adorer.

— Juliette, me dit le capitaine, en m’adressant cette partie de sa narration, ce que vous avez vu de Clairwil est à peu près l’histoire de toute sa vie ; elle sut, comme je vous l’ai dit, s’affranchir de ses nouveaux liens, pour vivre libre et heureuse dans le sein du luxe et de l’abondance ; ses liaisons avec le ministre cimentèrent ses désordres, en leur assurant la plus entière impunité. Vous pûtes un instant la soupçonner coupable envers vous ; rendez plus de justice à son cœur : elle ne le fut jamais, et le ministre ne la prévint pas du sort qu’il vous réservait. Je cesse donc ici de m’occuper d’elle, et vais me borner à vous raconter uniquement mes aventures. Près de leur dénouement, vous apprendrez notre réunion, et les motifs qui nous engagent à ne plus vivre que l’un pour l’autre, dans cet asile impénétrable du crime et de l’infamie.

Les cours du Nord excitant ma curiosité, ce fut vers elles que je dirigeai mes pas. Celle de La Haye fut la première que je visitai. Il y avait peu de temps que le stathouder venait d’épouser la princesse Sophie, nièce du roi de Prusse. À peine eus-je vu cette charmante créature, que je désirai sa jouissance ; et je ne lui eus pas plus tôt déclaré ma flamme que je la foutis. Sophie de Prusse avait dix-huit ans, la plus belle taille et la plus délicieuse figure qu’il fût possible de voir ; mais son libertinage était excessif, et ses débauches si connues, qu’elle ne trouvait déjà plus d’hommes que pour son argent. Promptement éclairé sur cet objet, je me fis valoir ; je voulais bien payer mes plaisirs, mais, assez jeune, assez vigoureux pour que les femmes contribuassent aux frais de mes voyages, j’étais bien résolu à ne jamais accorder mes faveurs qu’à celles qui sauraient les apprécier.

— Madame, dis-je à la princesse, dès que je l’eus bien foutue pendant près d’un mois, je me flatte que vous saurez reconnaître l’épuisement où je me mets pour vous ; peu d’hommes, vous le voyez, sont aussi vigoureux que moi, il n’en est point de mieux membrés : tout cela se paye, madame, au siècle où nous vivons.

— Oh ! combien vous me mettez à mon aise, monsieur, me dit la princesse, j’aime bien mieux vous avoir à mes ordres que d’être aux vôtres. Tenez, continua-t-elle en me donnant une fort grosse bourse d’or, souvenez-vous que j’ai maintenant le droit de vous faire servir à mes plus bizarres passions.

— J’en conviens, répondis-je, vos dons m’enchaînent, et je suis tout à vous.

— Venez ce soir à ma maison de campagne, dit Sophie, venez-y seul, et surtout ne vous effrayez de rien.

Quel que fût le trouble que ces dernières paroles eussent jeté dans mon âme, je résolus néanmoins de tout tenter, et pour connaître cette femme à fond, et pour en tirer encore de l’argent.

Je me rends donc seul, à l’heure et à la maison indiquées ; une vieille femme m’introduit silencieusement dans une pièce mystérieuse, dans laquelle me reçoit une jeune personne de dix-neuf ans, de la plus délicieuse physionomie.

— La princesse va bientôt paraître, monsieur, me dit-elle, du son de voix le plus doux et le plus flatteur ; je suis, en attendant, chargée par elle de recevoir de vous la parole sacrée que vous ne révélerez jamais rien des mystères qui vont se célébrer ici sous vos yeux…

— Le doute d’une indiscrétion m’offense, madame, répondis-je, je suis fâché que la princesse le forme.

— Mais si vous aviez à vous plaindre ?… si, par hasard, vous ne remplissiez ici que le rôle de victime ?

— Je m’en glorifierais, madame, et mon silence n’en serait pas moins éternel.

— Une telle réponse me dispenserait de mes ordres, si je n’étais pas servilement obligée de les remplir. Il faut que je reçoive ce serment, monsieur…

Je le fis.

— Et j’ajoute que si, par malheur, vous ne teniez pas la parole à laquelle vous vous engagez, la mort la plus prompte et la plus violente en serait aussitôt la punition.

— Cette menace est de trop, madame ; la manière dont j’ai saisi vos idées ne la mérite point…

Emma disparaît à ces mots, et me laisse près d’un quart d’heure livré à mes réflexions. Elle reparut bientôt avec Sophie, et toutes les deux dans un désordre qui me convainquit que les deux coquines venaient assurément de se branler.

— Allons, sacredieu ! dit Sophie, ne ménageons plus ce bougre-là ; nous en sommes les maîtresses, puisque nous le payons ; il faut en jouir à notre aise.

Emma s’approche et m’invite à me mettre nu.

— Vous voyez que nous y sommes nous-mêmes, me dit-elle en me voyant balancer ; deux femmes vous effraient-elles ?

Et m’aidant à quitter mes habits, et jusqu’à mes bas, sitôt qu’elles me virent ainsi, elles m’approchèrent d’une banquette où elles me firent incliner sur les genoux et sur les mains. Un ressort part ; aussitôt tous mes membres sont pris, et trois lames aiguës menacent à la fois et mes flancs et mon ventre, si je fais le moindre mouvement. De grands éclats de rire se font entendre dès que je suis dans cet état, mais ce qui achève de me faire frémir, c’est de voir que ces deux femmes, armées de longs martinets de fer, se mettent à me flageller.

— Viens, Emma, dit Sophie, viens ma bonne, viens me baiser près de la victime ; j’aime à mêler l’amour aux angoisses de ce malheureux. Branlons-nous en face de lui, ma chère âme et qu’il souffre pendant que nous déchargerons…

La putain sonne, deux filles de quinze ans, plus belles que le jour, viennent recevoir ses ordres ; elles se déshabillent, et, sur les carreaux mis par terre en face de moi, les quatre tribades passent une heure à se plonger dans les plus sales luxures ; de temps en temps l’une d’elles s’approchait pour m’exciter ; elle me présentait ses charmes en tous sens, et sitôt qu’elle voyait, malgré mon attitude, l’impression qu’elle pouvait me causer, elle me fuyait en éclatant de rire. Sophie, comme vous l’imaginez aisément, jouait ici le rôle principal ; tout se réunissait sur elle ; ce n’était que d’elle que l’on s’occupait, et je vous avoue que je fus bien surpris de voir autant de recherches… autant d’impuretés dans un âge aussi tendre. Il me fut aisé de voir que la passion de cette coquine, ainsi que celle de presque toutes les femmes qui ont le goût de leur sexe, était de se faire sucer le clitoris en en suçant elle-même. Mais Sophie ne s’en tint pas là, on l’enconna, on l’encula avec des godemichés ; elle ne reçut rien qu’elle ne le rendît. Et quand la coquine fut bien échauffée :

— Allons, dit-elle, expédions ce drôle-là.

Les disciplines se reprennent, on en arme les nouvelles venues. Sophie recommence, et m’applique, avec autant de vitesse que de force, cinquante coups de son cruel instrument. On n’imagine pas à quel point cette mégère portait le calme au sain de la cruauté. Elle accourait, à chaque dizaine, saisir avec joie sur mon visage les impressions de douleur auxquelles les coups nerveux qu’elle m’appliquait contraignaient nécessairement mes muscles ; s’établissant ensuite vis-à-vis de moi, elle chargea ses trois tribades de me fouetter aussi fortement qu’elle venait de le faire, et se branla pendant l’exécution.

— Un moment, dit-elle, quand j’eus reçu près de deux cents coups, je vais me couler sous lui, afin de le sucer, pendant que vous le, refouetterez ; arrangez-vous de manière à ce que l’une de vous puisse me rendre cette succion sur le clitoris, et que j’en branle une autre pendant ce temps-là.

Tout s’exécute… et, je l’avoue, violemment excité par les coups que je recevais, délicieusement sucé par Sophie, je ne fus pas plus de trois minutes à lui remplir la bouche de foutre ; elle l’avala, puis, se retirant aussitôt :

— Emma, s’écria-t-elle, il est charmant, il a déchargé, il faut que je le foute à présent…

On lui arrange un godemiché, et voilà la putain dans mon cul, gamahuchant deux de ses tribades, pendant que la troisième lui rend dans le con ce que la coquine me fait dans le cul.

— Qu’on le détache, dit-elle, quand elle fut excédée. Venez me baiser Borchamps, poursuit la Messaline ; venez me rendre grâce de ces plaisirs dont je vous ai comblé, et des ménagements que j’ai eus pour vous. Mon doux enfant, poursuit la Messaline, tout ce qui vient de se passer n’est dû qu’à votre puérile modestie. Comment ! vous avez couché je ne sais combien de fois avec moi, et vous contentant de m’enconner comme un imbécile, vous n’avez pas même l’air de soupçonner mon cul ?… En vérité, c’est inconcevable.

— Ce désir fut senti de moi, madame ; mais la timidité l’enchaîna.

— Tant pis… tant pis ; la modestie est une sottise dont vous devez vous corriger à votre âge… Eh bien ! réparerez-vous cette sottise, et mon cul, à présent, vous occupera-t-il un peu plus que mon con ? (Puis le montrant.) Voyez comme il est beau ce cul, il vous appelle… foutez-le donc, Borchamps… Prends-lui donc le vit, Emma, et mets-le dans mon cul.

Mille baisers plus ardents les uns que les autres, sur ce cul vraiment superbe, furent ma réponse ; et mon, engin, braqué par Emma, sur le trou mignon, sut bientôt convaincre Sophie que je brûlais de réparer mes torts.

— Arrête, me dit la princesse ; c’est moi qui maintenant veux être ton esclave, je vais me placer dans la triste machine dont tu sors, et j’y veux, à mon tour, devenir ta victime. Use de tes droits, sultan, et venge-toi sur tout… (Elle était prise.) Ne me ménage pas, je t’en conjure ; punis à la fois mon putanisme et ma cruauté…

— Bougresse ! m’écriai-je en devinant ses goûts, je vais le faire à grands coups de fouet.

— Je l’espère bien, me dit-elle… Tâte, avant, la peau de mes fesses, tu verras comme elle appelle le coup…

— Eh bien, qu’elle le reçoive donc, dis-je en l’appliquant, et je l’étrillai d’importance, pendant que la belle Emma me suçait à genoux, et que les deux filles de quinze ans s’occupaient de mon cul.

Dès que celui de Sophie fut en sang, mon engin furieux, lui pénétrant l’anus, la consola de ma barbarie.

— Oh ! foutre, s’écria-t-elle alors, qu’il est délicieux d’être enculée, quand on vient de recevoir le fouet ! Je ne connais rien qui se marie mieux que ces deux plaisirs. Emma s’avance alors près de son amie ; elle la branle, elle la baise, elle la suce, elle se branle elle-même, et nous nageons tous trois dans un océan de délices.

— Borchamps, me dit la princesse, en nous rajustant tous, vous me paraissez digne de moi, et je vais m’ouvrir à vous avec infiniment plus de confiance.

Sur un signe, les jeunes filles se retirent, et, nous mettant tous trois autour d’une table de punch, voici, tout en buvant, le discours que nous tint Sophie.

— Peut-être paraîtra-t-il singulier aux âmes communes… aux petits esprits, que, pour sonder votre caractère, je mette en usage les ressorts de la lubricité. Si vous vous trouviez, par malheur, dans le cas de cette ridicule surprise, je veux donc bien vous avouer, mon cher, que je ne juge jamais les hommes, dans le cours de leur vie, que par leurs passions dans le libertinage. Celui dont l’âme de feu me fait voir des goûts énergiques embrasse indubitablement tous les partis violents de l’intérêt ou de l’ambition : la vôtre est dans ce cas. Dites-moi donc, Borchamps, de quel œil vous voyez la vie des hommes en politique.

— Princesse, répondis-je, de quel prix était-elle au duc d’Albe, quand il voulut soumettre ces provinces ?…

— Homme délicieux, dit cette femme ardente, telle est la réponse que je voulais de toi ; je compte sur ton courage, ajouta-t-elle en me serrant la main, écoute ce qu’il me reste à te proposer… Nièce du héros de l’Europe, issue du sang d’un homme fait pour régner sur l’univers entier, j’apporte en ce pays son âme et sa vigueur. Je crois que tu dois voir, Borchamps, que je ne suis pas faite pour n’être que l’épouse d’un doge de république, et ce peuple mou, mercantile et poltron, né pour porter des fers, doit s’honorer des miens. Je veux bien consentir à régner sur lui, mais il faut que le trône, élevé dans ces plaines humides, soit mouillé de ses pleurs et construit de son or. Cent bataillons armés assurent mon projet ; mon oncle les envoie, et je règne par eux. Cette révolution ne proscrit point la tête de mon époux ; il est digne de moi, et le sang du Batave, à grands flots répandu, cimentera le trône où je prétends l’asseoir. Ce n’est donc point le sceptre où j’aspire que je t’offre ; je ne te propose que la place de celui qui doit l’assurer : tu seras notre conseil, notre appui, notre ministre ; les proscriptions seront dictées, exécutées par toi. Tu sens bien que ce poste exige du courage, as-tu celui qu’il faut ? réponds sans te troubler.

— Madame, dis-je à la princesse, après quelques minutes de réflexion, avant que de penser à cet acte étonnant de puissance et d’autorité, vous êtes-vous assurée de la manière dont cette révolution sera regardée des puissances voisines ? Les Français, les Anglais, les Espagnols, les puissances du Nord mêmes, qui ne voient en vous que des courtiers ou des marchands, y considéreront-ils de sang-froid et des rivaux et des vainqueurs ?

— Nous sommes sûrs de la France ; nous nous moquons du reste. Devenus souverains des Provinces-Unies, et nos armes portées dans les trois royaumes, nous les soumettrons peut-être bientôt. Tout frémit devant un peuple guerrier : le nôtre le sera. Il ne faut qu’un grand homme pour asservir le monde : j’ai l’âme de ce grand homme, Frédéric sut me la donner. Nous sommes las d’appartenir à qui voudra de nous, et de n’être, aux yeux de l’Europe, que la proie du premier conquérant.

— Les Hollandais, armés pour repousser les cruautés de l’Espagne, souffriront-ils votre tyrannie ?

— J’érigerai, comme le duc d’Albe, un tribunal de sang : tel est le seul moyen de dompter un peuple.

— Tous vos sujets fuiront.

— J’aurai leur bien. Et que m’importe d’ailleurs la fuite des rebelles, si ceux qui restent demeurent soumis ? Il s’agit moins de régner en tremblant sur beaucoup d’hommes, que de régner despotiquement sur un petit nombre.

— Sophie, je te crois cruelle, et ton ambition ne s’allume ici, je le crains, qu’aux feux de la lubricité101.

— Presque tous les vices n’ont qu’une cause dans le cœur de l’homme : tous partent de son plus ou moins de penchant à la luxure. Ce penchant, devenant féroce dans une âme forte, entraîne à mille horreurs secrètes l’être isolé dans la nature… à mille crimes politiques, celui qui gouverne les autres.

— Ô Sophie ! je m’explique ton ambition ; elle n’est chez toi que l’envie de perdre du foutre avec un peu de chaleur.

— Qu’importe le sentiment qui la fait naître, dès qu’elle existe, et qu’elle fait régner ? Mais, mon ami, si tu raisonnes, tu balances ; et si tu balances, tu frémis, et n’es plus, dès lors, digne de moi.

Singulièrement chatouillé des propositions qui m’étaient faites, y voyant, comme Sophie, des moyens sûrs d’exercer ma férocité naturelle, je promis tout. Sophie m’embrasse, me fait répéter les serments les plus forts du plus profond mystère, et nous nous séparons.

À peine rentré chez moi, je sentis tout le danger des engagements que je venais de prendre, et voyant autant d’inconvénients à les rompre qu’à les tenir, je passai la nuit dans la plus affreuse perplexité. C’en est fait, me dis-je, je suis un homme perdu, il ne me reste plus que la fuite. Ô Sophie ! que ne me proposais-tu des crimes particuliers ? Je les eusse tous commis avec joie : une complice telle que toi m’assurait l’impunité la plus entière, et mon âme n’eût frémi de rien. Mais m’exposer à tout, pour n’être que l’agent de ton despotisme !… Ne compte pas sur moi, Sophie. Je veux bien faire des crimes pour favoriser mes passions, aucun pour servir celles des autres. Quand mes refus te parviendront, accuse moins celui qui te les fait, de pusillanimité, que de grandeur d’âme…

Me hâtant de fuir aussitôt, je gagnai le port le plus voisin de l’Angleterre, et me trouvai, peu de jours après, dans Londres.

Avec le goût profond que j’avais pour le crime, je fus un instant fâché de n’avoir pas accepté les moyens politiques que me donnait Sophie d’en commettre beaucoup ; je ne voyais pas assez clair dans les projets de cette femme hardie, et j’aimais mieux, d’ailleurs, opérer pour mon compte que pour celui d’un individu couronné.

Arrivé à Londres, je me logeai dans Picadilly, où j’eus le malheur d’être volé, le lendemain, de tout ce que je possédais d’argent comptant. Cette perte était d’autant plus affreuse, pour moi, que je venais à La Haye de réaliser toutes mes lettres de change. Muni de recommandations pour différents seigneurs de la ville, je n’eus plus d’autres ressources que de me hâter de les porter, et de faire part du triste événement que je venais de subir, en implorant quelques secours, au moins jusqu’à l’époque très prochaine où ma sœur me renverrait des fonds.

D’après les récits que j’entendis faire du lord Burlington, ce fut chez lui que je me présentai le premier. Dès qu’il eut lu mes lettres, je lui racontai mes malheurs ; il n’y eut sortes de services que ce bon Anglais ne m’offrît. Quoique Burlington ne fût pas très riche, mille guinées furent sa première offre, et jamais il ne voulut me laisser loger ailleurs que chez lui. J’acceptai d’autant plus volontiers, que je voyais déjà, dans l’intérieur de cette honnête famille, infiniment de moyens d’acquitter par des crimes la reconnaissance que je devais à ce bienfaiteur.

Avant que d’en venir aux détails de ces petites infamies secrètes, il est essentiel de vous donner quelques idées des personnages avec lesquels je me trouvais.

Burlington, le plus franc, le plus serviable des hommes, pouvait être âgé de cinquante-cinq ans ; de la bonhomie, de la franchise, peu d’esprit, beaucoup de douceur, à la fois un sot et un homme obligeant, tel était le portrait du bon lord. Un gendre et deux filles composaient le reste du logis. Tilson, âgé de vingt-trois ans, venait d’épouser l’aînée de ces deux filles, à peu près du même âge. La nature offrait peu de modèles d’un couple aussi délicieux : charmes, grâces, naïveté, candeur, piété, sagesse, tout caractérisait ce ménage charmant, et la réunion de tant de vertus consolait Burlington des travers où donnait malheureusement miss Cléontine, la cadette de ses filles, âgée de dix-huit ans au plus, et la plus belle créature qu’il fût possible de voir. Mais la méchanceté, la noirceur du putanisme le plus outré, tels étaient les vices dont rien ne pouvait corriger Cléontine, mille fois plus heureuse de ses travers, osait-elle dire, que jamais Clotilde, sa sœur, ne le fut de ses ennuyeuses vertus.

Je n’eus pas plus tôt démêlé le caractère délicieux de cette fille, que j’en devins amoureux, autant que pouvait l’être un homme aussi corrompu que moi ; mais comme son père m’avait confié tous les chagrins que lui donnait cette jeune personne, je me trouvais, dès lors, engagé à des retenues infinies.

Au travers des impressions tumultueuses qu’élevait Cléontine dans mon âme, la jolie figure de Tilson et les grâces de sa jeune épouse ne m’échappaient pourtant pas, et si Cléontine m’inspirait les désirs les plus libertins, son beau-frère et sa sœur faisaient naître en moi les plus sensuels. Je supposais à Tilson le plus beau cul du monde, et je brûlais aussi vivement du désir de le foutre, que de la fantaisie d’en faire autant à sa voluptueuse épouse. Brûlé de toutes ces différentes passions, je crue que la véritable façon de les satisfaire était de commencer par Cléontine. Tout ce qui peut hâter la défaite d’une femme se trouvant à la fois, et dans l’âme de celle que j’attaquais, et dans mes moyens de séduire, la chère enfant fut bientôt à moi.

Rien de frais, rien de potelé, rien de joli comme toutes les parties du corps de cette charmante fille, rien d’éloquent comme la voix de ses passions, rien de lubrique comme sa tête. Il y eut un moment, en honneur, où je me crus plus sage qu’elle : dès lors, et vous l’imaginez aisément, aucune restriction dans les plaisirs que nous goûtâmes ; et Cléontine m’avoua que plus une volupté semblait contrarier les lois de la nature, plus elle chatouillait sa lubricité.

— Hélas ! me disait-elle un jour, j’en suis au point de n’en plus trouver d’assez fortes pour me contenter !

Son joli cul fut donc attaqué sur-le-champ, et les plaisirs qu’elle me donna de cette manière furent si vifs, si bien partagés d’elle, que nous convînmes mutuellement de ne pas en connaître d’autres.

J’étais tellement entraîné par les charmes de cette belle fille, qu’un an se passa, sans que j’osasse lui communiquer mes projets, ou du moins sans que j’y pensasse, tant j’étais vivement occupé d’elle. Pendant ce temps, mes fonds étaient revenus, j’étais quitte envers Burlington, et pour mieux venir à bout de mes projets, ne voulant pas loger chez lui, j’avais pris un appartement à sa porte… Lui, sa famille, ses enfants, venaient me voir tous les jours, et l’intimité devint bientôt si grande, que le bruit de mon mariage avec Cléontine courut dans toute la ville. Que j’étais loin d’une telle folie ! je voulais bien m’amuser d’une pareille créature, mais l’épouser… jamais. Lady Tilson excitait seule ce désir en moi : une épouse, me disais-je, n’est faite que pour nous servir de victime, et plus est romantique, en elle, le genre de sa beauté, mieux elle a ce qu’il faut pour ce rôle : voici Clotilde… Oh ! comme je banderais, la voyant dans mes fers ! de quel intérêt doit-elle être dans les larmes ! quelles délices on doit éprouver à les faire couler de ses deux beaux yeux… Ô Clotilde ! que vous serez malheureuse, si jamais vous m’appartenez…

Ces projets une fois formés, je ne cultivais plus Cléontine que dans l’espoir de les lui faire servir. Je ne crus rien de mieux, pour y arriver, que de lui échauffer la tête sur son beau-frère, et d’allumer ensuite la jalousie de la jeune femme. Cléontine m’avoua qu’elle avait quelquefois désiré Tilson, mais qu’elle l’avait trouvé si bête et si vertueux, que ses desseins sur lui s’étaient évanouis presque aussitôt qu’elle les avait conçus.

— Et qu’importe l’esprit ! répondis-je : dès que la beauté décore un individu, sa jouissance est faite pour être désirée. Tel que tu me vois, Cléontine, je suppose à Tilson le plus beau cul du monde, et je brûle du désir de le foutre.

Cette idée divertit ma maîtresse. À ce prix, elle accepte tout : on fait ce qu’on veut d’une femme, en échauffant sa tête. Un peu de jalousie pourtant l’arrêta ; elle craignit qu’amoureuse du mari, je ne le devinsse peut-être de la femme ; elle me questionna…

— Allons donc ! répondis-je, croyant prudent de me déguiser, cette idée est extravagante ; mes fantaisies s’égarent sur un beau garçon, il ne s’agit ici que d’un sentiment matériel ; mais dès qu’il est question d’une femme, mon amour pour toi, Cléontine, ne me permet plus nul écart…

Mes fadeurs, l’irrégularité de mes caprices, tout séduisit Cléontine ; elle me servit ; je n’en demandais pas davantage. Au bout d’un mois, celui que j’aimais fut dans les bras de ma maîtresse ; je l’y vis, l’y caressai, l’y foutis ; un autre mois se passe, dans toute l’illusion des scènes de ce libertinage, et bientôt rassasié de tous deux, je ne pensai plus qu’à les perdre, qu’à joindre mon bienfaiteur à mes victimes et qu’à ravir Clotilde… à la conduire au bout de l’univers, pour me rassasier avec elle des divins plaisirs que j’en attendais.

Comme la jeune femme adorait son mari, il me fut facile d’allumer dans son âme les étincelles de la jalousie : lady Tilson me crut, et dès qu’il ne fut plus question que de la convaincre, mes moyens devinrent bien faciles.

— Cléontine, dis-je un jour à ma voluptueuse putain, faut-il te l’avouer, mon amour ? je brûle de t’épouser. La ressemblance de nos caractères me fait croire que nous serions très heureux ensemble. Mais tu n’as rien, je suis riche, et je sens que, par délicatesse, tu ne voudrais pas de moi, dénuée des dons de la fortune. Il est un moyen, Cléontine, de te rendre favorable cette fortune capricieuse, et de brusquer ses dons. Je ne vois que trois têtes qui bornent tes richesses… (et comme je m’aperçus que Cléontine s’enivrait à plaisir du poison que je distillais dans son âme, j’en doublais courageusement la dose). Rien de plus facile, continuai-je, que de nous débarrasser de Tilson. Sa femme est emportée, violente, extrêmement jalouse ; elle n’apprendra pas les infidélités dont son mari se rend coupable [avec] toi, sans brûler du désir de se venger. Je la conseillerai, je lui en fournirai les moyens : dans huit jours, je vois Tilson dans le tombeau de ses pères. Ta sœur est vertueuse, elle est vindicative, son âme honnête n’enfanterait pas seule les projets que je lui suggérerai, mais chaleureusement offerts par moi, elle les acceptera, sois-en sûre…

— Et les autres ? me dit brusquement Cléontine.

— Ah ! friponne, dis-je en l’embrassant, combien chaque instant me fait voir que la nature nous a créés l’un pour l’autre !… Voilà donc, mon ange, comme nous nous déferons d’eux. Aussitôt que, d’après mes conseils, lady Tilson se sera défaite de son époux, je dévoilerai toute l’intrigue à son père, qui, pressé de même par mes sollicitations, la fera, j’en suis sûr, enfermer sur-le-champ. De ce moment, un défenseur, parfaitement soudoyé par moi, embrassant avec chaleur la cause de Clotilde, rejette sur le père, et le meurtre du gendre et la détention de la fille… Les témoins, les dépositions, les preuves : on trouve de tout cela avec des guinées, dans Londres, comme avec des louis à Paris. Avant quinze jours, Burlington est dans les prisons de la justice.

— Ton bienfaiteur ?

— Que m’importe, Cléontine : il s’oppose à nos vœux, je ne le vois plus que comme un ennemi. Ton père n’est pas plus tôt enfermé, condamné (il le sera, Cléontine, avant un mois), il monte à l’échafaud. Il ne sera pas plus tôt mort, dis-je, que ta sœur est libre, et que nous partons. Nous quittons l’Angleterre, je t’épouse, et juge avec quelle facilité tombera la dernière tête qui s’oppose à ce que tu possèdes seule les biens de Burlington.

— Ô mon ami ! tu es un scélérat !

— Je suis un homme qui t’adore, Cléontine, qui brûle de te voir riche et de t’épouser.

— Mais mon père… tout ce qu’il a fait pour toi…

— Il n’est rien qui ne disparaisse, près des sentiments que je te dois ; il faut que je te possède, Cléontine : il n’est rien que je ne sacrifie pour y réussir.

L’ardente créature m’accable de ses remerciements, de ses baisers ; elle jure de m’aider, et des flots de foutre, à l’instant répandus, cimentent des serments que je suis bien loin de vouloir tenir.

Cependant, comme toute la première partie de mon projet m’amenait au dénouement que j’y substituais, je ne tardai pas à mettre cette première partie à exécution. Clotilde, par mes soins, surprend bientôt son mari dans les bras de sa sœur. Et ce n’est plus pour se venger de son seul infidèle qu’elle reçoit des avis de moi, c’est pour les immoler tous deux.

— Ce souhait me regarde, lui dis-je, je suis trop outré de ce qu’on vous fait, pour ne pas sacrifier ceux qui vous outragent. Vos jours ne seraient plus en sûreté avec de tels parents ; consentez à ce que je les immole, si vous ne voulez pas périr vous-même.

Un silence expressif est la réponse de Clotilde ; et le même breuvage, aussitôt, la défait à la fois d’une sœur et d’un époux… Je les avais foutus tous les deux le matin.

Je reprends alors la seconde partie de mon projet.

— Ô Clotilde ! dis-je avec frayeur, ces deux morts promptes effraient votre père ; je crains que le soupçon ne s’éveille dans son âme ; il a eu vos motifs de plaintes : pourquoi n’attribuerait-il pas à votre vengeance la perte de son gendre et de sa fille ? Or, s’il le fait, vous êtes perdue ; préparez-vous donc à la meilleure défense, si ce malheur arrive…

De ce moment, le soupçon que je fais redouter à Clotilde, je le sème avec art dans l’esprit de son père.

— Ne cherchez point ailleurs que dans Clotilde l’assassin de Tilson et de Cléontine, dis-je à cet honnête homme ; quelle autre qu’elle aurait à cette horreur un intérêt plus puissant ? Et si, comme vous n’en sauriez douter, cette malheureuse a pu mépriser à ce point et ses devoirs et la voix plus puissante encore de la nature, présumez de quel danger il est pour vous de conserver un tel serpent dans votre sein…

Je joins de fausses preuves à ces assertions calomnieuses ; milord est convaincu : sa fille est arrêtée. Mes défenseurs gagés volent alors auprès de Clotilde ; ils n’ont pas de peine à lui persuader combien la récrimination devient nécessaire : on met entre les mains de lady tout ce qu’il faut pour l’appuyer. Cette intéressante créature me fait prier de ne la point abandonner : sa main, si je le veux, sera ma récompense. Je lui réponds de ma fidélité. Burlington, vivement soupçonné du crime dont il charge sa fille, est promptement traduit devant les tribunaux ; on l’accuse, par mes soins et mes instigations, de s’être traîtreusement défait de son gendre… et de sa fille, et d’avoir fait enfermer Clotilde comme coupable d’un crime que lui seul a commis. Un mois suffit à l’instruction d’un procès qui fit tant de bruit à Londres ; et j’ai, dans ce court intervalle, la douce satisfaction de briser les fers du principal ressort de mes affreux forfaits, et d’en voir expirer la victime.

— Clotilde, m’écriai-je dès que la reconnaissance conduisit à mes pieds cette belle femme, presse-toi de t’emparer du bien de ton père ; n’ayant point d’enfant de Tilson, tu ne peux malheureusement prétendre au sien, mais réalise ce qui t’appartient, et partons. Quelques yeux s’ouvriraient peut-être de trop près sur notre conduite, ne donnons le temps à aucun retour, et fuyons avec promptitude.

— Ô Borchamps ! qu’il est affreux pour moi de ne devoir la vie qu’à la mort de mon père !

— Éteins promptement ce remords imbécile, m’empressai-je de répondre à ma charmante maîtresse ; songe que ton père n’aspirait qu’à te perdre, et que tout est permis pour conserver ses jours.

— Ta main, au moins, Borchamps, séchera-t-elle mes pleurs ?

— En doutes-tu, cher ange ? Ah ! qu’un prêtre, demain, fasse la cérémonie ; que les plus doux plaisirs de l’hymen nous couronnent dès le même jour, et que celui d’ensuite éclaire notre prompte évasion d’un pays où les suites de la malheureuse affaire que nous venons d’avoir pourraient incessamment peut-être tourner à notre désavantage.

Tout s’exécute comme je le désire, et Clotilde est ma femme… Il y avait trop peu de temps qu’elle avait perdu son époux, pour que nous osassions publier nos nœuds, mais ils n’en reçurent pas moins la sanction des lois divines et humaines.

Il faudrait bien se garder, ici, de considérer Clotilde comme coupable de toutes les actions qui viennent de vous être racontées. Instrument passif de mes forfaits, elle n’en était nullement la cause ; il s’en fallait bien que cette douce et charmante femme pût être taxée de scélératesse dans tout ce qui s’était passé : le meurtre de sa sœur et de son mari, où elle n’avait consenti que par son silence, n’était bien sûrement que mon ouvrage ; elle était encore bien moins coupable de la mort de son père, et sans mes séductions, mes instigations, mes fausses preuves, elle périssait bien plutôt que Burlington…

Clotilde ne doit donc rien perdre, aux yeux de ceux à qui je parle d’elle, du caractère primitif de candeur, de pudeur, et d’aménité que je lui établis dans cette histoire. Aussi le remords, quoi que je pusse lui dire, ne l’abandonna-t-il jamais : la manière dont j’acquiesçai à l’amour qu’elle m’avoua vint néanmoins calmer quelque temps cet état de peine. Mais je le dis une fois pour toutes, afin que vous vous en souveniez, ne la voyez jamais comme repentante, aussi longtemps que la suite des faits m’obligera de vous en parler. Clotilde, en cette situation, mille fois plus piquante pour moi, m’inspira les choses du monde les plus extraordinaires. Qui le croirait ? même avant de jouir de ses charmes, je voulus qu’ils fussent profanés. Clotilde ne fut pas plus tôt ma femme, que je bandai sur la double idée de ne la foutre cette première nuit qu’aux bordel, et d’y prostituer ses appas au premier venu.

Depuis que j’étais à Londres, j’avais fait la connaissance d’une célèbre maquerelle, chez qui je me dédommageais, avec les plus belles coquines de la capitale, des ennuyeuses longueurs d’une intrigue réglée. Je vais trouver miss Bawil, je lui fais part de mes résolutions ; elle me répond de leur succès : j’y mets pour clause, que les libertins auxquels Clotilde sera livrée se contenteront de pollutions et de mauvais traitements. Tout concerté de part et d’autre, j’engage Clotilde, après la cérémonie, à venir consommer notre mariage chez une amie, plutôt que dans une maison encore entourée de cyprès et couverte de deuil. Clotilde, pleine de confiance, se rend chez miss Bawil, où se sert le plus grand festin. Un autre moins scélérat que moi eût joui de ce moment de bonheur, étouffant les chagrins de Clotilde et né dans elle du charme de m’appartenir. La pauvre imbécile m’en baisait tendrement de joie, quand trois scélérats apostés entrent subitement, le poignard à la main.

— Fuis ! me disent-ils, et laisse-nous cette femme, nous en voulons jouir avant toi…

Je m’échappe, et passe dans un cabinet duquel je puis tout voir. Clotilde, presque évanouie, est promptement déshabillée par ces libertins qui l’exposent nue à mes regards. C’est d’eux que je reçois la vue enchanteresse des appas de Clotilde, et la main perfide du libertinage remplit ici tous les soins de l’amour. Ce ne fut qu’ainsi profanées que j’aperçus les grâces dont la nature avait embelli cette créature divine ; et ce ne fut qu’ainsi que le plus beau cul du monde fut offert à mes yeux lascifs. Une superbe courtisane me branlait pendant ce temps-là, et sur un signal dont j’étais convenu, les outrages redoublèrent bientôt. Clotilde, solidement contenue sur les genoux de l’un des trois, fut flagellée par les deux autres, ensuite condamnée aux pénitences les plus lubriques et les plus humiliantes. En même temps obligée de gamahucher le trou du cul de l’un, elle dut, pendant ce temps, branler les deux autres. Son visage… cet emblème touchant de son âme sensible… son sein, ce sein de roses et de lis, reçurent l’un et l’autre les jets impurs de l’ardeur de ces scélérats, qui, par mes ordres et pour mieux encore humilier la vertu de cette créature enchanteresse, poussant à l’excès les outrages, finirent par lui pisser et lui chier tous trois sur le corps, pendant que j’enculais une autre putain qu’on m’avait donnée pour achever de m’exciter pendant cette scène. Quittant alors, sans décharger, le beau derrière de cette seconde fille, je rentre, l’épée à la main, dans la salle du festin ; j’ai l’air d’amener du monde, je délivre Clotilde, les scélérats à mes gages se sauvent, et me jetant faussement aux pieds de ma belle :

— Ô ma chère âme ! m’écriai-je, ne suis-je point arrivé trop tard ? ces monstres n’ont-ils pas abusé ?…

— Non, mon ami, répond Clotilde, qu’on nettoie et qu’on approprie, non, non, ta femme est encore digne de toi… humiliée, maltraitée, sans doute, mais non déshonorée !… Oh ! pourquoi m’as-tu menée dans cette maison ?

— Ah ! calme-toi, il n’est plus de danger. Miss Bawil a des ennemis qui l’ont surprise elle-même ; mais ma plainte est rendue, la maison libre ; et nous y pouvons passer le reste de la nuit en sûreté.

Clotilde ne fut pas facile à rassurer, elle se remit pourtant, et nous nous couchâmes. Très échauffé de la scène que je venais de provoquer, incroyablement électrisé de ternir ainsi la beauté, la vertu flétrie dans mes bras, je fis des prodiges de vigueur… Si cette charmante créature n’avait pas tout le désordre de l’imagination de sa sœur, elle réparait cela par un esprit plus juste, plus éclairé, et par des beautés de détail infiniment piquantes. Il était impossible d’être plus blanche, mieux faite, impossible d’avoir des attraits plus mignons et plus frais. Clotilde, absolument neuve sur les plaisirs de la lubricité, ignorait jusqu’à la possibilité de frayer la route détournée de Cythère.

— Mon ange, lui dis-je, il faut qu’un époux trouve des prémices le jour de ses noces ; n’ayant que ceux-là, dis-je en touchant le trou de son cul, tu ne dois pas me les refuser.

Je m’en empare en disant cela, et la sodomise cinq fois, revenant toujours décharger dans le con… Telle est l’époque où Clotilde, plus heureuse ou plus ardente avec moi qu’avec Tilson, donna l’être à une fille infortunée, que mon inconstance et mon abandon ne virent jamais naître.

Le lendemain, je me trouvai si las de ma déesse, que si je n’eusse consulté que mes sentiments, Clotilde, en vérité, ne fût jamais sortie de Londres ; mais, persuadé que cette créature pourrait m’être utile dans mes voyages, nous nous disposâmes au départ. Clotilde, par mes soins, réalisa toutes ses prétentions ; douze mille guinées devinrent toute sa fortune, et, les emportant avec nous, je quittai Londres avec mon épouse, deux ans après l’époque à laquelle j’y étais entré.

Poursuivant mes projets de visiter les cours du Nord, nous nous dirigeâmes vers la Suède. Il y avait dix semaines que nous voyagions ensemble, lorsque Clotilde, un jour, revenant sur nos aventures, voulut m’adresser quelques reproches sur la violence des moyens dont je m’étais servi pour la posséder. Je le pris, de ce moment, avec ma chère épouse, sur un ton qui la convainquit que je consentais bien à lui faire commettre des crimes, mais non pas à l’en voir repentir. Les pleurs de Clotilde redoublèrent ; alors je lui dévoilai tout ce qui s’était passé.

— Il n’est rien de ce qui vient de se faire, lui dis-je, qui ne soit mon ouvrage ; le désir de me débarrasser de votre sœur et de votre mari, beaucoup trop foutus par moi ; celui de vous foutre également, et d’avoir votre bien en tuant votre père : voilà, ma chère, les vraies causes de toutes mes entreprises. D’où vous voyez que c’est pour moi seul que j’ai travaillé, et nullement pour vous. Je crois utile d’ajouter à cela, mon ange, que mon intention étant de me jeter dans la carrière la plus débordée, je ne vous ai réunie à mon sort que pour favoriser mes écarts, et nullement pour les contrarier.

— En ce cas, quelle différence mettez-vous, monsieur, entre ce rôle et celui d’une esclave ?

— Et vous-même, quelle différence faites-vous entre une esclave et une femme… épouse ?

— Ah ! Borchamps, que ne vous êtes-vous prononcé de cette manière dès le premier jour que je vous vis ! Et de quelle amertume sont les larmes que vous me forces à répandre sur ma malheureuse famille…

— Plus de larmes, madame, lui dis-je avec dureté, et plus d’illusion sur votre sort ; j’exige de vous une soumission si complète, que s’il me plaisait dans ce moment de faire arrêter ma voiture pour vous faire branler le vit du postillon qui la mène, il faudrait que vous le fissiez, ou que je vous brûlasse la cervelle.

— Oh ! Borchamps, est-ce donc de l’amour ?

— Mais je ne vous aime point, madame, je ne vous ai jamais aimée ; j’ai voulu votre bien et votre ce j’ai l’un, et l’autre, et j’aurai peut-être incessamment beaucoup trop du dernier.

— Et le sort qui m’attend alors sera sans doute celui de Cléontine ?

— J’y mettrai vraisemblablement moins de mystère, et sûrement beaucoup plus de recherches.

Ici, Clotilde voulut employer les armes de son sexe elle se pencha vers moi, pour me baiser, en pleurs ; je la repoussai durement.

— Cruel homme, me dit-elle, presque étouffée par ses sanglots, si tu veux offenser la mère, respecte au moins la triste créature qui doit la vie à ton amour : je suis grosse… et je te supplie d’arrêter à la première ville, car je me trouve bien mal.

Nous arrêtâmes effectivement, et Clotilde, alitée dès le premier jour, tomba sérieusement malade. Impatienté de ne pouvoir continuer ma route, et de me trouver retardé par une créature dont je commençais à me dégoûter d’autant plus, que j’eus toujours les femmes grosses dans la plus grande horreur, j’allais charitablement me déterminer à la laisser là, elle et son enfant, lorsqu’une voyageuse, placée près de la chambre où nous étions, me fit prier de passer un moment chez elle. Dieu ! quelle fut ma surprise en reconnaissant Emma, cette jolie confidente de Sophie, princesse de Hollande, dont je vous ai parlé tout à l’heure.

— Quelle rencontre, madame ! m’écriai-je, et que j’en remercie la fortune ! Mais êtes-vous seule ici ?

— Oui, me répondit cette charmante créature ; je fuis comme vous une maîtresse insatiable, ambitieuse et qu’on ne peut servir sans se perdre. Oh ! Borchamps, que vous fûtes heureux de prendre si fermement votre parti ! Vous ne savez pas à quoi vous destinait sa perfide politique. Il était faux que son époux fût de moitié dans tout ce qu’elle méditait ; son intention était de s’en défaire par vos mains, et vous étiez perdu si le coup n’eût pas réussi. Désespérée de votre fuite, elle a continué de nourrir ses perfides desseins pendant deux années, au bout desquelles elle a voulu que je me chargeasse de l’uxoricide qu’elle méditait. S’il n’eût été question que d’un crime ordinaire, je l’eusse exécuté, sans doute, car le crime m’amuse ; j’aime la secousse qu’il donne à la machine, son effervescence me délecte, et comme je n’ai plus aucun préjugé, je me livre sans aucun remords ; mais une action aussi importante que celle-là m’a fait trembler, et j’ai fait comme vous, pour ne pas devenir sa victime, ayant refusé d’être sa complice….

— Charmante femme, dis-je en baisant Emma, bannissons tout cérémonial ; nous nous connaissons d’assez près pour qu’il soit inutile. Laisse-moi donc te répéter, cher ange, qu’il est impossible d’être plus content que je ne le suis de te retrouver. Contenu par l’exigeante, Sophie, nous ne pouvions nous livrer à ce que nous éprouvions l’un pour l’autre ; ici rien ne nous gêne…

— Je ne vois pas cela du même œil, me dit Emma, puisque vous avez une femme avec vous…. Peut-on savoir quelle est cette femme ?

— La mienne.

Et je m’empresse de raconter à ma nouvelle amie toute mon histoire de Londres et mes roueries avec la famille Burlington, dont je tenais ici la dernière souche. Emma, aussi coquine que moi, rit beaucoup de cette aventure, et me demande à voir ma tendre épouse.

— Il faut la laisser là, me dit-elle, je gage te convenir infiniment mieux que cette bégueule ; je ne te demande point de sacrement, moi : j’ai toujours détesté les cérémonies de l’Église. Quoique née noble, mais malheureusement perdue par mes débauches et mon attachement à Sophie, je ne te demande d’autre titre que celui de ta maîtresse et ta plus chère amie… Comment sont tes finances ?

— Dans le meilleur ordre. Je suis infiniment riche, et n’appréhende rien de la misère.

— Voilà qui me désole ; j’ai cent mille écus, je comptais te les offrir ; tu dépendais alors, en quelque façon, de moi, et ces liens faisaient mon bonheur.

— Emma, je te sais gré de ta délicatesse, mais je ne me serais jamais enchaîné de cette manière avec toi ; mon âme est trop élevée pour vouloir dépendre d’une femme : il faut, ou que je ne m’en serve pas, ou que je les domine.

— Eh bien ! je serai donc ta putain, ce rôle m’amuse combien me donnerais-tu par mois ?

— Qu’avais-tu de Sophie ?

— La valeur de cent louis de Francs.

— Je te les donne ; mais tu seras fidèle et soumise ?

— Comme une esclave.

— Il faut, de ce moment, que tu me remettes tes fonds ; il ne doit rester entre tes mains aucun moyen de me manquer.

— Les voilà, me dit Emma, en m’apportant aussitôt sa cassette.

— Mais, mon ange, tu as donc volé cette somme ? Il serait impossible que cent louis par mois t’eussent composé cette fortune.

— Crois-tu que j’aie quitté cette Messaline, sans avoir caressé son trésor ? J’aurais été bien dupe !

— Et si je te rendais ce que tu as fait ?

— Borchamps, je t’aime, tout est à toi ; ce n’est pas un dépôt que je mets dans tes mains, c’est un don ; mais ce don et mes faveurs ne sont pourtant qu’à une condition.

— Quelle est-elle ?

— Je veux que nous nous débarrassions à l’instant de cette ennuyeuse créature que tu traînes après toi : il faut absolument nous en amuser.

— Tu me payes donc sa mort ?

— Oui, les cent mille écus ne sont qu’à ce prix.

— Friponne, tu es délicieuse ; cette idée m’amuse infiniment ; mais il faut embellir ce projet de quelques épisodes un peu fermes.

— Quoique malade ?

— L’objet n’est-il pas de la faire crever ?

— Sans doute.

— Eh bien ! suis-moi, je vais te présenter à elle comme une épouse irritée qui vient réclamer ma main ; je m’excuserai sur l’amour violent que j’avais conçu pour elle, unique cause du mystère que je lui en avais fait ; tu fulmineras : je serai contraint à lui déclarer que je l’abandonne, et la pauvre femme, avec son fruit, en mourra de chagrin.

— Elle est grosse ?

— Assurément.

— Oh ! ce sera délicieux !…

Et je vis, dans les yeux enflammés d’Emma, combien cette scélératesse l’irritait ; la putain n’y tient pas, elle me baise, et son foutre part… Nous entrâmes.

Une fois dans la chambre de Clotilde, nous y jouâmes si bien notre rôle, que la pauvre malheureuse avala le poison jusqu’à la lie. Emma, spirituelle, taquine et méchante, soutint qu’en la fuyant je l’avais volée, et que rien de ce qui se trouvait dans cet appartement ne devait appartenir à cette aventurière. Je convins de tout, et ma triste épouse, n’apercevant que trop l’affreuse situation qui la menace, retourne sa belle tête pour cacher ses pleurs.

— Je ne vous quitte plus, traître, dit énergiquement Emma, ce n’est qu’en restant ici que je puis établir mes droits ; je n’en sors plus.

Et le souper s’apporte dans la chambre de la pauvre malade. Emma et moi faisons bonne chère : nous demandons les meilleurs vins, pendant que l’infortunée Clotilde, volée, pillée jusqu’à son dernier sou, n’aura bientôt plus pour toute nourriture que son désespoir et ses larmes. Le souper fait, ce fut sur les pieds du lit de la moribonde, que nous célébrâmes le plaisir de nous retrouver.

Rien n’était joli comme Emma : vingt et un ans, la figure de la volupté même, une taille de nymphe, les plus beaux yeux noirs, la bouche la plus fraîche, la mieux ornée, la plus belle peau, la gorge et les fesses moulées, libertine d’ailleurs au suprême degré, tout le sel, tout le piquant de la lubricité cruelle. Nous foutîmes délicieusement de toutes les manières, en nous amusant du spectacle, vraiment piquant, des cruelles angoisses de ma femme, de son désespoir et de ses cris.

Emma voulut, pendant que je l’enculais, que sa malheureuse rivale nous montrât ses fesses. À peine pouvait-elle se bouger, et cependant il fallut obéir. Je claquais ce beau cul qui venait de faire mes délices, et que j’abandonnais si cruellement… Je le frappais d’une telle violence, que la pauvre femme, affaiblie par la douleur et par la maladie resta sans mouvement sur son lit.

— Il faut l’égorger, dis-je en limant Emma de toute mes forces.

— Gardons-nous-en bien, me répondit cette belle fille pleine d’esprit et d’imagination ; il est bien plus délicieux de l’abandonner ici, de la perdre de réputation dans l’auberge, et d’être sûrs, en la laissant ainsi sans ressources, qu’elle périra de misère ou qu’elle se jettera dans le libertinage…

Cette dernière idée m’ayant fait prodigieusement décharger, nous nous préparâmes à partir. Tout fut soigneusement emporté ; nous dépouillâmes Clotilde, au point de ne pas même lui laisser de chemise ; nous lui arrachâmes jusqu’à ses bagues, ses boucles d’oreilles, ses souliers, en un mot, elle resta nue comme le jour qu’elle était venue au monde ; la malheureuse pleura, et m’adressa les choses les plus tendres.

— Hélas ! me disait-elle, excepté de m’assassiner, vous ne sauriez porter la barbarie plus loin. Ah ! que le ciel vous pardonne, comme je le fais ; et quelle que soit la carrière que vous allez parcourir, souvenez-vous quelquefois d’une femme qui n’eut jamais d’autres torts envers vous que de vous trop aimer.

— Bon, bon, lui dit cruellement Emma, tu es jeune, tu n’as qu’à branler des vits, tu gagneras de l’argent. Remercie-nous, au lieu de nous blâmer ; nous pourrions t’arracher la vie, nous te la laissons.

Au moment du départ, Emma fut parler aux gens de l’auberge.

— La créature que nous vous laissons là-haut, leur dit-elle, est une putain qui m’enlevait mon mari ; le hasard me l’a fait rencontrer ici ; je rentre dans mes droits, et reprends avec sa personne, tous les effets que me dérobait cette coquine. Voilà sa dépense payée jusqu’à ce jour, faites-en maintenant ce que vous voudrez ; nous lui laissons plus qu’il ne lui faut pour s’acquitter envers vous, et retourner dans sa patrie. Voici la clef de sa chambre, adieu…

Une voiture, attelée de six chevaux de poste, nous enlevait avec trop de rapidité, pour que nous pussions attendre la suite d’une aventure, à laquelle, de ce moment, nous ne prîmes plus le moindre intérêt.

— Voilà, me dit Emma, une excellente histoire, et qui me dévoile suffisamment ton caractère pour m’attacher à toi. Que va devenir cette gueuse ?

— Elle demandera l’aumône ou branlera des vits ; que nous importe.

Et, pour donner un autre tour à la conversation, je priai Emma de me donner quelque lumière sur sa personne.

— Je suis née à Bruxelles, me dit cette belle femme ; il est inutile de vous dévoiler ma naissance ; qu’il vous suffise de savoir que mes parents tiennent le premier rang dans cette ville. Je fus sacrifiée, fort jeune, à un époux que je ne pouvais souffrir ; celui que j’aimais lui chercha querelle et l’assassina, par derrière, en le venant chercher pour aller se battre avec lui… Je suis perdu, me dit mon amant, j’ai trop écouté ma vengeance ; il faut que je fuie maintenant, suis-moi si tu m’aimes, Emma ; j’ai de quoi te faire vivre à l’aise le reste de tes jours… Oh ! Borchamps, pouvais-je refuser un homme que perdaient mes conseils ?

— Quoi, ce meurtre était ton ouvrage ?

— En doutes-tu, mon cher, et dois-je te déguiser quelque chose ?… Je suivis mon amant ; il me manqua ; je lui fis rendre le même tour qu’il avait joué à mon mari. Sophie sut mon histoire : elle aimait le crime… elle adora bientôt ma personne. Les développements de mon caractère lui plurent, nous nous branlâmes ; je fus initiée dans tous ses secrets ; c’est à elle que je dois les principes dans lesquels je suis si bien affermie maintenant : quoique j’aie fini par la voler, il n’en est pas moins vrai que, je l’ai constamment chérie. Le prodigieux libertinage de son esprit, le feu de son imagination, tout m’attachait à elle ; et sans la crainte que m’inspirèrent ses dernières propositions, je ne l’aurais peut-être jamais quittée de ma vie.

— Emma, je vous connais ; vous vous seriez promptement ennuyée de n’être que l’instrument passif du crime des autres ; vous auriez fini par ne plus vouloir en commettre que pour votre compte, et, tôt ou tard, vous auriez quitté cette femme. Est-elle jalouse ?

— Horriblement.

— Vous permettait-elle au moins des femmes ?

— Jamais d’autres que celles qu’elle associait à ses plaisirs.

— Je vous le répète, Emma, vous n’auriez pas vécu longtemps avec Sophie.

— Oh ! mon ami, je rends grâce au sort qui me l’a fait quitter pour toi ; souvenons-nous de la foi des Bohèmes : que nos aiguillons piquent tous les autres, mais qu’ils ne se tournent jamais contre nous…

Quelque jolie que fût Emma, quelque ressemblance qu’il y eût de son caractère au mien, je n’étais pas encore assez sûr de moi, pour lui répondre d’une balance exacte dans l’association qu’elle désirait, et je lui laissai interpréter comme elle le voulut mon profond silence. Était-il donc un crime au monde que je pusse m’engager à ne pas commettre ?

Cependant notre liaison se cimenta, nos arrangements se prirent ; leur première base fut la promesse inviolable et mutuelle de ne jamais manquer l’occasion de mal faire, de la faire naître autant que cela dépendrait de nous, et que le fruit de nos vols communs ou de nos rapines se partagerait toujours.

Nous n’avions pas fait vingt lieues, qu’une occasion se présenta de mettre en action, et nos maximes et nos serments. Nous traversions la Gothie, et nous nous trouvions aux environs de Jocopingk, lorsqu’une voiture française, qui courait devant nous, se brisa tellement, que le maître, éloigné de son valet qui commandait les chevaux en avant, fut forcé d’attendre, avec tous ses bagages, au milieu du chemin, que quelqu’un lui proposât des secours. Nous lui offrîmes ce service attendu, et sûmes de celui que nous secourions, qu’il était un fameux négociant français allant à Stockholm pour les affaires de sa maison. Villeneuil, âgé de vingt-trois ans, et de la plus jolie figure du monde, avec toute la candeur et toute la bonne foi de sa nation :

— Mille et mille remerciements, nous dit-il, de la place que vous voulez bien me donner dans votre voiture jusqu’à la première poste. Je l’accepte avec d’autant plus de plaisir, que voilà dans cette cassette des objets d’une majeure importance ; ce sont des diamants, de l’or, des lettres de change, dont je suis chargé par trois des plus fortes maisons de Paris, pour leurs correspondants de Stockholm. Vous jugez dans quel état je serais, si j’avais le malheur de perdre de telles choses.

— Que de grâces ne rendons-nous pas à la fortune, en ce cas, monsieur, de nous mettre à même de vous conserver de si précieux effets, dit Emma. Voulez-vous bien nous les confier et monter avec nous ? Nous vous devrons, pour cette complaisance, le bonheur de sauver à la fois, et vous et votre fortune…

Villeneuil monte ; nous recommandons au postillon de garder la voiture et le reste des équipages, jusqu’à ce que ce jeune homme ait eu le temps d’envoyer son valet au secours de l’un et de l’autre. À peine eûmes-nous cette charmante proie dans notre voiture, qu’Emma me prit la main…

— Je l’entends, lui dis-je bas, mais il faut à cela quelques épisodes…

— Assurément, me répondit-elle.

Et nous avançâmes… Arrivés dans la petite ville de Wimerbi, nous trouvâmes à la poste le laquais de Villeneuil, et l’envoyâmes sur-le-champ au-devant de la voiture de son maître.

— Vous aviez, sans doute, dis-je au jeune homme, l’intention de coucher ici ? Mais la promptitude que nous sommes obligés de mettre à notre voyage ne nous le permettant pas, nous allons vous descendre et prendre congé de vous.

L’ardent Villeneuil, qui n’avait pas vu sans émotion les charmes de mon amie, parut fâché de l’obligation qui nous séparait si tôt, et ma compagne, saisissant ce mouvement avec rapidité, dit au voyageur qu’elle ne voyait pas, dans ce fait, qu’il fût bien nécessaire de se quitter ; et que puisqu’on avait eu le plaisir de faire route quelques heures ensemble, il lui paraissait extrêmement aisé de ne se quitter qu’à Stockholm.

— Assurément, répondis-je, et voici selon moi quel serait le moyen. Il faut que monsieur laisse ici pour son valet une lettre, qui lui recommandera de venir le trouver à l’hôtel de Danemark, où nous allons descendre à Stockholm. Cette précaution arrange tout et ne nous sépare point.

— Je la saisis avec ardeur, dit le jeune homme en jetant, à mon insu, des yeux passionnés sur Emma, qui lui laisse promptement comprendre, par les siens, qu’elle n’est nullement fâchée de le voir se prêter à tout ce qui le rapproche d’elle.

Villeneuil écrit, la lettre se laisse à l’aubergiste, et nous volons à Stockholm. Il nous restait environ trente lieues à faire ; nous arrivâmes le lendemain au soir, et ce ne fut que là que mon amie me fit part de la ruse qu’elle avait imaginée pour assurer l’exécution du forfait médité. La coquine, descendue sous prétexte d’un besoin, avait lestement écrit un billet différent de celui qu’écrivait Villeneuil ; elle l’avait substitué à celui-ci, et prescrivait au laquais, dans le sien, de descendre aux Armes d’Angleterre, et nullement à l’hôtel de Danemark.

Une fois à Stockholm, son premier soin, comme vous l’imaginez facilement, fut d’apaiser l’inquiétude du jeune négociant sur le retard de sa voiture ; elle y mit tout ce qu’elle crut de plus capable de le tranquilliser et de l’étourdir à la fois. Villeneuil était amoureux ; il devenait impossible d’en douter ; et mon amie, d’après cela, lui fit le plus beau jeu du monde. Villeneuil parut jaloux de moi.

— Vous ne voulez pas, sans doute, lui dit Emma, faire de ceci une aventure de roman ; vous me désirez, Villeneuil, mais vous ne m’aimez point. Je ne puis d’ailleurs être à vous ; rien au monde ne me ferait quitter Borchamps ; il est mon mari. Contentez-vous donc de ce que je puis vous offrir sans aspirer à ce qu’il m’est impossible de vous donner ; et croyez qu’en nous en tenant là, mon époux, né fort libertin, est homme à se joindre à nous, afin de composer de tout ceci une scène de lubricité qui l’amuse, en nous délectant tous les deux. Borchamps aime les hommes, vous êtes fort joli, consentez à lui prêter vos charmes, et je vous garantis qu’avec ces clauses il vous laissera jouir en paix des miens.

— Vous croyez ?

— J’en suis sûre. Vous ne répugnez pas à cette complaisance !

— Pas autrement : ce sont des habitudes de collège que je trouve très simple de voir conservées, et que j’ai moi-même comme les autres.

— Il n’est donc question que de s’arranger ?

— Je consens à tout…

Et l’adroite Emma, ouvrant précipitamment une garde-robe où j’étais caché :

— Viens, Borchamps, s’écrie-t-elle, Villeneuil t’offre son cul ; demandons à souper, enfermons-nous et que rien ne trouble nos plaisirs.

— Charmant jeune homme, dis-je au voyageur, en lui enfonçant ma langue dans la bouche, quoique bien pénétré du désir de le tuer quand je l’aurais foutu, que je vous sais gré de votre complaisance… Y a-t-il rien de si simple que cette sorte de commerce ? Je vous cède ma femme, vous me donnez votre cul : pourquoi ne pas se rendre heureux, quand on le peut aussi facilement ?

Pendant ce discours, mon amie déculottait… et si ses mains délicates mettaient au jour le plus beau vit du monde, les miennes découvraient également bientôt le plus sublime derrière qu’il fût possible de voir. À genoux devant ce cul divin, il m’était impossible de m’en rassasier, et je le lécherais, je le sucerais peut-être encore, si ma chère Emma n’eût point détourné mon attention pour me faire apercevoir le membre sublime dont était pourvue notre proie. À peine ai-je empoigné cet engin superbe, que je lui présente un cul qui brûle du désir de le posséder :

— Ô Villeneuil ! m’écriai-je, daigne commencer par moi ; ces charmes que tu désires, poursuivis-je en désignant Emma, vont t’appartenir aussitôt que tu te seras rendu maître de mon cul ; mais songe qu’ils ne te seront accordés qu’à ce prix.

Je suis foutu : voilà l’unique réponse de Villeneuil. Je lui trousse ma maîtresse, il la manie, il la baise en me foutant ; et n’étant plus le maître de sa passion, l’animal me quitte pour enfiler le con haletant d’Emma. Voyant ses fesses bien à ma portée, je m’en empare et le sodomise, pour me venger de l’affront qu’il vient de me faire ; il décharge ; je le ressaisis au sortir du con d’Emma ; lui trouvant encore assez de roideur, je me le renfonce dans l’anus, j’encule Emma, et la plus douce extase vient encore une fois couronner nos plaisirs ; nous recommençâmes, Villeneuil enconne mon amie, je l’encule ; au milieu de nous, la putain, près de deux heures, se démena comme Messaline ; Villeneuil l’encule, je l’enconne, je refous Villeneuil, il me le rend ; la nuit entière enfin se passe dans l’ivresse… et l’inquiétude reprend dès qu’elle est dissipée.

— Mon valet n’arrive point, dit Villeneuil.

— Sans doute, répond Emma, que la réparation de votre voiture le retarde ; votre lettre l’instruisait trop bien pour qu’il puisse se tromper, il n’est question que d’un peu de patience ; n’avez-vous pas, d’ailleurs, avec vous, vos effets les plus précieux ? Rien ne vous empêche de les porter à leur destination.

— J’irai demain, dit Villeneuil.

Et comme les plaisirs l’avaient épuisé, il se couche et s’endort de bonne heure.

— Emma, dis-je à ma compagne, sitôt que je le vis dans les bras du sommeil, voici le moment d’agir ; si nous tardons, les immenses richesses de ce faquin nous échappent.

— Ah ! mon ami, dans une auberge, que ferons-nous de son cadavre ?

— Il faut le couper en morceaux et le brûler ; cet homme n’a point de suite, jamais personne ne le viendra réclamer ici. Son valet, par les précautions que tu as prises, ne l’ira chercher qu’à l’autre extrémité de la ville. Nous le laisserons se tirer d’affaire comme il pourra ; et quelques recherches qu’il fasse, je lui défie de trouver son maître : je n’ai donné d’autre nom, aux portes de la ville, que celui d’un valet nous appartenant ; nous avons renvoyé ce valet, tout est dit.

Puis, ouvrant la cassette avec la clef que nous avions doucement dérobée dans sa poche, et considérant cette masse énorme d’or et de pierreries :

— Oh ! ma chère amie, m’écriai-je, ne serions-nous pas bien fous de balancer une minute entre la vie de ce coquin et la possession de tant de richesses ?

Nous nous délections à ce spectacle, lorsqu’on vient tout à coup frapper à notre porte. Juste ciel ! quelle contrariété ! c’est la voiture de Villeneuil, c’est son valet. Cet animal nous avait trouvés, on lui avait dit, aux Armes d’Angleterre, que puisque nous n’étions pas là, il devait nécessairement y avoir une erreur, et qu’assurément on nous trouverait à l’hôtel de Danemark. Il n’y avait pas moyen de lui cacher son maître ; il le voyait dans le lit.

— Mon ami, dis-je aussitôt au valet sans perdre la tête, n’éveillez pas M. de Villeneuil ; un mouvement de fièvre, avec lequel il s’est couché, lui rend le repos extrêmement nécessaire ; retournez au logis où vous étiez, et soyez sûr que c’était pour de bonnes raisons qu’il vous avait adressé là : quelques commissions secrètes dont il est chargé ne lui permettent pas de se loger publiquement avec ses équipages. Il nous a chargés très positivement de vous dire, dans le cas où vous paraîtriez, de retourner au logis indiqué par le billet que lui-même dicta pour vous, à mon épouse, lorsque nous passâmes à Wimerbi, et d’attendre là ses ordres, sans les prévenir ou les venir chercher.

— À la bonne heure, répondit le valet ; je vais donc renvoyer la voiture.

— Assurément. Voilà de l’or, si vous en manquez ; tranquillisez-vous, et soyez bien certain, qu’avant trois jours, vous aurez des nouvelles de votre maître.

Le valet et la voiture repartent, et nous voilà, ma compagne et moi, occupés de nouveaux moyens.

— Commençons, dis-je, par suivre notre premier projet ; débarrassons-nous de cet homme ; dès qu’il n’existera plus, nous nous déferons facilement du valet, et nous y gagnerons, de plus, le reste des équipages, sur lequel nous ne comptions pas.

Le malheureux jeune homme est coupé par morceaux ; un ardent brasier consume ses chairs ; et tous deux, échauffés de l’horreur que nous venons de commettre, nous passons le reste de la nuit dans le sein des plus sales débauches. Le lendemain, je fus seul, aux Armes d’Angleterre :

— Mon ami, dis-je au valet, je suis muni d’un ordre de votre maître pour vous conduire, avec moi, à deux lieues d’ici, dans une maison de campagne où il vous attend avec impatience ; laissez vos effets, recommandez surtout en partant qu’on ne les remette qu’à moi ; pressons-nous.

Nous sortons de la ville, et quand je tiens mon homme dans une solitude affreuse qui borne Stockholm de ce côté :

— Va, dis-je au malheureux en lui brûlant la cervelle, va retrouver ton maître en enfer ; c’est là où nous envoyons tous ceux qui ont de l’argent, et qui ne veulent pas nous en donner de bonne grâce.

D’un coup de pied, je fais rouler le cadavre dans le fond d’un précipice, et, mon opération faite, je me retourne pour prendre le chemin de la ville, lorsque j’aperçois un enfant de treize à quatorze ans qui gardait un troupeau de moutons. Oh, ciel ! me dis-je, je suis perdu, me voilà découvert… Allons, sacredieu, ne balançons pas ! Je saisis l’enfant, entortille sa tête d’un mouchoir ; je le viole, les deux pucelages sautent d’un seul coup, et je lui fais voler le crâne tout en lui déchargeant dans le cul. Voilà, me dis-je, très content de cette action, le moyen sûr de ne jamais craindre les témoins ; et je vole aux Armes d’Angleterre, d’où je fais sortir aussitôt la voiture et les malles, pour les conduire où nous étions.

Je retrouvai ma compagne dans une sorte d’inquiétude qui m’alarma.

— Qu’as-tu donc ? lui dis-je, manquerais-tu de force ?

— Les suites de cette affaire me tracassent, me dit Emma, Villeneuil n’arrive pas à Stockholm sans y être annoncé à ses correspondants ; on s’informera ; on le cherchera dans toutes les auberges ; ces procédés fort présumables vont tout découvrir, et nous perdre ; partons, mon ami, quittons ce pays où tout me fait une peur horrible.

— Emma, je te croyais plus d’énergie ; s’il fallait fuir chaque fois que l’on commet un crime, on ne pourrait jamais s’établir nulle part. Cesse de craindre, ma chère ; la nature, qui désire les crimes, surveille ceux qui les commettent, et l’on est bien rarement puni d’avoir exécuté ses lois. J’ai des lettres pour tout ce que la Suède a de plus grand ; je vais les présenter : sois sûre qu’il ne sera pas une seule de ces nouvelles connaissances dont nous ne puissions recueillir quelques branches de crimes ; gardons-nous seulement d’échapper au sort heureux qui nous attend.

À mon arrivée en Suède, la capitale, ainsi que tout le royaume, se trouvait vivement agitée par deux partis puissants : l’un, mécontent de la Cour, brûlait d’en envahir le pouvoir ; l’autre, celui de Gustave III, paraissait bien déterminé à tout sacrifier pour maintenir le despotisme sur le trône ; la Cour, et tout ce qui y tenait, formaient ce dernier parti ; le premier était composé du sénat et de quelques portions du militaire. L’instant d’un nouveau règne parut propice aux mécontents : on a meilleur marché d’une autorité naissante que d’un pouvoir affermi ; les sénateurs le sentirent, et projetèrent de ne rien épargner pour conserver les droits qu’ils tâchaient d’usurper depuis longtemps ; leur tutelle était dure : ils osèrent la porter au point de faire ouvrir les lettres du roi dans leurs assemblées, afin d’y répondre ou de les interpréter à leur guise ; peu à peu la puissance de ces magistrats crût à tel point, que Gustave pouvait à peine disposer des places de son royaume.

Voilà l’état de la Suède, lorsque je me présentai chez le sénateur Steno qui était, en quelque façon, l’âme du parti sénatorial. Je fus reçu du jeune magistrat et de sa femme, avec les démonstrations de la politesse la plus agréable, et, j’ose dire, de l’intérêt le plus vif. On me gronda de n’avoir pas amené ma compagne dès le premier jour ; et ce ne fut qu’en acceptant à dîner, pour elle et pour moi, le lendemain, que je parvins à calmer les reproches du jeune sénateur.

Emma, qui passait pour ma femme et qui réunissait tout ce qui pouvait faire les délices de la bonne société, fut reçue le plus agréablement ; et les liens de la plus tendre amitié réunirent aussitôt, et cette charmante créature et l’aimable épouse du sénateur102.

Si le jeune Suédois, ayant vingt-sept ans, pouvait, avec raison, passer pour l’un des plus aimables, des plus riches et des plus spirituels seigneurs de Suède, on peut assurer sans exagération qu’Ernestine, sa femme, était bien sûrement la plus jolie créature qu’il y eût dans tous les royaumes du Nord. Dix-neuf ans, les plus beaux cheveux blonds, la taille la plus majestueuse… les plus jolis yeux noirs… les traits les plus doux et les plus délicats, tels étaient les charmes dont la nature avait embelli cette femme angélique qui, non contente de tant de faveurs, réunissait encore à ses attraits physiques l’esprit le plus orné, le caractère le plus ferme, et la philosophie la plus sûre.

Dès la quatrième fois que nous nous vîmes, Steno me demanda à qui s’adressaient les autres lettres de recommandation que l’on m’avait données. Je les lui fis voir, et quand il eut lu sur les suscriptions le nom de plusieurs gens de la Cour :

— Aimable Français, me dit-il, il faudra, si vous portez ces lettres, renoncer au plaisir de nous voir. De puissants intérêts divisent ma maison de celles où vous devez aller. Ennemis jurés du despotisme de la Cour, mes confrères, mes amis, mes parents ne voient aucun de ceux qui servent ou partagent ce despotisme.

— Oh ! monsieur, dis-je, votre façon de penser est trop conforme à la mienne, pour que je ne vous fasse pas à l’instant le plus léger sacrifice de tout ce qui paraîtrait devoir m’asservir au parti contraire à celui que vous suivez : j’abhorre les rois et leur tyrannie. Est-il donc présumable que ce soit entre les mains d’un tel être que la nature ait pu confier le soin de gouverner les hommes ? La facilité avec laquelle un seul individu peut être séduit, trompé, ne suffit-elle pas à dégoûter tous les gens sages du pouvoir monarchique ? Hâtez-vous, braves sénateurs, de rendre au peuple suédois la liberté que Gustave cherche à lui ravir, d’après l’exemple de ses ancêtres ; que les efforts entrepris maintenant par votre jeune prince, pour accroître son autorité, deviennent aussi nuls que ceux qui furent dernièrement essayés par Adolphe. Mais, monsieur, poursuivis-je avec chaleur, pour qu’il ne reste dans votre esprit, à l’avenir, aucun doute sur la sincère promesse que je vous fais d’épouser votre parti tout le temps que je prolongerai mon séjour en Suède, voilà les lettres dont j’étais chargé pour les amis de Gustave, les voilà, brûlons-les ensemble, et permettez-moi de ne m’en rapporter qu’à vous sur le choix des amis que je dois rechercher dans votre ville.

Steno m’embrasse, et sa jeune épouse, témoin de cette conversation, ne peut s’empêcher de me témoigner aussi, de la plus vive manière, à quel point elle est flattée d’attirer à son parti un homme aussi essentiel que moi.

— Borchamps, me dit Steno, vous venez de vous ouvrir avec assez de franchise, pour que je ne puisse plus douter de votre façon de penser. Êtes-vous sincèrement capable d’embrasser chaudement nos intérêts, et de vous lier à nous par tous les nœuds qui captivent des conjurés et des amis sincères ?

— Sénateur, répondis-je avec véhémence, je fais entre vos mains le serment sacré de combattre avec vous jusqu’au dernier des tyrans de la terre, si le poignard qu’il faut pour les détruire est remis à mon bras par vous.

Et je racontai, sur-le-champ, au sénateur, mon aventure avec la princesse de Hollande, bien faite pour lui prouver à quel point j’abhorrais et la tyrannie et ceux qui l’exerçaient.

— Mon ami, me dit le sénateur, votre femme pense-t-elle comme vous ?

— En douterez-vous, répondis-je, quand vous saurez que c’est par les mêmes raisons que moi qu’elle s’est séparée de la princesse de Hollande, qui la comblait de faveurs.

— Eh bien ! me dit Steno, venez sans faute demain au soir, souper tous deux avec mes amis, et vous apprendrez là des choses qui vous surprendront.

Je fis part à Emma de cette conversation.

— Avant que de nous lier là, mon ami, me dit-elle, réfléchis bien où cela peut nous conduire ; rappelle-toi surtout que ce fut bien plutôt, ce me semble, par éloignement pour les affaires d’État que par esprit de parti, que tu refusas de servir la cause de Sophie.

— Non, dis-je, tu te trompes ; en m’interrogeant avec soin, depuis, j’ai senti que la seule horreur que j’eus toute ma vie pour le despotisme d’un seul, m’avait porté au refus que je fis à la femme du stathouder ; avec d’autres vues que les siennes, j’eusse peut-être tout accepté…

— Mais, mon ami, me dit Emma, je ne vois point d’accord dans tes principes ; tu es tyran, et tu détestes la tyrannie ; le despotisme respire dans tes goûts, dans ton cœur, dans ton imagination, et tu te déchaînes contre ses maximes ; explique-moi ces contradictions, ou je refuse de te suivre.

— Emma, dis-je à mon amie, je ne te veux montrer ici que de la pénétration ; souviens-toi de ce que je vais t’annoncer. Ce n’est point par horreur pour la tyrannie que le sénat de Suède est prêt à s’armer contre son souverain : c’est par la jalousie qu’il a de voir ce despotisme en d’autres mains que les siennes ; une fois que le pouvoir sera dans ses mains, sois assurée qu’il ne détestera plus le despotisme, et qu’il l’emploiera, au contraire, à perfectionner son bonheur. En acceptant la proposition de Steno, je joue le même rôle que lui, et, comme lui, je ne veux pas briser le sceptre, mais m’en servir. Souviens-toi que je quitte cette société, à l’instant où je croirai la voir animée par d’autres principes ; ne m’accuse donc plus de contradiction, Emma, n’en accuse pas davantage ceux que tu vois ne combattre la tyrannie qu’avec le despotisme : le trône est du goût de tout le monde, et ce n’est pas le trône qu’on déteste, c’est celui qui s’y assoit. Je me sens quelques dispositions à jouer un rôle dans le monde ; il ne faut ni préjugés, ni vertus pour y réussir : un front d’airain, une âme corrompue, et de la fermeté dans le caractère, j’ai tout cela ; la fortune me présente la main, j’accepte ; pare-toi demain, sois fière, spirituelle et catin ; ce sont, je le crois, les qualités qu’il faudra chez Steno ; ce seront celles qui plairont à mes amis, montre-les, tu les as, et surtout ne frémis de rien.

Nous nous rendîmes à l’heure indiquée, et remarquâmes qu’aussitôt que nous fûmes entrés, un laquais vint dire au portier :

— Ils y sont tous, ne laissez plus entrer personne.

La société se trouvait réunie dans un pavillon situé au bout du jardin de ce vaste palais ; de grands arbres environnaient ce local, qu’on eût pris pour un temple érigé au dieu du silence. Un valet, sans nous accompagner, se contente de nous montrer le lieu où il faut se rendre. Nous entrons ; voici les personnages que nous trouvons rassemblés.

Steno et sa femme vous sont connus, ils se levèrent pour nous recevoir, et nous présentèrent aux six personnes que je vais peindre : c’étaient trois sénateurs et leurs femmes. Le plus âgé des hommes pouvait avoir cinquante ans, on le nommait Eric-Son : l’air noble et majestueux, mais quelque chose de dur dans le regard et de brusque dans le langage. Son épouse se nommait Frédégonde, elle avait trente-cinq ans, plus de beauté que de gentillesse, les traits un peu mâles, mais fiers, ce qu’on appelle une belle femme. Le second sénateur avait quarante ans, il s’appelait Volf : une vivacité prodigieuse, infiniment d’esprit, mais une méchanceté répandue dans les traits. Amélie, sa femme, avait à peine vingt-trois ans ; c’était bien la figure la plus piquante, la taille la plus agréable, la bouche la plus fraîche, les yeux les plus fripons, et la peau la plus belle qu’il fût possible de voir au monde ; on n’a point, en même temps, ni plus d’esprit, ni l’imagination plus ardente ; on n’est ni plus libertine, ni plus délicieuse. Amélie me frappa, j’en conviens. Le troisième sénateur se nommait Brahé, il avait tout au plus trente ans : mince, sec, l’œil sournois, l’air distrait, et, plus qu’aucun de ses confrères, de la roideur, du cynisme et de la férocité. Ulrique, son épouse, était une des plus belles femmes de Stockholm, mais en même temps la plus méchante et la plus spirituelle, la plus attachée au parti sénatorial, la plus capable de le faire valoir ; elle avait deux ans de moins que son époux.

— Mes amis, dit Steno, dès que les portes furent refermées, si je n’avais cru ce gentilhomme français et sa femme dignes de nous, vous ne les verriez pas aujourd’hui dans cette maison ; je vous demande donc avec instance de les admettre dans votre société.

— Monsieur, me dit Brahé en m’adressant la parole avec autant d’énergie que de noblesse, ce que Steno nous assure de vous est fait pour inspirer de la confiance ; mais nous ne vous cachons pourtant pas qu’elle sera mieux établie lorsque vous aurez répondu publiquement aux différentes questions qui vont vous être faites.

D. — Quels sont les motifs qui vous font détester le despotisme des rois ?

R. — La jalousie, l’ambition, l’orgueil, le désespoir d’être dominé, le désir de tyranniser moi-même les autres103.

D. — Le bonheur des peuples entre-t-il pour quelque chose dans vos vues ?

R. — Je n’y vois que le mien propre.

D. — Et quel rôle jouent les passions dans votre manière de considérer tout en politique ?

R. — Le plus grand ; je n’ai jamais cru que ce qu’on appelle un homme d’État eût d’autres véritables penchants que la plus entière satisfaction de ses voluptés : ses plans, les alliances qu’il forme, ses projets, ses impôts, jusqu’à ses lois, tout tend à son individuelle félicité, jamais le bonheur public n’entre pour rien dans ses méditations, et ce que le peuple hébété lui voit faire, n’est jamais que pour se rendre plus puissant ou plus riche.

D. — En sorte que, si vous étiez l’un ou l’autre, vous ne tourneriez ces deux avantages qu’à ceux de vos plaisirs ou de vos jouissances ?

R. — Ce sont les seuls dieux que je connaisse, les seules délices de mon âme.

D. — Et comment voyez-vous la religion dans cela ?

R. — Comme le premier ressort de la tyrannie, celui que le despote doit toujours mouvoir, quand il veut étayer son trône. Le flambeau de la superstition fut toujours l’aurore du despotisme, et c’est toujours avec des fers bénits que le tyran assouplit le peuple.

D. — Vous nous exhortez donc à en faire usage ?

R. — Oui, certes ; si vous voulez régner, qu’un Dieu parle pour vous, et les hommes vous obéiront. Quand sa foudre, tenue dans vos mains, les aura fait trembler, vous aurez bientôt leurs richesses et leurs vies. Persuadez-leur que toutes les infortunes qu’ils ont éprouvées sous le régime que vous voulez leur faire rejeter, ne viennent que de leur irréligion. En les faisant tomber aux pieds de la chimère que vous leur offrirez, ils serviront bientôt de marchepieds à votre ambition, à votre orgueil, à votre luxure.

D. — Vous ne croyez donc pas en Dieu ?

R. — Est-il un seul être raisonnable au monde qui puisse ajouter foi à de tels mensonges ? La nature, toujours en mouvement, peut-elle avoir besoin d’un moteur ? Je voudrais que le corps vivant du fourbe qui, le premier, parla de cette exécrable chimère fût abandonné, pour son supplice, aux mânes de tous les malheureux qui périrent pour elle.

D. — Comment considérez-vous les actions que l’on nomme criminelles ?

R. — Comme des inspirations de la nature, auxquelles il est extravagant de résister ; comme les moyens les plus sûrs dont puisse se servir un homme d’État, pour réunir à lui tout ce qui peut consolider le bonheur, comme les ressorts de tous les gouvernements, comme les seules lois de la nature.

D. — En avez-vous commis de toutes sortes d’espèces ?

R. — Il n’en est pas un seul dont je ne me sois souillé, et dont je ne sois prêt à me couvrir encore.

Ici, Brahé fit une courte analyse de l’histoire des Templiers. Après avoir énergiquement expliqué son indication sur le supplice, aussi injuste qu’atroce, que Philippe le Bel, roi de France, fit subir à Molay, leur dernier grand-maître, dans la seule vue de s’emparer des biens de l’ordre :

— Vous voyez en nous, me dit-il, les chefs de la Loge du Nord, instituée par Molay même, du fond de sa prison de la Bastille. Si nous vous recevons parmi nous, ce n’est qu’avec la condition la plus expresse de jurer sur la victime qui va vous être présentée, la vengeance de ce respectable grand-maître, et d’accomplir en même temps les clauses du serment que voici… Lisez et prononcez intelligiblement :

Je jure, dis-je, d’exterminer tous les rois de la terre ; de faire une guerre éternelle à la religion catholique et au pape ; de prêcher la liberté des peuples ; et de fonder une République universelle.

Un coup de tonnerre affreux se fit entendre ; le pavillon où nous étions trembla ; au moyen d’une trappe, la victime parut, apportant dans ses mains le poignard dont je devais la frapper, et me le présentant. C’était un beau jeune homme de seize ans, entièrement nu. Je prends l’arme, et j’en perce l’holocauste au cœur. Brahé saisit un calice d’or, reçoit le sang, m’en fait boire le premier, présente le vase à tout ce qui est là, et chacun boit, en prononçant un mot barbare, dont le sens est : Nous mourrons plutôt que de nous trahir. La trappe s’enfonce, le cadavre disparaît, et Brahé continue ses questions.

D. — Vous venez, me dit-il, de vous montrer digne de nous ; vous avez vu que notre fermeté répondait à la vôtre, et que nos femmes mêmes étaient inébranlables. Le crime que vous venez de commettre vous est-il d’une indifférence assez grande pour l’employer même dans vos plaisirs ?

R. — Il les augmente, il les électrise ; je l’ai toujours regardé comme l’âme des voluptés libidineuses ; ses effets sur l’imagination sont énormes, et la lubricité n’est rien, si la dépravation de l’esprit n’allume ses flambeaux.

D. — Admettez-vous des restrictions dans les jouissances physiques ?

B. — Je n’en connais même pas.

D. — Tous les sexes, tous les âges, tous les états, tous les degrés de parenté, toutes les manières de jouir de ces différents individus, tout cela, dis-je, est donc indifférent à vos yeux ?

R. — Absolument.

D. — Mais il est, pourtant, quelques jouissances de prédilection à vos yeux ?

R. — Oui, les plus fortes, celles que les sots osent nommer antinaturelles, criminelles, ridicules, scandaleuses… contraires aux lois, à la société… d’un genre féroce. Voilà les jouissances que je préfère, et qui feront toujours le bonheur de ma vie.

— Frère, me dit Brahé, prenez place parmi nous, la société vous reçoit…

Et dès que je suis assis :

— Ce n’est qu’à vous, poursuivit Brahé, que l’on s’en rapporte, pour savoir si votre femme est dans les mêmes principes que vous.

— J’en fais le serment pour elle, répondis-je.

— Écoutez-moi donc, me dit alors le sénateur. La Loge du Nord, dont nous sommes les chefs, est considérable à Stockholm ; mais les simples maçons ignorent nos mœurs, nos secrets, nos coutumes : ils s’en rapportent à nous et obéissent. Je n’ai plus à vous entretenir que sur deux choses, mon frère : nos mœurs et nos intentions. Ces intentions sont de renverser le trône de Suède, ainsi que tous les trônes de l’univers, et principalement ceux où règnent les Bourbons. Mais nos frères des autres parties du monde rempliront ce soin ; nous ne nous occupons que de notre patrie. Une fois sur le trône des rois, aucune espèce de tyrannie n’aura jamais égalé la nôtre, jamais despote n’aura mis sur les yeux du peuple un bandeau plus épais que celui que nous y placerons. L’ignorance essentielle où nous le plongerons, nous l’assouplira bientôt, des ruisseaux de sang couleront, nos frères mêmes ne seront plus que les valets de nos cruautés, et dans nous seuls sera concentré le pouvoir suprême ; toutes les libertés seront enchaînées ; celle de la presse, celle des cultes, celle de penser même, seront sévèrement interdites ; il faut bien se garder d’éclairer le peuple ou de briser ses fers, lorsqu’il s’agit de le conduire. Vous ne seriez point admis, Borchamps, à ce partage d’autorité, votre naissance étrangère vous en exclut ; mais nous vous conférerons le commandement des armées, et surtout des brigands, qui couvriront d’abord la Suède de meurtres et de rapines, pour y cimenter notre puissance. Ferez-vous, quand il en sera temps, le serment de nous être fidèle ?

— Je le fais d’avance.

— Il ne nous reste donc plus qu’à vous parler de nos mœurs. Leur dépravation, mon frère, est affreuse ; le premier serment moral qui nous lie, après ceux de politique dont il vient d’être question, est de nous prostituer mutuellement nos femmes, nos sœurs, nos mères et nos enfants ; de jouir de tous ces êtres-là, pêle-mêle… l’un devant l’autre, et, par préférence, de la manière que Dieu, dit-on, a puni dans Sodome. Des victimes de tout sexe servent à nos orgies, et c’est sur elles que tombe toute l’irrégularité de nos désirs. Votre femme est-elle aussi décidée que vous à l’exécution de ces immoralités ?

— Je le jure, dit Emma.

— Ce n’est pas tout, poursuivit Brahé ; les désordres les plus effrayants nous amusent, il n’est aucun excès où nous ne nous livrions. Nous portons souvent l’atrocité au point de voler, d’assassiner dans les rues, d’empoisonner des puits, des rivières, de produire des incendies, d’occasionner des disettes, de répandre la mortalité sur les bestiaux, et tout cela, moins encore pour nous amuser que pour lasser le peuple du gouvernement actuel, et lui faire ardemment désirer la révolution préparée par nos mains. Ces actions vous révoltent-elles, ou les partagez-vous avec la société, sans remords ?

— Le sentiment que vous nommez là fut toujours étranger à mon cœur : l’univers entier dissous par mes mains ne me coûterait pas une larme…

Ici, je reçois l’accolade fraternelle de toute l’assemblée. J’eus ordre ensuite d’exposer mon derrière, et chaque membre de l’un et de l’autre sexe vint le baiser, le gamahucher, puis enfoncer sa langue dans ma bouche. Emma fut troussée jusqu’à la ceinture ; ses jupes furent rattachées sur ses épaules avec des rubans, et elle reçut les mêmes hommages ; mais quelque belle qu’elle fût, elle ne reçut aucune louange : toutes étaient interdites par les lois de cette assemblée, on m’en prévint.

— Déshabillons-nous tous, dit alors Brahé, qui faisait les fonctions de grand-maître, nous passerons ensuite dans la salle voisine.

Dix minutes suffirent à cette toilette, et nous entrâmes dans un vaste cabinet entouré de canapés à la turque, jonché de coussins et de matelas. La statue de Jacques Molay, sur le bûcher qui consuma son corps, ornait le milieu de cette pièce.

— Voilà, me dit le grand-maître, celui que nous devons venger ; noyons-nous, en attendant cette heureuse époque, dans l’océan de délices que lui-même préparait à ses frères…

Une douce chaleur régnait dans cet agréable réduit, que des faisceaux de lumière, cachée sous des gazes, éclairaient mystérieusement. Tout se mêla, tout se réunit dans un instant. Je m’élance sur l’aimable Amélie ; ses yeux m’avaient enflammé, et je n’avais encore bandé que pour elle ; ses désirs me préviennent, elle est dans mes bras avant que les miens ne l’enlacent. Je vous rendrais mal ses attraits : ils m’enivrèrent trop puissamment pour pouvoir les peindre. On n’eut jamais une bouche plus fraîche, jamais un aussi beau cul. Amélie se courbe, en m’offrant d’elle-même le temple qu’elle sait bien que je vais desservir, et, soit habitude, soit goût, je m’aperçois bientôt que la coquine y met plus de sensation que de complaisance, et que nulle autre attaque ne lui aurait plu davantage. Le désir d’enculer les trois autres femmes, et même leurs maris, m’empêcha de perdre mon foutre dans le délicieux cul d’Amélie ; et je me jetai sur Steno qui sodomisait Emma. Enchanté de la bonne fortune, le sénateur me fit le plus beau cul du monde, que je quittai néanmoins bientôt, pour enfiler celui d’Ernestine, sa femme, belle et voluptueuse créature, que je limai longtemps. Frédégonde m’attire : autant Ernestine avait mis de douceur et de délicatesse dans ses jouissances, autant celle-ci parut y mettre de fureur et d’emportement. En la quittant, je vole à son mari. Eric-Son, âgé de cinquante ans, frétille sous mon vit, comme la colombe sous le ramier, et le paillard met tant de sel dans sa jouissance, qu’il arrache mon foutre ; mais Brahé, qui m’appelle, sait bientôt, en me suçant avec ardeur, rendre à mon engin l’énergie que les belles fesses d’Eric-Son viennent de lui faire perdre, et celles qu’il me présente, et dont je sonde l’anus, me font bientôt oublier tous les plaisirs que je viens de goûter. Je fous Brahé près d’un quart d’heure, et ne le quitte que pour Volf, qui sodomisait Ulrique, dont le cul délicat obtient bientôt mon sperme. Que de libertinage ! que d’impureté dans cette dernière créature ! Tout ce que la volupté peut avoir de plus piquant, tout ce que le libertinage a de plus effréné, fut mis en usage par cette Messaline. S’emparant de mon vit, dès qu’il eut déchargé, il n’y eut rien que la garce ne fît pour le ranimer et se l’introduire dans le con. Mais il lui fut impossible de me vaincre : inviolable sectateur des lois de la société, j’en fus au point de menacer Ulrique de la dénoncer, si elle cherchait plus longtemps à me séduire ; furieuse, la coquine se renfonce mon vit dans le cul, et se démène avec tant d’ardeur que son foutre en jaillit dans la chambre.

Pendant que je foutais ainsi tous les culs de la salle, Emma, fêtée de même, n’avait pas chômé d’un seul vit ; tous lui avaient passé dans le cul, même le mien, mais tous n’avaient pas déchargé ; il était, là, des libertins de profession qu’une seule jouissance, fût-ce même celle d’un beau cul, n’électrisait pas assez vivement pour y perdre aussi facilement du foutre : tous, par exemple, m’enculèrent, et pas un ne me donna du sperme. Eric-Son, le plus débordé de tous, en eût bien foutu quinze comme ceux qu’il avait là à sa disposition, sans que son vit seulement en parût en colère. Brahé, tout jeune et vigoureux qu’il était, sans d’incroyables épisodes dont nous parlerons bientôt, n’en serait pu venu davantage au dénouement. Pour Steno, son affaire était faite : idolâtre d’Emma, le beau cul de cette voluptueuse créature lui avait, disait-il, suffi, et son foutre tout bouillant l’avait inondée. Volf, plus recherché, n’ayant pas, comme son confrère, tout ce qu’il fallait pour déterminer sa décharge, n’avait fait non plus que préluder, et ce ne fut qu’au souper, qu’on servit assez promptement, qu’il me fut possible de démêler tous les goûts bizarres de mes nouveaux acolytes. Ce souper fut dressé dans une salle différente, où six beaux garçons de quinze à dix-huit ans, et six filles charmantes du même âge, se trouvèrent nus pour nous servir. Après un repas somptueux, de nouvelles orgies se célébrèrent, et je ne pus juger que là les passions désordonnées de ces despotes de la Suède.

L’un, Steno, quoiqu’il eût facilement déchargé dans le cul d’Emma, désirait néanmoins, pour perfectionner son extase, qu’un petit garçon lui suçât la bouche très amoureusement, en lui socratisant le derrière, pendant qu’il foutait un homme : telle était sa passion.

Eric-Son n’en venait jamais à son honneur, sans avoir préalablement fustigé jusqu’au sang deux jeunes individus de sexe différent.

Volf se faisait enculer en cinglant une heure entière, à coups de martinet, le cul dans lequel il se proposait de décharger ; autrement, très peu d’érection.

Brahé, plus méchant encore, ne se disposait à l’émission qu’en estropiant une victime, près du beau cul qu’il convoitait.

Toutes ces passions se développèrent aux fruits. Les têtes, échauffées de vin, d’espoir, d’ambition, d’orgueil, ne connurent plus aucun frein ; les femmes furent les premières à nous donner l’exemple du désordre, et il en coûta la vie à six victimes, avant que de se séparer.

Ce fut alors que Steno, en me témoignant, au nom de la société, la joie qu’il avait de nous posséder dans son sein, me demanda si j’avais besoin de quelque somme : je crus politique de dire que non… au moins pour ces premiers moments… Et huit jours se passèrent, sans que j’entendisse parler de mes nouveaux amis. Steno vint me voir, le neuvième au matin.

— Nous allons en course cette nuit, me dit-il ; les femmes n’en sont pas ; voulez-vous nous accompagner ?

— De quoi s’agit-il ? répondis-je.

— De crimes que nous voulons commettre au hasard ; nous volerons, pillerons, assassinerons, brûlerons : nous ferons des horreurs, en un mot ; êtes-vous des nôtres ?

— Assurément.

— Trouvez-vous donc ce soir, à huit heures, dans la belle maison que Brahé possède au faubourg ; c’est là d'où nous partirons.

Un délicieux souper nous attendait, et vingt-cinq soldats, choisis à la supériorité du membre, devaient, en s’épuisant dans nos derrières, nous communiquer l’énergie nécessaire à l’expédition projetée. Nous fûmes foutus quarante coups chacun ; je ne l’avais jamais tant été de suite. Nous nous trouvâmes tous, après ces préliminaires, dans un feu, dans une agitation qui nous eût fait porter le poignard au sein même de Dieu, si le jean-foutre eût existé.

Escortés des dix plus vigoureux champions de la bande, nous voilà donc à parcourir les rues comme des furies, en attaquant indistinctement tout ce qui passait : à mesure que nos victimes étaient volées et tuées, nous les précipitions dans la mer. Les objets arrêtés par nous en valaient-ils la peine ? nous en jouissions, et ne les immolions pas moins, après. Nous montâmes dans plusieurs maisons pauvres, que nous dévastâmes après y avoir semé le trouble et la désolation. Il n’y eut pas, en un mot, d’exécrations que nous ne nous permîmes, pas une seule que nous n’exécutâmes. Nous attaquâmes la patrouille, nous la mîmes en fuite ; et ce ne fut que rassasiés d’horreurs et d’atrocités, que nous rentrâmes chez nous, le lendemain, dès que le jour vint éclairer les débris de nos scandaleuses orgies.

Nous ne manquâmes pas de faire mettre dans les papiers publics, que tels étaient les affreux abus que se permettait le gouvernement, et qu’aussi longtemps que le régime royal prévaudrait sur celui du sénat et des lois, aucune fortune ne serait en sûreté, aucun particulier ne respirerait en paix chez lui. Le peuple le crut, et désira la révolution. Voilà comme on l’abuse, ce pauvre peuple, voilà comme il est à la fois et le prétexte et la victime de la scélératesse de ses meneurs : toujours faible et toujours imbécile, tantôt on lui fait désirer un roi, tantôt une république, et la prospérité offerte par ces agitateurs à l’un ou l’autre de ces régimes, n’est jamais que le fantôme créé par leurs intérêts ou par leurs passions104.

Cependant l’époque approchait, le désir d’un changement était tel, qu’il ne s’agissait plus que de cela dans toutes les conversations. Plus adroit politique que mes associés, je vis le monument de leur fortune à bas, au même instant où ils l’édifiaient ; plus calme qu’eux, je sondai les esprits, et l’immense quantité de gens que je reconnus fermement attachés au parti du roi, me convainquit que la révolution sénatoriale était avortée. Ce fut alors où, fidèle aux principes d’égoïsme et de scélératesse auxquels je voulais sacrifier toute ma vie, je résolus de changer à l’instant de parti, et de trahir inhumainement celui qui m’avait reçu. Il était le plus faible, je le voyais ; ce n’était ni la bonté de l’un, ni le vice de l’autre qui me décidaient : je ne l’étais que par la force, et ce n’était uniquement que vers la force que je voulais me diriger. Je serais infailliblement resté du parti sénatorial, si je l’eusse cru, non pas le meilleur (je savais bien qu’il était le plus vicieux), mais s’il eût été le plus fort ; il m’était démontré qu’il ne l’était pas : je le trahis. Ce rôle, me dira-t-on, était infâme ; soit. Mais que m’importait l’infamie, dès que mon bonheur ou ma sûreté se trouvait à ma trahison ? L’homme n’est né que pour travailler à sa félicité sur la terre ; toutes les vaines considérations qui s’y opposent, tous les préjugés qui l’entravent, sont faits pour être foulés aux pieds par lui, car ce n’est pas l’estime des autres qui le rendra heureux ; il ne le sert que par sa propre opinion, et ce ne sera jamais en travaillant à sa prospérité, quelque voie qu’il prenne pour y réussir, qu’il pourra cesser de s’estimer.

Je fais demander une audience secrète à Gustave ; je l’obtiens ; je lui révèle tout ; je lui nomme ceux qui ont fait le serment de le détrôner ; je lui jure de ne pas quitter Stockholm, qu’il n’ait prévenu ce grand événement ; et ne lui demande qu’un million pour récompense, si mes avertissements sont justes ; une éternelle prison, si je me trompe. La vigilance du monarque, aidée de mes avis, prévint tout. Gustave, à cheval de bonne heure, le jour où tout devait éclater, contint le peuple, s’assura des conjurés, gagna le militaire, s’empara de l’arsenal, sans répandre une seule goutte de sang. Ce n’était point du tout sur cela que j’avais compté ; réjoui d’avance des suites sanglantes que je supposais à ma trahison, je courus moi-même les rues, dès le matin, pour voir tomber toutes les têtes que j’avais dévouées : l’imbécile Gustave les conserva toutes. Que de regrets j’éprouvais, pour lors, de n’être pas resté fidèle à ceux qui eussent inondé de sang les quatre coins du royaume ! Je me suis trompé, dis-je ; on accusait ce prince d’être despote, et le maladroit se montre débonnaire, quand je lui offre tous les moyens d’étayer sa tyrannie. Oh ! comme je maudis cet automate !… Souvenez-vous, dis-je à tous ceux qui voulurent m’entendre, que dès que votre prince manque ici l’occasion de fixer, comme il le devrait, son sceptre sur des monceaux de morts, souvenez-vous qu’il ne régnera pas longtemps, et que sa fin sera malheureuse105.

Je n’eus pourtant pas besoin de lui rappeler sa promesse : Gustave lui-même me fit venir dans son palais, où il me compte le million promis, en m’ordonnant de sortir à l’instant de ses États.

— Je paye les traîtres, me dit-il, ils me sont nécessaires ; mais je les méprise, et les éloigne de moi sitôt qu’ils m’ont servi.

Que m’importe, dis-je en m’en allant, que cet animal m’estime ou me méprise ? J’ai son argent, c’est ce que je voulais ; à l’égard du caractère qu’il me reproche, il ne le corrigera pas dans moi : la trahison fait mes délices, et je vais, sous un autre rapport, la mettre bientôt encore en usage.

Je vole chez Steno.

— Ma femme vous a trahi, lui dis-je, c’est un monstre ; je viens de tout savoir, elle a reçu de l’argent pour cette horreur ; elle m’a valu l’ordre de quitter la Suède ; j’obéirai, sans doute, mais je veux la perdre avant de partir. Tout est calme, rien ne nous empêche de nous réunir ce soir ; faisons-le, je vous en conjure, et punissons cette scélérate.

Steno consent. Je conduis Emma à la société, sans qu’elle se doute du projet qui la rassemble ; tous les hommes, toutes les femmes, en fureur contre celle que j’accuse, la condamnent d’un commun accord aux plus effrayants des supplices. Emma, confondue d’une telle accusation, veut récriminer contre moi ; on la fait taire, et la malheureuse, confiée à mes soins pendant que des scènes lubriques s’arrangent autour de l’échafaud dressé pour son supplice, est écorchée vive, puis brûlée à petit feu sur toutes les parties que je dépouillais en détail. On me suçait pendant ce temps-là, et mes quatre amis, foutant chacun un bardache, étaient fouettés par leurs épouses, que gamahuchaient des jeunes filles : je n’avais de mes jours déchargé plus délicieusement. L’opération faite, on se mêla ; ce fut alors qu’Amélie, l’épouse de Volf, s’approcha de moi.

— J’aime ta fermeté, me dit-elle ; je m’apercevais depuis longtemps que cette femme n’était pas faite pour toi ; je te conviens mieux, Borchamps ; mais je vais t’étonner : jure-moi qu’un jour aussi je serai ta victime. Mon imagination va te surprendre, mon ami ; quoi qu’il en soit, je ne puis t’en cacher le délire. Mon mari m’aime trop pour me satisfaire ; depuis l’âge de quinze ans, ma tête ne s’est embrasée qu’à l’idée de périr victime des passions cruelles du libertinage. Je ne veux pas mourir demain, sans doute, mon extravagance ne va point jusque-là ; mais je ne veux mourir que de cette manière. Devenir l’occasion d’un crime, en expirant, est une idée qui me fait tourner la tête ; et je quitte demain Stockholm avec toi, si tu me jures de me satisfaire…

Vivement ému moi-même d’une aussi rare proposition, je proteste à Amélie qu’elle aura lieu d’être contente de moi. Tout s’arrange, elle s’évade dès le même jour, et nous sortons de la ville, sans que qui que ce soit se doute de cet enlèvement.

Ma fortune était immense en quittant Stockholm, j’héritais de ma femme, j’emportais le million du roi, et ma nouvelle amie me remit encore, indépendamment de tout cela, près de six cent mille francs qu’elle dérobait à son mari, et qu’elle me força d’accepter.

Amélie et moi, d’un commun accord, nous nous dirigeâmes vers Saint-Pétersbourg. Elle exigea le mariage, j’y consentis ; et, nous trouvant en état de ne rien refuser à nos désirs, nous louâmes un superbe hôtel dans le plus beau quartier de la ville ; les valets, les équipages, la bonne chère, tout fut prodigué, et la meilleure compagnie s’honora bientôt d’être présentée chez ma femme. Les Russes aiment le faste, l’opulence, le luxe, mais, se réglant absolument sur nous, aussitôt qu’un seigneur français s’annonce avec un peu de magnificence, tous s’empressent à le copier. Le ministre de l’impératrice m’invita de lui-même à me faire présenter à sa souveraine ; et me sentant né pour les grandes aventures, j’acceptai ses propositions.

Catherine, toujours familière avec ceux qui lui plaisaient, me demanda plusieurs particularités sur la France, et, satisfaite de mes réponses, elle me permit de lui faire souvent ma cour. Deux ans se passèrent ainsi, pendant lesquels nous nous plongeâmes, Amélie et moi, dans tout ce que cette belle ville pouvait offrir de voluptés. Un billet m’instruisit, à la fin, des motifs que l’impératrice avait eus, en témoignant le désir de me voir souvent. Elle m’engageait, par cette missive, à me laisser conduire, dès que la nuit serait venue, dans une de ses maisons de campagne située à quelques lieues de la ville. Amélie, que j’instruisis de cette bonne fortune, fit tout ce qu’elle put pour m’en détourner, et ne me vit partir qu’avec douleur.

— J’ai pris sur votre personnel, me dit l’impératrice dès que nous fûmes seuls, toutes les informations qui pouvaient m’éclairer. J’ai su votre conduite en Suède, et, quoi qu’on en ait pu dire, je l’ai fort approuvée. Croyez, jeune Français, que le parti des rois est toujours le meilleur : ceux qui l’embrassent et lui restent fidèles ne s’en repentiront jamais. Sous le masque de la popularité, Gustave a voulu raffermir le despotisme sur son trône ; vous l’avez bien servi en dévoilant la conjuration qui troublait ses desseins ; je vous en loue. Votre âge, votre physionomie, ce qu’on publie de votre esprit, tout m’intéresse à vous ; et je puis ajouter beaucoup à votre fortune, si vous embrassez mes projets…

— Madame, répondis-je véritablement ému des attraits de cette superbe femme, quoiqu’elle eût déjà quarante ans, le bonheur de plaire à Votre Majesté devient une assez grande récompense aux services qu’elle me met à même de lui rendre, et je jure d’avance que ses ordres vont devenir à jamais les seuls devoirs comme les seuls plaisirs de mon cœur.

Catherine me donna sa main, que je baisai avec transport ; un fichu s’écarte, et la plus belle gorge du monde paraît à mes regards ; Catherine, en la voilant, me parle de sa maigreur, comme si quelque chose au monde eût été plus délicieux et plus frais que ce qu’on laissait dérober à mes yeux. Lorsque l’impératrice vit que je ne pouvais contenir mes éloges, elle me permit bientôt de me convaincre que tous ses charmes répondaient à l’échantillon que je venais de surprendre. Que vous dirai-je, mes amis ? l’impératrice fut enfilée le même jour ; et comme mon physique lui plut infiniment, je fus promptement admis aux honneurs du lit de la princesse. Peu de femmes étaient aussi belles que Catherine ; on n’a ni de plus belles chairs, ni des formes aussi bien moulées ; et quand j’eus vu quelques échantillons de son tempérament, je ne m’étonnai plus de la multitude de mes prédécesseurs. Toutes les jouissances furent désirées par Catherine, et vous croyez bien que je ne lui en refusai aucune : son cul surtout, le plus beau cul que j’eusse vu de ma vie, me combla des plus doux plaisirs.

— Ces petits écarts sont fort d’usage en Russie, me dit-elle, et je me garde bien de les proscrire ; l’extrême population fait ici la richesse des seigneurs, et, leur puissance entravant la mienne, je dois me servir de tous les moyens qui peuvent l’affaiblir ; celui-là m’amuse, en me servant, car j’aime le vice et ceux qui le professent : il est dans mes principes de le propager. Il me serait facile de prouver à tous les souverains qu’ils devraient se conduire de même. Je suis enchantée, Borchamps, de vous voir fêter mon derrière… (je le baisais pendant ce temps-là) et je vous déclare qu’il est à votre service toutes les fois que vous voudrez le foutre…

J’usai souvent de la permission. L’impératrice fut assez prudente pour ne pas s’ouvrir davantage dans cette première entrevue. Une seconde, huit jours après, se passa de même ; mais, à la troisième :

— C’est maintenant, me dit Catherine, que je crois être assez sûre de vous, pour vous associer à mes projets : avant de vous les révéler, pourtant, j’exige un sacrifice de vous, et c’est à l’instant même que je veux vous y voir souscrire… Quelle est cette jolie Suédoise que tu traîne après toi, Borchamps ?

— Elle est ma femme.

— Que cela soit ou non, je ne veux pas qu’elle existe demain…

— Le vit bandant que vous empoignez, princesse, répondis-je, va signer son arrêt de mort dans votre cul…

— Bien, me dit Catherine en se l’introduisant ; mais je suis cruelle ; cette femme m’a inspiré beaucoup de jalousie, et si je veux qu’elle endure un supplice égal aux inquiétudes qu’elle m’a données, je veux qu’elle soit demain tenaillée sous nos yeux, avec des fers brûlants ; de quart d’heure en quart d’heure, on interrompra ce supplice, pour la pendre en détail, et pour la rouer à demi ; mes bourreaux la foutront à chaque reprise, et je la ferai couvrir de terre brûlante, avant qu’elle n’ait rendu les derniers soupirs. J’examinerai ta contenance pendant cette expédition : le secret te sera confié si tu es courageux ; tu l’ignoreras si tu trembles.

Quelque belle que fût Amélie, deux ans de jouissance avaient furieusement calmé mes désirs ; trop de tendresse, trop d’amitié, et beaucoup moins de cruauté dans l’esprit que je lui en avais supposé d’abord. Ce qu’elle m’avait dit sur la manière dont elle voulait finir ses jours n’était, à le bien prendre, qu’un raffinement de délicatesse ; mais il s’en fallait bien qu’elle désirât cette manière de terminer ses jours. Amélie n’avait pas, d’ailleurs, toute la condescendance que j’exigeais d’une femme ; elle refusait de me sucer, et, quant à son derrière, je veux bien croire qu’il avait eu de très grands charmes : mais celui d’une femme en a-t-il, quand on l’a foutu deux ans ? Tout fut donc promis à Catherine, qui s’amusa beaucoup de la possibilité de satisfaire aussi bien le désir que ma femme avait formé sur son genre de mort ; et, dès le lendemain, elle lui fut présentée dans une des maisons de l’impératrice, la plus mystérieuse et la plus éloignée de la ville.

On ne se figure pas les emportements de cette femme, accoutumée à voir tout céder devant elle. Elle traita la malheureuse Suédoise avec une dureté, une tyrannie impossible à croire : elle se fit rendre par elle les services les plus bas ; elle s’en fit lécher et branler ; elle la soumit aux vexations les plus dures, et, la livrant ensuite à ses bourreaux, le monstre lui fit subir effectivement en détail, sous ses yeux, tous les supplices dont elle avait formé le plan. Elle voulut que j’enculasse cette pauvre victime pendant les intervalles ; elle porta le délire au point d’exiger que je foutisse les bourreaux, pendant qu’ils suppliciaient Amélie ; et, contente de me voir bander pendant tout ce temps, elle se forma, de mon caractère, l’opinion conforme à ses désirs. Ma triste femme expira au bout de onze heures des plus violentes angoisses. Catherine déchargea plus de vingt fois ; elle-même aida les bourreaux ; et je fus remis à huit jours, pour le développement du grand projet qui devait m’être confié106.

Jusqu’alors je n’avais été reçu qu’à la campagne de la souveraine ; cette fois-ci, ce fut dans l’intérieur même du palais d’hiver, situé dans l’Île de l’Amirauté, où l’on me fit l’honneur de m’admettre.

— Ce que j’ai vu de vous, Borchamps, me dit l’impératrice, ne me laisse plus douter de l’énergie de votre caractère. Revenu de tous les préjugés de l’enfance, je vois quelle est maintenant votre manière de penser sur ce que les sots appellent le crime ; mais, si ce mode est souvent utile aux simples particuliers, combien de fois dans la vie ne devient-il pas indispensable aux souverains ou à l’homme d’État ! L’être isolé, pour assurer la base de son bonheur dans le monde, n’a tout au plus besoin que d’un crime ou deux dans le cours de son existence ; ceux qui s’opposent à ses désirs sont en si petit nombre qu’il lui faut très peu d’armes pour les combattre. Mais nous, Borchamps, entourés perpétuellement ou de flatteurs qui n’ont d’autres desseins que de nous tromper, ou d’ennemis puissants dont l’unique but est de nous détruire, dans combien de différentes circonstances ne sommes-nous pas forcés d’employer le crime ? Un souverain jaloux de ses droits devrait ne s’endormir que la verge à la main. Le célèbre Pierre crut rendre un grand service à la Russie en brisant les fers d’un peuple qui ne connaissait et ne chérissait que son esclavage ; mais Pierre, plus occupé de sa réputation que du bonheur de ceux qui devaient un jour occuper son trône, ne sentit pas qu’il flétrissait la couronne des souverains, sans rendre le peuple plus heureux. Et qu’a-t-il gagné, dans le fait, à ce grand changement ? Que lui importe le plus ou le moins d’étendue d’un État dont il n’occupe que quelques toises ? que lui font les arts et les sciences, à grands frais transportés sur un sol dont il ne veut que la végétation ? en quoi le flatte l’apparence d’une liberté qui ne rend ses fers que plus lourds ? Affirmons-le donc sans aucune crainte, Pierre a perdu la Russie aussi certainement que celui qui la remettra sous le joug en deviendra le libérateur ; le Russe éclairé s’aperçoit de ce qui lui manque, le Russe assoupli ne verrait rien au delà de ses besoins physiques. Or, dans laquelle des deux situations l’homme est-il le plus fortuné, est-ce dans celle où le bandeau loin de ses yeux lui fait apercevoir toutes les privations, ou dans celle où son ignorance ne lui en laisse soupçonner aucune ? Ces bases établies, osera-t-on nier que le despotisme le plus violent ne convienne mieux au sujet, que la plus entière indépendance ? Et si vous m’accordez ce point, que je crois impossible de refuser, me blâmerez-vous de tout entreprendre pour rétablir les choses en Russie, comme elles l’étaient avant le malheureux siècle de Pierre ? Bazilovitz régna comme je veux régner ; sa tyrannie me servira de modèle. Il s’amusait, dit-on, à assommer les prisonniers qu’il faisait, à violer leurs femmes et leurs filles, à les mutiler de sa main, à les déchirer et les brûler ensuite ; il assassina son fils ; il punit une insurrection dans Novogorod, en faisant jeter trois mille hommes dans la Volga. Il était le Néron de la Russie : eh bien ! j’en serai, moi, la Théodora ou la Messaline ; aucune horreur ne me retiendra pour m’affermir sur le trône, et la première que je dois consommer est la destruction des jours de mon fils. J’ai jeté les yeux sur vous, Borchamps, pour l’accomplissement de ce forfait politique. Celui que je choisirais dans ma nation pourrait être attaché à ce prince et je n’aurais qu’un traître au lieu d’un complice. Je me souviens des plaintes légitimes que j’eus à faire du Russe à qui je confiai le meurtre de mon époux : je ne veux plus me trouver dans le même cas. Il ne faut pas absolument que ce soit un homme du pays qui soit chargé de ces grands desseins ; un reste d’attachement fabuleux, qu’il croit devoir à un prince de sa nation, le retient, et le crime se fait toujours mal lorsque les préjugés captivent. Je n’ai point de telles craintes avec vous ; voilà le poison dont je veux que vous vous serviez… J’ai dit, Borchamps ; acceptez-vous ?

— Madame, répondis-je à cette femme vraiment douée du plus grand caractère, quand je ne serais pas né avec le goût du crime, quand le crime ne serait pas l’élément de ma vie, celui que vous me proposez me flatterait, et la seule idée d’arracher au monde un prince débonnaire, pour y conserver la tyrannie dont je suis un des plus zélés partisans, cette seule idée, madame, suffirait pour me faire accepter, avec joie, le projet dont vous me parlez : comptez sur mon obéissance.

— Cette profonde résignation t’enchaîne pour toujours à moi, me dit Catherine en me serrant dans ses bras. Je veux, demain, enivrer tes sens de toutes les délices de la volupté ; je veux que tu me voies dans le plaisir ; je veux t’y considérer moi-même, et ce sera dans l’ivresse des plus piquantes luxures, que tu recevras le poison qui doit trancher les jours abhorrés du méprisable individu que j’ai dû mettre au monde.

Le rendez-vous fut à la maison de campagne où j’avais déjà vu l’impératrice. Elle me reçut au soin d’un boudoir magique, dans lequel l’air le plus chaud faisait à la fois éclore les fleurs de toutes les saisons, agréablement réparties dans les banquettes d’acajou qui régnaient tout autour de ce délicieux cabinet. Des canapés à la turque, environnée de glaces qui se voyaient au-dessus, invitaient, par leur mollesse, aux plus voluptueuses jouissances. Un réduit plus lugubre se voyait au delà ; on y apercevait quatre beaux garçons de vingt ans, que des fers contenaient aux passions effrénées de Catherine.

— Ce que tu regardes là, me dit la princesse, est le bouquet de la lubricité. Des plaisirs ordinaires vont commencer par échauffer nos sens ; ce que tu vois complétera leur délire. Des victimes de mon sexe te plairaient-elles mieux ?

— Peu m’importe, répondis-je, je partagerai vos plaisirs, et sur quelque individu que se commette le meurtre, il est toujours sûr d’enflammer mes sens.

— Ah ! Borchamps, il n’y a que cela de bon dans le monde : il est si doux de contrarier la nature !

— Mais le meurtre ne la contrarie point !

— Je le sais ; mais il forme infraction aux lois, et rien ne m’échauffe comme cette idée.

— Qui serait au-dessus des lois, si ce n’était ceux qui les font ? Votre Majesté a-t-elle joui de ces quatre beaux hommes ?

— Seraient-ils dans mes fers sans cela ?

— Savent-ils le sort qui les attend ?

— Pas encore ; nous le leur déclarerons en nous en servant ; je prononcerai leur arrêt, pendant que ton vit sera dans leur cul.

— Je voudrais que vous l’exécutassiez alors…

— Ah ! scélérat, je t’adore ! me dit Catherine.

Et les objets de luxure, destinés aux orgies que nous allions célébrer, parurent à l’instant. C’étaient six jeunes filles de quinze à seize ans, de la plus rare beauté, et six hommes de cinq pieds dix pouces, dont les membres pouvaient à peine s’empoigner.

— Mets-toi bien en face de moi, me dit Catherine, et considère mes plaisirs sans t’en mêler ; branle-toi, si tu veux, mais ne me trouble pas. Je vais jouir des délices suprêmes de m’offrir à tes yeux aussi putain qu’il soit possible de l’être ; ce cynisme me plaît ; j’aime le scandale ; il m’échauffe la tête.

J’obéis. Les jeunes filles déshabillent leur reine, l’accablent ensuite des plus belles caresses. Trois suçaient à la fois la bouche, le con et le cul ; les trois autres relayaient à l’instant celles-ci ; les premières reprenaient ensuite, et cet exercice se faisait avec une incroyable rapidité ; elles s’armèrent de verges, et vinrent étriller doucement Catherine, chacune sur une partie différente du corps. Les hommes entouraient, et les filles venaient de temps en temps baiser leurs bouches et branler leurs vits. Quand tout le corps de l’impératrice fut rouge comme de l’écarlate, elle se le fit frotter avec de l’esprit-de-vin ; puis, s’asseyant sur le visage de l’une de ses filles, qui eut ordre de lui gamahucher le trou du cul, elle en reçut une seconde à genoux entre ses jambes, qui lui suçait le clitoris ; la troisième lui suçait la bouche ; la quatrième, les tétons ; et elle, en branlait une de chaque main. Les six garçons, alors, se groupant de même, vinrent apporter la tête de leurs vits sur toutes les portions des fesses de ces six femmes qu’ils purent saisir. Je n’ai jamais rien vu de voluptueux comme ce groupe ; il coûta du foutre à Catherine ; je l’entendis soupirer et blasphémer en langue russe, c’était son usage.

Une autre scène s’offrit. Chaque jeune fille fut branlée par elle à son tour ; mais elle ne leur gamahuchait que le trou du cul ; les hommes chatouillaient le sien pendant ce temps-là. Ceci n’occupant à la fois que deux sujets, les dix autres faisaient devant ses yeux ce qu’elle faisait elle-même. Tout varia bientôt. Elle s’enfonce un vit dans le con, et, courbée sur celui qui la fout de cette manière, elle présente son cul à un autre, qui la sodomise à tour de reins ; elle branle un vit de droite et de gauche sur les fesses de deux jeunes filles ; on fouette celui qui l’encule, et tout ce qui reste compose des groupes autour d’elle : les six hommes lui passèrent ainsi dans le con et dans le cul. Elle devient ensuite la maquerelle des six jeunes filles ; elle leur place à la fois des vits dans les deux routes du plaisir, suce les engins qui sortent de leur orifice, s’amuse à chatouiller le clitoris de ces filles et à les baiser sur la bouche pendant ce temps-là ; elle se couche sur le canapé, et se fait passer tous les hommes sur le corps ; chacun, en lui relevant les cuisses, devait l’enfiler à la fois par-devant et par-derrière ; les jeunes filles, pendant ce temps-là, devaient tour à tour s’accroupir sur son front, revenir baiser l’homme qui la foutait, et lui pisser sur le visage : la coquine perdit encore beaucoup de foutre pendant cette scène. Ce fut après qu’elle m’appela. J’étais au supplice : ceux de Tantale n’égalaient pas les miens, et c’est ce que désirait la putain.

— Bandes-tu ? me dit-elle ironiquement.

— Regarde-le, garce, lui répondis-je… et cette insolente réponse lui fit le plus grand plaisir.

— Eh bien ! me dit-elle en se retournant, voilà mon cul, il est plein de foutre, viens y joindre le tien…

Et l’impudique suça le cul d’un homme, pendant que je la sodomisais. Tous y passèrent ; je maniai le derrière des filles en foutant, et mon sperme partit malgré moi. Elle me défendit de quitter son cul, puis ordonna aux hommes de me foutre, pour me faire rebander ; les filles, par ses ordres, ou me faisaient baiser leurs fesses, ou présentaient à Catherine leurs clitoris à sucer ; mon foutre, ainsi, coula trois fois de suite.

— Faisons des cruautés maintenant, me dit la princesse ; je suis rendue, il me faut des choses fortes. Tous les hommes alors prirent une fille sur leurs reins, de manière que chaque groupe présentait à la fois deux culs. Elle s’arma d’un fouet semblable à celui dont les bourreaux se servent en Russie pour donner le knout107 ; et de sa main royale, la gueuse étrilla si bien tous ces beaux derrières, que le sang ruissela dans la chambre ; je la fouettais pendant ce temps-là, mais simplement avec des verges de bouleau, et je devais, à chaque vingtaine, m’agenouiller devant elle, pour lui lécher le trou du cul.

— Je vais, me dit-elle, martyriser tous ces individus-là bien autrement ; je voudrais, quand j’en ai joui, les faire mourir dans les plus effrayants supplices…

Les hommes s’emparent des filles ; ils les contiennent dans le plus grand écartement possible, et Catherine fustige à tour de bras toutes ces malheureuses, dans le vagin ; elle en fit jaillir des flots de sang. Les filles tinrent ensuite les hommes, que Catherine étrilla fortement sur le vit et les couilles.

— Qu’ai-je besoin maintenant de tout cela ? disait-elle. Cela ne bande plus, ces tripes ne sont plus bonnes que pour les vers ; jouis de tous ces individus, Borchamps, me dit-elle, je te les abandonne, et vais t’observer à mon tour.

Par mes soins, les filles font rebander les hommes, et je suis encore foutu deux fois de chacun ; je passe mon vit dans tous les culs, j’arrange différents tableaux, et Catherine se branle en m’examinant.

— En voilà assez, me dit-elle, passons à des choses plus importantes.

Les victimes entrèrent ; mais quelle fut ma surprise, en voyant un de ces jeunes hommes ressembler si parfaitement au fils de l’impératrice, que je crus un moment que c’était lui.

— J’espère, me dit-elle en voyant ma surprise, que tu devines mes desseins ?

— Jugeant ta tête par la mienne, répondis-je, je vois que c’est sur cet individu que nous allons faire l’épreuve du poison destiné pour l’être auquel il ressemble.

— Justement, me dit Catherine ; je serai privée du plaisir de voir les angoisses de mon fils : celles de cet homme-ci m’en donneront l’image ; mon illusion sera facile, je te déchargerai des torrents.

— Délicieuse tête ! m’écriai-je, que n’es-tu la reine du monde, et que ne suis-je ton premier ministre !

— Assurément nous ferions beaucoup de mal, me dit l’impératrice, et les victimes se multiplieraient furieusement sous nos coups…

Avant que de rien entreprendre, Catherine se fit foutre par ces quatre victimes, pendant que je les enculais, et que les douze autres sujets, ou nous fouettaient, ou nous branlaient, en formant près de nous les plus obscènes tableaux.

— Les six premiers hommes avec lesquels nous venons de foutre, me dit l’impératrice, sont mes bourreaux ordinaires ; tu vas les voir en action sur ces quatre victimes : est-il quelques-unes de ces femmes que ta lubricité condamne ? Je t’en laisse le maître, désigne-la sur-le-champ ; je vais éloigner le reste, afin que nous nous amusions tranquillement du supplice de ces infortunées.

Deux de ces charmantes créatures m’ayant extrêmement échauffé la tête, je les dévouai à la mort, et nous ne restâmes plus que quatorze : six bourreaux, autant de victimes, l’impératrice et moi.

La vivante image du fils de Catherine fut la première victime qui parut sur la scène. Je lui présentai moi-même la fatale boisson dont l’effet ne se fit sentir qu’au bout d’une demi-heure, pendant laquelle nous ne cessâmes, l’un et l’autre, de jouir de ce garçon ; les douleurs se déclarèrent enfin, elles furent épouvantables. Le malheureux creva sous nos yeux dix minutes après les premières angoisses ; et Catherine ne cessa, de se faire enculer pendant ce spectacle. Elle se fit ensuite lier tour à tour les autres hommes sur le corps ; elle les béquetait, elle les branlait, pendant que les bourreaux, au rang desquels la putain m’avait mis, déchiquetaient ces drôles sur elle : il n’y eut pas de tourments que nous ne leur fîmes endurer. Les deux filles que je demandai la permission d’exécuter seul ne le cédèrent en rien, pour la rigueur des supplices, à ceux qu’avaient endurés les hommes ; j’ose vous assurer même que je l’emportai en raffinement sur les horreurs ordonnées par l’impératrice. Je tapissai de camions108 l’intérieur du con de l’une d’elles, et la foutis après ; chaque secousse de mon vit, en enfonçant ces épingles jusqu’à la tête, faisait jeter les hauts cris à cette malheureuse, et Catherine convint qu’elle n’avait jamais rien inventé de plus délicieux.

Les cadavres disparurent, et je soupai en tête à tête avec Catherine ; nous étions tous deux nus. Elle s’embrasa fortement pour moi, accabla ma fermeté d’éloges, et me promit la plus brillante place de sa Cour, quand j’aurais fait mourir son fils. Le poison me fut confié, je promis d’agir dès le lendemain. Je foutis encore deux coups Catherine en cul, et nous nous séparâmes.

J’avais, depuis longtemps, d’intimes fréquentations avec le jeune prince ; Catherine, à dessein, les avait ménagées ; elle avait même désiré que je me branlasse avec ce jeune homme, afin d’exciter sa luxure par les détails que je lui donnerais sur le personnel de cet enfant proscrit par sa rage. Cela avait eu lieu ; Catherine, cachée, nous avait même vus nous enculer un jour. Cette liaison favorisa les moyens nécessaires à l’exécution du projet. Il vint, suivant son usage, déjeuner sans cérémonie, un matin, chez moi, et ce fut là que le coup eut lieu. Mais, depuis bien longtemps en butte à de semblables tentatives de la part de sa mère, jamais ce jeune prince ne mangeait en ville sans avaler du contrepoison, sitôt qu’il se sentait la plus légère douleur d’estomac. Aucun effet ne résulta donc de notre perfidie ; et l’injuste Catherine, soupçonnant sur-le-champ mon courage, m’accabla d’invectives, et me fit arrêter au sortir de son palais. Vous savez que la Sibérie est le sort de tous les prisonniers d’État de cette femme cruelle ; mes biens furent confisqués, mes effets saisis, je fus conduit dans ce séjour d’horreur, et condamné, comme les autres, à rapporter au commandant douze peaux de bêtes par mois, fustigé jusqu’au sang quand j’y manquais. Telle est la funeste école où je me suis fait, de ce supplice, une espèce de besoin devenu si violent en moi, qu’il faut absolument pour ma santé, que je me fasse fouetter tous les jours109.

On me donna, en arrivant, une hutte dont le propriétaire venait de mourir après quinze ans de détention. Elle était composés de trois chambres, avec des treillis au mur, pour l’introduction de la lumière ; sa construction était en sapin, parquetée d’os de poisson qui rendaient le plancher aussi luisant que l’ivoire ; il y avait, au-dessus, un bouquet d’arbres assez pittoresques ; et pour se mettre à l’abri de l’incursion des bêtes sauvages, on y avait creusé un fossé palissadé avec de forts poteaux et des pièces de bois en travers ; cette barricade était armée de pointes qui formaient comme autant de lances, et, lorsque les portes étaient fermées, on y était aussi en sûreté que dans une place forte. Je trouvai la provision du défunt, consistant en biscuit, en renne salé, et en quelques bouteilles d’hydromel. Tel était le triste réduit où je venais, au retour de la chasse, pleurer l’injustice des princes et la férocité de la fortune. Je passai près de dix ans dans cette cruelle retraite, n’ayant d’autre société que quelques infortunés comme moi.

Un d’eux, Hongrois de nation, homme sans mœurs comme sans principes, et que l’on nommait Tergowitz, me parut le seul avec lequel mon caractère pût sympathiser. Celui-là, du moins, raisonnait le crime ; les autres le commettaient comme la bête fauve, dont ils partageaient l’affreuse habitation. Tergowitz seul, au lieu d’adoucir le Dieu, cause apparente de ses malheurs, ne s’occupait qu’à l’invectiver… qu’à le blasphémer chaque jour. Aucun remords, quoiqu’il eut commis tous les crimes, n’approchait de son âme de fer, et son unique regret, dans l’état où nous nous trouvions, consistait à devoir étouffer ses penchants malgré lui. Tergowitz approchait, comme moi, des six lustres ; sa figure était agréable, et le premier effet de notre confiance fut de nous enculer tous deux.

— Ce n’est pas, me dit le Hongrois aussitôt que nous eûmes fini, l’absence ou le besoin des femmes qui me porte à ce que je viens de faire, c’est le goût seul. J’idolâtre les hommes et j’abhorre les femmes : il en existerait des millions ici, que je n’en toucherais pas une.

— Est-il, demandai-je à mon camarade, quelque autre individu, dans cette misérable contrée, que nous puissions associer à nos sodomites plaisirs ?

— Oui, me dit Tergowitz ; non loin d’ici demeure un Polonais appelé Voldomir ; âgé de cinquante-six ans, l’un des plus beaux hommes que l’on puisse voir… l’un des plus sodomites ; il y a dix-huit ans qu’il est dans ces déserts ; il m’aime avec passion, et sera, j’en suis sûr, bien aise de te connaître. Réunissons-nous, Borchamps, et sauvons-nous tous trois de ces indignes contrées.

Nous fûmes, dès le même jour, trouver le Polonais. Il demeurait à cinquante verstes de nous110 : on est voisin à cette distance, quand on habite la Sibérie. Voldomir, exilé pour des crimes horribles commis en Russie, me parut effectivement un très bel homme, mais d’une étonnante férocité ; son abord était dur, et la misanthropie paraissait empreinte sur chacun de ses traits. Ce ne fut qu’après que Tergowitz l’eut prévenu sur mon personnel, qu’il m’envisagea d’un autre œil. Dès que nous eûmes soupé, nous nous mîmes machinalement tous trois la main à la culotte. Voldomir avait un superbe vit, mais le cul le plus dur que j’eusse encore vu de mes jours.

— Il ne rapporte jamais de peaux, me dit Tergowitz, afin d’être fustigé tous les jours.

— Il est bien certain, reprit le Polonais, que je ne connais pas un plus grand plaisir dans le monde, et si vous voulez vous en escrimer, je vais vous livrer mes fesses.

Armés de verges, Tergowitz et moi, nous passâmes une heure entière à flageller le Polonais, sans qu’il eût seulement l’air de le sentir. Électrisé de la cérémonie, le paillard saisit enfin mes fesses, et poussant son énorme vit sans le mouiller, je fus foutu dans un instant ; Tergowitz l’enculait pendant ce temps-là ; et, malgré l’excessive rigueur du temps, comme il avait beaucoup fumé dans la hutte, nous nous enculions sur la neige. Ce prodigieux engin me causa beaucoup de douleurs et le coquin me les vit ressentir sans aucune pitié. Au sortir de mon cul, il enfila celui de Tergowitz, et nous lima tous deux ainsi, près de deux heures, sans décharger ; je l’enculais pendant qu’il foutait mon camarade, et, moins blasé que lui, je lui déchargeai dans le derrière.

— Je suis, nous dit le Polonais, quand il se fut retiré, sans en venir à son honneur, je suis malheureusement contraint à me priver de ces plaisirs, ou à les goûter seul, car à m’est impossible de m’y livrer sans répandre des flots de sang. Faute de pouvoir tuer des hommes, j’égorge des animaux et je me barbouille de leur sang ; mais lorsque les passions sont un peu vives, ces pis-aller sont bien cruels…

— Ah ! dit Tergowitz en avouant nos goûts à notre nouveau camarade, je crois que nous pouvons bien convenir avec lui que nous ne nous en sommes pas toujours tenus là…

— Et où diable, dis-je à mes amis, pouvez-vous trouver des victimes ?

— Parmi nos compagnons.

Sans aucune pitié pour la ressemblance de votre sort au leur ?

— Qu’appelles-tu pitié ? me dit le Polonais, ce sentiment qui glace les désirs peut-il s’admettre dans un cœur de fer ? et quand un crime me délecte, puis-je être arrêté par de la pitié, le plus plat, le plus bête, le plus futile de tous les mouvements de l’âme ? Apprends que jamais il ne fut connu de la mienne, et que je méprise souverainement l’homme assez imbécile pour le concevoir un instant. Le besoin de répandre du sang, le plus impérieux de tous les besoins, ne connaît aucune espèce d’entraves ; tel que tu me vois, j’ai tué mon père, ma mère, ma femme, mes enfants, et n’en ai jamais conçu de remords. Avec un peu de courage et point de préjugés, l’homme fait de son cœur et de sa conscience tout ce qu’il veut. L’habitude nous forme à tout, et rien n’est aussi facile que d’adopter celle qui plaît : il ne s’agit que de vaincre les premières répugnances, c’est l’ouvrage du tempérament. Apprivoisez-vous quelque temps, le vit à la main, avec l’idée qui vous effraie ; vous finirez par la chérir : voilà la méthode que j’ai suivie pour me familiariser avec tous les crimes, je les désirais, mais ils m’effarouchaient ; je me suis branlé sur eux, et j’ai fini par m’y plonger de sang-froid. La fausse idée que nous concevons des autres est toujours ce qui nous arrête en matière de crime ; on nous accoutume ridiculement, dès notre enfance, à ne nous compter pour rien, et les autres pour tout. De ce moment, toute lésion faite à ce respectable prochain nous paraît un grand mal, tandis qu’elle est dans la nature, dont nous ne satisfaisons jamais mieux les lois qu’en nous préférant aux autres, et qu’en les tourmentant pour nous délecter. S’il est vrai que nous ressemblons à toutes les productions de la nature, si nous ne valons pas mieux qu’elles, pourquoi persister à nous croire mus par des lois différentes ? Les plantes et les bêtes connaissent-elles la pitié, les devoirs sociaux, l’amour du prochain ? et voyons-nous, dans la nature, d’autre loi suprême que celle de l’égoïsme ? Le grand malheur de tout cela, c’est que les lois humaines ne sont que le fruit de l’ignorance ou du préjugé ; celui qui les fit ne consulta que sa bêtise, ses petites vues et ses intérêts. Il ne faudrait jamais que le législateur d’une nation fût né parmi elle ; avec ce vice, le législateur ne transmettra chez ses compatriotes, pour uniques lois, que les puérilités qu’il a trouvées établies chez eux ; et jamais ses institutions n’auront le caractère de grandeur qu’elles devraient avoir : or, quel respect voulez-vous qu’un homme ait pour des lois qui contrarient tout ce que grave en lui la nature ?

— Embrasse-moi, mon ami, dis-je à ce charmant homme, entraîné par l’enthousiasme où me mettait la ressemblance de ses sentiments aux miens ; tout ce que tu viens d’établir est depuis bien longtemps dans ma tête, et je t’offre en même temps une âme pour le moins aussi cuirassée que la tienne…

— Je ne suis pas tout à fait aussi avancé que vous, nous dit le Hongrois : je n’ai jamais assassiné que ma sœur, ma nièce, et quelques camarades ici, avec Voldomir ; mais les doigts me démangent, et je voudrais, de bien bon cœur, que l’occasion d’un crime s’offrit à moi tous les jours de ma vie.

— Mes amis, dis-je à mes deux compagnons, des gens qui se ressemblent aussi bien ne doivent jamais se séparer, et quand ils ont le malheur d’être prisonniers ensemble, ils doivent réunir leurs forces pour briser les fers dont l’injustice des hommes les accable.

— Je m’engage, par le serment le plus sacré, à faire ce que dit notre camarade, s’écria Voldomir.

— Et moi de même, dit Tergowitz.

— Eh bien ! repris-je, marchons de ce moment vers les frontières de cet indigne climat ; tâchons de les franchir malgré les baïonnettes dont elles sont hérissées ; et qu’une fois libres, la vie et la fortune des autres réparent amplement les pertes que nous a occasionné la cruauté perfide de la putain qui nous enchaîne ici.

Quelques bouteilles d’eau-de-vie cimentèrent le serment. Nous allions nous enculer encore tous les trois, pour le sceller de notre foutre, lorsqu’un jeune garçon de quinze ans vint prier Voldomir d’envoyer quelques peaux à son père, s’il en avait, et qu’elles lui seraient rendues sous peu de jours.

— Quel est cet enfant ? dis-je à mes camarades.

— Le fils d’un très grand seigneur de Russie, répondit Voldomir, exilé comme nous pour avoir déplu à Catherine ; il demeure à cent verstes d’ici… Puis, me parlant à l’oreille : Puisque nous partons, me dit-il, et que nous serons loin avant que son père en soit instruit, nous allons, si tu veux, nous en amuser…

— Oui, pardieu, répondis-je en attirant déjà brusquement le jeune homme vers moi, et rabattant sa culotte aux genoux ; il faut le foutre et le manger après ; cette chair-là vaudra mieux que celle des martres et des fouines dont nous faisons journellement ici notre chétive nourriture.

J’encule le premier, pendant que mes camarades contiennent l’enfant ; Tergowitz suit ; Voldomir, à cause de la grosseur de son vit, ne passe que le troisième. Nous recommençons ; et quand nous sommes rassasiés du bardache, nous le mettons tout vivant à la broche et le mangeons avec délices.

— Qu’on a tort, dit le Polonais, de mépriser cette chair ! il n’en est pas de plus délicate et de meilleure au monde, et les sauvages ont bien raison de la préférer à tout.

— Voilà, dit Voldomir, encore une de vos absurdités européennes : après avoir érigé le meurtre en crime, vous vous êtes bien gardés de vous permettre l’usage de cette viande ; et, par un orgueil intolérable, vous avez imaginé qu’il n’y avait aucun mal à tuer un cochon pour le manger, pendant que le plus grand crime existerait à faire la même opération sur un homme. Tels sont les sinistres effets de cette civilisation que j’abhorre, et qui me fait regarder mes semblables comme une classe de fous dont l’espèce est bien méprisable.

Notre excellent repas fait, nous couchâmes tous les trois chez le Polonais, et, dès la pointe du jour, armés jusqu’aux dents, tous les trois, nous partîmes, avec la ferme résolution de n’exercer aucun autre genre de vie que celui de brigands et de meurtriers, de ne sacrifier qu’à l’égoïsme et qu’à nos plus chers intérêts.

Incertains de la route que nous prendrions, notre premier projet fut de gagner les frontières de la Chine, afin d’éviter la Moscovie, et toutes les autres provinces limitrophes de la dépendance de l’impératrice, aux barrières desquelles nous étions presque sûrs d’être arrêtés. Mais, effrayés de la longueur de cette route, nous gagnâmes, par les déserts, les bords de la mer Caspienne, et nous nous trouvâmes dans Astrakhan, au bout de quelques mois, sans que qui que ce fût eût mis le plus léger obstacle à notre évasion.

Nous gagnâmes, de là, Tiflis, tuant, pillant, foutant, ravageant tout ce qui se trouvait sur notre passage, et n’arrivâmes dans cette ville que couverts de sang et de rapines. Nous désirions, depuis longtemps néanmoins, quelques lieux policés et tranquilles, où des désirs moins tumultueux pussent se satisfaire d’une façon plus luxurieuse, plus agréable, et plus commode en même temps. Le libertinage, la beauté des habitants de la Géorgie, paraissaient nous promettre, à cet égard, tout ce que nous pouvions désirer.

Tiflis est situé au bas d’une montagne, sur le bord du fleuve Kur, qui traverse la Géorgie ; il renferme d’assez beaux palais. Ayant dévalisé suffisamment de voyageurs dans notre route, pour posséder à peu près deux ou trois mille roubles chacun, nous nous logeâmes d’abord avec assez de magnificence. Nous achetâmes de belles filles pour nous servir ; mais le Polonais, qui ne voulait pas même que le sexe approchât de lui, prit un superbe Géorgien escorté de deux jeunes esclaves grecs, et nous nous délassâmes un peu des rigueurs de la longue et fastidieuse route que nous venions de faire. Le principal commerce de Tiflis est celui des femmes : on les vend là publiquement pour les sérails d’Asie et de Constantinople, comme les bœufs dans un marché ; chacun a le droit d’aller les examiner et les manier dans les hangars, où on les expose presque au sortir de nourrice jusqu’à l’âge de quinze ou seize ans. Il n’y a rien de beau dans le monde comme les créatures de ce pays ; rien d’élégant comme leurs formes, rien d’agréable comme leurs traits : il est difficile de voir une réunion plus complète de grâces et de beautés. Mais si l’on ne peut les voir sans les désirer, il est rare de les désirer sans les avoir : il n’est point de pays au monde où le putanisme soit aussi prononcé.

Les Géorgiens vivent dans la dépendance. La tyrannie que leurs nobles exercent sur eux n’est pas douce ; et, comme ceux-ci sont fort libertins, vous imaginez facilement que leur despotisme porte infiniment sur ce qui tient à la luxure : ils vexent leurs esclaves, ils les fouettent, ils les battent, et tout cela dans l’esprit de la lubricité cruelle dont vous savez que les effets portent à toutes sortes de crimes. Mais quelle contradiction ! cette noblesse qui traite ses vassaux en esclaves, le devient elle-même du prince, pour en obtenir des emplois ou de l’argent ; et, pour mieux réussir, elle lui prostitue, dès le plus bas âge, ses enfants de l’un et l’autre sexe.

Tergowitz, naturellement adroit et séducteur, trouva bientôt le secret de s’introduire et de nous loger avec lui chez un des plus grands seigneurs de ce pays, possédant, avec d’assez grandes richesses, trois filles et trois garçons de la plus excellente beauté. Comme ce seigneur avait voyagé, Tergowitz lui persuada l’avoir vu en Russie, en Suède, en Danemark, et le bon gentilhomme crut tout. Il y avait bien longtemps que nous n’avions reçu autant de politesses, et plus longtemps sans doute encore qu’aucun bienfaiteur ne s’était trouvé récompensé comme nous dédommageâmes celui-là. Nous commençâmes par séduire à la fois tous ses enfants : en quinze jours, filles et garçons, tout fut foutu de toutes les manières. Lorsque Voldomir nous demanda par où nous voulions finir chez ce brave homme, puisqu’il n’y avait plus rien à foutre…

— Par le voler, répondis-je. Je me flatte que son or vaut bien le con et le cul de ses enfants.

— Et quand il sera volé ? dit Tergowitz.

— Eh bien ! répondis-je, nous tuerons. Il n’y a pas là beaucoup de domestiques ; nous sommes assez forts pour nous bien amuser de tout cela, et je sens d’avance mon vit frétiller à l’idée du meurtre de ses beaux enfants.

— Mais l’hospitalité, mes amis ! dit Voldomir.

— Cette vertu, répondis-je, consiste dans l’obligation de faire du bien à ceux de qui nous avons reçu des bienfaits. Cet animal-ci ne nous a-t-il pas dit cent fois qu’en sa qualité de bon chrétien111, il était sûr d’aller en paradis tout droit ? Cette hypothèse admise, n’y sera-t-il pas mille fois plus heureux que sur terre ?

— Assurément.

— Il faut donc le contenter ! m’écriai-je.

— Oui, dit Voldomir ; mais je ne consens à toutes ces morts, qu’à condition qu’elles seront affreuses. Il y a longtemps que nous ne volons et ne tuons que par besoin : il faut le faire ici par méchanceté, par goût ; il faut que le monde frémisse en apprenant le crime que nous avons commis… il faut contraindre les hommes à rougir d’être de la même espèce que nous. J’exige de plus qu’un monument soit élevé, qui constate ce crime à l’univers, et que nos noms soient imprimés sur ce monument par nos mains mêmes.

— Eh bien ! parle ; nous consentons à tout ; qu’exiges-tu, scélérat ?

— Il faut que lui-même fasse rôtir ses enfants, qu’il les mange avec nous ; que nous l’enculions pendant ce temps-là ; lui coudre ensuite les restes de ce repas autour du corps, et l’attacher dans sa cave, où nous le laisserons mourir ainsi quand il voudra.

Le complot s’accepte à l’unanimité ; mais, malheureusement, notre projet, discuté sans aucune précaution, fut entendu de la plus jeune des filles du patron, déjà soumise à nos désirs, et si prodigieusement maltraitée, qu’elle en boitait. Voldomir, de son vit énorme, lui avait crevé l’anus, et ce n’était, depuis quelques jours, qu’à force de petits présents que nous la calmions. Trop effrayée de ce qu’elle venait d’entendre, il n’y eut plus moyen de la contenir, et la garce fut tout révéler. Le père ne fut pas plus tôt instruit, que son premier soin fut d’établir une garnison chez lui, à laquelle la police de cette ville ordonna de nous observer. Mais le dieu qui protège le crime lui soumet toujours la vertu : il y a longtemps que cela est prouvé.

Les quatre soldats que le gentilhomme conduisait avec lui, et qu’il devait établir dans la maison sans nous en dire le motif, furent aussitôt reconnus par nous pour des camarades de Sibérie échappés comme nous aux fers de Catherine, qui, comme vous croyez bien, préférèrent notre cause à celle du chrétien de Géorgie ; et ce ne furent bientôt que des ennemis de plus que le pauvre homme établissait chez lui. La proposition de partager le butin, et de jouir des six enfants, recréa tellement le renfort, que nous nous mimes sur-le-champ à l’ouvrage. Nous liâmes le pauvre seigneur à un pilier de son salon, et là, nous le régalâmes d’abord de cinq cents coups de fouet bien appliquée sur toutes les parties de son derrière, ensuite du plaisir de voir foutre ses six enfants devant lui. Dès qu’ils le furent, nous les attachâmes autour de lui, et fustigeâmes ces six culs jusqu’à ce que le sang inondât la chambre ; nous les fîmes ensuite coucher à terre sur le dos, et, relevant leurs jambes en l’air, nous les écorchions à coups de martinet sur toutes les parties antérieures. Nous voulûmes ensuite obliger le père à jouir lui-même de tous ses enfants ; mais comme il devint, malgré nos efforts, impossible de le faire bander, nous le châtrâmes, et fîmes avaler par force son vit et ses couilles à sa progéniture ; nous coupâmes ensuite les tétons de ses filles, et le contraignîmes à son tour d’avaler les chairs qu’il avait lui-même créées, toutes palpitantes encore.

Nous allions poursuivre, lorsque la discorde vint malheureusement secouer ses flambeaux sur nous. Il y avait parmi les quatre soldats, un jeune Russe beau comme le jour, et qui faisait bander Voldomir presque aussi roide que moi. Je ne quittais pas la culotte du jeune soldat, duquel deux ou trois fois de suite mon camarade me chicana la possession. J’étais à la fin dans son cul, lorsque j’aperçus Voldomir s’approcher de moi le poignard à la main ; je me saisis à l’instant de ma dague, et, sans quitter le cul du soldat dans lequel mon foutre allait s’élancer, j’atteins Voldomir au flanc gauche et le fais tomber dans les flots de son sang.

— Foutre ! dit Tergowitz, qui sodomisait un des autres soldats, voilà ce qu’on appelle une vigoureuse action. Faut-il l’avouer, Borchamps, je ne suis point fâché que tu nous aies défait de ce bougre-là : crois que bientôt son despotisme nous eût sacrifiés nous-mêmes…

J’achève mon coup, je décharge : jamais un meurtre n’arrêta le foutre, au contraire. Puis, allumant ma pipe :

— Va, mon ami, dis-je à Tergowitz, je n’aurais jamais traité notre camarade de cette manière, si, depuis bien longtemps, je n’eusse pas reconnu dans lui tous les vices destructeurs d’une société telle que la nôtre. Jurons-nous maintenant une éternelle fidélité tous deux, et nous saurons bien nous passer de lui.

Nous terminâmes notre opération. Tout ce que nous avions projeté s’exécuta. Les richesses que nous emportâmes furent considérables ; les soldats, bien payés, nous quittèrent contents ; mais je ne voulus jamais me séparer du mien : Carle-Son consentit à me suivre. Deux mulets portèrent notre bagage ; trois bons chevaux nous montèrent, et nous gagnâmes ainsi Constantinople, en côtoyant la mer Noire.

Carle-Son, néanmoins, n’était avec nous que sur le pied de valet ; quel que fût mon amour pour lui, je sentais bien qu’une douzaine de décharges dans son beau cul apaiseraient cette passion, et je ne voulus pas, en l’élevant à nous, armer peut-être un rival dangereux.

Quelques voyageurs dévalisés, quelques viols, quelques meurtres, tous procédés faciles dans un pays où il n’y a ni justice, ni sûreté, c’est à peu près où se bornèrent nos aventures dans cette traversée, et nous arrivâmes dans la capitale du Grand Seigneur, avec autant de facilité que si nous n’eussions pas mérité cent fois de n’y paraître qu’au gibet.

Les étrangers ne logent point dans Constantinople : ils s’établissent au faubourg de Pera. Nous y fûmes, avec l’unique projet de ne prendre que quelques jours de repos, à dessein de continuer ensuite un métier qui nous réussissait assez bien pour nous mettre, Tergowitz et moi, en possession de deux cent mille francs chacun.

Cependant, de concert avec mon camarade, j’écrivis à ma sœur de me faire passer des fonds et des lettres de recommandation pour Constantinople et pour l’Italie, où nous comptions passer en quittant les États du Grand Seigneur, et je reçus, au bout de deux mois, tout ce que je pouvais désirer et sur l’un et sur l’autre objet. M’étant introduit dès lors chez le banquier où j’étais adressé dans Constantinople, je devins bientôt l’admirateur d’une jeune fille de seize ans, que ce banquier chérissait et élevait comme la sienne, quoiqu’elle ne fût qu’adoptive. Philogone était blonde, l’air de la candeur et de la naïveté, les plus beaux yeux possibles, et l’ensemble, en un mot, le plus séduisant et le plus agréable. Mais il arriva ici quelque chose de fort extraordinaire. Par un de ces caprices bizarres, et qui n’est fait pour être connu que des vrais libertins, à quelque point que Philogone fût aimable, quelques sentiments violents qu’elle dût inspirer, je ne fus vraiment ému, en la voyant, que de l’extrême désir de la faire foutre à Tergowitz ; je ne bandais que pour cela ; je ne me branlais que sur cette idée. J’avais mené le Hongrois chez Calni, protecteur de Philogone, et lui avais sur-le-champ fait part d’un dessein qui paraissait lui plaire infiniment.

— Je ne vais travailler que pour toi, lui dis-je, ô mon ami !

— Il faudrait, ce me semble, répondit Tergowitz, élever un peu plus nos vues. Ce banquier est, dit-on, l’un des plus riches de Constantinople : tout en travaillant la protégée, ne pourrions-nous pas voler le patron ? Il me semble que ses trésors nous feraient voyager en Italie avec beaucoup plus d’agrément.

— Ce projet, dis-je à mon ami, n’est pas d’une exécution bien facile ; nous ne sommes pas les plus forts ici, et je ne vois que la ruse qui puisse nous amener où tu dis. Commençons, dans ce cas, par semer cent mille écus, pour recueillir au moins deux millions : me désapprouves-tu ?

— Non.

— Eh bien ! laisse-moi faire.

Je commençai par louer une maison de campagne superbe, mais isolée, et le plus loin possible de la ville ; dès qu’elle fut garnie de nombreux domestiques et d’un magnifique mobilier, j’y donnai des fêtes somptueuses, où vous croyez bien que Philogone et Calni n’étaient point oubliés. Tergowitz passait pour mon frère ; je favorisais ses démarches, et les appuyais par des projets d’alliance que je laissais légèrement entrevoir ; on commençait à m’écouter sans peine. Une seule chose contrariait mes désirs : cette malheureuse fille, contre laquelle je machinais intérieurement les plus grandes horreurs, ne s’avisait-elle pas de m’aimer ? Dès que je lui eus parlé de mon frère :

— Un tel projet me flatte assurément, monsieur, me dit-elle, mais mon protecteur laissant mon choix libre, j’ose vous assurer avec franchise que j’eusse mieux aimé que vos propositions ne regardassent que vous.

— Belle Philogone, répondis-je, cet aveu flatte infiniment mon amour-propre ; mais je dois vous répondre avec la même candeur. De nombreux penchants, dont je ne suis pas le maître, m’éloignent absolument des femmes ; et l’obligation où vous seriez, en devenant la mienne, de singer le sexe que je préfère, ne vous rendrait pas aussi heureuse que vous méritez de l’être.

Comme je vis que Philogone ne m’entendait pas, je mis infiniment de libertinage à lui expliquer que l’autel où les femmes sacrifiaient à l’amour n’était nullement celui que je fêtais ; et, cette démonstration exigea des détails qui me valurent l’examen et l’attouchement complet des charmes de cette belle fille, livrée tout entière à moi avec la candeur et l’innocence de son âge. Dieux ! que d’attraits ! que de fraîcheur ! que de grâces ! et surtout quel cul délicieux ! Lorsqu’en entrouvrant l’orifice, je fus obligé, pour suivre ma démonstration, de dire à Philogone que c’était là le temple où j’offrais mon hommage :

— Que m’importe ! me répondit cette charmante créature ; oh ! Borchamps, j’ignore tout cela ; mais tout mon corps ne serait-il pas à vous, quand vous avez si bien le cœur ?

— Eh ! non, non, sirène, lui dis-je en maniant son beau derrière, non, tu as beau faire… tu as beau m’adorer, je ne m’attendrirai point sur ton sort ; ce sont des plaisirs d’un bien autre genre que ceux de la délicatesse qui me font bander avec toi ; et l’amour n’a pas plus d’accès sur mon cœur, que toutes les autres vertus de l’homme. Puis, rabaissant ses jupes : Non, Philogone, non, dis-je, je ne puis vous épouser ; mon frère est fait pour votre bonheur, et il le fera.

Un an se passa de cette manière, pendant lequel la confiance s’établit. Je ne perdais pas mon temps pour cela : les plus belles Juives, les plus jolies Grecques, et les plus beaux garçons de Constantinople me passaient par les mains, et, pour me dédommager de la longue abstinence où j’avais été forcé, je vis plus de trois mille individus de l’un et l’autre sexe, pendant cette année. Pour mille sequins, un Juif, accoutumé à vendre des bijoux aux sultanes d’Achmet, m’introduisit au sérail avec lui ; et j’eus, au péril de ma vie, la voluptueuse jouissance de six de ses plus belles femmes. Toutes avaient l’habitude de la sodomie, et ce fut d’elles-mêmes qu’elles me proposèrent une route qui les préservait des grossesses. Rarement l’empereur, qui les mêle toujours avec ses icoglans, les voyait d’une autre manière ; elles font usage alors d’une espèce d’essence qui rend cette partie tellement étroite, qu’on ne peut les enculer qu’en les déchirant. Mes vœux se portèrent plus loin, je désirai vivement de foutre ces fameux icoglans, dans le cul desquels le Grand Seigneur oublie si facilement les femmes ; mais ceux qu’il destine à cela sont bien plus renfermés que les sultanes ; il est impossible d’aller jusqu’à eux. On m’assura que je perdrais beaucoup, et que rien au monde n’était si joli. Achmet en avait de douze ans, surpassant en beauté tout ce qu’il est possible de trouver de plus délicieux au monde. Je m’informai de ses goûts.

— Voilà, me dit une de ses femmes, quelle est sa passion favorite. Douze sultanes, liées très étroitement les unes aux autres, et n’offrant que leurs fesses, forment un cercle dans le milieu duquel il s’établit avec quatre icoglans. Au signal qu’il donne, il faut que ces femmes, sous peine de mort, chient toutes à la fois dans des vases de porcelaine, placés à ce dessein sous elles : il n’y a point de grâce pour la délinquante. Il ne s’écoule point de lune qu’il n’en périsse sept ou huit, en raison de ce crime ; et c’est lui qui les exécute secrètement, sans qu’on sache de quelle manière il les fait périr. Dès qu’elles ont chié, un icoglan vient relever les vases et les présente à Sa Hautesse, qui les respire, y frotte son vit, et s’en barbouille ; la tournée faite, un icoglan l’encule, pendant qu’un autre lui suce le vit ; le troisième et le quatrième lui font branler leurs vits. Au bout d’un instant, toujours au milieu du cercle, les quatre gitons, tour à tour, lui chient dans la bouche, et il avale. Alors le cercle se rompt ; il faut que toutes les femmes viennent sucer sa langue ; il leur pince ou la gorge ou les fesses pendant ce temps-là ; à mesure qu’une femme le quitte, elle va se placer de file sur un long canapé ; dès que toutes y sont, les icoglans, armés de verges, vont en fouetter chacun trois ; dès qu’elles sont en sang, il les parcourt, suce les marques et lèche le trou de leurs culs encore imprégnés de merde. Cela fait, il reprend les bardaches, et les encule tour à tour ; mais il ne fait là que se mettre en train. Les femmes, dès qu’il a fait, saisissent les jeunes gens et les lui offrent ; il les fouette l’un après l’autre, et, pendant ce temps, tout ce qui n’est pas occupé s’arrange autour de lui pour lui composer, avec un art incroyable, et sans qu’il dise un mot, les attitudes les plus obscènes et les plus variées. Quand les quatre enfants sont fouettés, on les lui présente, il les encule encore ; mais au moment où il est près de décharger, il se retire avec fureur, se jette sur une des femmes qui, pour lors, l’entourent en silence et le visage tourné vers lui ; il en saisit une, et la rosse jusqu’à ce qu’elle tombe anéantie ; il refout un second bardache, qu’il quitte pour la même opération ; même cérémonie aux deux autres ; et c’est en rossant la dernière femme, qui très souvent en crève, que son foutre s’élance de lui-même, et sans qu’on ait la peine de le toucher. Les quatre femmes, rossées, le sont très souvent au point de n’en pas revenir, et si elles n’en meurent pas, elles en sont au moins plusieurs mois dans leurs lits. C’est communément sur le sein et sur la tête qu’il les frappe avec le plus de force, et elles seraient étranglées sur-le-champ si elles opposaient la moindre résistance.

— Voilà, dis-je à celle des sultanes qui me racontait cela, une passion fort extraordinaire, sans doute, et que j’adopterais bien sûrement, si j’étais aussi riche que votre maître.

— Quelquefois aussi, l’empereur les voit seules, et c’est alors qu’il les encule ; mais cette grande faveur n’est jamais accordée qu’à celles qui sont extrêmement jolies, et dont l’âge n’est pas au-dessus de huit ans.

Mes projets sur la belle Philogone étant enfin au point de s’accomplir, moyennant quelques sequins, je fis mettre le feu à la maison de son protecteur. Vous imaginez bien que, dans cette circonstance, le premier soin de Calni fut de se retirer dans ma maison de campagne avec Philogone, suivi de ses richesses et de quelques valets affidés : ce dernier sujet m’inquiétait, nous ne l’eussions voulu que seul avec sa protégés. Je trouvai bientôt le moyen de lui persuader qu’il était essentiel de renvoyer, aux débris de sa maison toute cette valetaille, qui serait assurément plus utile là que chez moi, où je ne le laisserais manquer de rien. Calni, au désespoir, fit ce que je voulus. Les caisses étaient déjà dans notre maison, et le travail des bureaux allait même s’y faire, lorsque nous nous aperçûmes qu’il n’y avait pas un moment à perdre.

— Patron, lui dis-je, en entrant un matin chez lui, un pistolet à la main, pendant que Tergowitz faisait le guet dans la maison, et que mon ami Carle-Son contenait Philogone et le seul valet qu’il eût gardé, cher et féal patron, tu t’es rudement trompé si tu as cru que je te donnasse l’hospitalité pour rien ; prends congé de ce monde, mon ami ; il y a assez longtemps que tu jouis de tes richesses, il est juste qu’elles passent à d’autres…

Et, lâchant mon coup en prononçant ces derniers mots, j’envoyai le banquier acquitter les lettres de change qui pouvaient être échues en enfer. Carle-Son, de son côté, jetait déjà par la fenêtre le valet qu’il avait tué, et nous liâmes tous deux la demoiselle, qui jetait les cris du monde les plus touchants. Appelant alors Tergowitz :

— Mon ami, lui dis-je, voici l’instant : souviens-toi du prix que j’ai mis à cette scène, et fous, dans la minute, cette jolie fille-là, sous mes yeux, pendant que je t’enculerai, et que Carle-Son m’en fera autant.

Tergowitz, qui ne demandait pas mieux, met promptement la donzelle nue ; et le plus beau corps du monde se trouve aussitôt sous nos mains. Dieux ! quelles fesses ! je n’en avais jamais vues, je le répète, de plus belles et de mieux coupées : je ne pus m’empêcher de leur rendre un culte. Mais quand la tête s’échauffe pour un genre de libertinage, le diable ne la démonterait point : je ne voulais pas de Philogone, je n’étais tenté que du cul de celui qui la foutrait. Tergowitz enconne, j’encule Tergowitz, Carle-Son me fout, et, au bout d’une assez longue course, nous déchargeons tous trois, tous en même temps.

— Tourne-la donc, sacredieu ! dis-je à mon ami, ne vois-tu pas qu’elle a le plus beau cul du monde ? Carle-Son l’enconnera, et je vous foutrai tous deux.

L’acte se consomme, malgré les cris et les larmes de la belle orpheline ; et, dans moins de deux heures, il n’est pas un temple à Cythère dont nous ne lui apprenions le chemin. Mes amis étaient dans l’ivresse, Tergowitz principalement ; moi seul n’étais nullement tenté de cette belle fille, ou si elle m’inspirait quelques désirs, ils étaient tellement féroces et dissolus, que j’eusse à l’instant privé mes camarades d’elle, si je me fusse satisfait. Jamais la perversité de mes goûts ne s’était exprimée, contre qui que ce fût, aussi fortement qu’elle se prononçait contre cette fille ; il me semblait qu’il ne pouvait exister de supplices assez violents pour elle, et tous ceux que mon imagination me suggérait me paraissaient toujours trop doux et trop médiocres. Ma fureur était au point qu’elle se lisait dans mes regards ; je ne pouvais plus envisager cette créature qu’avec dépit ou qu’avec rage. Qui diable m’inspirait de tels sentiments ? Je l’ignore ; mais je les peins comme je les sentais.

— Partons, dis-je à mes amis ; il ne s’agit pas seulement de s’occuper de plaisirs ; il faut, lorsque l’on est prudent, penser encore à sa sûreté. Une felouque, chargée de nos richesses, nous attend à la pointe du port ; je l’ai frétée jusqu’à Naples. Ne perdons point de temps ; après les gentilles où nous venons de nous livrer, je crois très prudent de changer de climat… Et cette fille, qu’en ferons-nous ? dis-je à Tergowitz.

— Nous l’emmenons, j’espère, me dit le Hongrois d’un air assez mutin.

— Ah ! ah ! mon camarade, de l’amour !

— Non, mais puisque nous avons tant fait d’acheter cette fille au prix du sang de son protecteur, il vaut autant la conserver.

Et, ne jugeant pas à propos de rien dire dans la circonstance qui, capable de nous diviser, pût par conséquent nous perdre, j’eus l’air d’adopter l’avis de Tergowitz, et nous partîmes.

Carle-Son s’aperçut bientôt que je n’avais mis que de la complaisance dans le procédé qui me faisait consentir à l’enlèvement de Philogone. Il m’en parla. Je crus n’avoir rien à déguiser avec lui, et, dès le second jour, nous convînmes de nous défaire à l’amiable de ces deux tourtereaux, et que je resterais seul le maître des richesses. Je prévins le patron du bâtiment ; quelques sequins me le gagnèrent.

— Faites ce que vous voudrez, me dit-il, mais méfiez-vous pourtant des yeux de cette femme que vous voyez là dans un coin ; elle croit vous connaître, et il est inutile, si cela est, de se faire observer par elle.

— Sois tranquille, répondis-je, nous prendrons bien notre moment…

Puis jetant involontairement les yeux sur la créature que le patron disait être de ma connaissance, je demeurai convaincu qu’il se trompait, ne voyant, dans ce triste individu, qu’une femme d’environ quarante ans, occupée à servir les matelots, et dont la langueur et la misère altéraient totalement les traits. Je cessai donc d’y prendre garde et, revenant à notre projet, dès que les flots de la mer furent enveloppés des voiles de la nuit, Carle-Son et moi saisîmes mon camarade au fort de son sommeil, et le laissâmes doucement couler dans la mer. Philogone, réveillée, frémit, mais en m’assurant néanmoins que si elle regrette peu le Hongrois, c’est parce qu’elle n’aime que moi dans le monde.

— Chère et triste enfant, répondis-je, tu n’es guère payée de retour : je ne puis souffrir les femmes, mon ange, je te l’ai dit… Puis, déculottant Carle-Son à ses yeux : Tiens, poursuivis-je, voilà comme sont faits les individus qui ont des droits à mes faveurs.

Philogone rougit, et verse quelques larmes.

— Et comment donc, continuai-je, pourrais-tu m’aimer, après le crime que tu m’as vu commettre ?

— Ce crime est affreux sans doute, mais est-on maîtresse de son cœur ? Oh ! monsieur vous m’assassineriez moi-même… je vous aimerais encore.

Et, sur cela, la conversation s’engagea. La vieille femme s’était rapprochée de nous sans affectation ; et, sans avoir l’air de nous entendre, elle ne perdait rien de ce que nous disions.

— Que faisiez-vous donc chez Calni ? demandai-je à Philogone. Cette protection me semble intéressée ; il y avait de l’amour dans tout cela ? Quand on ne tient point par le lien du sang à une jeune fille comme vous, il est rare qu’on la protège sans avoir le dessein d’en jouir.

— Le plus pur intérêt, monsieur, me répondit Philogone, guidait les sentiments de Calni… ils furent toujours honnêtes, comme son cœur. Mon protecteur, en voyageant, monsieur, trouva, il y a seize ans, dans une auberge de Suède, une jeune personne abandonnée qu’il fit transporter à Stockholm où l’appelaient ses affaires. Cette jeune personne était grosse ; mon protecteur ne la quitta point ; elle me mit au monde. Calni, voyant ma mère hors d’état de m’élever, me demanda à elle et m’obtint. N’ayant point eu d’enfants de sa femme, tous deux prirent de moi les plus tendres soins.

— Et que devint votre mère ? demandai-je ici, avec une espèce de pressentiment dont je ne fus pas le maître.

— Je l’ignore, me répondit Philogone : nous la laissâmes en Suède, seulement aidée de quelques secours accordés par Calni…

— Et qui ne la conduisirent pas loin, dit ici la vieille femme. Et se jetant à nos genoux : Ô Philogone ! reconnais celle qui t’a donné le jour ; et vous, Borchamps, jetez encore un œil de pitié sur la malheureuse Clotilde Tilson, que vous séduisîtes à Londres, après avoir sacrifié sa famille, et que vous laissâtes grosse de cette pauvre enfant, dans une auberge de Suède, où une femme, qui se disait la vôtre, eut la barbarie de vous enlever à moi.

— Foutre ! dis-je à Carle-Son, fort peu touché de cette reconnaissance, te serais-tu douté, mon ami, qu’un même instant me rendît à la fois une épouse charmante, comme tu vois, et une très jolie fille ? Eh bien ! tu ne pleures pas ?

— Non, sacredieu ! me répondit Carle-Son ; je bande, au contraire, et je vois dans cette aventure les plus charmants détails à exécuter.

— Je les sens comme toi, répondis-je tout bas ; laisse-moi faire : tu vas bientôt reconnaître en moi l’effet des grands mouvements de la nature.

— Ô Philogone, m’écriai-je, en me retournant avec tendresse vers la protégée de Calni, oui, vous êtes ma fille… ma chère fille : je vous reconnais aux doux mouvements que j’ai sentis pour vous… Et vous, madame, poursuivis-je en serrant le cou de ma chère épouse, jusqu’à l’étrangler, oui, vous êtes ma femme, je vous reconnais aussi… Puis, les rapprochant toutes deux : Baisez-moi l’une et l’autre, mes amies. Oh ! que la nature est une belle chose ! Philogone, ma chère Philogone ! voyez quels sont les sentiments de cette nature sublime : j’avais peu d’envie de vous foutre, et voilà maintenant que j’en brûle.

Un mouvement naturel fit reculer ces deux femmes avec horreur ; mais Carle-Son et moi, les apaisant aussitôt, et leur faisant sentir que leur sort dépendait absolument de moi, elles se rapprochèrent ; et si je n’eus dans elles ni fille, ni épouse, j’y trouvai du moins deux esclaves.

Mes désirs, dès ce moment, s’irritèrent à un tel point, que je ne pouvais plus les calmer. Tantôt je voulais admirer les sublimes fesses de Philogone, l’instant d’après je voulais voir en quel état la misère et le chagrin avaient réduit les charmes de Clotilde. Et, les troussant à la fois toutes deux, mes yeux ne me suffisaient pas pour les regarder, et mes mains pour les parcourir : je baisais, je fourrageais, je complotais… Carle-Son me branlait. Toutes mes idées changeaient sur le beau cul de ma chère fille. On n’imagine pas ce qu’est la nature : Philogone, dont je ne me souciais nullement comme protégée de Calni, me faisait horriblement bander, devenue la mienne. Les désirs cruels ne changeaient point ; ils étaient isolés avant, ils marchaient de front maintenant avec ceux de foutre cette belle fille ; et je l’en convainquis sur-le-champ, en lui plongeant mon vit dans le derrière, assez durement pour lui faire jeter les hauts cris. Le patron, qui les entendit, s’approcha doucement de moi.

— Monsieur, me dit-il, j’ai peur que votre conduite ne scandalise l’équipage ; notre felouque n’est pas assez commode pour vous donner vos aises sur les actions où vous avez envie de vous livrer. Nous voici sur la côte d’une petite île déserte qui n’a d’autre inconvénient que d’être remplie de chouettes et de chauves-souris, c’est ce qui fait qu’on ne l’habite pas ; mais elle est excellente pour y passer une heure. Nous allons y prendre terre ; nos matelots y feront la soupe, et vous vous y amuserez quelque temps.

Je saisis cette ouverture pour raconter au pilote de quelle manière agréable je retrouvais à la fois, le même jour, une épouse et une fille…

— Une fille ! me dit-il. Mais vous la foutiez, tout à l’heure ?

— C’est vrai, mon ami, je suis peu scrupuleux sur ces choses-là.

— Bien ! bien ! vous avez raison, seigneur français ; il vaut mieux manger le fruit de l’arbre que l’on a planté que de le laisser manger aux autres. À l’égard de cette pauvre créature, poursuivit-il, si le hasard vous la fait retrouver pour femme, tout infortunée qu’elle est, je vous en félicite ; car depuis que nous la connaissons, et qu’elle fait des voyages avec nous, il nous est facile de vous répondre que c’est la plus honnête créature que nous connaissions.

— Mon ami, dis-je à ce matelot, je suis persuadé de cette vérité ; mais cette femme, dont tu fais l’éloge, a de furieux torts avec moi, et je ne te cache pas, lui dis-je, en lui glissant encore quelques sequins, que je ne désire aborder dans cette île que pour m’en venger.

— Ma foi, dit le pilote, faites tout ce que vous voudrez, vous êtes le maître. Puis, bas et avec l’air du mystère : Vous n’aurez qu’à dire, au retour, qu’elle s’est laissée tomber à l’eau…

Enchanté de la candeur amicale de ce cher homme, je revins rendre compte à Carle-Son de ma conversation, et lui faire part de mes homicides projets. J’avais à peine fini, que nous touchâmes terre.

— Patron, dis-je en débarquant avec ma famille, donnez-nous du temps.

— Ne suis-je pas à vos ordres ? me dit-il ; vous me payez seul : je ne partirai que quand vous voudrez…

Et nous nous enfonçâmes dans les terres.

— Oh, mon ami ! dis-je à Carle-Son, tout en cheminant, quel plaisir ces deux putains vont nous donner ! Je n’aurais jamais commis de meurtre qui me chatouille autant que celui-là : viens voir mon vit, dis-je en m’arrêtant, vois comme le bougre en écume de rage… Nous serons bien seuls ici, nous serons bien à notre aise.

Puis, au bout d’une heure de marche, apercevant un petit ravin délicieux, ombragé de saules et de peupliers, garni de gazon frais et environné de broussailles qui le rendaient impénétrable à l’œil :

— Fixons-nous là, dis-je à mon ami, il fait la plus belle journée possible… Mettons-nous nus comme des sauvages ; imitons leur manière d’être, comme leurs actions. Et baisant mon cher Carle-Son avec toute la lubricité possible : Allons, dis-je, donnons-nous-en ; il faut que notre foutre ne s’élance qu’au bout du dernier soupir de ces garces.

Du même coup, je précipite alors ces deux femmes à terre ; j’encule ma fille, j’examine les fesses de ma femme, de cette Clotilde que j’avais tant adorée et que je trouvais encore belle ; du cul de l’une, je passe promptement dans celui de l’autre ; Carle-Son me foutait. Je décharge, mais en mordant si cruellement les tétons de ma fille, que je les lui laissai tout en sang. Continuant de bander, je place mon vit au con de ma fille, en baisant les fesses de ma femme :

— Tiens ! dis-je à la protégée de Calni, tiens, reçois au fond de tes entrailles le foutre qui t’a donné la vie !

Mais, toujours infidèle, c’est Clotilde que j’enconne à présent ; elle obtient encore une fois du foutre, en mordant cette fois le cul de ma fille, aussi violemment que je viens de lui déchirer les tétons.

— Ménage-toi, Carle-Son, dis-je en me retirant, il faut que tu sodomises ces deux putains, je vais te les tenir l’une et l’autre.

Mon valet encule, je lui lèche les couilles : j’adorais ce beau garçon ; je reviens pomper sa bouche pendant qu’il décharge dans le derrière de ma femme ; ma fille est promptement traitée de même ; je le fous pendant qu’il lime l’anus de cette infortunée.

— Allons ! dis-je, dès qu’il a fini, divertissons-nous maintenant de nos victimes.

Et, faisant tenir mon ami tout droit, j’exige de ces deux putains de le lécher sur toutes les parties du corps, sans oublier le vit, le trou du cul et les entre-deux des doigts de pieds, ainsi que les aisselles. Je le fais chier sur un buisson d’épines et je contrains ces femmes à aller dévorer là sa merde, en s’écorchant tout le visage ; nous les enlevons ensuite par les cheveux, et, les enfonçant dans le même buisson d’épines, nous les en arrachions et les replongions, de manière à les déchirer jusqu’aux os ; rien d’attendrissant comme leurs cris, rien de vif comme les plaisirs que nous en ressentions…

— Ô juste ciel ! qu’ai-je fait, pour être traitée de cette manière, disait Philogone en se précipitant à mes genoux.

Ô vous qui vous dites mon père, s’il est vrai que je sois votre fille, prouvez-le donc en me traitant avec plus de bonté… Et vous, ma mère… mon infortunée mère, faut-il donc qu’un même coup nous frappe au moment où la main du ciel nous rejoint ! Mon père ! mon père ! je n’ai pas mérité de vous un tel sort ; faites-moi grâce, je vous en conjure…

Mais, sans seulement écouter ces plaintes, Carle-Son et moi, nous garrottons les deux garces, et, nous étant munis de poignées d’épines, nous les étrillons de toutes nos forces. Le sang coule bientôt de toutes parts ; il n’en faut pas davantage pour me faire aussitôt rebander ; je suce avec d’incroyables délices ce sang qui distille du corps de Philogone. C’est le mien, pensais-je ; et cette idée me faisait incroyablement bander ; je savoure cette bouche voluptueuse, qui ne s’ouvre que pour m’implorer ; je baise avec ardeur ces beaux yeux mouillés des larmes que fait couler ma furie ; et, revenant de temps en temps au beau cul de ma chère Clotilde, je ne le traite pas avec moins de férocité ; puis, reprenant celui de mon cher Carle-Son, je le dévore de caresses et suce son merveilleux vit.

— Il faut les placer dans une autre posture, m’écriai-je.

Nous les délions et les faisons mettre à genoux, les bras attachés à des arbres voisins, avec de grosses pierres sur leurs jambes, pour qu’elles ne puissent bouger. Elles nous exposent toutes deux, en cet état, les plus belles gorges du monde. Rien de beau comme celle de Philogone ; celle de Clotilde, un peu plus pendante, se trouvait, néanmoins, parfaitement conservée. Cette perspective acheva de m’irriter… Oh ! comme on bande en brisant des liens ! Je leur fais baiser mon derrière, je leur chie dans la bouche, et m’emparant des tétons pendant que j’encule Carle-Son, je les coupe tous quatre à fleur de la poitrine ; puis enfilant ces masses de chair à une ficelle, je leur en compose un collier ; elles sont couvertes de sang, et c’est en cet état que je leur élance sur le corps les derniers jets de mon foutre, enculé par Carle-Son.

— Laissons-les là, dis-je alors, oui, abandonnons-les ainsi liées : les bêtes, dont cet île est remplie, vont les dévorer en détail ; elles vivront peut-être trois ou quatre jours de cette manière, et cette mort sera bien plus cruelle que celle que nous leur donnerions tout de suite.

Carle-Son, dont le caractère est singulièrement féroce, voulait absolument les immoler à l’instant, afin, disait-il, de ne pas perdre le doux plaisir de les voir expirer ; mais l’ayant convaincu que ce que nous faisions était plus scélérat, nous prenons congé de ces dames.

— Dieu du ciel ! s’écrie douloureusement, Clotilde, voilà donc où nous entraîne une première faute ! Ce monstre m’a rendue bien coupable, je le sais, mais, ô mon Dieu, que ta punition est sévère !

— Ah ! ah ! dis-je à Carle-Son, voilà ce qu’on appelle une révolte envers l’Être suprême : vengeons ce Dieu que nous révérons si bien. La punition du blasphème était autrefois d’avoir la langue coupée : imitons cette justice des lois ; il est d’ailleurs essentiel que ces deux putains ne puissent s’entendre.

Et nous rapprochant d’elles, nous leur ouvrons la bouche de force, saisissons leur langue à toutes deux, et nous les coupons de trois pouces.

— Dès qu’elles ne peuvent parler, me dit Carle-Son, ce n’est pas trop la peine qu’elles voient : arrachons ces beaux yeux qui séduisirent ton cœur…

Et ma réponse à cette sage proposition fut de faire aussitôt disparaître ceux de Philogone, pendant que Carle-Son éteignait à jamais ceux de Clotilde.

— Voici qui va fort bien, lui dis-je, mais les garces ne peuvent-elles pas mordre les chats-huants qui vont venir les dévorer ?

— Sans doute.

— Il faut donc leur briser les dents.

Un caillou nous sert à cette opération, et ne voulant pas les flétrir davantage, afin qu’elles puissent mieux ressentir le tourment que les bêtes malfaisantes de cette île vont leur faire endurer en les dévorant, nous nous éloignons. À cent pas de là, nous montâmes sur un petit tertre, d’où nous pouvions les apercevoir au mieux. Les chouettes, les chauves-souris, tous les animaux malfaisants de cette île, s’en étaient emparés déjà : on ne distinguait plus qu’une masse noire.

— Oh ! mon ami, dis-je à Carle-Son, quel spectacle ! qu’il est doux d’avoir des femmes et des filles à soi, pour les traiter de cette manière ! Je voudrais avoir cent individus qui me touchassent d’aussi près : pas un ne m’échapperait. Oh ! cher Carle-Son, vois comme cette perspective me fait bander ; viens que je sodomise encore ton beau cul, bien en face.

J’encule, je branle mon ami, et nous nous éloignons enfin, après avoir déchargé une dernière fois tous les deux.

Une histoire que nous fîmes au patron, soutenue de quelques sequins, arrangea tout ; et nous arrivâmes à Naples, le troisième jour après notre expédition de l’Île-aux-Chouettes.

Désirant m’établir en Italie, je m’informai sur-le-champ d’une terre à vendre dans ce beau pays. On m’indiqua celle où vous me voyez aujourd’hui ; je m’y logeai. Mais, quelque riche que je fusse, il me fut impossible de renoncer à la profession de brigand ; elle a trop de charmes pour l’abandonner, elle s’allie trop bien à mes inclinations, pour que je puisse jamais en embrasser d’autre ; le vol et le meurtre sont devenus les premiers besoins de ma vie ; je n’existerais pas, privé du doux plaisir de m’y livrer journellement. J’exerce d’ici mon honorable profession, comme faisaient autrefois les grands vassaux dans leurs terres ; je soudoie une petite armée ; Carle-Son est mon lieutenant ; c’est lui qui vous arrêta ; c’est lui qui tint ma place pendant le voyage que je fis à Paris, pour aller chercher ma chère sœur à laquelle je brûlais de me rejoindre.

Malgré le crédit, les richesses dont jouissait Clairwil, elle ne balança pas à tout quitter pour partager mon sort ; mon état la flattait, elle trouvait, en le suivant, un aliment de plus aux passions féroces dont vous savez qu’elle est elle-même dévorée. Je l’attendis trois mois à Paris, et nous vînmes ensuite habiter ce repaire du crime et de l’infamie. Décidés l’un et l’autre à resserrer nos liens par tout ce qui pouvait les consolider le plus intimement, nous nous sommes mariés, en passant à Lyon, et nous espérons maintenant qu’aucune espèce de circonstance ne pourra plus désunir deux êtres si bien faits l’un pour l’autre, et qui, malgré leurs exécrables penchants, se feront toujours un devoir bien délicieux de chérir et de recevoir dans leur asile des amis aussi sincères que vous.

— Ô Juliette ! s’écria Clairwil, dès que son frère eut cessé de parler, trouves-tu qu’un tel homme soit digne de moi ?…

— Il l’est de tous ceux qui auront assez d’esprit pour sentir que la première des lois est celle de travailler à son bonheur, abstraction faite de tout ce que peuvent dire ou penser les autres.

Borghèse se jette dans nos bras, nous nous embrassons encore mille fois tous. Borchamps, auquel nous ne donnerons plus d’autre nom, et Sbrigani, paraissaient également enchantés de faire connaissance ensemble ; Élise et Raimonde se félicitent de voir ainsi se terminer une aventure dont les commencements les avaient si fort effrayées.

Nous en étions tous à ces marques réciproques de tendresse et d’amitié, lorsqu’on vint avertir le capitaine, que ses cavaliers amenaient une voiture qui contenait une famille entière et beaucoup d’argent.

— Voilà deux excellentes choses, répondit l’aimable frère de Clairwil ; ces individus, je me flatte, seront de nature à servir nos voluptés, et quant à l’argent, il ne saurait venir plus à propos, car il faudra bien que la suite de tout ceci soit d’aller passer quelques mois à Naples.

— C’est notre projet, dit Clairwil, en me serrant la main.

— Eh bien ! dit Borchamps, je sacrifie à ce voyage tout l’argent que va rapporter cette prise.

À ces mots les prisonniers parurent.

— Mon capitaine, dit Carle-Son qui conduisait la bande, c’est aujourd’hui le jour des reconnaissances : cette famille est la mienne ; voilà ma femme, continua-t-il en nous présentant une très belle personne de trente-quatre ans ; ces deux jeunes filles, poursuivit-il, en nous en montrant d’abord une de treize ans, belle comme l’amour, ensuite une de quinze, que les Grâces mêmes eussent enviée, sont les résultats de ma couille ; voilà mon fils, ajouta-t-il en nous offrant un jeune garçon de seize ans, de la physionomie la plus attrayante. Deux mots vous mettront au fait de cette intrigue ; ma femme voudra bien vous expliquer le reste. Rosine est danoise ; je l’épousai il y a dix-sept ans, lors du voyage que je fis à Copenhague ; j’en avais dix-huit à cette époque, et par conséquent trente-cinq aujourd’hui. Ce beau garçon, que j’appelle Francisque, fut le premier fruit de notre amour ; Christine, que voilà, poursuivit Carle-Son en désignant la fille de quinze ans, fut le second ; Ernelinde le dernier. Peu après la naissance de celle-ci, je vins en Russie ; quelques affaires d’État me firent envoyer en Sibérie, d’où je me sauvai avant que de me lier avec Borchamps dans Tiflis. Je retrouve cette chère famille, je vous la présente, en vous suppliant d’en faire absolument tout ce que vous voudrez : je suis jaloux de prouver à mon capitaine que je ne tiens pas plus que lui aux liens du sang.

— Madame, dit Borchamps à Rosine, ayez la bonté de nous expliquer le reste.

— Hélas ! monsieur, dit la belle Rosine, abandonnée de ce perfide, je passai comme je le pus les premières années de son absence, lorsqu’un legs considérable venant de m’échoir, j’employai une partie de mon argent à chercher mon époux en France, en Italie, où l’on m’avait assurée que je le trouverais : je n’aspirais qu’au bonheur de conduire ses enfants dans son sein paternel. Quelle a été ma surprise de ne le revoir qu’à la tête d’une troupe de scélérats… Le monstre ! voilà l’infâme métier qu’il faisait, pendant que, constamment attachée à mes devoirs, j’étais, par son absence, privée des premiers soins de la vie.

— Ah ! ah ! voici du pathétique, dit Olympe112 ; j’espère que notre ami Borchamps va tirer de la circonstance tout le parti qu’elle présente.

— Madame, dit Clairwil à cette malheureuse, il n’y a rien, dans tout ce que vous venez de nous dire, qui puisse vous préserver du sort qui attend tous ceux que font prisonniers les soldats de mon mari… Quelle est, je vous prie, la fortune que vous nous apportez ?

— Cent mille écus, madame, dit l’aimable épouse de Carle-Son.

— C’est bien peu de chose, répondit Clairwil. Puis se tournant vers moi : À peine cela payera-t-il notre maison dans Naples.

— Mon ami, dit Rosine à Carle-Son, je vous apportais, de plus, mon cœur, et ces tendres fruits de l’ardeur du vôtre.

— Oh ! de cela n’en parlons pas, dit le lieutenant ; je ne donnerais pas une pipe de tabac de ce don.

— Je serai plus généreuse que vous, dis-je à Carle-Son, que je commençais à fixer avec beaucoup d’intérêt : les plaisirs que nous attendons de ces quatre délicieux objets me paraissent valoir beaucoup d’argent.

— Nous allons bientôt les apprécier, madame, me répondit Carle-Son qui avait déjà deviné mes yeux ; ce qu’il y a de bien sûr, c’est que je crois qu’il est bien peu de voluptés qui vaillent celles que j’attends de vous…

— Vous croyez ? répondis-je, en serrant la main de cet aimable garçon.

— Je le gage, madame, me dit Carle-Son en m’appuyant sur la bouche un baiser, avant-coureur de son savoir-faire ; oui, je le gage, et je suis prêt à vous en donner la preuve.

— Dînons, dînons ! dit le capitaine.

— En famille ? dit le lieutenant.

— Assurément, dit Mme de Clairwil ; je veux les voir là, avant de les placer ailleurs.

Les ordres se donnent, et l’on sert le dîner le plus magnifique. Carle-Son, près de moi, s’y montra très envieux de me posséder, et j’avoue que je ne lui cédais en rien sur cet objet. Ses enfants y furent timides… embarrassés… son épouse, larmoyante et belle ; tout le reste, gai et fort libertin.

— Allons, dit Borchamps, en désignant Carle-Son et moi, ne faisons pas languir plus longtemps ces deux amoureux ; je vois qu’ils brûlent d’être ensemble.

— Oui, dit Borghèse ; mais il faut que la scène soit publique.

— Elle a raison, répondit Clairwil. Carle-Son, la société vous permet de foutre Juliette ; mais il faut que cela soit sous ses yeux.

— Mais que diront ma femme et mes enfants ?

— Ma foi, tout ce qu’ils voudront, dis-je en entraînant Carle-Son avec moi sur un canapé ; tous les saints du paradis seraient là, mon cher, que je n’en foutrais pas moins avec toi.

Et sortant son monstrueux engin de la culotte :

— Pardon, madame, dis-je à Rosine, si je vous dérobe des plaisirs qui ne devraient appartenir qu’à vous ; mais, sacredieu, il y a trop longtemps que je bande pour votre mari : puisque je le tiens, il faut qu’il y passe.

Et j’avais à peine achevé ces mots, que le terrible vit de Carle-Son était au fond de ma matrice.

— Voyez, dit le capitaine en rabaissant sa culotte, si j’ai eu tort de vous dire que mon ami avait le plus beau cul du monde.

Et le bougre l’encule en disant cela, pendant que Clairwil vient me baiser la bouche, en me branlant le clitoris, et qu’Olympe m’enfonce trois doigts dans le cul.

— Capitaine, dit Sbrigani qui bandait à ce spectacle, voulez-vous que je vous encule ? Vous voyez, je me flatte, un vit très en état de vous satisfaire.

— Foutez, monsieur, foutez : voilà mon cul pour toute réponse, dit le capitaine, mais maniez des fesses, je vous en prie, pendant ce temps-là.

— Je vais m’emparer de celles d’Élise et de Raimonde, dit Sbrigani, et placer sous vos yeux, pour les récréer, et celles de la femme de l’homme que vous foutez, et celles de ses trois enfants.

À peine le groupe est-il arrangé, que tout le monde décharge ; et, se décidant à ne plus perdre de foutre à de tels enfantillages, on passe, d’une voix unanime, à des orgies plus sérieuses. Il me paraît essentiel, pour leur intelligence, de replacer un instant tous les personnages sous vos yeux.

Nous étions douze en tout : Borchamps, Sbrigani, Carle, Clairwil, Borghèse et moi, tels étaient les six personnages actifs ; Élise, Raimonde, Rosine, Francisque, Ernelinde et Christine, voilà ceux qui devaient remplir les rôles de patients.

— Carle, dit Borchamps en déculottant le jeune Francisque, voilà un cul qui rivalise le tien, mon ami, et je sens que je vais offrir à celui-là des hommages aussi purs que ceux que le tien mérita si longtemps de moi.

Et il maniait, il baisait, en disant cela, le plus joli derrière, le plus blanc, le plus ferme qu’il fût possible de voir.

— Je m’oppose à cet arrangement, dit Clairwil, c’est pécher contre toutes les lois divines et humaines, que d’empêcher Carle de dépuceler son fils. Cet enfant va me foutre en cul, sa mère me branlera, et le père enculera son fils, pendant qu’Élise et Raimonde lui donneront le fouet, et qu’il maniera, de droite et gauche, les fesses de Borghèse et de Juliette, qui donneront le fouet aux deux jeunes filles de Carle sous les yeux de Borchamps, enculé par Sbrigani et aidant à l’opération flagellatrice des deux enfants de son ami.

La scène s’arrange, le jeune Francisque, parfaitement enculé par son père, sodomise au mieux mon amie : mais ce n’est qu’en pleurant que Rosine se prête à des indécences qui paraissent aussi loin de ses mœurs. Le capitaine, pendant tout cela, ne se trouvant point assez lié au tableau, toujours foutu par Sbrigani, s’empare de la plus jeune des filles de Carle ; et, sans aucune préparation, le paillard l’encule en jurant. La jeune fille s’évanouit ; rien ne dérange le capitaine, s’enfonçant plus que jamais, parce qu’il ne trouve plus de résistance : on eût dit qu’il voulait pourfendre cette malheureuse. S’en dégoûtant bientôt, il saisit l’autre fille : quoique âgée de quinze ans, elle est si fluette, si mignonne et si délicate, que l’introduction du membre énorme de Borchamps la vexe et la déchire, tout aussi vivement que vient de l’être Ernelinde. Rien n’arrête néanmoins les efforts prodigieux de ce brigand ; il pousse, il presse, il est au fond…

— Ô Carle ! s’écrie-t-il dans son enthousiasme, voilà des culs qui sont bien dignes de toi ! Délivre-moi de ces cons, si tu peux, et je leur donne le prix sur le tien.

Cependant Clairwil est arrosée du foutre de Francisque, et la coquine, se retournant comme une bacchante, le désarçonne, et du même bond se le renfonce aussitôt par-devant, sans que le père, qui sodomise celui qu’on ballotte ainsi, souffre en rien de la cabriole. Carle perd enfin son foutre ; et le cul de Francisque restant vacant, le capitaine, las de filles, y darde aussitôt son vit, pendant qu’emportée par la luxure la plus effrénée, je viens lécher le cul de ce bel homme, dont il me tarde bien de tâter. Carle, voyant ses deux filles vacantes, en enconne une, en baisant les fesses de l’autre, et se faisant fouetter par Élise, que Raimonde, enculée par Sbrigani, branle pendant ce temps-là. De nouveaux jets de foutre contraignent à des changements. Je suis enfin enculée par le capitaine, pendant que sa sœur me branle, et que Carle, foutu par Sbrigani, sodomise sa femme, en baisant le cul de ses trois enfants tenus par Élise et par Raimonde, dont le paillard branle les cons que Borghèse a soin de lui ouvrir.

— Ô Borchamps ! m’écriai-je au milieu de la scène, que de plaisir me fait ton vit, et combien je le désirais !

— Tu ne seras pourtant pas foutue seule, dit le capitaine en saisissant Borghèse et la sodomisant ; excuse, Juliette, mais ce beau derrière aussi me faisait bander depuis que nous sommes nus ; j’y pensais en foutant le tien : c’est le tien qui va m’occuper, en sodomisant celui-ci.

Voyant Francisque vacant, je le choisis ; mes goûts sont si bizarres, et le jeune homme est si beau, que je ne sais quel sexe adopter avec lui ; je le suce, je dévore son cul, je lui présente le mien ; de lui-même il me sodomise, et j’établis mon con sur le visage de Rosine ; de nouvelles décharges apaisent enfin les esprits, et le capitaine prétend qu’après s’être occupé des hommes, il ne faut plus, dans ce qui va suivre, travailler que pour la volupté des femmes.

— Comme les plaisirs physiques, dit le capitaine, sont médiocres pour des femmes, avec de tels enfants ! Il nous faut nous en tenir, ce me semble, à leur conseiller des voluptés morales. Juliette ! tu vas commencer ; il faut que Carle, à demi couché sur le sofa, te présente un vit bien dur ; tu te poseras doucement sur ce vit, en observant de le faire entrer dans ton cul ; Clairwil et Borghèse te branleront, l’une le con, l’autre le clitoris : qu’elles ne se repentent pas de cette complaisance, elles auront du plaisir à leur tour ; pendant que tu jouiras de cette manière, au-dessus de toi et bien en face, Élise et Raimonde me donneront du plaisir, dans les attitudes les plus lubriques et les plus variées. Alors les victimes se présenteront à genoux, l’une après l’autre, devant toi : d’abord cette chère épouse de Carle, qui vient de si loin lui apporter à la fois de l’or et des enfants, ensuite son fils, puis ses deux filles ; ce sera le même père qui les conduira : tu ordonneras un supplice à chacun de ces individus, mais un supplice d’abord doux et simple : nous avons longtemps à jouir, et, par conséquent, des gradations à observer. Je retiendrai ces arrêts, et ils s’exécuteront aussitôt que tu auras déchargé.

Tout s’arrange, mais on a le soin méchant d’attendre que je sois dans l’ivresse pour me présenter les victimes. Rosine paraît la première ; j’ordonne qu’on l’approche de moi ; je l’examine sous tous les sens, et, lui trouvant la gorge superbe, je lui impose la peine d’être fustigée sur les tétons ; Francisque suit, j’observe la beauté de son cul : c’est sur les fesses qu’il sera fouetté ; Christine vient, je la condamne à manger l’étron du premier de nous qui aura envie de chier ; et la jeune Ernelinde, dont la charmante physionomie m’échauffe, recevra deux soufflets de chacun de nous.

— Vas-tu décharger, Juliette ? me demande Borchamps que mes deux tribades comblent de voluptés.

— Oui, foutre, je décharge ! Oh ! sacredieu, je n’en puis plus… Ah ! Carle-Son, que votre vit est délicieux !

— Allons, dit le capitaine, exécutons les pénitences du premier tour ; Borghèse suivra.

Tous mes arrêts se subissent ; mais, par un raffinement très sage, le bourreau doit être choisi parmi les femmes qui n’ordonnent point. C’est donc Clairwil qui, cette fois, exécute mes ordres, et comme elle a envie de rendre le foutre qu’on lui a lancé dans le cul, c’est son étron que Christine avale. Oh ! quelle ardeur la putain met ensuite à fustiger les beaux tétons de Rosine ! En trente coups, elle les fait saigner, et la coquine baise les blessures, ouvrage de sa férocité. Quand elle en est au beau cul de Francisque, ce n’est pas avec moins de rage que la scélérate l’étrille.

— Allons, Borghèse, à ton tour, dit le capitaine ; je me flatte, poursuivit-il, que Sbrigani, convaincu du besoin que nous avons de son arme, aura senti la nécessité de ne la point émousser trop tôt.

— Vous le voyez, dit Sbrigani, en sortant de mon cul un vit roide et mutin dont il perfore à l’instant celui de Borghèse ; j’aurai la même prudence avec celle-ci : soyez sûrs que je ne déchargerai qu’à la dernière extrémité.

Borghèse ordonne ; je deviens le bourreau.

— Augmentez, dit le capitaine, songez aux gradations essentielles à observer pour les conduire doucement à la mort…

— À la mort ! s’écria Rosine, ô juste ciel ! qu’ai-je donc fait pour la mériter ?

— Si tu l’avais méritée, bougresse, dit Carle-Son en enculant le capitaine qui se niche au cul de Raimonde, tout en gamahuchant celui d’Élise, oui, foutredieu ! si tu l’avais méritée, putain, on ne t’y condamnerait pas. Nous avons ici le plus grand respect pour le vice, et l’indignation la plus vive pour tout ce qui ressemble à la vertu ; des principes sûrs consolident cette manière de penser… et tu trouveras bon, ma chère, que nous ne nous en écartions en quoi que ce puisse être.

— Allons, Borghèse, ordonne ! dit le capitaine, nerveusement foutu par son plus cher ami.

— Rosine, dit la fougueuse Olympe, recevra de chacune de nous six piqûres d’aiguille sur le corps ; le beau Francisque aura les fesses mordues par son père, et le vit par toutes les femmes ; le, bourreau donnera ensuite vingt coups de bâton sur les reins de Christine, et cassera deux doigts aux mains d’Ernelinde.

Je commence l’exécution : après avoir appuyé fermement mes six coups d’aiguille sur le sein dodu de Rosine, je passe l’arme à mes amis, qui se signalent tour à tour sur les plus chatouilleuses parties de ce beau corps. Son affreux mari se distingue, et c’est dans l’intérieur du vagin que le coquin enfonce l’aiguille : le reste est mon ouvrage, et j’exécute avec tant d’adresse et de fermeté, que je fais décharger tout le monde. Clairwil remplace Borghèse.

— Augmente, ma sœur, dit le capitaine, n’oublie pas la loi des proportions…

— Tranquillise-toi, répond cette harpie, tu vas bientôt reconnaître ton sang.

C’est Carle-Son qui, cette fois, encule la sœur de son capitaine ; ce n’était pas un coup d’essai pour lui ; Borghèse et moi nous la branlons, et l’arrêt se prononce.

— Je veux, dit-elle, que l’on brûle avec un fer chaud les deux tétons de la femme de celui qui m’encule. Je veux, poursuivit la garce, qui perd la tête sitôt qu’un vit lui chatouille le derrière, qu’on coupe en quatre endroits, avec un canif, les belles fesses du jeune homme, que mon frère, à ce qu’il me paraît, encule en attendant ; je veux qu’on brûle les fesses de Christine, et qu’on clystérise, avec de l’huile bouillante, le joli cul d’Ernelinde, malgré toutes les caresses dont je vois que Borghèse l’accable.

Mais il arriva quelque chose de fort plaisant ici, c’est que la jeune fille eut une telle peur du lavement qu’on lui destinait, qu’elle lâcha tout, aussitôt, sous elle, et qu’elle inonda la chambre de merde.

— Sacredieu ! dit Borchamps en appliquant un si vigoureux coup de pied dans les fesses de cette petite fille, qu’elle pensa voler par la fenêtre qu’on venait d’ouvrir pour aérer la chambre, oh, foutre ! comment n’égorge-t-on pas, à la minute, une petite putain de cette espèce ?

— Que diable as-tu ? dit Clairwil à son frère ; ce n’est que de la merde, et tu l’aimes ; préfères-tu celle de Juliette ? Viens, viens la recevoir, mes doigts sentent son étron, elle va te le pondre dans la bouche…

— Oh ! comme nous devenons sales, dit le capitaine en adaptant ses lèvres au trou de mon derrière, et sollicitant ce qu’on lui fait espérer ; le foutre n’est pas loin, quand on tient de semblables propos… Je chie ; le croirait-on ?

Il chie lui-même, et c’est dans la bouche de Christine, qu’il a fait placer sous ses fesses, que le vilain lâche la bordée, en avalant l’étron que je lui fais.

— Vos plaisirs sont bien impudiques, dit Clairwil en se faisant faire par Francisque la même opération sur le nez.

— Ah ! foutue gueuse ! lui crie son frère, tu n’es pas loin de perdre ton sperme, je m’en aperçois à tes infamies.

— Foutre ! dit-elle, je veux qu’on me mette à terre… je veux qu’on me vautre au milieu des cochonneries qu’a faites cette petite fille.

— Es-tu folle ? dit Olympe.

— Non, je le veux.

On lui obéit, et c’est là, c’est en se roulant sur de la merde, que la coquine décharge, en mourant de plaisir.

Les pénitences nouvelles s’exécutent ; c’est Borghèse qui doit opérer.

— Attendez, dit le capitaine, au moment où il la voit s’armer du fer qui doit calciner les tétons de Rosine, je veux enculer cette femme pendant que vous la tourmentez.

Il sodomise, on opère.

— Ô double foutu dieu ! s’écrie-t-il, comme il est doux de foutre le cul d’un individu souffrant ! Malheur à qui ne connaît pas ce plaisir ! c’est le plus grand de la nature.

Mais, malgré sa peur, Ernelinde reçoit des mains de son père qui l’encule avant, le remède anodin prescrit par Clairwil ; le reste s’opère de même, et les attitudes dérangées, l’on passe à de nouvelles horreurs.

Carle-Son, furieux, et s’enflammant à tout instant pour mon cul, qui, disait-il, lui tournait la tête, saisit ses enfants ; il les frappe, il les fouette, il les fout, pendant que nous nous branlons entre femmes, en face d’un spectacle qui nous donne l’idée du loup furieux au sein des paisibles brebis.

— Allons, garce ! dit à Rosine, Borchamps, qui m’encule en maniant les fesses d’Olympe et de Raimonde, allons, putain, il faut que tu supplicies tes enfants ! Carle-Son, tiens toi-même le poignard levé sur la gorge de cette abominable créature, et plonge-le-lui dans le cœur si elle balance à faire ce que nous allons lui ordonner…

Rosine sanglote.

— Étouffe tes soupirs, lui dit Olympe, ils excitent notre cruauté ; nous allons te faire souffrir en raison des larmes que tu répandras.

— Saisis ta fille aînée par les cheveux, lui crie Borchamps, et toi, Clairwil, ordonne ; Borghèse te suivra, Juliette prononcera la dernière.

— Je veux, dit mon amie, que la sale coquine morde jusqu’au sang les tétons de sa fille…

Rosine balance ; Carle-Son fait sentir la pointe du poignard ; la malheureuse mère obéit…

— Olympe, qu’ordonnes-tu ? dit Borchamps.

— Je veux qu’elle laisse tomber de la cire d’Espagne, toute brûlante, sur les fesses de sa fille…

Nouveaux refus ; nouvelles piqûres de la pointe du poignard… nouvelle obéissance de la malheureuse Rosine.

— Et toi, Juliette, que désires-tu ?

— Je veux qu’elle soit fouettée sur tout le corps, par les mains de sa mère, et fouettée jusqu’à ce que le sang coule…

Que de peines il faut pour cette exécution ! Ce ne sont d’abord que des coups si doux, qu’ils ne marquent même pas le derrière ; mais le poignard de Carle-Son, qui ne tarde pas à se faire sentir, effraie à tel point Rosine, qu’elle n’ose plus ménager rien : le cul de sa fille est en sang. Des supplices égaux s’exécutent de même sur les autres, et chacun se surpasse en horreur. Lorsque mon tour arrive, une de mes pénitences est que Francisque enculera l’aînée de ses sœurs, en donnant des coups de poignard à sa mère ; et Borchamps, qui m’encule pendant que je donne cet ordre, n’est plus le maître du foutre que cette infamie lui fait lancer.

— Allons, sacredieu ! dit le capitaine, en se retirant de mon cul, la pine toujours en l’air, allons, il est temps d’en venir au fait ; commençons par lier ces quatre individus ventre contre ventre, et de manière à ce qu’ils ne forment, pour ainsi dire, qu’un seul et même corps.

— Bon.

— À présent, que chacun de nous huit, armé d’une discipline de fer rougie, travaille un instant ces cadavres…

Puis, au bout d’une heure de la plus rude flagellation :

— Rosine, prenez ce poignard, dit sévèrement le capitaine, plongez-le dans le cœur de votre fils, que son père lui-même va tenir…

— Non, barbare ! s’écria cette mère au désespoir, non, ce sera dans le mien !

Et elle se perçait, si je n’eusse retenu son bras.

— Ah ! garce, tu obéiras ! s’écria Carle-Son furieux ; et, saisissant la main de sa femme, il conduit lui-même le poignard dans le sein de son fils.

Clairwil, jalouse de voir qu’on procède sans elle au meurtre de ce jeune homme, elle qui ne respire que pour les meurtres masculins, saute sur un second poignard, et vient cribler ce malheureux de coups mille fois plus sanglants ; alors Rosine est couchée sur une banquette de bois très étroite, et là, Borchamps veut qu’Ernelinde ouvre, avec un scalpel, le ventre de sa mère. L’enfant se refuse ; on la menace. Effrayée, meurtrie, excitée par l’espoir de sauver sa vie si elle consent, sa main, conduite par celle de Carle-Son, cède aux barbares impulsions qu’on lui donne.

— Voilà où tu as reçu l’existence, dit ce père cruel dès que l’ouverture est faite, il faut que tu rentres dans la matrice dont tu es sortie.

On la garrotte, On la comprime tellement, qu’à force d’art, la voilà toute vive dans les flancs qui la lancèrent autrefois.

— Pour celle-là, dit le capitaine en parlant de Christine, il faut la lier sur le dos de sa mère… Voyez, dit-il, quand cela est fait, s’il est possible de réduire trois femmes en un si petit volume !

— Et Francisque ? dit Clairwil.

— On te le donne, répond Borchamps, va dans un coin l’expédier à ta guise…

— Suis-moi, Juliette, dit Clairwil en emmenant le jeune homme dans un cabinet voisin.

Et là, comme des bacchantes effrénées, nous faisons expirer ce malheureux jeune homme, dans tout ce que la férocité peut imaginer de plus cruel et de plus raffiné. Carle-Son et Borchamps nous trouvèrent si belles au sortir de là, que tous deux voulurent nous foutre ; mais la jalouse Borghèse s’écrie qu’il ne faut ni faire languir les victimes, ni retarder les plaisirs qu’on attend de leur supplice. On revient à cette opinion, et, comme il est tard, on décide que le souper sera servi en même temps.

— En ce cas, dit la Borghèse, qui acquérait le droit d’ordonner, n’ayant point Participé aux tourments de Francisque, il faut placer ces victimes droites sur la table. Le premier de nos plaisirs, d’abord, se recevra de l’état où elles sont, qui, je crois, est des plus violents ; le second, de l’effet des coups que nous leur porterons là.

— Oui, qu’on les place, dit Clairwil ; mais je veux foutre avant que de souper…

— Et avec qui ? dis-je à mon amie : ils sont tous rendus.

— Mon frère, reprend l’insatiable créature, fais-nous venir les dix plus beaux soldats de ta troupe, et donnons-nous-en comme des garces.

La troupe paraît ; Borghèse, Clairwil et moi, nous nous jetons, en bravant les vits qui nous menacent, toutes trois à terre, sur des carreaux mis à dessein. Élise et Raimonde servent nos plaisirs. Sbrigani, le capitaine et Carle-Son s’enculent en nous regardant, et, pendant quatre grandes heures, au bruit des lamentations de nos victimes, nous voilà toutes trois à foutre comme les plus grandes gueuses de l’univers. Nos champions, rendus, sont congédiés.

— À quoi sert un homme qui ne bande plus ? dit Clairwil. Mon frère, je te supplie de faire égorger ces dix hommes à l’instant, sous nos yeux.

Par les ordres du capitaine, vingt hommes n’emparent aussitôt de ceux-là ; on les massacre pendant que nous nous branlons, Borghèse, Clairwil et moi. C’est, pour ainsi dire, sur leurs corps que le souper le plus délicieux nous est offert. Et là, nus, barbouillés de foutre et de sang, ivres de luxure, nous portons la férocité au point de mêler à nos aliments des morceaux de chair, détachés par nos mains du corps des malheureuses qui sont sur la table. Gorgés de meurtre et d’impudicité, nous tombons enfin, les uns sur les autres, au milieu des cadavres et d’un déluge de vins, de liqueurs, de merde, de foutre, de morceaux de chair humaine. Je ne sais ce que nous devînmes ; je me rappelle seulement qu’en ouvrant les yeux à la lumière, je me retrouvai entre deux corps morts, le nez dans le cul de Carle-Son, qui m’avait rempli la gorge de merde, et qui lui-même s’était oublié le vit au cul de Borghèse. Le capitaine, qui s’était endormi la tête appuyée sur les fesses emmerdifiées de Raimonde, avait encore son vit dans mon derrière, et Sbrigani ronflait dans les bras d’Élise… les victimes en morceaux toujours sur la table.

Tel est l’état où nous trouva l’astre du jour, qui, loin de s’étonner de nos excès, ne s’était, je crois, jamais levé plus beau depuis qu’il éclairait le monde. Il est donc faux que le ciel condamne les égarements des hommes, il est donc absurde d’imaginer qu’il s’en offense. Accorderait-il ses faveurs aux scélérats comme aux honnêtes gens, s’il était irrité par le crime ?…

— Eh ! non, non ! dis-je à mes amis qui, le lendemain, de sang-froid écoutaient mes réflexions ; non, non, nous n’offensons rien en nous livrant au crime. Un dieu ? Comment s’en offenserait-il, puisqu’il n’existe pas… La nature ?… Encore moins, poursuivis-je, en me rappelant l’excellente morale dont j’avais été nourrie ; l’homme ne dépend point de la nature ; il n’en est pas même l’enfant ; il est son écume, son résultat ; il n’a point d’autres lois que celles imprimées aux minéraux, aux plantes, aux bêtes ; et, quand il se perpétue, il accomplit des lois personnelles à lui, mais nullement nécessaires à la nature… nullement désirées par elle. La destruction satisfait bien plus cette mère universelle, puisqu’elle vise à lui rendre une puissance qu’elle perd par notre propagation. Ainsi nos crimes lui plaisent, mes amis, et nos vertus l’offensent ; ainsi l’atrocité dans le crime est ce qu’elle désire le plus ardemment ; car celui qui la servirait le mieux serait incontestablement celui dont la multiplicité des crimes, ou leur atrocité, détruirait jusqu’à la possibilité d’une régénération qui, se perpétuant dans les trois règnes, lui ôterait la faculté des seconds élans. Imbécile que j’étais ! ô Clairwil, avant que nous ne nous quittassions, j’en étais encore à la nature, et les nouveaux systèmes, adoptée par moi depuis ce temps, m’enlèvent à elle pour me rendre aux simples lois des règnes. Ah ! combien nous serions dupes, mes amis, en adoptant ces systèmes, de refuser quelque chose à nos passions, puisqu’elles deviennent les motrices de notre être, et qu’il ne nous est pas plus possible de ne pas suivre leurs mouvements, qu’il ne nous l’est de naître ou de rester dans le néant !… Que dis-je ? ces passions sont tellement inhérentes à nous, tellement nécessaires aux lois qui nous meuvent, qu’elles deviennent comme les premiers besoins qui conservent notre existence. À quel point, ma chère Clairwil, continuai-je, en serrant la main de mon amie, je suis maintenant l’esclave de ces passions ! Quelles qu’elles soient, comme j’y sacrifierais tout !… Eh ! qu’importe la victime que je leur offrirais ! Aucune ne sera pour moi plus respectable que l’autre. Si, d’après les préjugés populaires, il en existait une qui semblât mériter l’exception, au brisement seul de ce frein mes voluptés devraient s’accroître : je prendrais cet excès de chatouillement pour la voix qui me l’indique, et ma main aussitôt servirait mes désirs113.

Un exemple frappant des récompenses, presque toujours accordées par la fortune aux grands criminels, vint appuyer mes raisonnements. Nous sortions à peine de la scène d’horreur que je viens de décrire, lorsque les soldats de Borchamps amenèrent six chariots d’or et d’argent, que la république de Venise envoyait à l’empereur. Cent hommes seulement escortaient ce magnifique convoi, lorsqu’aux défilés des montagnes du Tyrol, deux cents cavaliers de notre capitaine, après un combat d’une heure, s’emparèrent de ce trésor, et le conduisirent à leur chef.

— Me voilà riche pour le reste de ma vie, dit l’heureux frère de Clairwil… Voyez dans quel moment nous arrive ce bonheur ! C’est dans des mains souillées d’uxoricide, d’infanticide, de sodomie, de meurtres, de prostitution, d’infamies, que le ciel vient placer ces richesses ; c’est pour me récompenser de ces horreurs, qu’il les met à ma disposition ! Et vous ne voudriez pas que je crusse que la nature n’est honorée que par des crimes ? Ah ! jamais mes systèmes ne changeront sur cet objet, et je m’y livrerai sans cesse, puisque les suites en sont si heureuses. Carle-Son, dit le capitaine, avant que de compter, prends sur ces chariots cent mille écus pour toi ; je te les donne pour te témoigner toute la satisfaction que j’ai reçue de ton courage et de ta fermeté, dans la scène dont tu viens de nous fournir les acteurs…

Carle-Son baisa les genoux de son patron, pour le remercier.

— Vous le voyez, mesdames, nous dit le capitaine, je ne me cache pas de l’extrême tendresse que j’ai pour ce garçon, et quand on aime, il faut le prouver avec de l’argent. J’imaginais que la jouissance me refroidirait, c’est tout le contraire : plus je décharge avec ce délicieux garçon, plus je l’aime. Mille et mille pardons, mesdames, mais ce ne serait peut-être pas la même chose avec vous.

Nous passâmes encore quelques jours chez Borchamps au bout desquels il nous dit, en nous voyant décidés au départ :

— Je croyais, mes amis, pouvoir vous accompagner jusqu’à Naples, je m’en faisais une fête ; mais voulant bientôt quitter le métier que je fais, il faut que je mette ordre à mes affaires. Ma sœur va vous suivre dans cette belle ville, et voilà huit cent mille francs que je vous donne pour les frais du voyage. Louez un magnifique hôtel en arrivant, faites-vous passer toutes les trois pour sœurs : une sorte de ressemblance vous unit assez pour qu’on puisse le croire. Sbrigani continuera de veiller à vos affaires, pendant que vous vous livrerez à tous les plaisirs qu’offre cette magnifique cité ; Élise et Raimonde seront vos dames de compagnie. J’irai vous voir, si je le puis. Amusez-vous toutes les trois, et ne m’oubliez pas dans vos plaisirs.

Nous partîmes. Je regrettais Carle-Son, je l’avoue ; je m’étais, pendant mon séjour chez le frère de Clairwil prodigieusement fait foutre par ce beau garçon dont le vit était admirable, et ce n’était pas sans peine que je m’en séparais. Il ne s’agissait pas d’amour dans mon fait : je n’ai jamais servi ce dieu-là ; il n’était question que du besoin d’être bien foutue, et personne ne le satisfaisait comme Carle-Son. L’obligation de nous cacher, d’ailleurs, afin de ne pas déplaire à Borchamps, très jaloux de ce beau garçon, mettait à sa jouissance un sel que je ne trouvais pas dans les autres, et nos derniers adieux furent scellés d’une inondation mutuelle de foutre.

Arrivés dans Naples, nous louâmes un hôtel superbe, sur le quai de Chiagia, et, nous faisant passer pour sœurs, comme nous l’avait conseillé le capitaine, nous primes, sous cette dénomination, un superbe train de maison. Nous passâmes d’abord un mois à étudier avec soin les mœurs de cette nation à demi-espagnole ; nous réfléchîmes sur son gouvernement, sur sa politique, sur ses arts, sur ses rapports avec les autres nations de l’Europe. Cette étude faite, nous nous crûmes en état de pouvoir nous répandre dans le monde. Notre réputation de femmes galantes s’y propagea bientôt. Le roi voulut nous voir ; ce ne fut pas sans jalousie que sa méchante femme nous envisagea114. Digne sœur de l’épouse de Louis XVI, cette princesse hautaine, à l’exemple de tous les individus de la maison d’Autriche, ne cherche à captiver le cœur de son époux que pour maîtriser son empire ; ambitieuse comme Antoinette, ce n’est pas l’époux qu’elle veut, c’est le royaume. Ferdinand, simple, imbécile, aveugle… roi enfin, s’imagine avoir une amie, lorsqu’il n’a dans cette femme entière qu’une espionne et qu’une rivale… Et la putain, comme sa sœur, en dévastant… en pillant les Napolitains, ne travaille qu’au bien de sa famille.

Peu de temps après notre présentation, je reçus un billet du roi de Naples, à peu près conçu en ces termes :

« On offrit l’autre jour à Pâris, Junon, Pallas et Vénus ; son choix est fait, c’est à vous qu’il envoie la pomme ; venez la recevoir demain à Portici, j’y serai seul ; un refus me désespérerait, et ne vous servirait à rien : je vous attends. »

Un billet aussi despote… aussi laconique, assurément méritait une réponse ; je la fis verbale, et me contentai d’assurer le page que je serais exacte. Dès qu’il est parti, je vole apprendre cette bonne fortune à mes sœurs. Toutes trois, bien déterminées à bannir d’entre nous jusqu’au plus léger soupçon de jalousie, à nous divertir des extravagances humaines… à en profiter… à en rire, cette préférence ne servit qu’à nous amuser : toutes deux m’exhortèrent à ne pas manquer l’aventure. Et, parée comme la déesse même qui avait mérité la pomme, je m’élance dans une voiture à six chevaux qui, dans peu de minutes, me descend au château royal, célèbre par les ruines de la ville d’Herculanum sur lesquelles il est situé. Mystérieusement introduite dans les plus secrets appartements de cette maison, je trouve enfin le roi, nonchalamment couché dans un boudoir.

— Mon choix, sans doute, aura fait des jalouses ? me dit l’imbécile, en mauvais français.

— Non, sire, répondis-je, mes sœurs ont vu cette préférence avec la même tranquillité que moi… pas plus touchées, d’honneur, de ne pas y être comprises, que je ne le suis, moi, du grand honneur que vous imaginez peut-être qu’il me fait.

— Voilà, sans doute, une réponse singulière.

— Ah ! je sais bien que, pour plaire aux rois, il faudrait toujours les flatter ; et moi, qui n’observe dans eux que des gens ordinaires, je ne leur parle jamais que pour leur dire des vérités.

— Mais si elles sont dures ?

— Pourquoi les méritent-ils ? et à quel titre s’imaginent-ils qu’on ne leur doit pas la vérité toute nue, comme aux autres hommes ? Est-ce parce qu’ils ont besoin de la connaître ?

— C’est parce qu’ils la craignent davantage.

— Qu’ils soient justes, qu’ils renoncent au vain orgueil de vouloir enchaîner les hommes, et ils l’aimeront, au lieu de la craindre.

— Mais, madame, voilà des discours…

— Qui t’étonnent, Ferdinand, je le vois ; tu t’es imaginé, sans doute, que, flattée de ton choix, j’allais ne t’aborder qu’à genoux, que j’allais t’adorer… te servir… Non, l’orgueil que mon sexe et ma patrie m’inspirent ne se prête point à de tels usages. Ferdinand, si j’ai bien voulu t’accorder le rendez-vous que tu sollicitais, c’est que je me suis crue plus de force que n’en ont peut-être mes sœurs pour t’éclairer sur tes véritables intérêts. Renonce donc un moment aux frivoles plaisirs que tu te promettais avec une femme ordinaire, pour en écouter une qui te connaît bien, qui connaît encore mieux ton royaume, et qui peut te parler sur ces objets, comme tes courtisans n’oseraient le faire…

Et voyant que le roi, très surpris, me prêtait une attention stupide, je lui parlai de la manière suivante :

— Mon ami, lui dis-je, car tu me permettras de ne point me servir de ces dénominations orgueilleuses, qui ne prouvent que de l’impertinence dans celui qui les reçoit, et de la bassesse dans celui qui les donne, mon ami, donc, je viens d’observer ta nation avec le plus grand soin, et j’ai vu qu’il était extrêmement difficile d’en démêler le génie : je l’étudie depuis que j’habite Naples, et j’avoue que je n’y conçois rien encore. Avec un peu de réflexion, néanmoins, je crois démêler le motif de la peine que j’ai. Ton peuple a perdu la trace de sa première origine ; le malheur qu’il a eu de passer de domination en domination, lui donne une sorte de souplesse et d’habitude à l’esclavage, qui détériore absolument son ancienne énergie, et qui l’empêche d’être reconnu. Cette nation, qui chercha longtemps des libérateurs, par une maladresse inouïe ne trouva jamais que des maîtres. Grand exemple pour un peuple qui veut briser ses fers : qu’il apprenne des Napolitains que ce n’est point en implorant des protecteurs qu’il réussira, mais en pulvérisant le trône et les tyrans qui s’y placent. Toutes les autres nations se sont servies des Napolitains pour établir une puissance ; eux seuls sont demeurés dans la langueur et dans la faiblesse. On cherche le génie des Napolitains, et comme celui de tous les peuples accoutumés à l’esclavage, ce n’est jamais que celui de son souverain que l’on rencontre. N’en doute pas, Ferdinand, les vices que j’ai trouvés dans ta nation sont bien moins à elle qu’à toi. Mais une chose plus surprenante encore, c’est que l’excellence du territoire de ton peuple est peut-être l’unique cause de sa pauvreté : avec un terrain plus ingrat, les besoins l’auraient averti d’être industrieux, et, par la contrainte au travail, il aurait reçu la vigueur dont le prive la fécondité de son sol. Aussi arrive-t-il que ce beau pays, avec les avantages d’une nation méridionale, éprouve tous les inconvénients d’un peuple du Nord.

Depuis que je suis dans tes États, j’ai partout cherché ton royaume, et n’ai jamais pu trouver que ta ville ; cette ville est un gouffre où toutes les richesses venant s’engloutir appauvrissent, au moyen de cela, le reste de la nation. Veux-je étudier cette capitale, qu’y vois-je ? Tout ce que le faste et l’opulence peuvent étaler de plus magnifique, à côté de ce que la misère et la fainéantise offrent de plus affligeant. D’une part, des nobles presque rois ; de l’autre, des citoyens plus qu’esclaves. Et partout le vice de l’inégalité, poison destructeur de tout, gouvernement d’autant plus difficile à corriger chez toi, qu’il naît de la distance énorme qui se trouve dans les biens des propriétaires. On ne voit dans ton pays que des hommes qui possèdent des provinces, près d’autres malheureux qui n’ont pas un arpent de terre. Ici, l’extrême richesse est beaucoup trop voisine de l’extrême pauvreté ; et cette différence fait qu’un homme est absolument l’antipode de l’autre. Si ces gens riches avaient quelques vertus au moins, mais ils me font pitié : ils veulent afficher l’éclat de la naissance, et n’ont aucun des avantages qui peuvent en faire passer le ridicule ; ils sont fiers sans urbanité, tyrans sans politesse, magnifiquement parés sans élégance, libertins sans aucune recherche. Selon moi, tous ressemblent à ton Vésuve : ce sont des beautés qui font peur. Tous leurs moyens de distinction se réduisent à entretenir des couvents et des filles, à nourrir des chevaux, des valets et des chiens.

En continuant mes observations sur ton peuple, le refus formel qu’il fit d’adopter le tribunal de l’Inquisition m’en donna d’abord une assez bonne idée ; poursuivant mes réflexions, je m’aperçus qu’il n’en était pas moins très faible quoiqu’il eût fait une chose qui demande de la force.

On accuse ton clergé d’avoir cumulé beaucoup de richesses, je ne l’en blâme pas ; son avarice, en balançant celle des souverains de la nation, rétablit un peu l’équilibre : ceux-ci avaient dissipé, les autres conservent. Quand on aura besoin des trésors du royaume, on saura du moins où les prendre115.

En analysant bien ta nation, je n’y vois que trois états, et tous trois inutiles ou malheureux : le peuple est assurément de cette dernière classe, les prêtres et les courtisans forment les deux autres. Un des grands défauts de ton petit empire, mon ami, c’est qu’il n’y existe qu’un pouvoir, devant qui tout cède : le roi est l’État, ici ; le ministre est le gouvernement. Il ne peut donc y avoir d’autre émulation que celle que font naître le souverain et son agent : où peut-il exister un plus grand vice que celui-là ?

Quoique la nature donne beaucoup à ton peuple, il jouit de peu. Mais ce n’est pas l’effet de son inaction ; cet engourdissement a sa source dans ta politique qui, pour tenir le peuple dans sa dépendance, lui ferme la porte des richesses ; d’après cela, son mal est sans remède, et l’état politique n’est pas dans une situation moins violente que le gouvernement civil, puisqu’il tire ses forces de sa faiblesse même. La crainte que tu as, Ferdinand, que l’on ne découvre ce que je te dis, te fait exiler les arts et les talents de ton royaume. Tu redoutes l’œil puissant du génie, voilà pourquoi tu favorises l’ignorance. C’est de l’opium que tu fais prendre à ton peuple, afin qu’engourdi par ce somnifère, il ne sente pas les plaies dont tu le déchires. Et voilà d’où vient que l’on ne trouve chez toi aucun des établissements qui donnent de grands hommes à la patrie : les récompenses dues au savoir y sont inconnues, et, comme il n’y a aucun honneur ni aucun profit à être savant, personne ne se soucie de le devenir.

J’ai étudié tes lois civiles : elles sont bonnes, mais mal exécutées, d’où il résulte qu’elles se dégradent. Qu’arrive-t-il ? qu’on aime mieux vivre dans leur corruption, que d’en demander la réforme, parce qu’on craint, avec raison, que cette réforme ne fasse naître infiniment plus d’abus qu’elle n’en détruirait ; on laisse les choses comme elles sont. Néanmoins, tout va de travers, et comme il n’y a pas plus d’émulation pour le gouvernement que pour les arts, personne ne se mêle des affaires publiques ; on s’en dédommage en se livrant au luxe… à la frivolité… aux spectacles. Il en arrive que le goût des petites choses remplace chez vous celui des grandes, que le temps qu’on devrait à celles-ci se passe à celui qu’on donne aux futilités, et que vous serez subjugués tôt ou tard par celui qui voudra de vous…

Pour prévenir ce malheur, la situation de ton État aurait besoin d’une armée navale. J’ai bien vu quelques troupes de terre chez toi, mais pas un vaisseau. Avec cette insouciance, avec cette condamnable apathie, ta nation perd le titre de puissance maritime auquel la situation lui donne des droits, et, comme tes forces de terre ne t’en dédommagent pas, tu finiras par n’être rien. Les peuples qui s’agrandiront se moqueront de toi, et si jamais une révolution vient à régénérer quelques-uns d’entre eux, tu seras, avec raison, privé de l’honneur de former un poids dans la balance. Il n’y a pas jusqu’au pape qui ne puisse te faire peur, s’il voulait avoir un peu d’énergie.

Eh bien ! Ferdinand, est-ce la peine de vouloir dominer une nation, pour la conduire de cette manière ? Et crois-tu qu’un souverain, même un despote, puisse être heureux quand son peuple n’est pas florissant ? Où sont les maximes économiques de ton État ? J’en ai cherché, et n’en ai trouvé nulle part. Augmentes-tu l’agriculture ? encourages-tu la population ? protèges-tu le commerce ? donnes-tu de l’émulation aux arts ? Non seulement, chez toi, l’on ne voit rien de ce que les autres font, mais je vois qu’on fait même tout le contraire. Qu’arrive-t-il de tous ces inconvénients ? Que la triste monarchie languit dans l’indigence ; que toi-même deviens un être nul au congrès des autres puissances de l’Europe, et que ta décadence est prochaine.

Examinerai-je l’intérieur de ta ville ? en analyserai-je les mœurs ? Je n’y vois nulle part de ces vertus simples qui servent de bases à la société. On se réunit par orgueil, on se fréquente par habitude, on se marie par besoin ; et comme la vanité est le premier vice des Napolitains, défaut qu’ils tiennent des Espagnols, dans la dépendance desquels ils vécurent si longtemps, comme, dis-je, l’orgueil est le vice inhérent à ta nation, on évite de se voir de trop près, dans la crainte que l’homme ne fît horreur, une fois que le masque serait à bas. Ta noblesse, ignorante et bête comme partout, achève de multiplier le désordre, en donnant sa confiance aux gens de lois, triste et dangereuse engeance, dont la ridicule étendue fait qu’il n’y a presque point de justice. Le peu qu’il y en a se vend au poids de l’or ; et c’est ici, peut-être, de tous les pays que j’ai parcourus, le seul où j’ai vu mettre plus d’esprit en usage pour absoudre un coupable, qu’on en met ailleurs pour justifier un innocent.

Je m’étais imaginé que ta cour m’offrirait quelques idées de politesse et de galanterie, et je n’y trouve partout que des rustres ou des imbéciles. Je me consolais des vices monarchiques, par l’espoir de quelques antiques vertu, et je n’ai vu dans ton gouvernement que le résultat de tous les désordres des différents royaumes de l’Europe. Chaque individu, chez toi, cherche à paraître plus qu’il n’est ; et comme on n’a pas les qualités qui font acquérir les richesses, on y substitue la fraude : ainsi, la mauvaise foi s’établit, et les étrangers ne peuvent plus prendre de confiance en une nation qui n’en a pas dans elle-même.

Après avoir jeté mes regards sur les nobles, je les porte sur ton peuple. Je le vois partout, grossier, stupide, indolent, voleur, sanguinaire, insolent, et ne possédant pas une seule vertu qui fasse racheter tous ces vices.

Veux-je, en réunissant les deux tableaux, m’occuper de l’ensemble de la société ? J’y vois toutes les conditions confondues ; le citoyen auquel il manque le nécessaire, ne s’occuper que de l’inutile ; chaque homme servir d’amusement ou de spectacle à un autre ; l’indigence elle-même afficher un luxe d’autant plus révoltant que, quand des coursiers traînent ses chars, elle manque de pain sur sa table. N’est-ce pas un des effets horribles du goût des Napolitains pour le luxe, de voir que, pour posséder un carrosse et des valets, les trois quarts et demi des bonnes maisons ont la cruauté de ne pas marier leurs filles ? Cet affreux exemple se propage dans toutes les classes. Qu’arrive-t-il ? Que la population diminue en raison de ce que le luxe augmente, et que l’État dépérit insensiblement, en proportion du coloris trompeur qu’il acquiert par ces vils moyens.

Mais c’est dans vos mariages et dans vos prises d’habits, surtout, que ce luxe devient aussi ridicule que cruel. Dans le premier cas, vous diminuez sur la dot de la malheureuse fille, afin de l’embellir un seul jour, dans le second, vous auriez de quoi lui trouver un mari, de ce que vous dépensez à la cérémonie ridicule qui doit l’en priver toute sa vie.

Ce qu’il y a de particulier, Ferdinand, c’est que, quoique tes sujets soient pauvres, tu es riche. Et tu le serais bien davantage, si tes prédécesseurs n’avaient vendu l’État en détail, pour avoir de l’argent en gros. Un État qui a des intérêts de commerce réciproques peut balancer, ses revers par ses avantages ; mais un peuple avec qui tout le monde négocie, et qui ne négocie avec personne, un peuple qui, en matière de commerce, fait la chouette à toute l’Europe, doit s’appauvrir nécessairement. Telle est l’histoire de ta nation, mon cher prince ; toutes les autres t’imposent un tribut pour leur industrie, et ton industrie sans activité n’en peut imposer à personne.

Ce qu’il y a de bien plaisant, c’est que tes arts tiennent du caractère vain et glorieux de ton peuple. Aucune ville sur la terre ne surpasse la tienne en décorations d’opéra ; tout est clinquant chez toi, comme ce peuple. La médecine, la chirurgie, la poésie, l’astronomie y sont encore dans les ténèbres ; mais tes danseurs sont excellents, et nous n’avons nulle part d’aussi plaisants scaramouches. Ailleurs, enfin, on se donne beaucoup de mouvement pour devenir riche : le Napolitain, seul, ne s’en donne que pour le paraître ; il a moins à cœur de posséder une grande fortune, que de persuader aux autres qu’il en jouit, et cherche bien moins l’opulence que ce qui l’annonce. Voilà ce qui fait que, dans ta nation, il y a beaucoup de gens qui se privent du nécessaire pour avoir le superflu. La frugalité règne au milieu du plus grand faste ; la délicatesse des mets est inconnue ; excepté tes macaronis, que mange-t-on de bon chez toi ? rien : on y méconnaît absolument cet art voluptueux d’irriter toutes les passions par les délicieuses recherches de la table. Tout cède au plaisir absurde d’avoir un beau carrosse, une belle livrée, et, par un contraste déplaisant à l’œil, avec la pompe et la magnificence des modernes, vous avez conservé la frugalité des anciens. Vos femmes sont impérieuses et sales, exigeantes et basses, sans usage du monde, sans lecture. En d’autres climats, leur commerce, en gâtant le cœur, raffine au moins l’esprit : ici les hommes ne jouissent pas même avec elles de ce dernier avantage ; les vices que l’on contracte dans leur société sont sans retour comme sans dédommagement : on perd tout avec elles, et l’on n’acquiert rien.

À côté du mal, il est juste pourtant de dire un peu de bien. Le fond de ton peuple est bon ; le Napolitain est vif, irascible, brusque, mais il revient avec facilité, et son cœur, qui paraît alors tout entier, n’est pas sans vertus. Presque tous les crimes qui se commettent ici sont plutôt l’ouvrage du premier mouvement que de la réflexion, et la preuve que ce peuple n’est pas méchant, c’est qu’il est très nombreux à Naples, et qu’il s’y maintient sans police. Ce peuple t’aime, Ferdinand : rends-le-lui, sois capable d’un grand sacrifice. Christine, reine de Suède, abjura sa couronne par philosophie : brise ton sceptre par bienfaisance, quitte les rênes d’un gouvernement assez mal organisé pour n’enrichir que toi. Songe que les rois ne sont rien dans le monde ; les peuples tout. Abandonne à ce peuple seul le soin de redonner du ton aux ressorts d’une machine qui n’ira jamais bien loin sous ton gouvernail ; laisse Naples vivre en république : ce peuple, je l’ai étudié, est aussi mauvais esclave, qu’il deviendrait bon citoyen. Rends-lui donc l’énergie qu’enchaîne ton pouvoir, et tu auras produit deux biens à la fois : celui de faire trouver en Europe un tyran de moins, et celui d’y faire admirer un peuple de plus.

Ferdinand, qui m’avait écoutée avec attention, me demanda, dès que j’eus fini, si toutes les Françaises raisonnaient comme moi sur la politique.

— Non, lui dis-je : la plus grande partie analyse mieux des pompons que des royaumes ; elles pleurent quand on les opprime ; elles sont insolentes dès que les fers tombent. Pour moi, la frivolité n’est point mon vice ; je n’en dis pas autant du libertinage… j’y tiens excessivement ; mais le plaisir de foutre ne m’aveugle pas au point de ne pouvoir discuter les intérêts des différents peuples de la terre. Le flambeau des passions allume à la fois, dans les âmes fortes, celui de Minerve et celui de Vénus ; à la lueur de celui-ci, je fous comme ta belle-sœur116 ; aux rayons du premier, je pense et parle comme Hobbes et comme Montesquieu. Est-ce donc, selon toi, quelque chose de si difficile à mener qu’un empire ? Assurer si bien le bonheur du peuple qu’il ne puisse plus vous envier le vôtre ; travailler ensuite à ce dernier avec d’autant moins de retenue que l’homme cesse d’observer et d’être jaloux quand il est heureux : il me semble que voilà tout le secret ; et il y a bien longtemps que je l’aurais mis en pratique, si j’avais, comme toi, le pouvoir et la folie de régir un peuple. Prends-y garde, mon ami ! ce n’est pas le despotisme que je te défends, j’en connais trop bien les douceurs pour te l’interdire : je ne te conseille de supprimer et de changer que tout ce qui peut nuire au parfait maintien de ce despotisme, dès que tu veux rester sur le trône. Rends donc heureux tout ce qui sait sentir, si tu veux l’être toi-même ; car dès que ceux-là ne jouiront pas, sois-en bien certain, Ferdinand, ils t’empêcheront de jouir à leur tour.

— Et le moyen ?

— La plus grande liberté de penser, de croire et de se conduire. Brise les freins moraux ; l’homme qui bande veut être libre comme la bête. Si tu vas, comme en France, lui fixer l’autel où il faut que son foutre coule, en le courbant par des bêtises sous le joug odieux d’une morale puérile, il te le rendra d’une manière plus dure. Les fers remis à tes mains, pour eux, par des pédants ou par des prêtres, t’enchaîneront bientôt toi-même, et peut-être jusqu’à l’échafaud où te conduira sa vengeance117.

— Il ne faudrait donc pas de mœurs, selon vous, dans un gouvernement ?

— Aucunes que celles qu’inspire la nature. Vous rendrez toujours l’homme malheureux, quand vous voudrez l’astreindre à d’autres. Laissez à l’homme outragé le soin de se venger du tort qu’il a reçu : il y réussira toujours mieux que ne font vos lois, car il y est plus intéressé qu’elles ; d’ailleurs, on échappe souvent à vos lois, et bien rarement à celui qui poursuit notre juste vengeance.

— Ma foi, je n’entends pas grand-chose à tout cela, me répondit ce gros benêt. Je fous, je mange des macaronis sans cuisinier, je bâtis des maisons sans architecte, je recueille des médailles sans antiquaire, je joue au billard comme un laquais, je fais faire l’exercice à mes cadets comme un sergent ; mais je ne parle ni politique, ni religion, ni mœurs, ni gouvernement, parce que je ne connais rien à tout cela.

— Et le royaume ?

— Va comme il peut. T’imagines-tu donc qu’il faille être si savant pour être roi ?

— Tu me prouves que non, répondis-je, mais tout cela, sans me convaincre qu’il ne soit pas nécessaire d’avoir de la raison et de la philosophie pour conduire les hommes, et que, privé de l’un et de l’autre, on ne doit faire que des sottises, qui doivent engager bien vite les sujets d’un prince tel que toi, à secouer ton joug imbécile. Et ils le feront bientôt, sois-en sûr, si tu ne prends tous les moyens possibles pour les en empêcher.

— J’ai des canons, des forteresses.

— Et qui sert tout cela ?

— Mon peuple.

— Mais s’il se lasse de toi, il ne te servira plus. On tournera les canons contre ton château, on s’emparera de tes forteresses, et l’on te traînera peut-être dans la boue.

— Vous m’effrayez, madame !… et que faudrait-il ?

— Je te l’ai dit. Imite l’écuyer savant : loin de tirer la bride à toi quand le coursier se cabre, rends-lui doucement la main ; fais plus, coupe les rênes et laisse-le se conduire à sa guise. La nature, en disséminant les peuples sur la surface du globe, leur donna à tous le génie nécessaire pour se conduire ; mais ce ne fut jamais que dans sa colère qu’elle leur suggéra l’idée de se donner des rois. Ceux-ci sont au corps politique, ce qu’est le médecin au corps matériel : on peut l’appeler quand on souffre118 ; il faut lui fermer la porte quand la santé revient ; il prolongerait la maladie pour éterniser les secours, et, sous prétexte de guérir, il énerverait.

— Juliette, tu raisonnes bien, j’aime ta conversation, mais je ne sais… tu m’en imposes ; tu as plus d’esprit que moi.

— Cette mesure-là n’est pas celle qui pourrait m’en assigner une bien forte dose. N’importe, puisque mon esprit te fait peur, qu’un instant la raison le cède à tes plaisirs : que désires-tu, voyons ?

— On dit que tu as le plus beau corps du monde, Juliette, je veux le voir. Peut-être, avec le ton sur lequel tu as débuté dans ma Cour, ne serait-ce pas ici tout à fait le langage que je devrais employer ; mais le clinquant ne m’en impose pas, ma chère ; j’ai pris des informations sur tes sœurs et sur toi : quoique fort riches, je n’en puis douter, mes amies, vous n’êtes que trois franches putains.

— Tes informations sont mal prises, beau Sire, répondis-je avec vivacité ; tes espions ressemblent à tes ministres : ils volent ton argent sans te servir. Si tes informations avaient été bonnes, tu reconnaîtrais ton erreur. N’importe, pour mon compte, je n’ai nulle envie de faire la vestale. Il ne s’agit que de composer : je ne te rendrai pas la capitulation plus dure qu’elle ne l’a été pour ton beau-frère, le petit duc de Toscane. Écoute donc ; quoique tu aies tort en nous considérant, mes sœurs et moi, comme des putains : si nous ne le sommes pas, par le fait, toujours est-il certain qu’il est impossible d’être et plus scélérates et plus corrompues ; tu nous auras toutes trois, si tu veux.

— Assurément, répondit le prince, il n’y a rien qui me plaise comme d’enfiler ainsi toute une famille.

— Eh bien ! dis-je, tu vas te satisfaire, et nous n’exigeons de toi, pour cela, que de nous défrayer à Naples de toutes les dépenses que nous y ferons pendant six mois, de payer nos dettes si nous en faisons, et de nous assurer l’impunité la plus entière, quels que puissent être les écarts où nous nous livrions.

— Et quels seront ces écarts ?

— Nombreux, violents au delà de tout ce qu’on peut imaginer : il n’est aucune sorte de crimes où nous ne nous portions, mes sœurs et moi, et nous ne voulons être punies d’aucun…

— Accordé, répondit Ferdinand ; mais donnez à vos délits le moins d’éclat que vous pourrez, et qu’aucun n’attaque mon gouvernement ni ma personne.

— Non, non, dis-je, ceux-là ne nous amuseraient pas. Bons ou mauvais, nous laissons les gouvernements comme ils sont ; et quant aux rois, nous laissons aux peuples le soin de se venger de leur despotisme.

— Allons, dit Ferdinand, nous pouvons donc parler de plaisirs.

— Ne dis-tu pas que tu veux jouir également de mes sœurs ?

— Oui, mais il faut toujours commencer par toi.

Et me faisant passer dans un cabinet différent :

— Juliette, me dit le Napolitain, en me laissant voir une femme de vingt-sept à vingt-huit ans, presque nue, et couchée sur un canapé, dans une niche de glaces, ce sont autant les passions de cette femme, que les miennes, qu’il faut que tu satisfasses.

— Et quelle est cette femme ?

— C’est la mienne.

— Ah ! c’est toi, Charlotte ? dis-je sans m’étonner ; je te connais de réputation : aussi putain que tes sœurs, on dit pourtant que tu paies mieux ; nous le verrons.

— Juliette, me dit ici Ferdinand, si tu veux que je favorise tes désirs, il faut porter, avec la reine, la complaisance au dernier période.

— Qu’elle dise ce qui lui plaît : personne ne possède, comme moi, les ressources de la lubricité ; je les emploierai toutes.

Et, dans le même instant, Charlotte de Lorraine, se jetant à mon cou, me fit comprendre, par mille baisers, combien elle était déjà sensible aux plaisirs que je lui promettais. Les cérémonies se supprimèrent : Ferdinand nous déshabilla toutes deux ; puis, ayant introduit dans cet asile un jeune page de quinze ans, beau comme le jour, qu’il mit dans le même état, Charlotte et moi, nous nous branlâmes sur le canapé, pendant que, bien en face de l’opération, Ferdinand, pollué par son page, lui baisait ardemment la bouche en lui branlant le derrière.

Oh ! mes amis, quelle femme que cette Charlotte ! Je crus que l’impudicité même avait établi toutes ses flammes dans le con de cette putain royale. Charlotte, les cuisses enlacées dans les miennes, frottait avec ardeur son clitoris sur le mien ; ses mains embrassaient mes fesses ; l’un de ses doigts chatouillait le trou de mon cul ; sa langue, enfoncée dans ma bouche, pompait ma salive avec ardeur ; la coquine était en feu, et le foutre exhalait par ses pores. Je n’y tiens pas, je change de posture ; nos têtes entre les cuisses l’une de l’autre nous facilitent les plaisirs de la succion. Oh ! comme elle me rend ce que je lui prête ; si mon con inonde son gosier de foutre, le sien est un torrent dont les fréquentes éjaculations remplissent le mien et le délectent. Quand nous n’eûmes plus de foutre à répandre, elle me supplia de lui pisser dans la bouche ; je lui demandai la même chose : nous nous inondâmes d’urine, et nous avalions à mesure qu’elle coulait.

Charlotte est belle, sa peau fort blanche, sa gorge soutenue, ses fesses admirables, ses cuisses d’une merveilleuse proportion ; on voit qu’elle a beaucoup foutu de toutes les façons possibles, mais elle est pourtant bien conservée, et ses ouvertures encore fort étroites119.

— Ô mon amour ! lui dis-je, véritablement émue de ses charmes, portons-nous des coups plus sérieux !

— Voilà ce qu’il faut pour cela, me dit le roi en nous jetant des godemichés.

Et, nous en étant affublées toutes deux, nous nous lançâmes bientôt les bottes les plus énergiques. Dans une de ces attitudes, mon cul se trouva bien en face de Ferdinand ; il l’examine, il le convoite, il le couvre des plus chauds baisers.

— Fixe un instant ta posture et tes mouvements, me dit-il : je veux t’enculer pendant que tu fous ma femme… Toi, Zerbi, branle mon derrière…

La scène dura quelques instants, au bout desquels le prince, remettant sa femme à ma place, l’encule pendant qu’elle me fout ; un moment après, il la fait sodomiser par le jeune homme, je la gamahuche, et lui… décharge enfin dans le cul du page qui le cocufie.

Au bout d’un moment de repos employé à nous baiser, à nous manier, nous recommençâmes. Ferdinand se mit dans mon cul, il gamahuchait celui de Zerbi, il le faisait chier dans sa bouche, et sa femme lui donnait le fouet. Au bout d’une minute, il sortit de mon cul, prit les verges et nous fouetta tous trois assez fort ; la reine me le rendit, c’était une de ses passions ; elle me mit en sang ; elle suça le vit du page, pendant que son mari l’enculait et qu’elle me maniait le derrière. Peu après, nous entourâmes Ferdinand, je le suçais, sa femme le socratisait, lui maniait les couilles, et le page, à cheval sur sa poitrine, lui faisait lécher le trou de son cul ; il se relève de là bandant fort dur.

— Je ne sais pourquoi nous ne tordrions pas le cou à ce petit bougre-là, dit-il en saisissant son page au collet, et lui faisant jeter les hauts cris.

— Il faut le pendre, dit Charlotte.

— Ma fille, dis-je en baisant cette femme charmante, tu aimes donc aussi la cruauté ? Ah ! je t’adore, si cela est ! Tu serais, je le vois, capable du trait de cette impératrice de la Chine, qui nourrissait ses poissons avec des couilles d’enfants de pauvres.

— Oh ! oui, oui ! j’imiterai cette horreur quand on le voudra ; je suis faite pour la surpasser. Faisons des infamies, Ferdinand ; cette femme est délicieuse, je le vois, elle a de l’esprit, du caractère, de l’imagination ; je lui crois nos goûts. Tiens, mon ami, sers de bourreau toi-même à Zerbi, et souvenons-nous que la destruction d’un individu est le stimulant le plus vif qu’on puisse ajouter aux attraits de la débauche des sens. Pends Zerbi, cher époux, pends-le ferme ; Juliette me branlera, bien en face de l’opération…

Elle s’exécute ; et Ferdinand accroche le page avec tant d’art et tant de violence, qu’il expire avant que nous n’ayons seulement le temps de nous mettre en train.

— Oh ! foutre ! dit Charlotte, me voici la plus malheureuse des femmes, je ne voulais lancer du sperme qu’en le voyant expirer : n’importe, détache-le, Ferdinand ; tout mort qu’il est, conduis sa main, je veux qu’il me branle.

— Non, dit le roi, ce sera Juliette qui sera chargée de ce soin ; moi, j’enculerai le cadavre pendant ce temps-là ; on prétend qu’il n’y a rien de meilleur au monde, je veux en essayer. Oh ! sacredieu ! dit-il, dès qu’il est dans ce cul, on a raison de vanter cette jouissance : je me déchire en foutant ce cul-là, c’est divin !

La scène marche ; Zerbi ne renaît point, mais ses bourreaux meurent de plaisir. Charlotte, pour décharger une dernière fois, s’étendit, nue, sur le corps déjà froid du page, et, pendant que son mari la branlait, elle me faisait chier dans sa bouche. Quatre mille onces120 furent ma récompense, et nous nous séparâmes avec promesse de nous revoir bientôt en plus nombreuse compagnie.

De retour au logis, je raconte à mes sœurs les goûts bizarres de Sa Majesté sicilienne.

— Il est unique, dit Clairwil, que de pareilles passions soient toujours nichées dans la tête de ceux que la nature élève par leur esprit, leurs richesses ou leur autorité.

— Je ne connais rien de plus simple, dit Olympe, à laquelle nous ne donnions plus d’autre nom, de peur que le sien ne la fit reconnaître ; non, en vérité, je ne connais rien de si naturel que de voir les recherches les plus raffinées du plaisir, conçues par ceux dont les perceptions de l’esprit sont plus délicates, ou par ceux que le despotisme ou les faveurs de la fortune mettent au-dessus des autres. Il est impossible qu’un homme qui a beaucoup d’esprit, beaucoup de puissance, ou beaucoup d’or, s’amuse comme tout le monde. Or, s’il raffine les voluptés, il arrivera nécessairement au meurtre, car le meurtre est le dernier excès de la volupté ; il est dicté par elle, il est une de ses branches, un de ses écarts. L’homme ne parvient aux dernières crises de la volupté que par un accès de colère ; il tonne, il jure, il s’emporte, il manifeste, dans cette crise, tous les symptômes de la brutalité ; un pas de plus, il est barbare, encore un, le voilà meurtrier ; plus il aura d’esprit, mieux il raffinera tous ses mouvements. Une chaîne le retiendra néanmoins encore : il craindra, ou l’extrême dépense de ses plaisirs, ou les lois ; mettez-le à l’abri de ces folles terreurs par beaucoup d’or ou d’autorité, le voilà lancé dans la carrière du crime, parce que l’impunité le rassure, et qu’on va à tout, quand on joint à l’esprit de tout concevoir, les moyens de tout entreprendre.

— Eh bien ! dis-je à mes amies, nous voilà toutes trois dans cette passe heureuse ; car avec les richesses immenses que nous possédons, l’impunité la plus entière nous est accordée par Ferdinand.

— Oh, foutre ! dit Clairwil, à quel point cette charmante certitude enflamme mes passions !…

Et la gueuse écartait les cuisses, se retroussait, se branlait, et nous offrait un con vermeil et haletant, qui semblait appeler tous les vits de Naples au combat.

— On dit que les engins sont superbes ici, poursuivit-elle ; il faut prendre quelques arrangements avec Sbrigani pour n’en pas manquer.

— J’ai pourvu à tout cela dès hier, nous répondit cet homme charmant ; j’ai douze pourvoyeurs en campagne, et, par mes soins, vingt-quatre beaux garçons de dix-huit à vingt-cinq ans vous seront régulièrement présentés tous les matins : j’en serai le vérificateur ; si, malgré les ordres rigoureux que j’ai donnés, il se mêlait du médiocre dans les fournitures, elles seraient aussitôt refusées.

— Et quelles sont les tailles adoptées ? dit Clairwil, que Raimonde branlait.

— Vous n’aurez jamais rien au-dessous de six pouces de circonférence sur huit de long.

— Fi donc ! cette mesure est bonne pour Paris, mais à Naples, où il y a des monstres !… Pour moi, je vous avertis que je ne prends rien au-dessous de huit pouces de tour sur un pied de long…

— Ni nous non plus, répondîmes-nous, Olympe et moi, presque en même temps ; peut-être aurons-nous moins par cet arrangement, mais nous aurons meilleur…

— Moins ? dit Clairwil, je ne vois pas pourquoi diminuer le nombre ; au contraire, je tiens autant à la qualité qu’à la quantité, moi : je prie donc Sbrigani de nous avoir trente hommes tous les matins, dans les proportions que je viens de donner : c’est dix pour chacune de nous. En supposant qu’ils nous foutent trois coups chacun, y a-t-il donc de quoi se récrier ? Quelle est celle de nous qui ne peut pas courir trente postes, avant que de prendre son chocolat ? Pour moi, je vous garantis que cela ne m’empêchera pas de faire encore quelques petites incartades pendant la journée : ce n’est qu’en foutant beaucoup qu’on se met en train de foutre, et ce n’est que pour foutre que nous a créées la nature…

Et la coquine déchargea dans les bras de Raimonde en prononçant ces derniers mots.

— En attendant, dit Sbrigani, que je remplisse vos vues, voyez si ces six beaux valets vous plaisent : je crois qu’ils passent les mesures que vous venez de m’indiquer…

Et, en même temps, six grands gaillards, de cinq pieds dix pouces, parurent à moitié nus et le vit à la main.

— Sacredieu ! dit Clairwil encore troussée, quels engins… Voyons que je les empoigne (mais ses deux mains n’y suffisent pas). Oh ! ceux-ci sont de mise, dit-elle. À vous, mes amies ; pour moi, voici les deux que je retiens.

— Un moment, dit Sbrigani, vous perdez la tête ; laissez-moi régler vos plaisirs, ils seront mieux dirigés, par moi qui suis calme, que par vous, que le foutre aveugle déjà.

— Oui, oui, il a raison, dit Clairwil qui se déshabillait toujours provisoirement, qu’il arrange, qu’il ordonne ; moi, je vais toujours me mettre en état de combattre.

— Tiens, Clairwil, dit Sbrigani, commence, tu me parais la plus pressée.

— Je l’avoue, répondit notre compagne, je ne sais ce que l’air de Naples a pour moi de particulier, mais il m’enivre… il me rend plus libertine que jamais…

— Rempli de particules nitreuses, sulfureuses et bitumeuses, répondis-je, il doit nécessairement agacer les nerfs, et mettre les esprits animaux dans une beaucoup plus grande agitation. Je sens, comme toi, que je ferai des horreurs dans ce pays-ci.

— Quoique je dusse y être plus accoutumée que vous, nous dit Olympe, à cause du peu de distance qui existe entre ce pays et le mien, je sens néanmoins, comme vous, qu’il m’irrite au dernier degré.

— Jouissez donc, dit Sbrigani, donnez-vous-en, putains, et comptez sur moi pour servir vos plaisirs. Tenez, poursuivit-il, voici l’arrangement que je vous conseille de prendre pour cette scène-ci : Clairwil va commencer ; quoiqu’elle brûle d’être foutue, je veux qu’on lui fasse désirer l’engin qui va la percer. Juliette, prends ce beau vit, déjà du choix de ton amie, branle-le tout près de son con, frotte-lui-en le clitoris, mais ne l’enfonce pas. Toi, Borghèse, chatouille légèrement l’entrée du con de la patiente ; échauffe-la, mets-la en fureur, et quand la rage éclatera dans ses yeux, nous la satisferons, mais il faut qu’elle soit couchée dans les bras de l’un de ces jeunes gens ; il faut qu’en la soutenant, ce beau garçon lui branle le trou du cul d’une main, les tétons de l’autre, et qu’il baise sa bouche. Pour irriter encore les sens de notre amie, nous lui ferons introduire, de chaque main, un vit dans les cons d’Élise et de Raimonde, où ils ne feront que s’échauffer un moment ; les deux autres jeunes gens vous enconneront sous ses yeux, afin de compléter le désordre dont nous voulons embraser son âme…

La coquine, en effet, n’y tint pas six minutes ; elle écume, elle jure… elle déraisonne, et voyant qu’il devient impossible de la faire languir plus longtemps, les six valets, en moins d’une heure, lui passent sur le corps, et la font mourir de plaisir. Olympe et moi, pressions les vits au sortir du con de notre amie. Élise et Raimonde nous branlaient, nous fouettaient, nous chatouillaient, nous léchaient. Sbrigani mettait ordre à tout, et nous déchargions comme des gueuses. Toutes les manières de foutre, toutes les débauches, tous les raffinements furent mis en usage ; celui de tous que nous employâmes le plus, fut de recevoir à la fois trois vits, deux dans le con, un dans le cul. On n’imagine pas, avec des fouteurs adroits, le plaisir que donne cette jouissance ; quelquefois, tous se réunissaient sur une seule femme. Je soutins trois fois ainsi le poids général. J’étais couchée sur un homme qui m’enculait ; Élise, à cheval sur mon visage, me donnait son joli petit con à sucer ; un homme l’enculait sur moi, en me branlant le con ; et Raimonde branlait le trou du cul de cet homme avec sa langue. Sous mes deux mains étaient, à quatre pattes, Olympe d’un côté, Clairwil de l’autre : j’introduisais un vit dans chacun de leurs culs, et elles suçaient, chacune, les vits du cinquième et du sixième homme. Enfin, les six valets, après avoir déchargé chacun huit fois, furent reçus sans difficulté. Il était impossible de refuser, après de pareilles épreuves.

Environ huit jours après cette aventure, nous reçûmes une nouvelle invitation de Ferdinand, qui nous engageait de venir toutes trois le voir à Portici. Il paraissait que le roi avait voulu mettre, à cette scène-ci, infiniment plus de soin et d’éclat que dans l’autre. Nous fûmes reçues dans des cabinets magnifiquement décorés et d’une fraîcheur délicieuse. Charlotte, vêtue comme Flore, nous y attendait avec le prince de La Riccia, beau jeune homme de vingt-quatre ans, et qui était de tous les plaisirs particuliers de la reine et de son mari. Quatre jolis enfants, deux petites filles de dix à onze ans, et deux petits garçons de douze à treize, vêtus comme les Grecs costumaient autrefois leurs victimes, étaient debout, et dans un respectueux silence, à l’une des extrémités du cabinet. La taille noble et majestueuse de Clairwil, la régularité de ses traits, quoiqu’elle ne fût plus de la première jeunesse, l’excessif libertinage de ses yeux, tout frappa la reine de Naples.

— Voilà une bien belle femme ! s’écria-t-elle.

Et comme dans des créatures aussi libertines que nous, il n’y a jamais qu’un pas des éloges aux caresses, les deux coquines furent bientôt dans les bras l’une de l’autre. La Riccia s’empare d’Olympe, et je continue d’être la favorite du roi.

— Avant que d’agir ensemble, dit Ferdinand, je suis d’avis que nous passions tous séparément, deux par deux, liés comme nous voilà, dans les boudoirs environnant cette pièce. Après quelques minutes de tête-à-tête, nous nous rassemblerons.

Charlotte nous donne l’exemple ; suivie de Clairwil et de l’une des deux victimes féminines, elle s’enferme dans l’un des boudoirs. La Riccia prend un des petits garçons, et passe avec Olympe ; une petite fille et un petit garçon restent à Ferdinand qui s’enferme bientôt avec eux et moi. Ici, le libertinage épais et grossier du Napolitain parut dans toute son énergie. Mais comme à travers les nuages les plus opaques, quelques rayons de l’astre du jour viennent quelquefois égayer les mortels, de même, d’assez jolies nuances de lubricité perçaient les masses de balourdises du butor à qui je servais.

Après quelques instants d’horreurs préparatoires auxquelles chacun de nous se livra particulièrement avec les sujets qu’il avait emmenés, nous nous réunîmes tous dans un salon superbe ; et là, nous étant échauffée réciproquement l’imagination par le détail des infamies que nous venions de commettre, nous nous plongeâmes de nouveau dans un océan de lubricité, et exécutâmes, sans restriction, tout ce que nous suggéra le dérèglement de têtes aussi libertines et scélérates que les nôtres.

L’épuisement de nos forces vint seul mettre un terme à ces voluptueuses orgies, et nous nous séparâmes.

À notre retour, nous trouvâmes Sbrigani blessé et dans son lit. On l’avait insulté à notre occasion : quelques propos s’étaient tenue dans un café ; un Français, qui prétendait nous connaître, nous avait traitées de putains. Quoique, dans le fait, peu de choses au monde fussent plus vraies, Sbrigani, par attachement, n’en voulut jamais convenir, et, pour appuyer des mensonges, l’imbécile s’était fait donner deux bons coups d’épée dans le ventre.

Après lui avoir rendu les premiers soins, notre conversation dut naturellement tomber sur le duel.

— Oh ! quelle folie, dit Clairwil, d’aller risquer sa vie dans un combat singulier, avec un homme qui, décidément, a tort avec nous. Si cet homme, continua notre amie, en nous demandant la permission de se mettre un moment à la place d’un sexe dont elle remplissait si bien les fonctions au besoin, si, dis-je, cet homme m’a manqué essentiellement, comment lui dois-je une pareille faveur, que celle de le regarder comme assez honnête pour me mesurer avec lui ? et pourquoi faut-il que je me mette dans le cas de doubler son injure, en me blessant, ou me tuant peut-être encore, après m’avoir insulté ? C’est à moi que la réparation est due, et, pour la recevoir, il faut que j’expose mes jours ! Si je me comporte d’une manière différente, ou qu’en allant me battre avec cet homme, puisqu’il le faut absolument, je me plastronne, et me mette en un tel état de sûreté qu’il n’ait que le soin de se défendre, et qu’il ne puisse songer à celui de m’insulter encore, si, dis-je, je me conduis ainsi, je serai traité de coquin : je crois qu’il est difficile de voir une logique plus au rebours du bon sens que celle-là. Que celui qui a insulté se présente nu au combat, et que son adversaire vienne cuirassé : voilà ce que dictent la raison et le bon sens. L’agresseur doit visiblement avoir un avantage de moins : il s’est mis dans le cas, en suivant les usages de toutes les autres nations de l’univers, de se faire assassiner par celui à qui il avait manqué ; ainsi, tout ce que doivent, au plus dicter, les frivoles lois de l’honneur, dans une situation pareille, est que le combat ait lieu, si vous le voulez absolument, mais avec une disproportion prodigieuse entre les combattants ; et que celui qui a manqué, bien loin de songer à renouveler ses injures, ne doive et ne puisse s’occuper que de sa propre défense. Et quel droit peut-il donc avoir, pour attaquer encore après ce qu’il a fait ? Nos usages, sur cela, sont d’une injustice atroce, et nous font servir de risée dans les trois autres parties du monde, assez sages pour sentir que, quand on fait tant que d’avoir à se venger, on doit le faire sans risquer soi-même sa vie.

— Je vais plus loin, répondis-je à Clairwil, et je pense que le combat est une chose aussi absurde que ridicule. Il est odieux qu’un homme aille risquer sa vie parce qu’il a été insulté : la raison et la nature ne nous dictent alors que de nous défaire de notre ennemi, et nullement d’aller nous exposer nous-mêmes avec lui, quand c’est une réparation qu’il nous doit. Nos aïeux, bien plus sages, se battaient par procureurs ; des champions, au moyen d’une somme réglée, se présentaient pour vider la querelle, et le droit restait au plus fort : il y avait au moins, dans cet arrangement, l’espèce d’équité de ne pas se risquer soi-même, et quoique cet usage fût rempli d’extravagances et de folies, il l’était pourtant beaucoup moins que celui que nous suivons de nos jours. Mais voici ce qu’il y a de plaisant ; les champions qui jadis combattaient pour la cause d’autrui étaient généralement regardés comme des gens vils, ; nous les avons remplacés, et nous serions méprisés si nous ne jouions pas le rôle de gens déclarés méprisables. Exista-t-il jamais des inconséquences de cette force ? En remontant à l’origine, nous verrons que ces champions n’étaient, primitivement, que des assassins à gages, comme on en trouve encore dans plusieurs villes d’Espagne et d’Italie, que l’homme insulté payait pour se défaire de son ennemi, et qu’ensuite, pour diminuer l’espèce de meurtre que cette coutume semblait autoriser, on permit à l’accusé de se défendre de l’assassin gagé contre lui, et d’en payer un aussi contre celui que l’on lui opposait. Telle est la naissance des duels, dont vous voyez que le berceau est dans la loi sage qui permettait à tout homme la vengeance de son ennemi, en mettant sa tête à prix. On remplaça cet excellent usage par une licence… par une stupidité qui ne ressemble plus à rien, et qui fait frémir le bon sens. Que tout homme qui a un ennemi n’aille donc pas, s’il est sage, se mesurer également avec lui ; car il est parfaitement ridicule d’aller se rendre l’égal de celui qui se met au-dessous de nous. S’il faut absolument que l’offensé se batte, à la bonne heure ; mais qu’il se présente au combat dans un tel état de sûreté que l’adversaire qui lui doit une réparation ne puisse pas l’insulter de nouveau ; et s’il veut être beaucoup plus sensé, qu’il fasse assassiner, comme dit Molière dans le Silicien : « C’est le plus sûr ». À l’égard de ceux qui placent là le point d’honneur, je les trouve pour le moins aussi ridicules que ceux qui s’avisent de le placer dans la vertu des femmes : l’un et l’autre préjugés sont barbares, et ne méritent pas même une discussion de sang-froid. L’honneur est une chimère née des coutumes et des conventions humaines, lesquelles n’eurent jamais que l’absurdité pour base ; il est aussi faux que l’homme s’honore en assassinant l’ennemi de sa patrie, qu’il est faux qu’il se déshonore en massacrant le sien. Jamais des procédés égaux ne peuvent établir des suites inégales : si je fais bien en allant venger ma nation des injures qu’elle a reçues, je fais encore beaucoup mieux de me venger de celles qui me sont adressées. L’État, qui soudoie annuellement quatre ou cinq cent mille assassins pour servir sa cause, ne peut ni naturellement, ni légitimement me punir, moi, quand, à son exemple, j’en paye un ou deux pour me venger des insultes infiniment plus réelles que j’ai pu recevoir de mon adversaire : car enfin les insultes faites à cette nation ne la touchent jamais personnellement, tandis que celles que j’ai reçues atteignent directement ma personne, et la différence est très grande. Mais un homme essayera-t-il de dire ces choses-là dans le monde ? On le traitera de lâche, de poltron, et la réputation d’esprit ou de sagesse qu’il se sera faite toute sa vie lui sera tout à coup enlevée par quelques méprisables freluquets aussi plats qu’imbéciles, à qui trois ou quatre bégueules, qu’il faudrait fesser dans tous les carrefours, auront persuadé qu’il n’y a rien de si beau que d’aller risquer sa vie, quand on est en droit de prendre celle des autres.

— Je pense absolument comme vous deux sur le duel, dit Olympe, et j’espère que vous m’avez assez estimée pour ne pas me confondre avec ces femmes imbéciles qui ne font cas d’un homme qu’en raison de ce que, pour une offense prétendue, il va faire au coin d’un pré le vil métier de gladiateur. Je méprise bien souverainement un alguazil de cette espèce. Cela peut être délicieux dans un valet de chambre ou dans un soldat : ces gens-là doivent se battre comme des portefaix ; mais un homme d’esprit, un homme riche… renoncer à ses études, à son aisance, pour aller prêter le collet à un fier-à-bras qui n’a d’autre talent que de croiser le fleuret, et qui ne l’a insulté que parce qu’il était sûr de s’en défaire… mettre l’honneur à aller bravement faire raison à des coquins de cette espèce… Qu’il faut être plat pour s’y hasarder ! oui, plat : il y a de la bassesse à donner aux autres de l’avantage sur soi, et à risquer d’aller perdre en un instant, pour rien, tous les agréments, tous les avantages qu’on a reçus de la nature. Laissons ce ridicule mérite aux siècles grossiers de la chevalerie errante ; ce n’est point pour spadassiner comme un soldat que les gens de talent sont faits, c’est pour honorer et cultiver les arts, les encourager, servir la patrie quand il le faut, et ne sacrifier qu’à elle seule le sang qui coule dans leurs veines. Quand un homme de cet état a un ennemi qui lui est inférieur, qu’il le fasse assassiner : telle est la seule manière de s’en débarrasser que la nature lui indique ; si celui qui l’a offensé est de son rang, que tous deux portent leurs plaintes à un tribunal doux, érigé pour cela, que les différends y soient jugés : il n’y en a point, entre gens honnêtes, qui ne puissent s’arranger à l’amiable ; il faut que celui qui a tort, cède ; c’est la loi… Mais du sang… du sang répandu pour un propos, une jalousie… une querelle… un persiflage… un reproche : c’est une absurdité révoltante. Le duel ne fut connu que quand les principes de l’honneur balancèrent ceux de la vengeance, et ne fut par conséquent admis que quand les hommes se policèrent. Jamais la nature ne grava au cœur de l’homme de risquer sa vie pour ne venger d’une offense reçue, parce qu’il n’est nullement juste ni naturel de s’exposer à une seconde parce qu’on en a reçu une première. Mais il est très équitable, très bien fait, de laver la première dans le sang de l’agresseur, sans risquer de répandre le sien, s’il est notre inférieur, et de s’accommoder à l’amiable avec lui, s’il est notre supérieur ou notre égal. Que l’on ne soit jamais la dupe du procédé des femmes à cet égard ; ce n’est pas la bravoure d’un homme qu’elles désirent, c’est le triomphe que leur orgueil remporte à faire dire qu’un tel homme s’est battu pour leurs charmes. Ce ne sont pas non plus des lois qu’il faut faire pour extirper cet usage odieux : avec des lois, on révolte, on aigrit et l’on ne gagne jamais rien. C’est avec l’arme du ridicule qu’il faut abolir cette odieuse coutume. Il faut que toutes les femmes ferment leur porte à un coquin de duelliste ; il faut qu’on le nasarde, qu’on le bafoue, il faut qu’il soit montré au doigt, il faut que chacun s’écrie en le voyant : « Voilà l’homme qui a été assez vil, assez lâche pour aller faire le plat métier de champion, et qui a été assez sot pour croire que des paroles que le vent emporte, ou des coups qui ne se sentent qu’un instant, devaient être acquittés par le prix d’une vie dont on ne jouit jamais qu’une fois ; fuyez-le, c’est un fou ».

— Olympe a raison, dit Clairwil, telle est la seule manière dont on fera tomber cet infâme préjugé. On objectera peut-être que le courage martial s’éteindra dans les cœurs, quand il ne sera plus exercé. Soit ; mais je vous avoue que le courage est une vertu de dupe dont je fais bien peu de cas : je n’ai jamais vu que des imbéciles qui fussent braves. Le second des Césars fut un très grand homme, sans doute, et n’était pourtant qu’un poltron ; Frédéric de Prusse était rempli d’esprit et de talents… il avait un accès de fièvre toutes les fois qu’il s’agissait de se battre. Je n’en finirais pas, s’il fallait vous nommer tous les hommes illustres que la crainte enchaîna : les Romains mêmes révéraient la peur, ils lui érigèrent des autels. La peur, en un mot, est dans la nature, elle est née du soin intime de se conserver, soin qu’il est impossible de ne pas avoir, tant il est gravé dans nous par l’être moteur qui nous lança sur ce globe, c’est-à-dire par la nature. Mésestimer un homme parce qu’il craint le danger, c’est le mésestimer de ce qu’il aime la vie. Pour moi, je vous proteste de faire toujours le plus grand cas d’un homme qui craindra la mort ; de ce moment-là seul, je lui croirai de l’esprit, une jolie tête et de la volupté dans les plaisirs. Le lendemain de ce que tout Paris eut déshonoré La Luzerne pour avoir assassiné son ennemi sur le champ du duel, je voulus coucher avec lui : j’ai peu vu de mortels plus aimables… aucun, sans doute, dont la tête fût aussi joliment organisée…

— Il n’y a que ceux-là de charmants, interrompis-je avec vivacité ; plus un homme a vaincu de préjugés, et plus il a d’esprit : l’homme resserré dans les étroits principes de la morale, nécessairement sec et ennuyeux, n’osant rien franchir, sera monotone comme les maximes qu’il professe, et comme, avec la sorte d’imagination que nous a donnée la nature, nous ne retirerons rien de sa société, nous devons nous en préserver avec soin.

Au bout de quelques jours, Sbrigani se trouva beaucoup mieux.

— Il vient de me foutre, me dit Clairwil ; c’est par cette épreuve que j’ai voulu m’assurer de sa bonne santé, et je réponds qu’il a très bien bandé : je suis encore inondée de son sperme… Écoute-moi, Juliette, poursuivit cette femme incroyable, est-il vrai que cet homme soit aimé de toi ?

— Il m’a rendu bien des services.

Il n’a fait que son devoir, tu le payes. Est-ce que ton âme commence à se pénétrer des grands principes de la reconnaissance ?

— Non, d’honneur.

— C’est que je ne l’aime pas, moi, ce Sbrigani, je m’en méfie, d’ailleurs ; cet homme-là finira par nous voler.

— Dis plutôt que tu en es lasse, parce qu’il t’a bien foutue, et que tu ne peux plus souffrir les hommes quand ils t’ont déchargé dans le con.

— Celui-là ne m’a jamais foutue qu’en cul ; vois mon derrière : il distille encore le foutre qu’il vient d’y répandre.

— Folle, où en veux-tu venir, en un mot ?

— À nous débarrasser de ce bougre-là.

— Songes-tu qu’il s’est battu pour nous ?

— Raison de plus pour que je le déteste ; car son action devient alors une preuve de sa bêtise.

— Encore une fois, qu’en veux-tu faire ?

— Il prend demain une dernière médecine… Il faut l’enterrer après-demain.

— Il te reste donc encore beaucoup de ces drogues charmantes que nous achetâmes ensemble chez la Durand ?

— Beaucoup, et je veux que ton Sbrigani les goûte.

— Ah, Clairwil ! les années ne te corrigent point, tu es, et seras toujours, une grande scélérate. Mais, que dira notre sœur Olympe ?

— Ce qu’elle voudra ; quand j’ai l’envie de commettre un crime, je m’embarrasse fort peu de ce qu’en pensent les autres, et l’orgueil de ma réputation n’est pas celui qui domine mon cœur.

Je consentis : pouvais-je me refuser au crime ? Tout ce qui en portait l’empreinte m’était trop précieux pour que je ne l’adoptasse pas aussitôt. Je m’étais servie de cet Italien, plus par besoin que par amour. Clairwil promettait de remplir dans la société tous les soins dont il était chargé : Sbrigani devenait inutile ; je signai son arrêt ; Olympe consentit. Le lendemain, Sbrigani, empoisonné par Clairwil même, fut apprendre aux démons des enfers, que les esprits malins qui existent dans le corps d’une femme sont mille fois plus dangereux que ceux que les prêtres et les poètes nous peignent au Tartare. Cette opération faite, nous parcourûmes les alentours de Naples.

En aucun endroit de l’Europe la nature n’est belle, n’est imposante, comme dans les environs de cette ville. Ce n’est point cette beauté triste, uniforme des plaines de la Lombardie, laissant l’imagination dans un repos qui tient de la langueur : ici, partout, elle s’enflamme ; les désordres, les volcans de cette nature, toujours criminelle, plongent l’âme dans un trouble qui la rend capable des grandes actions et des passions tumultueuses. Ceci, c’est nous, dis-je à mes amies, et les gens vertueux ressemblent à ces tristes campagnes du Piémont dont l’uniformité nous désolait. En examinant bien cet étonnant pays, il semble qu’il n’ait été qu’un volcan autrefois ; à peine y voit-on un seul endroit qui ne porte l’emblème d’un bouleversement. Elle a donc quelquefois des torts, cette bizarre nature… Et l’on ne veut pas que nous l’imitions ? quelle injustice ! La solfatare que nous parcourûmes semble être la preuve de ce que je dis.

Nous arrivâmes à Pouzzoles, ayant perpétuellement sous nos yeux les tableaux les plus variée et les plus pittoresques. C’est de là qu’on découvre la jolie petite île de Nicette, où Brutus se retira après avoir tué César. Quel délicieux séjour pour le genre de voluptés que nous chérissons ! On serait là comme au bout de la terre ; un voile impénétrable déguiserait à tous les yeux la secrète horreur qu’on y voudrait commettre ; et rien n’aiguise l’imagination, rien ne l’enflamme, comme le silence et le mystère. Plus loin, s’aperçoivent les côtes de Sorrente et de Massa, le golfe de Naples, des ruines, de beaux édifices, de riches coteaux, tout ce qui peut orner, enfin, la plus riante perspective, et former le point de vue le plus agréable.

Pouzzoles, où nous entrâmes pour dîner, ne porte plus aujourd’hui aucune marque de son ancienne splendeur ; mais sa situation n’en est pas moins une des plus délicieuses du royaume de Naples. Cependant le peuple grossier qui l’habite ne sent pas son bonheur : l’excès de son aisance ne sert qu’à le rendre plus barbare et plus insolent.

Dès que nous parûmes, une foule de gens se présentèrent pour nous faire voir les curiosités du pays.

— Enfants, dit Olympe en fermant la porte sur une douzaine de ces coquins-là, qui s’étaient introduits dans notre chambre, nous sommes décidées à ne nous servir que de celui de vous qui possède le plus beau vit. Montrez-nous tous ce que vous portez : nous choisirons.

Tous consentent au marché ; nous déculottons, nous excitons, nous branlons, six sont jugés dignes des honneurs de la jouissance, et le plus gros, c’est-à-dire un drôle tout déguenillé, dont l’engin avait treize pouces de long sur neuf de tour, obtient seul, après nous avoir foutues toutes trois, le privilège d’être notre cicéron. On le nommait Raphaël.

Il nous mène d’abord au temple de Sérapis, dont les magnifiques débris nous firent présumer que cet édifice avait été superbe. Nous parcourûmes les antiquités d’alentour, et partout nous vîmes des preuves non équivoques de la magnificence et du goût de ces peuples grec et romain qui, après avoir un moment illustré la terre, se sont évanouis, comme disparaîtront ceux qui la font trembler aujourd’hui.

Les restes d’un monument d’orgueil et de superstition se présentèrent ensuite à nos yeux. Trasile avait prédit à Caligula qu’il ne parviendrait à l’empire, qu’après avoir été de Baïes à Pouzzoles, sur un pont. L’empereur en fit construire un de bateaux, dans un espace de deux lieues, et il le traversa à la tête de son armée. C’était une folie, sans doute, mais c’était celle d’un grand homme ; et les crimes de Caligula, qui feront époque dans l’histoire, prouvent à la fois, il en faut convenir, et l’homme le plus extraordinaire et l’imagination la plus impétueuse.

Du pont de Caligula, Raphaël nous mena à Cumes : il nous fit observer, près des ruines de cette ville, celles d’une maison de Lucullus. Nous fîmes, en les apercevant, quelques réflexions sur la magnificence de cet homme célèbre. Il n’est plus… Et nous aussi, dîmes-nous, dans quelques mois, dans quelques années, nous aurons vécu comme lui : la faux de la Parque ne respecte rien, elle moissonne également et le riche et le pauvre, le vertueux et le criminel… Semons donc des fleurs sur cette carrière que nous devons parcourir en si peu d’instants, et que ce soit avec l’or et la soie que la putain file au moins nos jours.

Nous pénétrâmes dans les ruines de Cumes, où nous remarquâmes principalement les débris du temple d’Apollon bâti par Dédale, lorsque, fuyant la colère de Minos, il vint s’arrêter dans cette ville.

Pour aller de là à Baïes, nous traversâmes le village de Bauli, où les poètes placèrent les Champs-Élysées. Près de là, se voit l’ancien Achéron.

— Allons visiter l’enfer, me dit Clairwil, en voyant ces eaux ; allons tourmenter ceux qui y sont, ou nous amuser de leurs supplices… J’aimerais les fonctions de Proserpine, et pourvu que des maux s’opèrent sous mes yeux, je serai toujours la plus heureuse des femmes.

Un printemps éternel règne dans cette vallée. Au milieu des vignes et des peupliers, se voient, çà et là, les caveaux qui renfermaient les urnes cinéraires, et Caron demeurait sans doute à Misène. On aime à se persuader tout cela, quand on a de l’imagination. Cette brillante partie de notre esprit vivifie tout, et la vérité, toujours au-dessous de la chimère, devient presque inutile à celui qui sait créer et embellir le mensonge.

Au-dessous du village de Bauli, se voient cent chambres communiquant les unes dans les autres ; on appelait ce lieu la prison de Néron : là gémissaient, sans doute, les victimes de la luxure et de la cruauté de ce scélérat.

On voit, un peu plus loin, la Piscine merveilleuse. C’était le réservoir d’eau qu’Agrippa fit construire à l’usage de la flotte qui séjournait ordinairement dans le cap, pour passer au promontoire de Misène. Ici on s’embarque à peu près dans le même trajet que parcourait la barque de Caron. Ce cap forme un port assuré, dont les Romains connaissaient toute l’importance. C’est là où était la flotte de Pline, lors de l’éruption du Vésuve qui lui coûta la vie. Quelques débris annoncent l’importance de cette ancienne ville. On descend de là à Bauli, où se voit le tombeau d’Agrippine. Ce fut sur la partie mer qui fait face à ce village, que s’exécuta le brisement de la barque dans laquelle Néron voulut faire périr sa mère. Mais le stratagème ne réussit pas : Agrippine et ses femmes, qui revenaient d’une fête à Baïes, tombèrent à l’eau sans se noyer ; l’impératrice aborda le lac Lucrin, et put gagner sa maison ; ce qui rend fort douteuse la tradition qui place à Bauli le tombeau de cette femme célèbre.

— J’aime, me dit Clairwil en parlant de ce trait, la manière pleine d’artifice dont Néron se défait de sa mère. Il y a là une cruauté, une perfidie, un abandon de toute vertu qui me rendent Néron bien cher. Il avait été très épris d’Agrippine ; Suétone nous assure qu’il s’était souvent branlé pour elle… Et il la tue. Ô Néron ! laisse-moi vénérer ta mémoire ; je t’adorerais, si tu existais encore ! et tu seras éternellement mon modèle et mon dieu !

Après cette plaisante exaltation de Clairwil, toujours guidées par Raphaël, qu’Olympe caressait beaucoup pendant que nous jasions, mon amie et moi, nous parcourûmes cette côte, si célèbre jadis par la multitude des superbes maisons qui l’embellissaient : elle n’est plus habitée maintenant que par quelques malheureux pêcheurs. Le premier objet important qui s’y voit est le château fort qui défend cette partie. Insensiblement on arrive sur la plage, et l’on se trouve alors dans l’emplacement de cette fameuse ville de Baïes, centre de délices et de voluptés. C’est là que les Romains venaient se livrer aux débauches les plus fortes et les plus variées. Rien au monde ne devait être délicieux comme la position de cette ville, à l’abri des vents du nord par une montagne, et présentant son centre au midi, afin que l’astre qui vivifie la nature, au sein duquel s’allume le flambeau des passions, pût venir, de ses rayons sacrés, enflammer celle des heureux habitants de cette riante contrée. Malgré tout le bouleversement éprouvé par ce beau pays, on y respire encore cet air doux et voluptueux, poison des mœurs et des vertus, aliment délicat du vice et de tous les prétendus crimes de la luxure. Vous vous rappelez à cet égard, mes amis, les invectives de Sénèque ; mais les reproches de ce moraliste sévère ne tenaient pas contre les inspirations irrésistibles de la nature, et, tout en lisant le philosophe, on se plaisait aux outrages les mieux constatés de ses principes.

Une chétive cabane de pêcheurs est tout ce qui reste aujourd’hui de cette ville délicieuse, et quelques débris intéressants que nous parcourûmes, tout ce qui reste de sa grandeur.

Vénus devait être la divinité favorite d’une ville aussi corrompue. On y voit les débris de son temple, mais dans un tel état de délabrement, qu’il est difficile de juger du passé par le présent. Des souterrains, des corridors sombres et mystérieux, s’aperçoivent pourtant encore, et prouvent que ce local servait à des cérémonies fort secrètes. Un feu subtil se glisse, dans nos veines dès que nous y entrâmes ; Olympe, se pencha sur moi, et je vis le foutre s’exhaler de ses yeux.

— Raphaël, s’écria Clairwil, il faut que nous offrions un sacrifice dans ce temple !

— Vous m’avez épuisé, dit notre cicérone, nos courses ont achevé de me fatiguer ; mais je connais près d’ici quatre ou cinq pêcheurs qui ne demanderont pas mieux que de vous contenter.

Il dit, et n’est pas six minutes à nous ramener la plus mauvaise compagnie, mais en même temps la plus nombreuse. Aveuglées par le libertinage qui nous consumait toutes les trois, nous ne nous étions pas aperçues de l’affreuse imprudence que nous venions de commettre. Que pouvaient, dans ce lieu sombre et solitaire, trois femmes contre dix hommes qui s’avançaient insolemment vers elles ? Rassurées par les inspirations du dieu qui conserve et fait prospérer le vice, nous ne nous effrayâmes pas.

— Mes amis, leur dit Olympe en italien, nous n’avons pas voulu visiter le temple de Vénus, sans offrir un sacrifice à cette déesse ; voulez-vous en devenir les prêtres ?

— Pourquoi pas ? dit l’un de ces rustres en troussant brusquement l’orateur.

— Allons, allons, foutons-les ! dit un autre en s’emparant de moi.

Mais comme nous ne pouvions en recevoir que trois, les sept qui ne furent pas choisis se disputèrent au point que les couteaux allaient s’en mêler, si je ne me fusse hâtée de leur prouver qu’avec un peu d’art, chacune de nous pouvait en occuper trois. Je donne l’exemple : un m’enconne, je présente mon derrière au second, et suce le troisième ; mes compagnes m’imitent : Raphaël, épuisé, nous regarde, et nous voilà toutes trois à foutre comme des garces. On ne se fait pas l’idée de la grosseur du vit des Napolitains : quoique nous eussions promis de sucer le troisième, nous fûmes contraintes de le branler, ne pouvant le faire entrer dans notre bouche. Aussitôt qu’ils avaient parcouru quelque temps le local où nous les recevions, ils changeaient de place, c’est-à-dire que tous foutirent nos cons et nos culs, et que tous déchargèrent au moins trois fois. Le sombre de ce local, les mystères qu’on y célébrait, l’espèce de gens avec qui nous étions, peut-être même les dangers que nous courions, tout cela nous avait échauffé la tête, et nous désirions des horreurs… Mais, étant les plus faibles, comment s’y prendre pour les exécuter ?…

— As-tu des dragées ? demandai-je bas à Clairwil.

— Oui, me répondit-elle, je ne marche jamais sans cela.

— Eh bien, dis-je, offres-en à nos champions.

Olympe, au fait, leur explique que ces bonbons vont leur rendre le courage, et que nous les invitons à en manger. Je les présente : j’ambitionnais toujours cet honneur en tel cas ; nos coquins les avalent.

— Encore une course de chacun d’eux, dit Clairwil sans qu’on pût l’entendre ; à présent que la mort est dans leur sang, faisons-leur perdre le dernier foutre qu’ils peuvent obtenir de la nature.

— À merveille, dis-je, mais n’y a-t-il pas à craindre qu’ils ne nous transmettent le venin qui circule déjà dans leurs veines ?

— Évitons la bouche ; mais livrons-nous sans crainte au reste, dit Clairwil : il n’y a pas le moindre danger ; pareille extravagance m’est arrivée cent fois, et tu vois comme je me porte…

L’affreux caractère de cette femme m’électrisait ; je l’imitai : de mes jours je ne goûtai de plaisirs plus vifs. Cette perfide idée de la certitude où je devais être, que, par mes noirceurs, l’homme que je tenais dans mes bras ne s’en arracherait que pour tomber dans ceux de la mort, cette idée barbare mit un sel si piquant à ma jouissance, que je m’évanouis pendant la crise.

— Pressons-nous, dis-je à mes amies sitôt que j’eus repris mes sens ; évitons d’être dans ce souterrain, quand les douleurs commenceront à les prendre.

Nous remontâmes les premières. Raphaël, qui n’avait participé ni aux jeux, ni à leurs suites cruelles, continua de nous servir de guide, et nous n’avons jamais su les suites d’une atrocité dont les moyens étaient trop sûrs pour ne pas avoir eu tout le succès que nous en attendions.

— Eh bien ! dis-je à Clairwil, il est donc décidé maintenant que la scélératesse a fait en toi de tels progrès qu’il te devient impossible de foutre un homme sans lui désirer la mort ?

— Cela n’est que trop vrai, me répondit mon amie ; on n’imagine pas, ma chère Juliette, ce que c’est que de vieillir avec le crime : il prend en nous de si terribles racines, il s’identifie tellement à notre existence, que nous ne respirons exactement plus que pour lui. Croirais-tu que je regrette tous les instants de ma vie où je ne me souille pas d’horreurs ? Je voudrais ne faire que cela ; je voudrais que toutes mes idées tendissent à des crimes, et que mes mains exécutassent à tout instant ce que viendrait de concevoir ma tête. Oh ! Juliette, comme le crime est délicieux, comme la tête s’enflamme à l’idée de franchir impunément tous les freins ridicules qui captivent les hommes ! Quelle supériorité l’on acquiert sur eux, en brisant, comme nous le faisons, tout ce qui les contient, en transgressant leurs lois, en profanant leur religion, en reniant, insultant, bafouant leur exécrable Dieu, en bravant jusqu’aux préceptes affreux dont ils osent dire que la nature compose nos premiers devoirs ! Ah ! mon chagrin maintenant, je te l’ai dit, est de ne rien trouver d’assez fort ; quelque épouvantable que puisse être un crime, il me paraît toujours au-dessous des projets de ma tête. Ah ! si je pouvais embraser l’univers, je maudirais encore la nature de ce qu’elle n’aurait offert qu’un monde à mes fougueux désirs !

Nous parcourûmes, en raisonnant ainsi, tout le reste de la campagne de Baïes, où l’on ne peut faire vingt pas, sans reconnaître les débris de quelque monument précieux, et nous nous trouvâmes près du lac d’Avernes, où nous arrivâmes par un chemin creux, très agréable, et bordé de haies toujours vertes. Nous ne ressentîmes rien de l’infection de l’air qui, jadis, faisait tomber les oiseaux morts dans ce lac : depuis longtemps, la qualité de ces eaux, et par conséquent de l’air, a totalement changé ; c’est aujourd’hui une situation très saine, et l’une de celles de toute la contrée qui conviendrait le mieux à un philosophe. C’est là qu’Énée sacrifia aux Dieux infernaux, avant que de s’engager dans les routes ténébreuses de l’enfer que lui avait indiquées la Sybille. À gauche est la grotte de cette Sybille, et dans laquelle on pénètre aisément. C’est une galerie voûtée de cent quatre-vingts pieds de long, sur onze de large et neuf de haut. En examinant bien le local, et se dépouillant un peu des idées romanesques que les poètes et les historiens nous font prendre, il est aisé de reconnaître que cette Sybille n’était qu’une maquerelle, et son antre un mauvais lieu. Plus on examine ce local célèbre, mieux cette idée se confirme ; et si, lorsqu’on l’étudie, on s’en rapporte aux idées de Pétrone, plutôt qu’aux descriptions de Virgile, on se convaincra bientôt tout à fait de cette opinion.

Un bouquet d’orangers qui, vers les bords qui vous font face, s’élève au milieu d’un temple de Pluton, forme, là, le point de vue le plus pittoresque qu’il y ait peut-être au monde. Nous parcourûmes ces ruines, cueillîmes des oranges, et regagnâmes Pouzzoles, à travers les tombeaux encore existants des deux côtés de la célèbre Voie Appienne. Nous ne pûmes, là, nous empêcher de nous récrier sur le respect ridicule que les Romains avaient pour les morts. Assises toutes trois dans le tombeau de Faustine, Olympe nous parle à peu près de la manière suivante :

— Il y a deux choses que je n’ai jamais comprises, mes amies, nous dit cette femme aimable et spirituelle : le respect qu’on a pour les morts, et celui qu’on a pour leurs volontés. Assurément l’une et l’autre de ces superstitions tiennent aux idées qu’on a de l’immortalité de l’âme ; car si l’on était bien convaincu des principes du matérialisme, si l’on était bien persuadé que nous ne sommes qu’un triste composé d’éléments matériels, qu’une fois frappés de la mort, la dissolution est complète, assurément le respect rendu à des morceaux de matière désorganisée deviendrait une absurdité si palpable, que personne ne voudrait l’adopter. Mais notre orgueil ne peut se plier à cette certitude de ne plus exister : on croit que les mânes du mort, environnant encore son cadavre, sont sensibles aux devoirs que l’on rend à cette masse ; on craint de les offenser, et l’on se plonge ainsi, sans le voir, dans l’impiété et l’absurdité les plus complètes. Convainquons-nous donc bien du système qu’il n’existe absolument plus rien de nous quand nous sommes morts, et que cette dépouille, que nous laissons sur terre, n’est plus que ce qu’étaient nos excréments, quand nous les déposions au pied d’un arbre, pendant que nous existions. Bien pénétrés de ce système, nous sentirions qu’il n’est dû ni devoir, ni respect à un cadavre ; que le seul soin qu’il mérite, bien plus pour nous que pour lui, est de le faire enterrer, brûler, ou de le faire manger à des bêtes ; mais que des hommages… des tombeaux… des prières… des louanges, ne lui appartiennent nullement, et ne sont que des tributs que la stupidité rend à l’orgueil, faite pour être détruite par la philosophie. Voilà qui contrarie bien toutes les religions antiques ou modernes, mais ce n’est pas à vous qu’il faut prouver que rien n’est absurde comme les religions, toutes fondées sur la fable odieuse de l’immortalité de l’âme et sur la ridicule existence d’un Dieu. Il n’est pas de bêtise qu’elles n’aient révérée ; et vous savez mieux que moi, mes amies, que, quand on examine une institution humaine, la première chose qu’on doit faire est d’écarter toute idée religieuse, comme le poison de la philosophie.

— Je suis parfaitement de l’avis de notre compagne, dit Clairwil, mais une chose singulière, c’est qu’il ait existé des libertins qui se soient fait des passions de ce système. J’ai souvent vu un homme, à Paris, qui payait au poids de l’or tous les cadavres de jeunes filles et de jeunes garçons décédés d’une mort violente et fraîchement mis en terre : il se les faisait apporter chez lui, et commettait une infinité d’horreurs sur ces corps frais…

— Il y a longtemps, dis-je, que l’on sait que la jouissance d’un individu récemment assassiné est véritablement très voluptueuse ; le resserrement de l’anus y est, pour les hommes, infiniment plus entier.

— Il y a d’ailleurs à cela, dit Clairwil, une sorte d’impiété imaginaire qui échauffe la tête, et je l’essayerais assurément, si mon sexe ne s’y opposait pas…

— Cette fantaisie doit mener au meurtre, dis-je à mes amies : celui qui trouve qu’un cadavre est une bonne jouissance est bien près de l’action qui doit les multiplier.

— Cela doit être, dit Clairwil, mais qu’importe ! si c’est un grand plaisir que de tuer, vous conviendrez que c’est un bien petit mal.

Et comme le soleil baissait, nous nous hâtâmes de regagner Pouzzoles, à travers les ruines de la superbe maison de Cicéron.

Il était tard quand nous rentrâmes ; une foule de lazzaroni nous attendait à la porte. Raphaël nous dit que comme ils avaient appris que nous aimions les hommes, ils se présentaient pour nous servir.

— Ne craignez rien, nous dit notre guide, ce sont d’honnêtes gens, ils savent que vous payez bien, ils vous foutront de même. On ne se gêne pas plus que cela, dans ce pays-ci, et nous n’êtes pas les premières voyageuses qui aient tâté de nous.

— À quelque point que nous soyons excédées aujourd’hui, dit Clairwil, il ne faut pas refuser la bonne volonté de ces braves gens. J’ai toujours remarqué qu’un nouvel exercice délasse plus d’une ancienne fatigue, qu’un repos : allons, il faut que les travaux de l’Amour fassent oublier ceux d’Apollon…

Mais comme ici la nature n’exigeait plus rien, et que, rassasiées de débauche, nous ne nous livrions plus que par libertinage, nous nous plongeâmes dans les plus sales excès.

Trente hommes, choisis sur plus de cent, et dont les membres étaient gigantesques, s’enfermèrent avec nous ; il n’y en avait pas un seul qui passât trente ans et qui n’eût un engin de treize pouces de long sur huit de circonférence ; dix petites paysannes de sept à douze ans, que nous payâmes au poids de l’or, furent de même admises à ces orgies. Après un magnifique souper, dans lequel on avait bu plus de trois cents bouteilles de Falerne, nous commençâmes par faire bander tous les vits, en les excitant nous-mêmes légèrement ; nous formâmes ensuite un long chapelet de tous ces coquins, le vit au cul les uns des autres ; les dix petites filles, nues, nous branlaient pendant ce temps. Nous longeâmes le chapelet, vérifiâmes les introductions, maniâmes toutes les couilles et suçâmes toutes les bouches ; reprenant le chapelet dans un autre sens, nous leur présentâmes à tous, cette fois-ci, nos fesses à baiser. Ils avaient défense, sous les peines les plus graves, de se décharger mutuellement dans le derrière ; sitôt qu’ils bandaient ferme, ils devaient venir placer leur vit écumant dans les mains d’une des petites filles, laquelle venait remplir tout de suite avec, ou nos culs ou nos cons : tous nous virent d’abord une fois de cette manière. Nous nous en mîmes, ensuite, chacune cinq sur le corps, ce qui forma six divisions, qui nous foutirent ainsi groupe par groupe ; il y en avait un dans chaque ouverture, un dans la bouche ou sur le sein, lorsqu’il était trop gros pour être sucé, puis un dans chaque main. Pendant cette scène, les dix petites filles, montées sur des chaises, formaient un cercle autour de nous, avec ordre de nous arroser de merde et d’urine. Je ne connais rien, pour mon compte, qui m’excite autant qu’une pareille inondation ; quand je fous, je voudrais en être couverte. Nous n’offrîmes bientôt plus que le cul. Couchées sur trois petites filles dont les langues chatouillaient nos cons, nos clitoris et nos bouches, les trente hommes nous sodomisèrent chacun trois coups de suite. Cela fait, trois nous gamahuchèrent, trois nous suçaient la bouche, nous en branlions un de chaque main, et les petites filles nous en faisaient dégorger un sur le ventre ou sur les tétons ; tous ensuite furent branlés par les petites filles sur nos clitoris ; une de celles qui ne branlaient pas, inondait, mouillait, frottait cette délicate partie avec le sperme que sa compagne faisait éjaculer, pendant qu’une troisième, à califourchon sur nos nez, nous faisait baiser à la fois l’intérieur de son con et le trou de son cul.

Une flagellation suivit. Nous foutions les hommes qui, en même temps, le rendaient aux filles ; nous nous fîmes ensuite attacher, nos mains étaient liées au-dessus de nos têtes, et nos jambes à des pieds de lit ; là, chaque homme nous administra cent coups de verges : nous pissions pendant ce temps-là sur le visage de trois petites filles, étendues à nos pieds pour cette cérémonie ; nous livrâmes ensuite ces dix enfants à nos trente fouteurs, qui les dépucelèrent et les déchirèrent toutes les dix, et par-devant et par-derrière. Nous fustigeâmes vigoureusement ensuite ces dix enfants, pendant que les hommes nous insultaient de toutes les manières possibles, et nous meurtrissaient à grands coups de pied dans le derrière. Incroyablement irritées de ce traitement, nous nous fîmes encore plus complètement rosser ; ce ne fut qu’après nous avoir renversées sous eux, à force de coups et de mauvais traitements, qu’ils obtinrent, par ce triomphe, le droit de nous enculer chacun encore une fois, et, pendant cette dernière avanie, quatre d’entre eux venaient à la fois nous péter, nous pisser et nous chier sur le nez ; nous en faisions autant aux petites filles, contraintes à avaler ce que nous rendions ; nous attachâmes à la fin tous les vits, par des rubans de soie, au plafond, nous frottâmes toutes les couilles avec de l’esprit-de-vin, nous y mîmes ensuite le feu, et nous obtînmes enfin de cette dernière cérémonie, chacune une dernière éjaculation dans la matrice ou dans le cul, d’après le désir des assaillants.

Étrangères dans cette ville, quoique autorisées par le roi dont nous avions le brevet d’impunité dans notre poche, nous n’osâmes pas, de peur de cette populace, nous livrer à d’autres excès, et toute cette canaille congédiée avec beaucoup d’argent, nous donnâmes quelques heures au repos, au bout desquelles nous nous levâmes, à dessein de poursuivre notre intéressante promenade.

Nous parcourûmes rapidement les îles de Procita, d’Ischia et de Niceta, et revînmes le lendemain à Naples, à travers une foule de débris intéressants par leur antiquité, et de maisons de campagne délicieuses par leur position.

Ferdinand avait envoyé savoir de nos nouvelles : nous fûmes lui rendre compte de la vive impression que les beautés des environs de sa capitale nous avaient fait ressentir. Il nous proposa de nous mener, quelques jours après, souper chez le prince de Francaville, le plus riche seigneur de Naples, et le plus bougre en même temps.

— On n’imagine pas, nous dit le roi, les excès auxquels il se porte en ce genre. Je lui ferai dire, poursuivit le monarque, de ne point se gêner pour nous, et que nous n’allons le voir que pour examiner philosophiquement ses débauches.

Nous acceptâmes. La reine était avec nous.

Rien n’égale, dans toute l’Italie, le luxe et la magnificence de Francaville ; il a tous les jours une table de soixante couverte, servie par deux cents domestiques, tous de la plus agréable figure. Le prince, pour nous recevoir, avait fait construire un temple à Priape, dans les bosquets de son jardin. De mystérieuses allées d’orangers et de myrtes conduisaient à ce temple, magnifiquement éclairé ; des colonnes torses de roses et de lilas soutenaient une coupole de jasmin, sous laquelle se voyait un autel de gazon, sur la droite ; à gauche, une table de six couverte, et, dans le milieu, une large corbeille de fleurs dont les pampres et les festons, chargés de lampions de couleur, s’élevaient en guirlandes jusqu’au faite de la coupole. Différents groupes de jeunes gens presque nus, au nombre de trois cents, remplissaient, çà et là, tous les intervalles, et, sur le haut de l’autel de gazon, paraissait Francaville, debout sous l’emblème du Priape, dieu du temple où nous étions introduits. Des groupes d’enfants venaient l’encenser tour à tour.

— Être révéré dans cette enceinte, lui dit la reine en entrant, nous venons partager tes plaisirs, nous recueillir à tes mystères, et non pas les troubler. Jouis des hommages multipliés qui te sont offerts ; nous ne voulons que les contempler.

Des banquettes de fleurs étaient en face de l’autel, nous nous assîmes ; le dieu descendit, se courba, sur cet autel, et la cérémonie commença.

Francaville nous offrait le plus beau cul du monde ; deux jeunes enfants, placés près de ce cul, devaient avoir le soin de l’entrouvrir, de l’essuyer, et de diriger vers le trou les membres monstrueux qui, par douzaines, allaient venir se précipiter dans son sanctuaire ; douze autres enfants disposaient les vits. Je n’ai vu de mes jours un service aussi lestement fait que celui-là. Ces beaux membres, ainsi préparés, arrivaient de main en main jusque dans celles des enfants qui devaient les introduire ; ils disparaissent dans le cul du patient : ils en sortaient, ils étaient remplacés ; et tout cela avec une légèreté, une promptitude dont il est impossible de se faire d’idée. En moins de deux heures, les trois cents vits passèrent dans le cul de Francaville, qui, se retournant à la fin vers nous quand il a tout gobé, élance, au moyen d’une violente pollution administrée par les deux jeunes Ganymèdes, quelques gouttes d’un sperme clair et blanchâtre, dont l’émission lui ayant coûté cinq ou six cris, le remit bientôt dans le calme.

— Mon cul est dans un état affreux, nous dit-il en se rapprochant de nous ; vous avez voulu le voir traité de cette manière, je vous ai satisfaites. Je gage qu’aucune de vous, mesdames, n’a de ses jours été foutue comme je viens de l’être.

— Ma foi non, dit Clairwil encore tout étonnée, mais je te tiendrai tête quand tu voudras, et soit en cul, soit en con, je parie te faire demander grâce.

— Ne l’entreprends pas, ma bonne, dit Charlotte ; mon cousin Francaville ne te fait voir là que l’échantillon de ce qu’il sait faire, mais dix bataillons ne l’effrayeraient pas. Ainsi, crois-moi, ne gage point.

— Voilà qui va le mieux du monde, dit Clairwil avec son aimable franchise, mais, sire, votre prince croit-il que nous nous contenterons de le voir faire ?

— Ici, bien certainement, répondit le roi, car telles belles que vous puissiez être, mesdames, je vous réponds qu’il ne serait pas un seul de ces jeunes gens qui consentît seulement à vous toucher.

— Mais nous avons aussi des culs, et nous leur en présenterons…

— Aucun, dit Francaville, aucun ne voudrait seulement de l’épreuve, et s’il avait la faiblesse de s’y prêter, je ne le reverrais de mes jours.

— Voilà ce qui s’appelle tenir à son culte, dit Clairwil, et je ne les en blâme pas. Soupons donc, au moins, puisqu’il n’est pas possible de foutre, et que Comus nous dédommage, s’il le peut, des cruelles privations que Cypris nous fait éprouver…

— Rien de plus juste, reprit Francaville.

Le plus grand souper du monde fut alors servi par les Ganymèdes, et les six couverts remplis par le roi, la reine, le prince, mes deux sœurs et moi. On ne se fait pas d’idée de la délicatesse et de la magnificence de la chère que nous fîmes : les mets de tous les pays de l’univers, les vins de toutes les parties du monde, furent exactement prodigués, et, par un luxe que je ne connaissais pas encore, rien ne s’enlevait de dessus la table : dès qu’un mets ou un vin avait seulement paru, il était aussitôt enfoui dans de grandes cuves d’argent, par le fond desquelles tout disparaissait en terre.

— Des malheureux mangeraient ces restes ! dit Olympe.

— Il n’y a point de malheureux sur la terre, quand nous existons, répondit Francaville ; je déteste jusqu’à l’idée que ce qui ne me sert plus puisse en soulager un autre.

— Son âme est aussi dure que son cul est large, dit Ferdinand.

— Je ne connaissais pas cette prodigalité, dit Clairwil, mais je l’aime ; le procédé de renvoyer ses restes à d’autres refroidit l’imagination : il faut, dans de pareilles orgies, pouvoir jouir de l’idée délicieuse de se croire les seuls sur la terre.

— Eh ! que m’importent les malheureux, quand rien ne me manque ? dit le prince ; leurs privations aiguillonnent mes jouissances : je serais moins heureux, si je ne savais pas qu’on souffre à côté de moi, et c’est de cette avantageuse comparaison que naît la moitié des plaisirs de la vie.

— Cette comparaison, dis-je, est bien cruelle.

— Elle est dans la nature ; rien n’est cruel comme la nature et ceux qui suivent ses impressions littéralement, seront toujours des bourreaux ou des scélérats121.

— Mon ami, dit Ferdinand tous ces systèmes sont bons, mais ils nuisent bien à ta réputation : si tu savais tout ce qu’on dit de toi, dans Naples…

— Oh ! je me moque de la calomnie, répondit le prince ; la réputation est si peu de chose, c’est un bien si méprisable, que je ne m’offense nullement qu’on se divertisse avec moi de ce qui m’amuse autant avec les autres.

— Oh ! monsieur, dis-je alors à cet insigne libertin, en affectant un ton dogmatique, ce sont les passions qui vous aveuglent à ce point, et les passions ne sont pas les organes de la nature, comme vous le prétendez vous autres gens corrompus : elles sont les fruits de la colère de Dieu, et nous pouvons obtenir d’être délivrés de ce joug impérieux, en implorant les grâces de l’Éternel, mais il faut les lui demander. Ce n’est pas en vous faisant mettre trois ou quatre cents vits dans le cul par jour, ce n’est pas en n’approchant jamais du saint tribunal de la confession, en ne participant jamais aux faveurs du saint trésor de l’eucharistie, ce n’est point en vous roidissant aux bonnes intentions, dont vous éprouvez les lueurs, non, non, ce ne sera point par une telle conduite que vous parviendrez à l’oubli et à la réparation de vos fautes. Oh ! monsieur, que je vous plains, si vous persistez dans cette inconduite ! Songez au sort qui vous attend après cette vie : comment pouvez-vous croire que, libre de vous décider vers le bien ou vers le mal, le Dieu juste qui vous a donné ce libre arbitre ne vous punisse pas du mauvais usage que vous en aurez fait ? Croyez-vous, mon ami, qu’une éternité de souffrances ne mérite pas un peu de réflexion, et que la certitude de ces souffrances ne vaille pas le sacrifice de quelques misérables penchants, qui, même dans cette vie, pour bien peu de plaisir qu’ils vous donnent, vous font presque toujours éprouver une infinité de soins, de tracas, de soucis et de remords… Est-ce, en un mot, pour être foutu que l’Être suprême vous a mis au monde ?

Francaville et le roi me regardaient avec une surprise qui leur fit presque imaginer, un instant, que j’étais devenue folle.

— Juliette, dit à la fin Ferdinand, si tu nous prépares le second point de ce sermon, avertis-nous, afin que nous nous couchions pour l’écouter.

— J’en suis maintenant à un tel point d’impiété et d’abandon de tout sentiment religieux, dit Francaville, que je ne puis même entendre de sang-froid, tout ce qu’on peut me dire sur ce fantôme déifique, imaginé par les prêtres qui gagnaient à le desservir : son nom seul me fait frissonner d’horreur.

Dans toutes les contrées de la terre, dit Francaville, on nous annonce qu’un Dieu s’est révélé. Qu’a-t-il appris aux hommes ? Leur prouve-t-il évidemment qu’il existe ? Leur enseigne-t-il ce qu’il est, en quoi son essence consiste ? Leur explique-t-il clairement ses intentions… ses plans ?… Ce qu’on nous assure qu’il a dit de ses plans s’accorde-t-il avec les effets que nous voyons ? Non, sans doute : il apprend seulement qu’il est celui qui est, qu’il est un Dieu caché, que ses voies sont ineffables… qu’il entre en fureur dès qu’on a la témérité d’approfondir ses décrets, et de consulter la raison, pour juger de lui ou de ses ouvrages. La conduite révélée de cet infâme Dieu répond-elle aux idées magnifiques qu’on voudrait nous donner de sa sagesse, de sa bonté… de sa justice… de sa bienfaisance, de son pouvoir suprême ? Nullement : partout, nous ne voyons en lui qu’un être partial, capricieux, méchant, tyrannique, injuste, bon tout au plus pour un peuple qu’il favorise, ennemi juré de tous les autres. S’il daigne se montrer à quelques hommes, il a soin de tenir tous les autres dans l’ignorance stupide des intentions divines. Toutes les révélations ne peignent-elles pas votre abominable Dieu de cette manière ? les volontés révélées par ce Dieu portent-elles l’emblème de la raison et de la sagesse ? tendent-elles au bonheur du peuple, à qui cette fabuleuse divinité le déclare ? En examinant ces volontés divines, je n’y trouve, en tout pays, que des ordonnances bizarres, des préceptes ridicules, des cérémonies dont on ne devine aucunement le but, des pratiques puériles, une étiquette indigne du monarque de la nature, des offrandes, des sacrifices, des expiations, utiles à la vérité pour les ministres de ce plat Dieu, mais très onéreuses aux hommes. Je trouve, de plus, que ces lois ont très souvent pour but de les rendre insociables, dédaigneux, intolérants, querelleurs, injustes, inhumains envers tous ceux qui n’ont reçu, ni la même révélation, ni les mêmes lois, ni les mêmes faveurs du ciel… Et voilà l’exécrable Dieu que tu me prêches, Juliette ? et tu voudrais que j’adorasse ce fantôme ?…

— Je le voudrais aussi, dit Ferdinand. Les rois favorisent toujours la religion ; elle prêta de tout temps des forces à la tyrannie : quand l’homme ne croira plus en Dieu, il assassinera ses rois.

— Il commencera peut-être par là avant que de détruire sa religion, répondis-je ; mais il est bien sûr que, quand il aura culbuté l’un, il ne tardera pas à renverser l’autre. Et si c’est en philosophe que vous voulez juger ceci, et non pas en despote, vous conviendrez que l’univers n’en serait que plus heureux, s’il n’y avait ni tyrans, ni prêtres : ce sont des monstres qui s’engraissent de la substance des peuples, et qui ne leur rendirent jamais d’autres services que de les appauvrir ou de les aveugler.

— Cette femme-là n’aime pas les rois, dit Ferdinand.

— Ni les dieux, répondis-je. Je vois les uns comme des tyrans, les autres comme des fantômes, et je trouve qu’il ne faut jamais ni despotiser, ni tromper les hommes. La nature, en nous lançant sur cet univers, nous créa libres et athées ; la force morigéna la faiblesse, voilà les rois ; l’imposture trompa la sottise, voilà les dieux ; or, je ne vois dans tout cela que des coquins et des fantômes, mais pas la plus légère inspiration naturelle.

— Que feraient les hommes, sans rois et sans dieux ?

— Ils deviendraient plus libres… plus philosophes, et, par conséquent, plus dignes des vues de la nature sur eux, qui ne les créa ni pour végéter sous le sceptre d’un homme qui n’a rien de plus qu’eux, ni pour ramper sous le frein d’un dieu, qui n’est que le fruit de l’imagination de quelques fanatiques.

— Un moment, dit Francaville ; j’adopte une partie du raisonnement de Juliette : point de Dieu… assurément elle a raison ; mais ce frein-là détruit, il en faut un autre au peuple : le philosophe n’en a pas besoin, je le sais, mais il en faut à la canaille, et c’est sur elle seule que je veux que l’autorité des rois se fasse sentir.

Nous voilà d’accord, dit Juliette, j’ai, comme vous, cédé ce point à Ferdinand, la première fois que nous causâmes ensemble.

— Alors, reprit Francaville, c’est par la plus extrême terreur qu’il faut remplacer les chimères religieuses ; délivrez le peuple de la crainte d’un enfer à venir, qu’il n’a pas plus tôt détruit qu’il se livre à tout, mais remplacez cette frayeur chimérique par des lois pénales d’une sévérité prodigieuse, et qui ne frappent absolument que sur lui, car lui seul trouble l’État : dans sa seule classe naissent toujours les mécontents. Qu’importe à l’homme riche l’idée du frein qui ne pèse jamais sur sa tête, quand il achète cette vaine apparence par le droit de vexer fortement à son tour tous ceux qui vivent sous son joug ? Vous n’en trouverez jamais un seul, dans cette classe, qui ne vous permette, avec lui, l’ombre la plus épaisse de la tyrannie, quand il en aura la réalité sur les autres. Ces bases établies, il est donc nécessaire qu’un roi gouverne alors avec la plus extrême sévérité, et que pour avoir le droit bien constaté de tout faire au peuple, il laisse faire, à ceux qui soutiennent avec lui le glaive, tout ce qu’il leur plaira d’entreprendre à leur tour. Il faut qu’il environne ceux-ci de son crédit, de sa puissance, de sa considération ; il faut qu’il leur dise : « Et vous aussi, promulguez des lois, mais aux conditions d’étayer les miennes ; et pour que mes coups soient solides, pour que mon trône soit inébranlable, soutenez ma puissance de toute la portion que je vous laisse, et jouissez en paix de cette portion, afin que la mienne ne soit jamais troublée… »

— C’est, dit Olympe, le pacte qu’avaient fait les rois avec le clergé.

— Oui : mais le clergé, étayant sa puissance de celle d’un Dieu fantastique, devenait plus fort que les rois ; il les assassinait au lieu de les soutenir, et ce n’est pas cela que je demande. Je veux que la pleine autorité demeure au gouvernement, et que celle qu’il laisse à la classe des riches et des philosophes ne soit employée par eux à leurs passions particulières, qu’aux conditions de tout faire pour soutenir l’État ; car l’État ne peut jamais être uniquement gouverné, ni par le pouvoir théocratique, ni par le pouvoir despotique ; il faut que l’agent de cet État anéantisse le premier pouvoir qui détruirait bientôt le sien, et qu’il partage l’autre avec ceux qui, gagnant à le voir s’élever au-dessus d’eux, consentiront à lui prêter quelquefois les forces dont il les laisse jouir en paix, quand il y est lui-même, et que tous, alors, et le moteur et ses agents, se réunissent pour combattre, réduire, enchaîner l’hydre populaire, dont les efforts n’ont jamais pour but que de briser les fers dont on l’accable.

— Avec tant de raisons, il est certain, dit Clairwil, qu’alors les lois, faites contre lui, ne sauraient être trop violentes.

— Il faut, dit Francaville, que ce soit celles de Dracon, il faut qu’elles soient écrites avec le sang, qu’elles ne respirent que le sang, et qu’elles le fassent couler tous les jours, qu’elles tiennent le peuple, surtout, dans la plus déplorable misère ; il n’est jamais dangereux que quand il est dans l’aisance…

— Et quand il est instruit ? dit Clairwil.

— Assurément : il faut le tenir, de même, dans la plus profonde ignorance, dit le prince ; il faut que son esclavage soit aussi dur que perpétuel, et qu’il ne lui reste, surtout, aucune espèce de moyens d’en sortir, ce qui sera, indubitablement, dès que celui qui soutient et entoure le gouvernement, se trouvera là pour empêcher le peuple de secouer des fers que lui-même aura le plus grand intérêt de river. Vous n’imaginez pas jusqu’où cette tyrannie doit s’étendre.

— Je le sens, dit Clairwil ; il faudrait qu’elle allât au point que tous ces coquins-là ne tinssent que du tyran, ou de ceux qui l’entourent, le droit de vivre et de respirer.

— Le voilà, reprit le prince, en saisissant cette idée avec empressement : il faut que le gouvernement règle lui-même la population, qu’il ait dans ses mains tous les moyens de l’éteindre s’il la craint, de l’augmenter s’il le croit nécessaire, et qu’il n’y ait jamais d’autre balance à sa justice, que celle de ses intérêts ou de ses passions, uniquement combinés avec les passions ou les intérêts de ceux qui, comme nous venons de le dire, ont obtenu de lui toutes les portions d’autorité nécessaires à centupler la sienne lorsqu’elles s’y enclaveront122. Jetez les yeux sur les gouvernements de l’Afrique et de l’Asie ; tous sont mus par ces principes, et tous se soutiennent invariablement par eux.

— Dans beaucoup, dit Charlotte, le peuple n’est pas où vous paraissez le vouloir réduire.

— Cela est vrai, dit Francaville, car il a déjà remué en quelques-uns de ces cantons, et il faut le mettre dans un tel état de crainte et d’épuisement, qu’il ne puisse pas même en concevoir la pensée.

— C’est pour cela, dit Ferdinand, que je lui voudrais des prêtres.

— Gardez-vous-en bien, puisque vous n’élèveriez alors, comme on vient de vous le dire, qu’une puissance bientôt plus forte que la vôtre, par la machine déifique qui, dans ses mains, ne sert qu’à forger les armes dont elle détruit les gouvernements, et qu’elle n’emploie jamais que dans cette intention. Athéissez et démoralisez sans cesse le peuple que vous voulez subjuguer : tant qu’il n’adorera d’autre Dieu que vous, qu’il n’aura d’autres mœurs que les vôtres, vous en serez toujours le souverain.

— Un homme sans mœurs est dangereux, dit Ferdinand.

— Oui, quand il a quelque autorité, parce qu’il sent alors le besoin d’en abuser ; jamais quand il est esclave. Qu’importe qu’un homme croie ou non qu’il y ait du mal à me tuer, lorsque je l’entraverai au point de lui en ôter tous les moyens ? Et quand la dépravation de ses mœurs l’amollira, il rampera bien mieux encore sous les fers dont je l’accablerai.

— Mais, dit Charlotte, comment s’amollira-t-il sous le joug ? Ce n’est guère, ce me semble, qu’au milieu du luxe et de l’aisance que l’homme se démoralise.

— Il se démoralise au sein du crime, répondit le prince. Or, laissez-lui, réciproquement, sur lui-même la faculté criminelle la plus étendue ; ne le punissez jamais que quand ses dards se dirigent sur vous. Deux excellents effets résulteront de ce plan : l’immoralité qui vous est nécessaire et la dépopulation, qui souvent vous deviendra plus utile encore. Permettez entre eux l’inceste, le viol, le meurtre ; défendez-leur le mariage, autorisez la sodomie, interdisez-leur tous les cultes, et vous les aurez bientôt sous le joug où votre intérêt veut qu’ils soient.

— Et quel moyen de multiplier les punitions, quand vous tolérez tout ce qui les mérite ? dis-je avec quelque apparence de raison.

— Mais, dit Francaville, ce sont les vertus qu’on punit alors, ou les révoltes à votre puissance : en voilà mille fois plus qu’il ne faut pour frapper à tous les instants. Et qu’est-il besoin de motifs, d’ailleurs ? Le despote en prend quand il veut, du sang ; sa seule volonté suffit pour le répandre : on suppose de faux mouvements de conspiration, on les fomente, on les occasionne : les échafauds se dressent, le sang coule.

— Si Ferdinand veut me laisser ce soin, dit Charlotte, je lui réponds de ne pas être un jour sans légitimer des prétextes : qu’il aiguise le glaive, et je lui fournirai les victimes…

— Mon cousin, dit le roi, voilà la tête de ma femme qui s’échauffe.

— Je ne m’en étonne pas, dit Clairwil, la mienne s’irrite également : voir foutre, et ne point foutre, est cruel quand on a du tempérament…

— Sortons, dit le prince, nous trouverons peut-être dans ces bosquets quelques moyens d’apaiser leurs feux.

Tous les jardins étaient illuminés : les orangers, les pêchers, les abricotiers, les figuiers, nous offrirent leurs fruits tout glacés, et nous les détachions des arbres mêmes, en parcourant les délicieuses allées formées par ces arbres, lesquelles nous conduisirent au temple de Ganymède. Le peu de lumière qui éclairait ce temple se trouvait caché dans la voûte, ce qui répandait une clarté suffisante aux plaisirs, et nullement fatigante à l’œil. Des colonnes vertes et roses soutenaient l’édifice, des guirlandes de myrtes et de lilas les entrelaçaient et formaient d’agréables festons d’une colonne à l’autre.

À peine fûmes-nous arrivés, qu’une musique délicieuse se fit entendre. Charlotte, ivre de luxure et très échauffée de vins et de liqueurs, s’avance au bord du canapé ; nous l’imitons.

— C’est leur tour, dit Francaville au roi, il faut les laisser faire, avec la recommandation essentielle, néanmoins, de n’offrir ici que leurs culs : c’est le cul seul qu’on adore en ce lieu ; tout écart à ces lois deviendrait un crime qui les ferait chasser du temple, et les agents, d’ailleurs, que l’on va leur fournir ne consentiraient point à l’infidélité.

— Que nous importe ? dit Clairwil, en nous donnant l’exemple de nous mettre nues. Nous aimons beaucoup mieux livrer nos culs que nos cons, et pourvu qu’on nous branle pendant ce temps-là, nous protestons bien de ne pas former de regrets.

Alors Francaville enlève une draperie de satin rose qui couvrait l’ottomane… Oh ! quel siège se trouvait sous ce voile ! Chaque place, et il y en avait quatre, était marquée de la même manière ; la femme, en s’agenouillant sur le bord du lieu qui lui était destiné, les reins élevés, les cuisses écartées, se trouvait alors reposer sur des bras de banquette garnis de coton et recouverts de satin noir comme tout le meuble. Ses mains, en s’allongeant sur ces bras, allaient poser sur le bas-ventre de deux hommes qui, par ce moyen, plaçaient entre les mains de la femme un engin monstrueux qu’on voyait seul : le reste du corps, caché sous des draperies noires, ne s’apercevait pas. Des trappes, artistement disposées, soutenaient ces corps, de manière qu’aussitôt après la décharge de ces vits, ils disparaissaient, et d’autres les remplaçaient à l’instant.

Une nouvelle mécanique bien plus singulière s’opérait sous le ventre de la femme. En se plaçant sur la portion du siège qui lui était destinée, cette femme s’enfonçait, pour ainsi dire sans le vouloir, sur un godemiché doux et flexible qui, par le moyen d’un ressort, la limait perpétuellement, en lui lançant, dans le vagin, de quart d’heure en quart d’heure, des flots d’une liqueur chaude et gluante, dont l’odeur et la viscosité l’eussent fait prendre pour le sperme et le plus pur et le plus frais. Une très jolie tête de fille, sans qu’on vît autre chose que cette tête, le menton appuyé contre le godemiché, branlait, avec sa langue, le clitoris de la femme courbée, et était de même relayée par le moyen d’une trappe, aussitôt qu’elle était fatiguée. À la tête de cette femme ainsi placée, on voyait sur des tabourets ronds, qui se changeaient au gré des désirs de la femme, on y voyait, dis-je, ou des cons ou des vits ; de manière que cette femme avait, à la hauteur de sa bouche, et pouvait sucer à son aise, soit un engin, soit un clitoris. Il résultait de cette mécanique entière, que la femme, placée sur le sofa que faisaient mouvoir les ressorts adaptés, y était d’abord mollement étendue sur le ventre, enfilée par un godemiché, sucée par une fille, branlant un vit de chaque main, présentant son cul au vit bien réel qui viendrait le sodomiser, et suçant alternativement, d’après ses goûts, tantôt un vit, tantôt un con, même un cul.

— Je ne crois pas, dit Clairwil en s’adaptant bien nue sur ce siège, qu’il soit possible d’inventer rien de plus extraordinairement lubrique ; cette seule position m’irrite… je décharge rien qu’en me plaçant.

Nous nous arrangeâmes toutes. Quatre jeunes filles de seize ans, nues et belles comme des anges, aidèrent à nous placer ; elles humectèrent les godemichés d’essence pour qu’ils entrassent plus facilement ; elles fixèrent, arrangèrent les positions ; puis, écartant nos fesses, elles oignirent de même le trou de nos derrières, et restèrent pour nous soigner pendant l’opération.

Alors Francaville donna le signal. Quatre pucelles de quinze ans amenèrent, par le vit, un pareil nombre de garçons superbes, dont les membres nous furent aussitôt introduits dans le cul ; ce quadrille épuisé se remplace bientôt par d’autres. C’étaient les mêmes filles qui nous soignaient ; mais les vits étaient toujours conduits par quatre nouvelles qui, après avoir remis aux placeuses les vits qu’elles amenaient, formaient une danse voluptueuse autour de nous, au son d’une musique enchanteresse que nous n’entendions que de loin. Pendant cette danse, elles jetaient sur nos corps une liqueur qui nous était inconnue, dont chaque goutte nous faisait éprouver une piqûre très irritante, et qui contribuait incroyablement à stimuler nos passions : son odeur était celle du jasmin ; nous en fûmes inondées.

On n’imagine pas d’ailleurs avec quelle légèreté… quelle rapidité s’exécutaient toutes les variations de cette scène : nous n’attendions pas une minute. Sous nos bouches, les cons, les vits, les culs se succédaient aussi promptement que le désir ; d’une autre part, à peine les engins que nous branlions avaient-ils déchargé, qu’il en reparaissait de nouveaux ; nos gamahucheuses se relayaient avec la même vitesse, et jamais nos culs ne se trouvaient vacants. En moins de trois heures, pendant lesquelles nous ne cessâmes d’être plongées dans le délire, nous fûmes enculées cent coups chacune, et constamment polluées, ce même intervalle, par le godemiché qui sondait nos cons. J’étais anéantie ! Olympe s’était trouvée mal, on avait été contraint à la retirer ; Clairwil et Charlotte, seules, avaient soutenu l’attaque avec un courage sans exemple. Le foutre, les liqueurs éjaculées des godemichés, le sang, nous inondaient de tous côtés : nous nagions dans leurs flots. Ferdinand et Francaville qui, bien en face du spectacle, s’étaient amusés d’une trentaine de charmants bardaches, nous invitèrent à poursuivre la promenade ; quatre jolies filles nous soutinrent, et nous entrâmes dans un vaste kiosque, décoré de la manière suivante.

Dans la partie du fond qui régnait à droite, était un amphithéâtre demi-circulaire, s’élevant à trois pieds du sol, garni d’épais matelas recouverts de satin couleur de feu, sur lesquels on pouvait se coucher à l’aise ; en face était un gradin, plus haut d’un pied, d’égale forme, qu’un vaste tapis de velours de même couleur garnissait en entier.

— Vautrons-nous ici, nous dit le prince en nous conduisant vers la partie de l’amphithéâtre, et nous verrons ce qui arrivera. À peine placés, nous voyons entrer, dans le milieu de la salle, douze jeunes femmes de seize à dix-huit ans, de la plus délicieuse figure. Elles étaient revêtues d’une simple chemise à la grecque, qui laissait leur gorge découverte ; et sur ces seins, plus fermes et plus blancs que l’albâtre, chacune portait un enfant nu, lui appartenant, et de l’âge de six à dix-huit mois. Six beaux hommes, le vit à la main, se glissèrent en même temps auprès de nous ; deux enculèrent Ferdinand et Francaville ; les quatre autres nous offrirent leurs services, de telle manière qu’il nous plairait de les accepter.

Dès que nous fûmes foutus tous six, les douze femmes, formant un demi-cercle autour de nous, furent troussées par un nombre égal de petites filles, vêtues à la manière des Tartares, qui, s’agenouillant près de la femme qu’elles troussaient, nous exposaient, par une attitude agréablement dessinée, la plus superbe collection de fesses qu’il fût possible de voir.

— Voilà de superbes culs, dit Francaville, sous le vit monstrueux qui le sodomisait ; mais ils sont malheureusement proscrits par nous, et je serais fâché, mesdames, de vous voir prendre à eux un trop vif intérêt… Voyez pourtant comme c’est coupé, comme c’est blanc ! le bel ensemble de fesses ! quel dommage de les traiter comme elles vont l’être à l’instant.

Les trousseuses disparaissent. Douze hommes, de trente-cinq ans, d’une physionomie mâle et féroce, déguisés en satyres, les bras nus, et tous armés d’un instrument de flagellation de forme différente, s’emparent des enfants portée par les femmes, les jettent pêle-mêle, saisissent les mères, les traînent par les cheveux sur l’estrade en gradin qui se trouve en face de nous, et leur arrachant impitoyablement les chemises dont elles sont couvertes, ils les captivent d’une main, et commencent à les flageller de l’autre, d’une si cruelle manière et pendant si longtemps, que des jets de sang et des morceaux de chair s’élançaient jusqu’à nous, à travers toute la largeur du kiosque.

— De mes jours je n’avais encore vu une pareille flagellation… une si sanglante, puisque les coups parcouraient indistinctement toutes les parties de derrière, depuis la nuque du cou, jusqu’à la cheville du pied ; les lamentations de ces malheureuses s’entendaient d’une lieue, et le crime marchait tellement à découvert ici, qu’aucune précaution n’était prise pour les étouffer. Quatre de ces femmes s’évanouirent… tombèrent, et ne furent relevées qu’à coups de fouet. Quand toutes les parties flagellées ne formèrent plus qu’une plaie, on les abandonna.

Un mouvement simultané s’exécute alors, et les flagellants et les flagellés se heurtent, se poussent, se pressent ; les uns accourent remplacer près de nous, deux par deux, les six premiers personnages dont nous jouissons ; les autres venaient tristement rechercher leurs enfants ; quelque mêlés qu’ils soient, elles les reconnaissent, les approchent de leurs lèvres tremblantes… les reposent sur leurs seins palpitants, mêlant au lait troublé qu’elles leur donnent, les larmes brûlantes dont est inondé leur visage… C’est à ma honte que je l’avoue, mes amis, mais cette effervescence, en contraste avec les mouvements opposés qui se manifestaient en nous, me fit éjaculer deux fois de suite sous le membre de fer qui me sondait l’anus. Le moment de calme ne fut pas long : douze nouveaux hommes, plus effrayants que les premiers, et vêtus en sauvages, arrivent, le blasphème à la bouche, le martinet au poing. Ils ressaisissent les enfants de ces malheureuses, nous les jettent avec plus de force qu’ils ne l’avaient été la première fois, brisent, par cet élan, le crâne de quelques-uns sur les planches qui composent notre amphithéâtre, rentraînent brutalement ces femmes sur les gradins qui sont en face de nous, et, cette fois, c’est sur toutes les parties du devant, et principalement sur les seins délicats de ces tendres mères, que vont porter les vigoureux coups de ces monstres. Ces masses fraîches, sensibles et voluptueuses, s’entrouvrant bientôt aux cinglons qui les parcourent en tous sens avec autant de force, offrent l’affreux mélange du lait qui s’en exhale aux flots de sang que font jaillir ces coups. Les barbares, s’égarant plus bas, lacèrent bientôt, avec la même violence, le bas-ventre, l’intérieur du vagin et les cuisses, et, en un instant, ces parties, traitées avec la même rigueur que les autres, font voir le sang couler de toutes parts. Et nous foutions pendant ce temps-là, et nous goûtions le suprême plaisir qui résulte du spectacle des douleurs d’autrui, sur des âmes de la trempe des nôtres. Même mouvement de la part des femmes, dès que leurs bourreaux les lâchent, pour venir remplacer de leurs vits écumants et bandants les douze engins flétris de leurs prédécesseurs. Elles se jettent sur leurs enfants, les ramassent, tout maltraités qu’ils sont, les échauffent de leurs douloureux baisers, les inondent de leurs pleurs, les consolent par des mots tendres, et dans le plaisir qu’elles éprouvent à retrouver ces créatures chéries, elles vont presque oublier leurs malheurs, si douze autres scélérats, d’une figure mille fois plus affreuse que ceux qui les ont précédés, ne fussent précipitamment accourus pour d’autres atrocités.

Cette nouvelle horde de monstres, vêtus comme les satellites de Pluton, arrachent pour la dernière fois et sans aucun ménagement, les tristes enfants de ces infortunées, les criblent de coups du poignard dont ils sont armés, les lancent à nos pieds, se précipitent sur les femmes, dont ils font, au milieu de l’arène, le plus prompt et le plus sanglant carnage ; se jettent ensuite sur nous, inondés de sang, poignardent dans nos bras ceux qui nous foutent, et nous enculent eux-mêmes en mourant de plaisir.

— Oh ! quelle scène ! dis-je à Francaville lorsque, épuisés de foutre et d’horreur, nous nous retirâmes de ce repaire sanglant, quelle scène !

— Elle ne suffit pas encore à ton amie, me dit le prince en montrant Clairwil qui s’amusait à visiter les blessures des morts que nous laissions sur le champ de bataille…

— Foutre ! nous répondit cette femme à caractère, croyez-vous donc qu’on se lasse de cela ? pensez-vous que jamais on en ait assez ? Voilà, sans doute, l’une des plus délicieuses horreurs que j’aie vues de mes jours, mais elle me laissera perpétuellement le regret de ne pouvoir la renouveler à tous les quarts d’heure de ma vie.

Ici se terminait la fête. Des calèches nous attendaient ; nous montâmes, elles nous ramenèrent au palais du prince ; nous n’avions pas la force de faire un pas ; des bains d’aromates étaient préparés, nous nous y plongeâmes ; des consommés et des lits nous furent offerts, et au bout de douze heures, nous eussions, s’il l’eût fallu, recommencé toutes les trois.

Reposées de cette fatigue, nous songeâmes à continuer notre tournée des environs de Naples, du côté du Levant. Si ces descriptions ne vous déplaisent pas, j’en entremêlerai celles de mes luxures : cette variété amuse ; elle est piquante. Si jamais ces récits s’imprimaient, le lecteur, dont l’imagination est échauffée par les détails lubriques qui parsèment cette narration, ne serait-il pas enchanté d’avoir à se reposer quelquefois sur des descriptions plus douces, et toujours marquées du sceau de la plus exacte vérité ?

L’œil du voyageur, fatigué des points de vue pittoresques qui l’occupent en traversant les Alpes, aime à s’arrêter sur les plaines fertiles qu’il trouve au bas des monts, où la vigne, agréablement enlacée à l’ormeau, semble toujours, dans ces belles contrées, indiquer la nature en fête.

Huit jours après notre souper chez Francaville, nous partîmes donc pour cette seconde tournée, avec un guide donné par le roi, et toutes les lettres possibles pour être bien reçues dans le pays que nous allions parcourir.

La première maison que nous visitâmes avec attention fut le château de Portici. Jusqu’alors, nous n’en avions vu que les boudoirs. Ferdinand nous en montra lui-même le muséum. Quatorze pièces de plain-pied composent ce cabinet énorme, le plus curieux et le plus beau de l’univers, sans doute. Rien n’est fatigant comme l’examen de ce qu’il renferme ; toujours debout, l’esprit tendu, les yeux fixés, je ne voyais plus rien quand nous fûmes arrivés à la fin de cet examen.

Dans une autre partie de ce château, nous vîmes avec plaisir la nombreuse collection des peintures retrouvées dans Herculanum, ou autres villes englouties par la lave du Vésuve.

On remarque, en général, dans toutes ces peintures, un luxe d’attitudes presque impossibles à la nature, et qui prouvent ou une grande souplesse dans les muscles des habitants de ces contrées, ou un grand dérèglement d’imagination. Je distinguai parfaitement, entre autres, un morceau superbe représentant un satyre jouissant d’une chèvre : il est impossible de rien voir de plus beau… de mieux fini.

— Cette fantaisie est aussi agréable qu’on la trouve extraordinaire, nous dit Ferdinand. Elle est, nous dit-il, encore fort en usage dans ce pays-ci ; en qualité de Napolitain, j’ai voulu la connaître, et je ne vous cache pas qu’elle m’a donné le plus grand plaisir.

— Je le crois, dit Clairwil ; cette idée m’est venue mille fois dans la vie, et je n’ai jamais désiré d’être homme que pour l’éprouver.

— Mais une femme peut très bien se livrer à un gros chien, dit le roi.

— Assurément, répondis-je, de manière à faire croire que je connaissais cette fantaisie.

— Charlotte, poursuivit Ferdinand, a voulu l’essayer, et elle s’en est parfaitement trouvée…

— Sire, dis-je bas à Ferdinand, avec ma franchise ordinaire, il serait bien à désirer que tous les princes de la maison d’Autriche n’eussent jamais foutu que des chèvres, et que les femmes de cette maison n’eussent connu que des dogues : la terre ne serait pas empestée de cette race maudite dont les peuples ne se déferont jamais que par une révolution générale.

Ferdinand convint que j’avais raison, et nous poursuivîmes. Les ruines, absolument fouillées, d’Herculanum offrent peu de choses aujourd’hui : tout s’étant recouvert en raison des enlèvements, afin d’assurer le sol qui soutient Portici, on juge assez mal le beau théâtre, tant par l’obscurité qui y règne, que par les coupures qui y ont été faites. Revenues à Portici, Ferdinand nous abandonna aux guides éclairés qu’il nous avait choisis lui-même, et l’aimable homme nous souhaita un bon voyage, en nous recommandant son ami Vespoli, de Salerne, pour lequel il nous avait donné des lettres, et dont la maison, nous assura-t-il, nous donnerait infiniment de plaisir.

Nous traversâmes Résine pour nous rendre à Pompéi. Cette ville fut engloutie comme Herculanum et par la même éruption. Une chose assez singulière que nous remarquâmes, c’est qu’elle est elle-même édifiée sur deux villes englouties déjà il y a longtemps. Comme vous le voyez, le Vésuve absorbe, détruit toutes les habitations dans cette partie, sans que rien décourage d’y en reconstruire de nouvelles ; tant il est vrai que sans ce cruel ennemi, les environs de Naples seraient incontestablement le plus agréable pays de la terre.

De Pompéi, nous gagnâmes Salerne, et fûmes, de là, coucher à la fameuse maison de force qui se trouve située à près de deux milles de cette cité, et dans laquelle Vespoli exerce sa terrible puissance.

Vespoli, issu d’une des plus grandes maisons du royaume de Naples, était autrefois premier aumônier de la Cour. Le roi dont il avait servi les plaisirs et dirigé la conscience123, lui avait accordé l’administration despotique de la maison de correction où il était, et, le couvrant de sa puissance, il lui permettait de se livrer, là, à tout ce qui pourrait le mieux flatter les criminelles passions de ce libertin. C’est en raison des atrocités qu’il y exerçait que Ferdinand fut bien aise de nous envoyer chez lui.

Vespoli, âgé de cinquante ans, d’une physionomie imposante et dure, d’une taille élevée et d’une force de taureau, nous reçut avec les marques de la plus extrême considération. Aussitôt qu’il eut vu nos lettres, et comme il était fort tard quand nous arrivâmes, on ne s’occupa qu’à nous faire promptement souper et coucher. Le lendemain, Vespoli vint nous servir lui-même le chocolat, et, sur le désir que nous lui témoignâmes, il nous accompagna dans la visite que nous voulions faire de sa maison.

Chacune des salles que nous parcourûmes nous fournit à tous infiniment de matière à de criminelles lubricités, et nous étions déjà horriblement échauffés, lorsque nous arrivâmes aux loges où étaient enfermés les fous.

Le patron, qui jusqu’à ce moment n’avait fait que s’irriter, bandait incroyablement quand nous fûmes parvenus dans cette enceinte, et comme la jouissance des fous était celle qui irritait le plus ses sens, il nous demanda si nous voulions le voir agir.

— Certainement, répondîmes-nous.

— C’est que, dit-il, mon délire est si prodigieux avec ces êtres-là, mes procédés sont si bizarres, mes cruautés tellement atroces, que ce n’est qu’avec peine que je me laisse voir en cet endroit.

— Tes caprices fussent-ils mille fois plus incongrus, dit Clairwil, nous voulons te voir, et nous te supplions même d’agir comme si tu étais seul ; de ne nous rien faire perdre surtout des élans précieux qui mettent si bien à découvert et tes goûts et ton âme…

Et il nous parut que cette question l’échauffait beaucoup, car il ne put la faire, sans se frotter le vit.

— Et pourquoi n’en jouirions-nous pas aussi de ces fous dit Clairwil. Tes fantaisies nous électrisent, nous voulons les imiter toutes. Si, néanmoins, ils sont méchants, nous aurons peur ; s’ils ne le sont pas, nous nous en échaufferons comme toi : pressons-nous, je brûle de te voir aux prises.

Ici, les loges environnaient une grande cour plantée de cyprès, dont le vert lugubre donnait à cette enceinte toute l’apparence d’un cimetière. Au milieu était une croix garnie de pointes d’un côté ; c’était là-dessus que se garrottaient les victimes de la scélératesse de Vespoli. Quatre geôliers, armés de gros bâtons ferrés dont un seul coup eût tué un bœuf, nous escortaient avec attention. Vespoli qui ne redoutait pas leurs regards, par l’habitude où il était de s’amuser devant eux, leur dit de nous placer sur un banc de cette cour, de rester deux auprès de nous, pendant que les deux autres ouvriraient les loges de ceux dont il aurait besoin.

On lui lâche aussitôt un grand jeune homme, nu et beau comme Hercule, qui fit mille extravagances dès qu’il fut libre. Une des premières fut de venir chier à nos pieds, et Vespoli ne manqua pas de venir, avec soin, examiner cette opération. Il se branla, toucha l’étron, y frotta son vit, et se mettant ensuite à danser, à faire les mêmes gambades que le fou, il le saisit en traître, le pousse sur la croix, et les geôliers le garrottent à l’instant. Dès qu’il est pris, Vespoli, transporté, s’agenouille devant le derrière, l’entrouvre, le gamahuche, l’accable de caresses, et se relevant aussitôt le fouet à la main, il étrille une heure de suite le malheureux fou, qui jette des cris perçants. Dès que les fesses sont déchirées, le paillard encule, et, dans l’ivresse qui le possède, il se met à déraisonner comme sa victime.

— Oh ! sacredieu, s’écriait-il de temps en temps, quelle jouissance que le cul d’un fou ! Et moi aussi je suis fou, double foutu Dieu ; j’encule des fous, je décharge dans des fous, la tête me tourne pour eux, et ne veux foutre qu’eux au monde…

Cependant, comme Vespoli ne voulait pas perdre ses forces, il fait détacher le jeune homme. Un autre arrive… celui-là se croit Dieu…

— Je vais foutre Dieu, nous dit Vespoli, regardez-moi ; mais il faut que je rosse Dieu, avant que de l’enculer. Allons, poursuit-il… allons, bougre de Dieu… ton cul… ton cul !

Et Dieu, mis au poteau par les geôliers, est bientôt déchiré par sa chétive créature, qui l’encule dès que les fesses sont en marmelade. Une belle fille de dix-huit ans succède ; celle-ci se croit la Vierge : nouveaux sujets de blasphèmes pour Vespoli qui fustige jusqu’au sang la sainte mère de Dieu, et qui la sodomise après, pendant plus d’un quart d’heure.

Clairwil se lève en feu.

— Ce spectacle m’échauffe, nous dit-elle ; imitez-moi, mes amies, et toi, scélérat, fais-nous mettre nues par tes geôliers, qu’ils nous enferment dans des loges ; prends-nous aussi pour des folles, nous les imiterons ; tu nous feras attacher sur la croix du côté où elle est sans pointes, tes fous nous fouetteront et nous enculeront après…

L’idée paraît délicieuse. Vespoli l’exécute. À l’instant, dix fous, l’un après l’autre, sont lâchés sur nous ; quelques-uns nous étrillent, d’autres sont écharpés par Vespoli, pour s’y être refusés ; mais tous nous foutent, et tous, guidés par Vespoli, s’introduisent dans nos derrières. Les geôliers, le maître, tout y passe : nous faisons tête à tous.

— Décharge donc maintenant, dit Clairwil au maître du logis, nous avons fait tout ce que tu as voulu, nous avons imité tes bizarreries : fais-nous donc voir comme tu te conduis dans cette dernière crise de la volupté.

— Un moment, dit notre homme, il en est un ici qui fait mes délices ; je ne sors jamais sans le foutre.

Sur un signe à l’un de ses geôliers, on lui amène un vieillard de plus de quatre-vingts ans, dont la barbe blanche descend au-dessous du nombril.

— Viens, Jean, lui dit Vespoli, en le saisissant par la barbe, et le traînant ainsi tout le long de la cour, viens que je mette mon vit dans ton cul.

Le vieillard est impitoyablement attaché, fustigé ; son cul, son vieux parchemin ridé se baise, se lèche, s’encule, et Vespoli se retirant, tout près d’élancer son foutre :

— Ah ! nous dit-il, vous voulez me voir décharger ? Mais savez-vous que je ne parviens jamais à cette crise qu’il n’en coûte la vie à deux ou trois de ces infortunés ?

— Tant mieux, répondis-je ; mais j’espère que, dans tes massacres, tu n’oublieras ni Dieu, ni la Vierge ; j’avoue que je déchargerai bien délicieusement en te voyant assassiner le bon Dieu d’une main et sa bru de l’autre.

— Il faut, si cela est, que, pendant ce temps, j’encule Jésus-Christ, dit l’infâme. Nous l’avons : tout le paradis est dans cet enfer.

Les geôliers amènent un beau jeune homme de trente ans, qui se disait le fils de Dieu, et que Vespoli fait aussitôt mettre en croix. Il le flagelle à toute outrance.

— Courage, braves Romains, s’écriait la victime, je vous ai toujours dit que je n’étais venu que pour souffrir sur terre ; ne m’épargnez pas, je vous conjure ; je sais bien qu’il faut que je meure en croix ; mais j’aurai sauvé le genre humain.

Vespoli n’y tient plus ; il encule le Christ, arme ses deux mains de stylets, pour en régaler la Sainte Vierge et le bon Dieu.

— Allons, nous dit-il, entourez-moi, montrez-moi vos culs ; et puisque vous êtes curieuses de ma décharge, vous allez voir comment j’y procède.

Il lime ; jamais le fils de Dieu ne fut si bien foutu ; mais chaque coup de reins qu’il donne à sa jouissance est accompagné d’une estafilade sur toutes les parties des deux corps offerts de droite et de gauche à sa rage. D’abord ce sont les bras qu’il larde, les aisselles, les épaules, les flancs : à mesure que la crise s’approche, le barbare choisit de plus délicates parties ; la gorge de la Vierge est en sang ; frappant tantôt d’une main, tantôt de l’autre, ses bras imitent le balancier d’une horloge ; on calculerait les approches de la crise, à la délicatesse des parties qu’il choisit. D’affreux jurements nous annoncent enfin les derniers transports de ce frénétique. Ce sont les visages que choisit alors sa fureur ; il les déchire, et quand s’élancent les dernières gouttes de son foutre, ce sont les yeux que sa fureur arrache.

Il est impossible d’exprimer à quel point ce spectacle nous anime : nous voulons imiter ce monstre ; les victimes nous sont abondamment fournies ; nous en immolons chacune trois. Clairwil, ivre de volupté, se précipite au milieu de la cour ; elle entraîne Vespoli.

— Viens me foutre, scélérat ! lui dit-elle ; viens, en faveur du con d’une femme qui te ressemble, faire à ton culte une infidélité.

— Je ne le puis, dit l’Italien.

— Je l’exige…

Nous excitons Vespoli, il bande ; nous le forçons à enconner Clairwil ; on lui montre nos culs : le capricieux veut des fous, et ce n’est qu’en en faisant chier un sur son visage que le vilain, pressé par Olympe et moi, arrose enfin Clairwil de foutre. Et nous abandonnons ces exécrables lieux, sans nous douter que, depuis treize heures, nous nous y plongions dans des infamies.

Nous restâmes quelques jours dans ce lieu de crimes et de débauches, au bout desquels, souhaitant à Vespoli toutes sortes de prospérités, nous poursuivîmes notre route vers les célèbres temples de Pestum.

Avant que de rien examiner, nous fûmes prendre notre logement dans une superbe ferme où Ferdinand nous avait adressées. La simplicité, la vertu caractérisaient les habitants de cette belle campagne ; une veuve de quarante ans, et trois filles de quinze à dix-huit ans, en étaient les uniques maîtres. Plus rien de criminel ici, et si la vertu même eût été bannie de la terre, on n’aurait retrouvé ses temples que chez l’honnête et douce Rosalba : rien n’était frais comme elle, rien n’était joli comme ses filles.

— Eh bien ! dis-je bas à Clairwil, ne t’ai-je pas dit que j’étais presque sûre de rencontrer bientôt un asile où la vertu, sous sa plus belle parure, nous provoquerait sûrement au vice ? Vois ces filles charmantes, ce sont des fleurs que la nature nous donne à moissonner. Ô Clairwil ! il faut que par nos soins le trouble et la désolation remplacent bientôt l’innocence et la paix que cette délicieuse retraite nous présente.

— Tu me fais bander, dit Clairwil ; tu as raison, voilà de voluptueuses victimes ; puis, me baisant : Mais il faudra que cela souffre beaucoup… Dînons, allons voir les temples, et nous combinerons ensuite ce joli forfait.

La précaution de conduire toujours un cuisinier avec nous, faisait que nous trouvions à peu près partout la même chère. Après un ample repas, pendant lequel les belles filles de cette maison nous servirent, nous nous fîmes mener aux temples. Ces édifices superbes sont si bien conservés que, sans le goût antique qui les caractérise, on les prendrait pour des ouvrages de trois ou quatre siècles au plus : ils sont au nombre de trois, dont un paraît beaucoup plus grand que les deux autres. Après avoir admiré ces chefs-d’œuvre… avoir regretté les sommes immenses que, dans tous les pays de l’univers, la superstition fait offrir à des dieux qui, de quelque nature qu’on puisse les admettre, n’existèrent jamais que dans l’imagination des fous, nous regagnâmes notre ferme où de plus grands intérêts nous appelaient sans doute.

Là, Clairwil s’étant emparée de la mère, lui fit part des craintes que nous concevions de coucher seules dans des campagnes si prodigieusement isolées.

— Vos filles, dit la scélérate, seront-elles assez complaisantes pour partager nos lits ?

— N’en doutez pas, mes belles dames, répondit honnêtement la belle fermière ; mes filles sont trop flattées de l’honneur que vous voulez bien leur faire…

Et Clairwil, se hâtant de nous rapporter cette agréable réponse, nous choisîmes chacune celle que nous désirions, et nous nous retirâmes.

Celle de quinze ans m’était échue : il était impossible de rien voir de plus frais et de plus joli. À peine fûmes-nous sous le même drap, que je l’accablai de caresses, et la pauvre petite me les rendait avec une candeur… une ingénuité… capables de désarmer toute autre qu’une libertine telle que moi. Je commençai par des questions : hélas ! l’innocente ne les entendait point ; la nature même, quoique dans un climat si précoce, ne lui avait encore rien dit, et la simplicité la plus entière dictait seule les réponses ingénues de cet ange. Quand mes doigts impurs effeuillèrent la rose, elle tressaillit ; je la baisai, elle me le rendit, mais avec une simplicité ignorée des gens du monde, et qui ne se rencontre que dans les asiles de la pudeur et de l’innocence. Il n’y avait rien que je n’eusse fait faire, rien que je n’eusse exécuté avec cette jolie petite créature, lorsque mes compagnes, plus tôt levées que moi, vinrent me demander des nouvelles de la nuit.

— Hélas ! leur dis-je, je suis bien sûre que le détail de mes plaisirs est l’histoire fidèle de celui des vôtres.

— Ah, sacredieu ! dit Clairwil, je crois que de ma vie je n’ai tant déchargé ! Mais lève-toi, renvoie cette enfant, il faut que nous causions…

Puis, la fixant :

— Gueuse, lui dis-je, tes foutus yeux me peignent ton âme… ils respirent le crime.

— Je veux en commettre un, affreux, épouvantable… Tu sais comme ces bonnes gens nous ont reçues… le plaisir que nous ont donné leurs filles ?

— Eh bien ?

— Je veux les massacrer tous, voler, piller, abattre leur maison, et nous branler sur les ruines, quand elles auront couvert les cadavres.

J’approuve cette délicieuse idée, répondis-je, mais j’y désire un épisode. Il faut nous enfermer ce soir avec tous ces gens-ci : la mère est seule avec ses filles, les valets sont à Naples, rien n’est isolé comme cette maison : livrons-nous à des infamies, nous tuerons après.

— Tu es donc lasse de la tienne ? me dit Clairwil.

— Excédée…

— Je voudrais déjà voir la mienne au diable, dit Borghèse.

— Il ne faut jamais aller aussi loin avec l’individu offert à notre jouissance, dit Clairwil, sans avoir du poison dans sa poche.

— Scélérate ! Point de reproche… déjeunons, puis occupons-nous de notre affaire.

Nous avions pour escorte quatre grands valets membrés comme des ânes, qui nous foutaient quand nous bandions, et qui, singulièrement payés, se seraient bien gardés de nous désobéir : une fois au fait, ils ne respiraient plus que pour l’exécution. À peine la nuit fût-elle venue, que nous nous emparâmes de la maison. Mais il est essentiel de vous désigner les acteurs, avant que de vous détailler les scènes. Connaissant déjà la mère, et vous peignant sans doute Rosalba sous les traits de la fraîcheur et de la beauté, je n’ai plus qu’à vous parler de ses filles. Isabelle était la plus jeune, je venais de passer la nuit avec elle ; on nommait la seconde Bathilde, seize ans, de beaux traits, de la régularité, de la langueur dans les yeux, l’air d’une belle vierge de Raphaël ; Ernesille était le nom de la troisième, le port et la figure de Vénus même, il était impossible d’être plus belle ; c’était celle avec qui Clairwil venait de se souiller d’horreurs et d’impudicités. Nos gens se nommaient Roger, Victor, Auguste et Vanini. Le premier m’appartenait, il était de Paris, vingt-deux ans, et le plus beau vit possible ; Victor, également Français, et âgé de dix-huit ans, appartenait à Clairwil ; il ne le cédait en rien aux qualités occultes de Roger ; Auguste et Vanini, tous deux Florentins, appartenaient à Borghèse, tous deux jeunes, d’une charmante figure, et supérieurement membrés.

La tendre mère de nos trois Grâces, un peu surprise des précautions qu’elle nous voyait employer, demanda ce qu’elles signifiaient.

— Nous allons te l’apprendre, putain, lui dit Auguste en lui ordonnant, le pistolet sur la gorge, de se mettre nue.

Et pendant ce temps, nos trois autres valets, s’emparant chacun d’une des filles, leur adressaient à peu près les mêmes compliments. En moins de six minutes, la mère et les trois filles nues, les mains liées derrière le dos, n’offrent plus à nos yeux que de la soumission et des victimes. Clairwil s’approche de la mère.

— Comme elle est belle et fraîche, cette gueuse-là ! dit-elle en lui maniant les fesses et la gorge ; et revenant aux filles : Mais ceci… oh ! ce sont des anges ! je n’ai jamais rien vu de si beau. Coquine, me dit-elle en caressant la mienne, tu te trouvais la mieux pourvue… Que de plaisirs tu dois avoir eu, cette nuit, avec une aussi jolie fille !… Eh bien ! mes amies, vous me chargez donc du soin de diriger tout ceci ?

— Assurément, nous ne saurions remettre nos droits entre les mains de quelqu’un qui sût en faire un meilleur usage.

— Mon avis est donc que chacune de nous passe alternativement avec la mère et les trois filles, dans ce cabinet séparé, pour les assouplir toutes quatre à ce qui pourra plaire le mieux.

— Un homme pourra-t-il m’accompagner ? dit Borghèse.

— Non, d’abord seule ; vous verrez ce que j’arrangerai ensuite.

Comme j’ignore ce que firent mes compagnes, je ne vous parlerai que de mes fredaines avec ces quatre malheureuses créatures. J’étrillai la mère, tenue par ses filles, puis l’une des filles, pendant que les deux autres branlaient leur mère devant moi ; je leur enfonçai des aiguilles dans le sein, leur mordis le clitoris et la langue, et leur cassai le petit doigt de la main droite à chacune. Le sang qui ruisselait de leur corps, lorsque mes amies les ramenèrent, prouva bien qu’elles ne les avaient pas plus ménagées que moi. Nous les réunîmes ; elles fondaient en larmes.

— Est-ce donc là, disaient-elles en sanglotant, la récompense des politesses que nous vous avons faites… des soins que nous avons pris de vous ?

Et la mère, en larmes, s’approchait de ses filles pour les baiser… pour les consoler ; celles-ci l’entouraient également… se serraient en pleurant vers elles, et toutes quatre formaient le tableau de la nature, le plus pathétique et le plus déchirant. Mais des âmes comme les nôtres ne s’attendrissent de rien ; tout ce qu’on offre à leur sensibilité n’est qu’un aliment de plus à leur rage ; nous bandions.

— Faisons-les foutre, dit Clairwil, et, pour cela, détachons leurs mains.

À ces mots, elle place Rosalba sur un lit, puis ordonne à la plus jeune fille de préparer pour sa mère, tour à tour, les vits de nos quatre valets. La pauvre enfant, menacée par nous, était obligée de branler… de sucer les engins qui devaient se plonger dans sa mère. Nous nous amusions des deux autres. Afin de ménager leurs forces, nos hommes avaient défense de décharger. Nous leur présentâmes l’aînée des filles, et, pour lors, c’était la mère qui devait préparer les vits dont sa fille allait être foutue. Cette seconde attaque eut encore le plus grand succès : les trois enfants de Rosalba furent foutues des vits préparés par leur mère. Un seul de nos hommes, Auguste, ne fut pas assez maître de lui : son foutre éjacula dans le con d’Isabelle.

— Ce n’est rien, dit Clairwil en l’attirant à elle, je ne le veux que trois minutes dans mes mains pour qu’il bande aussi bien qu’il faisait tout à l’heure.

Les culs se tournent, la mère commence, ses filles sont obligées de darder les vits dans son anus ; elle leur rend bientôt le même service. Roger, comme le mieux membré des quatre, est contraint à dépuceler la plus jeune… Il l’estropie… il la met en sang ; nous déchargeons, lubriquement branlées par les autres filles et sodomisées par les hommes. Ici, Vanini s’oublia ; il ne tint pas au beau cul d’Ernesille : il lui remplit l’anus de foutre ; et Clairwil, dont rien n’égalait le talent pour faire reguinder des vits, rendit bientôt celui de ce bel homme aussi dur que s’il n’eût pas combattu depuis six semaines.

De ce moment, les vrais supplices commencèrent. Clairwil imagina de faire lier chacune de ces filles sur nous, et la mère menacée… contenue par les valets, devait les tourmenter sur nos corps. J’avais demandé Ernesille ; Bathilde était sur Clairwil ; Isabelle sur Borghèse. Nos gens eurent une peine infinie à faire obéir Rosalba. Quand il faut vaincre la nature à ce point, quand il faut contraindre une mère à fouetter, à souffleter, à pincer, à brûler, à mordre, à piquer ses propres filles, certes, la besogne n’est pas très aisée. Nous y réussîmes pourtant. La putain reçut bien des coups, mais elle obéit, et nous jouîmes du plaisir féroce, de branler, de baiser ces trois infortunées, collées sur nous, pendant que leur propre mère les mettait en capilotade.

Des jeux plus sérieux nous occupèrent alors. Nous attachâmes la mère contre un pilier, et, le pistolet sur la gorge des filles, nous les obligeâmes à enfoncer chacune une aiguille très pointue dans les tétons de leur mère ; elles le firent. Nous les liâmes à leur tour. La mère fut contrainte à leur donner un coup de poignard dans le con entrouvert, et c’était à grands coup s de stylet que nous caressions les fesses pendant ce temps-là. Leurs corps commençaient à ne plus inspirer que cette délicieuse horreur, née de crimes secrets que la lubricité fait commettre, et qui ne sont pas faits pour être entendus de tout le monde. Épuisées, rendues, nous nous fîmes sodomiser, en contemplant l’affreux état de nos victimes, pendant que Roger, qui n’avait point de femme, étrillait la masse de ces quatre créatures, liées l’une à l’autre, avec des martinets de fer rouge.

— Allons, sacré foutredieu ! allons, bougre de Dieu, dont je me fous ! tuons maintenant, dit Clairwil, dont les yeux homicides respiraient à la fois la rage et la lubricité ; assassinons, détruisons, saoulons-nous de leurs pleurs. Il me tarde de voir expirer ces garces ; je brûle du besoin d’entendre leurs cris déchirants, et de me désaltérer de leur sang odieux ; je voudrais les dévorer en détail ; je voudrais me rassasier de leurs chairs…

Elle dit… La bougresse poignarde d’une main, en se branlant le clitoris de l’autre. Nous l’imitons : et ces cris, ces cris que nous brûlons d’entendre, viennent enfin flatter nos oreilles. Nous étions là, en face ; nos valets nous socratisaient pendant l’opération ; tous nos sens étaient à la fois chatouillés du divin aspect de nos infamies.

J’étais à côté de Clairwil ; branlée par Auguste, la putain déchargeait. Elle se pencha vers moi.

— Oh ! Juliette, s’écria-t-elle en redoublant ses blasphèmes accoutumés, oh ! ma chère âme, que le crime est délicieux ! combien ses effets sont puissants ! qu’ils ont d’attraits sur une âme sensible !…

Et les hurlements de la Borghèse qui, de son côté, déchargeait comme une Messaline, précipitèrent nos éjaculations et celles de nos gens, nerveusement branlés par nous.

Nous n’employâmes le repos où cette agitation nous laissa qu’à vérifier l’effet de nos crimes : les putains expiraient… et la cruelle mort nous ôtait le plaisir de les tourmenter plus longtemps. Point satisfaites encore du mal que nous venions de faire, nous pillâmes et détruisîmes la maison. Il est des moments dans la vie où le désir de se vautrer dans le désordre est tel qu’il n’est plus rien qui puisse satisfaire, et où les exécrations, même les mieux prononcées, n’assouvissent que faiblement encore l’excessif penchant que l’on éprouve au mal124.

La nuit était belle ; nous partîmes ; nos gens, à qui nous avions abandonné le pillage, convinrent qu’il leur avait rapporté plus de trente mille francs. De Pestum nous retournâmes à Vietri, où nous prîmes une barque pour nous rendre à l’île de Caprée, toujours en louvoyant, pour ne perdre aucun des sites pittoresques de cette côte sublime. Nous déjeunâmes à Amalfi, ancienne ville étrusque, dans la situation du monde la plus extraordinaire. Nous nous rembarquâmes ensuite jusqu’à la pointe de la Campanelle, courant toujours sur une côte du plus grand intérêt. Nous ne vîmes, dans tout ce beau pays habité jadis par les Sorrentins, que les débris d’un temple de Minerve qui donne son nom à la côte. Le temps se trouvant beau, nous fîmes voile, et nous nous trouvâmes, en deux petites heures, au port de Caprée, après avoir laissé sur notre droite les trois petites îles de Galli.

L’île de Caprée, qui peut avoir environ dix milles de circuit, est partout environnée des plus hauts rochers. On n’y aborde, ainsi que je viens de vous le dire, que par le petit port qui est en face du golfe de Naples. Sa forme est un elliptique de quatre milles à sa plus extrême longueur, et de deux dans sa plus grande largeur ; elle est divisée en deux parties : la haute et la basse Caprée. Une montagne d’une hauteur prodigieuse fait la division de ces deux parties, en devenant à cette île ce que l’Apennin est à l’Italie. Les habitants de l’une de ces parties ne peuvent communiquer avec ceux de l’autre que par un escalier de cent cinquante marches taillé à pic dans le roc.

Tibère habitait peu cette seconde partie ; ce n’était que dans la partie basse, comme plus tempérée, qu’il avait érigé ses lieux de débauche et ses palais, l’un desquels se trouvait assis sur la pointe d’un rocher, dont la hauteur est si prodigieuse, qu’à peine l’œil peut-il distinguer les vagues qui baignent ce rocher. Celui de ses palais élevé là servait d’asile à ses plus piquantes luxures. C’était du haut d’une tour avançant sur la crête du roc, et dont les débris se voient encore, que le féroce Tibère faisait précipiter les enfants de l’un et l’autre sexe qui venaient d’assouvir ses caprices.

— Ah ! double foutu dieu ! dit Clairwil, comme le coquin devait décharger en voyant culbuter de si haut les victimes de son libertinage ! Oh ! cher ange, continuait-elle en se pressant contre moi, c’était un voluptueux coquin que ce Tibère !… Si nous pouvions rencontrer ici quelque objet à précipiter comme lui…

Et pendant ce temps, Borghèse, qui nous devinait, nous montra une petite fille de neuf ou dix ans qui gardait une chèvre à vingt pas de là.

— Oh, foutre ! dit Clairwil, c’est excellent, ceci ; mais nos guides ?

— Il faut les renvoyer, il faut leur dire que nous voulons en ce lieu respirer quelques heures.

L’exécution suit de près le désir ; nous voilà seules… Borghèse elle-même va chercher l’enfant.

— Qui es-tu ? lui demandons-nous.

— Pauvre et malheureuse, répond humblement la jeune fille. Cette chèvre est tout notre bien ; elle et mes soins entretiennent ma mère qui, malade et perpétuellement au lit, mourrait sans ces deux secours.

— Eh ! bien, dit aussitôt l’infernale Clairwil, vois comme le hasard nous sert bien… Il faut attacher l’enfant à la chèvre, et les culbuter toutes deux.

— Oui, mais s’en amuser avant, répondis-je… savoir au moins comment est faite cette fille ; la fraîcheur, la santé, la jeunesse, brillent sur ses jeunes attraits : il serait ridicule de ne s’en point amuser.

Le croirez-vous, mes amis, nous eûmes la cruauté de dépuceler cette enfant avec un caillou pointu ; de l’étriller jusqu’au sang avec les épines d’alentour, de la lier ensuite à sa chèvre, et de les précipiter toutes deux du haut d’un rocher, d’où nous les vîmes s’engloutir dans les ondes, ce qui nous fit d’autant mieux décharger toutes trois, que le meurtre était double, puisqu’il entraînait également celui de la mère de cette enfant, qui, privée du secours des deux individus à qui nous venions de donner la mort, ne tarderait sûrement pas à mourir à son tour.

— Voilà comme j’aime les horreurs, dis-je à mes amies ; ou il faut les faire comme celles-là, ou il faut ne s’en jamais mêler.

— Oui, dit Clairwil ; mais il fallait savoir de l’enfant où demeurait la mère… Il eût été délicieux de la voir expirer de besoin…

— Scélérate ! dis-je à mon amie, je ne crois pas qu’il existe un être au monde qui sache mieux raffiner le crime que toi…

Et nous poursuivîmes notre promenade… Remplies toutes trois du désir de savoir si les heureux habitants de cette île ressemblaient, en vigueur pour les hommes, en attrait pour les femmes, aux divins habitants de Naples, nous remîmes au gouverneur une lettre particulière de Ferdinand.

— Je suis étonné, nous dit-il après l’avoir lue, que le roi puisse me donner une pareille commission : ignore-t-il donc que je suis ici plutôt comme espion de ce peuple que comme le représentant du souverain ? Caprée est une république dont le gouverneur, placé par le roi, n’est que le président. De quel droit veut-il que j’oblige des hommes ou des femmes de cette contrée à se livrer à vous ? Cette action serait celle d’un despote, et Ferdinand sait bien qu’il ne l’est pas ici. J’aime aussi toutes ces choses-là ; mais j’en jouis fort peu dans ce séjour, où il n’y a point de filles publiques et fort peu de valets ou de fainéants. Néanmoins, comme vous payez fort bien, à ce que Ferdinand m’écrit, je vais faire proposer à la veuve d’un marchand de vous livrer ses trois filles ; elle aime l’or, et je ne doute pas qu’elle ne se laisse séduire par le vôtre. Ces filles, nées à Caprée, sont âgées, l’une de seize ans, la seconde de dix-sept, l’aînée de vingt ; c’est ce que nous avons de plus beau dans ce pays : que donnerez-vous ?

— Mille onces par fille, dit mon amie, l’argent ne nous coûte rien pour nos plaisirs. Nous en promettons autant pour toi, gouverneur ; mais il nous faut trois hommes.

— Aurai-je la même récompense pour eux ? dit l’avare officier.

— Oui, dis-je, nous ne marchandons jamais ces choses-là.

Et le cher homme, ayant tout fait préparer pour cette scène lubrique, ne nous demanda d’autre faveur que de nous regarder.

Les filles étaient vraiment belles ; les garçons frais, vigoureux et doués de vits magnifiques. Après nous en être bien fait donner par eux, nous les mariâmes à ces filles vierges ; nous les aidâmes à la défloration ; nous leur permettions seulement de cueillir les roses ; ils étaient ensuite obligés de se réfugier dans nos culs ; ils n’avaient la permission de décharger que là. Le pauvre gouverneur s’extasiait à la vue de ces tableaux, et s’épuisait en leur rendant hommage. La nuit entière fut employée à la célébration de ces orgies ; et, dans un pays semblable, nous n’en osâmes pas davantage. Nous partîmes sans nous coucher, après avoir bien payé le gouverneur, et lui avoir promis de l’excuser près de Ferdinand de l’impossibilité où le mode de gouvernement des insulaires de Caprée le mettait d’en avoir fait davantage pour nous.

Nous louvoyâmes la côte, en retournant à Naples. On ne voudrait jamais quitter ces heureux rivages, tant ils offrent d’objets curieux sur leurs bords. Nous découvrions Massa, Sorrente, la patrie du Tasse, la belle grotte Lila de Rico, et enfin Castella-Mare. Nous y abordâmes pour aller visiter Stabia, engloutie comme Herculanum, où Pline l’Ancien allait trouver Pompéïanus, son ami, chez lequel il coucha la veille de l’éruption fameuse qui couvrit cette ville, ainsi que toutes celles des environs. Les ouvriers qui découvrent celle-ci travaillent lentement : il n’y avait encore, lorsque nous la vîmes, que trois ou quatre maisons mises à l’air.

Excessivement fatiguées, nous ne visitâmes qu’avec rapidité les beautés de cette belle partie ; et très empressées de nous reposer et de nous rafraîchir, nous rentrâmes enfin dans notre beau palais, après avoir fait prévenir le roi de notre retour, et lui avoir fait passer tous nos remerciements de ses bontés pour nous.



Tome dixième


Peu de jours après notre retour, le roi nous fit proposer de venir voir, à un des balcons de son palais, l’une des fêtes les plus singulières de son royaume. Il s’agissait d’une cocagne. J’avais souvent entendu parler de cette extravagance ; mais ce que je vis était bien différent de l’idée que je m’étais faite.

Charlotte et Ferdinand nous attendaient dans un boudoir dont la croisée donnait sur la place où devait avoir lieu la cocagne. Le duc de Gravines, homme de cinquante ans, très libertin, et La Riccia furent les seuls admis avec nous.

— Si vous ne connaissez pas ce spectacle, nous dit le roi, dès que le chocolat fut pris, vous allez le trouver bien barbare.

— C’est ainsi que nous les aimons, sire, répondis-je ; et j’avoue qu’il y a longtemps que je voudrais en France, ou de semblables jeux, ou des gladiateurs : on n’entretient l’énergie d’une nation que par des spectacles de sang ; celle qui ne les adopte pas s’amollit. Quand un empereur imbécile, en faisant monter le sot christianisme sur le trône des Césars, eut fait fermer le cirque à Rome, qui devinrent les maîtres du monde ?… Des abbés, des moines ou des ducs.

— Je suis parfaitement de votre avis, dit Ferdinand. Je voudrais renouveler ici les combats d’hommes contre des animaux, et même ceux d’homme à homme ; j’y travaille ; Gravines et La Riccia m’aident tous deux, et j’espère que nous réussirons.

— La vie de tous ces gueux-là, dit Charlotte, doit-elle être comptée pour quelque chose, quand il s’agit de non plaisirs ? Si nous avons le droit de les faire égorger pour nos intérêts, nous devons également l’avoir pour nos voluptés.

— Allons, belles dames, nous dit Ferdinand, donnez vos ordres. En raison du plus ou moins de rigueur, du plus ou moins de police que je mets à la célébration de ces orgies, je puis faire tuer six cents hommes de plus ou de moins : prescrivez-moi donc ce que vous désirez à cet égard.

— Le pis, le pis ! répondit Clairwil ; plus vous ferez égorger de ces coquins, et plus vous nous amuserez.

— Allons, dit le roi, en donnant bas un ordre à l’un de ses officiers.

Puis, un coup de canon s’étant aussitôt fait entendre, nous nous avançâmes sur le balcon. Il y avait un peuple excessivement nombreux sur la place ; alors nous découvrîmes toute la perspective.

Sur un grand échafaud que l’on orne d’une décoration rustique, se pose une prodigieuse quantité de vivres, disposés de manière à composer eux-mêmes une partie de la décoration. Là, sont inhumainement crucifiés des oies, des poules, des dindons, qui, suspendus tout en vie, et seulement attachée par un clou, amusent le peuple par leurs mouvements convulsifs ; des pains, de la merluche, des quartiers de bœufs ; des moutons, paissant dans une partie de la décoration qui représente un champ gardé par des hommes de carton, bien vêtus ; des pièces de toile disposées de manière à former les flots de la mer sur laquelle s’aperçoit un vaisseau chargé de vivres ou de meubles à l’usage du peuple : telle est, disposée avec beaucoup d’art et de goût, l’amorce préparée à cette nation sauvage, pour perpétuer sa voracité et son excessif amour pour le vol. Car, après avoir vu ce spectacle, il serait difficile de ne pas convenir qu’il est bien plutôt une école de pillage qu’une véritable fête.

À peine avions-nous eu le temps de considérer le théâtre, qu’un second coup de canon se fit entendre. À ce signal, la chaîne de troupes qui contenait le peuple s’ouvrit avec rapidité. Le peuple s’élance, et, dans un clin d’œil, tout est enlevé, arraché, pillé, avec une vitesse… une frénésie, qu’il est impossible de se représenter. Cette effrayante scène, qui me donna l’idée d’une meute de chiens à la curée, finit toujours plus ou moins tragiquement, parce qu’on se dispute, on veut avoir, et empêcher son voisin à prendre, et qu’à Naples, ce n’est jamais qu’à coups de couteau que de pareilles discussions se terminent. Mais cette fois, d’après nos désirs, par les soins cruels de Ferdinand, quand le théâtre fut chargé, quand on crut qu’il pouvait bien y avoir sept ou huit cents personnes dessus, tout à coup il s’enfonce, et plus de quatre cents personnes sont écrasées.

— Ah ! foutre ! s’écria Clairwil en tombant pâmée sur un sofa, ah ! mes amis, vous ne m’aviez pas prévenue : je meurs (et la putain appelant La Riccia), fous-moi, mon ami, fous-moi ! lui dit-elle ; je décharge ; de mes jours, je n’ai rien vu qui m’ait fait autant de plaisir.

Nous rentrâmes ; les fenêtres et les portes se fermèrent, et la plus délicieuse de toutes les scènes de lubricité s’exécuta pour ainsi dire sur les cendres des malheureux sacrifiés par cette scélératesse.

Quatre jeunes filles de quinze ou seize ans, belles comme le jour, et revêtues de crêpes noirs sous lesquels elles étaient nues, nous attendaient debout, en silence. Quatre autres femmes, enceintes, de vingt à trente ans, entièrement nues, paraissaient, dans le même silence et dans la même douleur, attendre nos ordres vers une autre partie de la chambre. Couchée sur un canapé au fond de la pièce, quatre superbes jeunes hommes, de dix-huit à vingt ans, nous menaçaient la vit à la main, et ces vits, mes amis, ces vits étaient des monstres : douze pouces de circonférence sur dix-huit de long. De la vie rien de pareil ne s’était offert à nos yeux : nous déchargeâmes toutes les quatre rien qu’en les apercevant.

— Ces quatre femmes et ces quatre jeunes personnes, nous dit Ferdinand, sont les filles et les veuves de quelques-uns des infortunés qui viennent de périr sous vos yeux. Ce sont ceux que j’ai le plus exposés, et de la mort desquels je suis certain. J’ai fait venir de bonne heure ces huit femmes ici, et, enfermées dans une chambre sûre, j’ai voulu qu’elles vissent, par une fenêtre, le sort de leurs pères et de leurs époux. Je vous les livre maintenant, pour achever de vous divertir, et vous transmets tous mes droits sur elles. Là, poursuivit le monarque, en ouvrant une porte qui donnait sur un petit jardin, là, est un trou destiné à les recevoir, quand elles auront mérité, par d’horribles souffrances, d’arriver à ce moment de calme… Vous voyez leurs tombeaux. Approchez, femmes, il faut que vous le voyiez aussi… Et le barbare les fit descendre dedans, il les y fit étendre, puis, content des proportions, il ramena mes yeux sur les quatre jeunes gens.

— Assurément, mesdames, nous dit-il, je suis bien certain que jamais vous n’avez rien vu de pareil.

Et il empoignait ces vits plus durs que des barres de fer, il nous les faisait prendre, soulever, baiser, branloter.

— La vigueur de ces hommes, poursuivit le roi, égale au moins la supériorité de leur membre ; il n’en est pas un d’eux qui ne vous réponde de quinze ou seize décharges, et pas un qui ne perde dix ou douze onces de sperme à chaque éjaculation : c’est l’élite de mon royaume. Ils sont Calabrais tous les quatre, et il n’y a point de provinces en Europe qui fournissent des membres de cette taille. Jouissons maintenant, et que rien ne nous gêne. Quatre boudoirs tiennent à celui-ci ; ils sont ouverts ; ils sont garnis de tout ce qui sert au service de la luxure : allons, foutons, faisons-nous foutre, vexons, tourmentons, supplicions, et que nos têtes, embrasées par le spectacle qui vient de nous être présenté, raffinent à la fois les cruautés et les luxures…

— Oh ! foutre, mon ami, dis-je à Ferdinand, comme tu entends l’art d’amuser des imaginations comme les nôtres !

Robes, jupons, culottes, tout fut bientôt mis à bas, et, avant que de procéder à des scènes générales, il parut que l’intention de chacun était de s’isoler un moment, dans des cabinets séparés. La Riccia prit avec lui l’une des jeunes filles, une femme grosse et un fouteur ; Gravines s’enferma avec Olympe et une femme grosse ; et Ferdinand prit Clairwil, un fouteur, une femme grosse et deux petites filles ; Charlotte me choisit, et voulut, avec nos deux fouteurs, une des petites filles et une femme grosse.

— Juliette, me dit la reine de Naples, dès que nous fûmes dans notre boudoir, je ne puis plus dissimuler les sentiments que tu as fait naître dans mon cœur : je t’adore. Je suis trop putain pour te promettre de la fidélité ; mais tu sais que ce sentiment romanesque est inutile entre nous : ce n’est point un cœur que je t’offre, c’est un con… un con qui s’inonde de foutre chaque fois que ta main y touche. Je te suppose mon esprit, ma façon de penser, et te préfère incontestablement à tes sœurs. Ton Olympe est une bégueule ; son tempérament l’emporte quelquefois, mais elle est timide et poltronne : il ne faudrait qu’un coup de tonnerre pour convertir une telle femme. La Clairwil est une superbe créature, infiniment d’esprit, sans doute, mais nous différons de goût : elle n’aime à exercer ses cruautés que sur les hommes, et quoique je sacrifie volontiers ce sexe, le sang du mien, pourtant, me fait plus de plaisir à répandre ; elle a d’ailleurs un air de supériorité prononcé sur nous toutes, qui humilie prodigieusement mon orgueil. Avec autant de moyens, et peut-être même beaucoup plus qu’elle, Juliette, tu n’affectes pas autant de vanité ; cela console ; je te crois plus de douceur dans le caractère, autant de coquinerie dans l’esprit, mais plus de solidité avec tes amies ; je te préfère, enfin, et ce diamant de cinquante mille écus, que je te supplie d’accepter, suffira peut-être à t’en convaincre.

— Charlotte, dis-je en refusant le bijou, l’on peut avec toi convenir de ses vices ; je suis sensible à tes sentiments, et je t’en jure de semblables ; mais je l’avoue, ma chère, je ne fais, par caprice, nul cas de ce qu’on me donne, je n’estime que ce que je prends, et, si tu veux, rien n’est plus facile que de me satisfaire sur cet objet.

— Comment donc ?

— Jure avant tout, sur l’amour que tu as pour moi, de ne jamais rien révéler du désir impérieux dont je suis dévorée.

— Je le jure.

— Eh bien ! je veux voler les trésors de ton mari, je veux que tu me fournisses toi-même les moyens d’y parvenir.

— Parle bas, dit la reine, ces gens-ci pourraient nous entendre… Attends, je vais les enfermer… Jasons maintenant à notre aise, reprend Charlotte. Acceptes-tu ce que je te propose ? c’est la seule façon de me convaincre des sentiments que tu me montres. Ô Juliette ! ajoute-t-elle, la confiance que tu me témoignes doit te valoir la mienne… Et moi aussi je médite un forfait : m’y serviras-tu ?

— Fallût-il y risquer mille vies ; parle.

— Si tu savais à quel point je suis excédée de mon mari !

— Malgré ses complaisances ?

— Est-ce donc pour moi qu’il fait tout cela ? Il me prostitue par libertinage, par jalousie ; il croit, en apaisant ainsi mes passions, empêcher mes désirs de naître, et il aime mieux que je sois foutue par son choix que par le mien.

— Plaisante politique.

— C’est la sienne, c’est celle d’un Espagnol italianisé, et il ne peut y avoir rien de pis dans le monde qu’un tel être.

— Et tu désires ?…

— Empoisonner ce vilain homme, devenir régente… Le peuple me préfère à lui, il adore mes enfants ; je régnerai seule, tu deviendras ma favorite, et ta fortune est faite.

— Non, je ne demeurerai pas avec toi, je n’aime pas le rôle que tu me proposes ; d’ailleurs, j’idolâtre ma patrie et veux bientôt y retourner. Je te servirai ; je vois que les moyens te manquent. Ferdinand, qui possède des poisons de tout genre, te les cache, sans doute ; je t’en donnerai ; mais, service pour service, Charlotte, songe que tu n’auras ce que je te promets qu’au prix des trésors de ton mari. À combien se montent ces trésors ?

— Quatre-vingts millions, tout au plus.

— En quelles espèces ?

— Des lingots, des piastres, des onces et des sequins.

— Comment ferons-nous ?

— Tu vois cette croisée ? me dit Charlotte en me montrant une fenêtre assez voisine de celle où nous nous plaçâmes ; qu’un chariot bien attelé se trouve au bas après-demain ; je volerai la clef ; je jetterai par la fenêtre dans ce chariot tout ce que je pourrai.

— Et la garde ?

— Il n’y en a point de ce côté.

— Écoute, dis-je à Charlotte, dont je complotais la perte avec délices dans ce moment-là, j’ai quelques démarches à faire pour préparer le poison qu’il te faut, et je ne me soucie pas de les entreprendre sans être sûre de mon fait ; signe-moi cet écrit, dis-je en le minutant tout de suite, j’agirai dès lors sans nulle crainte, et nous serons tranquilles toutes deux.

Charlotte, aveuglée par son amour pour moi, par l’extrême désir de se défaire de son mari, en signant tout ce que je voulus, me prouva que la prudence est rarement la compagne des grandes passions. Voici ce qu’elle ratifia :


Je volerai tous les trésors de mon mari, et les donnerai pour récompense à celle qui me fournira le poison nécessaire à l’envoyer dans l’autre monde.

Signé : C. de L., R. de N.


— Allons, dis-je, me voilà tranquille ; après-demain, à l’heure indiquée, tu peux compter sur le chariot ; sers-moi bien, Charlotte… tu le seras de même. Amusons-nous maintenant…

— Oh ! chère amie, me dit Charlotte en m’accablant de baisers, quels services tu me rends et combien je t’adore !…

L’imbécile ! comme il s’en fallait que je lui rendisse le même sentiment ! Oh ! l’illusion n’était plus possible : nous avions trop perdu de foutre ensemble ; je ne me délectais que de l’idée de sa perte, et son imprudent écrit l’assurait.

— Branlons-nous toutes deux, me dit-elle, avant que d’appeler nos objets de débauches…

Et, sans attendre ma réponse, la putain me jette sur un lit de repos, s’agenouille entre mes cuisses, et me gamahuche en me chatouillant à la fois et le con et le cul. Ce fut alors où j’usai bien de la facilité qu’ont les femmes pour les infidélités d’imagination : c’était de Charlotte que je recevais des sensations voluptueuses, j’étais couverte de ses pollutions… de ses baisers, et je ne pensais qu’à trahir Charlotte.

Femmes adultères, vous voilà : dans les bras de vos époux, vous ne leur abandonnez que le corps, et les sensations de voluptés qu’ils y font naître n’appartiennent jamais qu’à l’amant. Ils se trompent, ils prennent pour eux l’ivresse où les mouvements vous plongent quand les imbéciles n’ont pas une étincelle de l’embrasement. Sexe enchanteur, continuez cette tromperie, elle est dans la nature : la flexibilité de vos imaginations vous le prouve ; dédommagez-vous ainsi, quand vous ne le pouvez autrement, des chaînes ridicules de la pudeur et de l’hymen, et ne perdez jamais de vue que si la nature vous fit un con pour foutre avec les hommes, sa main forma, du même jet, le cœur qu’il faut pour les tromper.

Charlotte s’enivra de mon sperme, et j’avoue qu’il coula par flots, dans l’idée vraiment délicieuse pour une tête comme la mienne, de perdre à jamais celle qui le faisait ainsi répandre. Elle se rejette dans mes bras, nous nous polluons avec ardeur, elle suce ma bouche et mes tétons, et comme je la branle délicieusement, la tribade se pâme vingt fois. Nous nous entrelaçons l’une sur l’autre en sens contraire, de manière à pouvoir nous gamahucher réciproquement ; nos langues chatouillaient le clitoris, et un doigt libertin effleure et les trous du cul et les cons ; nous nous inondâmes de foutre, et, certes, toutes deux avec des pensées bien diverses.

Enfin, Charlotte en feu désire du libertinage ; elle appelle ; elle veut d’abord que tout soit dirigé par moi. La femme grosse, sous ma main droite, est offerte à mes vexations ; la jeune fille, à califourchon sur ma poitrine, me fait à la fois baiser le con le plus frais et le plus charmant cul ; Charlotte excite les vits et me les enfile elle-même.

— Je raffole de l’idée d’avoir une reine pour maquerelle, dis-je à Charlotte ; allons, putain, fais ton métier.

Mais des engins de la taille de ceux que Ferdinand nous procure ne sont pas faciles à recevoir, et, quelque frayés que soient mes appas, il m’est impossible d’endurer sans préparation des attaques aussi monstrueuses. Charlotte humecte les voies ; elle frotte les bords de mon con et le membre du fouteur, avec une essence qui, dès la première secousse, fait pénétrer plus de la moitié du monstre. Cependant les douleurs sont si vives, qu’en poussant un cri furieux, je jette au diable la petite fille juchée sur ma poitrine ; je veux me débarrasser du trait qui me déchire. Charlotte s’y oppose, elle nous presse tous deux l’un sur l’autre, et ce procédé, qui favorise mon nouveau champion, l’introduit à l’instant au fond de ma matrice : je n’avais jamais tant souffert. Ces épines pourtant se changent bientôt en roses : mon adroit cavalier s’y prend avec tant d’art, il pousse avec tant de force, qu’au quatrième bond, je l’inonde de foutre. Tout alors se remet en place ; Charlotte, en favorisant l’acte, en chatouillant les couilles et le trou du cul de mon fouteur, offre à ma main gauche ses fesses, que je moleste pour le moins avec autant de violence que celles de la femme grosse, et la petite fille gamahuchée par moi m’inonde le visage de sa douce éjaculation. Quelle vigueur dans ce Calabrais ! Il me lime plus de vingt minutes, perd à la fin son foutre, et me refout trois fois de suite sans quitter la lice ; j’en donne enfin au bout d’une heure. Son camarade le remplace. Pendant que je fous avec le second, Charlotte veut jouir du plaisir de me les voir tous les deux dans le corps ; elle-même arrange l’attitude. Je suis couchée dans les bras de l’un, c’est moi qui le fous ; il se laisse faire ; je manie, je moleste un con de ma main droite, la gauche socratise un cul, ma langue gamahuche un clitoris. L’autre homme, aidé par la reine, se présente au trou de mon derrière ; mais, quelque habitude que j’aie de cette manière de goûter le plaisir, nous luttons un quart d’heure sans pouvoir seulement effleurer la brèche. Toutes ces tentatives me plongent dans une incroyable agitation : je grince les dents, j’écume, je mords tout ce qui m’environne, j’inonde de foutre le vit qui laboure mon con ; c’est sur lui que je me venge de n’en pouvoir faire entrer un dans mon cul. À force de ruse et de patience, je le sens pourtant qui pénètre ; celui qui m’enconne me lance un coup de reins assez vigoureux pour favoriser l’attaque de son camarade. Je jette un cri terrible, je suis enculée… Je n’avais rien éprouvé de pareil…

— Quel spectacle ! dit Charlotte en se branlant en face de nous, et me baisant parfois sur la bouche, sacredieu, quelle ouverture !… Oh ! Juliette, que tu es heureuse !…

Et je déchargeais… et j’étais comme une forcenée ; je n’y voyais plus, je n’entendais plus, tous mes sens n’existaient que dans les régions de la volupté ; j’étais à elle uniquement. Tous deux, sans quitter la place, parcourent une double carrière, et quand je m’en débarrassai, le foutre inondait mes cuisses de toutes parts… je le distillais par tous les pores.

— À toi, garce ! dis-je à Charlotte, fais de même, si tu veux connaître le plaisir.

Je n’ai pas besoin de la presser ; promptement enfilée par tous deux, la coquine me prouve que si son mari lui permet quelques plaisirs, à dessein de calmer un libertinage qui pourrait devenir dangereux pour lui, il n’avait pas tout à fait tort. Cruelle comme nous dans ses voluptés, la gueuse me supplie de molester la femme grosse sous ses yeux, pendant qu’elle gamahuche la petite fille, et qu’on la fout en con et en cul. Cette malheureuse se jette à mes pieds : je suis sourde ; ivre de rage et de lubricité, je la renverse d’un coup de genou dans l’estomac, et je lui saute sur le ventre ; dès que je la vois à terre, je la rosse, je la bats, je l’étouffe ; Charlotte m’encourage en balbutiant des horreurs ; enfin la gueuse, également foutue deux coups, éloigne les hommes et se lève. Nous avalons deux bouteilles de champagne et nous passons dans le salon. Toute la compagnie s’y était déjà rendue. Chacun parla de ses prouesses : il fut facile de juger que ce n’était pas seulement dans notre boudoir qu’on avait molesté les femmes grosses ; aucune d’elles ne pouvait se soutenir ; celle de Gravines, surtout… elle était prête d’accoucher ; le scélérat l’avait mise en sang.

Le dîner fut de la plus extrême magnificence ; les jeunes filles nous servaient à table, et les femmes grosses, couchées à terre sous nos pieds, recevaient les vexations qu’il nous plaisait de leur imposer. Placée près de Clairwil, j’eus le temps de lui confier le tour que j’avais fait : je remplis son âme de joie, en lui racontant ces détails, et quoiqu’il ne fût guère possible que de les esquisser, elle me comprit, me félicita, en m’assurant que j’étais la femme la plus adroite et la plus entreprenante qu’elle connût.

Électrisés par la chère délicate et les vins délicieux qui nous furent servis, nous passâmes, en trébuchant dans une magnifique salle, toute préparée pour les orgies que nous avions à célébrer. Là, les agents étaient : Ferdinand, Gravines, La Riccia, Clairwil, Charlotte, Olympe et moi. Les victimes : les quatre femmes grosses, les quatre jeunes filles qui nous avaient servis au dîner, et les huit beaux enfants de l’un et de l’autre sexe dont les culs nous avaient lancé des liqueurs. Quatorze vigoureux champions, pour le moins aussi gros, aussi nerveux que ceux que nous avions épuisés le matin, parurent, la lance en arrêt ; tout était nu… frémissant, et attendant, avec autant de respect que de silence, les lois qu’il nous plairait de leur imposer. Le repas nous ayant menés fort loin, il devenait essentiel que des lumières éclairassent le lieu de la scène. Cinq cents bougies, cachées dans des gazes vertes, répandaient dans cette salle la clarté la plus douce et la plus agréable.

— Plus de particularité, plus de tête-à-tête, dit le roi c’est aux yeux les uns des autres que nous devons opérer maintenant.

Nous nous précipitons alors, sans aucune règle, sur les premiers objets qui se présentent : on fout, on se fait foutre ; mais la cruauté préside toujours à des luxures aussi désordonnées que les nôtres. Ici, l’on pressurait des gorges ; là, l’on fouettait des culs ; à droite, on déchirait des cons ; les femmes pleines se martyrisaient à gauche ; et les soupirs de la douleur ou du plaisir, mêlés de plaintes d’un côté, d’affreux blasphèmes de l’autre, furent longtemps les uniques bruits qui se firent entendre. Des cris plus énergiques de décharges se distinguèrent bientôt : celle de Gravines fut la première. Hélas ! il n’a pas plus tôt prononcé les expressions de son délire, que nous voyons tomber à ses pieds, du milieu des groupes qui l’entouraient, une femme égorgée, son fruit arraché des entrailles, et tous les deux baignés dans les flots de leur sang.

— Ce n’est pas ainsi que je m’y prendrai, dit La Riccia en ordonnant d’attacher fortement contre un mur une de ces truies gonflées. Tenez, dit-il, observez-moi.

Il chausse un soulier garni de pointes de fer, s’appuie sur deux hommes, et lance, de toute la force de ses reins, un coup de pied à plat sur le ventre de la donzelle, qui, crevée, déchirée, ensanglantée, fléchit sous ses liens, et nous pond son indigne fruit, que le paillard arrose à l’instant des flots écumants de son foutre. Très près du spectacle, à la fois foutue par-devant et par-derrière, suçant le vit d’un jeune garçon qui, dans ce moment, déchargeait dans ma bouche, branlant un con de chaque main, il me fut impossible de ne point partager les plaisirs du prince, et je perdis mon sperme à son exemple. Je jette les yeux sur Clairwil : on l’enculait, une jeune fille la gamahuchait, et la gueuse fouettait un petit garçon ; elle m’imite. Charlotte, enconnée, suçait un petit garçon, branlait deux filles, et faisait fouetter devant elle une des femmes grosses sur le ventre. Ferdinand opérait sur une fille ; il la déchiquetait avec des tenailles rouges ; on le suçait, et quand il se sentit près de décharger, le vilain, armé d’un scalpel, coupa les tétons de sa victime, et nous les jeta au nez.

Tels étaient à peu près nos plaisirs, lorsque Ferdinand nous proposa de passer dans un cabinet voisin, dans lequel une machine, artistement préparée, nous ferait jouir d’un supplice très extraordinaire pour les femmes grosses. On prend les deux qui restent ; on les lie sur deux plaques de fer placées l’une au-dessus de l’autre, en telle sorte que les ventres des femmes mises sur ces plaques se répondaient perpendiculairement… Les deux plaques s’enlèvent à dix pieds l’une de l’autre.

— Allons, dit le roi, disposez-vous au plaisir.

Chacun l’entoure, et au bout de quelques minutes, par le moyen d’un ressort aux ordres de Ferdinand, les deux plaques, l’une en montant, l’autre en descendant, s’unissent avec une telle violence, que les deux créatures, s’écrasant mutuellement, sont, elles et leur fruit, réduites en poudre en une minute. Vous imaginez facilement, j’espère, qu’il n’y eut pas un de nous qui ne perdît son foutre à ce spectacle, et pas un qui ne le comblât des plus divins éloges.

— Repassons dans une autre pièce, dit Ferdinand ; nous y goûterons peut-être d’autres plaisirs.

Cette pièce énorme était occupée par un vaste théâtre ; sept différentes tortures y paraissent préparées ; quatre bourreaux, nus et beaux comme Mars, devaient servir chaque supplice, dont le premier était le feu ; le second, le fouet ; le troisième, la corde ; le quatrième, la roue ; le cinquième, le pal ; le sixième, la tête coupée ; le septième, haché en morceaux. Chacun de nous avait, pour se tenir, un vaste emplacement, dans lequel se voyait cinquante portraits des plus jolis enfants que l’on pût voir, de l’un et l’autre sexe. Nous entrâmes dans les places qui nous étaient destinées, seulement chacun avec un fouteur, une petite fille et un petit garçon, pour le service de nos plaisirs pendant les exécutions ; à côté de chacun des portraits dont nous étions environnés, était un cordon de sonnette.

— Que chacun, à votre tour, nous dit Ferdinand, choisisse une victime dans les cinquante portraits qui l’entourent, qu’il tire le cordon de la sonnette qui correspond à l’objet de son choix : aussitôt, la victime qu’il aura désignée lui sera offerte ; il s’en amusera un moment… Ensuite, vous voyez que dans chaque place est un escalier qui mène au théâtre : il y fera monter sa victime, l’annexera au supplice qui le fera le mieux bander, puis opérera lui-même, si cela lui convient ; sinon, il fera signe au bourreau du supplice qu’il aura choisi, et la victime, enlevée sur-le-champ par cet homme, sera sacrifiée sous ses yeux. Mais pour l’intérêt même de vos plaisirs, n’agissez que l’un après l’autre : nous sommes maîtres de notre temps, rien ne nous presse, et les heures les mieux employées de la vie sont toujours celles où l’on l’arrache aux autres.

— Sacredieu, dit Clairwil au roi, je n’ai jamais vu d’imagination plus fertile que la tienne.

— Ne m’en attribuez point la gloire, dit le Napolitain : toutes ces fantaisies faisaient bander les tyrans de Syracuse qui me précédaient. J’ai trouvé dans mes archives des traces de ces horreurs ; elles ont échauffé ma tête ; je m’en amuse avec mes amis.

Gravines sonne le premier : son choix tombe sur un jeune garçon de seize ans, beau comme le jour ; il paraît, et Gravines a seul le droit de s’en amuser ; il le fouette, il le suce, il lui mord le vit, il lui écrase une couille, l’encule, et finit par l’envoyer aux flammes :

— Il est sodomiste, prétend le scélérat, et, comme tel, voilà le supplice qui lui convient.

Clairwil sonne ensuite, et vous croyez bien que c’est sur un garçon que son choix tombe également : à peine avait-il dix-huit ans ; il était beau comme Adonis ; la coquine le suce, le branle, le fustige, s’en fait lécher le con et le cul ; puis, s’élançant avec lui sur le théâtre, la bougresse l’empale elle-même, en se faisant enculer par un des bourreaux.

Olympe suit : une fille de treize ans est l’objet de son choix ; elle la caresse et la fait pendre.

Ferdinand vient après. Comme Clairwil, il choisit un jeune homme.

— J’aime le supplice des femmes, nous dit-il, mais je me plais encore plus à celui des individus de mon sexe…

L’adolescent paraît : vingt ans, membré comme Hercule, avec la figure de l’Amour. Ferdinand se le fait mettre, le lui rend, le fustige, et le mène lui-même au supplice ; il le rompt. Ainsi brisé, on le met sur une roue où on le laisse exposé au fond du théâtre.

La Riccia choisit une fille de seize ans, belle comme Hébé, et après lui avoir fait subir toute sorte d’horreurs, il la fait hacher toute vive.

Charlotte sonne une petite fille de douze ans, et quand elle s’en est amusée, elle lui fait couper la tête, en se faisant foutre par deux hommes.

Je fais venir une fille de dix-huit ans, superbe ; de ma vie, je n’avais vu de plus beau corps. Après l’avoir bien baisée, maniée, léchée sur toutes les parties, je la mène au supplice ; et, travaillant avec les bourreaux, je lui enlève, à grands coups de lanière, des pièces de chair plus grandes que la main : elle expire, et ses bourreaux me foutent sur son cadavre.

Ce jeu nous plaisait trop, pour ne pas se prolonger excessivement. Nous immolâmes en tout onze cent soixante-seize victimes, ce qui fait cent soixante-huit pour chacun, parmi lesquelles six cents filles et cinq cent soixante-seize garçons,

Charlotte et Borghèse furent les seules qui ne sacrifièrent que des filles. Je fis périr autant d’individus d’un sexe que de l’autre ; La Riccia, de même ; mais Clairwil, Gravines et Ferdinand n’immolèrent absolument que des hommes, et presque toujours de leurs mains. Pendant tout ce temps, l’on n’avait cessé de nous foutre, et nos athlètes s’étaient relayés plusieurs fois. Nous nous retirâmes au bout de quarante-cinq heures, entièrement écoulées dans l’ivresse des plus divins plaisirs.

— Madame, dis-je tout bas à Charlotte en la quittant, souvenez-vous du billet que vous m’avez signé…

— Et toi, me répondit Charlotte également bas, du rendez-vous que je t’ai donné pour après-demain… Sois aussi exacte que moi, je ne t’en demande pas davantage.

Nous rentrâmes. Je ne manque pas d’expliquer aussitôt à Clairwil ce que je n’avais pu lui dire qu’en l’air.

— Ce projet est délicieux, me dit-elle.

— Oui, mais tu ne vois pas où je veux la conduire ?

— Non.

— J’abhorre Charlotte.

— Oh ! baise-moi, cher amour… Comme je partage tes sentiments !

— Eh ! non : c’est qu’elle m’aime à la folie, cette femme, c’est qu’elle veut toujours que je la fasse décharger, et rien ne m’ennuie comme ces préférences. Il n’y a qu’à toi, mon ange, qu’à toi seule au monde que je pardonne de m’aimer.

— Quelle tête que la tienne, Juliette !

— Conviens qu’elle est digne de toi !

— Oh ! oui, mon ange !… Enfin, que fais-tu de Charlotte ?

— Le lendemain du jour où j’aurai ses trésors, j’envoie le billet que tu vois au mari, et j’espère que quand il y lira : « Je volerai tous les trésors de mon mari, et les donnerai pour récompense à celle qui me donnera le poison nécessaire à l’envoyer dans l’autre monde », j’espère, dis-je, que quand le cher époux verra ces mots, il condamnera Charlotte à la mort, ou du moins à la plus affreuse prison.

— Oui, mais Charlotte condamnée révélera ses complices ; elle dira que c’est à nous qu’elle a livré ses trésors.

— Sera-t-il présumable que si c’était nous qui les eussions reçus, ce fût nous qui envoyassions le billet au roi ?

— Présumable ou non, Ferdinand fera des recherches.

— Tout sera par mes soins enfoui dans notre jardin. J’irai moi-même parler au roi : si ses soupçons se portent avec violence sur nous, je le menacerai de révéler le trait horrible de la cocagne d’avant-hier. Ferdinand, faible et bête, craindra mes menaces, et il se taira… Et puis,

À vaincre sans péril, on triomphe sans gloire.

Il faut risquer quelque chose pour être riche : penses-tu que cinquante ou soixante millions ne vaillent pas la peine de quelques frais ?

— Mais si nous sommes prises, nous mourrons.

— Qu’importe ? la chose du monde que je craigne le moins est d’être pendue. Ne sait-on donc pas qu’on décharge en mourant ainsi ? Jamais l’échafaud ne m’effraya. Si jamais j’y suis condamnée, tu m’y verras voler avec impudence… Mais calme-toi, Clairwil, le crime nous aime, il nous favorise ; je t’en garantis le succès.

— Confieras-tu nos projets à Borghèse ?

— Non, je ne l’aime plus, cette femme.

— Oh ! foutre, je la déteste, moi.

— Il faut s’en défaire le plus tôt possible.

— N’allons-nous pas demain au Vésuve ?

— Tu as raison, il faut que les entrailles de ce volcan lui servent de tombeau… Quelle mort !

— Elle ne m’est venue dans la tête que parce que je la suppose affreuse.

— Je la lui voudrais plus cruelle encore.

— Quand nous haïssons toutes deux, oh ! nous haïssons bien.

— Il faut dîner avec elle comme à l’ordinaire.

— La flatter même.

— Laisse-moi conduire cela, tu sais que la fausseté s’allie avec mon masque et mon caractère.

— Il faut la branler cette nuit.

— Assurément.

— Oh ! mon ange, comme nous allons être riches !

— Ce coup fait, il faut quitter Naples.

— Et l’Italie… Il faut retourner en France, acheter des terres et passer nos jours ensemble… Que de voluptés nous attendent ! Elles n’auront plus d’autres lois que nos désirs.

— Il n’en sera pas une que nous ne puissions satisfaire à l’instant. Oh ! cher amour, qu’on est heureux avec de l’argent ! qu’il est imbécile, celui qui n’emploie pas tous les moyens, légitimes ou non, pour s’en procurer. Oh ! Clairwil, on m’arracherait mille vies, plutôt que de m’enlever le goût du vol ; c’est un des plus grands plaisirs de ma vie ; c’est un besoin de mon existence. J’éprouve à voler la même sensation qu’une femme ordinaire ressent quand on la branle. Tous les forfaits chatouillent en moi les houppes nerveuses du temple de la volupté, comme le feraient des doigts ou des vits ; je décharge rien qu’en les complotant… Tiens, vois ce diamant, Charlotte me l’avait offert, il vaut cinquante mille écus, je l’ai refusé : offert, il me déplaisait ; volé, il fait mes délices.

— Tu le lui as pris ?

— Oui. Je ne m’étonne plus qu’il y ait des hommes qui se soient livrés à cette passion pour la seule volupté qu’elle procure ; j’y passerais ma vie, et je te réponds que j’aurais deux millions de rente, que l’on me verrait toujours voler par libertinage.

— Ah ! mon amour, me dit Clairwil, comme il est certain que la nature nous a créées l’une pour l’autre !… Va, nous serons inséparables.

Nous dînâmes avec Borghèse ; tout s’arrangea de concert pour la promenade qui devait se faire au Vésuve le lendemain. Nous fûmes le soir à l’Opéra ; le roi vint nous visiter dans notre loge, ce qui fit jeter tous les yeux sur nous. De retour au logis, nous proposâmes à Borghèse de passer une partie de la nuit à manger des rôties au vin de Chypre, et à nous branler ; elle y consentit ; et nous portâmes, Clairwil et moi, la fausseté, au point de faire décharger sept ou huit fois cette femme condamnée par notre scélératesse, et de décharger nous-mêmes presque autant de fois dans ses bras. Nous la laissâmes se coucher ensuite, pour aller passer, mon amie et moi, le reste de la nuit ensemble ; et nous perdîmes encore chacune trois ou quatre fois du foutre, sur l’idée délicieuse de trahir le lendemain, tous les sentiments de la confiance et de l’amitié. Il faut des têtes comme les nôtres pour concevoir de tels écarts, je le sais ; mais malheur à qui ne les connaît pas ! il est privé de grands plaisirs ; j’ose assurer qu’il n’entend rien à la volupté.

Nous nous levâmes de bon matin. On ne dort pas quand on projette un crime ; sa seule idée embrase tous les sens ; on le manie sous toutes ses formes, on le savoure dans toutes ses branches, et l’on jouit mille fois d’avance du plaisir dont on sait bien qu’on pétillera, dès qu’il sera commis.

Une calèche à six chevaux nous conduisit au pied du volcan. Là, nous trouvâmes des guides dont l’usage est de vous attacher à des bretelles sur lesquelles on se soutient pour gravir la montagne ; on est deux heures à parvenir au sommet. Les souliers neufs que vous apportez pour cette course sont brûlés quand elle est finie. Nous montâmes gaiement ; nous persiflions Olympe ; et il s’en fallait bien que la malheureuse comprît le double sens, aussi traître qu’entortillé, des sarcasmes que nous lui lâchions.

C’est une affreuse corvée que le voyage de cette montagne : toujours dans la cendre jusqu’au cou, si l’on avance quatre pas, on en recule six, et perpétuellement dans la crainte que quelque lave ne vous engloutisse tout vivant. Nous arrivâmes excédées, et nous nous reposâmes dès que nous fûmes à l’embouchure. Ce fut de là que nous considérâmes, avec un intérêt prodigieux, l’orifice tranquille de ce volcan qui, dans ses moments de fureur, fait trembler le royaume de Naples.

— Croyez-vous, dîmes-nous à nos guides, qu’il y ait quelque chose à craindre aujourd’hui ?

— Non, répondirent-ils ; quelques morceaux de bitume, de soufre ou de pierre ponce pourront peut-être s’élancer ; mais il est vraisemblable qu’il n’y aura point d’éruption.

— Eh bien, mes amis, dit Clairwil, donnez-nous le panier qui contient nos rafraîchissements, et redescendez au village. Nous allons passer ici la journée : nous voulons dessiner, lever des plans.

— Mais s’il arrivait quelque chose ?

— Ne dites-vous pas qu’il n’arrivera rien ?

— Nous ne pouvons l’affirmer.

— Eh bien ! quand il arriverait quelque chose, nous voyons le village où vous nous avez prises, nous y descendrons à merveille…

Et trois ou quatre onces, que nous leur glissâmes dans la main, les déterminèrent bientôt à nous laisser.

À peine furent-ils à quatre cents pas, que, nous fixant Clairwil et moi :

— Userons-nous de ruse ? dis-je bas à mon amie.

— Non, me dit-elle, de force…

Et nous élançant aussitôt toutes deux sur Olympe :

— Garce ! lui dîmes-nous, nous sommes lasses de toi ; nous ne t’avons fait venir ici que pour te perdre… Nous allons te précipiter toute vive dans les entrailles de ce volcan.

— Oh ! mes amies, qu’ai-je donc fait ?

— Rien. Tu nous lasses, n’en est-ce point assez ?…

Et lui enfonçant, en disant cela, un mouchoir dans la bouche, nous interceptâmes sur-le-champ ses cris et ses jérémiades. Alors Clairwil lui attacha les mains avec des cordons de soie qu’elle avait apportés à ce dessein ; j’en fis autant de ses deux pieds ; et quand elle fut hors de défense, nous nous amusâmes à la contempler ; des larmes, s’échappant de ses beaux yeux, venaient retomber en perles sur sa belle gorge. Nous la déshabillâmes, nous la maniâmes et la vexâmes sur toutes les parties de son corps ; nous molestâmes sa belle gorge, nous fustigeâmes son charmant cul, nous lui piquâmes les fesses, nous épilâmes sa motte ; je lui mordis le clitoris jusqu’au sang.

Enfin, après deux heures d’horribles vexations, nous l’enlevons par ses liens, et la précipitons au milieu du volcan, dans lequel nous distinguâmes, plus de six minutes, le bruit de son corps heurter et se précipiter par saccades sur les angles aigus qui le rejetaient de l’un à l’autre, en la déchirant en détail. Peu à peu le bruit diminua… nous finîmes par ne plus rien entendre.

— C’en est fait, dit Clairwil qui n’avait cessé de se branler depuis qu’elle avait lâché le corps. Oh ! foutre, mon amour, déchargeons maintenant toutes deux, étendues sur le bourrelet même du volcan ! Nous venons d’y commettre un crime, une de ces actions délicieuses que les hommes s’avisent d’appeler atroces : eh bien ! s’il est vrai que cette action outrage la nature, qu’elle se venge, elle le peut ; qu’une éruption se fasse à l’instant sous nous, qu’une lave s’ouvre et nous engloutisse…

Je n’étais plus en état de répondre ; déjà dans l’ivresse moi-même, je rendais au centuple, à mon amie, les pollutions dont elle m’accablait. Nous ne parlions plus. Étroitement serrées dans les bras l’une de l’autre, nous branlant comme deux tribades, il semblait que nous voulions changer d’âme par le moyen de nos soupirs embrasés. Quelques mots de lubricité, quelques blasphèmes étaient les seules paroles qui nous échappaient. Nous insultions à la nature, nous la bravions, nous la défiions : et, triomphantes de l’impunité dans laquelle sa faiblesse et son insouciance nous laissaient, nous n’avions l’air de profiter de son indulgence que pour l’irriter plus grièvement.

— Eh bien ! me dit Clairwil, qui revint la première de notre mutuel égarement, tu vois, Juliette, si la nature s’irrite des prétendus crimes de l’homme : elle pouvait nous engloutir, nous fussions mortes toutes deux dans le sein de la volupté… L’a-t-elle fait ? Ah ! sois tranquille, il n’est aucun crime dans le monde qui soit capable d’attirer la colère de la nature sur nous : tous les crimes la servent, tous lui sont utiles, et quand elle nous les inspire, ne doute pas qu’elle n’en ait besoin.

Clairwil n’avait pas fini, qu’une nuée de pierres s’élance du volcan et retombe en pluie autour de nous.

— Ah ! ah ! dis-je sans seulement daigner me lever. Olympe se venge ! Ces morceaux de soufre et de bitume sont les adieux qu’elle nous fait, elle nous avertit qu’elle est déjà dans les entrailles de la terre.

— Rien que de simple à ce phénomène, me répondit Clairwil. Chaque fois qu’un corps pesant tombe au sein du volcan, en agitant les matières qui bouillonnent sans cesse au fond de sa matrice, il détermine une légère éruption.

— Que rien ne nous dérange, déjeunons, Clairwil, et crois que tu te trompes sur la cause de la pluie de pierres qui vient de nous inonder : elle n’est autre que la demande que nous fait Olympe de ses habits ; il faut les lui rendre.

Et après en avoir retiré l’or et les bijoux, nous fîmes un paquet du total, que nous jetâmes dans le même trou qui venait de recevoir notre malheureuse amie. Nous déjeunâmes ensuite. Aucun bruit ne se fit entendre ; le crime était consommé, la nature était satisfaite. Nous descendîmes, et retrouvâmes nos gens au bas de la montagne.,

— Un malheur affreux vient de nous arriver, dîmes-nous en les abordant, les larmes aux yeux… notre compagne infortunée… en s’avançant trop près du bord… hélas ! elle a disparu… Oh ! braves gens, y aurait-il du remède ?

— Aucun, répondirent-ils à la fois ; il fallait nous laisser avec vous, cela ne vous serait pas arrivé ; elle est perdue, vous ne la reverrez jamais.

Nos feintes larmes redoublèrent à cette cruelle annonce, et remontant dans notre calèche, en trois quarts d’heure nous sommes à Naples.

Dès le même jour, nous publiâmes notre malheur ; Ferdinand vint lui-même nous en consoler, nous croyant vraiment sœurs et amies ; quelque dépravé qu’il fût, jamais l’idée du crime que nous venions de commettre ne se présenta même à son imagination, et les choses en restèrent là. Nous renvoyâmes bientôt à Rome, les gens de la princesse de Borghèse, avec les certificats de son accident, et nous fîmes dire à sa famille qu’on eût à nous indiquer l’emploi à faire de ses bijoux et de son or, s’élevant, écrivîmes-nous, à trente mille francs, tandis que, dans le fait, elle en laissait pour plus de cent mille, dont vous sentez bien que nous nous étions emparées ; mais nous n’étions plus à Naples quand la réponse de la famille y vint, et nous jouîmes en paix de la spoliation faite à notre amie.

Olympe, princesse de Borghèse, était une femme douce, aimante, emportée dans le plaisir, libertine par tempérament, pleine d’imagination, mais n’ayant jamais approfondi ses principes ; timide, tenant encore à ses préjugés, susceptible d’être convertie au premier malheur qui lui serait arrivé, et qui, par cette seule faiblesse, n’était pas digne de deux femmes aussi corrompues que nous.

Un événement plus important nous attendait : le lendemain était le jour pris avec Charlotte pour l’enlèvement des trésors de son mari. Le reste de la soirée fut employé, par Clairwil et moi, à préparer une douzaine de grandes malles, à faire creuser, avec beaucoup de secret, un vaste trou dans notre jardin. Il avait été fait par un homme à qui nous brûlâmes la cervelle, et que nous enterrâmes le premier dans cette fosse mystérieuse : N’aie point de complices, dit Machiavel, ou défais-t’en, dès qu’ils t’ont servi.

Enfin arriva le moment de faire trouver le chariot garni de malles, sous les fenêtres indiquées. Clairwil et moi, vêtues en hommes, conduisîmes nous-mêmes la voiture, et nos gens, dans le secret d’une partie de campagne, ne cherchèrent pas à en découvrir davantage. Charlotte fut exacte ; la coquine désirait avec trop d’ardeur le poison promis, si elle réussissait, pour être coupable de quelque négligence. Pendant quatre heures entières, elle nous descendit des sacs que nous chargions aussitôt dans les malles ; enfin elle nous avertit que tout était descendu.

— À demain, répondîmes-nous.

Et nous regagnâmes en hâte notre logis, assez heureuses pour n’avoir pas rencontré une âme pendant tout le temps qu’avait duré cette expédition. Dès que nous fûmes au logis, un second homme nous aida à enfouir les malles… et y fut enfoui lui-même dès qu’il ne nous devint plus nécessaire. Inquiètes, fatiguées, soucieuses d’être si riches, nous nous couchâmes cette fois-ci sans songer aux plaisirs. Dès le lendemain, les bruits du vol fait au roi se répandirent dans la ville ; nous profitâmes de ce moment favorable pour lui faire tenir le billet de la reine, avec tout le mystère imaginable. À peine l’a-t-il lu que, se livrant au plus affreux accès de colère, il vient lui-même arrêter sa femme, la confie au capitaine de sa garde, avec l’ordre exprès de la conduire au fort Saint-Elme, où il la condamne en secret à l’habillement le plus grossier et à la nourriture la plus simple. Il est huit jours sans la voir. Elle le fait presser de venir. Il paraît. La scélérate avoue tout, et nous compromet de la plus affreuse manière. Ferdinand accourt, furieux, à notre hôtel, et comme cette conversation est intéressante, je vais la rendre en dialogue.

FERD. — Vous êtes coupables d’une horreur ; dois-je la soupçonner dans celles que j’ai crues mes amies ?

CLAIR. — De quoi s’agit-il ?

FERD. — La reine vous accuse d’avoir dérobé mes trésors.

JUL. — Nous ?

FERD. — Vous.

CLAIR. — Quelle vraisemblance !

FERD. — Elle est convenue d’avoir un moment comploté contre mes jours, et elle assure que vous lui avez promis le poison nécessaire pour me les ravir, si elle pouvait payer ce don, de mes trésors.

CLAIR. — Avez-vous trouvé chez elle le poison qu’elle dit avoir payé si cher ?

FERD. — Non.

JUL. — Comment se peut-il, en ce cas, qu’elle ait consenti à livrer les sommes avant que d’avoir le poison promis ?

FERD. — C’est ce que j’ai pensé.

CLAIR. — Sire, votre femme est une coquine, mais une coquine bien maladroite ; nous sachant liées avec vous, elle a cru déguiser son infamie, en faisant porter sur nos têtes toute l’horreur de son exécrable projet ; mais la trame est trop mal ourdie.

FERD. — Qui peut m’avoir enfin envoyé ce billet ?

JUL. — Assurément ceux qui ont vos trésors : mais soyez persuadé qu’ils sont loin ; ceux qui vous ont envoyé ce billet étaient à couvert, quand ils vous ont instruit, et c’est pour les sauver que la reine nous nomme.

FERD. — Mais quel intérêt Charlotte a-t-elle de sauver maintenant ceux qui la trahissent ?

CLAIR. — Elle a le poison, elle ne veut pas que vous sachiez qu’elle l’a ; elle fait, en conséquence, tomber le soupçon sur ceux à qui il devient impossible d’affirmer qu’elle l’a ; mais elle le tient, il est certain qu’elle le possède, et que vous périssiez sans la précaution que vous avez prise.

FERD. — Vous trouvez donc que j’ai bien fait ?

JUL. — Il était difficile de faire mieux.

FERD. — La croyez-vous coupable ?… (Et Clairwil se mit à sourire avec malignité.) Ce mouvement de physionomie m’éclaire, dit Ferdinand, furieux, achevez de porter le poignard dans mon cœur… Saviez-vous quelque chose ?

CLAIR. — Votre femme est un monstre, vous dis-je, elle vous détestait, et ce qui vous reste de mieux à faire, est de la livrer promptement à toute la rigueur des lois.

FERD. — Oh ! mes amies, réellement, vous n’avez aucune connaissance de celui qui a dérobé mes trésors ?

JUL. ET CLAIR. — Nous le jurons.

FERD. — Eh bien ! qu’elle périsse dans sa prison… qu’elle y meure de faim et de misère… Et vous, mes amies, pardonnez mes soupçons, je vous demande excuse de les avoir conçu ; je conçois toute leur injustice.

— Sire, il nous suffit que vous les ayez eus pour que nous vous demandions la permission de quitter à l’instant vos États.

FERD. — Non, non, je vous en conjure ; à présent que je suis débarrassé de cette vilaine femme… je suis beaucoup plus tranquille, et nous ferons encore des choses délicieuses.

JUL. — Votre repos n’établit pas le nôtre. D’honnêtes femmes ne se consolent jamais d’avoir eu leur honneur compromis.

— Ah ! je ne vous soupçonne ni l’une ni l’autre, dit le roi en se précipitant à nos, genoux, mais ne m’abandonnez jamais ; vous devenez nécessaires à mon existence, je ne me consolerais pas de vous perdre.

CLAIR. — Et quelle est la somme que l’on t’a ravie ?

FERD. — Quarante millions ; c’est la moitié de ce que j’avais ; la scélérate a convenu qu’elle avait promis le tout, qu’elle n’avait pas osé tout donner.

CLAIR. — L’infâme créature, dis-je (mais, animée d’un bien autre sentiment que celui que pouvait me prêter le roi, la rage seule de n’avoir pas tout eu, me faisait invectiver Charlotte), monstre ! que d’audace, et que d’impudence ! tromper ainsi le meilleur des époux ! un homme qui lui était si attaché, qui sacrifiait tout à ses plaisirs ! Oh ! jamais tant d’ingratitude ne se manifesta sur la terre ! et le plus cruel des supplices ne pourrait encore la punir.

En ce moment Élise et Raimonde, parées comme des déesses, vinrent servir le chocolat au prince. Ferdinand ne les avait pas encore vues.

— Quelles sont ces belles femmes ? demanda-t-il dans le plus grand trouble.

— Nos demoiselles de compagnie, répondis-je.

— Pourquoi ne les ai-je pas connues ?

— Pouvions-nous soupçonner qu’elles pussent vous plaire ?…

Et le paillard, oubliant aussitôt et sa prisonnière et son vol, veut que ces deux filles lui soient à l’instant livrées. De tels désirs devenaient des ordres pour nous dans la circonstance où nous étions. Un boudoir s’ouvre à Ferdinand ; il s’y enferme avec nos femmes, et n’en revient qu’au bout de deux heures, après les avoir excédées.

— Mes bonnes amies, nous dit-il en sortant, ne m’abandonnez pas, je vous en conjure ; que tout reproche soit oublié, et je vous proteste de ne plus voir en vous que l’innocence et la probité…

Et il disparut.

Avec une autre tête que celle du faible souverain de Naples, Charlotte était empoisonnée sur-le-champ. Certes, nous lui en avions assez dit pour le déterminer à cette action : mais cet homme, sans force et sans caractère, était-il capable d’une action de vigueur ? Aussi ne fit-il rien. Toute l’Europe a su, sans en connaître les motifs, et cette détention et sa brièveté. Pour nous, bien décidées à ne pas attendre le dénouement de cette aventure, nous fîmes sur-le-champ nos préparatifs de départ. Les quarante millions nous embarrassaient. Comme nous avions acheté beaucoup de bustes, de mosaïques, de marbres antiques et de pierres du Vésuve, nous plaçâmes notre or dans de doubles fonds pratiqués aux caisses de ces emballages, et ce stratagème réussit à merveille. Avant que de les fermer, nous envoyâmes supplier le roi de les faire visiter ; il ne le voulut jamais. Nous les cachetâmes ; dix chariots les emportèrent, et nous les suivîmes dans deux carrosses, l’un pour nos gens, l’autre pour nous. Un moment avant de partir, nous fûmes prendre congé de Ferdinand, qui fit encore tout son possible pour nous retenir, et qui nous donna, de sa main même, le passeport nécessaire à quitter ses États.

Le soir, nous couchâmes à Capoue ; huit jours après, à Rome, où nous arrivâmes sans le moindre accident. Ce fut là seulement que Clairwil instruisit son frère du projet qu’elle avait de me suivre à Paris, où elle désirait terminer ses jours ; elle l’engageait à prendre le même parti : mais Brisa-Testa ne voulut jamais quitter sa profession, et quelles fussent les richesses qu’il y eût acquises, il nous protesta qu’il était décidé maintenant à mourir les armes à la main.

— Eh bien ! me dit Clairwil, c’en est fait, je te donne la préférence sur lui, et je ne veux plus que nous nous séparions.

J’embrassai mille fois mon amie, et lui jurai qu’elle n’aurait jamais à se repentir de cette résolution. Que je connaissais mal la fatalité de son étoile et de la mienne, en lui faisant cette promesse !

Nous continuâmes notre route, sans qu’il nous arrivât rien d’intéressant jusqu’à Ancône, où, profitant du plus beau temps du monde, nous nous promenions sur le port, lorsque nous remarquâmes une grande femme d’environ quarante-cinq ans, qui nous examinait avec la plus scrupuleuse attention.

— Reconnais-tu cette femme ? me dit Clairwil…

Je me retourne… J’observe.

— Ah ! dis-je, pleine d’étonnement, cette créature est notre sorcière de Paris… c’est la Durand.

Et à peine eus-je fini, que l’individu dont nous parlions se jette avec transport dans nos bras…

— Ah ! ah ! dit Clairwil, un peu émue de revoir au bout de cinq ans une femme qui lui avait prédit qu’elle n’avait plus que ce terme à vivre, quel est donc le hasard qui nous réunit en cette ville ?

— Venez chez moi, nous dit la Durand, toujours belle ; quoique ces gens-ci n’entendent pas notre langue, il est inutile nous exposer devant eux.

Nous la suivîmes ; et après nous avoir reçues dans le plus bel appartement de l’hôtellerie qu’elle occupait :

— Que je suis aise, nous dit-elle, dès que nous fûmes assises, de pouvoir vous procurer dans fort peu de temps la connaissance de la femme la plus singulière, la plus dans votre genre qu’ait encore créée la nature.

— Qui donc ? dit Clairwil.

— C’est une sœur cadette de l’impératrice, une tante de la reine de Naples, ignorée de l’univers entier. La princesse Christine annonça, dès sa plus tendre enfance, un penchant si violent au libertinage, que son père sentit l’impossibilité de l’établir. Voyant que ses mauvais penchants croissaient avec l’âge, il prit le parti de lui acheter une île en Dalmatie, sur les bords du golfe de Venise, et lui assigna trois millions de revenu, la mit sous la protection des Vénitiens qui lui accordèrent le titre de souveraine de son île, et la permission d’y faire tout ce qu’elle voudrait. Christine, reléguée là depuis seize ans, en a maintenant quarante, et y jouit de tous les plaisirs que la plus extrême lubricité peut faire naître. Je ne vous en dirai pas davantage, voulant vous laisser tous les plaisirs de la surprise. Nous traverserons le golfe dans une felouque à elle, dont je puis disposer quand je veux ; c’est un voyage de vingt-quatre heures. Décidez-vous.

— Assurément, nous le sommes, répondis-je ; je suis bien sûre que Clairwil ne me désavouera pas : notre voyage ayant pour but d’étudier les mœurs et de voir des choses extraordinaires, l’objet sera manqué si, pouvant observer ce que tu nous proposes, nous nous y refusions par tiédeur.

— Oh ! sacredieu, dit mon amie, comme nous allons foutre dans l’île de Christine !

— Jamais, dit Durand, jamais vous n’aurez eu tant de plaisir.

— Quoi ! dis-je, elle a donc là… ?

— Eh ! non, non, je ne veux rien dire, répondit la Durand, il faut que vous en ayez toute la surprise.

Et nous changeâmes de propos, pour ne pas déplaire à une femme qui paraissait ne vouloir pas s’ouvrir davantage.

— Oh ! parbleu, dis-je à la Durand, puisque je te retrouve, il faut absolument que tu m’apprennes le motif qui te fit disparaître aussitôt de Paris. Pourquoi ne te trouvas-tu point au rendez-vous que tu avais indiqué au comte de Belmor, avec lequel je t’avais fait faire connaissance ?

— Certes, répondit la Durand, la raison qui m’empêcha de m’y trouver ne pouvait être meilleure : on me pendait ce jour-là.

— Es-tu folle ?

— On me pendait, vous dis-je ; le fait est simple, deux mots vont vous l’expliquer. J’avais fourni du poison au jeune duc de *** pour trancher les jours de sa mère. Des remords vinrent troubler les projets de cet imbécile ; il me trahit ; je fus arrêtée, mon procès fait dans vingt-quatre heures. Mais, singulièrement liée avec Samson, j’obtins de lui de n’être pendue que pour la forme. Des éclaircissements, des aveux me valurent des délais. Je ne descendis de l’Hôtel de Ville qu’aux lumières ; Samson fit un nœud coulant et m’escamota. Portée au cimetière, un de ses valets m’acheta, par ses ordres, et je quittai Paris dès la nuit même. J’y revins l’année d’ensuite, sous un autre nom et dans un autre quartier, sans être chicanée par personne ; mes affaires n’ont pas été mal depuis. On a bien raison de dire que la corde de pendu porte bonheur. J’ai soixante mille livres de rente, mes fonds croissent chaque année. Tous les ans, je fais voyage en Italie ; j’y fais préparer les poisons que je distribue ensuite dans toute l’Europe : j’aime mieux cela que de les composer chez moi. En vérité, la mode de ces meurtres est telle aujourd’hui, que je puis à peine suffire. Ce sera chez Christine où vous verrez des effets bien piquants des venins que je compose !

— Tu lui en vends ?

— Ah ? bon Dieu ! pour cent mille écus tous les ans.

— Elle est donc cruelle ?

— C’est une Zingha.

— Ah ! je l’adore d’avance, dit Clairwil ; allons, Durand, partons quand tu voudras.

— Femme charmante, dis-je ici, voulant absolument satisfaire ma curiosité, j’exige enfin de toi de nous dévoiler, à présent, quels étaient les personnages singuliers par qui tu nous fis battre, flageller, qui firent, en un mot, devant nous tant de choses extraordinaires chez toi…

— L’un, nous dit la Durand, est le célèbre duc de ***, l’autre, Beaujon, ce millionnaire si connu. Depuis quatre ans, tous deux me paient énormément pour de pareilles expéditions. On n’a pas idée de ce que j’ai trompé de femmes et de filles de la même manière, pour eux. Mais, à propos, dit Durand en donnant des ordres, croyez-vous donc que je vais vous laisser sortir de chez moi sans dîner ? Un refus de votre part me mettrait au désespoir ; j’espère que vous ne me le ferez point…

Et le plus splendide repas fut aussitôt servi.

— Durand, dit Clairwil, au dessert, tu nous promets de grands plaisirs pour demain, mais tu ne nous parles pas de ceux d’aujourd’hui ; j’ai cependant vu là, parmi tes valets, trois ou quatre gaillards qui m’ont l’air de bander fort dur.

— En veux-tu tâter !

— Pourquoi pas ? Et toi, Juliette ?

— Non, dis-je préoccupée d’une idée plus forte que moi, et dont je n’étais pas la maîtresse, non, j’aime mieux boire des liqueurs et causer avec Durand, que de foutre. J’ai mes règles, d’ailleurs, et ne me sens nullement en train.

— Voilà la première fois que tu refuses des vits, dit Clairwil avec une sorte d’inquiétude dont j’étais loin de pénétrer la cause… Allons, viens mon ange, poursuivit Clairwil, quand on ne veut pas foutre par-devant, on fout par-derrière ; viens donc, tu sais que je ne goûte jamais de vrais plaisirs sans toi.

— Non, dis-je toujours entraînée par cette sorte de pressentiment qui me maîtrisait ; non, te dis-je, je ne bande point du tout, et je veux jaser…

Clairwil entre dans le cabinet qui lui était destiné, et je vis distinctement, dans une glace, un signe énergique qu’elle fit à la sorcière, et qui me parut ne pouvoir être autre chose qu’une forte recommandation de silence. Les portes se ferment ; je reste avec Durand.

— Oh ! Juliette, me dit cette femme dès que je fus seule avec elle, rends grâces à ton étoile des sentiments que tu m’inspires. Charmante fille, poursuit-elle en m’embrassant, non, tu ne seras pas la victime d’un monstre… Préférable à lui sous tous les rapports, je sauverai tes jours en te prévenant de tout.

— De quoi s’agit-il donc ? madame, vous me glacez d’effroi !

— Écoute-moi, Juliette, et surtout ne révèle rien. Cette île, en Dalmatie… cette princesse Christine… ce voyage… Chère fille, tu étais perdue… tout cela n’était que des pièges tendue par une femme que tu croyais ton amie.

— Quoi ! Clairwil ?

— Elle avait comploté ta mort. Elle est jalouse de tes richesses ; elle a dans sa poche un écrit, où vous vous êtes mutuellement promis d’hériter l’une de l’autre ; elle t’assassinerait pour avoir ton bien.

— Oh ! L’infernale créature ! m’écriai-je en furie.

— Calme-toi, Juliette, calme-toi ; un mot peut te perdre encore ; achève de m’écouter. La felouque où nous nous embarquions faisait naufrage ; nous nous sauvions, tu périssais… Venge-toi ; prends ce paquet, il contient la poudre fulminante ; c’est le plus prompt des venins que nous employons. À peine en aura-t-elle pris, qu’elle tombera à tes pieds comme frappée de la foudre. Je ne te demande rien pour le service que je te rends ; ne le regarde jamais que comme le fruit de mon excessive tendresse pour toi…

— Ô ma bienfaitrice ! m’écriai-je en larmes, de quel affreux danger tu me préserves !… Mais achève de m’expliquer tout ce mystère… Comment es-tu dans Ancône ?… Comment Clairwil t’a-t-elle vue ?

— Je vous suis depuis Naples, où j’étais pour mes poisons : Clairwil, qui m’y rencontra, me prescrivit tout ceci. Je vous ai laissées à Lorette, et suis venue dans cette ville pour y disposer une scène où je ne me prêtai qu’avec le plus ferme désir, de te sauver la vie. Si j’eusse refusé à Clairwil, elle employait d’autres moyens, et tu périssais infailliblement.

— Mais, dès que Clairwil voulait se défaire de moi, quel besoin d’attendre, si longtemps ?

— Vos écrits n’étaient pas faits, vos sommes n’étaient point placées, il fallait être sorti de Rome, et elle savait qu’en quittant cette ville, vous ne séjourneriez qu’à Lorette. Ce fut pour la journée d’ensuite qu’elle m’ordonna de tout disposer.

— Indigne créature ! m’écriai-je, toi que j’aimais avec tant de sincérité, dans les bras de qui je me livrais avec tant de candeur et de bonne foi !

— C’est un monstre de fausseté et de perfidie : il n’est aucune espèce d’occasion où l’on puisse compter sur elle ; et l’instant où l’on s’imagine avoir le moins à en craindre, est celui où il faut s’en méfier avec le plus de soin… J’entends du bruit, peut-être va-t-elle rentrer ; elle redoute notre entretien ; compose-toi, et ne la manque pas ; adieu.

Effectivement, Clairwil rentra très agitée ; elle avait mal foutu, disait-elle, les deux hommes qu’on lui avait donnés bandaient mal : elle ne s’accoutumait point, d’ailleurs, à goûter des plaisirs que ne partageait point sa chère Juliette.

— Je déchargerais mieux avec toi, me dit-elle, si tu voulais que nous nous branlassions.

— Ce sera pour cette nuit, répondis-je, en déguisant mon cruel état du mieux qu’il m’était possible ; mais d’honneur, à présent, ma chère, je ne banderais pas pour Adonis.

— Eh bien ! dit Clairwil, retournons au logis ; aussi bien, je me sens accablée ; je ne serai pas fâchée de me mettre au lit de bonne heure. Adieu, Durand, poursuivit-elle, à demain. Tâche, surtout, que nous ayons dans la felouque des musiciens, des vivres et de bons fouteurs ; je ne connais point d’autre façon de me désennuyer sur mer.

Nous rentrâmes.

— C’est une singulière femme que cette Durand, me dit Clairwil, dès que nous fûmes seules ; elle est bien dangereuse, ma chère : à quelle épreuve elle a mise mon amitié pour toi ! Croiras-tu que, dans l’instant où tu nous a quittées quelques minutes pour passer dans une garde-robe, la scélérate m’a proposé de t’empoisonner pour deux mille louis ?

Peu surprise, je ne vis, dans ce propos, qu’un mauvais piège dans lequel il m’était impossible de donner. Je pris assez sur moi, cependant, pour avoir l’air de tout croire.

— Oh ! Dieu ! dis-je, cette femme est un monstre ! Voilà donc la raison qui me l’a fait trouver si fausse, dans le peu de temps que j’ai causé avec elle.

— Sans doute ; elle avait comploté contre tes jours ; ta mort la divertissait.

— Ah ! dis-je, en fixant Clairwil, c’était peut-être pendant notre voyage sur mer, que la coquine exécutait son funeste coup…

— Non, dit Clairwil sans nul embarras… à souper, ce soir, et telle est la raison qui m’a fait t’entraîner si vite…

— Mais ce voyage, dis-je, il m’inquiète, à présent : en réponds-tu bien ?

— Oh ! sur ma tête : j’ai totalement changé ses idées, je te réponds qu’elle n’y pense plus ; soupons.

On nous sert ; j’étais décidée. Dans l’impossibilité absolue d’être la dupe de ce que me disait Clairwil, trop pénétrée de la franchise des aveux de la Durand, je glisse au premier plat que je sers à Clairwil le venin caché dans mes doigts… Elle avale, chancelle, et tombe en poussant un cri furieux.

— Me voilà vengée, dis-je à mes femmes, très étonnées de cette syncope…

Et je leur dévoile aussitôt l’aventure.

— Oh ! foutre, m’écriai-je, savourons les doux charmes de la vengeance, et faisons des horreurs maintenant : branlez-moi toutes deux sur le cadavre de cette putain, et que son exemple vous apprenne à ne jamais trahir votre amie.

Nous dépouillâmes Clairwil, nous l’étendîmes nue sur un lit… Je la branlai ; elle était encore chaude ; armée d’un godemiché, je la foutis ; Élise me faisait baiser son cul ; pendant ce temps-là, je chatouillais le con de Raimonde. Je parlais à cette malheureuse, comme si elle eût encore existé ; je lui adressais des reproches et des invectives, comme si elle eût pu m’entendre ; je pris des verges, je lui donnai le fouet… je l’enculai. Insensible à tout, je vis bien qu’il n’y avait plus d’espoir, je la fis mettre dans un sac. Et ses propres valets, qui la détestaient et qui me surent le meilleur gré du monde de les avoir débarrassés d’une aussi mauvaise maîtresse, se chargèrent, dès qu’il ferait nuit, d’aller secrètement la porter à la mer.

J’écrivis, sur-le-champ, à mon banquier, à Rome, qu’en raison du contrat passé entre Clairwil et moi, au moyen duquel les biens placés ensemble chez lui appartenaient au dernier vivant, il eût à ne plus faire passer qu’à moi le total du revenu. D’où il résultait qu’en réunissant les deux fortunes sur ma tête, je me trouvais plus de deux millions de rente. Rien ne s’arrange comme un meurtre, en Italie : je fis donner deux cents sequins à la justice d’Ancône, il n’y eût seulement pas de procès-verbal.

— Eh bien ! dis-je à Durand, en allant dîner chez elle le lendemain et sans vouloir lui rien expliquer encore, c’est donc ainsi que vous avez voulu me tromper ? Clairwil m’a tout dit : vous deviez m’empoisonner hier soir… Elle seule s’y est opposée.

— L’infernale créature ! répondit la Durand, avec tout l’air de la franchise. Oh ! Juliette, croyez que je vous ai dit la vérité : je vous aime trop pour vous en imposer sur des faits aussi graves. Je suis scélérate autant qu’une autre, peut-être plus qu’une autre, mais quand j’aime une femme, je ne la trompe jamais… Tu n’as donc pas exécuté.

— Non, Clairwil respire ; elle me suit ; nous allons partir.

— Eh bien ! puisque je t’ai trahie, je me retire donc… Oh ! Juliette, que vous payez mal les services que je vous ai rendus…

— Mieux que tu ne penses, Durand, interrompis-je avec vivacité, en lui glissant d’une main un portefeuille où il y avait cent mille écus ; et lui montrant, de l’autre, les cheveux de Clairwil, que j’avais coupés. Tiens, voilà les ornements de la tête que tu as proscrite, et voici la récompense de ta généreuse amitié.

— Garde tout cela, me répondit la Durand. Juliette, je t’adore, je n’ai voulu de prix à tout ce que j’ai fait, que le bonheur de t’adorer sans rivale : j’étais jalouse de Clairwil, je ne le cache pas, mais je l’eusse pourtant épargnée, sans l’horreur dont elle s’est rendue coupable envers toi. Il m’a été impossible de lui pardonner l’attentat formé contre les jours de celle dont je voudrais prolonger la vie aux dépens de la mienne. Je suis beaucoup moins riche que toi, sans doute, mais j’ai de quoi vivre magnifiquement, et puis me passer de l’argent que tu m’offres : mon métier ne m’en laissera jamais manquer ; je ne veux pas être payée d’un service rendu par mon cœur.

— Plus de séparation désormais entre nous, dis-je à la Durand ; quitte ton auberge, viens dans la mienne ; tu prendras les gens, les équipages de Clairwil, et nous partirons pour Paris, dans deux ou trois jours.

Tout s’arrangea ; Durand ne conserva qu’une femme de chambre, à laquelle elle était extrêmement attachée ; elle renvoya le reste de sa maison, et vint s’établir chez Clairwil.

Il était facile de voir, à l’air dont cette femme me dévorait des yeux, que ce qu’elle attendait avec le plus d’impatience, était l’instant où, pour prix de ce qu’elle avait fait, mes faveurs lui seraient accordées. Je ne la fis pas languir : après le dîner le plus somptueux et le plus élégant, je lui tends les bras ; elle s’y précipite ; nous volons dans ma chambre ; tout s’y ferme, et je me livre, avec d’inexprimables délices, à la plus libertine et la plus luxurieuse des femmes. Durand, âgée de cinquante ans, n’était pas encore sans mérite ; ses formes étaient belles et bien conservées ; sa bouche fraîche, sa peau douce et peu ridée ; un superbe cul, la gorge encore soutenue, fort blanche, des yeux très vifs, beaucoup de noblesse dans les traits, et des transports dans le plaisir… des goûts d’une bizarrerie… ! Par un caprice de la nature, dont Clairwil et moi nous ne nous étions jamais doutées, Durand n’avait jamais pu jouir des plaisirs ordinaires de la jouissance : elle était barrée, mais (et de cela vous devez vous en souvenir) son clitoris, long comme le doigt, lui inspirait pour les femmes le goût le plus ardent. Elle les foutait, elle les enculait ; elle voyait aussi des garçons : l’extrême largeur du trou de son cul me fit bientôt voir que, quant aux intromissions, elle se dédommageait par celle-là. Je fis les avances, et crus qu’elle mourrait de plaisir, sitôt qu’elle sentit mes mains sur sa chair.

— Déshabillons-nous, me dit-elle, on ne jouit bien que nue. J’ai, d’ailleurs, la plus grande envie de revoir tes charmes, Juliette, je brûle de les dévorer…

Tout est à bas dans une minute. Mes baisers parcourent ce beau corps avec ardeur ; et, peut-être, eussé-je eu bien moins de plaisir, si Durand eût été plus jeune. Mes goûts commençaient à se dépraver, et l’automne de la nature me donnait des sensations bien plus vives que son printemps. Objet unique des caresses de cette femme ardente, j’étais accablée de luxures ; on n’imagine pas à quel point elle portait ses recherches : oh ! comme les femmes criminelles sont voluptueuses ! que leurs lubricités sont savantes !

Prudes, langoureuses et froides, insupportables bégueules, qui n’osez pas seulement toucher le membre qui vous perfore, et qui rougiriez de lâcher un foutre en foutant, venez, venez ici prendre des exemples : c’est à l’école de la Durand où vous vous convaincrez de votre ineptie.

Après les premières caresses, Durand, moins gênée que lorsque Clairwil était, comme autrefois, en tiers avec nous, me déclara ses fantaisies, en me suppliant de m’y soumettre. À genoux devant moi, il fallait qu’en l’accablant d’invectives, je lui frottasse le nez tour à tour, et de mon con et de mon cul ; il fallait, en frottant le devant, que je lui piquasse sur le visage. Cela fait, je devais la couvrir de coups de pied et de coups de poing, m’emparer d’une poignée de verges, et la fustiger jusqu’au sang. Quand, à force de mauvais traitements, je l’aurais étendue par terre, il fallait que, ma tête entre ses cuisses, je la gamahuchasse un quart d’heure, en la socratisant d’une main, et lui branlant les tétons de l’autre ; ensuite, dès qu’elle serait bien en feu, je devais me laisser enculer avec son clitoris, pendant qu’elle chatouillerait le mien.

— Je te demande pardon de tant de choses, Juliette, me dit cette libertine, après m’avoir tout expliqué ; mais si tu savais où nous entraîne la satiété !…

— Après trente-cinq ans d’un libertinage soutenu, on ne doit jamais faire des excuses de ses goûts, répondis-je : tous sont respectables, tous sont dans la nature ; le meilleur de tous est celui qui nous flatte le mieux.

Et me mettant à l’opération, je la satisfis si bien, qu’elle pensa mourir de plaisir. Rien n’égalait les crises voluptueuses de la Durand. De mes jours je n’avais vu de femme décharger ainsi : non seulement elle élançait son foutre comme un homme, mais elle accompagnait cette éjaculation de cris si furieux, de blasphèmes tellement énergiques, et de spasmes si violents, qu’on eût cru qu’elle tombait en épilepsie. Je fus enculée comme si j’eusse eu affaire à un homme, et j’y ressentis le même plaisir.

— Eh bien ! me dit-elle, en se relevant, es-tu contente de moi ?

— Oh ! foutre, m’écriai-je, tu es délicieuse, tu es un vrai modèle de lubricité ! tes passions m’embrasent : rends-moi tout ce que je t’ai fait.

— Quoi ! tu veux être battue ?

— Oui.

— Souffletée, fustigée ?

— Assurément.

— Tu veux que je pisse sur ton visage ?

— Sans doute, et que tu te dépêches ; car je bande et veux décharger.

La Durand, plus accoutumée que moi à ces services, s’y prend avec une telle agilité, elle y emploie une si grande adresse, qu’elle me fait à l’instant partir, sous les titillations voluptueuses de sa langue impudique.

— Comme tu décharges, cher amour ! me dit-elle ; comme tu ressens énergiquement le plaisir ! Ah ! tu ne me le cèdes en rien.

— Il faut que je te l’avoue, Durand, répondis-je, tu m’échauffes étonnamment la tête ; je suis étonnamment glorieuse d’être liée avec une femme comme toi ; maîtresses toutes deux des jours de l’univers entier, il me semble que notre réunion nous rend supérieures à la nature même. Oh ! que de crimes nous allons commettre ! que d’infamies nous allons faire !

— Tu ne regrettes donc plus Clairwil ?

— Le puis-je, quand je te possède ?

— Et si je n’avais inventé toute cette histoire que pour me débarrasser d’une rivale ?

— Oh ! quel excès de scélératesse !

— Si je m’en étais souillée ?

— Mais, Durand, Clairwil m’a dit que tu lui avais offert de m’empoisonner pour deux mille louis.

— Je savais bien qu’elle te le dirait ; je n’ignorais pas non plus que cette confidence de sa part, loin de t’en imposer, ne te paraîtrait qu’un piège maladroit qui, avec la finesse que je te connaissais, ne servirait qu’à te faire hâter le crime que je voulais que tu commisses.

— Et pourquoi choisir ma main pour cela ? Ne pouvais-tu pu t’en charger ?

— Il était bien plus délicieux pour moi de te faire trancher les jours de ma rivale ; pour que ma volupté fût complète, il fallait que ton bras me servît : il l’a fait.

— Juste ciel ! quelle femme tu es !… Mais elle fut inquiète en dînant chez toi l’autre jour, elle goûta mal les plaisirs que tu lui destinais : on eût dit qu’elle se méfiait de notre tête-à-tête… elle te fit un signe…

— J’avais préparé cette inquiétude, parce que j’en pressentais les résultats sur toi ; tu vois bien que j’ai réussi, et que son air troublé la rendit bientôt plus coupable à tes yeux. En lui disant que je t’empoisonnerais pour deux mille louis, elle dut craindre que je ne t’en proposasse autant contre elle. Voilà le signal expliqué, voilà d’où vient qu’elle trembla du tête-à-tête, et ce frémissement, fruit de mes soins, produisit sur ton esprit l’effet entier que j’en attendais : deux heures après, le coup fut exécuté.

— Quoi ! d’honneur, Clairwil était innocente ?

— Elle t’adorait… Je t’adorais aussi et ne pouvais souffrir de rivale…

— Tu triomphes, scélérate, dis-je à la Durand en me précipitant sur son sein, oui, tu triomphes complètement, et je t’idolâtre au point que si ce crime était à refaire, je le ferais sans qu’il fût besoin du motif dont tu l’étayes… Et pourquoi ne m’avoir pas déclaré ton amour à Paris ?

— Je ne l’osai devant Clairwil, et, quand tu revins me voir sans elle, l’homme que tu me conduisais me gêna ; la seconde fois je n’y étais plus. Mais je ne t’ai jamais perdue de vue, ma chère et tendre amie. Je t’ai suivie à Angers, en Italie, tout en faisant mon commerce ; je t’avais toujours sous les yeux. Mon espoir disparut, en voyant tes différentes liaisons avec les Donis, les Grillo, les Borghèse, et je me désespérai bien plus encore, quand je sus que tu avais retrouvé Clairwil… Enfin je t’ai suivie de Rome ici, et lasse d’être si longtemps contrariée, j’ai voulu dénouer l’aventure : tu vois comme j’ai réussi.

— Inexplicable et délicieuse créature ! on ne porta jamais plus loin la fausseté, l’intrigue, la méchanceté, la scélératesse et la jalousie !

— C’est que personne n’eut jamais ni mes passions ni mon cœur ! c’est que personne n’aima jamais comme je t’aime.

— Mais quand tes feux seront éteints, tu me traiteras sans doute comme tu viens de traiter Clairwil… Aurai-je le temps de me défendre ?

— Je vais te tranquilliser, mon ange, et répondre énergiquement à tes injustes soupçons ; écoute-moi. J’exige que tu conserves à jamais l’une de tes femmes, Élise ou Raimonde ; choisis, je ne te laisserai pas l’autre, je t’en préviens.

— Mon choix est fait, je garde Raimonde.

— Eh bien ! poursuivit Durand, si jamais Raimonde périt d’une manière tragique, et dont tu ne puisses soupçonner la cause, n’en accuse que moi. J’exige maintenant que tu laisses un écrit dans les mains de cette fille, qui l’autorise à me dénoncer comme ton assassin si jamais tu péris toi-même d’une manière malheureuse, pendant notre liaison.

— Non, je ne veux point de ces précautions ; je me livre à toi, je m’y livre avec délices ; j’aime l’idée de mettre ma vie dans tes mains… Laisse-moi Élise, laisse-moi tout le monde, ne gêne pas mes goûts. Je suis libertine, je ne te promettrai jamais d’être sage, mais je te ferai le serment de t’adorer toujours.

— Je n’ai pas envie de te tyranniser ; au contraire, je servirai moi-même tes plaisirs, je ferai tout pour tes jouissances physiques ; mais si le moral y entrait pour quelque chose, je t’abandonnerais à l’instant. Je connais l’impossibilité de captiver une femme comme toi, putain par principe et par tempérament : ce serait, je le sais, vouloir imposer des digues à la mer ; mais tu peux toujours être maîtresse de ton cœur, je te le demande… j’exige qu’il ne soit qu’à moi.

— Je te le jure.

— Va, nous goûterons de bien grands plaisirs ; le libertinage n’est bon que quand le sentiment n’y entre pour rien : il faut n’avoir qu’une amie, n’aimer sincèrement qu’elle, et foutre avec tout le monde… Juliette, il faut, si tu veux me croire, renoncer à ce train d’opulence avec lequel tu marches ; je réformerai moi-même la moitié de mon train ; nous n’en ferons pas moins bonne chère, nous n’en aurons pas moins toutes nos aises ; mais il est inutile de s’afficher. D’ailleurs, je veux suivre mon état, et l’on viendrait difficilement acheter à une femme que l’on verrait voyager en reine.

— Et moi aussi, répondis-je, je veux satisfaire mes goûts, je veux voler, je veux me prostituer, et nous nous livrerons difficilement à tout cela, avec tant d’étalage.

— Il faut que je passe pour ta mère : avec ce titre je te prostituerai moi-même. Élise et Raimonde seront tes parentes ; nous trafiquerons également leurs charmes, et sois sûre, qu’à la tête d’un pareil sérail, nous ferons de l’argent en Italie.

— Et tes poisons ?

— Je les vendrai mieux, je les vendrai plus cher. Il faut que nous retournions en France sans dépenser un sol du nôtre, et que nous ayons au moins deux millions de profit.

— Quelle route allons-nous prendre ?

— J’aurais bien envie de retourner vers le Midi. Tu n’as pas d’idées, Juliette, de la dépravation des mœurs calabraises et siciliennes ; je connais cette partie, nous y ferions des trésors : j’y vendis l’an passé, pour cinq cent mille francs de poisons ; je ne pouvais réussir à les composer. Ils sont crédules comme tous les gens faux ; en leur disant la bonne aventure, je leur persuadais tout ce que je voulais… Ô Juliette ! c’est un bon pays.

— Je voudrais retourner à Paris, dis-je à la Durand, il me tarde d’y être établie : n’y vivrons-nous pas mieux qu’en courant ainsi ? n’y pourrons-nous pas faire les mêmes choses ?

— Il faut au moins voir Venise ; de là, nous gagnerons Milan et Lyon.

— À la bonne heure.

Nous dînâmes. Durand me dit qu’elle voulait faire toute la dépense, qu’elle se payerait sur le gain, mais qu’elle me suppliait de ne pas lui enlever le plaisir d’avoir l’air de m’entretenir : j’y consentis.

Je mettais, je l’avoue, la même délicatesse à recevoir ses soins, qu’elle en mettait à me les rendre. Le crime a donc aussi ses délicatesses : il connaîtrait bien mal les hommes, celui qui ne le croirait pas.

— Est-il vrai, dis-je à ma nouvelle compagne, que tu possèdes le baume de longue vie ?

— Ce baume n’existe point, me dit la Durand, ceux qui le distribuent ne sont que des imposteurs. Le vrai secret, pour prolonger sa vie, est d’être sobre et tempérant ; or, nous sommes trop loin de ces vertus pour espérer les dons du baume. Eh ! qu’importe, ma chère, il vaut mieux vivre un peu moins, et s’amuser ; que serait la vie, sans les plaisirs ? Si la mort était un tourment, je te conseillerais d’allonger ta vie ; mais comme ce qui peut nous arriver de pis est de retomber dans le néant où nous étions avant que de naître, ce doit être sur l’aile des plaisirs qu’il faut parcourir la carrière.

— Oh ! mon amour, tu ne crois donc pas à une autre vie ?

— Je serais bien honteuse d’adopter de pareilles chimères ; mais trop éclairée sur toutes ces choses, je ne crois pas avoir rien à t’apprendre, et j’imagine que, bien pénétrée des premiers principes de la philosophie, et l’immortalité de l’âme et l’existence de Dieu sont, à tes regards, des extravagances sur lesquelles tu ne te donnes pas même la peine de réfléchir. La fausseté de tous ces systèmes démontrée, il en est un que j’élève sur leur ruine, et qui, sans doute, a quelque originalité ; je l’appuie sur une infinité d’expériences. Je soutiens que l’horreur que la nature nous inspire pour la mort n’est le fruit que des craintes absurdes que nous nous formons dès l’enfance sur cet anéantissement total, d’après les idées religieuses dont on a la sottise de nous remplir la tête. Une fois guéris de ces craintes et rassurés sur notre sort, non seulement nous ne devons plus voir la mort avec répugnance, mais il devient facile de démontrer qu’elle n’est réellement plus qu’une volupté. Tu conviendras d’abord qu’on ne peut s’empêcher d’être certain qu’elle ne soit une des nécessités de la nature, qui ne nous a créés que pour cela ; nous ne commençons que pour finir ; chaque instant nous mène à ce dernier terme ; tout prouve que c’est l’unique fin de la nature. Or, je demande comment il est possible de douter, d’après l’expérience acquise, que la mort, en tant que besoin de la nature, ne doive pas devenir, de ce moment-là seul, une volupté, puisque nous avons sous nos yeux la preuve convaincante que tous les besoins de la vie ne sont que des plaisirs. Il y a donc du plaisir à mourir ; il est donc possible de concevoir qu’avec de la réflexion et de la philosophie, on puisse changer en idées très voluptueuses toutes les ridicules frayeurs de la mort, et qu’on puisse même y penser et l’attendre en s’excitant aux plaisirs des sens.

— Ce système, absolument nouveau, et qui n’est pas sans vraisemblance, dis-je à mon amie, serait dangereux à mettre au jour. Que de gens, uniquement contenus par la crainte de la mort, et qui, délivrés de cette frayeur, se livreraient à tout, de sang-froid…

— Mais, dit ma délicieuse amie, je suis bien loin de chercher à éloigner du crime ; je ne travaille au contraire qu’à dégager sa route de toutes les entraves qu’y met la sottise. Le crime est mon élément ; la nature ne m’a fait naître que pour le servir, et je voudrais multiplier à l’infini tous les moyens de le commettre.

— Le métier que je fais, et que j’exerce bien plus par libertinage que par besoin, prouve l’extrême désir que j’ai d’étendre le crime ; je n’ai point de passion plus ardente que celle de le propager dans le monde, et si je pouvais l’envelopper tout entier dans mes pièges, je le pulvériserais sans remords.

— Et quel est le sexe contre lequel ta fureur libertine complote avec le plus de plaisir ?

— Ce n’est pas le sexe qui m’irrite, c’est l’âge, les liens, l’état de la personne. Lorsque ces convenances se trouvent dans un homme, je l’immole avec plus de volupté qu’une femme ; se rencontrent-elles dans une femme, elle obtient aussitôt la préférence.

— Eh ! quelles sont ces convenances ? demandai-je.

— Je ne devrais pas te les dire.

— Pourquoi donc ?

— Tu tireras de ces aveux mille fausses inductions qui gêneront ensuite notre commerce.

-Ah ! je t’entends, je conçois l’un des rapports qui échauffent ta tête : tes faveurs, sûrement, sont des arrêts de mort ?

— Ne l’avais-je pas dit ? Écoute-moi donc, Juliette, et tranquillise-toi. Je ne te déguiserai pas, sans doute, qu’un objet qui ne m’aurait servi que de simple et unique jouissance, sans aucune espèce de relation avec moi, ne fût, par cela seul, proscrit dans mon imagination. Mais si je rencontre, dans cet objet, des similitudes, des convenances, telles que celles que j’ai trouvées en toi, ne doute pas qu’alors, loin de briser les nœuds qui m’attachent à un tel objet, je ne les resserre par tous les moyens qui seront en moi. Au nom du plus tendre amour, cesse donc de t’inquiéter, mon ange ; je t’ai offert une façon certaine de te rassurer, ta délicatesse la refuse : ne me laisse donc pas d’imaginer maintenant que ton esprit puisse contrarier ton cœur ; ai-je d’ailleurs des moyens que tu ne possèdes toi-même ?

— Assurément, tu en as, répondis-je, et je suis loin de connaître toute la profondeur de ton art.

— J’en conviens, dit mon amie en souriant, mais sois bien assurée que cet art ne sera mis en usage avec toi que pour te contraindre à m’aimer.

— Ah ! j’y compte ; je sais que les scélérats ne se nuisent jamais entre eux ; et sois bien convaincue que sans les affreux soupçons que tu m’avais donnés sur Clairwil, je ne l’aurais pas sacrifiée.

— Il entre des regrets dans ce propos, Juliette ?

— Eh bien ! non, non, dis-je, en baisant mille et mille fois mon amie, finissons même toute sorte d’explication là-dessus. Je te répète que je me livre à toi, tu peux compter sur mon cœur comme je fais fond sur le tien ; notre union fait notre force, et rien ne pourra la dissoudre. Achève-moi donc maintenant, je te prie, le détail des convenances qui t’irritent pour la consommation du crime : j’aime à voir si elles se rapportent aux miennes, et jusqu’ici j’y vois de grandes ressemblances.

— Je t’ai dit que l’âge y faisait beaucoup ; j’aime à dessécher la plante quand elle est arrivée à sa plus grande perfection de fraîcheur et de beauté : entre quinze et dix-sept ans, voilà les roses que je moissonne avec plaisir, surtout quand la santé est parfaite, et que la nature, que j’ai l’art de contrarier alors, paraît avoir formé cet objet pour arriver bien plus sain au dernier terme de la vie. Ah ! Juliette, comme je jouis alors ! Les liens m’irritent aussi : je prive avec délices un père de son enfant, un amant de sa maîtresse.

— Une tribade de sa bonne ?

— Eh bien ! oui, méchante, tu l’as vu. Est-ce ma faute si la bizarre nature m’a créée coquine à ce point ? Si cet objet m’appartient, mon plaisir redouble. J’ai dit que l’état de la personne contribuait aussi beaucoup à l’embrasement de ma tête : j’aime sur cela les deux extrêmes, la richesse et la qualité, ou l’indigence et l’infortune. Je veux, en général, que le choc produise un ébranlement considérable, que la perte que j’occasionne coûte des pleurs ; je jouis délicieusement en les voyant répandre. Leur abondance ou leur âcreté détermine mon foutre : plus ils coulent, mieux je décharge…

— Oh ! ma tendre et délicieuse amie ! dis-je à moitié pâmée, branle-moi, je t’en conjure ; tu vois le trouble où tu me plonges ; je n’ai jamais connu personne dont les sentiments soient plus conformes aux miens. Clairwil n’était qu’une enfant près de toi ; tu es ce qui convient le mieux à mon bonheur, tu es la femme que je cherchais ; ne m’abandonne plus…

Et Durand, pour profiter de mon extase, m’ayant fait pencher sur un canapé, me branla avec trois doigts, comme je ne l’avais été de mes jours. Je le lui rendis ; je suçai son clitoris ; et quand je vis que le trou de son cul s’ouvrait et se resserrait comme le calice des fleurs aux douces injections de la rosée, je m’armai d’un godemiché, et l’enculai en continuant de la branler. Jamais on ne vit de cul de cette largeur. Mon instrument avait huit pouces de tour sur un pied de long : à peine l’eus-je présenté, qu’il disparut dans un instant. Alors la putain sacra, se trémoussa comme une véritable forcenée ; et je vis bien que, si la nature l’avait privée de connaître les plaisirs du vulgaire, elle l’en avait bien complètement dédommagée en lui accordant pour ceux-ci les plus délicates sensations. Un des grands talents de ma nouvelle amie consistait dans l’art de donner du plaisir en en recevant ; elle était si souple… si agile, que, pendant que je l’enculais, elle s’enlaçait autour de mon corps, et parvenait à me baiser la bouche et à me branler le cul. Abandonnant quelquefois tout pour ne se livrer qu’à ses sensations, alors elle blasphémait avec une énergie que je n’avais connue à personne ; et, sous quelque rapport que l’on considérât cette femme singulière, on voyait qu’enfant du crime, de la luxure et de l’infamie, il n’était pas une seule de ses qualités physiques ou morales qui ne tendît à en faire la plus insigne libertine de son siècle. Durand voulut me rendre tout ce que je lui avais fait. Elle m’encula, et, lubriquement branlée par elle, je soutins au mieux le même godemiché, je déchargeai trois fois sous ses coups ; et, je le répète, je n’avais jamais vu de femmes entendre aussi bien l’art de donner des plaisirs.

Nous nous remîmes à boire, et quand nos tètes furent bien prises :

— Viens, me dit la Durand, allons courir les rues ; allons nous souiller de libertinage. Allons voir les apprêts funèbres d’une jeune fille de quinze ans, belle comme le jour, que je fis mourir hier par le poison, à la sollicitation de son père, qui, après l’avoir bien foutue, a voulu se venger d’une indiscrétion qu’elle venait de commettre.

Nous sortîmes, costumées à la manière des courtisanes du pays ; il faisait nuit.

— Je voudrais avant tout, me dit mon amie, que nous allassions branler quelques vits de matelots sur le port ; il doit y avoir là des monstres ; tu ne saurais croire le plaisir que j’ai d’exprimer le jus de ces saucissons-là…

— Ah ! putain ! dis-je en la baisant, tu es grise.

— Un peu, peut-être ; mais n’imagine pourtant pas que les secours de Bacchus me soient nécessaires pour allumer en moi le flambeau du libertinage. Ce que l’on prête à l’autre est divin, je le sais, et je ne me porte jamais si bien aux excès de la luxure, que quand je suis gorgée de mets délicats et de vins capiteux ; mais je n’en ai pourtant pas un tel besoin, que je ne puisse, sans ce stimulant, franchir toutes les bornes de la décence et de la pudeur : tu vas le voir.

À peine sommes-nous sur le port, qu’une foule de portefaix et de matelots nous abordent.

— Venez, mes amis, dit la Durand, soyez calmes, honnêtes et tranquilles, nous allons vous satisfaire tous. Tenez, voyez cette jolie fille, c’est une Française125 ; elle n’est que d’hier dans le commerce ; vous allez la voir se trousser sur la borne, en offrant à vos goûts le côté qui vous plaira le mieux ; je vous branlerai sur ses charmes…

Quinze se rangeaient autour de nous, en applaudissant à l’ordre établi par Durand. Le premier veut voir ma gorge nue : il allait la flétrir par ses grossiers attouchements, si ma compagne ne lui eût interdit tout geste : il fallut donc se résoudre à ne faire que la couvrir de foutre ; elle en est inondée. Le second veut, qu’assise sur la borne, j’écarte mes cuisses le plus possible, afin qu’on le branle sur mon clitoris. Je ne tiens pas à la grosseur du membre dont la Durand farfouille l’entrée de mon vagin, et me précipitant dessus par un mouvement involontaire, je me l’enfonce jusqu’aux couilles. À peine le drôle se sent-il ainsi pris, qu’il me saisit dans ses bras, m’enlève, retrousse mes jupes, et fait voir mon cul à toute la troupe. Un de ces enragés se jette sur mon derrière, il le tripote, il l’enfile, et me voilà portée par deux crocheteurs, me voilà l’objet des caresses et des hommages de tous deux.

— Attendez, dit la Durand, donnez-lui de quoi se soutenir ! (et elle me place, en disant cela, un membre énorme dans chaque main)… Quel délicieux groupe ! dit la coquine, en présentant son derrière au cinquième. Tiens, mon ami, voilà mon cul, joignons-nous au tableau, formons un de ses épisodes ; je ne puis malheureusement te donner autre chose, la nature ne me l’a pas permis ; mais sois assuré que la chaleur et l’étroit de mon cul te dédommageront amplement de mon con.

D’autres attitudes se succédèrent bientôt. Plus de cinquante de ces malotrus me passèrent par les mains. Au moyen d’une eau dont ma camarade les frottait avant qu’ils ne me pénétrassent, je pus me livrer à tous sans aucune crainte, et je fus foutue quarante-cinq coups en moins de trois heures. Durand ne faisait que les essayer ; elle me les rapportait, et ils terminaient, à leur choix, ou dans mon con ou dans mon cul. La coquine les suça presque tous : c’était une de ses plus grandes voluptés ; et, comme vous le croyez facilement, elle ne se refusait rien de ce qui pouvait échauffer sa tête. Nos bandits satisfaits, il fallut boire avec eux.

— Voilà ce que j’en aime le mieux, me dit Durand tout bas ; tu n’imagines pas à quel point j’aime à faire, en mauvaise compagnie, toutes les actions de la plus vile crapule et de la plus basse débauche.

Nous sortions de table, de manière assurément à n’avoir faim ni l’une ni l’autre. Nous n’en dévorâmes pas moins toutes deux l’énorme repas qu’il plut à ces coquins-là de nous payer, et pour lequel vingt d’entre eux se cotisèrent, à deux sequins chacun, ce qui revenait à près de cinq cents francs. Là, nous bûmes, nous mangeâmes, nous nous laissâmes tripoter, foutre, et nous nous abrutîmes, en un mot, au point qu’étendues toutes deux par terre au milieu du cabaret, nous ne nous livrâmes à ces gredins qu’aux conditions préalables qu’ils nous vomiraient, nous pisseraient et nous chieraient sur le visage, avant que de nous enfiler. Tous le firent, et nous ne nous relevâmes de là qu’inondées d’urine, d’ordures et de foutre.

— Mes enfants, dit ma compagne dès qu’un peu d’ordre eut succédé à ces orgies, il est juste maintenant que nous nous fassions connaître à vous, et qu’en reconnaissance du bon souper que vous nous avez donné, nous vous gratifiions de quelques-unes de nos marchandises. Y a-t-il ici quelqu’un qui veuille satisfaire ses vengeances ou ses haines particulières ? Nous allons lui en servir les moyens. Munies des meilleurs poisons de l’Italie, dites-nous ceux qui vous conviennent et à qui vous les destinez.

Le croirez-vous, mes amis ? (oh ! juste ciel, à quel point est portée maintenant la dépravation humaine !), tous, d’une voix unanime, nous supplièrent de leur faire part de nos funestes dons ; et il n’y en eut pas un seul qui n’eût, selon lui, les meilleures distributions à en faire. Ils en eurent tous ; et cette libidineuse soirée nous rendit peut-être la cause d’une soixantaine de meurtres.

— Allons, me dit la Durand, il n’est pas tard, nous pouvons courir encore. D’ailleurs, il faut que j’aille absolument m’assurer du succès de la mort de ma jolie petite fille de quinze ans…

Nous quittâmes donc nos convives, après les avoir embrassés.

À peine fûmes-nous sur la place de la cathédrale, que nous vîmes passer un enterrement. La coutume étant en Italie de porter les morts à visage découvert, il fut facile à la Durand de reconnaître les traits de la jolie fille dont elle voulait vérifier la mort.

— La voilà… la voilà ! me dit-elle précipitamment, oh ! foutre ! branlons-nous dans un coin, en la voyant passer.

— Non, dis-je, il vaut mieux la devancer à la cathédrale ; nous nous cacherons dans une chapelle, où nous ferons ce que tu dis, en la voyant descendre au tombeau.

— Tu as raison, dit Durand, le moment est meilleur ; pénétrons.

Nous fûmes assez heureuses pour nous placer précisément derrière le confessionnal de la chapelle même où l’on allait descendre cette jeune personne. Nous nous collons contre le mur, et nous voilà à nous chatouiller pendant la cérémonie, en ménageant notre décharge, de façon à ce que, s’écoulant au moment où l’on descendrait le cercueil, elle pût, pour ainsi dire, servir d’eau bénite à la défunte. On ne referme la tombe qu’à demi, et nous vîmes que le fossoyeur, ou avait quelques intentions que nous ne devinâmes pas encore, ou ne voulait peut-être, comme il était tard, ne prendre cette peine que le lendemain.

— Pardieu ! restons ici, me dit la Durand, il me passe dans la tête un caprice incroyable : tu as vu comme cette petite fille est belle ?

— Eh bien ?

— Nous la sortirons du tombeau, tu me branleras sur sa délicieuse figure, sur cette tête charmante que les ombres funèbres, placées sur son front par mes mains, ne peuvent encore flétrir… As-tu peur ?

— Non.

— Eh bien ! s’il en est ainsi, restons.

L’église se ferme, et nous voilà seules.

— Que j’aime ce silence lugubre ! me dit la Durand ; comme il convient au crime, comme il échauffe les passions ! il est l’image du calme des cercueils, et, je te l’ai dit, je bande pour la mort ; agissons.

— Un moment, dis-je, j’entends du bruit…

Et nous regagnons notre coin à la hâte… Oh, ciel ! qu’aperçûmes-nous ? Nous étions devancées dans notre projet, et par qui ? grand Dieu ! quelle exécrable dépravation !… Le père lui-même venait jouir de son abominable forfait, il venait le consommer ; le fossoyeur le devançait, une lampe à la main.

— Remonte-la, lui dit-il, ma douleur est si grande que je veux encore l’embrasser, avant que de m’en séparer pour toujours.

Le cercueil reparaît, le corps en est sorti, puis replacé par le fossoyeur sur les marches de l’autel.

— Va, sors à présent, mon ami, dit l’incestueux et barbare auteur des jours de cette charmante fille, tu troublerais mes larmes ; laisse-moi les répandre à l’aise, tu viendras me reprendre dans deux heures, et je récompenserai ton zèle…

Les portes se referment. Oh ! mes amis, comment vous décrire les horreurs que nous vîmes ? Il le faut cependant : ce sont les égarements du cœur humain que je développe, et je n’en dois laisser aucun pli de caché.

Ne se croyant pas encore assez en sûreté dans cette église, le coquin se barricade dans l’intérieur de la chapelle, il allume quatre cierges, les place à la tête et aux pieds de sa fille, puis développe le drap mortuaire, et l’étale nue sous ses yeux. D’indicibles frémissements de plaisir le saisissent alors ; ses muscles renversés, ses soupirs entrecoupés, son vit qu’il met à l’air, tout nous peint l’état de son âme embrasée.

— Sacredieu ! s’écrie-t-il, voilà donc mon ouvrage… et je ne m’en repens point… Va, ce n’est pas ton indiscrétion que j’ai punie, c’est ma scélératesse que j’ai contentée ; ta mort me faisait bander, je t’avais trop foutue, je suis content…

Il s’approche du corps à ces mots ; il manie la gorge, il enfonce des épingles dedans.

— Oh, foutre ! disait-il, elle ne le sent plus… malheureusement, elle ne le sent plus… je me suis trop pressé… Ah, garce ! que de nouveaux tourments je t’imposerais encore, si tu respirais !…

Il lui écarte les cuisses, lui pince les lèvres du con, la pique dans l’intérieur, et, se sentant bander fort dur, le scélérat l’enconne ; il s’allonge sur elle, il lui baise la bouche, il fait ce qu’il peut pour y darder sa langue, mais les convulsions du venin ayant resserré les dents de cette malheureuse, il ne peut en venir à bout. Il se retire, il retourne la morte, la place sur le ventre, et nous expose les plus belles fesses qu’il soit possible de voir. Il baise ce derrière avec ardeur, il se branle vigoureusement, en l’accablant de baisers.

— Ah ! combien de fois j’ai joui de ce beau cul ! s’écrie-t-il alors, que de différents plaisirs il me procura pendant quatre ans que je le foutis !

Alors il se retire, fait deux ou trois fois le tour du corps, en s’écriant :

— Ah ! foutre, foutre, le beau cadavre !

Et comme il bandait horriblement en prononçant ces mots, nous nous convainquîmes que c’était là sa passion. Il se remet à genoux entre les cuisses de sa fille, rebaise mille fois encore le beau cul que lui expose l’attitude, le pique, le mord, applique dessus des claques furieuses, arrache même un morceau de chair avec ses dents, et sodomise. Ici son délire nous paraît au comble ; il grince des dents, il écume, et, tirant un long couteau de sa poche, il coupe, en déchargeant, le cou de ce cadavre, et se rajuste. Là, nous observâmes, avec philosophie, l’état de l’homme, ferme dans ses principes, quand il vient de satisfaire sa passion. Un imbécile, obligé d’attendre, n’ayant pour perspective que l’objet de sa rage et de sa lubricité, au milieu du silence et de l’horreur des tombeaux, eût infailliblement frémi. Notre scélérat, calme, s’occupe à rempaqueter les restes déchirés de sa fille. Il les replace dans le cercueil ; il demeure même quelque temps dans le caveau, sans que nous sachions ce qu’il y fait. C’est alors que la Durand, qui, pendant toute l’opération, n’avait cessé ou de se branler ou de me branler moi-même, me propose de repousser la pierre du caveau, et d’engloutir cet homme avec sa victime…

— Non, dis-je, c’est un scélérat, et nous leur devons à tous respect et protection.

— Cela est juste, me répondit-elle, mais au moins faisons-lui bien peur. Place-toi promptement au même lieu, et dans la même attitude où il vient de mettre sa fille, que ce soit la première chose qu’il voie en remontant. Toutes ces idées se confondront, il y aura de quoi le rendre fou.

Cette extravagance me parut trop singulière pour ne pas être exécutée. Le libertin reparaît ; et c’est mon cul bien exposé qu’il aperçoit pour premier objet. Sa surprise fut telle, qu’en se reculant de frayeur, peu s’en fallut qu’il ne se précipitât dans le caveau ; il y était sans mon amie qui, le retenant par le bras, lui causa un nouveau mouvement de terreur qui produisit en lui les plus plaisantes convulsions.

— Cordelli, lui dit la Durand, ne t’effraie pas, tu es ici avec tes amies : reconnais dans moi celle qui t’a vendu le poison dont tu t’es servi, et, dans cette belle fille, une camarade prête à te donner des voluptés de tous les genres, pourvu qu’elles ne ressemblent pas à celles que tu viens de te procurer devant nous.

— Vous m’avez étrangement surpris, dit le négociant.

— Eh bien ! remets-toi, mon ami, nous t’avons vu, nous t’avons admiré. Vois ce beau cul, il est à tes ordres ; pour cinq cents sequins, je te le livre ; et songe que cette superbe créature n’est pas une femme ordinaire.

— Il est beau, dit Cordelli en le maniant ; mais je ne bande plus : vous avez vu la décharge que je viens de faire.

— Cette perte se répare, dit Durand ; va, sois certain de rebander bientôt. J’ai dans ma poche une liqueur dont l’effet est sûr. Où veux-tu que la scène se passe ?

— Dans ce caveau ; redescendons-y, je ne puis quitter les cendres de ma victime, vous ne sauriez croire à quel point elles m’échauffent.

Nous descendons. Cordelli n’a pas plus tôt relevé le drap mortuaire, il n’a pas plus tôt aperçu les restes inanimés de sa malheureuse fille, qu’il rebande. La Durand lui frotte les couilles de l’eau dont elle a parlé ; puis elle le secoue. Je lui montre mes fesses, il les touche, il me socratise, baise ma bouche, et l’érection se décide.

— Il faut, nous dit-il, que cette jeune personne ait la complaisance de se placer dans le cercueil, entièrement couverte du drap ; nous remonterons, la pierre se refermera quelques instants : je suis parfaitement certain alors de décharger sur le bord du trou…

Ici, la Durand me regarda ; mes réflexions furent bientôt faites.

— Nous ne nous séparons jamais, monsieur, dis-je au négociant, aucune de nous ne restera dans ce tombeau, ou vous nous y enfermerez toutes deux.

— Ah ! Juliette, tu te méfies de moi, dit la Durand : eh bien ! monte avec Cordelli, je resterai, moi, et souviens-toi que c’est à toi seule que je me recommande…

Une seconde réflexion vint aussitôt m’éclairer. J’idolâtrais Durand ; la plus légère méfiance nous brouillait. Était-il possible qu’on me laissât là ? le fossoyeur n’allait-il pas revenir ? ne devenais-je pas, s’il n’arrivait rien, mille fois plus sûre de mon amie ? Quelle tranquillité pour l’avenir !

— Eh bien ! dis-je promptement à la Durand, pour te prouver qu’il ne peut entrer nul mauvais soupçon dans mon âme, je reste. Fais ce que tu voudras, Cordelli ; mais souviens-toi qu’il me faut mille sequins pour cette complaisance.

— Tu les auras, dit le négociant, ta docilité me paraît sans bornes, elle sera récompensée.

On met à bas les restes de la jeune fille, je les remplace. Cordelli m’enveloppe du linceul ; il me baise trois ou quatre fois le trou du cul.

— Ah ! le beau cadavre s’écrie-t-il en tournant trois ou quatre fois autour de moi.

Puis il remonte avec la Durand… Je l’avoue, un froid mortel me saisit, quand j’entendis la pierre se refermer sur moi… Me voilà donc, me dis-je, à la disposition de deux scélérats… Étrange aveuglement du libertinage, où vas-tu peut-être me conduire !… Mais cette épreuve était nécessaire. Je vous laisse à penser combien mon trouble s’accrut quand j’entendis ouvrir la chapelle, la refermer, et le plus effrayant silence succéder à ces deux mouvements… Oh ! ciel, me dis-je, me voilà perdue ! perfide Durand, tu m’as trahie ! Et je sentis une sueur froide s’exhaler de mes pores, depuis l’extrémité de mes cheveux, jusqu’à la cheville de mes pieds. Puis, reprenant courage : allons, me disai-je, ne nous désespérons point, ce n’est point un acte de vertu que je viens de faire : je frémirais si c’en était un ; mais il n’est question que de vice, je n’ai donc rien à craindre. À peine terminais-je ces réflexions, que les cris de la décharge de Cordelli se font entendre, la pierre se lève, Durand se précipite sur moi.

— Te voilà libre, mon ange, s’écrie-t-elle, et voici les mille sequins ! T’inspirerai-je encore de la méfiance à l’avenir ?

— Ah ! jamais, jamais ! m’écriai-je, pardonne un premier mouvement : il avait bien plus Cordelli que toi pour objet. Mais remontons, je suis prête à m’évanouir.

Cordelli excédé… dont le sperme bouillonnant inondait toute la pierre, nous attendait assis sur les marches de l’autel. Nous sortîmes, le fossoyeur parut ; Cordelli le paya, et nous nous retirâmes. Durand voulut passer cette nuit avec moi.

— Voilà une aventure qui nous lie pour jamais, dis-je à mon amie, elle cimente éternellement notre amitié, notre confiance, elle resserre nos nœuds pour la vie.

— Je te l’ai dit, Juliette, me répondit la Durand, nos armes réunies feront beaucoup de mal aux autres ; elles ne se dirigeront jamais contre nous.

— N’est-il pas vrai, dis-je, que si tu avais eu une autre femme, elle restait dans le caveau ?

— Assurément, me répondit la Durand ; et je te jure qu’il m’a offert deux mille sequins pour t’y laisser.

— Eh bien ! dis-je, cherchons une jolie fille, proposons-la-lui, et divertissons-nous de sa passion.

— Mais tu l’as, cette fille désirée.

— Qui donc ?

— Élise.

— Comme tu en veux à l’une ou l’autre de mes femmes ! Est-ce jalousie ?

— Non, mais je n’aime pas à voir près de toi quelqu’un que tu puisses croire t’être plus attaché que je ne le suis. N’es-tu donc point lasse de cette fille ? Je te laisse l’autre, mais celle-là, certes, je crois que tu en as assez joui, il n’y a pas de nuit que tu ne couches entre toutes deux : eh bien ! mon ange, je la remplacerai.

— Ton projet m’irrite et me répugne à la fois.

— Il est donc ce qui convient à la volupté, me répondit Durand, car les plus grands plaisirs ne naissent que des répugnances vaincues. Sonne-la, amusons-nous-en, jurons sa perte en la branlant ; rien ne m’amuse comme ces sortes de trahisons.

— Ah ! Durand, que d’infamies tu me fais faire !

— Dis plutôt, que de voluptés je te prépare !

Élise paraît, toujours belle comme l’Amour ; elle se met complaisamment entre nous deux ; Durand, qui ne la connaît pas encore, prend à la caresser le plus extrême plaisir.

— Voilà vraiment une voluptueuse créature, dit la coquine, en la couvrant de baisers ; fais-la coucher sur toi, Juliette, et chatouille-lui le clitoris, pendant que je vais l’enculer… Oh ! quel voluptueux cul ! comme notre homme va s’égayer sur ces belles fesses !…

Et la garce, gamahuchant l’anus, ne tarda pas à y introduire son petit engin. Étendue sur Élise, et par conséquent sur moi, elle suçait nos bouches alternativement.

— Depuis douze heures de suite, nous dit-elle, que je fais du libertinage, je devrais être épuisée, et je ne me suis jamais senti tant d’ardeur.

— Et moi aussi, m’écriai-je, et c’est notre projet, dis-je bas, qui m’échauffe le plus. Si tu savais, Durand, combien il m’électrise… Je t’en supplie, ma bonne, déchargeons sur cette délicieuse idée.

Et, comme je branlais fort bien Élise, et que Durand la sodomisait à merveille, la petite coquine déchargea la première. En cet instant, Durand lui applique des claques terribles sur les fesses ; elle se retire du cul, et blasphémant comme une damnée, elle gronde cette malheureuse de ce qu’elle l’a troublée par sa décharge.

— Le devoir d’une victime, lui dit-elle durement, est de se prêter : jamais elle ne doit se permettre de partager aucun plaisir. Allons, coquine ! il faut que je vous fouette, pour vous apprendre à m’avoir dérangée.

Je lui tiens la victime, et la scélérate l’étrille un quart d’heure. Élise connaissait cette manie, elle en avait souvent été la victime avec moi, mais, de ses jours, elle ne l’avait reçue avec autant de violence.

— Tu vas lui gâter les fesses, disais-je, et, demain, Cordelli…

— Il aime ces vestiges, ils le font bander…

Et la libertine continuait d’étriller au sang. Enfin, l’orage cesse, Durand m’encule, et veut, pendant sa décharge, avoir les fesses déchirées d’Élise à la hauteur de ses baisers.

— Voilà une créature divine, dit-elle en terminant ; c’est précisément ce qu’il nous faut… As-tu déchargé, toi, ma toute belle ? Je te demande pardon de ne pas m’être occupée de tes plaisirs ; mais je suis, dans le délire, d’un inconcevable égoïsme…

— Ah ! dis-je, j’ai été pour le moins aussi heureuse que toi ; vois mon con, comme il est mouillé.

— Et ta tête était-elle à la chose ?

— Oh ! je t’en réponds…

Nous nous endormîmes, Élise entre nous deux ; et Durand me disait tout bas, avant de se plonger au sein du sommeil :

— Il n’y a rien que j’aime comme l’idée de coucher avec un individu quelconque, dont je suis sûre de causer la mort le lendemain.

Durand fut de bonne heure trouver Cordelli. Enchanté d’une aussi flatteuse proposition, le marché des jours de la malheureuse Élise fut bientôt conclu : mille sequins en devinrent le médiocre prix ; mais Cordelli voulut des recherches, et comme je vais vous raconter cette sinistre aventure, je ne vous préviendrai de ces épisodes qu’en les encadrant dans l’action.

Pendant l’absence de ma compagne, j’avais fait parer Élise, on l’avait baignée, rafraîchie, parfumée, et cette belle fille, qui n’avait pas encore dix-huit ans, n’eut pas plus tôt réuni tous les secours de l’art aux dons de la nature, qu’elle parut belle comme un ange.

— Il faut être à cinq heures du soir chez Cordelli, me dit la Durand à son retour. La scène se passera dans une de ses campagnes, à trois lieues d’Ancône, sur le bord de la mer, et je te réponds qu’elle sera bonne ; dînons…

Élise et Raimonde se mirent à table avec nous, comme à l’ordinaire ; nous leur annonçâmes, là, qu’elles allaient se séparer.

— Élise, dîmes-nous, trouve à Ancône un riche négociant qui fait sa fortune : elle y reste.

Les deux amies fondirent en larmes. Puis, Élise se jetant dans mes bras :

— Oh ! ma chère dame, s’écria-t-elle en me couvrant de ses pleurs et de ses baisers, vous m’aviez promis que je ne vous abandonnerais jamais !…

Et c’est ici, mes amis, où j’éprouvai bien de quelle énergie est, dans l’âme d’une libertine, le choc de la sensibilité sur la luxure. Je me roidis contre ses larmes : je trouvais du plaisir à les braver, à ne les faire servir que d’aiguillon à ma lubricité.

— Mais, ma chère, répondis-je à cette belle fille en la repoussant sur son siège, n’aurais-je donc pas d’éternels reproches à me faire, si je te faisais manquer ta fortune ?

— Je ne veux point de fortune, madame, je ne réclame que la grâce de ne vous abandonner de ma vie.

— Élise, dit Durand, tu aimes donc bien Juliette ?

— Hélas ! madame, je lui dois la vie, j’étais perdue sans elle. C’est elle qui a retiré Raimonde et moi de chez un brigand qui nous aurait infailliblement massacrées, et quand la reconnaissance se joint aux sentiments naturels du cœur, vous imaginez bien, madame, que la plus ardente amitié doit en être le fruit.

— Il faut cependant vous quitter, dit la Durand avec méchanceté, il le faut très promptement…

Je bandais ; Durand s’en aperçut.

— Passe dans une autre chambre avec elle, me dit mon amie, tout bas ; je vais me branler avec Raimonde.

À peine fus-je seule avec Élise, que je sentis la fureur s’emparer de mes sens. Cette belle fille me baisait en pleurant : je la maltraitai, et sentant mon foutre couler aux premiers coups que je lui donnais, je redoublai.

— En vérité, lui dis-je durement, vos sentiments pour moi me surprennent, car il s’en faut que les miens y répondent. Vous avez pu ne pas m’être indifférente autrefois, mais aujourd’hui, je suis lasse de vous : il y a plus de trois mois que je ne vous garde que par charité.

— Par charité, madame !

— Oui, d’honneur ; que deviendriez-vous sans ma pitié ? une raccrocheuse des rues. Remerciez-moi donc des soins que je me suis donnés pour vous procurer quelqu’un, et branlez-moi par reconnaissance.

Je la mis nue, j’examinai tous ses charmes ; et l’esprit dans lequel je les voyais pensa me faire mourir de volupté. Ah ! comme j’étais doucement remuée en me disant : Dans trois jours ce beau corps sera la proie des vers, et je serai la cause de cette destruction ! Élan divin de la luxure ! inexprimables voluptés du crime ! voilà donc les ravages que vous produisez dans l’organisation d’une femme libertine ! Élise ! Élise ! toi que j’aimais, je te livre à des bourreaux… et j’en décharge !

Comme la petite coquine, pour tâcher de se faire regretter, redoublait de soins avec moi ! Elle triompha bien promptement ; elle me suçait en me socratisant ; j’inondai sa bouche, je lui rendis ce qu’elle m’avait fait. J’idolâtrais l’idée de la plonger dans le plaisir, avant que de la livrer au supplice. Elle déchargea, puis fondit en larmes, en m’adressant les expressions les plus tendres, les plus instantes prières de la conserver auprès de moi : rien ne parvint à me toucher. Dès que je fus rassasiée :

— Allons, dis-je, il faut partir.

Elle voulut passer dans sa chambre pour faire son paquet.

— Ce n’est pas la peine, lui dis-je, on vous enverra tout cela demain…

Elle se rejette dans mes bras… je la repousse, je lui donne des coups furieux ; elle en saigne. Je l’eusse étranglée, je crois, sans la promesse de la livrer à Cordelli.

Nous rentrâmes au salon. Durand n’y était point encore. Je me hâtai d’aller l’observer par le trou de la serrure. Dieu ! quelle fut ma surprise de voir un homme enculant Raimonde, et la Durand fustigeant le fouteur. Je frappe… je veux entrer.

— Est-ce toi ? dit Durand.

— Eh ! sans doute, ouvre donc.

— Ah ! me dit-elle bas, en me faisant doucement entrer… C’est Cordelli… Il a voulu absolument voir la fille que tu lui destinais ; je n’ai pas voulu te troubler, et je lui ai donné Raimonde en attendant… Tu le vois, il l’encule, il en raffole.

— Ne vous dérangez pas, monsieur, me hâtai-je de dire en me rapprochant ; mais souvenez-vous seulement que ce n’est pas celle-là que je vous livre.

— J’en suis fâché, répondit le paillard, avec des expressions entrecoupées par la violence des sensations de son plaisir… Oh ! oui… j’en suis… fâché… car elle a le plus… beau cul… le plus étroit… et je me… sentais toutes les dispositions possibles… à faire avec elle… infiniment de choses singulières… Allons, continua-t-il en déculant, je ne veux pas décharger, j’ai besoin de mes forces ; mais raisonnons un moment.

Raimonde sortit, et Cordelli, s’asseyant entre la Durand et moi :

— Je n’ai pu tenir à mon impatience, nous dit-il ; je suis arrivé comme vous sortiez de table ; la Durand m’a dit que vous vous amusiez avec celle que vous me destinez ; voyant Raimonde avec elle, j’ai désiré sa jouissance, et vous avoue que je n’ai pu m’empêcher, en la connaissant, de regretter que ce ne soit pas celle-là qui doive ce soir me servir de victime. C’est la favorite de Juliette, m’a dit la Durand, elle ne voudra jamais la livrer… Mademoiselle, poursuivit le séducteur en me prenant la main, écoutez-moi. Je suis rond dans les marchés que je fais ; riche à millions, faisant seul, depuis plus de vingt ans, tout le profit de la célèbre foire de Sinigaglia126, quelque mille sequins de plus ou de moins, quand il s’agit de mes passions, ne me font rien. Je ne connais pas Élise, mais votre Raimonde me plaît infiniment : j’ai bien peu vu de plus divins derrières, je n’en foutis jamais de plus chauds ni de plus étroits. Cette fille doit être superbe dans les pleurs, et c’est, en un mot, une des plus belles femmes à victimer que j’aie encore vues depuis longtemps… Tenez, je prends l’autre sur parole et celle-ci en connaissance de cause : voulez-vous six mille sequins de toutes deux ?

— Beaucoup plus, dis-je, en sentant aussitôt l’intérêt, l’amour de l’or, l’emporter dans mon cœur sur toute autre espèce de sentiment ; vous me donnerez vingt mille sequins des deux, et elles sont à vous.

— Mais, dit Cordelli, j’en ai déjà une pour mille sequins !

— Je romps le marché, je ne les vends plus qu’ensemble, et certainement elles ne sortiront de mes mains qu’au prix que je viens de dire.

— Je ne puis qu’approuver mon amie, dit Durand ; vous êtes encore bien heureux qu’elle vous cède à si bas prix l’unique objet de ses affections.

— Une fille que j’idolâtre, la livrer à qui ? à un scélérat qui va la faire mourir !

— Oh ! oui, répondit l’Italien, et par d’horribles supplices, je vous en réponds,

— Il faut que ces choses-là se payent ; décidez-vous donc, monsieur, car si la pitié vient reprendre ses droits dans mon âme, vous n’aurez plus rien.

— Votre marchandise est chère, mademoiselle, reprit le négociant. Mais, sacredieu ! vous me prenez dans un moment où le feu de la luxure ne me permet plus aucune réflexion. Envoyez ce bon chez mon commis, et vous aurez l’argent désiré dans une demi-heure. Voyons l’autre fille, en attendant.

— Scélérate, dis-je bas à mon amie, c’est encore ici ton ouvrage : il était décidé que tu ne voulais me laisser personne.

— Oh ! Juliette, n’accuse de tout ceci que mon amour pour toi ; sois sûre que tu ne te repentiras jamais de t’être livrée à moi seule. Inspirée par mon idolâtrie, je te tiendrai lieu de toute la terre…

Et elle sortit pour aller retirer l’argent. Je fis paraître Élise d’abord seule.

— Elle est charmante ! s’écria le paillard, je ne m’étonne pas du prix que tu y mets…

Et, se pressant de la déshabiller, son enthousiasme redouble quand il peut admirer à l’aise les charmes de cette jolie créature. Il ne se lasse point d’examiner ce cul délicat et mignon ; il le baise, l’écarte, le gamahuche, le fout, en ressort pour le baiser de nouveau ; et quelque ardentes que soient les caresses qu’il prodigue, il ne peut s’en rassasier.

— Fais venir l’autre, me dit-il, je veux comparer…

Raimonde paraît, et bientôt aussi nue qu’Élise, elle offre à notre examinateur tout ce qui peut faciliter ses observations. On n’imagine pas le scrupule avec lequel il y procède : les fesses surtout fixent son attention avec un recueillement dont on n’a pas d’idée. Je le branle légèrement pendant ce temps-là ; il manie quelquefois mon derrière en enfonçant sa langue dans ma bouche ; il encule Élise, en nous claquant, Raimonde et moi, de droite et de gauche.

— En vérité, l’une vaut l’autre, me dit-il tout bas, et toutes deux sont délicieuses. Je les ferai beaucoup souffrir.

— Quel est le meilleur cul ? demandai-je.

— Ah ! toujours Raimonde, me répondit-il en baisant la bouche de cette belle fille ; le sien est plus chaud, plus étroit… Mets-toi sur le bord du lit, Juliette, me dit cet insatiable libertin, je veux t’enculer aussi.

Il fait repasser Élise à ma gauche, de façon que je suis au milieu. Alors il pince vigoureusement les deux culs en foutant le mien. Puis, se retirant :

— C’en est assez, dit-il, je déchargerais ; le jour s’avance, partons.

Les deux jeunes filles vont se préparer, et, me trouvant seule avec l’Italien :

— Avoue, lui dis-je, que c’est ma compagne qui t’a échauffé la tête sur Raimonde.

— Je ne te cacherai pas qu’elle désire sa mort.

— La coquine ! c’est par jalousie : ce motif l’excuse à mes yeux… Oh ! mon parti est pris ; tu feras donc bien souffrir ces deux malheureuses ?

Et je le branlais pendant ce temps-là ; il était debout devant moi, je secouais son vit sur ma gorge, je lui chatouillais l’anus…

— Et quel supplice leur réserves-tu ?

— Est-ce que tu désires que je les ménage ?

— Ah ! si j’ordonnais ces tourments, ils seraient plus affreux que ceux que tu prépares !

— Délicieuse créature !… voilà comme j’aime les femmes ; elles sont plus féroces que les hommes, quand elles se livrent à la cruauté.

— La raison de cela est naturelle, répondis-je, leurs organes sont plus déliés, leur sensibilité plus profonde, leurs nerfs bien plus irascibles : or, voilà le genre de constitution qui mène à la barbarie.

— Avec une imagination bien plus vive que la nôtre, une femme doit plus avidement embrasser les excès, et voilà pourquoi, dans le crime, elles vont toujours bien plus loin que nous. Qu’on annonce un duel, un combat de gladiateurs, une exécution de justice, vous les verrez s’y porter en foule ; recensez les spectateurs, le résultat vous offrira toujours au moins dix femmes contre un homme. Une infinité de sots, ajouta le négociant, dupes de cette incroyable sensibilité qu’ils voient dans les femmes, ne se doutent pas que les extrémités se rapprochent, et que c’est précisément au foyer de ce sentiment que la cruauté prend sa source…

— Parce que la cruauté n’est elle-même qu’une des branches de la sensibilité, dis-je, et que c’est toujours en raison du degré dont nos âmes en sont pénétrées, que les grandes horreurs se commettent.

— Tu parles comme un ange, mon cœur, dit le négociant ; baise-moi mille fois, j’aime ton esprit autant que tes charmes, tu devrais t’attacher à moi.

— Je suis inviolablement attachée à mon amie, répondis-je, nous sommes inséparables, et ne nous quitterons qu’à la mort.

— Elle resterait avec toi.

— Cela est impossible, nous voulons revoir notre patrie…

Et je finissais à peine, que la Durand revint. Comme j’étais allée au-devant d’elle, j’eus le temps d’apprendre de sa bouche qu’elle venait de réussir au plus heureux des coups.

— J’ai fait un faux billet, me dit-elle, et nous avons le double de l’argent.

— Quarante mille sequins ?

— Oui, je les tiens déjà dans mon cabinet. Céleste créature ! oh ! combien j’aime ton adresse !

— Te repens-tu du marché, maintenant ?

— Non, d’honneur… Mais lorsque Cordelli reverra son agent ?

— Le crime sera consommé, et s’il lâche un seul mot, nous le ferons rouer.

— Oh ! baise-moi mille et mille fois, mon ange !

— Viens chercher la moitié de l’argent.

— Ces précautions deviennent inutiles entre nous ; occupons-nous de Cordelli, nous partagerons au retour.

— Je voudrais que tu prisses tout ; j’ai plus de plaisir à te voir au dernier degré de l’opulence, qu’à m’enrichir moi-même.

Et, Cordelli nous faisant appeler, nous partîmes.

En peu d’heures, nous arrivâmes au château du négociant. C’était une vraie forteresse située sur un rocher s’avançant de plus de vingt toises dans la mer ; on était obligé de quitter la voiture, à la petite ferme qui se trouvait au bas du rocher, offrant à sa racine un escalier de quatre cents marches, par lequel seul on parvenait à cette redoutable maison. Nous trouvâmes, au bas, une porte de fer, que le négociant ouvrit, et six pareilles dans la longueur de l’escalier, que notre patron ouvrit et referma de même. Durand, voyant la surprise se mêler, sur mes traits, à l’agitation de la peur, me rassura, et dit aussitôt à Cordelli :

— Tu m’avais parfaitement indiqué l’endroit, et nos gens, à qui j’en ai laissé la description pour nous y revenir chercher demain, si nous ne sommes pas à dix heures du matin avec eux, trouveront bien facilement cette retraite.

— Elle est connue de tous les environs, dit le négociant, d’un air à me calmer ; mais ta précaution, Durand, était inutile, je t’ai promis que cette nuit même, nous retournerions à la ville, et tu me connais assez pour être bien sûre que je ne te tromperai jamais…

Il s’en fallait bien que nos deux jeunes filles fussent aussi tranquilles. Une sorte de pressentiment accompagne toujours le malheur ; les infortunées l’éprouvaient dans toute sa force : elles étaient toutes les deux prêtes à s’évanouir.

Une dernière porte, semblable aux autres, s’ouvre enfin et se ferme avec les mêmes procédés ; deux vieilles femmes de soixante ans nous reçoivent.

— Tout est-il prêt ? dit Cordelli.

— Depuis ce matin, monsieur, répond une des vieilles, et nous ne vous attendions pas si tard…

Nous avançons ; une salle basse, assez triste, s’offre d’abord à nous.

— Regardez où nous sommes, dit Cordelli en ouvrant une fenêtre.

Et quelle fut alors notre surprise, de nous voir à trois cents pieds de la surface de la mer, et presque au milieu des eaux.

— Ce rocher décrit une courbe, dit le négociant, la ligne perpendiculaire tomberait à une demi-lieue du rivage. On peut crier tant qu’on veut ici, l’on est sûr de n’être entendu de personne…

Nous sortîmes de cette salle et montâmes au second ; tel était le lieu de la scène. Jamais peut-être rien d’aussi horrible ne s’était offert à mes yeux. Sur une estrade ronde, placée au milieu de cette salle, ronde elle-même, nous distinguâmes, dès en entrant, tous les différents instruments nécessaires à tel supplice que l’on pût imaginer. Il y en avait de si exécrables, de si incompréhensibles, que jamais même l’idée de leur existence ne m’était venue. Deux grands hommes basanés, hauts de six pieds, la bouche ornée d’effrayantes moustaches, et d’une figure horrible, absolument nus comme des sauvages, paraissaient, au milieu de ces instruments, attendre avec respect les ordres qui leur seraient donnés. Quinze cadavres de jeunes filles et de jeunes garçons tapissaient les murs rembrunis de cette salle, et, sur quatre sellettes environnant l’estrade, se voyait assis deux filles de seize ans et deux garçons de quinze, dans le plus parfait état de nudité. Les vieilles, qui étaient entrées avec nous, fermèrent les portes, et Cordelli, jouissant délicieusement de notre surprise :

— C’est ici que nous allons opérer, dit-il. Rarement, affecta-t-il de dire à nos deux jeunes filles… oh, oui, très rarement on sort de cette salle, une fois que l’on y est entré. Allons, dona Maria, faites déshabiller, qu’on allume, et mettons-nous promptement à l’ouvrage… Je sens le foutre qui picote mes couilles ; je n’ai jamais été si en train de faire des horreurs.

Juliette, me dit le paillard, je vous établis mon satellite, l’agent général de mes plaisirs ; mettez-vous nue, et ne me quittez pas. Uniquement attachée au service… aux besoins urgents de mon vit et de mon cul, vous soignerez exactement l’un et l’autre, pendant toute la scène. Si je me fais foutre, vous humecterez le trou de mon cul avec votre bouche ; vous mouillerez de votre langue les vits destinés à me sodomiser : vous les introduirez vous-même dans mon derrière. Si je fous, vous guiderez ma pine dans les trous qu’il me plaira de perforer, que vous élargirez de même avec la salive émanée de vos lèvres. Vous observerez une chose en opérant : toutes les fois que votre bouche viendra de préparer, soit un vit, soit un cul, il faudra qu’aussitôt cette même bouche se colle sur la mienne, et la suce longtemps. Le plus profond respect, d’ailleurs, accompagnera toutes vos démarches : songez qu’il n’entre ici que des esclaves ou des victimes.

Vous, Durand, vous m’amènerez les objets, vous me les présenterez, et souvenez-vous l’une et l’autre de ne jamais faire aucun mouvement, sans me faire baiser avant vos derrières.

Quant à vous, poursuivit-il en s’adressant aux vieilles, seulement nues de la ceinture au bas, les bras bien découverts, et armées d’une poignée de verges minces et vertes, vous me suivrez de même, et vous vous exercerez sur mes reins et mes fesses, à mesure que vous en reconnaîtrez le besoin.

Vous Sanguin, et vous Barbaro, non seulement vous remplirez ici le rôle d’exécuteurs, mais vous observerez même, avec exactitude, de me perforer le derrière, chaque fois que vous me verrez vous le présenter amoureusement ; Juliette alors saisira vos engins, et viendra me les introduire dans le cul, conformément aux détails et aux ordres qui lui ont été indiqués.

Pour vous, jeunes gens, qui, placés sur ces quatre sellettes, attendez dans le plus respectueux silence ce qu’il me plaira de vous prescrire, la soumission est votre lot. N’imaginez pas que ces liens qui vous attachent à moi, puisque vous êtes mes enfants tous les quatre, quoique nés de différentes mères, m’empêchent de vous conduire à la mort par les sentiers les plus rudes et les plus épineux ; sachez que je ne vous ai donné la vie que pour vous l’ôter, que l’infanticide est un de mes plus doux plaisirs, et que plus le sang vous rapproche de moi, plus j’aurai de délices à vous martyriser.

Pour vous, mes beaux enfants, poursuivit-il en flagornant et persiflant avec cruauté mes deux femmes, je vous paye assez cher pour avoir le droit de faire avec vous tout ce que la perversité de mon imagination pourra me suggérer de plus exécrable… Et vous pouvez compter sur d’affreuses souffrances : je connaîtrai bientôt, j’espère, tous les effets de la douleur sur vos âmes sensibles.

À ces mots, les malheureuses créatures se précipitent aux genoux de leur farouche tyran. Déjà déshabillées par les vieilles, leurs beaux cheveux noirs flottant en désordre sur leur sein d’albâtre, leurs larmes inondant les pieds de ce bourreau, rendent d’un intérêt au-dessus de tout ce qu’on peut dire, le déchirant spectacle de leur douleur et de leur désespoir…

— Ah ! foutredieu ! dit le scélérat en se laissant aller sur un fauteuil, pendant que je le pollue d’une main et que je le socratise de l’autre… comme j’aime ces effets tragiques de l’infortune !… comme ils me font bander !… Voulez-vous un poignard, mes belles amies ? Vous pourriez vous tuer mutuellement, cela serait délicieux pour moi…

Et le monstre, en parlant ainsi, appuyait brutalement ses mains sur les seins frais et délicats de ces deux charmantes filles ; il les pinçait, il les comprimait violemment, et paraissait prendre un plaisir singulier à redoubler leur douleur morale de tous les petits tourments physiques qu’il infligeait avec volupté.

— Apportez-moi leurs foutus culs, dit-il à l’une des vieilles, mettez les trous à hauteur de mes lèvres ; vous, Durand, sucez-moi : Juliette continuera de me branler dans votre bouche.

Alors il mordit ces deux beaux culs, et laissa l’empreinte de ses dents en plus de douze ou quinze endroits. Passant ensuite sa tête entre les cuisses de Raimonde, il revint la mordre sur le clitoris, avec une telle violence que la pauvre fille s’en évanouit. Enchanté d’un tel effet, il recommence l’épreuve avec Élise ; mais un mouvement de cette belle fille ayant fait manquer le but, le scélérat, n’atteignant que les lèvres du vagin, en emporte un morceau tout sanglant. Quelque maltraitées qu’elles fussent de ces premières attaques, il veut les foutre toutes deux en cet état. L’ordre se donne, on les couche à plat ventre sur un long canapé, leurs têtes au-dessous des cadavres qui tapissent la chambre. Et là, le coquin, servi par Juliette, s’introduisit alternativement de leurs deux cons dans leurs deux culs, pendant l’espace de plus de vingt minutes. Alors, il s’empare d’une poignée de verges, et les ayant fait placer à genoux l’une au-dessous de l’autre, de manière à ce qu’il pût frapper ensemble et les fesses divines d’Élise et les beaux tétons de Raimonde, il fustigea, il martyrisa ces belles chairs, tantôt séparément, et tantôt à la fois, plus d’une demi-heure de suite, pendant qu’une des vieilles, à genoux devant son derrière, lui piquait les fesses, avec une aiguille d’argent. Élise et Raimonde changèrent, afin qu’il pût fouetter les fesses de celle dont il venait de déchirer les tétons, et martyriser le sein de celle dont il venait de molester le cul. Quand tout fut bien en sang, on bassina, on étancha les parties molestées, et Cordelli, bandant comme un furieux, ordonne à l’un des jeunes garçons de s’approcher. Ce délicieux enfant réunissait tous les charmes que peut prodiguer la nature : figure enchanteresse, peau blanche et fine, une jolie bouche, de beaux cheveux, le plus beau cul que l’on puisse voir.

— Comme il ressemble à sa mère ! dit le paillard en le baisant.

— La malheureuse ! qu’est-elle devenue ? dis-je à l’Italien.

— Eh bien ! Juliette, me répondit-il, vous me soupçonnez donc toujours de quelques horreurs ? Vous seriez bien surprise si je la faisais paraître à l’instant.

— Je vous en défie.

— Eh bien ! la voilà, dit Cordelli, nous montrant un des cadavres accrochés au mur ; c’est sa mère, demandez-lui plutôt. Je l’ai dépucelé là, le cher amour, à peine y a-t-il trente-six heures… Oui, là, dans les bras de sa tendre mère ; et peu après, qu’il vous le dise encore… oui, en vérité, sous ses yeux, j’envoyai la maman, par un supplice assez bizarre, où je vais envoyer aujourd’hui monsieur son cher fils, par un qui ne le sera pas moins, je vous le jure…

Et le coquin, pollué par moi, bandait excessivement. Il fait contenir l’enfant par une vieille ; j’humecte, par ses ordres, l’orifice gomorrhéen, je guide le membre ; Durand suce le Ganymède en dessous, et l’Italien encule, en baisant mon derrière. Toujours assez leste… assez maître de lui, pour n’effleurer que le plaisir, sans jamais le laisser échapper, Cordelli, sans perdre de foutre, se retire encore de ce cul.

L’autre jeune homme est amené. Même cérémonie, même économie de sperme ; et le négociant, les faisant mettre l’un sur les reins de l’autre, les étrille tous deux à la fois : de temps en temps, il revient aux vits, il les suce. Enfin, dans un mouvement furieux de lubricité, il mord, d’une manière si terrible, les couilles du premier qu’il a foutu, que l’enfant en perd connaissance. Cordelli, sans y prendre garde, passe ailleurs. On approche de lui l’une des jeunes filles ; ce n’était pas une beauté, mais elle avait quelque chose de si doux, un air de pudeur et d’innocence si intéressant, qu’elle entraînait tous les hommages, sans qu’on pût les lui refuser.

— Pour celle-là, dit Cordelli, elle est bien sûrement pucelle ; mais comme il ne m’est plus possible de bander pour un con, j’ordonne aux vieilles de me la contenir à plat ventre, sur les bords de ce canapé…

Et dès qu’il possède bien en perspective les deux voluptueuses fesses de cette belle enfant, le paillard les moleste, les mord, les pince et les égratigne avec tant de vitesse et de force qu’elles sont en sang dans une minute : le coquin enfile le cul. Croyant avoir acquis, là, suffisamment de forces pour essayer le con, il s’y présente, et son illusion, soutenue par nos attouchements et par nos baisers libertins, principalement par nos derrières offerts à ses caresses, il vient à bout de faire sauter le pucelage. Il se retire tout sanglant pour renfiler sa route favorite, et, après quelques attaques ainsi mélangées, il revient décharger dans le cul d’un des jeunes garçons, qu’à cet effet il a toujours tenu près de lui. On eût dit un éclat de foudre : je crus qu’il allait défoncer la maison. Nous l’entourions ; il baisait mes fesses, une des vieilles le fouettait, Durand le socratisait, Élise lui chatouillait les couilles, il pinçait le cul de Raimonde, il examinait ceux du petit garçon et de la jeune fille, postés en face de lui ; tout, tout concourait enfin à provoquer une décharge dont il était difficile de se peindre l’énergie.

— Oh ! foutre ! dit-il en sortant de là, il va me falloir des horreurs, à présent, pour me remettre en train.

— Eh bien ! nous en ferons, mon ami, nous en ferons, dis-je en consolant son vit, en le suçant, en le pressant, en exprimant avec soin jusqu’à la dernière goutte de sperme127.

Cordelli me sut gré de ces soins. On l’entoure de nouveau pendant que je le suce ; sa bouche se porte sur celle de la jeune fille qu’il vient de dévirginer : on dirait qu’il voudrait lui arracher la langue, à force de la lui sucer. Bientôt, qui le croirait ? par une incroyable bizarrerie, c’est la bouche fétide de l’une des vieilles qu’il veut langotter un quart d’heure ; et le vilain ne la quitte que pour pomper, avec les mêmes délices, celle de l’un des bourreaux qu’il fait approcher de lui. Ce dernier excès le détermine : je commence à sentir les effets du miracle. Cordelli prend une de mes mains et, la portant sur l’instrument de ce scélérat, je suis confondue en voyant que l’outil qu’on me fait empoigner a plus de grosseur que la plus forte partie de mon bras et presque la longueur d’une de mes cuisses.

— Prends ce vit, Juliette, me dit l’Italien, et place-le dans le con de la petite fille que je viens de déflorer ; songe qu’il faut qu’il entre, à quelque prix que ce puisse être.

Sur l’inutilité des premières tentatives, nous fûmes obligés d’attacher la victime ; Cordelli veut qu’elle le soit les quatre membres en bas, et fortement liés au parquet… que les deux trous, surtout, soient bien présentés, afin que si son homme ne peut réussir à se plonger dans l’un, il soit à même de se réfugier aussitôt dans l’autre. Je conduis le glaive ; Cordelli pressait son homme par-derrière ; quelque sec et poilu que fût ce fessier, le paillard le lui langotait à plaisir, et paraissait prêt à le foutre, dès que l’énorme engin de cet agent serait niché où il le voulait. À force d’art, nous réussissons : le vit pénètre dans le con de la jeune fille, et les teintes livides de la mort, répandues sur son front, annoncent l’état affreux de son physique. Cependant, Cordelli, l’œil fixé sur ce singulier mécanisme, ordonne bientôt à son homme de changer de main : j’aide à l’opération ; la nature foulée, pressée vivement de partout, semble se prêter à peu près indifféremment à tout ; cependant, l’anus se déchire, le sang coule, et l’Italien, aux nues, se collant au cul du fouteur, lui rend bientôt tout ce qu’il donne.

Oh, juste ciel ! que de contrastes ! On ne se fait pas d’idée de cette jolie petite mine intéressante et douce, salement baisée par la figure d’homme la plus rébarbative et la plus effrayante qu’il y eut sans doute au monde, flétrissant, de ses rudes moustaches, les lis et les roses du plus beau teint possible, et mêlant d’exécrables blasphèmes aux prières douces et pleines d’onction de l’âme la plus innocente. Que votre imagination, mes amis, se représente, d’une autre part, l’infâme Cordelli préférant, aux beautés qui l’environnent, le cul dégoûtant de ce bourreau ; gamahuchant ce cul avec la même ardeur dont tout autre être eût raisonnablement brûlé pour une jeune et jolie novice ; y introduisant son vit, et commandant enfin à la Durand d’étrangler la victime pendant que son homme déchargera.

Tout a lieu : la malheureuse expire. Et l’Italien, déculant son homme, nous offre un vit sec et mutin, maintenant propre à toutes sortes d’attaques.

— Ah ! me voilà remis, nous dit-il… En voilà donc une de morte ! J’ai été bien sage, mes amis, vous en conviendrez : on ne saurait, je crois, ordonner un supplice moins fort.

Une des vieilles voulut emporter le cadavre…

— Laisse donc, s’écria-t-il, laisse donc cela, bougresse ! Ne sais-tu donc pas que ces perspectives me font bander ?

Et le vilain, collant son visage sur celui de cette malheureuse, ose cueillir d’affreux baisers sur des traits déformés par la mort, et n’offrant plus, au lieu des grâces qui s’y jouaient naguère, que les convulsions de la douleur… que les contorsions du désespoir.

— Durand, dit le négociant, fais rebander cet homme-là ; je veux qu’il me foute pendant que mon vit farfouillera l’un et l’autre orifice de la petite fille qui me reste.

Tout se prépare. Cordelli encule ; il faisait toujours précéder cette épreuve. Son homme le fout sans préparation ; un cul si large en avait-il besoin ? Élise et Raimonde lui font baiser leurs fesses, il manie de droite et de gauche celles des deux petits garçons, dont la Durand et moi suçons les vits. Du cul, Cordelli passe au con, et les objets varient sous ses doigts. Son homme décharge : il appelle l’autre. Celui-ci, pour le moins aussi bien fourni que son camarade, mais plus effrayant encore, s’il est possible, sodomise vigoureusement son maître et lui décharge deux fois dans le cul, et les orgies commencent à prendre une plus sérieuse tournure.

— Allons, sacré bougre de Dieu ! dit notre homme en colère, il me faut des crimes, des horreurs, ce n’est plus qu’à ce prix que j’obtiendrai de nouvelles éjaculations ; et, sur ce point, mon égoïsme est tel, que, dût-il en coûter la vie à tous tant que vous êtes ici, je vous immolerais tous à l’instant pour obtenir une bonne décharge.

— Par qui vas-tu commencer, scélérat ? dis-je alors.

— Par toi… par un autre… par je ne sais qui : que m’importe pourvu que je bande ! Croyez-vous donc qu’il en soit ici dont les jours me soient plus précieux les uns que les autres ! Allons, voyons cette garce-ci ! dit le pendard, en saisissant la tremblante Élise par le sein, et l’entraînant à ses genoux ainsi.

Alors il se fit apporter des tenailles, et pendant que je le branlais, qu’un des bourreaux lui contenait la victime, et qu’on l’entourait de culs, le barbare eut la constance d’arracher brin à brin toute la chair des tétons de cette jeune fille, et d’aplanir si bien sa poitrine, que l’on n’y vit bientôt plus nulle trace des deux boules de neige qui l’embellissaient quelques heures avant.

Cette première opération faite, on lui représente la victime sous une autre forme ; elle est tenue par quatre personnes, les cuisses dans le plus grand écart possible, et le con bien en face de lui…

— Allons, dit l’anthropophage, je vais travailler dans l’atelier du genre humain.

Je le suçais cette fois-ci ; ses tenailles fourragent un quart d’heure, il les enfonce jusqu’à la matrice.

— Qu’on retourne ! s’écrie-t-il avec fureur.

Les plus belles fesses du monde lui sont présentées, son fer cruel s’introduit dans l’anus, et cette délicate partie est traitée avec la même frénésie que l’autre. Et c’est moi, moi, jadis folle de cette belle créature, c’est moi qui, maintenant, excite son assassin à la traiter avec autant de rage et de fureur ! Trop funeste inconséquence des passions, voilà donc où vous nous portez ! Inconnue de moi, j’eusse peut-être éprouvé, pour cette créature, quelques sentiments d’indulgence ; mais il est inouï ce qu’on invente, ce qu’on dit, ce qu’on fait, quand c’est le dégoût qui flétrit les tendres roses de l’amour.

Élise, noyée dans son sang, respirait cependant encore ; Cordelli la considère avec délices dans cette voluptueuse angoisse : le crime aime à jouir de son ouvrage ; tout ce qui l’assure, tout ce qui le contente, devient une jouissance pour lui. Il m’oblige à le branler sur elle ; il imbibe avec volupté son vit du sang que sa main fait couler, et l’achève ensuite à coups de poignard.

Un des jeunes garçons remplace ma tribade. Cordelli fait ouvrir les fenêtres du côté de la mer. On attache l’enfant à une corde que tient une poutre, au moyen de laquelle on le laisse brusquement tomber à cinquante pieds de hauteur. Là, Cordelli lui crie de se préparer, en lui faisant voir qu’armé d’un couteau, il peut, au plus petit mouvement de sa volonté, l’engloutir à jamais dans les flots. L’enfant crie ; je branle Cordelli ; il baise la bouche de Raimonde ; il branle le vit de l’un de ses bourreaux, pendant que l’autre le fout, en lui piquant les fesses. On relève la corde : l’enfant rentre, mais toujours attaché.

— Eh bien ! lui dit le négociant, as-tu eu bien peur ?

— Ah ! je n’en puis plus, mon père ; grâce, grâce ! je vous en conjure !

— Petit jeanfoutre ! dit Cordelli en fureur, apprends que ce mot de père n’a plus de sens à mes oreilles ; je ne l’entends plus : tourne tes fesses, il faut que je te foute avant que de te renvoyer aux poissons… Oui, mon cher fils, aux poissons… voilà ta destinée : tu vois quelle est la force du sang de mon cœur !

Le coquin encule : pendant qu’il fout, on allonge la corde ; la chute sera de deux cents pieds cette fois. Dès que deux ou trois allées et venues paraissent l’avoir satisfait, les bourreaux saisissent l’enfant et le précipitent violemment par la fenêtre, c’est-à-dire à deux cents pieds de haut, distance qu’il n’a pas plus tôt parcourue que la corde, en l’empêchant d’aller plus bas, disloque absolument les membres où elle est arrêtée. On la remonte. Le malheureux, tout brisé, rendait le sang de partout.

— Encore une enculade, dit l’Italien…

— Et puis une cabriole, dit Durand.

— Assurément ; mais la corde que je fais allonger ne le laissera plus cette fois qu’à vingt-cinq pieds de la surface des eaux.

L’enfant refoutu se rejette, se remonte presque mort. Son père le fout pour la dernière fois ; et dès qu’il est à dix pieds de la surface de l’eau :

— Allons, lui crie le féroce Italien, prépare-toi, tu vas mourir.

Pour le coup, la corde se coupe, et c’est dans la mer qu’est enfin plongé ce malheureux.

— Cette passion, dis-je à Cordelli, est une des plus jolies que je connaisse.

— T’échauffe-t-elle, Juliette ?

— Oui, d’honneur !

— Eh bien ! donne-moi ton cul, je vais te foutre ; cela te calmera.

Cordelli me lime un quart d’heure en complotant de nouveaux écarts, et Raimonde est appelée. Son sort est écrit dans les yeux de l’Italien : elle peut aisément l’y voir.

— Oh ! ma chère maîtresse ! me dit-elle en m’embrassant, il est donc décidé que vous allez me livrer à ce monstre ? Moi qui vous aimais tant !…

Des rires furent mes seules réponses. Et les bourreaux ayant présenté cette chère fille, le traître fait précéder quelques caresses ; il palpe et baise toutes les parties charnues, il langotte, chatouille le clitoris, encule, reste dix minutes au fond du derrière, et Raimonde est jetée nue dans une cage de fer remplie de crapauds, de serpents, de couleuvres, de vipères, de chiens enragés et de chats qui jeûnaient depuis quatre jours. On ne se figure ni les cris, ni les contorsions, ni les haut-le-corps de cette malheureuse, sitôt que les animaux l’eurent atteinte ; il était impossible de voir des impressions de douleur d’un genre plus pathétique. Je n’y tins pas ; Durand me branlait bien en face de la cage où foutait Cordelli, sucé par une vieille. En un instant, toutes ces bêtes couvrirent Raimonde, au point qu’on ne la vit bientôt plus. S’attachant aux parties charnues, les fesses et les tétons furent dévorés en peu de minutes. Comme elle ouvrait la bouche en criant, une vipère s’insinua dans son gosier et l’étrangla, malheureusement trop tôt pour nos plaisirs. En ce dernier instant, l’autre bourreau foutait Cordelli, le coquin sodomisait une vieille, en gamahuchant le cul de la seconde, et, maniant mes fesses d’une main, celles de la petite fille qui restait, de l’autre ; et Durand continuait de me branler.

— Oh ! double foutredieu que j’exècre ! s’écria-t-il en se retirant fort vite du cul de la vieille, j’avais cru me mettre à l’abri de la décharge en sodomisant cette gueuse, et m’en voilà tout près.

— Non, non, elle ne partira pas, mon cher, dis-je en courbant son vit la tête contre terre ; tu auras le temps de finir : pensons à autre chose un moment.

— Eh bien ! dit le négociant, comment trouves-tu ce supplice, Juliette ? Je l’ai conçu pour cette garce, du moment que j’ai eu vu son derrière : il me suffit d’examiner cette partie dans une femme pour dicter aussitôt son arrêt de mort. Si tu veux, Juliette, je vais écrire le tien sur tes fesses mêmes…

Et comme il les pinçait vigoureusement en disant cela, je me dégageai lestement, en lui présentant celui du petit garçon qui restait. Il le fixe avec des yeux terribles : c’est celui dont le scélérat a massacré la mère, dont le cadavre embaumé existe encore sous ses regards.

— J’ai demandé, ce me semble, dit cet effrayant libertin, que l’on fit souffrir à ce petit gueux le même supplice par lequel j’ai fait périr madame sa mère, il y a trois jours. Qu’en dis-tu, Juliette ? Voilà quel est ce supplice : il faut d’abord crever les yeux de la victime ; lui couper ensuite toutes les extrémités ; lui casser après les quatre membres, et, définitivement, l’enculer, pendant qu’on l’achève à coups de poignard.

— Et c’est là, dis-je, ce que vous avez fait souffrir à sa mère ?

— Oui.

— Cela me paraît fort bon ; il ne s’agit plus que d’exécuter ; mais j’espère que vous n’oublierez pas et d’arracher les dents et de couper la langue.

— Ah ! foutredieu ! tu as raison, Juliette, répondit Cordelli, je l’avais oublié avec celle qui lui donna le jour ; mais je proteste bien de m’en souvenir avec le fils. Allons, opérez, dit-il à ses bourreaux.

Et, pendant ce temps, c’est mon cul qu’il perfore, en se faisant placer pour perspective celui de la jeune fille dont les tourments doivent suivre ceux-ci. La Durand lui montre le sien sur la droite, et il examine le spectacle à gauche ; les vieilles le fouettent.

On ne se peint point la légèreté avec laquelle ces bourreaux travaillent, et l’on se forme encore moins d’idée de l’excès des douleurs et de la violence des cris de la victime. Quand Cordelli s’aperçoit qu’un seul agent suffit au supplice, il ordonne à l’autre, encore teint de sang, de venir m’enconner, afin de lui rendre meilleure la jouissance de mon cul. Quelque accoutumée que je fusse aux monstrueux engins, celui-là, je l’avoue, ne s’introduisit en moi qu’en occasionnant d’horribles douleurs : j’étais secouée, Dieu sait ! Quoique cet homme fût affreux, les horreurs qu’il venait de commettre, la manière vigoureuse dont il me traitait, les blasphèmes qu’il prononçait, l’épisode sodomite dont me régalait son maître, tout m’entraîna bientôt, et j’inondai de foutre le vit de mon fouteur. Cordelli, comblé d’entendre les cris de ma décharge se mêler à ceux des tourments de son fils, n’y tient pas : son sperme s’écoule malgré lui, et je suis à la fois mouillée des deux côtés. Cependant, le supplice n’était pas fini ; l’exécuteur demande s’il faut suspendre.

— Non, en vérité ! répond l’Italien. Ces gens-là sont bien singuliers, ils s’imaginent toujours qu’on a besoin de bander pour tourmenter une créature ; mais moi, j’agis de sang-froid comme dans la passion : la nature a placé dans mon être le goût du sang, et je n’ai nullement besoin de m’exciter pour en répandre.

On continua. Cependant, pour ne pas laisser languir la scène, je réchauffais son vit dans ma bouche, et la Durand l’excitait par des propos.

— Cordelli, lui dit-elle, la preuve que tu n’es pas assez féroce, c’est qu’il nous reste encore des horreurs à inventer, après toi.

— Prouvez-moi cela.

— Facilement. Je vais, si tu le veux, ordonner moi-même le supplice de la fille qui te reste ; et tu verras, je me flatte, des choses plus fortes que celles qu’enfanta jusqu’ici ta débonnaire imagination.

— Voyons ! dit le négociant.

— Il faut, dit ma compagne, qu’au moyen des instruments que je vois là, vous fassiez enlever délicatement la peau de cette jeune fille. Ainsi écorchée vive, vous la fouetterez avec des épines, vous la frotterez ensuite avec du vinaigre, et vous renouvellerez sept fois cette opération. Arrivé aux nerfs, vous les lui piquerez avec des pointes d’acier rougies, puis vous la plongerez dans un brasier ardent.

— Oh ! foutre, dit Cordelli, quel supplice ! Écoute, Durand, je l’accepte ; mais je t’avertis que je te le fais subir à toi-même s’il ne me fait pas décharger…

— J’y consens.

— Travaillons.

On fait avancer la donzelle. C’était la plus jolie des deux ; cette malheureuse avait la plus belle taille possible, de superbes cheveux blonds, un air de vierge, et des yeux dont Vénus même eût été jalouse. Le cruel Italien veut encore baiser ce charmant petit cul.

— Il faut, dit-il, que je lui rende un dernier hommage, avant que ma barbarie en flétrisse les roses… Qu’il est beau, ce cul, mes amies !…

Et Cordelli, vivement ému des horreurs proposées, passe bientôt des éloges aux actions. La jeune fille est enculée, et, après deux ou trois courses, le vilain veut jouir du plaisir cruel de voir le plus gros des vits de ses bourreaux perforer ce joli petit cul. L’épreuve a lieu, mais ne peut, comme vous croyez bien, réussir qu’aux dépens du déchirement total de l’anus. Cordelli, pendant ce temps-là, sodomisait l’exécuteur ; l’autre s’empare du con de la jeune personne, qui, traitée de cette cruelle manière, nous donne l’image d’une brebis entre deux lions. Le paillard, ne s’en tenant point là, passe du cul de l’un de ses bourreaux dans celui de l’autre, et, se trouvant enfin suffisamment échauffé, il ordonne le commencement du supplice en chargeant Durand de sa direction.

Il est impossible de se représenter les douleurs qu’éprouva cette malheureuse, quand l’Italien la fouetta avec des épines, sur la peau neuve qu’on venait de lui faire en l’écorchant. Mais ce fut bien autre chose, quand on enleva cette seconde, et qu’il fallut fouetter la troisième ; les grincements de dents de cette malheureuse, ses haut-le-corps faisaient le plus grand plaisir à voir. Cordelli, voyant que je me branlais à ce spectacle, vint me chatouiller lui-même ; mais, occupé du supplice de sa victime, il chargea la Durand de ce soin, et mon amie, tout aussi émue que moi, se fit rendre ce qu’elle me prêtait. L’opération fut longue, nous déchargeâmes trois ou quatre fois ; toutes les peaux de cette créature furent enlevées, sans que les organes de la vie fussent encore endommagés. Il n’en fut pas de même lorsqu’on lui attaqua les nerfs avec des pointes d’acier rougies au feu : ses cris redoublèrent de force ; elle était fort lubrique à voir. Cordelli veut l’enculer en cet affreux état ; il en vient à bout, et continue à la percer avec ses fers rouges tout en la sodomisant. L’excès de la douleur absorbe à la fin dans elle tout ce qui la retenait encore à la vie, et la malheureuse expire, en recevant le foutre de son bourreau dans le cul.

Un sérieux glacé caractérise alors tous les traits de sa figure. Il s’habille, fait revêtir ses bourreaux et passe avec eux et les vieilles dans une pièce voisine.

— Où va-t-il ! dis-je à la Durand, avec laquelle cet arrangement me laissa seule.

— Je l’ignore…

— S’il allait maintenant comploter contre nous ?

— Nous le mériterions.

— Pourquoi diable viens-tu chez des gens que tu ne connais pas mieux.

— L’espoir de l’or m’a séduite, il me séduit encore. Je suis persuadée que c’est ici où le coquin cache ses richesses. Si nous pouvions nous en défaire et le voler ? J’ai sur moi de la poudre prompte, ce serait l’affaire d’un instant.

— Ce procédé, ma chère, heurterait nos principes : respectons éternellement le vice et ne frappons que la vertu. En arrêtant la source des crimes de cet homme, nous sauverions la vie à des millions de créatures : le devons-nous ?

— Tu as raison.

Cordelli reparut, suivi de son escorte.

— D’où viens-tu ? lui dit la Durand… De te livrer, je le parie, à quelque infamie secrète que tu nous caches ?

— Vous vous trompez, répondit l’Italien en ouvrant une porte qui communiquait de la pièce où nous étions dans celle où il avait pénétré par l’extérieur ; tenez, continua-t-il, en nous faisant voir un oratoire orné de tous les attributs de la religion, voilà d’où je viens. Quand on a, comme moi, le malheur de se livrer à d’aussi terribles passions que celles qui m’entraînent, il faut bien apaiser au moins, par quelques bonnes œuvres, la colère qu’elles doivent inspirer à Dieu.

— Tu as raison, dis-je, laisse-nous imiter ton exemple. Durand, suis-moi, allons demander pardon à Dieu des crimes que cet homme nous a fait commettre.

Et, tirant la porte, nous nous enfermâmes dans l’oratoire.

— Oh ! pour le coup, dis-je promptement à mon amie que je n’avais emmenée là que pour lui parler à l’aise, pour le coup, mes idées changent, et cet imbécile fanatique ne mérite que la mort : n’ayons nul regret au fil criminel que nous coupons en lui arrachant la vie. Avec une âme timorée comme celle de ce bougre-là, on ne parcourt pas longtemps la carrière du vice ; ce seraient peut-être ici ses dernières expéditions : agissons donc sans scrupule.

— Rien de plus aisé, me dit Durand, que de nous défaire de tous ces gens-là, à l’exception d’une des vieilles qu’il faut conserver pour nous montrer le local. Va, sois certaine que c’est ici où ce négociant cache ses trésors, et que notre moisson sera bonne.

— Mais ses gens qui viennent le reprendre ce soir ?

— Nous les ferons boire, et nous nous en déferons de même.

Nous rentrâmes.

— Nous voilà aussi saintes que toi, dîmes-nous, mais, de grâce, fais-nous rafraîchir, nous mourons de soif.

Aussitôt, sur un ordre donné par Cordelli, les deux vieilles servent un assez bon repas que partagent le maître et ses acolytes. Au troisième verre de vin, Durand glisse adroitement la poudre, d’abord à Cordelli, et successivement aux deux autres ; il n’y eut pas moyen d’en donner aux vieilles : elles ne touchèrent à rien. En un instant, la poudre produisit tout l’effet que nous en attendions, et nos trois scélérats tombent à terre comme des sacs. Durand, alors, sauta sur la plus agile des vieilles :

— Va, lui dit-elle, en lui enfonçant un couteau dans le cœur, va rejoindre tes indignes complices ; si ton maître n’eût été qu’un roué comme nous, il était pardonné, mais dès qu’il croit en Dieu, je veux qu’il aille au diable. Pour toi, dit la Durand à l’autre, si nous te laissons la vie, c’est sous la condition expresse de nous aider d’abord à jeter ces cadavres à la mer, et de nous enseigner ensuite tous les détours, toutes les cachettes et toutes les chambres du château. Il doit y avoir des trésors, il nous les faut. Commence par nous dire s’il y a d’autres êtres ici que nous.

— Maintenant ? Non, mesdames, nous répondit la vieille en tremblant, il n’y a plus que moi de domestique dans la maison.

— Que veux-tu dire par là : y aurait-il donc d’autres maîtres ?

— Je crois, nous dit la vieille, qu’il y a encore quelques victimes ; au reste, promettez-moi la vie, je vais vous mener partout.

Nous nous débarrassâmes d’abord des cadavres. Et, tout en agissant :

— Ton maître, dîmes-nous, venait-il souvent à cette maison ?

— Trois fois par semaine.

— Et d’affreux massacres à chaque visite ?

— Vous l’avez vu. Venez, poursuivit cette femme, quand notre première opération fut faite, je vais vous mener dans les cachots, vous y trouverez encore du gibier.

C’était là, qu’à plus de cent pieds sous terre, le scélérat enfermait et cachait ses victimes. Toutes étaient dans des prisons séparées, et sur douze de ces chambres, nous en trouvâmes neuf remplies ; cinq contenaient de très jolies filles d’environ quinze à dix-huit ans ; quatre garçons de treize à seize ans occupaient le reste ; toutes ces victimes avaient été débauchées et enlevées dans différentes villes d’Italie ; deux de ces filles, l’une de seize ans, l’autre de dix-huit ans, étaient de Raguse, en Albanie : il était difficile de voir de plus belles créatures.

Au moment où nous les examinions, nous crûmes entendre quelque bruit au bas de l’escalier du château ; nous volons nous éclaircir de la cause de cet événement : c’était le retour de nos gens et de ceux de l’Italien. Nous commençâmes par faire venir ces derniers, au nombre de trois, et les ayant fait boire dans la salle où étaient encore les restes de notre repas, au moyen de notre poudre prompte, nous les avons bientôt mis au rang de leur maître. Redescendant alors pour parler aux nôtres :

— Retournez à la ville, dîmes-nous, nous voulons passer encore vingt-quatre heures ici ; Cordelli garde ses gens, c’est tout ce qu’il nous faut.

Et la voiture repartit. Nous retournâmes examiner les victimes :

— Durand, dis-je, je prends ces deux Albanaises pour moi, elles me dédommageront d’Élise et de Raimonde ; et je réponds aux signes de mécontentement que j’aperçois déjà sur ta figure, je réponds, dis-je, que je les sacrifierai, dès que tu le voudras, avec la même facilité que j’ai fait des autres.

— Il te faut donc toujours des femmes ?

— Il m’est impossible de m’en passer, mais il ne me faut qu’un cœur, et c’est du tien seul que je veux faire à jamais mon unique trésor.

— Flatteuse, il faut céder à tout ce que tu veux !

Lila (c’était celle de seize ans) et Rosalba furent donc aussitôt relâchées et mises néanmoins sous clef dans une des meilleures chambres du château. Il y avait déjà huit jours que ces pauvres filles étaient reléguées dans ces cachots malsains, mal nourries, couchées sur la paille, et l’on s’apercevait du malaise que leur faisait éprouver leur détention. Toutes deux s’effrayaient encore, mais quand je les eus baisées, caressées, leurs larmes coulèrent, et elles m’accablèrent d’amitiés. Elles étaient sœurs et filles d’un riche négociant de Raguse, avec lequel Cordelli se trouvait en correspondance ; il avait persuadé à leur père de les faire élever à Venise, et le scélérat semait le bruit de leur mort, afin de s’en emparer.

— Je vais imiter ton exemple, dit la Durand, et prendre aussi une de ces jeunes filles.

— Oh ! j’y consens, chère amie, va, sois bien sûre que je ne serai jamais jalouse de ces choses-là.

— Monstre ! dit Durand, plus délicate que toi, je ne veux pas que rien me distraie de ta chère idée.

— Cesse donc, mon amour, cesse donc, répondis-je, de prendre les plaisirs charnels pour des distractions morales. Je t’ai déjà dit que mes systèmes, différents des tiens, étaient inébranlables ; que je saurai foutre et me branler avec toute la terre, sans être un instant distraite du tendre sentiment que je t’ai juré pour la vie.

Nous fîmes placer les trois autres filles et les quatre garçons dans la salle des supplices, et après nous en être amusées la moitié du jour, nous raffinâmes les horreurs commises par Cordelli, et fîmes périr ces sept créatures dans des tourments mille fois plus cruels encore. Cela fait, nous dormîmes deux heures, et poursuivîmes nos recherches.

— Je ne sais pas positivement le lieu où il garde son argent, nous dit la vieille, j’ignore même s’il en a ici ; mais s’il en existe, ce doit être dans une cave voisine de celle où l’on met le vin.

Nous descendîmes. Deux énormes portes d’airain formaient la clôture de ces caveaux, et nous n’avions pas d’outil pour les enfoncer. Plus nous trouvions de difficultés, plus augmentait, suivant l’usage, le désir que nous avions de les vaincre. À force de tourner, nous découvrîmes une petite fenêtre qui donnait dans ce caveau, et que deux seuls barreaux garantissaient. Notre premier mouvement fut de nous élancer pour voir à travers. Là, six grands coffres s’offrirent à notre vue : vous imaginez comme cet aspect redoubla notre zèle. Enfin, après des peines infinies, nous parvenons à déraciner ces barreaux. Je m’élance la première ; j’ouvre un de ces coffres avec une incroyable agitation. Mais, hélas ! combien notre joie est courte en voyant que ces bahuts immenses ne contiennent que des instruments de supplices ou des hardes de femmes. J’allais, de rage, abandonner l’opération, lorsque Durand me dit :

— Cherchons bien, je ne puis m’ôter de la tête qu’il n’y ait autre chose là-dedans.

Je fouille ; mes mains tombent sur un paquet de clefs, dont l’une porte pour étiquette : Clef du trésor.

— Oh ! ma chère Durand ! m’écriai-je, ne cherchons plus ici ; voilà la preuve que l’objet de nos vœux n’est pas dans ce caveau. Hélas ! nous avions d’abord trouvé des portes sans clefs, voilà maintenant des clefs sans portes. Dona Maria, sais-tu quelque chose ? Dis-le-nous, ta fortune est faite !

— Vous me mettriez entre la mort et des millions que je ne vous en dirais pas davantage, répondit la vieille.

— Cherchons, nous trouverons peut-être.

— Allez, dit la Durand, me chercher une baguette de ce coudrier que j’ai vu dans la cour.

Dès que mon amie l’a reçue, elle se livre à l’impression de cette baguette, d’abord immobile en ses mains. Elle monte. Un secret mouvement l’avertit de tourner à gauche ; elle suit une longue galerie, au bout de laquelle une nouvelle porte de fer se présente à nous. J’essaie à l’instant les clefs ; elles ouvrent ; la baguette tourne alors dans les mains de Durand avec une incroyable rapidité. Dix énormes caisses étaient dans cette chambre, et, certes, ce n’étaient ici ni des vêtements de femmes, ni des instruments de supplices, mais de belles et bonnes pièces d’or, dont il y avait pour plusieurs millions.

— Allons, dis-je, pleine de courage et de joie, il ne s’agit plus que d’emporter.

Comment faire pour y réussir ? Se confier aux domestiques était dangereux : on ne pouvait descendre ces caisses, il fallait les vider. Dans cette fatale alternative, nous préférâmes d’emporter moins et d’emporter plus sûrement. La vieille, les deux jeunes filles, la Durand et moi, nous nous chargeâmes à outrance, et nous ne cessâmes, huit jours de suite, de faire des voyages. Nous répandions, pendant ce temps-là, que Cordelli passerait le mois à la campagne ; qu’il nous avait chargées de lui aller journellement tenir compagnie ; et, sous main, nous frétions une felouque pour Venise. Le neuvième jour au matin, nous en profitâmes, après avoir jeté la vieille dans un des puits du château, la dernière fois que nous y fûmes, afin d’enterrer notre secret avec elle.

Le temps de notre traversée fut superbe, les soins de nos femmes excessifs, la chère excellente : nous arrivâmes à Venise, point trop fatiguées d’une mer calme et tranquille, sur les côtes de laquelle nous n’avions jamais cessé d’être.

C’est, sans contredit, un spectacle aussi magnifique qu’imposant que celui d’une ville immense flottant au milieu des eaux ; il semble, comme Grécourt le dit quelque part, que la sodomie ait choisi là son saint asile, afin d’éteindre aussitôt, dans la mer, les bûchers dont le fanatisme voudrait la punir : il est certain qu’elle gît là comme dans son temple, et qu’il est bien peu de villes en Italie où elle règne avec plus d’empire.

L’air qu’on respire à Venise est mou, efféminé, il invite au plaisir, quoique souvent peu sain, surtout quand la marée est basse. Alors, les gens riches vont le plus qu’ils peuvent dans les campagnes riantes qu’ils possèdent en terre ferme ou dans les îles voisines de la ville. Malgré cette mauvaise qualité de l’air, on y voit cependant beaucoup de vieillards, et les femmes s’y flétrissent moins vite qu’ailleurs.

Les Vénitiens sont communément grands et bien faits, leur physionomie est gaie, spirituelle, et cette nation bien connue mérite d’être aimée.

Dès les premiers jours de notre arrivée dans Venise, je m’occupai de placer les sommes que je venais de me procurer nouvellement ; et malgré les instances de la Durand pour que je gardasse tout, je voulus absolument partager. Nos lots nous formèrent à peu près un million cinq cent milles livres de rente chacune, ce qui, réuni à ce que j’avais déjà, me composait un revenu de six millions six cent mille livres à manger par an. Mais craignant de paraître suspectes à Venise avec une fortune aussi considérable, nous prîmes tous les moyens nécessaires à persuader que le luxe que nous affections n’était le résultat que du produit de nos charmes et de nos connaissances dans l’art de la magie et dans l’effet des simples. Nous recevions en conséquence, chez nous, toutes les personnes de l’un et l’autre sexe, qui désiraient des voluptés ou des instructions. La Durand avait fait exécuter, d’après cela, un laboratoire et un cabinet à machines, à peu près dans le goût de celui qu’elle avait à Paris. On y voyait des trappes, des coulisses, des boudoirs, des cachots et tout ce qui peut en imposer aux yeux et à l’imagination. Nous primes de vieilles servantes, promptement dressées à toutes ces manœuvres ; et nos deux jeunes filles eurent ordre de se prêter avec autant de complaisance que de soumission à tout ce qui devait servir et l’un et l’autre de nos projets. Vous vous souvenez qu’elles étaient vierges ; cette raison, jointe à tout ce que nous devions attendre de leur charmante figure et de leur jeunesse, devait, à toute sorte de titres, nous faire espérer que ces deux petites terres seraient d’un grand rapport, quand une fois elles seraient défrichées. Je devais d’ailleurs me joindre à elles et reprendre là tous les premiers exercices de bordel que vous m’avez vue pratiquer à Paris, lorsque je me jetai dans la carrière, ce qu’assurément je ne faisais ici que par libertinage, d’après le bien immense dont vous voyez que je jouissais.

Le premier individu qui se présenta chez nous fut un vieux procurateur de Saint-Marc qui, nous ayant bien examinées toutes les trois, me fit l’honneur de me présenter le mouchoir.

— Peut-être, me dit-il délicatement, mon goût me porterait-il à choisir une de vos pucelles, mais mon impuissance prononcée ne me permettrait pas de jouir des voluptés qu’elle m’offrirait. Je serai, sans doute, plus à l’aise avec toi, et je vais t’expliquer de quoi il s’agit. Tu auras, me dit le vilain, la bonté de m’avertir du jour où tes règles seront les plus abondantes. Couchée sur un lit, les cuisses très écartées, je m’agenouillerai devant toi, je te gamahucherai le con, je m’enivrerai de ces menstrues que j’adore : et quand je me serai bien mis en train en les dévorant, je terminerai le sacrifice au temple même que je viendrai d’encenser, pendant qu’une de tes domestiques (il faut absolument que l’individu que je te demande soit de cet état), pendant, dis-je, qu’une de tes servantes aura la complaisance de m’étriller à tour de bras.

— Seigneur vénitien, répondis-je, votre sérénité a-t-elle envie de recommencer souvent cette scène libidineuse, ou n’est-ce que pour une fois ?

— Ce n’est que pour une fois, me répondit le procurateur ; quelque belle que vous soyez, mon ange, il m’est impossible de revoir une femme quand elle a satisfait avec moi cette passion.

— Eh bien, Excellence, lui dis-je, avec le souper (car il est de règle dans notre maison que jamais un cavalier comme vous ne s’amuse sans nous faire l’honneur de souper), avec le repas, dis-je, et la fouetteuse, cela vous coûtera cinq cents sequins.

— Vous êtes chère, mademoiselle, me dit le procurateur en se levant ; mais vous êtes jolie, et tant que vous serez jeune, vous aurez raison de vous faire valoir… Quel jour faut-il que je vienne ?

— Demain : ce que vous aimez commence aujourd’hui, et demain l’orage.

— Je serai très exact, me répondit le procurateur…

Et ayant, dès le lendemain, satisfait à sa dégoûtante passion, l’ayant fait étriller à tour de bras avec un nerf de bœuf, je reçus son dégoûtant hommage, dont j’eus la fausseté de lui faire croire que je faisais le plus grand cas. Je palpai, en plus des cinq cents sequins, un diamant qui valait bien au moins le double, et dont le vieux coquin me fit présent pour me prouver à quel point il était satisfait de mes bonnes manières.

Un négociant fort riche, nommé Raimondi, parut ensuite.

— Mon cœur, me dit-il en examinant mes fesses, votre cul est-il intact ?

— Assurément, monsieur.

— Ma fille, continua-t-il en écartant, vous me trompez : ce n’est pas un homme qui a une aussi grande habitude des culs, auquel il est possible d’en imposer.

— Eh bien ! monsieur, je ne vous cacherai rien : une ou deux fois, d’honneur, et pas davantage…

Et Raimondi, sans répondre, enfonça sa langue au trou de mon cul. Il me fit relever ; il était en feu.

— Écoutez, me dit-il, je vais vous expliquer ma passion : rien de fait, si elle ne vous convient pas. Tout mon plaisir consiste à voir foutre, c’est cela seul qui me met en train ; je serais absolument nul si je ne m’enflammais au spectacle des jouissances d’autrui. Vous me fournirez six beaux hommes qui vous enconneront tour à tour sous mes yeux : je m’amuse avec eux pendant qu’ils vous foutent, et sitôt qu’ils vous ont déchargé dans le con, j’avale avec grand soin le foutre qu’ils vous ont lancé dans le vagin ; votre art doit consister à faire l’impossible pour me le rendre dans la bouche. Cette opération finie, vous m’offrez le derrière : je vous sodomise, pendant que vos six hommes m’enculent tour à tour. Dès que le sixième a déchargé, je sors de votre cul, je m’étends sur un lit ; vous vous posez à califourchon sur moi, et vous me chiez dans la bouche, pendant qu’un des hommes vous gamahuche le con, qu’un second vous enfonce la langue dans la bouche, que le troisième se branle devant moi, que le quatrième me suce le vit et que j’en branle un de chaque main. Aussitôt que votre étron part, je le mange ; cela fait, je me relève ; vous prenez mon vit dans votre bouche, vous me sucez exactement ; tous les hommes alors viennent, l’un après l’autre, chier dans la mienne ; j’avale leur merde, vous avalez mon foutre, et voilà le dénouement de la scène. Mais prenez garde, mon cœur, poursuivit le Vénitien. Trois écueils terribles s’offrent à vous dans cet arrangement : celui où, quelques efforts que vous fassiez, il vous devienne impossible de me lancer dans la bouche le sperme que vous auriez reçu dans le con ; celui où vous n’avaleriez pas le mien, et celui où vous ne pourriez pas chier. Or, il est bon que vous sachiez que chacun de ces crimes est puni par cent coups de fouet, que je vous fais appliquer devant moi par un des six hommes : de manière qu’en manquant de me rendre les six inondations, et en refusant d’avaler mon foutre, et en ne chiant point, c’est huit cents coups de fouet que vous avez mérités ; cent, si vous n’avez commis qu’une de ces fautes : ainsi du reste.

— Monsieur, dis-je à Raimondi, votre passion n’est pas d’une exécution très facile, il y a de grands dangers à courir. J’imagine donc qu’en me chargeant de tous les accessoires, deux mille sequins ne sont pas trop.

— Ta beauté me décide, et je consens à tout, dit le négociant.

Nous primes jour, et le surlendemain je le satisfis.

La Durand m’appela, quelque temps après, pour un noble dont la manie n’était pas tout à fait aussi dangereuse.

Mon amie le branlait, il léchait, pendant ce temps-là, mes narines, le tour et le dedans de mes oreilles, ma bouche, mes yeux, le clitoris, l’intérieur du con, le trou du cul, les entre-deux des doigts de pieds et les aisselles. Au bout d’une heure de cette cérémonie, il finissait par se faire sucer le vit et me décharger dans la bouche. La Durand m’avait prévenue huit jours d’avance, afin que je ne lavasse aucune de ces parties, la crise de ce libertin devant être mieux ou plus mal provoquée, en raison du degré de saleté dans lequel il les trouverait.

Ils s’avertissaient tous, et nous ne manquions pas de pratiques. Il en vint un qui conduisait avec lui deux négresses. Il fallait que, nue entre ces deux femmes, j’eusse la complaisance de me laisser branler par elles : le contraste du blanc au noir commençait d’abord par le mettre en train. Dès qu’il y fut, il se mit à fouetter les négresses jusqu’au sang, pendant que je le suçais ; il m’étrilla ensuite à mon tour. Déchiré par les négresses qui le houspillaient, tantôt avec des martinets à pointes de fer, tantôt avec des nerfs de bœuf, il finit par m’enculer, pendant qu’une des femmes noires le sodomisait lui-même avec un godemiché et qu’il molestait le cul de la seconde. Je volai à celui-là un diamant superbe, tout en lui suçant le vit, et j’exigeai encore de lui mille sequins pour une partie aussi extraordinaire.

Il en parut un plus singulier. Il fallait le lier nu sur une échelle double ; deux de nos servantes l’étrillaient à tour de bras ; la Durand le suçait. Huchée sur le haut de l’échelle, je lui chiais sur le nez. Quand il banda, nous le fîmes mettre à genoux, nous lui fîmes son procès, nous l’interrogeâmes, nous le condamnâmes à être rompu. Tous les instruments étaient là ; mais la barre était de carton. Durand le lia sur la croix ; je frappai, il déchargea sous les coups, nous donna cinq cents sequins et s’enfuit, tout honteux de nous avoir mises dans la confidence d’une aussi bizarre fantaisie.

Enfin, nos pucelles furent en scène. Nous vendîmes dix fois le pucelage du con de Rosalba, trente fois celui de son cul ; vingt-deux fois celui du con de Lila, trente-six fois l’autre. Et, après avoir retiré plus de six cent mille francs de ces quadruples prémices, nous les livrâmes au bras séculier.

L’ambassadeur de France m’écrivit un jour de me rendre chez lui avec une des plus jolies filles qu’il me serait possible de trouver. Je lui conduis une enfant de seize ans, plus belle que l’Amour, et qui, enlevée au sein de sa famille qu’elle ne devait plus revoir, m’avait coûté excessivement cher. Monseigneur nous fait déshabiller toutes les deux dans un petit cabinet situé au plus haut degré de sa maison ; une espèce de trou profond, et que l’on eût pris pour un puits, se trouvait au milieu de cette pièce. L’ambassadeur nous courbe toutes deux sur le bord, comme pour nous en faire voir la profondeur, et s’amuse à observer nos fesses bien à sa portée par cette posture.

— Si je vous précipitais toutes les deux là-dedans, dit le paillard, qu’en arriverait-il ?

— Bien peu d’inconvénients, si nous tombions sur de bons matelas.

— C’est dans les enfers que vous tomberez, gueuses : ce que vous voyez est la bouche du Tartare…

Et en même temps, pour nous effrayer, des flammes sortent de cet antre obscur et nous repoussent.

— Ainsi, ce sera donc là notre tombeau ?

— Je le crains, et vois votre sentence écrite sur vos culs…

Il nous les baisait, nous les pinçait en disant cela ; et celui de la jeune personne que je lui avais amenée était surtout le plus molesté : il le mordait et le piquait avec une aiguille. Cependant, rien ne paraissait encore, et quoique par ses ordres je le secouasse de toutes mes forces, il n’y avait pas même encore la plus légère apparence d’érection…

— Oh ! foutre, dit ce libertin en empoignant ma compagne et l’enlevant de terre, oh ! sacredieu, quel plaisir de précipiter cela dans les flammes !

L’effet suit de près la menace, et sitôt que, par mes soins, le vit du paillard bande, d’un élan vigoureux la jeune fille est à l’instant élancée dans le trou…

— Branle !… branle !… branle donc, foutue garce ! s’écria-t-il en voyant sortir les flammes que détermine la chute du corps qu’on vient de lancer.

Puis, s’armant d’un poignard à l’instant où sa décharge est prête à partir, il se précipite lui-même dans le trou pour y poignarder sa victime dont les cris m’annoncent la mort.

Je ne le revis plus ; une vieille femme me paya, me recommanda le silence, et nous n’avons jamais entendu parler de ce seigneur.

Les femmes parurent bientôt. Je m’étonnais avec Durand de n’avoir encore entendu parler d’aucune, lorsque signora Zanetti, l’une des femmes les plus riches et les plus débordées de Venise, me fit inviter à l’aller voir. Cette créature, âgée de trente-cinq ans, me donna sur-le-champ l’idée de ces belles Romaines dont les sculpteurs nous ont conservé les traits. Quelle céleste figure ! C’était celle de Vénus elle-même, c’était sa taille, c’était la réunion complète de toutes ses grâces.

— Je vous rencontrai l’autre jour à l’église de la Salute, me dit cette charmante femme. Vous y alliez sans doute, comme moi, pour y découvrir quelque objet de lubricité ; car je vous crois trop d’esprit pour qu’un autre objet que celui-là vous conduise en de pareils lieux. C’est l’usage ici : les églises nous servent de bordels… Savez-vous que vous êtes très jolie, mon ange ?… Aimez-vous les femmes ?

— Peut-on ne pas aimer ce qui vous ressemble ?

— Ah ! voilà de la galanterie française ! Dix ans de séjour que j’ai fait à Paris m’ont appris ce jargon. Je vous prie de me dire franchement si vous aimez les femmes, et si vous aurez du plaisir à vous branler avec moi ?…

— Ah ! je vous le jure…

Et pour que mes actions prouvent mes paroles, je m’élance au cou de la belle Vénitienne et lui suce la bouche un quart d’heure.

— Tu es charmante, mon ange, me dit-elle en me prenant la gorge, et je vais passer de délicieux instants avec toi.

Nous soupâmes, et les voluptés les plus piquantes couronnèrent cette libidineuse soirée. Zanetti, la plus libertine des femmes, possédait mieux que qui que ce fût l’art de leur donner du plaisir ; je n’avais de mes jours été si bien branlée. Quand nous eûmes déchargé cinq ou six fois chacune, que nous nous fûmes léchées, sucées, foutues avec des godemichés, que nous eûmes épuisé enfin toutes les ressources les plus raffinées du saphotisme :

— Foutons maintenant, me dit ma tribade.

Elle sonne.

— Ai-je des hommes, là ? demanda-t-elle à sa femme de chambre, jeune fille de dix-huit ans, belle comme le jour.

— Oui, madame, lui répondit celle-ci, il y en a dix, là, qui attendent vos ordres ; n’imaginant pas que madame eût besoin d’eux ce soir, ils allaient se retirer désolés, car ils sont bien en train.

— Est-ce que tu les as maniés, bougresse ? dit la belle Vénitienne.

— Oui, madame, j’en ai touché quelques-uns, mais je ne les ai pas fait décharger ; madame peut s’en convaincre.

— Allons, amène-les-moi, coquine, je veux en régaler ma nouvelle amie.

Rosetti arrive aussitôt avec les dix jeunes gens, qui me parurent d’une taille et d’une figure enchanteresses. En un clin d’œil, la soubrette et la maîtresse mettent ces armes en état ; et je me vois à l’instant menacée de dix vits dont mes mains eussent à peine empoigné le plus mince.

— Eh bien ! me dit Zanetti, toute nue… échevelée comme une bacchante, c’est pour toi cette fête : où veux-tu que posent ces vits ?

— Oh ! foutre, m’écriai-je, étourdie de ce spectacle, mets-les partout… partout.

— Non, me dit-elle, il faut désirer le plaisir : contente-toi de te les faire mettre dans le con, cette première tournée : cela t’échauffera, tu désireras le reste ; et laisse-nous faire.

En même temps, Rosetti se déshabille ; toutes deux soutiennent, à coups de poignet, l’état brillant de nos athlètes ; et ma belle amie me les introduit l’un après l’autre dans le con. Dès qu’ils y sont, la garce se couche sur moi à la renverse, met son con sur ma bouche et vient me sucer le clitoris, pendant que deux jeunes gens l’enculent, et que la soubrette enfonce le vit d’un troisième dans le cul de celui qui me fout.

On n’a pas d’idée des plaisirs que cette première séance me fit goûter. Quand tous les dix m’eurent ainsi passé sur le corps, je présente les feues : on m’encule ; j’avais le con sucé par Zanetti, agenouillée contre un lit, et qui branlait un vit de chaque main. On sodomisait mon fouteur, et je suçais le con de Rosetti, qui branlait deux vits sur sa motte, de manière à ce que je pusse, alternativement, ou sucer son con ou pomper les vits qu’elle masturbait. Quand tous les engins m’eurent ainsi passé dans le cul, nous ne formâmes plus qu’un seul groupe. Je me couche à plat dos sur un homme qui m’encule ; un autre m’enconne ; de ma main droite, je facilite l’introduction du vit d’un homme dans le cul de Zanetti qui, couchée sur un autre, recevait un vit dans son con ; de ma gauche, j’en faisais autant à Rosetti, également foutue par-devant et par-derrière. Un homme enculait celui dont j’étais sodomisée, et nous en avions chacune un dans la bouche.

— Il y a encore de la place pour deux, dit Zanetti ; tu vois que ceux qui sodomisent, et ma femme de chambre et moi, pourraient, sans surcharger le tableau, avoir chacun un vit dans le derrière. On peut donc faire un groupe de quinze, et si ces groupes imitent le nôtre, tu vois qu’ils seront délicieux.

Mais anéantie, ivre de volupté, je ne répondis qu’à coups de cul ; et le délire nous saisissant tous à la fois, ce fut au milieu d’un torrent de foutre que nous éteignîmes… ou plutôt que nous endormîmes un instant notre dévorante lubricité.

Toutes les mêmes postures s’exécutèrent sur Zanetti, et ne jouant plus que le second rôle, j’eus le plaisir alors de m’embraser aux indicibles lubricités de cette coquine. Ni Sapho, ni Messaline, n’y faisaient œuvre : c’était un déraisonnement… un décousement d’idées… un dévergondage… une série de blasphèmes si énergiques, des soupirs si brûlants… des cris si prodigieux à l’instant de la crise ! Oh ! non, je le répète, jamais Vénus n’eut une plus fidèle prosélyte… jamais délire ne fut semblable… jamais putain plus débordée.

La coquine ne s’en tint pas là ; il fallut boire, après avoir foutu ; nous nous achevâmes ; la soubrette se mit à table avec nous, mais les hommes furent congédiés ; et quand nous fûmes toutes trois hors de raison, nous nous remîmes à nous branler comme des garces, jusqu’à ce que l’astre des cieux, venant éclairer nos saturnales, nous contraignît enfin à les suspendre, pour retrouver dans un peu plus de repos les forces nécessaires à recommencer.

Quelques jours après, cette charmante femme vint me voir. Je lui avais, disait-elle, absolument tourné la tête, elle ne pouvait plus se passer de moi.

— À présent que nous nous connaissons mieux, chère amie, me dit-elle, il faut que je t’avoue tous mes penchants. Je suis pleine de vice, et comme on dit que tu as beaucoup de philosophie dans l’esprit, je viens te supplier de tranquilliser ma conscience.

— Et quels sont, cher amour, m’empressai-je de dire, les vices que tu chéris le plus ? Quels sont ceux où tu te livres avec le plus de plaisir ?

— Le vol. Rien ne m’amuse comme de dérober le bien des autres ; et quoique j’aie plus de cent mille livres de rente, il n’est pas un seul jour dans ma vie où je ne vole par goût.

— Console-toi, cher amour, dis-je, en tendant la main à mon amie, et vois dans celle que tu aimes une des plus grandes zélatrices de cette passion. Assurément, je puis m’en passer comme toi, et comme toi j’aime à m’y livrer… Que dis-je ? j’en fais, à ton exemple, un des plus doux amusements de ma vie. Le vol est d’institution naturelle, ma chère ; non seulement ce n’est point un mal, mais il est constant que c’est même un bien. Au reste, je vois avec plaisir, ma chère amie, poursuivis-je en embrassant ma nouvelle amie, que tes principes ne sont pas très scrupuleux en morale.

— On ne saurait être plus ferme que moi sur tous ces objets, me répondit l’aimable Vénitienne. Entraînée par ma tête à mille infamies, il n’est rien que je ne me permette, toutes les fois que mes passions parlent.

— Quoi ! dis-je, jusqu’au meurtre ?

— Jusqu’au parricide, jusqu’au crime le plus effrayant, s’il en existait chez les hommes.

— Ah ! sacredieu, dis-je à mon amie, baise mille et mille fois celle qui te ressemble aussi bien, et juge-moi digne de toi.

— Eh bien ! me dit Zanetti, puisque tu t’ouvres de cette manière, je vais, de même, te parler avec confiance ; écoute, ne t’effraie pas, et jure-moi de ne rien révéler de tout ce que je vais te dire.

Je fis le serment qu’exigeait mon amie, et voici ce que j’appris d’elle.

— Tu sais que je suis veuve, Juliette, et par conséquent maîtresse absolue de mes actions. Ne me demande point comment j’ai eu cette liberté… et devine, sans me faire rougir de l’aveu, qu’elle est le fruit du crime.

— Est-ce ta main qui l’a commis ?

— Non. Je fis assassiner ce triste ennemi de mes plaisirs : à Venise, avec quelques sequins, on brise aisément tous ses nœuds.

— Il valait mieux le faire toi-même : un trait de ressemblance de plus, en ce cas, nous eût réunies.

— Oh, dieux ! je t’adore, chère âme ! Comme il est bien fait de se défaire de ces coquins-là, quand ils veulent nous gêner. Et quel droit ont-ils donc à notre liberté, pour oser la contraindre ainsi ? Qu’on nous accorde le divorce, et l’uxoricide sera moins connu.

Quoi qu’il en soit, il faut que tu saches, ma chère, qu’il existe à Venise une célèbre association de scélérats, dont l’unique métier est de voler, de filouter, d’escroquer, et d’assassiner, au besoin, tous ceux qui leur résistent. Les fils de cette association s’étendent à plus de trente ou quarante milles d’ici, et tous correspondent chez le nommé Moberti, directeur en chef de cette troupe. Or, ce Moberti, ma chère, est mon amant ; je suis folle de lui : il est impossible d’avoir pour aucun homme les sentiments que j’ai pour celui-là. Et cependant, ma chère, en le voyant, tu t’étonneras sans doute de ma passion pour lui ; mais lorsque tu le connaîtras, tu cesseras de te surprendre, et tu concevras alors qu’il est possible d’aimer un homme pour ses goûts, ses passions, le genre de son esprit, plus que pour les agréments physiques de sa personne.

Moberti a cinquante-quatre ans ; il est roux comme Judas ; ses yeux sont chassieux et petits ; sa bouche large et mal garnie ; son nez et ses lèvres à la manière des nègres ; il est petit, mal fait, mais doué, malgré cela, d’un instrument si prodigieux que, malgré l’extrême habitude que j’ai d’être enculée, il m’écorche, chaque fois qu’il me sodomise… seule et unique façon dont il jouisse de moi. Voilà, ma chère amie, le physique singulier de l’homme dont je raffole, quoique je lui fasse cent infidélités par jour ; mais il me les permet ; il sait que je ne puis m’en passer ; et si je lui en tolère, de mon côté, en lui fournissant le gibier qu’il aime, il me permet, du sien, de foutre, si je veux, avec toute la terre. Aucune jalousie de part ni d’autre : c’est presque ce qu’on pourrait appeler une union morale. Moberti a l’esprit qui me plaît ; c’est un désordre d’imagination si piquant, un libertinage si atroce, une férocité si sauvage, un abandon de principes si prodigieux, un athéisme si profond, une corruption si complète, que tout cela me tourne la tête, et me fait idolâtrer cet homme, à un point qui surpasse tout ce que les poètes et les historiens ont pu, jusqu’à ce moment-ci, vous peindre de l’amour.

Moberti a, comme tu l’imagines bien, plusieurs agentes dans Venise, qu’il place chez des gens très riches, et qui, ne fréquentant que des personnes de cette caste, sont à même de lui fournir des renseignements. Je suis la première de ses agentes ; toutes les autres correspondent avec moi, et c’est par mon moyen que s’indiquent les principaux vols. Il n’y a que trois ans que nous nous connaissons ; je ne le sers que depuis cette époque ; mais je puis bien assurer que, dans ce court espace, je lui ai valu plus de dix millions, que je lui ai fait assassiner au moins quatre cents personnes ; et voilà ce qui me tourne la tête. Je décharge trois jours et trois nuits de suite, ma chère amie, lorsque j’ai commis ou fait commettre des crimes de cette espèce. Lui-même aime le meurtre au point, qu’à l’exemple de ce fameux voleur de Sibérie, il abandonne, dans ses expéditions, les dépouilles à ses camarades pour le seul plaisir d’égorger les victimes de sa propre main. C’est, je te le répète, le coquin le plus barbare et le plus cruel qu’il soit possible de trouver au monde ; et ses vices s’arrangent si bien avec ceux de mon caractère que voilà pourquoi je l’adore.

Par une fatalité singulière, et qui prouve que le crime est toujours bien plus heureux que la vertu, pourvu qu’il soit constant, hardi, il y a vingt-cinq ans que mon amant mène la même vie : il n’a pas même encore été soupçonné. Quelques capitaines de sa troupe ont été roués, pendus, brûlés, mais jamais ils ne l’ont compromis. Cet homme, rare par son énergie, par sa perversité, par son courage, espère mener encore douze ou quinze ans le même train, et se retirer ensuite avec moi en Dalmatie, où il a acheté dernièrement des possessions superbes. C’est ainsi que nous comptons couronner la vie la plus scélérate dont aient encore été souillées les annales humaines.

Voilà, ma chère, ce que j’avais à te dire : vois si tu veux être des nôtres. Dans le cas de l’acceptation, je te donne à dîner sous peu avec mon amant ; tu le verras jouir de moi, de toi-même, si tu le désires, et nous prendrons tous les trois, ensuite, les arrangements nécessaires à une liaison intime.

— Assurément, dis-je à mon amie, tu ne pouvais rien me proposer de plus agréable. J’accepte tout, à deux conditions : la première, que si ton amant s’amuse avec moi, il me payera cher, et que ce ne sera, de même, qu’aux conditions d’un partage très considérable dans ses vols, que je les servirai ; la seconde, c’est que nous partagerons dorénavant toutes les dépenses de nos réunions libertines : c’est ton amie que je veux être, ce n’est plus ta putain.

Un souper délicieux termina cette conversation, et nous nous séparâmes en nous promettant de nous revoir bientôt.

Ne sachant pas comment tout cela tournerait, je crus devoir, jusqu’à de plus amples éclaircissements, faire un mystère du tout à ma compagne. Nous vivions d’ailleurs dans une liberté assez grande pour que chacune pût faire tout ce qu’il lui plaisait de son côté.

La signora Zanetti me prévint, quelques jours après, qu’elle avait parlé à son ami ; que celui-ci désirait infiniment de faire connaissance avec moi, et qu’elle m’invitait en conséquence de venir le lendemain dîner chez lui, dans une charmante campagne qu’il possédait dans l’île de Saint-George, à très peu de distance de la ville.

On ne m’avait point trompée sur le physique de cet homme étonnant ; il était impossible d’être plus laid, et difficile en même temps d’avoir une physionomie plus spirituelle.

— Voilà, dit Zanetti en l’embrassant, la jolie fille dont je t’ai parlé ; j’espère que, sous tous les rapports, tu auras lieu d’en être content.

Le brigand me prit alors par la main et me conduisit, sans dire un mot, dans un cabinet, où je fus très étonnée de trouver deux jeunes garçons de quinze ans, beaux comme l’Amour.

— Que ce gibier ne vous scandalise pas, me dit le paillard : je suis bougre ; je vous foutrai pourtant, mais en cul ; votre amie a dû vous en instruire. Faites-moi voir vos fesses, et dissimulez le con, je vous supplie, au point qu’il ne me soit pas même possible de me douter que vous en ayez un.

Ce début me parut cavalier. Je ne sais néanmoins ce que ce personnage avait d’attrayant ; mais je sentis, dès le premier abord, qu’il était tout simple d’aimer un tel homme. Moberti fut long à l’examen de mon derrière, aucun détail ne lui échappa ; puis, m’appliquant deux fortes claques sur chaque fesse :

— Voilà qui est bon, me dit-il, je vois ce que c’est que votre cul, vous pouvez vous déshabiller.

— Et votre amie, monsieur ?

— Elle viendra ; elle sait bien que nous ne nous mettrons pas à l’ouvrage sans elle…

Et pendant que je me déshabillais, Moberti caressait les petits garçons.

La belle Vénitienne parut.

— As-tu pourvu à tout ? lui dit son amant. Serons-nous bien seuls ? Les portes sont-elles bien fermées ? Le dîner sera-t-il bon ?

— Repose-toi sur moi, mon ami, tu connais mes soins.

— Allons, foutons donc en paix, reprit Moberti, et livrons-nous en sûreté aux plus bizarres caprices de l’imagination.

— Oui, mon ami, oui, tu le peux ; il n’y a plus que Dieu qui te voie.

— Oh ! je me fous de ce témoin-là, dit ce roué, mon plus grand chagrin est qu’il n’existe réellement pas de Dieu, et de me voir privé, par là, du plaisir de l’insulter plus positivement… Mais peut-on parler devant cette jeune personne, est-elle des nôtres ?

— Oui, tu sais ce que je t’ai dit sur elle, elle n’attend que son poste pour être en activité, et j’ose croire que tu en seras content.

— Je le suis déjà de son cul… autant qu’on peut l’être du cul d’une femme… Allons, ma chère, mets donc tout ceci en train…

Et Zanetti, déboutonnant aussitôt la culotte des deux jeunes garçons, montra leurs fesses au libertin qui, couché sur un vaste sofa, se branlait en les regardant.

— Presse-toi, me dit mon amie tout bas, je suis sûre qu’il brûle du désir de voir tes fesses à côté de celles de ces garçons…

Je m’y place aussitôt, la motte bien plastronnée, et Moberti, sans préférence, nous examine un moment tous les trois. Il baise cependant le mien avec ardeur, le gamahuche profondément ; alors il ordonne à l’un de ses gitons de se placer entre mes jambes et de m’arracher des poils, de manière à produire en moi des soubresauts, pendant lesquels il continue d’enfoncer toujours sa langue dans le trou de mon cul, et sa maîtresse le branle, pendant qu’elle-même est branlée par l’autre giton.

— Écoutez-moi bien, dit alors le brigand, et, surtout, exécutez ce que je vais vous prescrire, du mieux qu’il vous sera possible. Il faut faire partir un pet dans ma bouche au même instant où l’on vous arrache un poil, et au sixième, en même temps que le pet, il faudra pisser sur le nez du jeune homme qui vous épile, en l’accablant d’invectives.

Je suis assez heureuse pour satisfaire ce singulier libertin, avec toute la ponctualité qu’il désire, et quand j’en suis à l’inondation et qu’il m’entend l’accompagner d’invectives adressées à l’objet de sa luxure, pour venger son bardache, il s’empare d’une poignée de verges et m’étrille un quart d’heure entier.

— Que fais-tu donc ! que fais-tu donc ! s’écrie Zanetti, par une suite de procédés annexés à cette scène, et quel tort cette créature a-t-elle envers toi ?

— Elle a pété, la garce ; elle a souillé de son indigne urine le délicieux visage de mon Ganymède : il ne devrait pas exister de punitions assez fortes pour l’un et l’autre de ces outrages.

— Eh bien ! dit Zanetti, parfaitement au fait de tout ce qui plaisait à son ami, je vais te fouetter, polisson, jusqu’à ce que tu aies cessé de traiter ainsi mon amie…

On le fustige de cette manière un bon quart d’heure, au bout duquel l’Italien nous fit voir un membre d’un pied de long sur huit pouces de circonférence.

— En as-tu vu de cette taille ? me dit-il en me le montrant.

— Oh ! ciel ! m’écriai-je, je suis une fille perdue, si jamais tu me perfores avec une telle machine !

— C’est cependant ce qui va t’arriver, dit-il en ordonnant ensuite à sa maîtresse de se déshabiller aussi ; tu ne seras pas plus difficile que ces enfants : ils ont leur pucelage, tu ne l’as pas.

— Mais tu les tueras et je ne veux pas l’être.

À ces mots, Zanetti, nue, vient lui présenter ses fesses à baiser ; et pendant qu’un des jeunes gens lui tire un poil du con, elle lâche à brûle-pourpoint le plus énorme pet au nez de son amant, qui sacre, tempête, se jette sur elle et l’encule. Il arrange si bien, pendant cette opération, les petits garçons et moi, au-dessus des reins de sa déesse, que nos trois culs se trouvent groupés sur son visage, et qu’il peut baiser indistinctement l’un et l’autre.

J’étais émerveillée, je l’avoue, de la manière leste dont Zanetti, sans sourciller, soutenait dans son cul l’introduction de ce membre énorme ; la garce n’avait pas bougé ; l’Italien sacrait, allait, venait et faisait sentir ses dents sur nos fesses. Il se retire, le groupe se défait, et il nous considère avec des yeux où se peint la plus cruelle luxure ; il se couche sur le canapé, le visage dans les fesses de son amante, dont il tète l’anus, et nous ordonne, dans cette posture, de venir le branler quelques instants, chacun à notre tour, en observant de baiser son vit, de lécher ses couilles et de lui enfoncer trois doigts dans le cul.

Son membre s’anime si prodigieusement à ce jeu, que je crois qu’il va perdre son foutre ; mais, parfaitement maître de lui, il se contient, se relève, demande des verges, et nous fouette tous les quatre à tour de bras : nous en recevons au moins deux cents coups chacun. Cette opération faite, il me saisit, en me lançant des yeux qui me font peur.

— Bougresse, me dit-il, il faut que je te tue.

Quelque accoutumée que je fusse à toutes ces scènes, j’avoue que la frayeur me saisit, et d’autant plus que Zanetti, que je fixais, ne me tranquillisait nullement par ses yeux.

— Oui, triple infâme Dieu ! reprend l’Italien en fureur, oui, garce, il faut que je te tue…

Et, tout en disant cela, il me serrait le cou de manière à m’étouffer ; il saisit ensuite un poignard, me le tient suspendu sur le sein, pendant que son amie le branle, mais sans jeter un seul regard sur moi, sans me rassurer du moindre geste. Après m’avoir tenue quelques minutes dans cette affreuse perplexité, il me couche sur le sofa, présente son vit à l’entrée de mon cul, et me l’enfonce sans nulle préparation, d’une telle vigueur, dans l’anus, qu’une sueur froide couvre mon visage et que je suis près de m’évanouir. Cependant, mon amie me tenait et s’opposait fortement à tous les mouvements que j’eusse pu faire, de façon que je fus labourée, pourfendue de ce vit monstrueux, sans pouvoir opposer la moindre résistance. Il maniait, pendant ce temps-là, de chaque main, le cul d’un des petits garçons, et baisait Zanetti sur la bouche.

Au bout d’un instant, il me fit mettre à terre les mains que j’appuyais sur le sofa, et courber étonnamment la tête, en relevant les reins le plus qu’il m’était possible ; un des petits garçons, passant mon cou entre ses jambes, vint se tenir droit devant lui, et il le langotait pendant ce temps-là ; tous deux se remplacèrent mutuellement dans ce poste, et Zanetti, dans une attitude différente, vint placer le trou de son cul au même endroit où le paillard ne trouvait l’instant d’avant que des bouches. Il ne décharge point, et se retirant avec violence et sans aucune précaution, il m’occasionne presque autant de mal, par cette retraite précipitée, qu’il m’en a fait en s’établissant dans la place.

— Son cul est bon, dit-il en se retirant il est étroit, il est chaud ; mais elle remue pendant qu’on l’encule, et tu sais, Zanetti, que je veux qu’on soit immobile et que, sans cette clause, il me devient impossible de décharger.

Alors sa maîtresse prend des verges et le fouette ; j’étais à terre, étendue sur le ventre ; les deux petits garçons le branlaient sur mes fesses. Au bout d’un instant, il me fit coucher à plat ventre, et de travers sur un canapé. Il fait mettre les deux gitons sur mon corps, tous deux auprès l’un de l’autre, et se présente au cul du premier, qui se trouve placé près du mien : mais les plus fortes résistances s’opposent à ce projet.

— Attachons-les, sacredieu ! s’écrie-t-il.

Et Zanetti, me priant de l’aider, nous lions et garrottons ce jeune garçon, en forme de boule, de façon que sa tête, passée entre ses jambes écartées, présente la jouissance de la bouche tout auprès de celle du cul. Pour mieux fixer la position, Zanetti s’accroupit sur l’enfant. Moberti se représente, rien ne pouvant plus le déranger maintenant. Son vit énorme disparaît en trois tours de reins dans l’anus du chétif écolier ; je lui branle le cul pendant ce temps-là, et il manie l’autre jeune homme.

Rien d’horrible comme les propos de ce scélérat pendant cette jouissance. Il ne parlait que de crimes, que d’abominations, que de meurtres, que d’incendies, que de massacres. Il ne déchargea pourtant point encore. Le second bardache, par ses ordres, est aussitôt mis dans la même posture ; il en jouit de même, mais, cette fois-ci, il avait fait placer celui qu’il venait de foutre, la tête en bas, les pieds en haut, et le corps ainsi étendu le long de celui de sa maîtresse, qui s’accroupissait sur celui du giton enculé. Il avait donc, sous ses baisers, un cul, un con et une bouche. Je le fouettais. Les propos redoublèrent d’horreur, et je vis en un clin d’œil des ruisseaux de sang dans la chambre ; le cruel, en perdant son foutre, avait frappé de vingt coups de stylet, et le garçon qu’il sodomisait et celui qui lui servait de perspective.

— Scélérat ! lui dis-je en redoublant mes coups sur ses fesses, on ne porta jamais la trahison plus loin, et tu peux te flatter d’être un monstre.

L’explosion de la décharge de ce libertin m’avait donné l’idée d’un volcan ; ce n’était plus un homme, mais un tigre, un enragé.

Le calme rétabli, les deux cadavres furent jetés dans un trou, à dessein préparé au fond d’un petit jardin attenant au cabinet où cette scène venait de se passer, et l’on se rhabilla. Moberti s’endormit avant le dîner.

— Oh, quel homme ! dis-je à sa maîtresse.

— Tu ne vois rien encore, me répondit Zanetti ; il a été très doux cette fois, il ne le sera pas toujours ainsi.

Deux nouvelles victimes l’attendaient au sortir de table.

— Et comme ce sont des jeunes filles, je te réponds qu’il les fera souffrir dix fois plus.

— Notre sexe l’émeut donc davantage ?

— Sans doute. C’est l’histoire de tous les gens cruels en volupté ; la faiblesse, la délicatesse d’une femme les irritent bien plus, leur férocité a bien plus d’action sur la débilité que sur la force ; moins on peut se défendre, plus ils attaquent avec violence, et comme il entre ainsi plus de scélératesse dans le crime, ils ont aussi plus de plaisir. T’a-t-il bien fait mal ?

— Ah ! je suis toute écorchée ; j’ai soutenu des vits monstrueux : jamais aucun qui m’ait fait autant de mal.

Cependant, Moberti ne tarda pas à se réveiller ; à peine le fut-il qu’il demanda à dîner : on servit. Nous étions dans une salle fraîche et solitaire ; tout ce qui était utile au service se trouvait placé près de nous, sans que nous eussions besoin de domestiques. Ce fut là que le brigand m’expliqua les services auxquels il me destinait. Il s’agissait de protéger ses vols, de lui découvrir des victimes, de quitter la Durand, pour prendre une maison, seule, où j’attirerais les dupes qu’il comptait voler et tuer. Je prévis dans l’instant qu’il y aurait infiniment plus de danger que de profit à l’acceptation d’un tel projet ; et, beaucoup trop au-dessus d’un gain si médiocre, je refusai intérieurement les propositions de cet homme. Mais je me gardai bien de lui découvrir ma pensée, et pour que rien ne troublât son illusion, j’applaudis infiniment ses projets, et lui promis bien de le servir. Nous achevâmes ainsi le plus magnifique repas que j’eusse fait depuis longtemps ; au sortir de table, il me fit passer dans un cabinet secret avec lui.

— Juliette, me dit-il, tu as vu mes goûts d’assez près pour concevoir que c’est dans le meurtre que je place mes plus voluptueuses jouissances… Puis-je être sûr de l’ardeur que tu mettras à multiplier mes victimes ? N’ai-je rien à appréhender de tes remords ?

— Il faut me mettre à l’épreuve, mon cher, répondis-je ; la manière dont je me conduirai vous fera voir si c’est par goût ou par complaisance que j’entre dans vos vues.

Et l’idée la plus perfide s’offrit ici à mon imagination scélérate. Je n’avais aucune envie d’être la maîtresse de cet homme, aucune d’accepter ses propositions, et cependant, par unique principe de méchanceté, je lui témoignai de la jalousie.

— À quoi me servira, dis-je, d’occuper le second poste dans vos arrangements ? La confiance, le cœur, ces biens si précieux à posséder quand ils sont accordés par quelqu’un que l’on aime, tout cela m’appartiendra-t-il ? J’ai accepté tout ce que vous m’avez proposé, j’en conviens ; mais il me serait bien plus agréable d’exercer seule cet emploi près de vous, et de n’avoir pas sous mes yeux, perpétuellement, une rivale aussi dangereuse que votre Zanetti…

Et le coquin m’écoutait avec autant d’intérêt que de surprise.

— Quoi ! réellement tu m’aimerais ? me dit-il au bout d’un moment de silence.

— Ah ! vous me tourneriez la tête ; ayant absolument tous vos goûts, j’idolâtrerais un amant qui vous ressemblerait.

— Eh bien ! ne dis mot, tout cela va s’arranger ; tu es infiniment plus belle que Zanetti, je te préfère, et tu vas régner seule sur mon cœur.

— Mais vous allez la mettre au désespoir ! Quelle ennemie, d’ailleurs, je vais me faire ; croyez-vous qu’elle puisse me pardonner jamais de vous avoir séduit ?

— Oh ! si elle nous tracassait bien fort…

— Dieu ! quelle idée ! elle me fait frémir : une femme que j’aime, que vous avez aimée… Réfléchissez-vous à ce comble d’horreur ?

— Il n’en existe à rien, toutes nos actions sont simples, toutes sont inspirées par la nature, et je ne croyais pas que tu en fusses encore à douter de ces premières bases.

— Ah ! mes scrupules ne tiendront pas longtemps aux charmes de vous posséder seule !… Mais tant que cette créature existera, je vous avoue que je ne serai pas rassurée ; elle, de son côté, m’inspirera beaucoup de frayeur, et je craindrai toujours de vous perdre. Il me semble que, pendant que nous y sommes, ce serait une affaire à terminer sur-le-champ. Cette femme est méchante : si vous saviez tout ce qu’elle m’a dit de vous… Ah ! croyez que si nous ne prenons pas les avances, elle ne nous laissera jamais vivre en paix.

— Je t’adore, fille céleste, me dit l’Italien en se jetant dans mes bras, le sort de ta rivale est décidé, tu triomphes, il ne s’agit plus que de prononcer son supplice ensemble…

Et Moberti, que cette idée brûlait tout autant que moi, saisit mon cul et l’enfile sans aucune préparation ; ce vit énorme m’eût fait jeter les hauts cris dans tout autre temps, mais ici, très en feu moi-même, je me précipitai sur le dard et déchargeai dès la première secousse.

— Que lui ferons-nous ? me dit le paillard en foutant. Je veux que ce soit au sein des plaisirs que nous prononcions sur ses douleurs.

Nous le fîmes. Ce que vous verrez fut le résultat de l’arrêt prononcé. Nous rentrâmes.

Moberti, qui voulait conserver ses forces, s’était bien gardé de les perdre. Zanetti commençait à s’inquiéter, et nous pûmes lire facilement dans ses yeux que le démon de la jalousie commençait à tourmenter son cœur. Elle pria son amant de passer avec moi dans le même salon où s’étaient célébrées les orgies du matin ; et là, elle lui présenta les nouveaux objets destinés aux derniers plaisirs de la soirée. C’était une mère de vingt-six ans, grosse de sept mois, et conduisant par la main deux charmantes petites filles, dont l’une avait onze ans et l’autre neuf. Moberti, qui connaissait la marchandise pour l’avoir choisie lui-même, fut ravi de la voir enfin dans ses filets.

— Voilà qui va me faire excessivement bander, nous dit-il à l’oreille ; c’est une femme que je trompe ; elle croit que je vais lui rendre de grands services, et les tourments que je lui prépare sont affreux. Allons, Zanetti, que les portes se ferment, que le silence règne, qu’il n’y ait aucun autre bruit dans cette maison que celui que je vais y faire. Je voudrais que l’univers entier cessât d’exister quand je bande.

Moberti s’assoit, il ordonne à sa maîtresse de déshabiller Angélique, pendant que Mirza, l’aînée des filles, et la jeune Marietta attendront dans un silence respectueux les ordres qui émaneront du brigand.

Zanetti, en cachant avec le plus grand soin toutes les parties antérieures d’Angélique, approche sa croupe de Moberti, qui, après l’avoir brutalement maniée, déclare qu’avant qu’il soit une heure, ce beau cul va changer de forme. Il touche ce ventre rebondi, le frappe avec délices et lui pronostique les mêmes malheurs.

— Ah ! monsieur, dit l’intéressante Angélique, vous m’avez cruellement trompée ; il ne m’est que trop facile de m’apercevoir à présent à quelles horreurs je suis destinée ; respectez au moins le fruit que je porte…

On ne se peint point ici les éclats de rire que cette intercession fit pousser à ce scélérat.

— Double putain ! s’écrie-t-il en accablant de coups cette malheureuse ; oh ! oui, oui, ne doute pas que je n’aie les plus hautes considérations pour ton état ; il n’est rien à mes yeux de plus respectable qu’une femme grosse, et tu dois déjà voir à quel point cet intéressant état m’attendrit. Commence, néanmoins, par me déshabiller ta fille aînée, et amène-la-moi dans le même état que Zanetti vient de t’offrir à mes recherches.

Agenouillée pendant ce temps-là entre les jambes de ce libertin, je le polluais légèrement, afin d’entretenir son feu, et, souvent, il baisait ma bouche avec d’inexprimables transports. Rien de plus joli comme la petite fille qu’on lui amène, et rien n’est cruel comme le genre de caresses lubriques dont il l’accable. La cadette avance ; même cérémonie.

— Sacredieu ! dit le scélérat exalté, ne pourrais-je pas trouver un moyen de les enculer d’un seul coup toutes trois ?

À ces mots, il se saisit de la mère, la couche sur le dos, fixe ses jambes en l’air par des cordes et l’encule en levrette. Par ses ordres, je m’élance sur cette mère, de façon à prêter entièrement mon cul aux baisers du paillard, et sur mes reins s’établit sa maîtresse, présentant un second derrière aux baisers de cet insatiable ; de chacune de ses mains il manie une petite fille, dont il écorche les fesses avec des tenailles. Ne s’en tenant pas à molester ces deux petite culs, il s’égare sur celui de la mère, qu’il traite de même ; et, pour les nôtres, il se contente de les mordre, pendant que nous lui pétons dans la bouche.

— Pèse sur cette coquine, Juliette, me dit-il, afin que ce double poids étouffe, s’il est possible, l’abominable fruit dont sont empestées ses entrailles.

Zanetti et moi, nous exécutâmes si bien toutes deux ce dont on nous charge, qu’il s’en fallut de bien peu que la pauvre Angélique ne périt étouffée sur-le-champ. Au bout d’un quart d’heure d’allées et venues dans l’anus de cette pauvre femme, supplice affreux et qui lui faisait jeter les hauts cris, Moberti décula, et ordonna que la plus âgée des deux filles lui fût présentée. Zanetti préparait les voies, je présentais l’instrument, devenu plus terrible et plus monstrueux encore par ses incursions dans le cul de la mère. Après des peines infinies, nous parvînmes enfin, la Vénitienne et moi, à introduire cette énorme masse dans l’étroit orifice offert à ses fureurs. Aussitôt que le paillard s’aperçoit des progrès de son vit, il le pousse avec tant de vigueur qu’il l’engloutit bientôt tout entier ; mais la malheureuse s’évanouit.

— Voilà ce que je voulais, dit le féroce personnage, je ne jouis jamais aussi bien que quand mes vexations les réduisent là… Allons, Zanetti, tu m’entends !

Et puis, bas à mon oreille :

— Je ne veux l’envoyer aux enfers que souillée d’un bel et bon crime.

Par les soins de la Vénitienne, Angélique est placée sur les reins de sa fille, présentant les fesses au paillard ; les miennes sont exposées à droite, celles de la plus jeune fille à gauche, et mon amie s’agenouille devant le cul de son amant : mais devinez quel est ici le nouvel épisode dont le libertin régala sa lubricité ? Il faut que sa maîtresse, en lui mordant fortement les fesses, imite l’aboiement d’un dogue, pendant que lui, contrefaisant le même animal, dévore le cul d’Angélique. Je n’ai de ma vie rien vu de plaisant comme ce concert de chiens ; à la vérité, il ne l’était pas autant pour Angélique, dont le cruel brigand déchire tellement les fesses que les lambeaux pendaient le long des cuisses de cette infortunée. Il s’égayait aussi de temps en temps sur celles de la petite et sur les miennes ; mais ce n’était que pour aiguiser ses dents, qu’il rapportait avec plus de fureur ensuite sur les masses charnues d’Angélique, bientôt réduites en un tel état qu’elle s’évanouit comme sa fille. Il change de cul ; l’autre sœur est vigoureusement attaquée, et ce sont alors les fesses de celle qu’il vient de foutre sur lesquelles s’exercent ses dents.

Cependant la Zanetti exécute les ordres qu’elle a reçus. Pendant que son amant jouit, pour déterminer son extase, la coquine poignarde celle des jeunes filles qui sert de perspective, et la malheureuse tombe à l’instant, noyée dans les flots de son sang.

— Scélérate ! s’écrie l’Italien, vois le crime affreux que tu viens de commettre ; que l’Être éternel, prolongeant maintenant tes jours, te donne le temps de te repentir, car l’enfer serait ton partage si tu mourais chargée de ce crime… Qu’on laisse là ce cadavre, je m’en servirai tout à l’heure.

Il décule, son foutre n’avait pu tenir à cet excès d’horreur, il venait d’en lâcher les flots ; et cette opération faite, il laisse Zanetti avec cette malheureuse famille, et passe avec moi dans le cabinet où nous venions de nous entretenir tous deux.

— Je vais faire des atrocités, me dit-il en baisant ma bouche et se rebranlant sur mon derrière, et ta rivale va s’y trouver enveloppée. Je voudrais enchérir encore sur l’arrêt que nous avons prononcé ; je voudrais qu’il ne pût exister au monde de tourment plus cruel que celui qu’il faut qu’elle subisse… et malheureusement cela ne sera pas… Oh ! Juliette, je rebande ; vois comme l’idée de cette insigne trahison a d’empire sur mes sens ! (puis, maniant mes fesses) quel beau cul, Juliette ! Je t’adore, tu es remplie d’imagination, tu possèdes une exécution facile dans le crime, et je n’immole Zanetti que pour te conserver éternellement.

— Mais, dis-je, cher ami, songes-tu que cette femme t’idolâtre ? Je suis véritablement fâchée d’avoir un instant cédé à tes perfides désirs ; il est affreux de traiter ainsi une femme qui nous est attachée.

— Eh ! que m’importent les sentiments de cette putain ! Mes passions n’eurent jamais rien de sacré quand je bande. Oh ! la garce, elle ne s’attend à rien, c’est le moment de la saisir… Que cette soirée sera délicieuse pour moi. Revêts-moi de cette peau de tigre. Elles seront nues, toutes trois, dans la chambre, elles tiendront le cadavre au milieu d’elles ; je me jetterai indifféremment sur toutes… je les dévorerai : tel sera le premier supplice où tu reconnaîtras qu’elle a perdu tous mes sentiments. Tu auras soin, pendant la scène, de m’exhorter à la plus extrême rigueur. Nous terminerons ensuite par ce que nous avons dit ; et si tu trouves quelque chose de plus exécrable encore, tu l’ajouteras à nos résolutions ; car tout ce qui est convenu se trouve, ce me semble, bien au-dessous de mes désirs.

Je fus prévenir Zanetti. Elle ne revint pas de l’ordre que je lui apportais, de se trouver au rang des autres. Accoutumée à commander, elle trouva la subordination bien étrange, et ne put s’empêcher de me questionner.

— Que va-t-il donc faire ? me dit-elle.

— Vous le verrez ! répondis-je froidement.

Et je rentrai. Moberti se branlait, son imagination s’enflammait sur les exécrations qu’il allait commettre. Il se précipite sur mon cul, l’accable de caresses, et, me courbant, le coquin m’encule, en jurant qu’il ne connaît pas au monde une plus délicieuse jouissance que celle de mon derrière. Il lime longtemps. Nous améliorions nos projets pendant ce temps-là ; nous perfectionnions nos plans de supplice ; nous concevions des horreurs dont eussent frémi les animaux, même les plus sauvages.

— Allons, me dit le paillard en se retirant, me voilà suffisamment excité…

Et revêtu de sa peau de tigre, dont les quatre pattes étaient armées d’ongles monstreux et le mufle arrangé de façon qu’il peut mordre de sa bouche tout ce qu’il atteint, arrangé, dis-je, de cette manière, et moi le suivant nue, armée d’un immense gourdin dont je devais réveiller sa paresse, nous entrons.

Zanetti est la première sur laquelle il se jette ; il lui emporte un téton de ses griffes, et la mord à l’instant sur les fesses, avec tant de violence, que le sang coule tout de suite…

— Ah ! je suis perdue ! s’écrie cette infortunée, je suis perdue, Juliette ! et c’est vous qui me trahissez ! J’aurais dû m’en douter. Oh ! ciel, à quoi dois-je m’attendre ?… Ce monstre, que j’ai tant aimé, voilà donc ce qu’il me prépare…

Et chacune de ses jérémiades était accompagnée des plus affreux traitements. Moberti, cependant, laisse une minute respirer sa victime pour se jeter avidement sur les autres objets qui l’entourent. Angélique et sa fille veulent fuir… Comment échapper à la rage de ce furieux ? Il les considère mais ce n’est pas encore à elles qu’il en veut : le cadavre l’occupe, il le saisit, et sa dent carnassière s’attache un moment sur les restes inanimés de cette malheureuse, qu’il quitte bientôt pour se porter, avec la même rage, sur les deux objets qui le fuient. Il martyrise avec la même furie l’une et l’autre de ces créatures ; et c’est précisément sur les parties les plus charnues que le scélérat s’attache à plaisir. Il bande extraordinairement. Je suis obligée de le suivre, tantôt pour le frapper de toutes mes forces, tantôt pour le branler en dessous ou lui gamahucher le derrière : opération à laquelle je procédais en levant la queue de sa peau de tigre.

Peu à peu ses cruautés se raffinent. Il saute sur sa maîtresse, en me faisant un signal : je l’aide ; nous lions et garrottons cette malheureuse sur un banc de bois. Il s’établit à califourchon sur elle et, de ses griffes aiguës, le scélérat lui arrache les yeux, le nez et les joues ; il la baisait, l’infâme, pendant qu’elle poussait ainsi les hauts cris ; et moi, je me branlais de toutes mes forces.

— Sans moi, me disais-je, sans mes trahisons, mes perfidies, mes conseils, il n’aurait jamais entrepris cette horreur : j’en suis l’unique cause.

Mon sperme s’échappait à cette délicieuse idée ; et lui, poursuivait ses horreurs, ne cessant de baiser la bouche de cette infortunée, afin, disait-il, de recueillir avec soin les élans précieux de la douleur d’une femme qu’il a tant aimée ! Il la retourne, lui déchire les fesses et me fait distiller sur les blessures de la cire d’Espagne enflammée. Il se jette à la fin sur elle comme un furieux, et, pendant que je le branle en dessous, le monstre déchire, assassine, met en pièces le malheureux objet de son ancienne flamme, qu’il laisse enfin sans vie sur le carreau.

Ivre de rage et de lubricité, il s’élance sur les deux autres victimes. Uniquement avec ses griffes, il arrache l’enfant du sein de la mère, le brise contre le crâne de cette malheureuse femme, se précipite sur l’autre fille, les étouffe, les déchire et les massacre toutes deux. S’élançant aussitôt dans mon cul, c’est là que l’exécrable bourreau perd à la fin, avec son foutre, le délire qui le ravale au rang des plus dangereux animaux de la nature…

Et nous revolons à Venise, en nous promettant de nous revoir le plus tôt possible, pour statuer sur de derniers arrangements, que je n’avais nullement envie de prendre.

Je passai la nuit la plus agitée. Dieux ! que je me fis branler de fois, par mes femmes, sur l’idée des crimes dont je venais de me souiller ! C’est alors que je reconnus bien qu’il n’est pas au monde de plaisir plus violent que celui du meurtre : cette passion, une fois introduite dans le cœur, aucun effort ne peut l’en arracher. Rien, non, rien n’est comparable à la soif du sang. À peine en a-t-on goûté qu’il devient impossible de s’en rassasier, et l’on n’existe plus qu’en multipliant ses victimes.

Cependant, rien au monde ne put me décider à accepter la proposition de cet homme. J’y voyais, comme je vous l’ai dit, des dangers infiniment supérieurs aux profits ; et bien décidée au refus, je contai tout à la Durand, qui m’assura, que je faisais d’autant mieux, qu’assurément cet homme n’aurait pas été trois mois à me traiter comme sa maîtresse. Quand il reparut, je lui fis fermer ma porte, et je ne l’ai jamais revu depuis.

Un jour, la Durand me fit prier de monter chez elle pour une femme qui me désirait encore avec ardeur ; car il est inouï combien j’inspirais naturellement plus aux femmes qu’aux hommes. La signora Zatta, épouse d’un procurateur, pouvait avoir cinquante ans ; belle encore, et douée du plus ardent amour de son sexe, à peine m’a-t-elle vue, que la tribade me cajole comme un homme, et ses instances deviennent telles, qu’elle m’ôte, pour ainsi dire, tous les moyens de lui résister.

Nous soupons ensemble, et, au dessert, la Messaline, à moitié ivre, se précipite sur moi et me met nue. Zatta était une de ces femmes à fantaisies, qui, pleines d’esprit et d’imagination, aiment moins leur sexe par goût que par libertinage, et qui remplacent avec lui les jouissances réelles par les plus luxurieux caprices. Cette créature n’avait absolument que des goûts d’hommes ; je déchargeai six fois sous ses doigts savants, ou plutôt ce ne fut qu’une seule éjaculation qui se prolongea pendant deux grandes heures. Revenue à moi, je voulus attaquer la bizarrerie des goûts préliminaires de cette femme ; mais je la trouvai aussi habile à les défendre qu’ardente à en jouir. Elle me prouva que l’égarement où elle se livrait était pour elle le plus délicieux de tous ; elle m’ajouta qu’elle portait ses manies au dernier degré et qu’elle ne déchargeait jamais aussi délicieusement que lorsqu’elle s’y abandonnait.

Elle désira d’autres filles : il en vint sept ; après s’être branlée avec toutes, elle sortit de sa poche un godemiché, comme je n’en avais encore vu de ma vie : cet outil singulier avait quatre têtes. Elle commence par s’en enfoncer une dans le cul, et me sodomise avec l’autre ; nous étions dos à dos ; les deux autres têtes de cet instrument étaient recourbées ; nous nous les enfonçâmes dans le con. Nous avions, dans cette attitude, chacune une fille entre nos jambes, qui suçait notre clitoris, et qui remuait artistement la machine. Il nous restait cinq autres filles à employer. Deux donnaient le fouet à celles qui nous suçaient ; deux, élevées sur des chaises, nous faisaient téter leur con, et la cinquième présidait au total et parcourait les rangs pour que tout s’exécutât dans la plus grande règle. Nous luttâmes ensemble, et, après avoir épuisé nos sept femmes, nous être fait mettre les fesses en sang, Zatta voulut se venger sur nos fouetteuses. Nous les déchirâmes impitoyablement ; elles eurent beau crier, nous fûmes inflexibles, et nous ne leur fîmes grâce que quand des flots de foutre eurent apaisé nos fureurs. L’infatigable coquine, plus irritée que calmée par cette série de luxures, voulut encore passer la nuit avec moi, et se livra à mille débauches d’imagination, toutes plus extraordinaires les unes que les autres. Ce que cette libertine faisait le mieux, sans doute, c’était de gamahucher le trou du cul : elle avait l’art d’allonger et de durcir sa langue à tel point que le doigt le plus long et le plus agile n’eût pas procuré de plus douces sensations.

Le besoin que nous avions eu de femmes, ce jour-là, engagea la Durand à consentir enfin à ce que je lui proposais depuis longtemps : nous augmentâmes notre établissement de quatre créatures charmantes, et nous en retînmes, au-dehors, plus de cinq cents, pour les avoir à nos ordres quand nous les voulions.

Je n’ai pas besoin de vous dire à quels excès de turpitude nous avons vu des hommes et des femmes se livrer dans notre maison. Quelque savante que je fusse, j’appris encore, et j’avoue que je n’aurais jamais cru que l’imagination humaine pût s’élever à cet incroyable degré de corruption et de perversité.

Ce que j’ai vu faire là est inimaginable ; on ne croira jamais que le libertinage puisse entraîner l’homme dans un tel gouffre d’horreurs et d’infamies : oh ! comme il est dangereux quand il bande ! Non, je puis le dire avec vérité, la bête la plus féroce et la plus sauvage n’atteignit jamais ces monstruosités. Le grand crédit dont nous jouissions, le silence, l’ordre, la subordination qui régnaient dans cet asile, l’extrême facilité que l’on y trouvait à la satisfaction de toutes les débauches, de quelque nature qu’elles pussent être… tout encourageait l’homme timide, tout enthousiasmait l’homme entreprenant, et les passions, sous quelques formes qu’elles se présentassent, quel que fût le genre des âmes où elles s’éveillassent, étaient toujours sûres de s’alimenter, de se nourrir et de se satisfaire.

C’est là, mes amis, je le répète, oui, c’est là qu’il faut suivre l’homme pour le bien connaître ; c’est dans le sein de la lubricité que son caractère, absolument à nu, fournit à la fois toutes les teintes nécessaires au philosophe qui veut les saisir, et c’est après l’avoir vu là qu’on peut deviner à coup sûr le résultat des jets de son exécrable cœur et de ses effrayantes passions.

À l’égard des meurtres produits par la luxure, nous nous rendions très difficiles sur l’acquiescement à cette sorte de fantaisie : cependant on nous en demandait si souvent la permission, et l’on nous la payait si cher, qu’il nous devint impossible de ne pas établir un tarif pour cette trop ordinaire manie des hommes sanguinaires. Pour mille sequins, il devint permis, dans notre maison, de faire périr, de telle manière que l’on voudrait, soit un jeune garçon, soit une jeune fille.

Mais pour jouir de toutes ces extravagances et pour nous en échauffer la tête, Durand et moi, nous avions ménagé des niches secrètes, d’où nous pouvions, sans être vues, distinguer à merveille tout ce qui se passait dans les boudoirs que nous donnions à nos libertins, et c’est là où nous avons fait, l’une et l’autre, un cours complet de tous les plus bizarres raffinements. Dès que les personnes qui désiraient des objets de libertinage nous paraissaient mériter la peine d’être observées, nous nous rendions au poste, et là, nous faisant foutre, ou nous faisant branler, nous nous échauffions à loisir des détails lascifs que les plus excessives débauches offraient à nos regards. Avec ma figure et mon âge, il m’arrivait souvent d’être plutôt désirée qu’une des créatures de notre maison. Si la partie me convenait, je me prostituais à l’instant. La bizarrerie des caprices de la Durand, son goût décidé pour le crime, ses charmes, quoique sur leur déclin, la faisaient souvent désirer de même. Parfois aussi, l’on nous réunissait, ou l’on nous mêlait avec d’autres filles, et Dieu sait alors quelles orgies !

Un homme, d’une des familles les plus distinguées de Venise, se présente un jour chez nous. Le libertin dont il s’agit se nommait Cornaro.

— Il faut, me dit-il, que je t’avoue la passion dont je suis dévoré.

— Ordonnez, monsieur, ordonnez ; on ne refuse rien dans cette maison.

— Eh bien ! ma chère, il faut que j’encule un petit garçon de sept ans, dans les bras de sa mère et de sa tante, et que ces deux femmes aiguisent elles-mêmes les fers, dont un homme que j’amènerai se servira pour trépaner l’enfant pendant que je le sodomiserai. L’opération faite, il faut que j’encule la mère sur le corps de son fils, dont cet homme, toujours en se servant des fers aiguisés par la mère et la tante, coupera les fesses, que je mangerai sur le gril, avec les deux femmes et toi, en ne buvant que de l’eau-de-vie.

— Oh ! monsieur, quelle horreur !

— Oui, c’en est une, je le sais ; mais je ne bande qu’aux horreurs, ma chère : plus elles sont fortes, plus elles m’excitent, et je ne me plains jamais que de l’impossibilité où je suis de ne pouvoir les redoubler.

Mon homme fut bientôt servi. Son chirurgien parut, et, ayant pris avec lui deux vigoureux fouteurs, il s’enferma dans un cabinet, en m’ordonnant de me retirer jusqu’à ce qu’il eût besoin de moi ; je le fis, mais en allant me cacher dans une des pièces pratiquées, comme je vous l’ai dit, pour examiner tous les individus de la jouissance desquels j’attendais quelque plaisir. Il se livra, et je ne puis vous rendre le plaisir que j’en éprouvai.

Au bout de deux heures il me rappela ; j’entrai. L’enfant était dans les bras de sa mère, il pleurait ; celle-ci le couvrait de ses larmes et de ses baisers… Le chirurgien, les fouteurs buvaient, et la jeune tante partageait les larmes de sa sœur.

— Foutre ! dit le Vénitien, contemplons ceci ! Oh ! que cette scène est sublime !

Puis, au bout d’un moment d’observation :

— Comment ! dit-il, putain, tu pleures ? Tu pleures parce que je vais tuer ton fils ? Et quel intérêt peux-tu prendre à ce marmouset, dès qu’il est sorti de ton ventre ? Allons, opérons, Juliette, opérons ; fous en cul sous mes yeux, pendant que j’agirai ; prends l’un de ces gaillards-là, je garderai l’autre : je ne puis rien faire sans un vit dans le cul.

J’obéis au caprice de ce libertin qui, saisissant l’enfant d’un bras nerveux, le campe sur le dos de sa mère, l’enfile pendant qu’on le fout, et que la jeune tante, à genoux, aiguise l’instrument nécessaire à l’opération, sous l’inspection du chirurgien qui la fouette pendant ce temps-là. J’étais placée de manière à ne rien perdre : quoique mon cul, vigoureusement perforé, se trouvât positivement sous le nez de Cornaro, il avait ordonné que, de temps en temps, mon fouteur déculât pour lui faire sucer son vit, qu’il devait, aussitôt après, engloutir dans mon cul ; tout se passait comme il le désirait, lorsque, sentant son foutre prêt à lui échapper, il fait signe au chirurgien. Celui-ci saisit l’arme des mains de la tante, et dans moins de temps que je n’en mets à vous le dire, il fend les trois têtes, en fait jaillir les cervelles, et notre Vénitien décharge, en beuglant comme un âne, au fond de l’une de ces masses dont il vient d’arracher l’existence. Il décule, et les trois malheureux individus, qui respirent encore, roulent au milieu de la chambre, en jetant les hauts cris. Les tigres commettraient-ils des atrocités de ce genre ?

— Oh ! foutre, me dit Cornaro, je n’eus jamais tant de plaisir ; achevons ces victimes, dit-il en leur lançant à chacune un coup de massue sur la tête ; oui, foutre, achevons-les, et mangeons leurs fesses sur le gril.

— Scélérat ! dis-je à ce barbare, ne te repens-tu donc point des horreurs que tu viens de commettre ?

— Oh ! Juliette, quand on est où j’en suis, les seuls remords que l’on connaisse sont ceux de la vertu.

Ivre de volupté, je tenais ce divin scélérat sur mon sein ; je le branlais, je tâchais de rendre à son physique, par des sensations délicieuses, toute l’énergie que l’éjaculation qu’il avait faite venait de lui faire perdre. Il bandaillait, mordillait ma gorge et suçait ma bouche. Je lui disais des horreurs ; je mêlais, aux titillations matérielles, tout l’embrasement de la plus lascive conversation. Quand je l’entendis demander mon cul, je crus mon triomphe certain ; il s’agenouilla devant mes fesses, il les mania, les pressura, en gamahuchant le trou un quart d’heure : mais il ne bandait pas encore.

— Une décharge m’énerve pour huit jours, me dit-il ; le temps énorme que je suis à m’exciter, l’abondante quantité de liqueur que je perds, tout m’épuise. Soupons ; mes forces se répareront au milieu des luxures dont nous allons entremêler le repas que nous ferons, et peut-être, au sein de l’ivresse, consommerons-nous de nouveaux crimes. Fais-toi foutre, en attendant, devant moi, car le libertinage étincelle dans tes yeux, et je conçois tout le besoin que tu as d’une décharge.

— Non, répondis-je, puisque tu attends, j’attendrai de même ; c’est toi seul qui m’excites, et non d’autres : c’est ton sperme que je veux voir couler et qui peut seul faire éjaculer le mien.

— Eh bien ! dit Cornaro, rendons, en ce cas, notre souper le plus impur possible, transformons-le en d’affreuses orgies. Je n’ai pas besoin de te recommander ce qu’il y faut : tu connais mes goûts, maintenant, et tu ne me laisseras rien à désirer.

Vêtue en bacchante, la Durand, dès que tout fut prêt, vint avertir que le souper était servi. Nous nous transportâmes dans une fort grande salle, au milieu de laquelle était une table de quatre couverts qui devaient être remplis par Cornaro, la Durand, une femme de cinquante ans nommée Laurentia, connue pour la créature la plus débordée, la plus corrompue, la plus lascive et la plus spirituelle qu’il y eût dans toute l’Italie : j’étais la quatrième convive. Laurentia, décidée comme nous à manger de la chair humaine, la vit servir sans effroi et dévora sans répugnance.

Rien n’était délicat comme le souper qui accompagna ces mets sanguinaires. Huit services de tout ce qu’il est possible d’imaginer de plus rare et de plus exquis le précédèrent et le suivirent ; mais, ainsi que cela était convenu, on ne but absolument que de l’eau-de-vie de la plus grande vieillesse. Huit filles de quatorze ans, de la plus délicieuse figure, ayant dans leur bouche l’eau-de-vie que l’on devait boire, venaient au moindre signe la lancer de leurs lèvres de rose dans le gosier enflammé des convives. Huit bardaches de quinze ans se tenaient respectueusement, deux par deux, appuyés sur le dos de la chaise de chacun des convives, afin d’exécuter, au moindre signe, les ordres qui pourraient leur être donnés. Aux quatre angles de la table, en face de chaque acteur, était un groupe composé de deux vieilles femmes, deux négresses, deux vigoureux fouteurs, deux bardaches, deux jeunes filles de dix-huit ans et de deux enfants de sept. D’un seul geste on pouvait approcher ce groupe de soi et se satisfaire avec les sujets qui le composaient. Au delà du gradin, s’élevaient quatre théâtres, sur chacun desquels deux nègres déchiraient à coups de fouet une belle fille de seize à dix-sept ans, qui disparaissait par des trappes, et une autre reparaissait dès que la première était engloutie ; de droite et de gauche de chacun de ces fustigateurs, et sur le même théâtre, étaient d’autres nègres enculant des gitons mulâtres, de l’âge de douze ou treize ans. Quatre filles de quinze ans, placées sous la table, suçaient le vit de Cornaro et nos cons. Un faisceau énorme de lumière partant du plafond répandait dans cette salle une flamme aussi pure que celle du soleil, et avait cela de particulier que les rayons de ce feu ardent, adroitement dirigés sur une infinité d’enfants placés dans le balcon du cintre, les brûlaient au point de leur faire jeter les hauts cris. Ce phénomène fut celui qui frappa le plus Cornaro, celui qui l’amusa davantage et qui nous valut le plus d’éloges. Notre homme enthousiasmé, après avoir promené ses regards sur tous les objets dignes de le fixer, s’assit, en protestant n’avoir jamais rien vu de si lubrique.

— Quelle est cette femme ? demanda-t-il en voyant Laurentia.

— Une rouée comme toi, dit Durand, une garce en état de te surpasser en infamie, et dont on branle à présent le con comme on suce ton vit.

— Voilà qui va fort bien, dit Cornaro, mais il me semble qu’avant de se mettre à table avec moi, cette femme et la Durand auraient dû me faire voir leurs fesses.

— Cela est juste, répondirent-elles toutes deux en se levant, pour aller poser leurs culs près du visage de Cornaro.

Le libertin les examine, les baise, et les observant avec attention :

— Voilà, dit-il, des culs où le libertinage empreignit plus d’une fois son cachet ; j’en aime la dégradation ; elle est l’ouvrage du temps et de la lubricité ; ces flétrissures me délectent. Oh ! combien la nature corrompue est belle dans ses détails, et combien les pavots de la vieillesse l’emportent, à mon avis, sur les roses de l’enfance ! Baisez-moi, culs divins ! Parfumez-moi de vos zéphyrs, et retournez ensuite à vos places pour vous prostituer de concert… Que sont ces femmes ? dit ensuite Cornaro en jetant les yeux sur les complaignantes entourant la table.

— Ce sont, répondis-je, des victimes condamnées à la mort et qui, connaissant ton autorité dans ces lieux, viennent à tes genoux implorer leur grâce.

— Elles ne l’auront assurément pas, dit le barbare en jetant sur elles un coup d’œil féroce : j’ai souvent fait mourir beaucoup de gens, mais je n’ai jamais accordé nulle grâce.

De ce moment, on se mit à manger, et tout ce qui devait se mouvoir se mit en action.

Cornaro, que l’on suçait sans cesse, bandait déjà fort dur ; il dit qu’il fallait que chacune des victimes vînt recevoir un supplice de lui. Ces charmantes créatures se lèvent l’une après l’autre, commencent par présenter leur cul au paillard, et se prêtent ensuite avec humilité à ce qu’il lui plaît de leur imposer. Soufflets, pinçons, épilations, morsures, nasardes, brûlures, chiquenaudes, claques sur le cul, compression de seins, égratignures, tout est employé, et sitôt qu’elles ont reçu ce qui leur est destiné, elles vont reprendre à genoux les mêmes places qu’elles occupaient avant. Ces préliminaires accomplis, Cornaro se courbe sur mon sein, en me faisant empoigner un vit, de l’état duquel je commençais à être fort contente.

— Ces garces-là m’ont fait bander, me dit-il à l’oreille, je ne serais pas étonné de devenir fort méchant tout à l’heure.

— Les moyens de le devenir sont là, mon ami, répondis-je ; nous n’attendons que les mouvements de ton cœur et les instigations de ton esprit ; parle, et la plus entière soumission va te prouver notre dévouement.

Ici, Cornaro, assez violemment, passa ses deux mains sous mes fesses, me souleva sur lui, et montrant mon cul à l’un des fouteurs :

— Venez, dit-il, la sodomiser dans mes bras.

On m’encule ; il me suce la bouche ; une des jeunes servantes s’empare de son vit, une autre lui moleste le cul.

— Va-t-en, Juliette, me dit-il ; toi, Laurentia, viens la remplacer…

Même cérémonie : on encule la vieille ; Cornaro suce, d’intervalle en intervalle, le vit qui la fout. Durand passe après ; mêmes épisodes. Toutes les femmes éprouvent le même sort, toutes sont enculées par un fouteur nouveau qui, de même, au bout d’un instant, vient faire sucer à ce libertin les souillures acquises dans cette jouissance. Les branleuses changent comme les vieilles, et, par mes soins, les plus jeunes et les plus jolies filles vont manier le vit du paillard et prêter leurs fesses à ses claques.

— Mangeons, dit-il à la fin, en voilà suffisamment pour une première scène : nous raffinerons tout cela dans quelques instants. Juliette, me dit Cornaro, crois-tu qu’il puisse exister au monde une plus divine passion que celle de la luxure ?

— Aucune, sans doute ; mais il faut la porter à l’excès : celui qui s’impose des freins en libertinage est un imbécile qui ne connaîtra jamais le plaisir.

— Le libertinage, dit la Durand, est un égarement des sens qui suppose le brisement total de tous les freins, le plus souverain mépris pour tous les préjugés, le renversement total de tout culte, la plus profonde horreur pour toute espèce de morale ; et tout libertin qui n’en sera pas à ce degré de philosophie, flottant sans cesse entre l’impétuosité de ses désirs et ses remords, ne pourra jamais être parfaitement heureux.

— Je crois, dit Laurentia, qu’il n’y a rien à reprocher à monsieur sur les faits que l’on vient d’alléguer, et je lui crois assez d’esprit pour être au-dessus de tous les préjugés.

— Il est bien certain, dit Cornaro, que je n’admets absolument rien de respectable parmi les hommes, et cela par la grande raison que tout ce que les hommes ont fait n’est absolument chez eux que l’ouvrage de l’intérêt et des préjugés. Y a-t-il un seul homme au monde qui puisse légitimement assurer qu’il en sait plus que moi ? Quand une fois on ne croit plus à la religion, et par conséquent aux imbéciles confidences d’un Dieu avec les hommes, tout ce qui vient de ces mêmes hommes doit être soumis à l’examen, et livré sur-le-champ au plus vil mépris, si la nature m’inspire de fouler aux pieds ces mensonges. Dès qu’il sera donc prouvé qu’en religion, en morale et en politique, nul homme ne peut en avoir appris plus que moi, je puis, de ce moment, être aussi savant que lui, et rien de ce qu’il m’annonce, dès lors, ne peut plus être respecté de moi. Aucun être n’a le droit despotique de me soumettre à ce qu’il a dit ou pensé ; et à quelque point que j’enfreigne ces rêveries humaines, il n’est aucun individu sur la terre qui puisse acquérir le droit de m’en blâmer ou de m’en punir. Dans quel gouffre d’erreurs ou d’imbécillités nous plongerions-nous, si tous les hommes suivaient aveuglément ce qu’il a plu à d’autres hommes d’établir ? Et par quelle incroyable injustice nommerez-vous moral ce qui vient de vous, immoral ce qui vient de moi ? À qui nous en rapporterons-nous, pour savoir de quel côté se trouve la raison ?

Mais, objecte-t-on, il y a des choses si visiblement infâmes qu’il est impossible de douter de leur danger ou de leur horreur. Pour moi, j’avoue sincèrement que je ne connais aucune action de ce genre… aucune qui, conseillée par la nature, n’ait fait autrefois la base de quelques coutumes anciennes ; aucune enfin qui, n’étant assaisonnée de quelques attraits, ne devienne, par cela seul, légitime et bonne. D’où je conclus qu’il n’en est pas une seule à laquelle on doive résister, pas une qui ne soit utile, pas une enfin qui n’ait eu pour elle la sanction de quelques peuples.

Mais, vous dit-on imbécilement encore, puisque vous êtes né dans ce climat-ci, vous devez en respecter les usages. Pas un mot : il est absurde à vous de vouloir me persuader que je doive souffrir des torts de ma naissance ; je suis tel que la nature m’a formé ; et s’il existe une contrariété entre mes penchants et les lois de mon pays, ce tort, appartenant uniquement à la nature, ne doit jamais m’être imputé…

Mais, ajoute-t-on encore, nous nuirez à la société, si l’on ne vous en soustrait. Platitudes que cela ! Abandonnez vos stupides freins, et donnez également à tous les êtres le droit de se venger du tort qu’ils reçurent : vous n’aurez plus besoin du code, vous n’aurez plus besoin du sot calcul de ces pédants boursouflés, plaisamment nommés criminalistes, qui, pesant lourdement, dans la balance de leur ineptie, des actions incomprises de leur sombre génie, ne veulent pas sentir que quand la nature a des roses pour nous, elle ne peut nécessairement avoir que des chardons pour eux.

Abandonnez l’homme à la nature, elle le conduira beaucoup mieux que vos lois. Détruisez surtout ces vastes cités, où l’entassement des vices vous contraint à des lois répressives. Quelle nécessité y a-t-il que l’homme vive en société ? Rendez-le au sein des agrestes forêts qui le virent naître, et laissez-lui faire là tout ce qui pourra lui plaire : ses crimes alors, aussi isolés que lui, n’auront plus nul inconvénient, et vos freins deviendront inutiles. L’homme sauvage ne connaît que deux besoins : celui de foutre, et celui de manger ; tous deux lui viennent de la nature. Rien de ce qu’il fera, pour parvenir à l’un ou l’autre de ces besoins, ne saurait être criminel. Tout ce qui fait naître en lui des passions différentes n’est dû qu’à la civilisation et la société. Or, dès que ces nouveaux délits ne sont le fruit que des circonstances, qu’ils deviennent inhérents à la manière d’être de l’homme social de quel droit, je vous prie, les lui reprocherez-vous ?

Voilà donc les deux seules espèces de délits auxquels l’homme peut être sujet : 1° Ceux que l’état de sauvage lui impose : or, n’y aura-t-il pas de la folie, à vous, de le punir de ceux-là ? 2° Ceux que sa réunion aux autres hommes lui inspire : ne serait-il pas plus extravagant encore de sévir contre ceux-là ? Que vous reste-t-il donc à faire, hommes ignorants et stupides, lorsque vous voyez commettre des crimes ? Vous devez admirer et vous taire ; admirer… très certainement, car rien n’est intéressant, rien n’est beau comme l’homme que ses passions entraînent ; vous taire… bien plus sûrement encore, car ce que vous voyez est l’ouvrage de la nature, qui ne doit vous inspirer pour elle que du respect et du silence.

À l’égard de ce qui me regarde, je conviens avec vous, mes amies, qu’il n’existe pas au monde un homme plus immoral que moi ; il n’est pas un seul frein que je n’aie brisé, pas un principe dont je ne me sois affranchi, pas une vertu que je n’aie outragée, pas un seul crime que je n’aie commis ; et, je dois l’avouer, ce n’est jamais qu’au bouleversement constaté de toutes les conventions sociales, de toutes les lois humaines, que j’ai vraiment senti la luxure palpiter dans mon cœur et l’embraser de ses feux divins. Je bande à toutes les actions criminelles ou féroces ; je banderais à assassiner sur les grands chemins ; je banderais à exercer le métier de bourreau. Eh ! pourquoi donc se refuser ces actions, dès qu’elles apportent à nos sens un trouble aussi voluptueux ?

— Ah ! dit Laurentia… assassiner sur les grands chemins !

— Assurément. C’est une violence : toute violence agite les sens ; toute émotion ‘ dans le genre nerveux, dirigée par l’imagination, réveille essentiellement la volupté. Si donc je bande à aller assassiner un homme sur le grand chemin, cette action ayant le même principe que celle qui me fait déboutonner ma culotte ou trousser une jupe, doit être excusée comme elle, et je la commettrai dès lors avec la même indifférence, mais cependant avec plus de plaisir, parce qu’elle a quelque chose de plus irritant.

— Comment, dit ma compagne, jamais l’idée d’un Dieu n’arrêta tes écarts ?

— Ah ! ne me parle pas de cette indigne chimère ! Je n’avais pas douze ans qu’elle était déjà l’objet de ma dérision. Je ne concevrai jamais que des hommes sensés pussent s’arrêter un moment à cette fable dégoûtante que le cœur abjure, que la raison désavoue, et qui ne peut trouver de partisans que parmi des sots, des fripons ou des fourbes. S’il était vrai qu’il y eût un Dieu, maître et créateur de l’univers, ce serait, incontestablement, d’après les notions reçues par ses sectateurs, l’être le plus bizarre, le plus cruel, le plus méchant et le plus sanguinaire ; et, de ce moment, nous n’aurions pas en nous assez d’énergie, assez de puissance pour le haïr, pour l’exécrer, pour l’avilir et le profaner au point où il mériterait de l’être. Le plus grand service que pourraient rendre des législateurs serait une loi sévère contre la théocratie. On n’imagine pas à quel point il est important de culbuter les funestes autels de cet horrible Dieu : tant que pourront renaître ces fatales idées, il n’y aura pour les hommes ni repos, ni tranquillité sur la terre, et le flambeau des guerres religieuses sera toujours suspendu sur nos tètes. Un gouvernement qui permet tous les cultes n’a pas absolument rempli le but philosophique auquel tous doivent tendre : il doit aller plus loin, il doit expulser de son sein tous ceux qui peuvent troubler son action. Or, je vous démontrerai, quand vous voudrez, que jamais un gouvernement ne sera vigoureux ni stable, tant qu’il admettra chez lui le culte d’un Être suprême, c’est-à-dire la boîte de Pandore, l’arme acérée et destructive de tout gouvernement, le système effrayant en vertu duquel les hommes se croient journellement en droit de s’égorger entre eux. Qu’il périsse mille et mille fois, celui qui s’avisera de parler d’un Dieu dans un gouvernement quelconque ! Le fourbe, à ce nom sacré et révéré des sots, n’a d’autre objet que d’ébranler les bases de l’État ; il veut y former une caste indépendante, toujours ennemie du bonheur et de l’égalité ; il veut maîtriser ses compatriotes, il veut allumer les feux de la discorde, et finir par enchaîner le peuple, dont il sait bien qu’il fera toujours ce qu’il voudra, en l’aveuglant par la superstition, et l’empoisonnant par le fanatisme.

— Mais, dit la Durand dans la seule vue de faire jaser notre homme, la religion est la base de la morale ; et la morale, quelles que soient les entorses que tu viennes de lui donner, n’en est pas moins très essentielle dans un gouvernement.

— De quelque nature que vous supposiez ce gouvernement, reprit Cornaro, je vous prouverai que la morale y est inutile. Et qu’entendez-vous, en effet, par morale ? N’est-ce pas la pratique de toutes les vertus sociales ? Or, qu’importe, je vous prie, le respect de toutes les vertus, aux ressorts du gouvernement ? Craignez-vous que le vice, contraire à ces vertus, puisse entraver ses ressorts ? Jamais. Il est même bien plus important que l’action du gouvernement agisse sur des êtres corrompus que sur des êtres moraux. Ceux-ci raisonnent, et jamais vous n’aurez de gouvernement solide, partout où l’homme raisonnera ; car le gouvernement est le frein de l’homme, et l’homme d’esprit ne veut aucun frein. Voilà d’où vient que les plus adroits législateurs désiraient ensevelir dans l’ignorance les hommes qu’ils voulaient régir ; ils sentaient que leurs chaînes assujettissaient bien plus constamment l’imbécile que l’homme de génie. Dans un gouvernement libre, allez-vous me répondre, ce désir ne peut être celui du législateur. Et quel est, selon vous, le gouvernement libre ? En existe-t-il un seul sur la terre ? Je dis plus, en peut-il exister un seul ? L’homme n’est-il pas partout l’esclave des lois, et, de ce moment, ne le voilà-t-il pas enchaîné ? Dès qu’il l’est, son oppresseur, quel qu’il soit, ne doit-il pas désirer qu’il se maintienne toujours dans l’état où il peut être le plus facilement captivé ? Or, cet état n’est-il pas visiblement celui de l’immoralité ? L’espèce d’ivresse dans laquelle végète perpétuellement l’homme immoral et corrompu, n’est-il pas l’état où son législateur le fixe avec le plus de facilité ? Pourquoi donc lui donnerait-il des vertus ? Ce n’est jamais que quand l’homme s’épure qu’il secoue ses freins… qu’il examine son gouvernement, et qu’il en change. Pour l’intérêt de ce gouvernement, fixez-le par l’immoralité, et il vous sera toujours soumis. Je vous le demande, d’ailleurs, les choses vues en grand, de quelle conséquence sont les vices entre les hommes ? Qu’importe à l’État que Pierre vole Jean, ou qu’à son tour celui-ci assassine Pierre ? Il est parfaitement absurde d’imaginer que ces différents délits réciproques puissent être de la plus légère importance à l’État. Mais il faut des lois qui captivent le crime… À quoi bon ? Quelle nécessité y a-t-il de captiver le crime ? Le crime est nécessaire aux lois de la nature, il est le contrepoids de la vertu : il convient bien aux hommes de vouloir le réprimer ! L’homme des forêts avait-il des lois qui continssent ses passions, et n’existait-il pas aussi heureux que vous ? Ne craignez pas que la force soit jamais entamée par la faiblesse ; si celle-ci souffre, c’est une des lois de la nature : il ne vous appartient pas de vous y opposer.

— Voilà, dis-je, un système qui ouvre la porte à toutes les horreurs.

— Mais elles sont nécessaires, les horreurs : la nature ne nous en convainc-t-elle pas, en faisant naître les poisons les plus dangereux au pied même des plantes les plus salutaires ? Pourquoi blâmez-vous le crime ? Ce n’est point parce que vous le croyez mal en lui-même, c’est parce qu’il vous nuit : croyez-vous que celui qu’il sert s’avise de le blâmer ? Eh ! non, non. Si donc le crime fait sur la terre autant d’heureux que de malheureux, la loi qui le réprimera sera-t-elle juste ? Le caractère d’une bonne loi doit être de rendre tout le monde heureux : celle que vous aurez promulguée contre le crime n’aura pas ce grand but ; elle n’aura satisfait que la victime du délit, et sans doute elle aura déplu souverainement à l’agent. Le grand malheur des hommes est de ne jamais, en législation, regarder qu’une portion de l’humanité, sans faire la moindre attention à l’autre ; et voilà d’où viennent tant de bévues.

Nous en étions là, lorsqu’on vint annoncer qu’une femme, plongée dans la plus extrême misère, sollicitait, avec la plus vive instance, l’honneur d’entretenir un instant Cornaro.

— Faites entrer, dis-je, sans donner le temps au Vénitien de répondre.

Aussitôt, les femmes qui entouraient la table à genoux se levèrent pour faire place à cette nouvelle scène, et furent prendre place sur les gradins où les cinquante sultanes présentaient leurs fesses.

On vit aussitôt paraître, avec modestie, une femme grosse, âgée de trente ans, belle comme Vénus, suivie de deux petits garçons lui appartenant, dont un de quatorze ans, l’autre de treize, et deux filles dont elle était également la mère, l’une de quinze ans, l’autre de douze.

— Oh, monsieur ! s’écria-t-elle, en tombant avec sa famille aux genoux de Cornaro, absolument la dupe de la scène que je faisais jouer pour l’émouvoir… oh ! monsieur… monsieur ! c’est votre pitié que j’implore ; au nom du ciel, laissez-vous attendrir sur le sort d’une mère abandonnée de son époux, et dont vous voyez les malheureux enfants vous demander du pain. Depuis deux ans, nous manquons de tout ; sans travail, sans ressource, nous sommes prêts à nous plonger tous cinq dans l’abîme éternel de la mort, si la dureté des hommes persiste à nous enlever tous les moyens de prolonger nos jours… Oh ! mon cher monsieur, ne voyez pas, sans vous attendrir, l’excès de la misère à vos genoux : Soulagez-nous, ou nous allons périr.

Je l’ai dit, rien n’était joli comme cette femme ; son costume négligé, sa grossesse, des grâces infinies répandues sur toute sa personne, des enfants d’une physionomie enchanteresse, d’intéressants pleurs inondant les joues de cette jolie famille, tout enflamma si bien la criminelle luxure de notre libertin que je crus un instant qu’il allait décharger sans qu’on le touchât ; mais il s’en garda bien : c’est pour des scènes bien plus piquantes que le scélérat se réserve ; et c’est pour les exécuter qu’il passe avec moi dans un cabinet, où l’on venait de faire entrer les nouvelles victimes que je viens de peindre.

C’est là que la férocité de cet anthropophage se développe dans toute son étendue. Il n’est plus à lui ; le décousement de ses propos annonce son nouveau désordre ; il ne balbutie plus que des paroles sales et sans suite, que d’affreux mots ou des blasphèmes. Je continuerai de vous le peindre dans cet égarement : tous les traits sont essentiels, à l’artiste qui développe aux hommes les monstruosités de la nature.

— Eh bien, garce ! dit-il en entrant, je viens t’apporter des secours ; tu es grosse, je viens te faire pendre. Allons, nue… et des fesses, surtout… Juliette, je bande, je bande beaucoup… Frotte mes couilles avec de l’esprit-de-vin… Mais déshabille donc ces garces… hâte donc leur toilette !…

Et, en disant ces mots, il lance un si furieux coup de poing dans le visage de la mère qu’il lui poche un œil, lui casse une dent, la jette à vingt pas de lui ; et le bourreau, tout en agissant, touche mon cul d’une manière si brutale que, dans la crainte qu’il ne s’en prenne à moi, je me hâte d’enlever les haillons qui couvrent l’infortunée, déjà sur le sol que vont bientôt arroser et son sang et ses larmes. Cette attitude, en me forçant d’être courbée, présente entièrement mes fesses au paillard ; il s’en saisit et m’encule.

— Déshabille-la donc ! s’écrie-t-il, arrache, déchire, étrangle si elle résiste ! Ne sens-tu pas comme je bande ?

Et, ici, Cornaro exige que cette infortunée vienne me supplier, à genoux, de la déshabiller ; il lui crache au nez pendant qu’elle le fait. Dès que la pauvre femme est dans l’état qu’il désire, il sort de mon cul, la relève, dépouille lui-même, en un clin d’œil, les deux garçons et les deux petites filles, accable ces quatre culs des plus brutales et des plus dégoûtantes caresses ; puis, m’ordonnant de lui brûler les fesses avec une bougie :

— Allons, foutre ! dit-il en fureur, au bout d’un instant, donne-moi donc des verges…

Dès qu’il en est armé, il étend la mère sur le dos, de manière à ce que son gros ventre se trouve absolument présenté ; il établit ensuite, sur le ventre, les quatre enfants par échelons, ce qui lui donne à flageller de suite un ventre et quatre culs. D’abord il baise, il patine tout cela ; il s’extasie à la vue de tant de charmes, s’étonne que la misère et le dénuement de ces malheureuses créatures ne leur aient rien enlevé de leur fraîcheur et de leur embonpoint. Puis, passant de la surprise à la scélératesse, il flagelle à la fois, en remontant avec la rapidité de la foudre, et le ventre le plus dur, le plus blanc, et les huit fesses les plus appétissantes. Je le branlais pendant l’opération, j’entretenais son énergie par les détails les plus atroces et les plus sanguinaires. De temps en temps, quand il se reposait, quand il s’extasiait à la vue des plaies ouvertes par sa barbarie, il me mettait le vit dans le cul, se retirait au bout de trois ou quatre saccades, et reprenait ses funestes fustigations. Las de ce premier plaisir, il se mit à comprimer le ventre de la jeune mère, à le pétrir, à le battre, à l’accabler de coups de poing ; et, pendant ce temps, il dévorait de baisers les fesses sanglantes des quatre enfants.

Les attitudes changent : il couche la mère au milieu du lit, sur le dos, établit entre ses jambes, tour à tour, chacun de ses enfants, et les encule, en accablant le ventre de la mère des plus sensibles outrages.

— Mon ami, dis-je, je lis dans tes yeux que ton foutre va te trahir ; tu ne tiens pas, à tout le piquant de cette scène ; tes forces se perdront, et tu ne pourras plus ni consommer ton crime, ni jouir des nouveaux épisodes qui doivent en précéder l’accomplissement.

— Et que me prépares-tu donc encore ? dit le Vénitien, ivre de lubricité.

— Viens, dis-je, laisse un moment reposer ces créatures, tu les reprendras dans une minute.

Je l’entraîne dans une salle où Durand venait de préparer, avec Laurentia, la nouvelle scène que vous allez voir.

Cette salle représentait un de ces temples où se célébraient autrefois les Saturnales, à Rome. Neuf tableaux lubriques s’offrirent au Vénitien.

Le premier représentait un bel homme, bandant près du cul d’un petit garçon, qu’un autre giton caressait.

Au second, se voyait une femme de quarante ans, branlant une jeune fille de quinze ans, elle-même branlée par une fille de dix-huit.

Au troisième, un vigoureux athlète enculant une belle négresse, et léchant le con d’une jolie blanche.

Au quatrième, une mère fouettant sa fille, et fouettée elle-même par un homme.

Le cinquième offrait un homme enculant un veau et sodomisé par un chien.

Le sixième, un homme fouettant à tour de bras sa propre fille, attachée le long d’une échelle ; on l’étrillait pendant ce temps-là lui-même.

Le septième, un groupe de dix jeunes filles se gamahuchant toutes les dix.

Le huitième, un groupe de dix hommes s’enculant tous mutuellement, et dans des attitudes assez bizarres pour ne composer qu’une masse ronde.

On voyait au neuvième, enfin, des hommes enculant des filles tarées, pendant qu’ils gamahuchaient des vieilles de soixante ans, et que des petits garçons leur mordaient les fesses.

Au milieu de tout cela, deux matrones semblaient offrir à Cornaro six jeunes filles de deux ou trois ans, toutes nues, et belles comme des petits Amours ; elles étaient couronnées de fleurs. Tout agissait ; tout bandait ; tout se prêtait. On n’entendait que des cris ou de plaisir ou de douleur, et le murmure délicieux des cinglons de verges. Tout était nu ; tout présentait la lubricité sous ses faces les plus scandaleuses. Des flots abondants de lumière, produits par des lampes nourries d’huile de jasmin, dont le parfum flattait autant l’odorat que les rayons enchantaient les yeux, achevaient de rendre ce temple l’un des asiles les plus délicieux que la luxure eût encore vus s’ériger pour elle.

Notre homme parcourt les différents tableaux offerts à sa luxure. Deux fouteurs et deux fouetteuses le suivent, afin d’irriter son cul, tour à tour, de toutes les différentes manières possibles128. Ici, le paillard presse des tétons ; de ce côté, il égratigne un con ; par là, de vigoureux coups de poing ensanglantent les plus jolies figures. C’est le tigre en fureur au milieu d’un troupeau de brebis.

— Allons, dit-il, finissons : je n’y puis plus tenir ; mais je veux opérer devant du monde ; je veux joindre le plaisir du scandale aux horreurs qui décideront à la fin mon sperme. Donne-moi six jeunes filles et six jeunes hommes, des plus sensibles et des plus honnêtes que tu aies ici. Ils m’entoureront pendant que j’agirai, et je ferai tout ce qui dépendra de moi pour être le plus effrayant possible.

Je lui amène sur-le-champ ce qu’il demande, et nous passons tous dans le cabinet où nous attend cette malheureuse famille. On l’entoure ; la peine de mort est prononcée contre ceux ou qui ne pourront soutenir ce spectacle ou qui y verseront des larmes. Cornaro se saisit de la mère ; il l’attache par les pieds et la suspend ainsi au plafond, afin que son enfant l’étouffe. Il fait tenir la plus jolie des filles par sa sœur ; il l’encule. Puis, armé d’une soie à triples dents, il tranche ainsi, lentement, la tête de cette infortunée, tout en l’enculant. Le cruel fit durer plus d’une heure cette exécrable opération. Trois des spectatrices se trouvent mal et se brisent la tête en tombant.

— Marque-les, dit Cornaro, je les travaillerai quand j’aurai fini…

La tête tombe enfin. Un autre remplace ; et ce n’est que dans le cul du dernier des garçons, et en déchiquetant le cou de cette dernière victime, que le scélérat perd enfin les flots du sperme écumeux dont les bouillonnements le rendent aussi féroce. Trois autres spectatrices s’étaient de même, évanouies ; tout le reste fondait en larmes. Quant à la mère, elle n’existait plus : son enfant, redescendu dans la poitrine, l’avait étouffée. On ne voyait donc, dans cet affreux repaire, d’un côté, que l’épuisement du crime, et que ses sinistres effets de l’autre.

— Eh quoi ! mon ami, dis-je en m’approchant du coupable et secouant son vit, quoi ! tu laisseras ces victimes impunies ? tu n’exécuteras pas la sentence que tu as portée contre elle ?

— Non, dit le Vénitien, je suis épuisé ; je ne suis pas ennuyé du crime, mais j’en suis las ; il faut que je me repose…

Désespérant d’en tirer davantage, je lui fais servir un consommé, et il se retire, après m’avoir payé cent mille francs les orgies qu’il vient de célébrer.

L’individu le plus apparent qui vint nous visiter, après ce personnage, fut une noble Vénitienne, très riche et très connue par ses débauches. Silvia, âgée de quarante-cinq ans, grande, faite à peindre, et les plus beaux yeux possibles, arrivait pour passer trois jours entiers dans notre maison.

— Mes amies, nous dit-elle, j’ai une réplétion de foutre qui ne peut s’épancher que dans des horreurs, et j’en désire de tous les genres. Je veux d’abord, poursuivit cette nouvelle Messaline, que vous me prostituiez à quelque libertin, dont les goûts bizarres me promènent tour à tour dans les sentiers les plus bourbeux de la crapule.

— Il en est un tout prêt, là-bas, répondis-je, madame, et qui sûrement fera votre affaire ; mais il vous battra, il vous rossera.

— Ah ! mon cœur, c’est tout ce que je demande ; je brûle d’être la victime d’un tel libertin… Que me fera-t-il ensuite ?

— Après vous avoir traitée comme la dernière des malheureuses, il vous obligera de lui branler des vits sur le visage ; il vous fera foutre en con devant lui, et finira par vous enculer.

— Ah ! c’est délicieux ! répondit Silvia ; voilà précisément ce que je désire. Pressons-nous de commencer par cette scène : je vous ferai part ensuite de quelle manière je veux la terminer.

Je fis monter l’homme en question. Il m’avait positivement demandé quelqu’un de l’âge et de la tournure de Silvia. Sa joie fut extrême en la voyant. Nos deux acteurs furent bientôt aux prises ; et moi, derrière ma cloison, nonchalamment couchée entre deux filles, qui me branlaient à la fois par-devant et par-derrière, je ne perdais rien du spectacle. Dorsini débuta par une douzaine de coups de pied au cul, rapidement suivis d’une vingtaine de soufflets et de huit ou dix coups de poing ; mais tout cela distribué avec une telle rapidité, que Silvia put croire qu’elle était assaillie d’une grêle. Cependant sa contenance est ferme, et ses yeux mêmes n’annoncent que du plaisir. À cet orage succèdent des invectives : on n’a jamais traité une femme comme Dorsini traite Silvia.

— Allons, dit-il, qu’on m’amène des vits ! je veux voir comment cette putain exerce son métier…

Six beaux fouteurs paraissent ; Silvia, nue, les fesses appuyées sur le vit du paillard, lui fait dégorger des engins sur le visage ; il est arrosé de sperme ; on lui en barbouille le nez ; à peine bande-t-il. Six nouveaux jeunes gens paraissent ; il leur ordonne de foutre sa putain.

— Sacredieu ! s’écrie-t-il, en la voyant s’agiter sous eux, quelle coquine, quel dévergondage !… Oh ! vieille garce, comme le tempérament te domine ! Jure, putain, sacre donc Dieu !…

Et c’est par mille et mille invectives à l’Éternel que Silvia répond à cette invitation. On ne porta jamais plus loin l’idiome du blasphème. Cette persuasion au moins me fut restée, si Dorsini n’eût encore enchéri sur elle. Pendant ce temps, le coquin se branlait lui-même, en maniant tour à tour le cul des fouteurs et celui de sa gueuse. Il la fait enfin retourner ; un vigoureux fouteur qui l’enconne expose ses fesses à Dorsini, lequel, après un examen préalable de ce cul qui, comme vous l’imaginez bien, ne se fait pas sans quelques vexations, braque son vit sur l’orifice immoral et s’engloutit en une minute. Silvia souffre tout sans sourciller, tant il est vrai qu’il est possible de trouver autant de plaisir au rôle de patient qu’à celui d’agent : l’imagination est l’unique berceau des voluptés, elle seule les crée, les dirige ; il n’y a plus qu’un physique grossier… imbécile, dans tout ce qu’elle n’inspire ou n’embellit pas.

Mais Dorsini, qu’on encule lui-même pendant qu’il agit, ne fait que s’exciter provisoirement dans l’anus ; la bouche est son temple ordinaire, c’est là que son hommage se consomme ; il la demande avec fureur et continue de la foutre dès qu’il est englouti, et le coquin décharge, au grand contentement de sa coquine, qui le suce avec une ardeur bien propre à caractériser son putanisme et tout l’affreux désordre de sa tête impudique. Dorsini paye et se retire.

— Partageons, me dit Silvia, j’aime l’argent qui vient du bordel, il m’a toujours porté bonheur. Me voilà suffisamment échauffée, me dit-elle ensuite, procédons au reste.

Alors la coquine, réunissant dans un vaste salon vingt-cinq hommes superbes et vingt-cinq filles de la plus grande beauté, se livre, seize heures de suite, devant moi, aux plus monstrueux écarts de la débauche, aux passions les plus désordonnées, aux goûts à la fois les plus sales et les plus extraordinaires dans une femme qui, nécessairement, n’a dû contracter de pareilles habitudes qu’après avoir renoncé à tous les soins de sa réputation, à tous les principes de pudeur et de vertu dont il semble que notre sexe doive être exclusivement le dépositaire, et dont il ne s’écarte jamais sans surpasser alors tout ce que les hommes offrent de plus exécrable en ce genre.

Silvia, tout en feu, finit par la cruauté ; c’est l’usage. Voici l’horreur qu’elle inventa. Elle choisit pour victime un petit garçon de treize ans, joli comme un ange.

— Je lui ferai beaucoup de mal, me dit-elle ; peut-être même le réduirai-je en une telle extrémité que tu l’enterreras peu de jours après. Combien veux-tu me le vendre ?

— Mille sequins.

Le marché est conclu. La coquine fait lier cet enfant à plat ventre sur un banc recourbé, en telle sorte qu’il lui exposait entièrement son derrière ; elle s’accroupit alors sur le visage d’un beau jeune homme, couché sur des piles de carreaux, et se fait lécher le con par lui, pendant qu’un autre, à genoux devant sa croupe, lui gamahuche le cul. Excitée de cette manière, elle s’arme d’une bougie, et se délecte à calciner lentement les fesses et le trou du cul de la victime qui, comme vous l’imaginez bien, jette des cris affreux pendant l’opération. Pour Silvia, elle décharge ; la garce se pâme en blasphémant comme un charretier et pousse la férocité au point de faire retourner l’enfant et de lui arracher avec les dents toutes les parties qui forment son sexe. Nous le retirons évanoui ; le malheureux mourut trois jours après ; et Silvia triomphante, après m’avoir couverte d’or, ne fut pas longtemps sans venir renouveler chez moi de pareilles horreurs.

Ce fut à elle que nous dûmes, quelques mois après, la connaissance du sénateur Bianchi, l’un des plus riches citoyens de la république, âgé d’environ trente-cinq ans. La manie de ce libertin était de prostituer, au bordel, deux de ses nièces dont il était le tuteur. À quelque point que cet homme eût tâché d’anéantir la pudeur dans l’âme de ces jeunes personnes, elles se ressentaient cependant encore assez de l’excellente éducation qu’elles avaient reçue pour ne se prêter qu’avec peine à un tel acte de débauche. Elles rougirent en me regardant, et ce fut là où je pus voir à quel point cette heureuse candeur embellissait les grâces dont la nature les avait parées : il était impossible d’être plus jolies. De ce moment, j’embrasse, avec délices, le luxurieux projet du paillard, et me plais, par d’indignes propos, à scandaliser ces oreilles chastes.

— Quelle marchandise faut-il à ces putains, mon ami ? dis-je au sénateur ; leur faut-il du gros ou du menu ?

— Regarde toi-même, me répondit Bianchi, en troussant l’une après l’autre ses deux nièces devant moi, mesure leurs cons, et vois ce qu’il leur faut.

— Bon, dis-je, après y avoir assez brutalement fourré mes doigts… c’est du médiocre qui convient.

— Eh ! non, non, sacredieu ! s’écria Bianchi ; je veux les élargir : donne-moi ce que tu as de plus gros.

Et d’après cet ordre expressif, dont les pauvres filles continuaient de rougir, je présente six jeunes fouteurs dont les membres avaient au moins douze pouces de long sur huit de circonférence.

— Voilà ce que je veux, me dit notre homme en les maniant ; mais six ne sont pas assez, ma chère, tu ne connais pas l’appétit de ces demoiselles avec leur air Agnès, elles foutent, quand elles y sont, comme des louves, et douze hommes, je le parierais, ne les satisferont qu’à peine.

— Eh bien ! dis-je, en voilà six de plus. Et toi, que te faut-il, aimable libertin ? Que fais-tu pendant qu’on déshonore tes nièces ?

— Je fous des garçons ; fais-m’en venir six de douze ans, tout au plus…

À l’instant je les lui procure ; l’opération commence, et me voilà à mon poste, car vous croyez que je manquais bien peu de pareilles scènes.

Ce libertin fit des horreurs, et en fit exécuter sur ses nièces de plus terribles encore ; il mourut quelque temps après cette scène, et le barbare avait, en expirant, déshérité ces malheureuses. La misère dans laquelle il les laissa les contraignit à venir nous demander un asile, que nous leur accordâmes au prix d’une prostitution qui nous valut beaucoup d’argent. Ce fut la cadette, c’est-à-dire une des plus belles filles de l’Europe, que je livrai, quelque temps après, à l’homme dont la passion mérite un article à part dans cet intéressant recueil des lubricités inhumaines.

Alberti était un homme grand, sec, d’environ cinquante-cinq ans, dont le seul aspect était capable d’effrayer une femme. Je lui fis voir la délicate et belle enfant que je lui destinais. Il m’ordonne de la faire mettre nue, et l’examine ensuite, en la palpant brutalement, comme on fait à un cheval dont on veut connaître les défauts. Pas une parole pendant cet examen : pas un geste qui prouvât la lubricité : ses yeux s’enflammaient seulement ; il respirait avec difficulté.

— Est-elle grosse ? me demanda-t-il au bout de quelques instants, en portant ses mains sur le ventre, toujours avec la même brutalité.

— Je ne le crois pas, répondis-je.

— Tant pis ; je vous la payais le double, si elle l’eût été ; quoi qu’il en soit, que veux-tu de cette bête ? tu sais à quoi je la destine.

— Deux mille sequins, dis-je.

— Je les donnerais si elle était grosse ; ne l’étant pas, je n’en offre que la moitié.

Nous marchandons en face de la victime ; je la livre enfin. Dès l’instant, elle est enfermée dans une chambre de notre maison, si basse et si prodigieusement isolée que ses cris ne pouvaient s’entendre. Là, couchée sur de la paille, le supplice de cette malheureuse devait durer neuf jours ; la nourriture diminuait par gradation jusqu’au quatrième jour : il ne lui était plus rien fourni les cinq derniers. Chaque jour, le féroce Alberti venait supplicier sa victime ; il y passait deux heures. Rosalba et moi assistions à la séance, avec une autre fille qui se changeait tous les jours.

La première chose que fit ce cruel libertin fut de presser fortement, et les fesses et les tétons de la victime ; il les mollissait, les pinçait, les comprimait avec un tel art qu’en moins d’une heure, ces quatre globes de chair devinrent tout meurtris. Placée en face de lui, parfaitement à hauteur de sa bouche, il baisait mes fesses pendant ce temps-là, tandis que Rosalba le branlait, et que celle qui changeait tous les jours le fustigeait à tour de bras. Plongé dans un recueillement total, Alberti ne laissait échapper que des mots coupés, entremêlés de jurements.

— Les vilaines chairs ! dit-il ironiquement ; quel exécrable cul ! De semblables tripailles ne sont bonnes qu’à bouillir.

Et les Grâces embellissaient celles qu’il osait traiter de cette manière. Il ne déchargea point.

Pendant les deux premiers jours, les procédés furent les mêmes. Le troisième, les parties charnues de la victime se trouvèrent tellement flétries, tellement boursouflées, qu’une fièvre assez violente s’empara de son sang.

— Bon, dit Alberti, voilà où je la voulais ; mon intention était que le régime ne commençât que le quatrième jour… Mais ce nouvel événement le décide pour aujourd’hui.

Et il continue de pressurer. Au bout de la séance, il sodomise la victime, en lui pinçant vigoureusement les cuisses ; puis il traita de même la nouvelle fille qui nous aidait, et gamahuchait mon derrière. Les épisodes des trois jours suivants furent les mêmes. Jamais il ne déchargeait. À cette époque, les fesses et les tétons de la victime ressemblaient à des peaux de bœuf que le soleil a racornies, et la fièvre, malgré le régime, ayant toujours augmenté, nous crûmes que la malheureuse n’irait pas au neuvième jour.

— Il faut la faire confesser, me dit-il enfin, le huitième, en se retirant ; elle expire, sans faute, à la séance de demain…

Cette précaution me fit rire ; mais quand je sus que ce paillard voulait être le témoin secret de cette cérémonie, et qu’elle ne devenait qu’un véhicule à sa lubricité, je m’y prêtai de la meilleure grâce.

Un moine vint, et confessa la malheureuse, pendant qu’Alberti, entre Rosalba et moi, écoutait, du cabinet voisin, tout ce que disait la malade. Rien ne parut l’amuser autant que cet épisode.

Ah ! foutre, disait-il pendant que nous le branlions, c’est pourtant moi qui la réduis là… Voilà mes œuvres ! Oh ! la garce, comme j’aime à l’entendre…

Et au moyen de ce que nous avions dit à la moribonde que le confesseur était sourd, nous ne perdîmes pas un mot de cette sainte conversation. Le moine disparaît ; le paillard entre. La jeune fille, épuisée de faim, de fièvre et de contusions, paraît toute prête à rendre l’âme. Tel est le spectacle dont le scélérat veut jouir. Il la met bien en face de lui, et pendant qu’il encule Rosalba… que la nouvelle le fouette, il m’ordonne de continuer, sur le corps de la victime, les mêmes vexations dont il l’a tourmentée jusqu’alors. Je remanie ces peaux pendantes ; à la seconde ou troisième compression, la malheureuse, épuisée d’aussi longues souffrances, tombe à nos pieds, sans vie. Tel est l’instant de la décharge de notre homme. Mais, juste ciel ! quels élans : je n’avais vu de mes jours une décharge ni aussi longue, ni aussi impétueuse. Il fut plus de dix minutes en extase ; et le résultat du clystère le plus abondant l’eût été moins que celui de l’éjaculation de ce scélérat.

Alberti devint une de nos meilleures pratiques : il ne s’écoulait pas de mois qu’il ne fît une neuvaine dans notre maison. Nous lui livrâmes bientôt l’autre nièce de Bianchi, mais qui, plus délicate, expira dès le septième jour.

Au travers de tout cela, la Durand menait son cabinet à merveille. Elle s’était si bien informée de toutes les intrigues de la ville, qu’elle était devenue, au bout de fort peu de temps, en état de dire la bonne aventure à tout le monde. Elle sut que le sénateur Contarini, père d’une fille de seize ans, belle comme le jour, en était éperdument amoureux. Elle va le trouver.

— Échauffez, lui dit-elle, la tête de votre charmante Rosina sur le désir de se faire annoncer ce qui doit lui arriver dans le cours de sa vie ; indiquez-lui ma maison ; je vous y cacherai, et vous réponds de vous faire jouir d’elle amplement, dans les différentes cérémonies où je la soumettrai pour lui dire sa bonne aventure.

Le sénateur, hors de lui, promet à Durand tout ce qu’elle voudra, si elle réussit. La modeste Durand s’informe des passions du père ; et comme le paillard exigeait beaucoup de choses, elle lui demande trois mille sequins. Contarini, fort riche, en compta la moitié d’avance, et le jour est pris pour le surlendemain.

Rosina, très enflammée du désir de se faire annoncer l’avenir, écrit à la Durand pour lui demander son jour, et celle-ci ne manque pas de lui indiquer celui dont elle est convenue avec le père. Elle arrive, renvoie sa duègne. Et, je l’avoue, quand cette belle fille fut débarrassée des gazes qui la couvraient, nous crûmes voir l’astre du jour se montrer, après un orage, sur l’horizon de la nature. Représentez-vous ce que le ciel a pu former de plus parfait, et vous n’aurez encore qu’une imparfaite idée de l’intéressante fille que je vais en vain essayer de vous peindre.

Rosina, âgée de seize ans, grande et faite comme les Grâces, ressemblait à ces belles vierges qu’immortalisa le pinceau de l’Albane. Ses cheveux châtains retombaient en boucles flottantes sur son sein d’albâtre ; ses grands yeux bleus inspiraient à la fois l’amour et la volupté ; et c’est sur sa bouche de rose qu’on désirerait éprouver tous les traits du Dieu séducteur dont son ensemble était l’image. On n’eut jamais une plus belle peau, jamais un sein plus rond, des cuisses plus potelées, un con plus étroit, plus chaud, plus mignon… et des fesses !… Ah ! quel être au monde eût pu résister à ce beau cul ? J’avoue qu’en le voyant, il me séduisit au point que je ne pus m’empêcher de l’accabler de caresses. Nous prévînmes cette aimable enfant de tout ce à quoi elle devait s’attendre pour obtenir les prophéties qu’elle demandait.

— Vous serez fouettée, mon ange, lui dit la Durand ; soumise d’ailleurs à un homme qui jouira de vous de toutes les manières imaginables.

— Oh ! ciel, si jamais mon père…

— Est-il rigoureux, votre père ?

— Jaloux de moi comme d’une maîtresse.

— Soit ; mais il ne saura jamais un mot de ce qui va se passer : c’est l’Être suprême qui va s’emparer de vous, chère fille, et les brèches que ses jouissances occasionneront seront réparées sur-le-champ. D’ailleurs, cette cérémonie est indispensable : vous n’apprendrez pas ce que vous désirez, si vous refusez de vous y soumettre.

Et, je vous l’avoue, mes amis, rien ici ne nous amusa davantage comme les combats de la pudeur et de la curiosité. Rosina voulait et ne voulait pas ; tantôt révoltée des épreuves, tantôt séduite par l’espoir de son instruction, rien n’était plaisant comme cet état d’incertitude ; et sans l’arrivée du père, nous nous en serions, je crois, amusées tout un jour. Mais comme le sénateur était là, il fallut promptement frapper les derniers coups. Rosina se décide à la fin. Je passe du côté du père ; la Durand reste avec la fille.

Quelle que fût la tendresse de Contarini pour sa fille, comme dans une âme pareille le libertinage était tout et le sentiment rien, le sénateur ne m’en fit pas moins quelques agaceries suffisantes à me persuader que je ne lui déplairais pas, en exposant mes charmes à ses yeux. Je le satisfis, et ses caresses me convainquirent bientôt de ses goûts. Le paillard aimait passionnément le derrière, et il en était encore à caresser le mien, quand nous entendîmes frapper à la cloison.

— Allons, lui dis-je, préparez-vous, le corps de votre charmante fille va vous arriver.

Les planches s’entrouvrent, et la belle Rosina, jusqu’au cou, tombe nue à la disposition de l’incestueux sénateur.

— Oh ! foutre, s’écrie-t-il, dès que ce trésor est ouvert à ses yeux, branle-moi, Juliette, branle-moi ! je vais mourir de plaisir en examinant tant d’attraits…

J’exécute ; le libertin parcourt ; tout paraît un moment égal à ses désirs ; le con même est baisé par lui ; mais le cul l’emporte bientôt. On ne se fait pas d’idée de l’ardeur avec laquelle ses baisers le couvrent.

— Branle en dessous, me disait-il, pendant que je vais lécher le trou de ce beau cul.

Et n’étant bientôt plus maître de lui, son vit, plus dur que le fer, se présente au trou : il encule. Rosine, peu faite à de semblables attaques, pousse des cris affreux ; rien n’arrête l’impétuosité de ce libertin, il pousse, il presse, il est au fond. Le coquin touche mes fesses ; il veut que ma bouche se colle sur la sienne, qu’une de mes mains favorise ses attaques, pendant que l’autre lui chatouillera le trou de son cul.

— Libertin, dis-je en lui obéissant, ton intention est-elle donc d’en rester là, et ce joli petit mont de Vénus ne sera-t-il donc point attaqué par toi ?

— Non, me dit le fidèle sodomiste, non, je débanderais à l’entreprise : il y a quinze ans que je ne touche plus à ce fruit, et quinze ans qu’il me fait horreur ; mais je vais fouetter…

Il se retire en disant cela, saisit les verges que je lui présente, et se met à étriller sa fille avec une telle violence que le sang dont nous avions besoin pour l’opération s’écoule promptement sur les cuisses.

— Tu me trouves cruel, mon enfant, me disait Contarini ; mais on n’est pas le maître de ses passions : plus celles où nous nous livrons sont raffinées et plus leurs excès sont affreux…

Et, ici, le désir d’augmenter les tourments de cette jolie petite malheureuse m’inspira d’épouvantables conseils.

— Quels sont vos projets sur cette fille ? lui demandai-je.

— La bien foutre, la fesser cruellement, m’en divertir ainsi trois mois, la forcer à prendre ensuite le voile…

Et les coups de fouet, pendant ce dialogue, déchiraient toujours la plus belle peau du monde.

— En vérité, monsieur, ce n’est pas trop la peine, ce me semble, de la garder comme cela ; et quand vous en serez rassasié, on vous fournira facilement ici les moyens de vous en défaire, et vous n’aurez pas de dot à payer.

— Que dis-tu, Juliette ?

— Il y a mille façons. Comment ! l’idée d’un meurtre de débauche n’est jamais venue souiller votre imagination ?

— Si… j’ai quelquefois conçu cette fantaisie… mais avec ma fille !…

Et je voyais le vit du paillard lever, à cette idée, une tête rubiconde et vermeille, signe assuré du plaisir dont le seul aperçu du projet enflammait ses sens irrités.

— Juliette, poursuivait-il en baisant avec fureur les traces de ses cruautés, tu m’avoueras que ce serait un crime horrible, un délit sans exemple, et dont frémirait la nature.

— Vous en jouirez pourtant.

Alors, pour achever d’enflammer le paillard, je tire des cordons préparés. La chambre où nous sommes s’obscurcit au plus grand degré ; je frappe contre la cloison, et le corps entier de Rosina passe dans la chambre.

— Observez-vous, dis-je bas à Contarini, la voilà tout entière ; mais ne dites mot…

Le libertin saisit sa fille, s’enivre sur sa bouche et sur ses tétons des plus divins baisers, la rencule et décharge.

— Oh ! ciel, qu’avez-vous fait, lui dis-je, je vous la livrais : que n’en avez-vous profité ?… Renvoyons-la, et je vais tâcher de vous rappeler à la vie, pendant que la Durand tirera son horoscope.

Je refrappe ; la cloison s’ouvre, l’enfant disparaît et, pendant ce temps, l’adroite Durand la vendait à un autre. Nous avions trois ou quatre abonnés qui ne s’amusaient que de ces sortes de prostitutions ; et l’on avait soin de leur livrer ce que l’on supposait devoir leur convenir.

Je fis l’impossible alors pour tirer notre homme de son engourdissement : rien ne put y réussir. Contarini était un de ces hommes faibles qui ne conçoivent le crime que dans le délire des passions ; l’idée que je lui proposais était trop forte pour lui, il redemanda sa fille avec instance. Je fus aussitôt prévenir la Durand ; mais trop sûre de gagner des monts d’or avec cette délicieuse petite fille, elle m’assura qu’elle ne la rendrait jamais. Absolument de cet avis, je me hâtai de lui proposer un moyen qui remplirait notre but mutuel ; elle arrange tout.

— Oh ! monsieur, dis-je en larmes en revenant trouver le père, votre malheureuse fille… eh bien ! effrayée de la prédiction qui lui a été faite, elle vient de se jeter par une fenêtre : elle est morte, monsieur, elle est morte.

Contarini, désolé, repasse dans l’appartement de ma compagne ; on lui fait voir un cadavre défiguré, de l’âge et de la tournure de sa fille ; le benêt croit tout. Un moment, il veut employer la menace, mais bientôt contenu par la crainte d’une récrimination trop juste, dont il sait que nous pouvons légitimement nous armer, il se tait, sort en larmes, comme un imbécile, et nous laisse sa chère et adorable fille qui, promptement séduite par nous, devint bientôt une de nos meilleures putains.

À quelque temps de là, un noble Vénitien de la première clse vint nous acheter du poison pour une femme qu’il avait adorée, et dont il était devenu l’époux depuis deux ans. Le malheureux se croyait trompé. Il ne l’était pas : sa femme était un modèle de sagesse et de retenue. J’étais la seule cause des soupçons qu’il avait contre elle ; ils étaient l’ouvrage de ma méchanceté. Cette femme me déplaisait ; je voulais la perdre : j’y réussis ; le scélérat l’empoisonna lui-même, et vous jugez des effets que j’en ressentis.

Peu après, un fils vint nous en demander pour son père. Il s’agissait de la succession ; le jeune homme, impatient, s’ennuyait d’attendre : pour deux mille sequins, nous lui vendîmes le secret d’entrer en jouissance dès le lendemain.

Vous me rendez, j’espère, assez de justice pour croire qu’au milieu de tout cela je ne m’oubliais point. Assez riche pour donner énormément à mes plaisirs, et pour ne me livrer aux autres que par caprice ou par sordidité, je me plongeai, sans aucune retenue, dans un gouffre d’horreurs et d’impudicités. Mon goût pour le vol et pour le meurtre s’exerçait à travers tout cela ; et dès que ma perfide imagination condamnait une victime, il était bien rare qu’elle ne fût immolée sur-le-champ.

J’en étais là de mes désordres moraux et physiques, lorsqu’un jour, je reçus de Zeno, chancelier de la République, l’invitation de me rendre, avec mes deux amies, à sa campagne, située sur les bords du canal de la Brenta. Nous y passâmes une journée entière, au milieu de ce que la lubricité put nous fournir de plus piquant. Excédés de fatigue, nous étions à nous restaurer par un souper délicieux lorsqu’une fille de dix-huit ans, belle comme le jour, demanda instamment à parler à Zeno.

— Comment ! ici, dans l’asile de mes plaisirs ! à l’heure qu’il est !

— Excellence, dit l’introductrice, elle a tout forcé, elle est au désespoir, elle accourt exprès de Venise, elle dit que la chose est pressée, et qu’il n’y a pas un moment à perdre.

— Faites entrer, dit Zeno… Ô Juliette ! poursuivit-il en me parlant bas, ou je me trompe, ou voici quelque occasion de mettre en action mes principes.

Les portes s’ouvrent, et la plus belle créature que j’aie vue de ma vie tombe en larmes aux pieds du magistrat.

— Oh, monseigneur ! s’écrie la belle affligée, il s’agit de la vie de mon père. Arrêté hier, pour une prétendue conspiration dans laquelle il n’entra de ses jours, il va demain porter sa tête sur l’échafaud… Vous seul pouvez le sauver ; je vous conjure de m’accorder sa grâce. S’il faut que le sang de l’un des deux coule, ô monseigneur, prenez le mien, et sauvez celui de mon père.

— Aimable enfant, dit Zeno en relevant cette fille et en la faisant placer près de lui, n’êtes-vous pas la belle Virginie, fille du noble Grimani ?

— C’est moi-même.

— Je connais votre affaire, mademoiselle ; et certes, votre père, quoi que vous puissiez dire, est grandement coupable.

— Non, monseigneur.

— Il l’est ; mais tout peut s’arranger… Juliette, suivez-moi… Je suis à vous dans un instant, Virginie ; je vais écrire ce qu’il faut pour sauver votre père.

— Ô brave seigneur !

— Un moment, ne pressez pas autant les effets de votre reconnaissance ; cette grâce n’est pas accordée.

— Comment ?

— Vous saurez tout, mademoiselle ; tout sera bientôt dans vos mains, et vous ne pourrez bientôt plus vous en prendre qu’à vous-même si vous n’obtenez pas ce que vous demandez.

Nous passons dans un cabinet.

— Voilà, me dit Zeno, une créature qui me fait extraordinairement bander ; c’est la plus belle fille de Venise ; il faut que je l’aie, à quelque prix que ce soit ; cependant, je ne puis sauver son père, et quand je le pourrais, Juliette, je ne le ferai certainement pas. Je vais écrire deux lettres : dans l’une, je demanderai sa grâce ; sa prompte exécution dans la seconde ; et ce sera cette dernière que je ferai porter, tout en lui faisant croire que c’est l’autre. Persuadée que j’envoie celle qui flatte ses désirs, Virginie m’accordera tout. Mais quand elle verra que je l’ai trompée… ô Juliette ! c’est ce qui m’embarrasse.

— Et quelle nécessité y a-t-il de la renvoyer ?

— Sa fille… Venise… la république entière.

— Il faut la dénoncer elle-même.

— Mais, en l’accusant, je ne peux plus en jouir : elle me perdra.

— Zeno, vos accusations sont secrètes, vos tribunaux obscurs, vos exécutions nocturnes ; promettez à cette fille la grâce de son père ; envoyez, ainsi que vous l’avez dit, le billet contraire à ce dessein ; jouissez d’elle ; accusez-la tout de suite après : je vous proteste que mes femmes et moi, nous vous servirons de témoins. Ces petites horreurs sont des jouissances pour mon cœur dépravé, et je m’y livre avec délices. Certifiez que cette créature n’est venue ici que pour vous séduire, nous le soutiendrons de même ; traitez de calomnies, de récriminations, tout ce qu’elle inventera pour sa défense ; payez bien l’avocat de forme qui lui sera donné ; que son procès s’instruise avec autant de promptitude que de mystère, et, dans vingt-quatre heures, si vous le voulez bien, elle est expédiée.

— Tu as raison… Voilà les billets écrits… Rentrons… Oh ! Juliette, quelle jouissance !… Non, je ne vis jamais une fille plus aimable que toi.

Voilà, dit Zeno en reparaissant, la grâce de votre père, mademoiselle ; lisez ce papier ; mais vous imaginez, j’espère, que de telles faveurs ne s’accordent pas pour rien.

— Oh ! monseigneur, toute notre fortune est à vous prenez, disposez, ordonnez, j’ai ordre de ma famille de prendre avec vous, sur cela, tous les arrangements que vous voudrez.

— Il ne s’agit point d’argent, dit Zeno, ce que j’exige est plus précieux : ce sont vos charmes, Virginie, qu’il faut m’abandonner ; telle est la seule récompense que j’exige pour la grâce que je vous accorde, et le courrier ne part pas que je n’aie obtenu ce que je demande.

— Grand Dieu ! quel sacrifice !… Ô toi que j’aime, dit-elle en tirant de son sein le portrait de son amant, faut-il donc que l’on ait la cruauté de me mettre entre l’infidélité et l’infamie ! Ah ! monseigneur, quelle belle action vous feriez en vous contentant du bonheur de sauver la vie à un innocent…

— Cela est impossible ; il faut même que vous vous décidiez à la minute même… Les crimes de votre père sont tels que, dans quelques minutes, il ne sera plus temps…

Et pendant qu’elle se consultait, Zeno fut s’enfermer avec Lila, pour achever de s’exciter aux infamies qui l’animaient. Je donne le mot à Rosalba, dont l’esprit pénétrant faisait chaque jour de nouveaux progrès ; et pour combler la méchanceté, nous sermonnâmes cette jeune fille en sens inverse.

— Oh ! mademoiselle, lui dit Rosalba, n’ayez aucune confiance en ce libertin ; il est capable de tout, dès qu’il a pu l’être d’exiger votre honneur pour prix des jours de votre père. Il vous trahira, dès qu’il aura joui de vous ; et le monstre, pour couvrir son crime, vous immolera peut-être sur les mânes encore palpitantes du respectable auteur de vos jours. Mais, à supposer qu’il tienne parole, de quel œil votre amant verra-t-il ce sacrifice ? L’amour n’en pardonne point de cette espèce, et vous êtes bien sûre de n’être jamais excusée par lui ; méfiez-vous de tous les pièges qu’on vous tend : ce que vous inspirez dès la première vue m’engage à vous le dire… Vous êtes perdue, si vous faiblissez…

La reprenant de là, et sans avoir l’air de savoir ce que Rosalba vient de faire :

— Mademoiselle, lui dis-je, je sais parfaitement qu’à votre âge le sentiment et la délicatesse sont des dieux auxquels on croit devoir s’immoler ; mais cette folle constance que vous gardez à votre amant doit-elle balancer, je vous prie, tous les sentiments dus à votre père ? Zeno, le plus honnête des hommes, est incapable de vous trahir ; songez, d’ailleurs, que ce n’est pas votre cœur qu’il demande, il se contente de votre corps. Vous n’en resterez pas moins pure aux yeux de votre amant… Ah ! croyez-moi, belle Virginie, dans la situation où les circonstances vous placent, vous ne pouvez refuser sans crime. Verrez-vous de sang-froid votre père marcher à la mort, pendant qu’un seul instant de complaisance eût pu le sauver ? Ah ! Virginie, êtes-vous bien sûre que cette fidélité, à laquelle vous sacrifiez tout, soit aussi religieusement observée par votre amant que par vous, et ne connaissez-vous pas les hommes ? S’il arrivait cependant que celui que vous aimez n’eût pas autant de vertu, quels remords n’auriez-vous pas, en ce cas, d’avoir immolé votre père à un sentiment dont vous ne seriez pas payée ? Non, mademoiselle, vous ne pouvez refuser ce que l’on vous propose, sans crime ; je vous le répète : la pudeur que vous allez sacrifier n’est qu’une vertu de convention ; la pitié filiale que vous outrageriez, ne cédant pas, est le vrai sentiment de la nature, le sentiment précieux et cher que vous n’étoufferiez pas sans mourir de douleur.

Vous n’avez pas d’idée, mes amis, du bouleversement dans lequel nous tenions cette âme timorée, par des propos de cette nature. Son esprit était si troublé, que ses forces morales étaient prêtes à l’abandonner. Zeno rentre… et dans un tel état d’indécence qu’il n’était plus possible de douter de la perte de sa malheureuse victime. Le coquin bandait ferme, et Lila, nue, nous l’amenait par le bout du vit.

— Eh bien ! est-elle décidée ? nous dit-il en balbutiant.

— Oui, oui, monseigneur, répondis-je, mademoiselle est trop raisonnable pour ne pas sentir qu’elle doit bien plus à son père qu’à sa prétendue virginité, et elle est prête à vous l’immoler sur-le-champ.

— Non, non ! s’écria cette pauvre fille en larmes, non, non, j’aime mieux la mort…

Mais la saisissant aussitôt, mes femmes et moi, en deux minutes, nous l’exposâmes nue, malgré elle, aux regards impurs du chancelier.

Dieu ! quelles formes ! quelle chair ! que de fraîcheur ! quel incarnat ! Flore elle-même eût offert moins d’attraits. Zeno ne se lassait point d’admirer, et chacun des baisers lubriques dont il accablait cette charmante fille semblait découvrir un charme nouveau. Nous offrîmes le cul : juste ciel ! que d’attraits, que de fermeté, que de rondeur ! Et quand nous l’entrouvrîmes, quand nous exposâmes aux yeux de Zeno le trou mignon, objet de ses désirs, nous crûmes qu’il allait mourir de plaisir en le foutant avec sa langue.

— Voyons comme elle est dans le plaisir, dit le chancelier ; Juliette et toi, Rosalba, chatouillez-la toutes deux sur toutes les parties voluptueuses de son corps. En face de l’opération, je vais me faire polluer par Lila, et à mesure que vous allez l’enflammer toutes deux, ma bouche errante sur tous ses charmes y saisira la volupté…

Cette commission me plaisait d’autant plus, que j’avais la plus grande envie de branler cette belle fille. Nous nous y primes donc avec tant d’adresse, ma compagne et moi, que les beaux yeux de Virginie se chargèrent bientôt de lubricité ; et la jolie coquine, pâmée dans nos bras, facilite bientôt au vit de Zeno, par le moyen du foutre qu’elle perdait avec abondance, la destruction de son pucelage. Lila y présente aussitôt l’engin du chancelier ; le paillard pousse, mais comme il est faiblement fourni et que Virginie décharge, toutes les difficultés disparaissent : le voilà maître de la place, pendant que je contiens seule la victime en continuant de la branler, que Lila, exhaussée sur le sein de Virginie, présente son beau cul aux baisers du paillard, et que Rosalba le fustige.

Il était prêt à s’égarer, quand je l’arrête aux portes du plaisir.

— Ménagez vos forces, lui dis-je, songez qu’une autre forteresse vous attend, n’épuisez pas vos munitions de guerre.

— Tu as raison, s’écrie-t-il en se retirant.

Et nous remontrons aussitôt, à ses lubriques désirs, le plus divin cul qu’eût créé la nature depuis celui de Ganymède. Zeno contemple.

— Sacredieu ! dit-il, que d’attraits !…

Et le coquin, sans s’amuser à louer davantage, au moyen des services que nous lui rendions, eut bientôt forcé les barrières. Virginie, par l’attitude que je lui avais fait prendre, était appuyée sur mon visage, et je suçais son con pendant qu’on la sodomisait ; mes amies branlaient, maniaient, servaient Zeno. Tout l’entourait de volupté, tout hâtait la perte de foutre, qu’il élança bientôt au fond du plus beau cul du monde, malgré les cris, les soubresauts de la victime, qui n’avait pas enduré si patiemment cette attaque-ci que l’autre.

— Quelle jouissance, me dit-il en se retirant ! Oh ! Juliette, après la tienne, il n’en est pas de plus délicieuse au monde… Je suis encore dans une ivresse…

— Allons, dis-je, presse-toi d’envoyer le billet.

— Assurément, me répondit ce monstre ; je viens d’acquérir, en foutant cette fille, de bien grands titres à condamner son père…

Puis, bas :

— Mais je n’en resterai point là, Juliette. Je veux que ma scélératesse t’étonne, et c’est dans ce nouvel épisode que je compte retrouver les forces nécessaires à une nouvelle jouissance.

— En laisseras-tu vivre longtemps l’objet ?

— Mais, dit Zeno, je crois qu’en joignant un mot au billet, on viendrait l’arrêter dans mon château même ; et comme je rebanderai d’ici là, peut-être serais-je encore dans son cul quand on arriverait pour la conduire à la mort.

— Exécute promptement, dis-je à Zeno ; cette idée est délicieuse.

Le supplément au billet part, et nous nous relivrons aux luxures. À la manière dont je voyais que Zeno caressait les fesses de Virginie, il était facile de se douter de toutes les conjurations qu’il formait intérieurement contre ce beau derrière : on n’imagine pas les atrocités qu’inspire un cul, quand on en a bien joui.

— Tu veux fouetter, n’est-ce pas, mon ami ? dis-je à Zeno, tu veux déchirer ce beau cul, et tu n’oses ? Eh bien ! dis-je, satisfais-toi ; j’ai dans ma poche une eau qui, dans trois minutes, fera disparaître les traces ; et si, pour preuve de ce qu’elle a souffert, la coquine veut montrer les marques, elle sera contrariée par l’évidence, et tout ce qu’elle pourra dire ensuite n’en portera que bien mieux toutes les couleurs de la calomnie…

— Oh ! Juliette ! Juliette ! s’écria Zeno, je ne cesserai de te dire que tu es une créature délicieuse !…

Le scélérat, alors, n’écoutant plus que sa passion, saisit des verges, nous fait tenir Virginie et, sacrant comme un malheureux, le coquin, en moins de cent coups, met en lambeaux le plus beau cul du monde. Il redouble ; je le suçais pendant ce temps-là ; mes deux autres femmes le fouettaient ; il rebande, se jette comme un furieux sur cette belle fille, la sodomise et décharge en hurlant.

— Oh ! Juliette, me dit-il dès qu’il a fini, que ne puis-je immoler moi-même cette garce ! que de plaisir elle me donnerait ! Sa profonde sensibilité la rend susceptible de mille différents supplices, tous plus divins les uns que les autres. Comme on écorcherait ce beau sein, comme on brûlerait ces belles fesses !… Ah ! Juliette ! Juliette ! je voudrais rôtir son cœur sur son ventre, et le lui manger sur la figure.

Et comme je voulais la frotter de mon eau :

— Non, non, me dit ce monstre, laisse-lui mes marques, je veux qu’elle les porte à l’échafaud, je veux qu’elle ait la possibilité de les montrer et qu’elle ne l’ose pas ; cette idée m’amuse…

Et, par d’affreux discours, nous nous amusâmes à désespérer cette pauvre fille, jusqu’au moment où les réponses arrivèrent.

Les fatales lettres de Zeno n’avaient que trop réussi : on venait arrêter la fille du Grimani.

— Oh ! juste ciel ! s’écrie cette infortunée en voyant les effets des perfides manœuvres du chancelier, tu m’as trompée, scélérat, mais mes juges m’entendront, et je me vengerai de tes horreurs.

— Faites votre devoir, messieurs, dit aux sbires le flegmatique Zeno, sans avoir l’air de prendre garde aux invectives qu’on lui adressait, emmenez cette fille ; ne voyez-vous pas bien que la douleur lui trouble la cervelle. A-t-on pris garde, ajouta ce monstre, aux recommandations que j’ai faites d’exécuter promptement les coupables ?

— Excellence, dit un des sbires, en sortant deux têtes sanglantes de dessous son manteau, voilà comme vos ordres ont été exécutés…

Et Virginie tombe à la renverse, en reconnaissant son père et son amant.

— Quelle scène ! me dit Zeno tout bas ; vois comme elle me fait rebander. Ah ! tâchons d’être seuls, et recommençons des horreurs.

— Rien de plus simple, gardez les têtes et renvoyez les sbires.

— Tu as raison… Sortez, messieurs, dit le chancelier dans deux heures, Virginie sera dans les cachots de Venise ; laissez ces têtes, et retournez à d’autres devoirs.

— Un moment, dis-je bas à Zeno : le sbire qui tient ces têtes est-il le même que celui qui les a coupées ?

— Oui.

— Eh bien ! il y a ici, ce me semble, un raffinement d’outrages essentiel à mettre en action. Quelque affreux que soit ce sbire, il faut qu’il foute la fille, la main teinte encore du sang de son malheureux père et de son triste amant…

— Assurément, dit Zeno, il y a là des choses délicieuses à faire, gardons-nous bien de les manquer.

Un seul sbire s’en va, et Zeno s’enferme avec l’autre, Virginie, les têtes, les trois femmes et moi. Nous rappelons la victime à la lumière, en ayant soin de placer les têtes en face d’elle, pour qu’elles la frappent sitôt qu’elle ouvrira les yeux. Le sbire est chargé du soin de rendre cette belle fille au jour ; et dès qu’elle a repris l’usage de ses sens, c’est son père, c’est son amant qu’elle voit… c’est dans les bras de leur bourreau qu’elle se trouve. Je branlais ce vilain homme, pendant qu’il donnait ses soins à Virginie.

— Foutez cette belle fille, lui dit le chancelier.

— Oh ! monseigneur.

— Je vous l’ordonne ; vous avez assassiné le père, je veux que vous foutiez la fille ; vous avez tué l’amant, je veux que vous foutiez la maîtresse.

Et le coup de foudre qui frappe à ces mots Virginie la replonge encore, presque sans connaissance, dans mon sein.

— Un moment, dis-je à Zeno, ceci malheureusement va devenir ta dernière décharge ; il faut qu’elle soit complète, que tous les moyens qui sont en notre puissance soient employés pour la rendre brillante.

Et voici, sous ma direction, la tournure que je fis prendre au groupe voluptueux que je désirais. Le sbire se coule sous Virginie ; il l’enconne, ouvre et présente les fesses de cette sublime créature à Zeno, qui l’encule ; de chacune de ses mains, Virginie tient une des têtes ; à cheval sur la poitrine du sbire, je lui fais sucer mon con, en tournant mes fesses à Virginie ; Zeno branle de droite et de gauche les deux culs de mes amies ; une vieille le fouette. Vaincu par d’aussi délicieuses sensations, il était difficile que le paillard y tînt ; il décharge ; nous l’imitons tous ; mais c’est sans mouvements que Virginie est arrachée à cette scène d’horreurs.

Nous partons. Le chancelier remet lui-même sa victime dans les prisons du palais, et dans vingt-quatre heures, au moyen de nos dépositions, Virginie se trouve condamnée. Tel était le moment où nous l’attendions. À force d’or et de séductions, Zeno fait immoler une autre fille à sa place. Virginie retombe entre nos mains ; nous lui servons nous-mêmes de bourreaux, et la malheureuse ne gagne pas au change. Dieu ! quelle scène ! j’en déchargeai huit jours de suite : peu d’infamies, sans doute, m’avaient plus échauffée que celle-là.

Les femmes, de leur côté, continuaient d’abonder dans notre maison ; les unes pour se faire dire leur bonne aventure, les autres pour s’y vautrer, avec autant de mystère que d’impunité, dans tout ce que le libertinage avait de plus recherché. Par les mesures que nous avions prises, nous pouvions fournir, sous le voile le plus impénétrable, des filles ou des garçons aux femmes qui nous fréquentaient. Nous arrangions aussi des petits ménages qui, gênés par leurs parents, étaient bien aises de trouver un asile chez nous. D’autres parties se faisaient dans des appartements obscurs, où les hommes ne pouvaient reconnaître les femmes que nous leur livrions. À combien de pères, par ce moyen, nous avons donné leurs filles ; à combien de frères leurs sœurs, à combien de prêtres leurs pénitentes !

Il me vint, un jour, deux femmes de vingt à vingt-cinq ans, charmantes, qui, s’étant mutuellement échauffé la tête sur moi, me supplièrent de diriger leurs jeux et de m’y mettre en tiers. Nous soupâmes toutes les trois. Leur manie consistait à me sucer la bouche et le con : elles se relayaient rapidement, et de manière à ce que celle qui venait de me gamahucher, me langotait, et que celle qui venait de baiser ma bouche suçait aussitôt mon con. Il fallait que, pendant ce temps-là, je les branlasse chacune d’une main, et qu’armée d’un godemiché, je les foutisse ensuite toutes deux, pendant que celle qui n’était pas foutue se faisait gamahucher par celle qui l’était. Je n’avais jamais vu de femmes si lubriques : on ne se figure point ce qu’elles inventèrent, ce qu’elles me dirent, en se livrant à la lubricité ; une d’elles, je m’en souviens, porta l’extravagance au point de désirer d’aller se faire foutre au milieu d’un hôpital de vérolés.

Bien venu qui m’expliquera maintenant l’imagination des individus de mon sexe : pour moi, j’y renonce. En général, on n’est pas plus vive, plus aimable que ne le furent ces deux libertines : je crois que la nature favorise infiniment davantage les tribades que les autres femmes, et que, comme elle leur accorde une imagination plus sensible, elle leur a prodigué, de même, tous les moyens du plaisir et de la volupté129.

Je ne dois pas vous laisser ignorer non plus une partie bien extraordinaire que j’exécutai avec quatre citadines vénitiennes.

Elles attendirent un jour orageux et vinrent me prendre en gondole, dans le moment où les éclairs sillonnaient la nue. Nous gagnons la grande mer ; l’orage se décide ; le tonnerre se fait entendre.

— Allons, dirent ces coquines, voici l’instant, branlons-nous ; que ce soit en bravant la foudre que nous élancions notre sperme…

Et les garces se jettent sur moi comme des Messalines. Ma foi, je les imite : trop sensible au plaisir pour être refroidie par d’aussi simples phénomènes de la nature, je blasphème, comme elles, le chimérique Dieu qui, dit-on, les produit. Cependant le tonnerre gronde, la foudre tombe de toutes parts ; notre gondole, rapidement élancée, ne paraît plus que le jouet des flots : et nous jurons, nous déchargeons, nous bravons la nature alarmée… en courroux contre tout ce qui existe, et ne respectant que nos plaisirs.

Une autre très jolie femme m’envoya prier de venir déjeuner dans son palais. Je fus obligée de polluer, devant elle, son fils âgé de quinze ans ; ensuite nous nous branlâmes devant son fils. Elle fit descendre sa fille, qui avait un an de moins ; elle m’ordonna d’exciter cette jeune personne, pendant qu’elle se faisait enculer par son fils ; ensuite, elle tint elle-même sa fille aux attaques sodomites de son fils. Pendant ce temps-là, je gamahuchais la demoiselle, et la mère branlait, avec sa langue, le trou du cul du fouteur de sa fille. Je n’avais pas encore vu de tête plus libertine de sang-froid… aucune de mieux organisée. Dès qu’elle sut que nous vendions des poisons, elle en acheta de toutes les sortes. Je lui demandai si elle s’en servirait pour les jolis objets avec lesquels nous venions de jouir.

— Pourquoi pas ? me dit-elle ; quand je me livre à ces infamies-là, je n’y mets jamais de bornes.

— Délicieuse créature, lui dis-je, en baisant sa bouche, c’est que, plus l’on brise de freins en ce cas, et plus l’on décharge.

— Je déchargerai donc bien, me dit-elle, car j’en briserai beaucoup…

Six mois après, elle n’avait plus ni mari, ni père, ni mère, ni enfants.

Un membre du Conseil des Dix m’envoya chercher, pour servir de jouissance à son fils qu’il enculait pendant ce temps-là.

Un autre, de la même Chambre, exigeait que je me branlasse avec sa sœur, vieille et laide ; il enculait cette sœur ; il m’en fit autant après ; puis je reçus cent coups de fouet par cette sœur.

Il n’était pas, en un mot, de luxure, de débauche, d’infamies, auxquelles la Durand et moi ne nous livrassions du matin au soir ; et il n’y avait pas de jour que ce quadruple métier de putain, de maquerelle, de sorcière et d’empoisonneuse, ne nous rapportât mille sequins, et souvent bien davantage.

Soutenues, aimées, recherchées de tout ce qu’il y avait d’aimables libertins dans les deux sexes à Venise, nous menions, sans aucun doute, la vie la plus délicieuse et la plus lucrative, lorsqu’un revers affreux vint troubler notre union… m’enlever ma chère Durand et me faire perdre, en un jour, et toutes les sommes que j’avais placées sur Venise, et toutes celles que j’y avais gagnées.

Le sort s’annonçait dans la punition qu’il préparait à la Durand, de même manière qu’il s’était manifesté pour moi. J’avais été punie, lorsque je fus obligée de quitter Paris, pour n’avoir pas voulu porter le crime à son dernier période. La malheureuse Durand eut la même fortune ; et nous pûmes nous convaincre, l’une et l’autre, par de si cruels exemples, que le plus dangereux de tous les partis, quand on est dans le train du crime, est de revenir à la vertu, ou de manquer de la force nécessaire à franchir les dernières bornes. Car ce fut bien plutôt le défaut de courage que la volonté qui manqua à mon amie ; et, certes, si la malheureuse se perdit, ce fut plutôt pour n’avoir pas tout osé que pour n’avoir pas tout voulu.

Les trois inquisiteurs d’État envoyèrent, un matin, chercher la Durand ; et après avoir exigé d’elle le secret le plus inviolable, ils lui révélèrent qu’ils avaient besoin de ses secrets destructeurs pour anéantir une faction nombreuse qui s’élevait dans la ville.

— Les choses sont malheureusement trop avancées, lui dirent-ils, pour employer les moyens juridiques : nous n’avons plus que celui du poison. Vous savez avec quelle tranquillité nous vous avons laissée jouir du fruit de vos forfaits, depuis trois ans que vous êtes dans Venise : il faut nous en témoigner votre reconnaissance, en nous communiquant, ou en exerçant pour notre compte, aujourd’hui, des crimes dont il eût été de notre devoir de punir sévèrement les résultats. Avez-vous le double secret de donner la peste dans une ville, et d’en préserver ceux qui vous seront indiqués ?

— Non, dit la Durand, quoiqu’elle possédât et l’un et l’autre de ces secrets ; mais elle eut peur.

— Cela est bon, répondirent les magistrats en lui faisant ouvrir une porte pour la congédier.

Et ce qui acheva de la faire frémir, c’est qu’on ne prit pas même la peine de lui recommander le silence.

— Nous sommes perdues, me dit-elle en rentrant.

Et elle me raconta ce qu’il venait de lui arriver. Je voulus la renvoyer à l’instant.

— Ce serait la même chose, me dit-elle ; j’exécuterais que je perdrais de même la vie : on me sacrifierait secrètement. Je vais même te quitter fort vite, afin de ne point te compromettre, si l’on venait à soupçonner que nous nous fussions vues au retour.

La malheureuse me quitte.

— Adieu, Juliette, me dit-elle, nous ne nous reverrons peut-être jamais…

Il n’y avait pas deux heures qu’elle m’avait quittée lorsqu’on vint me chercher de la part de la république. Je suis les sbires ; j’arrive au palais ; on me fait passer, très émue, dans une salle très isolée, presque aux combles de la maison. Les sbires se rangent autour de moi et me gardent. Un grand rideau de taffetas noir partageait cette salle. Deux des inquisiteurs paraissent ; les sbires sortent.

— Levez-vous, me dit l’un d’eux, et répondez avec autant de clarté que de précision. Avez-vous connu une femme nommée Durand ?

— Oui.

— Avez-vous exercé des crimes avec elle ?

— Non.

— Vous a-t-elle quelquefois mal parlé du gouvernement de Venise ?

— Jamais.

— Juliette, dit gravement l’autre juge, vous en imposez dans vos réponses ; vous ne nous instruisez pas autant que nous le sommes ; vous êtes coupable. Tenez, continua-t-il en tirant le rideau et me laissant voir le corps d’une femme pendue au plafond, dont je détournai sur-le-champ les yeux avec horreur, voilà votre complice : c’est de cette façon que la république punit les fourbes et les empoisonneuses. Sortez sous vingt-quatre heures de son territoire, ou voilà le sort qui vous attend demain.

Je m’évanouis. Quand je repris l’usage de mes sens, j’étais entre les mains d’une femme que je ne connaissais point, et les sbires m’entouraient encore. On m’entraîna de cette salle.

— Allez chez vous, me dit le chef des sbires, exécutez fidèlement… ponctuellement les ordres de la république. Ne réclamez point contre celui qui confisque vos biens ; c’est-à-dire seulement ce que vous avez placé sur Venise, vos meubles et vos bijoux. Partez avec le reste, ou vous êtes morte si demain le soleil vous retrouve encore dans la ville.

— J’obéirai, monsieur, répondis-je, j’obéirai, je n’ai pas envie de rester plus longtemps dans un pays où l’on punit les gens pour n’avoir pas voulu mal faire.

— Silence, madame, silence ; si votre propos était entendu par d’autres, vous ne sortiriez pas de ce palais.

— Allez, brave homme, dis-je à cet alguazil en lui remettant cent sequins, je vous entends et vous remercie ; je ne serai plus demain dans vos tristes lagunes.

Mes malles furent bientôt faites. Lila et Rosalba paraissaient désirer rester à Venise, où elles faisaient fort bien leurs affaires ; je les y laissai ; je n’emmenai qu’une seule femme, qui ne m’avait pas quittée depuis mon mariage, et dont je ne vous ai jamais parlé, parce qu’elle ne jouait jamais de rôle dans mes aventures. Ayant la permission de garder mon portefeuille et mon argent comptant, j’emportai plus de huit cent mille francs ; tout le reste fut confisqué au profit de la république ; mais ce qui me restait des fonds placés sur Rome, s’élevant à cinq millions de rente, suffisait à me consoler. Je dus, dès le même soir, coucher à Padoue, d’où je gagnai Lyon en moins de huit jours ; je m’y reposai. Ce petit carême me fit violemment éprouver le besoin de foutre ; et pour y satisfaire, je descendis tout naturellement chez une célèbre maquerelle dont on m’avait donné l’adresse, et qui me fournit, pendant les quinze jours que je passai chez elle, tout ce qui pouvait, dans l’un et l’autre sexe, satisfaire amplement mes désirs.

Ne voyant plus aucun danger pour moi de retourner à Paris, puisqu’il y avait longtemps que le ministre qui m’en avait chassée n’était plus au monde, je me déterminai d’y rentrer ; j’en fis part à Noirceuil, et j’attendis sa réponse. Enchanté de me revoir, ce cher et bon ami m’assura que je lui ferais grand plaisir en venant lui montrer les progrès de son élève. J’écrivis sur-le-champ à l’abbé Chabert de m’amener ma fille à Paris, dans un hôtel garni que je lui indiquai. Nous y arrivâmes presque au même instant. Marianne atteignait sa septième année ; il était impossible d’être plus jolie ; mais la nature était muette en moi ; le libertinage l’avait éteinte. Voilà donc quels sont ses effets : il semble qu’en s’emparant avec tyrannie d’une âme, il ne veuille y laisser aucun autre sentiment que ceux qu’il inspire, ou que, si, par hasard, en dépit de lui, quelque autre parvient à nous pénétrer, il ait aussitôt la puissance de le corrompre ou de le tourner à son profit. Je n’éprouvai, je dois en convenir, d’autres mouvements, en embrassant Marianne, que ceux de la lubricité.

— La jolie élève à former ! dis-je bas à Chabert. Oh ! je veux préserver celle-là des fautes qui firent quitter Paris à sa mère, et de celles qui firent perdre la Durand à Venise. Je lui ferai si bien sentir la nécessité du crime qu’elle n’en quittera jamais la route, et si jamais la vertu voulait se faire entendre au fond de son cœur, je veux qu’elle y trouve le vice si bien établi qu’elle n’ait même pas la possibilité de l’attaque.

Chabert, qui avait présidé à l’éducation de Marianne, se plut à me faire admirer tous ses petits talents : elle était musicienne, dansait à merveille, dessinait joliment… parlait italien, etc.

— Et le tempérament ? dis-je à l’abbé.

— Je crois qu’elle en aura, me répondit Chabert, et si l’on n’y prend garde, la petite friponne se branlera bientôt.

— Je l’aiderai, dis-je, je jouirai singulièrement à recueillir les premières preuves de sa nubilité.

— Il faut attendre, me dit l’abbé, ou vous risqueriez sa santé…

Mais cette considération me touchait peu. L’abbé, qui était venu plusieurs fois à Paris depuis mon absence, me remit au courant, et se chargea du soin de déplacer mes fonds de Rome, pour en acquérir ici les deux belles maisons de ville et de campagne que vous me connaissez.

Dès le lendemain, je fus trouver Noirceuil ; il me reçut avec la plus grande marque de joie, et me trouva, dit-il, fort embellie. Ayant continué de profiter de la faveur du ministre, tant qu’il avait vécu, Noirceuil, depuis mon départ, avait triplé sa fortune, et tout Paris le désignait aux premières places.

— Juliette, m’assura-t-il, sois bien certaine que je n’y monterai jamais sans t’y élever avec moi. Tu es nécessaire à mon existence ; je n’aime à commettre le crime qu’avec toi ; et de délicieux débordements s’offriront à nous, si j’obtiens encore une plus grande somme de crédit que celle, très considérable, dont je jouis toujours : il sera donc alors nécessaire de nous entendre pour profiter agréablement de cette veine…

Il exigea ensuite le récit de mes aventures ; et quand je vins à lui parler des cinq cent mille francs que j’étais chargée de remettre à Fontange de Donis, élevée dans un couvent de Chaillot, et qui devait être âgée de dix-sept ans, il m’engagea vivement à nous amuser de cette fille et à mettre les cinq cent mille francs dans ma poche. Ses raisonnements sur ces objets me persuadèrent tellement que je ne puis m’empêcher de vous les répéter : il est bon de vous prévenir que j’avais l’air de balancer, pour qu’il s’ouvrît davantage à moi. Voici donc comment il combattit mes objections simulées, un soir que je soupais dans sa petite maison de la Barrière-Blanche.

— Quand on a deux raisons pour faire une chose, Juliette, me dit-il, et aucune pour ne la pas faire, je vous avoue qu’il me paraît incroyable d’entendre demander si on la fera. Quand on a trente ans, de l’esprit, point de préjugés, plus de religion, plus de Dieu, aucun remords, la plus grande habitude du crime, beaucoup d’intérêt à faire cette chose, je vous avoue encore qu’il me paraît très singulier d’entendre demander si on fera cette chose ou non. Quand on a dans sa main tout ce qu’il faut pour opérer, que l’on a déjà fait des choses plus fortes, qu’on a trouvé du plaisir à les faire, que l’on a été vivement chatouillé de ce plaisir, je vous avoue franchement encore, lorsque la même dose de plaisir et une beaucoup plus grande d’intérêt s’y trouvent, qu’il me paraît très singulier d’entendre demander si on succombera. Vous mériteriez donc le fouet, ma chère Juliette, oui, le fouet, pour oser me consulter sur une chose de cette futilité : je vous déclare donc que si, dans quatre jours, elle n’est pas exécutée, je romps tout commerce avec vous, et vous regarde comme une femme faible, un caractère, qui ne sait jamais se décider à rien. M’objecterez-vous que vous êtes assez riche pour vous passer d’une somme qui doit faire le bonheur d’une malheureuse orpheline ? Ah ! Juliette, l’est-on jamais assez ? Je vous accorde que cette somme ne doive vous servir qu’à des superfluités : je vous demande si la jouissance de ces superfluités, ne serait pas toujours préférable, pour vous, au vain plaisir de les donner à une petite fille que vous ne connaissez pas, et que vous éloigneriez par là des seuls plaisirs auxquels vous devez la soumettre.

Examinons maintenant l’existence de cette petite fille… Oh ! oui, c’est une chose assez importante pour mériter d’être approfondie. Que vous est-elle ? Rien. Qui est-elle ? La bâtarde d’une femme avec qui vous avez fait du libertinage : oh ! combien ces titres sont respectables ! Mais, voyons, qu’arrivera-t-il si vous remplissez l’objet prescrit ? Personne au monde ne vous en saura gré ; on dira seulement : elle a fait son devoir. Si, au contraire, vous gardez la somme, jamais aucun individu ne saura qu’elle vous a été confiée, et vous aurez le délicieux plaisir d’en jouir. Dites maintenant lequel vous flattera le plus, ou ce vain et futile devoir, ou ces jouissances que vous vous procurerez avec la somme ? Oh ! Juliette, pouvez-vous balancer un instant ! Je vais plus loin : je ne connais pas cette fille, mais examinez-la bien attentivement, regardez s’il n’est pas écrit sur son front : « C’est pour tes menus plaisirs que le ciel m’a mise en ce monde ; considère toutes les fatalités qui nous réunissent, et vois si ce n’est pas une victime que t’offre la nature en mon individu… » Oui, ces mots sont écrits sur son front, vous les y lirez ; et qui les a placés, si ce n’est la main de la nature ? Mais, m’objecterez-vous peut-être, c’est tromper les intérêts d’une amie ; plus j’ai eu de torts avec elle, et plus je dois les réparer. Il y a deux choses à prouver ici : et que vous ne trompez point les intérêts de votre amie, et qu’il n’y a pas le plus petit mal à tromper les intentions d’un mort, quel que soit le respect imbécile que l’on ait eu de tout temps pour cela. En quoi manquerez-vous d’abord aux intentions de votre amie ? Son intention pure et simple est que cette somme aille à sa fille ; mais il n’est pas dit que vous ne deviez pas en jouir avant. Ainsi, gardez, avec l’intention de lui laisser la somme après vous, si elle existe : et voilà votre conscience en repos, si tant est que vous ayez besoin de la calmer. Ce qui tromperait le désir de votre amie serait que vous laissassiez ce bien à un tiers ; mais quand vous en jouirez avec le projet de le laisser après vous, assurément l’intention se trouve parfaitement remplie. Mme de Donis ne vous a pas dit : « Conservez les jours de cet enfant, je vous les recommande, et si malheureusement elle meurt, le bien sera à vous, et n’y sera que dans ce cas ». Elle vous a dit simplement : « Voilà cinq cent mille francs, je les laisse à ma fille ». Eh bien ! si cette fille vous survit, qu’elle les ait après vous, les vœux du mort sont remplis. Maintenant je vais plus loin : trompassiez-vous même les intentions de ce mort, quel respect imbécile pouvez-vous donc imaginer qu’on puisse devoir aux ordres d’un individu qui n’est plus au monde ? On lèse un individu en lui manquant lorsqu’il vit, parce que son existence passive reçoit la lésion, et qu’elle souffre du refus que vous faites de lui obéir ; mais quand cette existence est détruite, la douleur ne peut plus avoir lieu ; le choc est nul puisqu’il n’est plus d’être qui puisse le recevoir ; il est donc parfaitement impossible d’offenser un mort. Donc il résulte que tout héritier qui remplit à son détriment un legs, dans l’unique vue de satisfaire au défunt, est un imbécile aussi complet que celui qui jetterait son argent dans l’eau ; car celui-ci perd son argent, et l’autre sacrifie son bonheur à la satisfaction d’un être qui n’a plus d’existence, et je crois que l’un vaut bien l’autre. Il y a, comme cela, tout plein de petites institutions bénignes dans le monde, dont nous ne voulons pas nous défaire, et qui n’en sont pas moins ridicules pour cela. Toutes les clauses testamentaires ne doivent jamais être exécutées : il est absurde de vouloir les remplir ; absurde de vouloir donner à un homme la faculté d’agir quand il est mort ; c’est contre toutes les lois de la nature et du bon sens. Voilà donc l’objet résolu : en gardant les cinq cent mille francs, vous ne trompez point les intentions de votre amie ; je vous l’ai, je crois, suffisamment démontré. Examinons maintenant une autre branche de votre dilemme : si je rends, je fais la fortune de cette petite fille ; si je ne rends pas, je fais mon bonheur. Voici comment l’on peut répondre à cela.

Nous ne pouvons, ce me semble, estimer les qualités des autres que par les relations intimes qu’ils ont avec nous : ainsi, nous ne devons aimer un être quelconque que parce que ses rapports s’enclavent avec les nôtres ; sa figure nous charme, son esprit, son caractère, sa manière d’être, tout cela nous donne du plaisir, et nous éprouvons une jouissance réelle à voir cet objet ; mais entre deux jouissances, le bon sens dicte qu’il faut, quand on ne peut en avoir qu’une, choisir incontestablement la meilleure. Telle est votre position : ou il faut jouir de Fontange, en renonçant aux cinq cent mille francs, ou il faut jouir des cinq cent mille francs en renonçant à Fontange. Ici, je n’ai point de conseils à vous donner ; vous seule pouvez choisir la jouissance qui vous conviendra le mieux. Comparez, décidez, et souvenez-vous seulement que, quelque parti que vous preniez, vous éprouveriez nécessairement un petit remords, car vous savez que la vertu en donne comme le crime. D’après cela, si vous abandonnez Fontange et que vous gardiez l’argent, vous vous direz : Pourquoi donc ai-je pris ce parti ? Je regrette cette jolie personne. Si c’est le contraire que vous adoptez, vous direz : Que je suis faible !… je jouirais de cinq cent mille francs, et je suis obligée de m’en passer aujourd’hui… Mais observez que le premier de ces remords a nécessairement, auprès de lui, une consolation réelle, une consolation physique. Il est vrai que j’ai perdu Fontange, direz-vous, mais je jouis ; au lieu que le second n’a, pour toute consolation, qu’une jouissance isolée, qu’un sacrifice mort à la vertu, dont vous ne recueillerez jamais nul mérite, qu’une petite satisfaction intérieure, qu’un plaisir intellectuel très médiocre par lui-même, et toujours troublé par l’autre remords. L’un vous donne une privation de peu de conséquence et une jouissance physique délicieuse ; l’autre, une privation très réelle et une simple jouissance de l’esprit. Votre manière de penser, d’ailleurs, s’oppose à cette petite jouissance morale ; ce n’est pas quand on ne croit à rien, ce n’est pas quand on déteste la vertu et qu’on adore le vice, ce n’est pas quand on aime le crime par lui-même et par intérêt, que l’on peut être longtemps touché des jouissances vertueuses. Comparez cela maintenant avec les charmes de jouir de vos cinq cent mille francs, et vous verrez ce que vous éprouverez. L’objet, dites-vous, est de n’avoir point de remords : faites donc, sur-le-champ et sans balancer, le crime que vous projetez ; car je vous réponds que, si vous ne le faites pas, vous ne vous serez pas plus tôt ôté la possibilité de le faire, que vous serez dévorée du regret d’avoir manqué une si belle occasion de posséder cet argent. Le crime n’est pas pour vous ce qu’il est pour les autres : vous êtes parvenue à y trouver un chatouillement très vif, il vous cause de la volupté : ne doutez donc point que cette volupté, dont vous jouirez d’autant mieux ici qu’il n’y a plus de freins à rompre, ne contrebalance entièrement la petite peine que tout autre être pourrait trouver à cette action.

Ainsi, je vois pour vous, dans le cas du crime fait, d’abord une jouissance à le faire, ensuite une jouissance à l’avoir fait ; et dans l’autre cas, je ne vois qu’une privation décidée… privation dont vous allez souffrir d’autant plus, que vos caprices augmenteront tous les jours, auront tous les jours un nouveau besoin d’argent pour être assouvis ; et pour tout dédommagement, je ne vois que la douceur isolée… momentanée et faible pour tous les êtres… entièrement frivole pour vous, d’avoir, non pas fait une bonne action, mais une action fort ordinaire. Car, peut-être vous la passerais-je, s’il y avait ce qu’on appelle de l’héroïsme, attendu qu’au moins l’orgueil y serait satisfait, au lieu qu’ici il n’y a pas la plus légère jouissance : votre action n’est ni grande ni belle ; elle n’est que simple. Vous ne faites aucun bien en laissant jouir Fontange, et vous vous faites un très grand mal en ne l’en empêchant pas. Mais il faudra, dites-vous, se défaire de cette petite fille, pour qu’elle ne puisse jamais savoir le vol que je lui fais. Eh bien ! dès que vous concevez à merveille les meurtres de débauche, il me semble que vous devez concevoir, tout aussi facilement, ceux qui n’ont que l’intérêt pour but. Tous deux sont également inspirés par la nature ; tous deux ont le même objet et les mêmes passions. On commet le meurtre de débauche pour s’irriter aux plaisirs des sens ; on commet toutes les autres sortes de meurtres dans l’égale vue de satisfaire une passion. Il n’y a pas à cela la plus légère différence : toutes celles que vous y voudriez établir seraient frivoles ; le motif seul pourrait établir quelque distance. Or, il est assurément bien plus légitime de se livrer au délit, par un intérêt puissant, que par le seul agrément d’une chatouilleuse émission. Vous voulez bien commettre le meurtre pour irriter votre tête, pour délecter votre imagination, et vous ne l’osez point quand il s’agit d’une fortune.

Le résultat est donc que, si les égarements que Fontange vous procure l’emportent sur ceux que vous pouvez attendre de son bien, il faut garder Fontange, la marier, et jouir du sot et froid plaisir d’avoir fait votre devoir… d’avoir fait une belle action, relative à Fontange, mais une très mauvaise par rapport à vous : car, ne vous y trompez pas, se priver d’une mauvaise action n’est point du tout égal à en faire une bonne. Il peut, à la rigueur, se rencontrer quelquefois un peu de mérite à faire une belle action ; il n’y en a jamais à se priver du plaisir d’en faire une mauvaise ; parce que la première a de l’éclat, et que l’autre n’en a point. La seconde branche du résultat est que, si les plaisirs que vous pourriez attendre de ce supplément de fortune vous touchent plus que le bonheur de Fontange, il faut très promptement vous débarrasser d’elle : car vous ne pouvez jouir de ces deux bonheurs à la fois, et vous devez nécessairement sacrifier le plus faible.

Examinons maintenant quelle est l’espèce de sentiment que vous devez à Mme de Donis… Aucun, ce me semble. La volupté vous a réunies, le crime vous a séparées. Dût-elle exister encore, assurément vous ne lui devez rien ; morte, beaucoup moins, sans doute. Il serait absurde, extravagant, d’avoir encore un sentiment quelconque pour un être qui ne peut plus en jouir ; on ne doit aux mânes de cet être ni respect, ni considération, ni amour, ni souvenir ; il ne peut occuper l’imagination en quelque sens que ce puisse être, parce qu’il ne le pourrait que désagréablement, et vous savez qu’il est dans nos principes de ne jamais laisser parvenir à l’esprit que des idées agréables ou voluptueuses. Or, cette série d’idées se prolonge en molestant la fille, puisque ce fut par volupté que vous vous défîtes de la mère : ces idées se troubleraient, se dégraderaient infailliblement, si vous alliez maintenant rendre service à la fille. Il n’y a donc non seulement aucun inconvénient à ce que vous ne soyez utile en rien à cette fille, mais il est même nécessaire à votre volupté que vous la rendiez très malheureuse. Les idées, nées de l’infortune où vous allez la plonger, se renoueront à celles des atrocités répandues, exécutées par vous, sur le reste de la famille ; et, de la réunion de toutes ces idées, naîtra nécessairement pour vous un tout voluptueux, absolument absorbé par des procédés contraires.

Ne m’alléguez pas les sentiments de tendresse éprouvés par vous, autrefois, pour Mme de Donis. Il serait absurde de les réveiller, non pas seulement à cause que vous les avez troublés par votre crime, mais parce qu’il faut bien se garder d’en conserver le moindre pour quelqu’un qui n’existe plus : ce serait user les facultés de son cœur à une chose inutile, et nuire à son action pour des choses plus réelles ; rien ne doit nous être plus indifférent qu’un être privé de la vie130. Ainsi, vous voilà, vis-à-vis de Mme de Donis, dans le cas où vous pouvez très bien l’offenser, puisque vous ne lui devez rien, et où, en l’offensant, vous n’offensez rien, puisqu’elle n’existe plus ; il y aurait donc, je vous le répète, la plus affreuse extravagance, à vous, de balancer. Mais vous entendez, dites-vous, une voix secrète qui semble vous dire de résister ; vous me demandez si cette voix est celle de la nature ? Eh ! non, Juliette, non, non ; cette voix, à laquelle il est inconcevable que vous puissiez vous tromper, n’est autre que celle du préjugé auquel vous avez la faiblesse de laisser encore quelque empire, parce qu’il s’agit ici d’un genre de délit qui ne vous est pas aussi familier que ceux où vous vous livrez d’ordinaire, et qui, cependant, n’est autre chose que celui du vol que vous aimez et où vous vous livrez journellement. Vous prenez donc bien certainement ici la voix du préjugé pour celle de la nature, tandis que celle-ci, bien différente, sans doute, ne vous conseille que de vous rendre heureuse, n’importe aux dépens de qui. Épurez-la donc, cette voix, dégagez-la de tout ce qu’elle a d’hétérogène : vous l’entendrez dans toute sa pureté, et cessant de flotter désagréablement ainsi, vous agirez alors en paix, sans crainte de vous donner des remords, sans crainte d’outrager une nature que vous servez, au contraire, en accomplissant le crime qu’elle vous indique par le désir qu’elle vous en donne.

Ce que je ferais, à votre place, serait donc de m’amuser complètement de cette jeune fille, de lui ravir son bien, et de la mettre ensuite dans une telle position d’infortune que vous puissiez, à chaque instant, augmenter votre bonheur des charmes de la voir languir : ce qui, pour la volupté, vaudra mieux que de la tuer. La félicité que je vous conseille sera infiniment plus vive : il y aura alors, et le bonheur physique acquis par la jouissance, et le bonheur intellectuel né de la comparaison de son sort au vôtre ; car le bonheur consiste plus à ces sortes de comparaisons qu’à des jouissances réelles. Il est mille fois plus doux de se dire, en voyant des malheureux : Je ne leur ressemble pas, et voilà ce qui me met au-dessus d’eux, que de se dire tout simplement : Je jouis, mais je jouis au milieu de gens tout aussi heureux que moi. Ce sont les privations des autres qui nous font sentir nos jouissances ; au milieu d’êtres qui en auraient d’égales aux nôtres, nous ne serions jamais contents : voilà pourquoi l’on dit, avec beaucoup de raison, que ce n’est jamais qu’au-dessous de soi qu’il faut regarder pour être heureux, jamais au-dessus. Si donc c’est le spectacle des malheureux qui doit nécessairement compléter notre bonheur par la comparaison fournie d’eux à nous, il faut donc se garder de soulager ceux qui existent ; car en les sortant, par ces secours, de la classe qui fournit à vos comparaisons, vous vous privez de ces comparaisons, et, par conséquent, de ce qui améliore vos jouissances. Mais il ne faut pas s’en tenir à ne pas soulager les malheureux, pour se conserver cette classe utile à des comparaisons d’où résulte la plus haute portion de votre bonheur : il faut en faire toutes les fois que l’occasion s’en trouve, et pour multiplier cette classe, et pour en composer une qui, devenant votre ouvrage, aiguise les délices qui vont résulter pour vous des comparaisons fournies. Ainsi, la jouissance complète, ici, serait de vous emparer du bien de cette fille, de la réduire ensuite à l’aumône, de la contraindre, en quelque façon, à la venir demander à votre porte, où vous la lui refuseriez cruellement, afin, en rapprochant ainsi l’infortune de vous, d’améliorer votre jouissance par une comparaison plus intime, et d’autant meilleure, que le désordre procuré devient votre ouvrage.

Voilà ce que je vous conseille, Juliette, voilà ce que je ferais à votre place… Je banderais tous les jours à ces délicieuses idées… au spectacle plus divin des malheurs que j’aurais causés ; et je m’écrierais, au milieu de ces délicieux plaisirs : « Oui, la voilà ; je l’ai acquise par un crime, elle ; et ce bien dont je paierai des voluptés si douces, tout est crime ; je suis, par ce procédé, dans un état perpétuel de crimes ; il n’est pas un de mes plaisirs qui n’en soit souillé… » Et avec votre imagination, Juliette, oh ! comme cette complication doit être divine !

Noirceuil bandait beaucoup en terminant sa digression, et comme nous n’avions encore rien fait ensemble depuis mon retour, nous nous jetâmes sur un canapé. Là, je lui avouai que j’étais bien loin d’avoir balancé sur le sort de cette petite fille, et que ce que je lui avais dit n’était que pour lui donner occasion de mieux développer ses systèmes. Je lui promis cette jeune personne, en l’assurant que, quelque intéressante qu’elle pût être, nous la livrerions bien sûrement au sein de la plus déplorable misère, après en avoir tiré tout ce que nous voudrions.

— Oh ! Juliette, me dit Noirceuil, en maniant et baisant mes fesses, si tu t’es dépravée pendant ton voyage, je t’ai bien imitée dans cet intervalle ; et tu me retrouves mille fois pis que je n’étais encore : il n’est pas une seule horreur où je ne me sois livré depuis que je ne t’ai vue. Le croirais-tu ? La mort de Saint-Fond est mon ouvrage. J’aspirais à la place ; je l’ai manquée ; mais je succède bien décidément à celui qui l’occupe aujourd’hui ; tous mes filets sont déjà tendus pour le faire périr ; et quand j’aurai cette place, que j’ambitionne autant parce qu’elle met en mes mains, et toute la puissance du prince imbécile, et toute la richesse de son royaume, oh ! Juliette, de quelle somme de plaisirs nous jouirons alors ! Je veux que tous mes instants soient marqués par des crimes : tu ne faibliras pas avec moi comme avec Saint-Fond, et nous irons bien loin ensemble.

Il fallut enfin présenter le derrière à ce furieux ; mais il s’en retira sans perdre de foutre.

— J’attends quelqu’un, me dit-il. Il faut que je t’instruise c’est une très jolie créature d’environ vingt-deux ans, dont j’ai fait mettre le mari en prison afin de posséder la femme. Si elle dit un mot, cet époux peut être exécuté demain ; mais comme elle l’adore, elle se gardera bien de prononcer ce mot. Elle a un enfant qu’elle idolâtre ; je veux la faire renoncer à tout ; je veux foutre la femme, faire rouer le mari et envoyer l’enfant à l’hôpital. Il y a deux mois que je travaille à cette opération et n’ai pu rien obtenir encore sur l’amour et sur la vertu de cette femme. Tu vas voir comme elle est jolie ; je veux que tu m’aides à la séduire.

Voici le fait. Un meurtre a été commis dans sa maison ; elle y était seule avec l’homme assassiné, son mari et un autre homme. Elle devient témoin nécessaire ; l’homme a déposé contre le mari, mais il faut le témoignage de la femme, puisqu’elle était seule en ce moment à la maison.

— Scélérat ! c’est toi qui as conduit toute cette trame, tu as fait tuer l’homme par le témoin que tu as séduit, et qui a déposé que c’était l’époux ; tu veux que la femme en dise autant, et pour le plaisir de posséder cette femme, et pour celui, plus piquant encore, de l’avoir rendue l’assassin de son mari.

— Oh ! Juliette, comme tu me connais !… Oui, tu as raison, j’ai fait tout cela ; mais je veux compléter mon crime et je compte sur toi… Ah ! comme je déchargerai voluptueusement ce soir en foutant cette femme.

Elle arriva. Mme de Valrose était effectivement une des plus jolies créatures qu’il fût possible de voir : petite, mais faite à peindre… de l’embonpoint, la peau éblouissante, les plus beaux yeux du monde, la gorge et les fesses moulées.

— Eh bien ! madame, lui dit Noirceuil, êtes-vous décidée ?

— Oh, ciel ! répondit, les larmes aux yeux, cette charmante femme, comment voulez-vous que je me décide à une telle horreur ?

— Prenez garde à vous, madame, dis-je vivement ici ; M. de Noirceuil, en me mettant au fait de ce qui vous regarde, m’a permis de vous donner un avis : songez que votre époux est déjà perdu, n’y eût-il qu’un témoin, et vous savez qu’il y en a un ; ce seul témoin suffirait à le perdre.

— Mais, madame, il n’est point coupable : le témoin qui le charge est le meurtrier lui-même.

— Vous ne le persuaderez jamais à vos juges : ce témoin n’avait nul rapport avec l’homme assassiné, et M. de Valrose en avait beaucoup. Vous devez donc regarder votre mari comme perdu ; c’est incontestable. Or, puisque dans cette terrible certitude, M. de Noirceuil, dont vous connaissez le crédit, vous offre de le sauver, si vous voulez déposer contre lui, je ne…

— Mais à quoi sert cette déposition, puisqu’il veut le sauver ?

— Il ne le peut sans cette déposition ; c’est d’elle dont il se servira pour prouver que la procédure est informe, et les faits calomnieux, sans doute, dès que la femme sert elle-même de témoin.

— Mais alors, je serais punie ?

— Un couvent… dont nous vous tirerons huit jours après… Oh ! madame, comment se peut-il que vous balanciez ?

— Mais mon mari me croira coupable ; il saura que j’ai voulu le perdre : cette idée pèsera sur mon cœur, je ne pourrai jamais revoir cet époux adoré : je ne le sauve qu’en me brouillant éternellement avec lui.

— J’en conviens, mais ne vaut-il pas mieux cela que de l’envoyer à la mort ? Et, si vous l’aimez véritablement, ne devez-vous pas préférer sa vie au bonheur de le posséder ? S’il meurt, n’en serez-vous pas de même séparée ?

— Funeste alternative !… Et si l’on me trompe… si cet aveu achève de le perdre, au lieu de le sauver ?

— Ce soupçon injurieux, dit alors Noirceuil, est la récompense du bien que je veux vous faire, madame, et je vous en remercie.

— En vérité, repris-je avec chaleur, vous mériteriez, madame, que M. de Noirceuil vous abandonnât sur-le-champ : comment osez-vous soupçonner ainsi le plus vertueux des hommes ?

— Il met, aux soins qu’il veut me rendre, un prix qui me déshonore. J’idolâtre mon mari, je ne lui ai manqué de mes jours, et ce n’est pas quand il est dans le malheur que je comblerai son infortune par un aussi sanglant outrage.

— Cet outrage est imaginaire, jamais votre époux ne s’en doutera. Avec l’esprit que vous annoncez, je suis étonnée que vous teniez à ces chimères. Ce ne sont point vos sentiments, d’ailleurs, que désire M. de Noirceuil, ce ne sont que vos faveurs, et la lésion, dès lors, doit vous paraître beaucoup moins sensible. Mais, je vais plus loin : cette lésion dût-elle même exister, de quelle considération devient-elle dès qu’il s’agit de sauver votre époux ? Il me reste donc à défendre M. de Noirceuil sur le prix qu’il exige. Ah ! madame, vous connaissez bien peu l’esprit du siècle, si vous supposez qu’on oblige gratuitement aujourd’hui. En vérité, M. de Noirceuil, pour un service que vous ne payerez pas encore assez de votre fortune entière, se contente, selon moi, de bien peu, en n’exigeant que vos faveurs. En un mot, vous tenez dans vos mains la vie de votre époux : sauvé en l’accusant, perdu si vous ne le chargez pas, voilà votre sort ; prononcez.

Et ici, la chère petite femme tomba dans une crise épouvantable de douleurs, qui mit Noirceuil dans un tel embrasement que le scélérat vint se faire branler par moi sous ses yeux. Elle s’évanouit.

— Allons, sacredieu, trousse-la ! dit Noirceuil que je la foute…

Et comme, en la délaçant, j’avais mis sa jolie gorge à l’air, Noirceuil la pétrissait déjà de cette manière barbare dont il avait coutume de caresser cette partie. J’achève de déshabiller cette pauvre petite créature ; et la plaçant sur mes genoux, toujours évanouie, j’expose ce joli cul à ce libertin qui, pendant que je lui tiraille les poils en dessous, se dispose à la sodomie, suivant son usage. Noirceuil, qui ne se souciait nullement de ménager sa victime, pénètre avec tant de violence que la moribonde ouvrit enfin les yeux…

— Où suis-je ? s’écria-t-elle, et qu’ose-t-on entreprendre ?

— Un peu de patience, mon enfant, répondis-je assez durement, et l’on aura bientôt de vous tout ce que l’on en veut…

— Mais on me fait des choses…

— Que jamais n’entreprit votre époux, n’est-ce pas ?

— Jamais, jamais ; cette horreur me fait frissonner.

— Songez donc, madame, dit le féroce Noirceuil, enculant toujours, qu’il ne s’agirait que de couper la cloison qui sépare, pour rendre absolument nulle l’action contre laquelle vous vous récriez ; et si vous voulez, Juliette, avec un rasoir…

— Fous, fous, Noirceuil ! tu commences à déraisonner…

Et la petite femme, se débattant toujours :

— Oh ! lâchez-moi, c’est une violence, c’est une abomination !

— Double putain ! dit Noirceuil s’armant d’un pistolet dont il lui met le bout sur la tempe, si tu me déranges, si tu dis un mot, tu es morte…

C’est alors que la malheureuse conçoit que la résignation est son seul lot. Elle abaisse sur mon sein sa belle tête en larmes, je lui pince la motte, et la lui épile, et lui occasionne, en un mot, des douleurs si vives que Noirceuil, serré dans cet anus comme dans un étau, se sent près d’élancer son foutre. Il saisit les tétons en dessous avec une telle violence, les douleurs deviennent si cuisantes, que le coquin décharge en jetant les hauts cris. Il se retire ; et, me jetant sur cette charmante femme, j’en jouis à mon tour, en mourant de plaisir. Cette scène ranime Noirceuil ; bandant encore, il veut s’y joindre ; par mon attitude, mes fesses lui sont présentées, il les baise et, mettant son vit dans la bouche de Valrose, il lui ordonne de le sucer ; le premier mouvement en est d’horreur, le second un de désobéissance. Quel groupe ! J’étais couchée sur Valrose ; Noirceuil, en sens contraire, l’était également sur moi ; il s’excitait dans la bouche de cette jolie petite femme, et venait gamahucher mon cul. Je couvris de foutre le con de ma branleuse ; Noirceuil répandit le sien dans sa bouche. Nous nous rajustâmes.

— Eh bien ! dit Noirceuil quand il fut de sang-froid, voilà l’infidélité commise ; balancerez-vous maintenant à sauver votre mari ?

— Eh ! monsieur, cela le sauvera-t-il ? dit cette charmante créature, de l’air le plus doux et le plus intéressant ; êtes-vous bien sûr que cela le sauvera ?

— Je vous en fais le serment le plus sacré, dit le traître, et je consens à ne jamais renouveler avec vous les plaisirs que je viens de goûter si je vous trompe. Venez me trouver demain matin, nous irons ensemble chez le juge, vous signerez que votre mari est coupable ; je vous le rends après-demain.

— Oh ! Noirceuil, dis-je bas à ce monstre, que j’idolâtre en toi cette persévérance dans le crime, même au moment où s’éteignent les passions qui semblent t’y porter.

— N’en ai-je pas joui ? me répondit Noirceuil ; et ne sais-tu pas que mon foutre signe toujours un arrêt de mort ? Nous nous retirâmes. Mme de Valrose, que je ramenai, me supplia de m’intéresser pour elle ; et je le lui promis, avec la sincérité que l’on doit à une putain dont on est lasse. Le lendemain, elle déposa ; le surlendemain, Noirceuil arrangea les choses avec tant d’art, que la pauvre petite malheureuse fut déclarée complice du mari et pendue près de lui, dans la même heure où celui-ci fut exposé sur la roue, après avoir été rompu. Je branlai Noirceuil, à une croisée d’où nous vîmes toute l’expédition ; il me le rendait. Depuis longtemps, je n’avais si délicieusement déchargé. Noirceuil demanda l’enfant, par motif de commisération : il l’obtint, le foutit et le mit à la porte au bout de vingt-quatre heures, sans lui donner le moindre secours.

— Cela vaut bien mieux que de le tuer, me dit-il, ses souffrances seront bien plus longues, et je jouirai bien plus longtemps d’en être la cause.

Cependant l’abbé Chabert m’avait trouvé tout ce qu’il me fallait. Je m’établis, au bout de huit jours de mon arrivée à Paris, dans un hôtel délicieux, vous le connaissez ; et j’achetai, près d’Essonnes, la belle terre où nous voici réunis ; je plaçai le reste de mon bien en différentes acquisitions, et me trouvai, mes affaires faites, à la tête de quatre millions de rente. Les cinq cent mille francs de Fontange servirent à meubler mes deux maisons, avec la magnificence que vous y voyez. Je m’occupai, ensuite, d’arrangements libidineux ; je me formai les différents sérails de femmes que vous me connaissez, à la ville et à la campagne ; je pris trente valets de la plus belle taille et de la plus délicieuse figure, choisis surtout à la grosseur du membre, et vous savez l’usage que j’en fais. J’ai, de plus, six maquerelles qui ne travaillent absolument que pour moi dans Paris, et chez lesquelles, quand je suis à la ville, je me rends trois heures tous les jours. À la campagne, elles m’envoient ce qu’elles découvrent, et vous avez souvent pu juger de leurs fournitures. Peu de femmes, d’après cela, doivent se flatter de jouir plus délicieusement de la vie ; et cependant je désire toujours ; je me trouve pauvre ; mes désirs sont mille fois supérieurs à mes facultés ; je dépenserais le double, si je l’avais ; et il ne sera jamais rien que je ne fasse pour augmenter encore ma fortune ; criminel ou non, je ferai tout. Dès que ces divers arrangements furent pris, j’envoyai chercher Mlle de Donis à Chaillot ; je fis payer sa pension, et la retirai. Rien, dans la nature entière, n’était aussi joli que cette fille. Représentez-vous Flore elle-même, et vous n’aurez encore, de ses grâces et de ses attraits, que la plus imparfaite idée. Âgée de dix-sept ans, Mlle de Donis était blonde ; ses cheveux superbes la couvraient en entier ; ses yeux étaient du plus beau brun : on n’en vit jamais de plus vifs, ils pétillaient à la fois d’amour et de volupté ; sa bouche délicieuse ne paraissait s’ouvrir que pour l’embellir encore ; et ses dents, les plus belles du monde, ressemblaient à des perles qu’on avait semées sur des roses. Nue, cette superbe fille eût pu servir de modèle aux Grâces. Quelle motte rebondie ! quelles cuisses rondes et appétissantes ! quel sublime cul ! Ô Fontange ! qu’il fallait être à la fois cruelle et libertine, pour ne pas faire grâce à tant d’attraits, et pour ne pas t’excepter, au moins, du sort rigoureux que je destinais à toutes mes jouissances !

Prévenue depuis cinq ans, par sa mère, de me rendre tous les respects et tous les soins possibles, aussitôt qu’elle sut que c’était moi qui l’envoyais prendre, elle se félicita intérieurement de ce bonheur ; et en arrivant, éblouie de ce faste, de cette multitude de valets, de femmes, de cette magnificence de meubles, dont elle n’avait encore aucune idée, n’étant jamais sortie de son couvent, elle s’imagina voir l’Olympe et se crut transportée, toute vive, dans le séjour azuré des dieux : peut-être même me prenait-elle pour Vénus. Elle se jette à mes genoux ; je la relève ; je baise sa jolie bouche de rose, ses deux grands yeux et ses deux joues d’albâtre que la pudeur anima, sous mes lèvres, du plus joli vermillon de la nature. Je la presse contre mon sein et je sens son petit cœur battre sur ma gorge, comme celui de la jeune colombe qu’on arrache au sein de sa mère. Elle était assez bien vêtue, quoique avec simplicité : un joli chapeau de fleurs, de superbes cheveux blonds, retombant en boucles flottantes sur deux épaules délicieusement coupées. Elle me dit, du son de voix le plus doux et le plus flatteur :

— Madame, je rends grâce au ciel qui me procure l’avantage de vous consacrer ma vie ; je sais que ma mère est morte, et je n’ai plus que vous dans le monde.

Alors ses paupières se sont mouillées, et j’ai souri.

— Oui, mon enfant, lui ai-je dit, votre mère est morte ; elle a été mon amie ; elle mourut singulièrement… elle me laissa de l’argent pour vous. Si vous vous conduisez bien avec moi, vous pourrez être riche ; mais tout cela dépendra de votre conduite, de votre aveugle obéissance à toutes mes volontés.

— Je serai votre esclave, madame, me répondit-elle, en se courbant sur ma main.

Et je rebaisai sa bouche une seconde fois avec un peu plus de détail. Je fis découvrir la gorge… Elle rougissait, elle était émue, et m’adressait néanmoins, toujours avec esprit, ce qu’elle pouvait placer d’honnête et de respectueux. Alors je la reprends une troisième fois dans mes bras, ses cheveux épars, sa jolie gorge bien nue, et je lui dis, en dévorant sa bouche :

— Je crois que je vous aimerai, car vous êtes douce et fraîche…

L’idée de la scandaliser me vint alors : rien n’est joli comme le scandale donné par le vice à la vertu. Je sonne mes femmes ; je me fais mettre nue devant cette jolie petite fille ; et m’examinant devant une glace :

— Est-il vrai, Fontange, lui dis-je en la baisant, est-il vrai que mon corps est beau ?

Et la pauvre petite détourna les yeux en rougissant. J’avais, autour de moi, quatre de mes plus belles femmes : Phryné, Laïs, Aspasie et Théodore ; toutes quatre de seize à dix-huit ans, et plus belles que Vénus.

— Approchez donc, mademoiselle, lui dit Laïs, c’est une faveur que madame vous accorde ; il faut en profiter.

Elle vient, en baissant les yeux. Je lui prends la main ; je la place sur moi.

— Comme elle est enfant ! dis-je à mes femmes. Phryné, faites donc voir à cette petite fille ce qu’il faut qu’elle fasse…

Et me penchant sur une ottomane, Phryné s’assoit à mes côtés, prend ma tête sur son sein et me branle le clitoris. Aucune femme ne s’acquitte de ce devoir comme celle-là. Son exécution est savante, ses coups de doigts lascifs ; elle baise et caresse singulièrement le derrière ; sa langue, quand je le veux, chatouille l’anus à merveille ; ses mouvements, au mont de Cypris, s’accordent étonnamment bien avec ceux de l’autre temple, qu’elle suce délicieusement quand on veut. Pendant qu’elle agissait, Laïs, juchée sur ma poitrine, venait, en s’accroupissant sur ma bouche, me faire sucer son petit con ; Théodore me branlait le cul, et la belle Aspasie rapprochait Fontange du spectacle, en l’obligeant d’y fixer les yeux, et la branlant pour adoucir ses maux.

— Est-ce que vous n’avez jamais fait la même chose avec vos compagnes ? lui demandait Aspasie.

— Oh ! jamais !

— C’est impossible, disais-je, tout en suçant le cul de Laïs, je sais qu’on se branle beaucoup au couvent… J’avais déjà troussé toutes mes compagnes à votre âge.

Puis, quittant le con que je suce :

— Venez me baiser, lui dis-je.

Elle avance ; je la dévore.

— Déshabillez-la donc, dis-je à mes femmes.

Et l’attitude se rompt un moment pour quitter, toutes à la fois, les incommodes vêtements qui gênent mes plaisirs. Toutes les cinq sont en un instant aussi nues que moi. Dieu ! que Fontange était belle ainsi ! que de blancheur ! quelles proportions !

— Allons, dis-je, qu’on la place sur moi, de manière à ce que j’aie son petit con sur mes lèvres. Vous, Aspasie, vous saisirez le cul qu’elle vous offrira par cette posture, et vous lui langoterez l’anus. Phryné, vous lui branlerez le clitoris, de manière à ce que le foutre qu’il exhalera vienne distiller dans ma bouche. Je vais écarter mes cuisses : vous, Théodore, vous gamahucherez mon con, et vous, Laïs, vous lécherez le trou de mon cul. De grâce, mes belles amies, mettez en usage tout ce que vous savez ; usez de toutes vos recherches, car cette petite fille m’excite beaucoup, et je veux perdre, pour elle, infiniment de foutre.

Je n’ai pas besoin de vous peindre tout le plaisir que je devais retirer de cette voluptueuse scène : j’étais dans l’ivresse. Enfin, la volupté s’empare de la jeune Fontange ; elle ne peut résister aux délicates sensations dont elle est enivrée. La pudeur cède au plaisir, et la novice décharge. Oh ! comme un premier foutre est délicieux ! avec quels délices je le dévorais !

— Retournez-la, dis-je à mes femmes ; qu’elle place sa tête entre les cuisses de Théodore, et qu’elle la gamahuche ; moi, je lui branlerai le cul avec la langue ; Laïs me le rendra ; je manierai, je branlerai un cul de chaque main.

Nouvelle extase, nouvelle éjaculation de ma part ; je n’y tiens plus ; je saisis Fontange ; je me précipite sur elle ; je réunis mon clitoris au sien ; je frotte avec ardeur ; je dévore sa bouche ; mes femmes branlent mon cul, le fouettent, passent leurs mains en dessous pour chatouiller ma motte, me comblent, en un mot, de plaisir, et je décharge pour la dixième fois au moins, en mondant de mon sperme impur le con délicieux de la plus vierge et de la plus jolie des filles.

Le foutre éjaculé, l’illusion disparut. Toute belle qu’était Fontange, je ne la voyais plus qu’avec cette indifférence maligne qui réveille en moi la cruauté, quand je me suis rassasiée des objets, et bientôt sa sentence est écrite au fond de mon cœur.

— Rhabillez-la, dis-je à mes femmes.

J’en fais autant ; nous restons seules.

— Mademoiselle, lui dis-je sévèrement, n’arguez rien de ce moment d’ivresse où la nature m’a plongée malgré moi ; n’allez pas vous imaginer que ce soit, de ma part, une affaire de prédilection ; j’aime les femmes en général ; vous m’avez satisfaite ; tout est dit. Il faut maintenant que vous sachiez que votre mère m’a remis cinq cent mille francs pour vous composer une dot : comme vous auriez pu l’apprendre par d’autres, il est plus simple que je vous en prévienne.

— Oui, madame, je le savais.

— Ah ! vous le saviez, mademoiselle, je vous en félicite ; mais ce que vous ne saviez pas, c’est que madame votre mère doit ici cette même somme à un certain M. de Noirceuil, auquel je l’ai remise, et qui, de ce moment-ci, devient le maître de vous en faire présent, ou de la garder, puisqu’elle lui appartient. Je vous mènerai demain chez ce M. de Noirceuil, et vous exhorte à beaucoup de complaisance, s’il lui arrive d’exiger de vous quelque chose.

— Mais, madame, les leçons de morale et de pudeur qui ont fait la base de l’excellente éducation que j’ai reçue s’accordent mal avec vos conseils…

— Ajoutez : mes actions, pendant que vous êtes en train de me gronder ; je vous conseille de me reprocher jusqu’aux bontés que j’ai eues pour vous.

— Je ne dis pas cela, madame.

— Ah ! dites-le, si vous le voulez, je vous assure que vos reproches me touchent aussi peu que vos éloges : on s’amuse d’une petite fille comme vous, on la méprise après.

— Du mépris, madame !… J’avais cru qu’on ne méprisait que le vice.

— Le vice amuse, et la vertu fatigue ; or, je crois que ce qui sert à nos plaisirs doit toujours l’emporter sur ce qui n’est bon qu’à donner des vapeurs… Mais, vous répondez, ma belle ; vous êtes insolente, et vous n’êtes pas, il s’en faut, au degré de supériorité qui peut faire excuser ce travers ; je vous prie donc de laisser là toutes ces discussions, mademoiselle ; le fait est que je ne vous dois rien, que j’ai payé à un créancier de votre mère ce que j’étais chargée de vous remettre, et qu’il dépend absolument de ce créancier de vous rendre cette somme ou de la garder, et je vous avertis qu’il la gardera, si vous n’avez pas pour lui les égards les plus étendus.

— Et de quel genre, madame ?

— Du genre de ceux que je viens d’exiger de vous : il me semble que vous devriez m’entendre.

— En ce cas, madame, votre M. de Noirceuil gardera donc tout ; je ne suis point faite pour le métier infâme que vous me proposez ; et si, par respect pour vous, par faiblesse ou par enfantillage, j’ai pu tout à l’heure oublier mes devoirs, vous m’avez trop ouvert les yeux pour ne m’avoir pas punie de mon erreur…

Et des larmes coulèrent alors avec abondance des plus beaux yeux du monde…

— En vérité, dis-je, il est bien singulier de se voir faire une scène, parce qu’on n’est pas aux genoux de mademoiselle. Eh ! grand Dieu, où en serions-nous, nous autres libertines, s’il fallait adorer toutes les petites putains qui nous branlent ?

Et, à ce mot de putain, des cris de désespoir se firent entendre ; on se précipita la tête sur la table, on hurla, on inonda la chambre de larmes ; et ce n’était pas, je l’avoue, sans un plaisir bien piquant et bien vif que j’humiliais ainsi celle qui venait d’encenser mes luxures. La chute de l’illusion console l’amour-propre, et l’on aime à se dédommager alors, par des mépris, du fol encens qu’on brûla pour l’idole : cette petite pécore m’irritait à un point que je ne saurais peindre.

— Écoutez, lui dis-je, mon enfant, si M. de Noirceuil ne vous donne pas votre dot, vous me servirez : j’ai précisément besoin d’une fille de cuisine, vous laverez la vaisselle au mieux…

Et les larmes redoublèrent ici à un tel excès que je crus qu’elle allait suffoquer…

— Eh bien ! continuai-je, si ce moyen-là ne vous plaît pas, il vous reste celui de la mendicité, ou de la prostitution… Tenez, ce dernier parti, je vous le conseillerais, moi ; vous n’êtes pas mal : il est inouï ce que vous gagneriez à branler des vits.

— Madame, dit Fontange en se levant comme une furieuse, je ne suis faite ni pour l’un ni pour l’autre de ces métiers ; laissez-moi sortir de chez vous ; je me repens des actions où je me suis livrée ; j’en demanderai pardon, toute ma vie, à l’Être suprême… Je vais retourner dans mon couvent.

— On ne vous y recevra plus ; personne n’y paiera votre pension.

— J’y ai des amies.

— On n’en a plus quand on est pauvre.

— Je travaillerai.

— Allons, allons, calmez-vous, petite imbécile, séchez ces pleurs ; mes femmes, ce soir, vont avoir soin de vous, je vous mènerai demain chez Noirceuil, et peut-être ne le trouverez-vous pas, si vous êtes douce, aussi dur et aussi méchant que moi.

Je sonne, recommande cette jeune fille à mes tribades, fais mettre mes chevaux, et vole chez Noirceuil. Il me demande des détails ; en lui peignant Fontange avec les seules couleurs de la vérité, je devais nécessairement l’enflammer.

— Vois, me dit-il en me montrant un vit très roide, vois, Juliette, l’effet de tes foutus pinceaux.

Et me faisant passer dans son boudoir, il fallut absolument consentir à lui satisfaire quelques-unes de ces fantaisies bizarres qui doublent les effets du désir sans l’éteindre ; qui ne sont pas des jouissances, mais qui, sur des têtes libertines comme celle de Noirceuil, valent mieux que toutes les conjonctions licites ou de l’hymen ou de l’amour. Nous fûmes deux heures, car j’aime aussi toutes ces petites horreurs-là. Je les satisfais à des hommes, avec le même plaisir qu’ils prennent à m’y soumettre ; leur lubricité allume la mienne : je ne les ai pas plus tôt contentés, que je veux que l’on me contente à mon tour ; et après quelques heures de plaisir, qui ne nous coûtèrent aucune perte, tel fut à peu près le discours que tint Noirceuil :

— Une fantaisie bien extraordinaire me tourmente depuis bien longtemps, Juliette, et j’attendais ton retour avec impatience, n’y ayant que toi seule au monde avec qui je pusse la satisfaire. Je veux me marier… me marier deux fois dans le même jour : à dix heures du matin, je veux, habillé en femme, épouser un homme ; à midi, vêtu en homme, épouser un bardache comme femme. Je veux plus… je veux qu’une femme m’imite : et quelle autre femme que toi pourrait servir cette fantaisie ? Il faut que, vêtue en homme, tu épouses une tribade à la même messe où, comme femme, j’épouserai un homme ; et que, vêtue en femme, tu épouses une autre tribade vêtue en homme, quand, ayant repris les habits de mon sexe, j’épouserai, comme homme, un bardache habillé en fille.

— Assurément, vous l’avez dit, monsieur, cette passion est bizarre.

— Oui, mais comme Néron épousa Tigellin comme femme et Sporus comme homme, je n’invente, moi, que la double liaison dans un même jour, et la fantaisie de me voir imité par toi. Les liens qui nous unissent déjà aux objets qui vont servir cette fantaisie sont encore des épisodes neufs, et que Néron ne trouva pas. Les deux femmes à toi sont d’abord Fontange, qui, revêtue d’habits de notre sexe, t’épousera comme homme, et ta fille qui, revêtue des habits du sien, t’épousera en secondes noces, lorsque toi tu seras vêtue en homme. Mon époux et ma femme, à moi, les voici : deux enfants, Juliette, oui, deux enfants que tu ne me connais pas, et que personne au monde ne connaît. L’un a près de dix-huit ans, c’est mon époux : il est vigoureux et beau comme Hercule ; l’autre a douze ans, c’est l’Amour. Tous deux sont les fruits de nœuds très légitimes ; l’un est de ma première femme, l’autre de ma sixième : tu sais que j’en ai eu huit ?

— Mais vous m’aviez dit, ce me semble, qu’il ne vous restait plus d’enfants ?

— Ils étaient morts au monde ; on élevait, par mes soins, l’un et l’autre, dans un de mes châteaux, au fond de la Bretagne, et jamais ils n’ont vu le jour. Ils viennent d’arriver en mon hôtel, dans une chaise fermée ; ce sont de vrais sauvages, à peine savent-ils parler. Qu’importe ! bien menés, ils serviront à la cérémonie ; le reste est notre affaire.

— Et d’affreuses bacchanales suivront sans doute une fantaisie extraordinaire ?

— Assurément.

— Et vous voulez, Noirceuil, que ma malheureuse Marianne, que j’adore, devienne, sans doute, une victime de ces épouvantables orgies ?

— Non, me dit-il, elle y sera, c’est tout ce qu’il faut à ma luxure ; mais tu peux être bien certaine qu’il ne lui sera fait aucun mal : tes femmes l’amuseront pendant que nous serons à l’ouvrage ; voilà tout…

J’accepte tout ; et l’on va voir comment le scélérat tint parole.

Ce ne fut pas sans peine que je fis comprendre à Mlle de Donis le bizarre arrangement de cette scène : la vertu s’arrange mal des extravagances du vice. Moitié crainte, moitié complaisance, la malheureuse consentit à tout, sous ma parole la plus sacrée, que le dénouement de ces noces scandaleuses n’aurait rien qui pût alarmer sa pudeur. La première cérémonie se faisait dans une petite ville, éloignée de deux lieues du château magnifique que Noirceuil possédait en Orléanais, et dans lequel devait se célébrer la fête ; la seconde, dans la chapelle même de ce château.

Je ne vous ennuierai pas des détails de cette double fonction ; vous saurez seulement que tout s’y passa avec décence, rigueur et ponctualité ; la partie civile s’exécuta avec autant de respect que la partie religieuse. Il y eut des anneaux, des messes, des bénédictions, des dots constituées, des témoins : rien ne manqua. Les plus savantes toilettes déguisèrent artistement les sexes, et les embellirent quand il le fallut.

À deux heures du soir, le double projet de Noirceuil fut rempli ; et comme il se trouvait à la fois l’épouse de l’un de ses fils, le mari de l’autre, je me trouvais, de même, le mari de ma fille et l’épouse de Fontange. Tout étant conclu, les portes du château se fermèrent avec soin. La saison étant très rigoureuse, d’ardents brasiers furent allumés dans la superbe salle où nous devions nous tenir ; et, les ordres les plus sévères étant donnés pour qu’on n’osât troubler en rien les bacchanales qu’on allait célébrer, nous nous enfermons dans cet appartement pompeux, au nombre de douze personnes, dont voici les noms :

Noirceuil et moi, comme les deux héros, nous nous plaçâmes sur un trône de velours noir, au milieu de la salle ; au bas du trône, se voyaient, couronnés de cyprès, l’aîné des fils de Noirceuil nommé Phaon, âgé de dix-huit ans ; le second, âgé de douze, ayant pour nom Euphorbe ; Marianne, ma fille, et Mlle de Donis ; les deux témoins des mariages, agents des plaisirs sodomistes de Noirceuil et ses bourreaux, s’appelant l’un Desrues, l’autre Cartouche, de l’âge d’environ trente ans ; tous deux, vêtus en cannibales, des verges, des poignards et des serpents aux mains, étaient debout, près de nos flancs, et paraissaient nous servir de gardes ; à côté de nous, et assises, se voyaient, nues, deux de mes tribades, Théodore et Phryné ; à nos pieds, deux putains, également nues, paraissaient attendre nos ordres. Ces filles, prises tout simplement dans un bordel, n’avaient guère plus de dix-huit à vingt ans, et toutes deux de la plus charmante figure : elles étaient là pour servir la scène.

Un peu effrayée de ces apprêts pour ma pauvre Marianne, je m’avisai de rappeler à Noirceuil les promesses qu’il m’avait faites.

— Ma chère, me répondit-il, tu dois voir que ma tête est extraordinairement exaltée ; les plaisirs que j’ai goûtés, ce matin, à satisfaire l’incroyable passion qui me dévorait depuis longtemps, m’ont exactement tourné la cervelle, et je crains que tu choisisses mal ton moment pour me rappeler à des promesses de sagesse, qu’une dose de plus d’irritation dans le genre nerveux peut faire évanouir en un instant. Jouissons, Juliette, amusons-nous, peut-être te tiendrai-je parole ; mais si cela n’arrivait pas, tâche de trouver dans les luxures qui vont nous enivrer assez de forces pour supporter le malheur que tu sembles craindre, et qui, pourtant, soit dit entre nous, n’aurait rien d’effrayant. Songe, ma chère, qu’il n’existe aucun frein pour des libertins tels que nous, que la multiplicité des motifs de respect ne devient qu’une raison de plus à redoubler les outrages : plus la vertu paraît exiger, plus le vice en fureur se plaît à l’avilir.

Cent bougies éclairaient cette salle, quand la scène s’ouvrit.

— Cartouche, et vous Desrues, dit Noirceuil à ses deux agents, dignes émules des hommes célèbres dont je vous ai permis de porter les noms, vous que je respecte à ce noble titre, vous qui, comme vos patrons dont le burin fidèle de l’histoire transmettra les hauts faits jusqu’au dernier âge de l’homme, seriez prêts à tout faire pour les respectables intérêts du crime, allez déshabiller les quatre holocaustes que couronne l’arbre de la mort, et faites de leurs habits, désormais inutiles, l’usage que je vous ai prescrit.

Les émissaires partent ; en un instant, les quatre victimes sont nues, et, à mesure qu’on leur arrache un vêtement, il est aussitôt jeté dans les brasiers ardents de cette salle.

— Quelle est donc cette funeste cérémonie ? dit Fontange, en voyant qu’on brûle jusqu’à sa chemise. Pourquoi jeter au feu ce qui me couvre ?

— Chère fille, lui répond Noirceuil assez brutalement, c’est que vous n’aurez bientôt plus besoin que d’un peu de terre pour vous mettre à l’abri.

— Dieu ! quel arrêt barbare ! et par où donc l’ai-je mérité ?

— Qu’on approche de moi cette créature, dit Noirceuil…

Et pendant que Laïs le suce, qu’une des putains lui branle le cul, et que je l’excite par des propos, le libertin se colle sur la bouche de cette fille enchanteresse et la lui pompe un quart d’heure de suite, malgré les résistances qu’offre sa pudeur à de pareilles tentatives. Et puis, s’emparant du derrière :

— Oh ! le beau cul, Juliette ! s’écrie-t-il en s’extasiant devant les fesses ; qu’il sera délicieux de foutre et de martyriser tout cela !…

Sa langue, alors, s’introduit au trou mignon, pendant que, par ses ordres, j’arrache d’une main les poils follets du con de cette belle fille, et que je pince vivement sa gorge naissante, de l’autre. Il la fait mettre à genoux, ordonne aux deux hommes de la langoter, et finit par lui faire baiser son derrière.

On ne se peint point, pendant ces affreux débute, la honte et l’embarras de cette jeune personne ; si quelque chose l’emporte sur ces deux sentiments, c’est la frayeur que lui inspirent les préparatifs de ce qui lui paraît devoir suivre. Mlle de Donis, modestement élevée, n’ayant reçu, dans la maison dont elle sortait, que les meilleurs principes, était nécessairement dans une affreuse situation ; et rien ne nous amusait comme les combats violents de sa pudeur et de la nécessité. Un moment, elle veut se soustraire à tout ce qu’on entreprend sur elle.

— Tenez-vous bien, lui dit durement Noirceuil ; ne voyez-vous donc pas ce qu’est l’imagination d’un homme tel que moi ? Un rien la trouble et la dérange ; dès qu’on cesse de la servir, elle se démonte, et les attraits les plus divins sont nuls, quand la soumission et l’obéissance ne viennent pas nous les offrir…

Le coquin maniait le cul, tout en disant cela ; c’était sur les fesses charmantes de cette fille angélique où s’égaraient indocilement les mains les plus impures et les plus féroces.

— Double dieu ! s’écria-t-il, oh ! comme je veux rendre cette coquine-là malheureuse ! À quel point ses attraits exigent des horreurs !…

Il lui fait alors empoigner le vit de Cartouche, l’oblige de le branler, se plaisant à voir la besogne du vice aux mains de l’innocence : et comme la pauvre fille, tout en larmes, s’y prend avec autant de maladresse que de dégoût, il ordonne à l’une des putains de lui donner des leçons, et contraint celle qui les reçoit à en rendre bien humblement grâces.

— Ce métier lui sera peut-être utile, dit Noirceuil ; l’état affreux de misère où je vais la réduire saura l’y contraindre bientôt…

Il lui ordonne de branler, avec sa langue, le con de ces deux putains ; de venir ensuite sucer son vit, et veut qu’on lui applique de vigoureux soufflets, à la plus légère marque de répugnance.

— Allons, dit-il, pensons aux plaisirs de l’hymen, c’est assez s’occuper de ceux de l’amour… Jetant alors un regard affreux sur Fontange : Qu’elle frémisse, dit-il, quand je lui ferai l’honneur de revenir m’occuper d’elle.

Laïs et Théodore sont envoyées vers Phaon, le mari de Noirceuil et son fils à la fois ; elles réussissent bientôt à le faire bander, et l’amènent à Noirceuil qui, courbé sur moi, présente nonchalamment le derrière au chaste époux que mes tribades lui conduisent. Je le branlais en dessous, pendant ce temps-là, et il gamahuchait le trou du cul des deux putains.

— Faites observer les cérémonies d’usage, dit-il aux conductrices de Phaon, et que ce jeune époux ne puisse cueillir les faveurs qui lui sont offertes, sans s’en rendre digne auparavant.

Phaon s’agenouille, il adore religieusement le cul qu’on lui présente, le baise avec respect, se lève, et, cédant aux mouvements qui lui sont imprimés, le beau jeune homme s’introduit jusqu’aux couilles au cul du cher papa. Membré comme un mulet, ses secousses font bientôt frétiller celui qui les reçoit, et le paillard se plaît à contrefaire les cris, les plaintes et les simagrées de la jeune épouse qu’on dépucelle ; il soupire, il se plaint, rien ne devient plaisant comme ses contorsions. Le jeune homme, parfaitement excité par ce qui l’entoure, décharge bientôt au cul qui le chatouille. Dès qu’il a fait, on le contraint aux mêmes marques de respect auxquelles il fut soumis en commençant. Il s’éloigne ; mais Noirceuil, échauffé, veut être foutu ; son anus, haletant, semble appeler des vits : Cartouche et Desrues le sodomisent ; il baise, pendant ce temps, les fesses de Laïs et de Théodore, dont il ne peut, dit-il, se rassasier. Nichée sous lui, je le suce de toutes mes forces ; il pétrit le cul des putains. Foutu deux fois par chacun de ses hommes :

— Allons, dit-il, essayons du rôle d’époux : après avoir si bien rempli celui de femme, ne suis-je donc pas digne de celui d’homme ?

On lui amène Euphorbe, son second fils. Je suis chargée de guider l’engin ; en trois secousses, le pucelage est au diable. Noirceuil, qui se retire sans décharger, désire ardemment Fontange au sortir de là. Ce sont les putains qui la lui conduisent et qui guident l’opération.

— Juliette, me dit-il, je voudrais que tu mordisses violemment le con de cette petite fille, pendant que je vais l’enculer ; et comme, lors de ma jouissance, je veux qu’elle éprouve infiniment de douleur, j’ordonne à Cartouche et à Desrues de lui saisir chacun une main et de lui enlever les ongles avec un canif.

On exécute. Fontange, étourdie, suffoquée par la violence des maux qui pèsent à la fois sur son existence, ne sait si elle se plaindra davantage, ou des plaies ouvertes à chacun de ses doigts, ou des morsures dont j’ensanglante son con, ou des secousses du vit monstrueux qui lui déchire le derrière. Celles-ci, néanmoins, semblent être les titillations les plus cuisantes dont son physique soit martyrisé : à peine peut-elle les soutenir ; ses cris, ses larmes, ses gémissements deviennent à un tel degré de violence que Noirceuil, qu’ils irritent puissamment, est à l’instant de perdre ses forces ; il se retire.

— Oh ! Juliette, s’écrie-t-il, quel délicieux cul, et comme je vais faire souffrir cette garce ! Je voudrais que tous les démons de l’enfer fussent réunis autour de moi pour lui faire souffrir chacun un nouveau supplice !

Il la fait retourner et tenir par les putains ; j’écarte et lui présente le con : il y plonge en furieux, pendant qu’on donne à cette malheureuse des camouflets de soufre, et qu’on lui arrache les oreilles. Le pucelage saute, le sang coule, et Noirceuil, plus irrité que jamais, déconne, fait tenir sa victime en l’air par les deux bourreaux, et se plaît à la flageller ainsi jusqu’au sang, avec des martinets de fer que l’on a fait rougir au feu. Les putains le flagellent lui-même pendant qu’il agit, et il baise alternativement le cul de mes tribades, dont les fesses se trouvent élevées à hauteur de sa bouche ; je le suce, en lui chatouillant l’anus.

— Le froid excessif qu’il fait, dit Noirceuil au bout de quelques instants de cette scène, me fait naître une idée unique…

Il se revêt d’une fourrure, en fait prendre de même à ses deux hommes, autant à moi, et nous descendons Fontange toute nue. On la place sur un grand bassin gelé qui se trouve en face du château. Cartouche et Desrues se tiennent sur les bords, armés de grands fouets de poste et de bombes d’artifice. Je branle Noirceuil en face du spectacle. Fontange a ordre de faire six fois le tour du bassin ; quand elle s’approche des bords, on la repousse à grands coups de fouet ; quand elle s’éloigne, on lui lance des bombes d’artifice, qui lui éclatent sur la tête, ou entre les jambes. Il n’y a rien au monde de plaisant comme de voir ainsi cabrioler cette pauvre créature, qui tantôt s’éloigne, tantôt se rapproche, et qui, la plupart du temps, glisse et tombe sur la glace, au point de s’y casser les jambes.

— Comment ! dit Noirceuil en colère, la voyant près d’avoir fini ses six tours sans accident, comment ! la garce ne s’estropiera pas ?…

Et ce vœu était à peine formé que la malheureuse, atteinte par une bombe qui lui fait voler un téton, se brise au même instant un bras en tombant.

— Ah ! foutre, dit Noirceuil, voilà ce que je voulais…

On la remporte ; elle est évanouie. Quelques soins intéressés la rappellent au jour, et ses blessures sont légèrement pansées. On songe à d’autres scènes.

Noirceuil exige que ma fille me branle sous ses yeux ; il baise avec avidité le joli petit cul de cette enfant, pendant qu’elle procède à cette fantaisie.

— Il sera beau, Juliette, ce cul-là, me dit-il ; il m’excite déjà violemment…

Et quoiqu’elle n’eût que sept ans, le scélérat l’effleurait déjà de son vit énorme ; mais, reprenant tout à coup son fils Euphorbe, le vilain l’encule, en m’ordonnant d’écraser les couilles de cet enfant. Il n’est point de douleurs semblables à celles qu’éprouve ce malheureux, à la fois tourmenté et par-devant et par-derrière. Après quelques courses dans ce charmant cul, Noirceuil se retire et fait fouetter cet enfant par ses bourreaux. Celui qui ne frappe pas l’encule pendant ce temps-là, et je dois couper, avec un rasoir, absolument à ras du ventre, les parties viriles de l’infortuné. Noirceuil baise ardemment les fesses de Théodore pendant ce temps-là.

— Allons, Juliette, me dit-il, fais-toi foutre !

Je le désirais ardemment dans l’état affreux où j’étais. Les deux cannibales me saisissent ; l’un me pénètre le con, l’autre m’enfile le cul ; Noirceuil les encule tour à tour, pendant que les putains le fouettent. Aussitôt qu’il m’a vue décharger, Fontange est reprise. Noirceuil la livre aux deux bourreaux.

— Jouissez-en comme il vous plaira, leur dit-il, tout sera bon, pourvu que vous la tourmentiez en la foutant…

Et les coquins, ayant toute permission, traitèrent si mal cette fille qu’elle s’évanouit encore dans leurs bras.

— Un moment, dit Noirceuil, il faut que je l’encule encore…

Et pendant qu’il se satisfait, je le surprends par une cruauté nouvelle : j’arrache, avec un bistouri, l’œil droit de ma pupille. Noirceuil ne peut tenir à cette horreur ; la secousse, que la douleur occasionne à sa patiente, est si vive que le libertin perd son foutre au fond du cul de la pucelle, pendant qu’on le sodomise lui-même et qu’il est entouré de culs.

— Viens, coquine ! dit-il à cette créature, au bout de quelques instants…

Et la saisissant fortement par un bras, il l’entraîne dans un cabinet voisin. Je les suis.

— Regarde, poursuit-il en montrant sur une table les cinq cent mille francs qui appartiennent à la pauvre fille, et qu’il y a fait placer en or, voilà ta dot ; l’œil que nous t’avons laissé pour voir ces richesses fera, nous nous en flattons, promptement passer à ton âme l’affreux regret de ne les posséder de tes jours. Je te destine à mourir de faim, garce ; et je vais te traiter de manière à ce qu’il te devienne impossible de t’en jamais plaindre, quoique je te rende ta liberté. Tiens, lui dit-il en lui saisissant la main, touche cet or, il est à toi, et cependant tu ne l’auras jamais. Allons, bougresse, poursuit-il en fureur, telle est la dernière fonction que je voulais faire faire à tes organes : ils te deviennent inutiles maintenant…

Il lui attache, en disant cela, les deux mains sur un billot, l’encule, et je coupe les mains pendant qu’il opère ; le sang s’étanche, les plaies se bandent. Aussitôt, continuant de foutre, le barbare ordonne à la victime de tirer la langue ; je saisis cette langue avec des tenailles, et l’extirpe de même ; je crève l’autre œil… Il décharge.

— Bon, dit-il en se retirant et revêtissant la victime d’une grosse chemise, nous voilà bien sûrs qu’elle n’écrira point, qu’elle ne verra goutte, et qu’elle ne parlera à personne…

Nous la descendons sur le grand chemin.

— Cherche ta vie maintenant, garce, lui dit Noirceuil en lui donnant un grand coup de pied dans le cul ; l’idée de te voir périr de cette manière excite bien mieux notre lubricité que celle de t’assassiner… Va… va, si tu peux, dénoncer tes persécuteurs…

— Elle peut au moins entendre leurs questions, dis-je, l’ouïe se trouve encore pure chez elle.

Et le barbare Noirceuil, lui enfonçant, aussitôt des fers dans les oreilles, la prive promptement du seul organe qui lui reste. Nous rentrons.

— Excitez-moi, coquines, dit-il aux quatre femmes ; je viens de décharger ; il faut que je retrouve des forces… Branlez ces hommes, et qu’ils me foutent ; je n’ai jamais un plus grand besoin d’horreurs que lorsque je viens d’en commettre.

Noirceuil est entouré : des culs, des vits l’environnent de toutes parts ; on le branle, on le fout, on le gamahuche.

— Oh ! Juliette, me dit-il aussitôt qu’il bande… Juliette, je veux foutre ta fille…

Et sans me donner le temps de répondre, le scélérat se jette sur elle, la fait tenir par ses satellites et l’encule avec la promptitude de l’éclair. Les cris aigus de ma pauvre Marianne sont les seuls avertissements que je reçois de l’outrage affreux qu’elle essuie.

— Dieux ! que fais-tu, Noirceuil ?

— J’encule ta fille : ne fallait-il pas que cela fût ? et ne vaut-il pas mieux que cette rose soit cueillie par ton ami que par un autre ?

Après avoir écorché, mis en sang cette malheureuse, il se retire sans rien perdre ; et jetant des yeux hagards sur les deux putains, il annonce qu’il veut en sacrifier une. L’infortunée tombe à ses genoux ; elle veut l’implorer, mais en vain. Elle est saisie, liée à cheval sur le haut d’une échelle double. Noirceuil, assis à quelques pieds de l’échelle, en devient le maître, au moyen d’une corde qu’on attache au pied. Théodore et Laïs, agenouillées, lui branlent le vit, les couilles et le trou du cul : les deux sauvages me foutent devant lui ; celle des putains qui reste est liée contre un poteau, la tête en bas, en attendant douloureusement son sort. Vingt fois de suite, le coquin fait tomber l’échelle, rajuste la fille, la fait choir, et ne cesse cet abominable jeu que quand la victime s’y est fracassé la tête et cassé les deux jambes. Ces infamies l’ayant échauffé, l’autre putain est condamnée à avoir les deux yeux bandés, pendant que chacun de nous, autour d’elle, lui fera quelques blessures. Ce n’est qu’en nommant l’agresseur que sa délivrance aura lieu : elle tombe évanouie et noyée dans son sang, avant de pouvoir nommer le coupable. Par les ordres de Noirceuil et d’après mes idées, ces deux malheureuses qui respirent à peine sont pendues dans la cheminée, afin que les flammes puissent les dévorer en détail et que la fumée les étouffe.

Ivre de volupté, Noirceuil erre comme un furieux dans le salon ; cinq objets capables d’allumer sa rage s’offrent encore à ses regards : mes deux tribades, ma fille et ses deux fils. On dirait, à le voir, qu’il voudrait les immoler tous à la fois.

— Infâme jean-foutre de Dieu ! s’écrie-t-il, ne borne donc pas ainsi ma puissance, quand je veux t’imiter et commettre le mal ! Je ne te demande aucune faculté pour la vertu, mais communique-moi, du moins, tous tes pouvoirs pour le crime ; laisse-le-moi faire, à ton exemple ; mets, si tu l’oses, un instant, ta foudre en mes mains, et quand j’en aurai détruit les mortels, tu me verras bander encore à la lancer au sein de ton exécrable existence, pour la consumer, si je puis !

Il se jette, à ces mots, sur son fils Phaon, l’encule, se fait foutre, et m’ordonne, en me faisant branler par Théodore, d’arracher le cœur de l’enfant qu’il fout, et de le lui offrir à dévorer. Le vilain l’avale, en plongeant, au même instant de sa décharge, un poignard au sein de son autre fils.

— Eh bien ! me dit-il, Juliette, eh bien ! mon ange, en ai-je assez fait ? Suis-je assez souillé de sang et d’horreurs ?

— Tu me fais frémir, mais je t’imite.

— Ne crois pourtant pas que j’en reste là…

Ses yeux étincelants se portent encore sur ma fille ; il bande comme un furieux ; il la saisit, la fait contenir et l’enconne.

— Oh ! sacré foutredieu ! s’écrie-t-il, comme cette petite créature me tourne la tête ! Qu’en veux-tu faire, Juliette ? Porterais-tu l’imbécillité au point d’avoir quelques sentiments… quelques égards pour ce dégoûtant résultat de la couille bénite de ton abominable époux ? Vends-moi cette garce-là, Juliette, je te la paye ; je veux l’acheter ; souillons-nous tous les deux, toi, du joli péché de me la vendre, moi, de celui, plus chatouilleux encore, de ne te la payer que pour l’assassiner. Oh ! oui, oui, Juliette, assassinons ta fille ! Et sortant son vit, pour me le faire voir : Examine à quel point, dit-il, cette exécrable idée enflamme tous mes sens. Fais-toi foutre, Juliette, et ne me réponds qu’avec deux vits dans le corps.

Le crime n’a plus rien d’effrayant quand on fout ; et c’est toujours au milieu des flots de foutre qu’il en faut caresser les attraits… On me fout. Noirceuil me demande une seconde fois ce que je veux faire de ma fille.

— Oh ! scélérat ! m’écriai-je en déchargeant, ton perfide ascendant l’emporte, il étouffe en moi tout autre sentiment que ceux du crime et de l’infamie… Fais de Marianne ce que tu voudras, foutu gueux ! dis-je en fureur, je te la livre…

Il n’eut pas plus tôt entendu ces mots, qu’il déconne, saisit cette malheureuse enfant et la jette, nue, au milieu des flammes ; je l’aide, comme lui, je m’arme d’un fer pour repousser les mouvements naturels de cette infortunée, que des bonds convulsifs enlèvent et rejettent vers nous ; on nous branle tous deux, on nous encule ; Marianne est rôtie… elle est consumée. Noirceuil décharge, j’en fais autant ; et nous allons passer le reste de la nuit, dans les bras l’un de l’autre, à nous féliciter d’une scène dont les épisodes et les circonstances deviennent le complément d’un crime que nous trouvons encore trop faible.

— Eh bien ! me dit Noirceuil, est-il quelque chose au monde qui vaille les plaisirs divins que donne le crime ? Existe-t-il quelque sentiment qui donne à notre existence une secousse plus vive et plus délicieuse ?

— Oh ! mon ami, je n’en connais pas.

— Vivons-y donc éternellement ; que rien, dans la nature entière, ne puisse nous ramener à des principes différents ! Il est bien malheureux, celui que des remords entraînent à des retours aussi funestes qu’imbéciles ; car, faible et pusillanime dans toutes les actions de sa vie, il ne sera pas plus heureux dans la carrière qu’il va parcourir, qu’il ne l’était dans celle qu’il quitte ! Le bonheur tient à l’énergie des principes : il ne saurait y en avoir pour celui qui flotte sans cesse.

Nous passâmes huit jours à la terre de Noirceuil, pendant lesquels nous nous livrâmes journellement à quelques nouvelles infamies. Ce fut là qu’il voulut que j’essayasse une des passions de l’impératrice Théodora, femme de Justinien. Je m’étendais à terre ; deux hommes semaient des grains d’orge sur ma motte et sur les lèvres de mon con ; douze oies superbes et de la plus grande taille venaient becqueter ces graines et me causaient, par leurs coups de bec dans cette partie, une irritation si violente que j’étais obligée de foutre en sortant de là. Noirceuil, qui le prévoyait, me livra à une cinquantaine de paysans de sa terre, qui firent des prouesses avec moi. Il voulut se faire également becqueter le cul, et y trouva des sensations plus vives que celles du fouet. Il joignit à ces débauches celle d’ordonner à l’instituteur et à l’institutrice du bourg de sa terre de lui fournir chacun trente sujets du sexe qu’ils instruisaient. Il les mêla, fit dépuceler les filles par les petits garçons, et finit par les fouetter et les sodomiser, et les empoisonner tous.

— Oh ! mon ami, dis-je à Noirceuil, tout ce que nous faisons là est bien simple : ne pourrions-nous pas couronner nos orgies par quelque action plus éclatante ? Tous les habitants de ce bourg n’ont d’autre eau que celle de leurs puits ; je tiens de la Durand un secret qui les empoisonne en deux jours : mes femmes et moi, nous nous chargeons de les troubler tous.

Et je branlais Noirceuil en lui faisant cette proposition, afin de ne pas éprouver de refus.

— Oh ! foutre, me dit le paillard, ne pouvant plus contenir son sperme à cette proposition, oh ! sacredieu, Juliette, quelle imagination bizarre t’a donnée la nature ! Fais ce que tu voudras, mon ange, les flots que tu fais couler signent mon acceptation : agis.

Je tins parole ; tout fut empoisonné en quatre jours ; quinze cents personnes furent mises en terre, et presque autant réduites à un tel état de douleur qu’on les entendait invoquer la mort : on n’attribua le tout qu’à une épidémie. L’ignorance des gens de l’art, de la province, nous mit à couvert même du soupçon ; et nous partîmes, après une expédition qui nous avait coûté bien du foutre.

Telle est l’heureuse position où vous me voyez, mes amis. Je l’avoue, j’aime le crime avec fureur, lui seul irrite mes sens, et je professerai ses maximes jusqu’aux derniers moments de ma vie. Exempte de toutes craintes religieuses, sachant me mettre au-dessus des lois, par ma discrétion et par mes richesses, quelle puissance, divine ou humaine, pourrait donc contraindre mes désirs ? Le passé m’encourage, le présent m’électrise, je crains peu l’avenir ; j’espère donc que le reste de ma vie surpassera de beaucoup encore tous les égarements de ma jeunesse. La nature n’a créé les hommes que pour qu’ils s’amusent de tout sur la terre ; c’est sa plus chère loi, ce sera toujours celle de mon cœur. Tant pis pour les victimes, il en faut ; tout se détruirait dans l’univers, sans les lois profondes de l’équilibre ; ce n’est que par des forfaits que la nature se maintient, et reconquiert les droits que lui enlève la vertu. Nous lui obéissons donc en nous livrant au mal ; notre résistance est le seul crime qu’elle ne doive jamais nous pardonner. Oh ! mes amis, convainquons-nous de ces principes : dans leur exercice se trouvent toutes les sources du bonheur de l’homme.

C’est ainsi que Mme de Lorsange termina le récit de ses aventures, dont les scandaleux détails avaient arraché plus d’une fois des larmes bien amères à l’intéressante Justine. Il n’en était pas de même du chevalier et du marquis : les vits nerveux qu’ils mirent au jour prouvèrent bien de la différence dans les sentiments qui les avaient animés. Il se complotait déjà quelque horreur, lorsque l’on entendit revenir au château Noirceuil et Chabert, qui, comme on s’en souvient, avaient été passer quelques jours à la campagne, pendant que la comtesse instruisait ses deux autres amis des faits que ceux-ci savaient depuis longtemps.

Les larmes qui venaient d’inonder les belles joues de notre malheureuse Justine, son air intéressant… abattu par autant de malheurs… sa timidité naturelle, cette vertu touchante, disséminée sur chacun de ses traits, tout irrita Noirceuil et Chabert, qui voulurent absolument soumettre cette infortunée à leurs sales et féroces caprices. Ils furent s’enfermer avec elle pendant que le marquis, le chevalier et Mme de Lorsange se livrèrent à d’autres voluptés tout aussi bizarres, avec les nombreux objets de luxure dont était meublé ce château.

Il était environ six heures du soir, quand chacun revint et se réunit ; le sort de Justine fut mis alors en délibération ; et sur le refus formel que fit Mme de Lorsange de garder une telle prude chez elle, il ne fut plus question que de décider si cette malheureuse créature serait renvoyée, ou immolée dans quelques orgies. Le marquis, Chabert et le chevalier, plus que rassasiés de cette créature, étaient fermement tous les trois de cette dernière opinion, lorsque Noirceuil demanda à être entendu.

— Mes amis, dit-il à la joyeuse société, j’ai souvent vu que, dans de pareilles aventures, il devenait extrêmement instructif de tenter le sort. Un orage horrible se forme ; livrons cette créature à la foudre ; je me convertis, si elle la respecte.

— À merveille ! s’écria tout le monde.

— Voilà une idée que j’aime à la folie, dit Mme de Lorsange, ne balançons pas à l’exécuter.

L’éclair brille, les vents sifflent, le feu du ciel agite les nues ; il les ébranle d’une manière horrible… On eût dit que la nature, ennuyée de ses ouvrages, fût prête à confondre tous les éléments, pour les contraindre à des formes nouvelles. On met Justine à la porte, non seulement sans lui donner un sol, mais en lui ravissant même le peu qui lui restait. La malheureuse, confuse, humiliée de tant d’ingratitude et de tant d’horreurs, trop contente d’échapper peut-être à de plus grandes infamies, gagne, en remerciant Dieu, le grand chemin qui borde l’avenue du château… Elle y est à peine arrivée, qu’un éclat de foudre la renverse, en la traversant de part en part.

— Elle est morte ! s’écrient, au comble de leur joie, les scélérats qui la suivaient. Accourez, accourez ! madame ! venez contempler l’ouvrage du ciel, venez voir comme il récompense la vertu : est-ce donc la peine de la chérir, quand ceux qui la servent le mieux deviennent aussi cruellement les victimes du sort ?

Nos quatre libertins entourent le cadavre ; et quoiqu’il fût entièrement défiguré, les scélérats forment encore d’affreux désirs sur les restes sanglants de cette infortunée. Ils lui enlèvent ses vêtements ; l’infâme Juliette les excite. La foudre, entrée par la bouche, était sortie par le vagin : d’affreuses plaisanteries sont faites sur les deux routes parcourues par le feu du ciel.

— Qu’on a raison de faire l’éloge de Dieu, dit Noirceuil ; voyez comme il est décent : il a respecté le cul. Il est encore beau, ce sublime derrière, qui fit couler tant de foutre ! est-ce qu’il ne te tente pas, Chabert ?

Et le méchant abbé répond en s’introduisant jusqu’aux couilles dans cette masse inanimée. L’exemple est bientôt suivi ; tous les quatre, l’un après l’autre, insultent aux cendres de cette chère fille ; l’exécrable Juliette se branle, en les voyant faire ; ils se retirent, la laissent, et lui refusent jusqu’aux derniers devoirs.

Triste et malheureuse créature, il était écrit dans le ciel, que le repos même de la mort ne te garantirait pas des atrocités du crime et de la perversité des hommes !

— En vérité, s’écrie Mme de Lorsange en retournant avec ses amis au château, voilà qui m’affermit plus que jamais dans la carrière que j’ai parcourue toute ma vie. Ô Nature ! s’écria-t-elle dans son enthousiasme, il est donc nécessaire à tes plans, ce crime contre lequel les sots s’avisent de sévir ! tu le désires donc, puisque ta main punit, de cette manière, ceux qui le craignent ou ne s’y livrent pas… Oh ! voilà des événements qui comblent mon bonheur, et perfectionnent ma tranquillité.

On arrivait à peine au château, qu’une berline en poste y parvenait par l’autre route ; elle entre dans la cour presque en même temps que la compagnie. Une grande femme, fort bien mise, en descend, Juliette s’avance vers elle. Juste ciel ! c’est la Durand, c’est cette chère amie de Mme de Lorsange, condamnée par les inquisiteurs de Venise, et que Juliette croyait avoir vue accrochée au plafond de la salle de ses terribles juges…

— Chère âme ! s’écrie-t-elle en se jetant dans les bras de son amie… par quel événement !… grand Dieu…, explique-toi… je ne sais où j’en suis…

Un salon s’ouvre, on s’y installe, et chacun écoute en silence l’éclaircissement d’une aussi singulière aventure.

— Ma chère Juliette, dit la Durand avec tranquillité, tu revois celle que tu avais cru perdre dans les horreurs d’une mort violente, et qui, grâce à ses intrigues, à son industrie, à sa science, te retrouve bien plus fortunée que jamais, puisque avec le bien considérable qu’elle conserve, elle est encore assez heureuse pour te rapporter celui qu’on t’avait confisqué dans Venise… Oui, Juliette, continua cette chère amie, en remettant sur la table une liasse de papier : voilà le fond de tes quinze cent mille livres de rente que je te rends ; c’est tout ce que j’ai pu sauver ; jouis en paix, et ne m’accorde, pour reconnaissance, que la certitude de finir, avec toi, mes jours.

— Oh ! mes amis, s’écrie Juliette ivre de joie, aura-t-il tort, celui qui, quelque jour, écrira l’histoire de ma vie, s’il l’intitule : les prospérités du vice ? Hâte-toi, Durand, hâte-toi de nous développer des faits aussi singuliers, et convaincs-toi bien que c’est moi qui te supplie de ne jamais nous quitter de tes jours.

Alors cette femme, à jamais célèbre, apprit à la société, le plus succinctement qu’elle put, qu’en promettant de livrer et d’exécuter tous ses secrets, on lui assurait qu’une autre femme serait exécutée à sa place, l’exemple étant nécessaire pour Juliette, dont le Conseil voulait les biens et le départ, de peur d’imprudence. La feinte ayant parfaitement réussi, elle avait satisfait les inquisiteurs, et produit, dans Venise, une épidémie, dans laquelle plus de vingt mille personnes étaient mortes ; son opération faite, elle avait demandé pour grâce intime et spéciale que les biens de son amie lui fussent rendus ; on les lui avait accordés ; de ce moment, elle ne songea plus qu’à s’évader de Venise, bien persuadée que, nourris des principes de Machiavel, ces perfides Vénitiens immoleraient bientôt leur complice.

— Je suis donc accourue vers toi, mon ange, poursuivit la Durand ; je te rends heureuse, et me voilà contente. Ris maintenant de la fatalité du sort qui m’a fait échapper deux fois à la corde ; assurément, je ne dois plus maintenant craindre cette fin. Je ne sais quelle sera celle que me destine la main du sort : ah ! qu’il ne me frappe que dans le sein de ma chère Juliette, je ne me plaindrai jamais de ses coups.

Et les deux amies, se rejetant dans le sein l’une de l’autre, ne cessent un quart d’heure entier de se prodiguer les protestations sincères d’amitié, de confiance et d’attachement que le vice goûte ainsi que la vertu, quoi qu’en puissent dire les froids sectateurs de cette fastidieuse divinité. Chacun partageait les sentiments de ces deux tendres amies, lorsqu’un courrier de Versailles arrive avec grand fracas dans la cour ; il demande Noirceuil ; c’est à lui qu’il remet les ordres dont il est chargé.

— Oh ! ciel, s’écrie celui-ci dès qu’il a lu, il est dit, ma chère Juliette, que tous les genres de bonheur doivent affluer sur nos têtes aujourd’hui. Le ministre vient de fermer les yeux ; voilà la lettre, de la main du roi, qui m’ordonne de me rendre en hâte à la cour prendre les rênes du gouvernement. Quelle somme abondante de félicités ceci nous promet ! Suivez-moi toutes deux, continue Noirceuil, en s’adressant à Juliette et à la Durand, je ne veux de la vie me séparer de vous. De quelle nécessité vous m’allez être, au gouvernail du vaisseau que je vais conduire ! Vous, Chabert, je vous donne un archevêché ; marquis, je vous nomme à l’ambassade de Constantinople ; vous, chevalier, je vous fais quatre cent mille livres de rente : vous resterez à Paris, pour surveiller nos affaires. Allons, mes amis, réjouissons-nous, je ne vois dans tout cela que la vertu de malheureuse : nous n’oserions peut-être pas le dire, si c’était un roman que nous écrivissions.

— Pourquoi donc craindre de le publier, dit Juliette, quand la vérité même arrache les secrets de la nature, à quelque point qu’en frémissent les hommes ? La philosophie doit tout dire.

On partit dès le lendemain ; les plus grands succès couronnèrent dix ans nos héros. Au bout de ce temps, la mort de Mme de Lorsange la fit disparaître de la scène du monde, comme s’évanouit ordinairement tout ce qui brille sur la terre ; et cette femme, unique en son genre, morte sans avoir écrit les derniers événements de sa vie, enlève absolument à tout écrivain la possibilité de la montrer au public. Ceux qui voudraient l’entreprendre ne le feraient qu’en nous offrant leurs rêveries pour des réalités, ce qui serait d’une étonnante différence aux yeux des gens de goût, et particulièrement de ceux qui ont pris quelque intérêt à la lecture de cet ouvrage.


FIN




1 Le vampire suçait le sang des cadavres, Dieu fait couler celui des hommes, tous deux à l’examen se trouvent chimériques : est-ce se tromper que de prêter à l’un le nom de l’autre ?

2 Vivraient-ils sans ces grands moyens ? Deux seules classes d’individus doivent adopter les systèmes religieux : d’abord celle qu’engraissent ces absurdités, et celle des imbéciles qui croient éternellement tout ce qu’on leur dit sans jamais rien approfondir. Mais je défie qu’aucun être raisonnable et spirituel puisse affirmer qu’il croit de bonne foi aux atrocités religieuses.

3 On n’a point oublié que Volmar est une charmante religieuse de vingt-et-un ans ; on se ressouvient de même que Flavie est une pensionnaire de seize ans, de la plus délicieuse figure.

4 Douces et voluptueuses créatures que le libertinage, la paresse ou l’adversité réduit à la lucrative et délicieuse position de putains, pénétrez-vous de ces conseils ; vous voyez bien qu’ils ne sont ici les fruits que de la sagesse et de l’expérience ; foutez en cul, mes amies, c’est le seul moyen de vous enrichir et de vous amuser ; souvenez-vous que celles qui vous en empêchent ne le font jamais que par une imbécile pruderie, ou par la plus méchante jalousie. Épouses délicates et sensibles, recevez le même conseil ; devenez des Protées avec vos maris, si vous voulez parvenir à les fixer ; convainquez-vous bien que, de toutes les ressources que la coquetterie vous offre, celle-là devient à la fois la plus sûre et la plus sensuelle. Et vous, jeunes filles séduites au soin de l’innocence, retenez bien qu’en n’offrant que le cul, vous courez infiniment moins de risques, et pour votre bonheur et pour votre santé : point d’enfants, presque jamais de maladies, et des plaisirs mille fois plus doux.

5 L’homme ne rougit de rien quand il est seul ; la pudeur ne commence en lui que quand on le surprend, ce qui prouve que la pudeur est un préjugé ridicule, absolument démenti par la nature. L’homme est né impudique, l’impudicité tient à la nature ; la civilisation put changer ces lois, mais elle ne les étouffa jamais dans l’âme du philosophe. Hominem planto, disait Diogène en foutant au coin d’une borne, et pourquoi donc se cacher davantage en plantant un homme, qu’un chou ?

6 Il faut observer que les mémoires de Justine et ceux de sa sœur étaient écrits avant la Révolution.

7 Ô homme ! tu crois faire un crime contre la nature quand tu t’opposes à la propagation ou quand tu la détruis, et tu ne songes pas que la destruction de mille fois, de dix millions de fois autant d’hommes qu’il y en a sur la surface de la terre, ne coûterait pas une larme à cette nature, et n’apporterait pas la plus petite altération à la régularité de sa marche. Ce n’est donc pas pour nous que tout a été fait, puisque, n’existassions-nous même pas, tout existerait également. Que sommes-nous donc aux yeux de la nature ? et comment pouvons-nous nous estimer autant ?

8 Elle a lieu en Perse. Les Brahmes se réunissent également entre eux, et se livrent réciproquement leurs femmes, leurs filles et leurs sœurs.

9 Voyez le sixième volume des Cérémonies religieuses, page 300.

10 Telle est la meilleure et la plus sage de toutes les lois, sans doute ; un délit sourd doit être puni sourdement, et la vengeance n’en doit jamais appartenir qu’à celui qu’il outrage.

11 Toutes ces lois ne sont le fruit que de l’orgueil et de la luxure.

12 Il est évident que Juliette ne fait parler ici son orateur que des paysans de l’ancien régime : la misère pressait quelquefois ceux-là, mais ceux d’aujourd’hui, gonflés de luxe et d’insolence, ne peuvent plus servir pour l’exemple. (Note de l’éditeur.)

13 L’égalité prescrite par la Révolution n’est que la vengeance du faible sur le fort : c’est ce qui se faisait autrefois en sens inverse ; mais cette réaction est juste, il faut que chacun ait son tour. Tout variera encore, parce que rien n’est stable dans la nature, et que les gouvernements dirigée par des hommes doivent être mobiles comme eux. (Note ajoutée.)

14 La paresse et l’imbécillité des législateurs leur firent imaginer la loi du talion. Il était bien plus simple de dire : Faisons-lui ce qu’il a fait, que de proportionner spirituellement et équitablement la peine à l’offense. Il faut infiniment d’esprit pour ce dernier procédé, et au-delà du nombre de trois ou quatre, qu’on me cite en France, depuis dix-huit cents ans, un seul faiseur de lois qui seulement ait eu le sens commun.

15 Le père d’Henri IV avait le même goût.

16 Sic.

17 Femmes prudes, dévotes ou timides, profitez journellement et sans crainte de ces conseils : c’est à vous que l’auteur les adresse.

18 Aimable La Mettrie, profond Helvétius, sage et savant Montesquieu, pourquoi donc, si pénétrés de cette vérité, n’avez-vous fait que l’indiquer dans vos livres divins ? Ô siècle de l’ignorance et de la tyrannie, quel tort vous avez fait aux connaissances humaines, et dans quel esclavage vous reteniez les plus grands génies de l’univers ! Osons donc parler aujourd’hui, puisque nous le pouvons ; et, puisque nous devons la vérité aux hommes, osons la leur dévoiler tout entière.

19 Il n’y a rien de plaisant comme la multiplicité des lois que l’homme fait tous les jours pour se rendre heureux, tandis qu’il n’est pas une de ces lois qui ne lui enlève, au contraire, une partie de son bonheur. Et pourquoi toutes ces lois ? Eh ! vraiment, il faut bien que des fripons s’engraissent, et que des sots soient subjugués ! Voilà, d’un mot, tout le secret de la civilisation des hommes.

20 Aristote, dans son Art poétique, veut que le but et le travail du poète soient de nous guérir de la crainte et de la pitié, qu’il regarde comme la source de tous les maux de l’homme ; on pourrait même ajouter de tous ses vices.

21 La meilleure de toutes les nourritures, sans doute, pour obtenir de l’abondance et de l’épaisseur dans la matière séminale. Rien n’est absurde comme notre répugnance sur cet article ; un peu d’expérience l’aurait bientôt vaincue — une fois qu’on a tâté de cette chair, il devient impossible d’en aimer d’autres. (Voyez Paw sur cette matière, Recherches sur les Indiens, Égyptiens, Américains, etc., etc.)

22 On en trouve dans plusieurs bordels de Paris ; la fille, alors, lui passe la tête entre les cuisses, vous avez son cul pour perspective, et elle coupe le cou de l’animal au moment de votre décharge : nous verrons peut-être bientôt cette fantaisie en action.

23 Il y a tout plein de gens mal organisés que ce spectacle ferait encore mieux bander, et qui n’auraient, en le voyant, d’autres regrets que de n’y avoir point participé eux-mêmes.

24 Cela est aisé à comprendre : on fait ce que personne ne fait ; on est donc unique dans son genre. Voilà la pâture de l’orgueil.

25 Les voilà, les voilà, ces monstres de l’ancien régime ! Nous ne les avons pas promis beaux, mais vrais : nous tenons parole.

26 Ce système, d’ailleurs, se trouve amplement développé plus loin.

27 Voyez les Mémoires de la marquise de Frène, le Dictionnaire des Hommes illustres, etc.

28 On sait que Sainte-Croix, amant de la Brinvilliers, mourut en composant un poison violent dont la recette se trouvera plus loin. Il avait mis un masque de verre pour éviter de respirer les exhalaisons : la violence du venin brisa le masque, et le chimiste expira. L’imprudente Brinvilliers réclama sur-le-champ la cassette où son amant renfermait ses autres poisons : voilà ce qui la trahit. Cette cassette fut ensuite portée à la Bastille, et ce qu’elle renfermait a servi à tous les membres de la famille de Louis XV. Cette femme célèbre fut convaincue d’avoir également empoisonné ses deux frères et sa sœur et eut, en conséquence, la tête tranchée en 1676.

29 C’est du maréchal, dont on parle ici.

30 Expression de Brantôme, au même article que l’on va citer de lui tout à l’heure.

31 Tome I des Vies des Dames galantes de son temps, édition de Londres, 1666, in-12. Peut-être aurions-nous dû copier littéralement l’auteur cité ; deux raisons nous en ont empêché : la première est que ces citations forment toujours des bigarrures désagréables ; la seconde, que Brantôme n’a fait qu’esquisser ce que nous avons voulu peindre avec plus d’énergie, sans toutefois nous écarter de la vérité.

32 Tout ceci n’est qu’un faible aperçu de ce que le lecteur trouvera sur cette importante matière dans les volumes suivants.

33 On saura bientôt ce que c’était.

34 Femmes lubriques et emportées, lisez avec attention ces conseils : ils s’adressent à vous comme à Juliette, et vous devrez, si vous avez de l’esprit, en tirer comme elle le plus grand parti. Le plus ardent désir de votre bonheur nous les suggère ; vous n’atteindrez jamais à ce bonheur, pour lequel nous travaillons en vous adressant ceci, non, jamais vous ne l’atteindrez, si ces sages avis ne deviennent pas la seule base de votre conduite.

35 « L’enfer, dit un homme d’esprit, est le foyer de la cuisine qui fait bouillir en ce monde la marmite sacerdotale ; elle fut fondée en faveur des prêtres ; c’est pour qu’ils fassent bonne chère que le Père éternel, qui est leur premier cuisinier, met en broche ceux de ses enfants qui n’auront point eu pour leurs leçons la déférence qui leur est due ; aux festins de l’agneau, les élus mangeront des incrédules grillés, des riches en fricassées, des financiers à la sauce Robert », etc., etc. Voyez la Théologie portative, page 106.

36 Eusèbe, dans son Histoire, lib. III, chap. 25, dit que l’épître de Jacques, celle de Juda, la deuxième de saint Pierre, la deuxième et la troisième de saint Jean, les actes de saint Paul, la révélation de saint Pierre, l’épître de Barnabé, les institutions apostoliques et les livres de l’Apocalypse n’étaient nullement reconnus de son temps.

37 Ô toi qui, dit-on, as créé tout ce qui existe dans le monde ; toi, dont je n’ai pas la moindre idée ; toi que je ne connais que sur parole et sur ce que des hommes, qui se trompent tous les jours, peuvent m’avoir dit ; être bizarre et fantastique que l’on appelle Dieu, je déclare formellement, authentiquement, publiquement, que je n’ai pas dans toi la plus légère croyance, et cela par l’excellente raison que je ne trouve rien qui puisse me persuader d’une existence absurde dont rien au monde n’atteste la solidité. Si je me trompe, et que lorsque je n’existerai plus, tu viennes à me prouver mon erreur, et qu’alors (ce qui est contre toutes les lois de la vraisemblance et de la raison), tu viennes à me convaincre de cette existence si fortement niée par moi maintenant, qu’arrivera-t-il ? Tu me rendras heureux ou malheureux. Dans le premier cas, je t’admettrai, je te chérirai ; dans le second, je t’abhorrerai : or, s’il est clair qu’aucun homme raisonnable ne puisse faire un calcul que celui-là, comment avec la puissance qui doit composer le premier de tes attributs, si tu existes, comment, dis-je, laisses-tu l’homme dans une alternative aussi injurieuse à ta gloire !

38 Le lac Asphaltite existe actuellement sur l’emplacement de Sodome et de Gomorrhe, dont l’incendie n’existe plus ; les flammes qui s’aperçoivent quelquefois en ce lieu proviennent des volcans dont il est environné : c’est ainsi que l’Etna et le Vésuve brûlent toujours ; jamais les villes dont il s’agit ne brûlèrent d’une autre façon.

39 Quels sont les seuls et les vrais perturbateurs de la société ? — Les prêtres. — Qui sont ceux qui débauchent journellement nos femmes et nos enfants ? — Les prêtres. Quels sont les plus dangereux ennemis d’un gouvernement quelconque ? — Les prêtres. — Quels sont les fauteurs et instigateurs des guerres civiles ? — Les prêtres. — Qui nous empoisonne perpétuellement de mensonges et d’impostures ? — Les prêtres. — Qui nous vole jusqu’à notre dernier soupir ? — Les prêtres. — Qui abuse de notre bonne foi et de notre crédulité dans le monde ? — Les prêtres. — Qui travaille le plus constamment à l’extinction totale du genre humain ? — Les prêtres. — Qui se souille le plus de crimes et d’infamies ? — Les prêtres. Quels sont les hommes de la terre les plus dangereux, les plus vindicatifs et les plus cruels ? — Les prêtres. — Et nous balançons à extirper totalement cette vermine pestilentielle de dessus la surface du globe !… — Nous méritons donc tous nos maux.

40 Il n’y aura jamais que le faible qui prêchera ce système absurde de l’égalité ; il ne peut convenir qu’à celui qui, ne pouvant s’élever à la classe du fort, est au moins dédommagé en rabaissant à lui cette classe ; mais il n’est pas de système plus absurde, plus contre la nature que celui-là ; et l’on ne le verra jamais s’ériger que chez la canaille, qui elle-même y renoncera, sitôt qu’elle aura eu le temps de dorer ses haillons.

41 Femmes voluptueuses et philosophes qui daignez nous lire, c’est encore à vous que ceci s’adresse ; profitez-en, et ne rendez pas inutiles les soins que nous prenons pour vous éclairer. Jamais vous ne connaîtrez de vrais plaisirs sans la plus aveugle soumission à ces excellente conseils ; croyez que nous n’avons, en vous les donnant, que votre seul bonheur en vue.

42 Presque toutes les femmes chastes meurent jeunes, ou deviennent folles, estropiées, malingres, à l’époque de leur perte. Elles ont toutes, d’ailleurs, un caractère âcre, impérieux, qui les rend insoutenables en société.

43 On fait toujours bien ce qu’on aime ; et le lecteur ne doit pas oublier que Juliette nous a dit que sa plus grande passion consistait à branler des vits. En est-il au monde une plus voluptueuse ? Quels délices n’éprouve-t-on pas, en effet, à voir un beau membre se dresser sous les lubriques agitations qu’on lui imprime ! Qu’il est flatteur, et pour l’amour-propre et pour la luxure, de sentir avancer ainsi son ouvrage ! Dans quel état ne doit-on pas se trouver, surtout au moment du complément de sa besogne, et comment ne pas décharger soi-même, en voyant s’élancer au loin ces flots divins de la semence ! Ah ! faut-il être femme, pour goûter ce plaisir ? Quel homme un peu voluptueux ne le comprend pas ? Et quel est celui qui, du moins une fois dans sa vie, n’a pas branlé d’autres vits que le sien ?

44 Ce fut le célèbre Caylus qui grava les estampes.

45 Pas même législateur, assurément : une des meilleures preuves du délire et de la déraison qui caractérisèrent, en France, l’année 1789, est l’enthousiasme ridicule qu’inspira ce vil espion de la monarchie. Quelle idée reste-t-il aujourd’hui de cet homme immoral et de fort peu d’esprit ? Celle d’un fourbe, d’un traître et d’un ignorant.

46 Voyez le physique de ces effets, expliqué plus haut.

47 De manière que ces deux honnêtes créatures, sans compter la bouche qui ne produit pas une sensation assez marquée pour être comptée, avaient été foutues jusque-là, Clairwil cent quatre-vingt-cinq coups, et Juliette cent quatre-vingt-douze, cela, tant en con qu’en cul. Nous avons cru devoir établir cette addition pour en éviter la peine aux femmes qui, sans cela, n’auraient pas manqué de s’interrompre ici pour la faire. Remerciez-nous, mesdames, et imitez nos héroïnes, c’est tout ce que nous vous demandons ; car votre instruction, vos sensations et votre bonheur sont en vérité le seul but de nos fatigants travaux ; et si vous nous avez maudits dans Justine, nous espérons que vous nous bénirez dans Juliette.

48 Nous garantissons, par expérience, aux femmes assez bien constituées pour essayer cette manière, que cette volupté est si chatouilleuse, si remplie de sel, qu’il est très difficile de la supporter sans perdre connaissance ; si elles peuvent obtenir suffisamment d’adresse d’un troisième homme pour être enculées pendant ce temps-là, elles seront sûres alors d’avoir goûté le plus violent plaisir que puisse se procurer notre sexe. (Note communiquée par une femme de trente ans, qui l’a essayé plus de cent fois dans sa vie.)

49 Que l’on compare les flots de sang qu’ont fait couler ces scélérats depuis dix-huit siècles, avec ceux que ferait verser le moyen qu’indique Belmor, et l’on verra qu’il s’en faut bien que le moyen qu’il donne soit violent comme il le dit : il n’est que juste, et ce ne sera jamais qu’après son exécution que la paix règnera chez les hommes.

50 Comme il serait aisé de prouver que la révolution actuelle n’est l’ouvrage que des jésuites, et que les orléanais-jacobins qui la fomentèrent n’étaient et ne sont encore que des descendants de Loyola ! (Note ajoutée.)

51 C’est ce peuple qui servait autrefois la maison d’Autriche, sous le nom de Pandours. Il habite la partie méridionale de la Croatie autrichienne. Pandour veut dire voleur de grand chemin.

52 Sauf votre respect.

53 Ne doutons pas qu’il n’y ait une différence aussi certaine, aussi importante entre un homme et une femme qu’entre l’homme et le singe des bois. Nous serions aussi fondés à refuser aux femmes de faire partie de notre espèce que nous le sommes de refuser à cette espèce de singe d’être notre frère. Qu’on examine attentivement une femme nue à côté d’un homme de son âge et nu comme elle, on se convaincra facilement de la différence qui existe (sexe à part) dans la composition de ces deux êtres, on verra bien clairement que la femme n’est qu’une dégradation de l’homme ; les différences existent également dans l’intérieur, et l’anatomie de l’une et de l’autre espèce, faite en même temps et avec la plus scrupuleuse attention, découvre ces vérités.

54 Voyez ce qu’en dit la célèbre Ninon de Lenclos, quoique zélatrice et femme.

55 Un Dieu mort ! Rien n’est plus plaisant comme cette incohérence de mots du dictionnaire des catholiques : Dieu veut dire éternel ; mort veut dire non éternel. Imbéciles chrétiens, que voulez-vous donc faire avec votre Dieu mort ?

56 Une question importante s’offre ici : sa décision ne serait pas, ce me semble, au-dessous de l’attestation des gens de lettres, et nous la leur proposons avec l’envie de la voir résolue par eux. La corruption des mœurs vient-elle, chez un peuple, de la mollesse de son gouvernement, de son assiette, ou de son excessive population dans les grandes villes ? Malgré ce qu’établit ici Juliette, ce n’est pas de l’assiette d’où la corruption morale dépend, puisqu’il y a autant de désordres moraux dans les villes septentrionales de Londres et de Paris, que dans les villes méridionales de Messine et de Naples ; ce n’est pas de la faiblesse du gouvernement, puisqu’il est, sur ces objets, beaucoup plus sévère au Nord qu’au Midi, et que le désordre est pourtant le même. La corruption des mœurs, quel que soit le sol ou le gouvernement, ne vient donc que du trop grand entassement des individus dans un même lieu : tout ce qui fait masse se corrompt, et tout gouvernement qui ne voudra pas de corruption dans son sein, devra s’opposer à la trop grande population, et diviser, surtout, les associations pour en maintenir la pureté.

57 Il y aurait le plus petit inconvénient, dans un État, à permettre aux gens riches de faire tout ce qu’ils voudraient pour de l’argent, et d’obtenir, par leurs trésors, l’absolution de tous les crimes. Cela vaudrait assurément bien mieux que de les faire périr sur un échafaud : ce dernier moyen ne rapporte rien au gouvernement ; l’autre pourrait devenir une branche très considérable de richesses avec lesquelles on ferait face à une infinité de frais inattendus, que l’on ne couvre qu’en multipliant les impôts onéreux, pesant également sur le coupable et sur l’innocent, tandis que ce que je propose ne gênerait que le coupable.

58 Voyez le deuxième voyage de Cook.

59 Voyez Ramusio Dapper.

60 Voyez l’Histoire des peuples de l’Europe, tome III.

61 Voyez Hérodote.

62 Page 192 de ses Lettres persanes.

63 Il faut observer que ces détails étaient exacts lorsque Mme de Lorsange voyageait en Italie. On connaît les changements opérés depuis, tant dans cette ville que dans les autres endroits de cette belle contrée. (Note ajoutée.)

64 Il faut, dit Machiavel, que l’affection du complice soit bien grande, si le danger où il s’expose ne lui paraît pas encore plus grand ; ce qui prouve que, ou il faut choisir le complice bien intimement lié à soi, ou s’en défaire dès qu’on s’en est servi. (Disc., Lib. III, cap. VI.)

65 Toutes les personnes qui ont quelque penchant au crime voient leur portrait dans ce paragraphe ; qu’elles profitent donc soigneusement de tout ce qui précède, et de tout ce qui suit, sur la manière de vivre délicieusement dans la genre de vie pour lequel les a créées la nature, et qu’elles se persuadent que la main qui donne ces avis a l’expérience pour elle.

66 On peut éclaircir cette idée, en disant que le bon dîner peut causer une volupté physique, et que de sauver les trois millions de victimes, sur une âme honnête, ne causerait qu’une volupté morale ; ce qui établit une grande différence entre ces deux plaisirs, car les voluptés de l’esprit ne sont que des jouissances intellectuelles, uniquement dépendantes de l’opinion, tellement, qu’une âme vicieuse ne sent point celles de la vertu, au lieu que les voluptés du corps sont des sensations physiques, absolument dégagées de l’opinion, également senties de tous les êtres, et même des animaux ; moyennant quoi, la vie sauvée à ces trois millions d’hommes ne serait qu’un plaisir d’opinion, et qu’une seule espèce d’êtres ressentirait ; au lieu que le bon dîner serait un plaisir senti de tout le monde, et par conséquent très supérieur : d’où il résulte qu’il n’y aurait pas à balancer, même entre une dragée et l’univers entier. Ce raisonnement sert à démontrer les avantages immenses du vice sur la vertu.

67 On n’imagine pas ce qu’on obtient des femmes, en les faisant décharger. Il n’est question que de décider l’éjaculation d’un peu de foutre en elles, pour les déterminer aux atrocités les plus révoltantes, et si celles qui les aiment naturellement voulaient ne rendre compte de leurs émotions, elles conviendraient de la liaison singulière qui se trouve entre les émotions physiques et les égarements moraux. Plus éclairées, de ce moment, à quel point ne multiplieraient-elles pas la somme de leurs voluptés, puisqu’elles en trouveraient le germe dans des désordres qu’elles pourraient dès lors porter aussi loin que l’exigerait leur lubricité ? Je m’explique. Arsinoé n’avait qu’un plaisir, celui de foutre ; un amant libertin profite de son égarement pour lui suggérer des projets de crime ; Arsinoé sent croître sa volupté ; elle exécute ce qu’on lui propose, et le feu de sa lubricité s’enflamme à celui du forfait qu’elle vient de commettre : Arsinoé a donc augmenté ses moyens d’un plaisir de plus. Que toutes les femmes l’imitent, et toutes, comme elle, joindront aux attraits d’une première jouissance, le sel piquant d’une seconde. Toutes les immoralités s’enchaînent, et plus on en réunira à l’immoralité de foutre, plus on se rendra nécessairement heureux.

68 Voyez ses poésies, tome 1, page 28, dernière édition.

69 Jacques Vallée, seigneur Des Barreaux, intimement lié avec Théophile de Viau, naquit à Paris, en 1602. L’impunité et le libertinage de ces deux amis furent portés à leur comble. Le fameux sonnet qu’on cite de lui (qui, par parenthèse, est une des plus mauvaises pièces de vers qu’il soit possible de lire), fut, dit-on, fait pendant une maladie ; il le désavoua, et, certes, il n’était pas fait pour être avoué. — Paraphrasé de cette manière, nos lecteurs le trouveront peut-être un peu plus supportable.

70 Tout le monde a connu ce héros de la bougrerie, publiquement brûlé en place de Grève par le jugement des putains qui menaient tout alors dans Paris.

71 Celui de Jean-Baptiste, bardache aimé du fils de Marie.

72 Il est généralement regardé comme le patriarche des moines et l’instituteur de leurs règles.

73 Dernier roi des Juifs.

74 Ceux qui se mêlent de branler des femmes ne sont pas assez convaincus de l’extrême besoin qu’elles ont alors de faire pénétrer le plaisir absolument par tous leurs pores. Celui qui veut leur procurer une voluptueuse émission doit donc nécessairement s’arranger pour avoir la langue dans leur bouche, pour branler les tétons, avoir un doigt dans le vagin, un au clitoris, et l’autre au trou du cul. Qu’il ne se flatte pas d’atteindre le but s’il néglige une seule de ces circonstances. Voilà d’où vient qu’il faut être au moins trois pour plonger véritablement une femme dans l’ivresse.

75 On appelle ainsi ceux qui font le guet et qui arrêtent les voleurs dans Rome.

76 Voyez son ouvrage sur la volupté.

77 Ce n’est que de cette volupté très constante que naît l’usage d’enfermer les femmes en Asie ; la jalousie peut-elle exister dans l’âme d’un homme qui a deux ou trois cents femmes ?

78 C’est ainsi que les Romains nommaient leurs voyages à la campagne.

79 Ce projet fut réellement conçu pendant que j’étais à Rome ; il n’y a de changé que le nom des acteurs.

80 Laisse-moi te rendre cet hommage, ami charmant que je n’oublierai jamais. Tu es le seul dont je n’aie pas voulu déguiser le nom dans ces Mémoires. Le rôle de philosophe que je t’y fais jouer te convient trop bien, pour que tu ne me pardonnes pas de te désigner à l’univers entier.

81 Espèce d’omelette très mince et qui se mange au sucre.

82 Il n’y avait pas à douter que plus elle était singulière, plus elle devait donner de plaisir : c’est l’histoire de toutes les lubricités. Il n’est aucune passion dans le monde qui demande plus d’aliments que celle-là, aucune qu’il faille servir avec plus de soin : plus elle exige, plus il faut lui donner ; et ce que nous recevons d’elle n’est jamais, qu’en raison des sacrifices offerts à ses autels.

83 Il est inouï que les Jacobins de la Révolution française aient voulu culbuter les autels d’un Dieu qui parlait absolument leur langage. Ce qu’il y a de plus extraordinaire encore, c’est que ceux qui détestent et veulent détruire les Jacobins, le fassent au nom d’un Dieu qui parle comme les Jacobins. Si ce n’est point là le nec plus ultra des extravagances humaines, je demande instamment qu’on me dise où il est. (Note ajoutée.)

84 Le Pierre des chrétiens n’est autre chose que le Annac, l’Hermès et le Janus des Anciens ; tous individus auxquels on attribuait le don d’ouvrir les portes de quelque béatitude. Le mot pierre, en phénicien ou en hébreu, veut dire ouvrir : et Jésus, qui jouait sur le mot, a pu dire à Pierre : « Puisque tu es Pierre, c’est-à-dire l’homme qui ouvre, tu ouvriras les portes du Paradis », tout comme en ne prenant la signification du mot pierre que du mot cepha, des Orientaux, qui signifie pierre à bâtir, il avait dit : « Tu es Pierre, et sur cette pierre je bâtirai mon Église. » Le verbe latin aperire a bien aussi le même son que le mot pierre. On appelle mine ce qui sort de la mine : n’a-t-on pas pu de même, appeler ouverture ce qui sortait de la carrière à laquelle primitivement on donnait le nom d’ouverture ? De là le mot ouvrir et le mot pierre peuvent avoir eu la même signification, et de là le jeu de mots de l’imbécile Jésus qui, comme on sait, ne parlait jamais que par logogriphes. Tout cela, ce sont de fades allégories, où les lieux sont ajoutés aux noms, les noms aux lieux, et les faits toujours sacrifiés à l’illusion. De toute façon, ce mot apostolique est des plus anciens. Il précède de beaucoup le Pierre des chrétiens. Tous les mythologistes ont reconnu ce mot pour le nom d’une personne chargée du soin de l’ouverture.

85 Il y avait alors à Rome un certain Gérard Brazet, regardé comme l’empoisonneur en titre du Saint-Siège ; il avait empoisonné huit papes, par ordre de ceux qui voulaient succéder. Les souverains pontifes étaient alors, dit Baronius, de si grands scélérats, qu’aucun âge n’avait produit de tels monstres, ni un si grand nombre de scènes d’horreurs.

86 C’est de lui dont on disait : Il est monté sur le trône comme un renard, il a régné comme un lion, et il est mort comme un chien.

87 C’est d’elle que le poète Sannazar, le Pétrarque de Naples, nous dit :

Hoc jacet in tumula Lucretia nomine sedra,

Thaïs Alexandri filia, sponsa nurus.

88 Écoutons parler Tacite lui-même : « Il fit mourir cruellement les chrétiens comme incendiaires de la ville de Rome. Ces chrétiens, poursuit Tacite, étaient des gens haïs pour leur infamie, et, à cause d’un fripon nommé Christ, leur fondateur, lequel mourut dans les derniers supplices, sous le règne de Tibère. Mais cette pernicieuse secte, après avoir été réprimée quelque temps, polluait tout de nouveau, non seulement dans le lieu de sa naissance, mais dans Rome même, qui est le rendez-vous, et comme l’égout de toutes les ordures du monde. On se saisit donc d’abord de ceux qui s’avouaient de cette secte infâme, et, par leurs aveux, on découvrit une infinité d’autres coquins pareils qui furent convaincus, et de crimes atroces et d’être couverts de la haine du genre humain. La preuve du point auquel on les haïssait, est qu’on insultait à leur mort, en les couvrant de peaux de bêtes sauvages, et en les faisant dévorer par les chiens, ou en les attachant à des croix, quelquefois aussi en les brûlant comme des fagots, afin d’éclairer les rues et les grands chemins (c’est pour le coup qu’on pouvait dire lux in luce). Néron donnait volontiers ses jardins pour ces spectacles. On l’y voyait parmi le peuple, en habit de cocher, ou assis lui-même sur un char. Ces supplices des chrétiens l’amusaient infiniment, et il y coopérait souvent lui-même. »

Écoutons maintenant Lucien, sur cette même secte : « C’est, dit-il, une assemblée de vagabonds, déguenillés, au regard farouche, à la démarche d’énergumènes, poussant des soupirs, faisant des contorsions, jurant par le Fils qui est sorti du Père, prédisant mille malheurs à l’empire, blasphémant tout ce qui ne pensait pas comme eux. » Voilà quelle était la religion chrétienne dès sa naissance : une horde de fripons et de scélérats, suivie par des putains. Les infortunes de cette secte finirent par intéresser les gens faibles, comme cela est d’usage : si on ne l’eût point persécutée, on n’eût jamais entendu parler d’elle. Il est inouï qu’un pareil fatras d’impostures et d’atrocités ait aveuglé si longtemps nos pères. Quand serons-nous donc assez sages pour les absorber, pour les pulvériser sans retour ?

89 Ceux qui me connaissent savent que j’ai parcouru l’Italie avec une très jolie femme ; que, par unique principe de philosophie lubrique, j’ai fait connaître cette femme au grand-duc de Toscane, au pape, à la Borghèse, au roi et à la reine de Naples ; ils doivent donc être persuadés que tout ce qui tient à la partie voluptueuse est exact, que ce sont les mœurs bien constantes des personnages indiquée que j’ai peintes, et que s’ils avaient été témoins des scènes, ils ne les auraient pas vues dessinées plus sincèrement. Je saisis cette occasion d’assurer le lecteur qu’il en est de même de la partie des descriptions et des voyages : elle est de la plus extrême exactitude.

90 Presque tous les peuples de la terre ont eu le droit de vie et de mort sur leurs enfants. Ce droit est parfaitement dans la nature ; et de quoi peut-on mieux disposer, que de ce qu’on a donné ? S’il pouvait y avoir des gradations dans le prétendu crime du meurtre, c’est-à-dire qu’on pût assigner du rang de plus ou de moins de mal dans une chose qui n’en renferme aucun, assurément l’infanticide serait au rang le plus inférieur : la prompte facilité que tout homme possède de réparer ce léger délit en absorbe entièrement tout le mal. En étudiant bien la nature, on y verra que les premiers sentiments de l’instinct nous portent à détruire notre progéniture, et elle le serait infailliblement, si l’orgueil ne venait réclamer pour elle.

91 Il faut appeler régénération, ou plutôt transformation, ce changement que nous voyons dans la matière ; elle n’est ni perdue, ni gâtée, ni corrompue, par les différentes formes qu’elle prend ; et peut-être une des principales causes de sa force ou de sa vigueur consiste-t-elle dans les apparentes destructions qui les subtilisent, lui donnent plus de liberté pour former de nouveaux miracles. La matière, en un mot, ne se détruit point pour changer de formes et prendre une nouvelle modification, de même, dit Voltaire (dont cette note cet extraite), qu’un carré de cire qu’on réduit en rond ne périclite point en changeant de figure. Rien de plus simple que ces résurrections perpétuelles, et il n’est pas plus surprenant de naître deux fois qu’une. Tout est résurrection dans le monde : les chenilles ressuscitent en papillons ; un noyau que l’on plante ressuscite en arbre ; tous les animaux ensevelis dans la terre ressuscitent en herbe, en plantes, en vers, et nourrissent d’autres animaux dont ils font bientôt une partie de la substance, etc., etc., etc.

92 La peine promulguée contre l’infanticide des femmes est une atrocité sans exemple. Qui donc est mieux le maître de ce fruit que celle qui le porte dans son sein ? S’il est au monde une propriété contre laquelle il ne puisse y avoir aucune réclamation à faire, c’est assurément celle-là. Troubler cette femme dans l’usage qu’elle fait de cette propriété est le comble le plus inconcevable de l’imbécillité. Certes, il faut attacher un prix bien grand à l’espèce humaine, pour punir une malheureuse créature, seulement parce qu’elle ne s’est pas souciée de doubler son existence, et de confirmer le présent fait par elle involontairement. Et quel bizarre calcul n’est-ce donc pas, d’ailleurs, que de sacrifier la mère à l’enfant ? Le crime commis, il y avait une créature de moins sur la terre ; le crime puni, en voilà deux. Qu’il faut d’esprit pour un pareil calcul ! et que nos législateurs sont profonds ! Et nous laissons subsister de telles lois ! et nous avons la bonhomie de ne pas les pulvériser, elles et la mémoire de ceux qui les firent !

93 De ce moment, la chose s’entend infiniment mieux.

94 Relation de Beaulieu.

95 Allons au fait et peignons en grand. Ô Braschi ! tu ne nous donnes que des détails ! Je veux, d’un mot, offrir des masses : les proscriptions des Juifs, des Chrétiens, de Mithridate, de Marius, de Sylla, des Triumvirs, les boucheries de Théodose et de Théodora, les fureurs des Croisés et de l’Inquisition, les supplices des Templiers, l’histoire des massacres de Sicile, de Mérindol, de la Saint-Barthélemy, ceux d’Islande, du Piémont, des Cévennes, du Nouveau Monde ont coûté vingt-trois millions cent quatre-vingt mille hommes, froidement égorgés pour des opinions ! L’homme qui aime le meurtre fomente des opinions, afin que l’on s’assassine pour elles.

96 J’atteste ceci pour l’avoir vu.

97 C’était en même temps le peuple le plus efféminé ; il y a donc très près du luxe et de la mollesse à la cruauté.

98 On leur coupait les doigts, les poings, les pieds, les dents, les yeux, les grosses chairs, le haut du nez, la langue, les parties viriles, et le clitoris dans les femmes.

99 Une fois que les femmes se sont accoutumées à ne s’exciter au plaisir qu’en éveillant la cruauté dans elles, l’extrême délicatesse de leurs fibres, la prodigieuse sensibilité de leurs organes, les font aller sur tout cela beaucoup plus loin que les hommes.

100 L’once de Naples vaut à peu près onze livres dix sous de France.

101 Avec quel art l’âme des tyrans se trouve ici développée ! combien de révolutions expliquées par ce seul mot !

102 L’on prévient le lecteur que les noms des conjurés de cette célèbre affaire sont ici tous déguisés.

103 Esprit de la révolution de Stockholm, n’auriez-vous point, par hasard, passé dans Paris ?

104 Voyez dans La Fontaine la fable ingénieuse des Grenouilles qui demandent un roi. Malheureux habitants de ce globe, voilà votre histoire à tous !

105 C’est celui qu’Ankerstrœum tua en 1789.

106 Ceux qui ont vu de près cette femme, aussi célèbre par son esprit que par ses crimes, la reconnaîtront suffisamment ici, pour se persuader qu’elle a été peinte d’après nature.

107 Ce fouet est de nerf de bœuf ; on y attache trois aiguillettes de cuir d’élan. Chaque coup fait sortir le sang : rien ne vaut l’usage de ces instruments pour ceux qui chérissent, soit activement, soit passivement, les plaisirs de la flagellation. Quand on veut les rendre plus cruels, on garnit les lanières de pointes d’acier ; leurs cinglons, alors, enlèvent la chair sans le moindre effort ; appliquée d’un bras vigoureux, on en mourrait avant le centième coup. Tous les Russes voluptueux ont de ces fouets plus ou moins garnis.

108 Épingles très petites. (N. de l’éd.)

109 Cette habitude est d’une telle force, que ceux qui y sont sujets ne peuvent s’en passer, et ne le feraient peut-être pas sans danger ; ils éprouvent, à l’époque où ils sont accoutumés de renouveler cette cérémonie, des chatouillements d’une grande violence, qu’ils ne peuvent les apaiser qu’à coups de fouet. Voyez l’Histoire des flagellants, par l’abbé Boileau ; l’excellente traduction de Meibomius, par Mercier de Compiègne.

110 Les cinquante verstes font à peu près quinze lieues de France.

111 Il en existe, à Tiflis, plus que de musulmans ; ce sont eux qui possèdent le plus grand nombre d’églises.

112 On se rappelle que c’est le nom de Mme de Borghèse.

113 Puissent ces excellents principes, en germant dans de bonnes têtes, y anéantir à jamais les dangereux préjugés qui nous font regarder ces passions comme des ennemies tandis que c’est d’elles seules que naît l’unique félicité que nous puissions espérer sur la terre.

114 Il faut se reporter ici au temps où cela fut écrit.

115 Il n’en est pas de même chez les peuples qui, par un faux mouvement de philosophie, crurent détruire la superstition en pillant les autels. Que leur reste-t-il maintenant ? Même préjugé et plus aucune richesse… Les imbéciles ! méconnaissant la main qui les faisait agir, ils croyaient abolir le culte, et ne faisaient que lui prêter des forces ; vils instruments des coquins qui les remuaient, les malheureux croyaient servir la raison, quand ils n’engraissaient que des pourceaux. Les révolutions religieuses se préparent par de bons ouvrages, par de l’instruction, et se terminent par l’extinction totale, non des hochets de la stupidité religieuse, mais des scélérats qui la prêchent et qui la fomentent.

116 Marie-Antoinette de France.

117 On a remarqué qu’il n’y avait jamais eu tant de règlements de police, de lois relatives aux mœurs, etc., que dans les dernières années des règnes de Charles Ier et de Louis XVI.

118 Ce n’était que lorsque la patrie était en danger que les Romains nommaient un dictateur.

119 Cette esquisse est d’après nature.

120 L’once vaut 11 liv. 10 s.

121 Les premiers mouvements de la nature ne sont jamais que des crimes ; ceux qui nous portent à des vertus ne sont que secondaires, et jamais que le fruit de l’éducation, de la faiblesse ou de la crainte. L’individu qui sortirait des mains de la nature pour être roi, qui, par conséquent, n’aurait point reçu d’éducation et deviendrait, par sa nouvelle position, le plus fort des hommes et à l’abri de toute crainte, celui-là, dis-je, se baignerait journellement dans le sang de ses sujets : ce serait, cependant, l’homme de la nature.

122 Voyez, à ce sujet, le discours de l’évêque de Grenoble, dans le premier volume de Justine, pages 348 et suivantes.

123 C’est l’usage en Italie de faire son maquereau de son confesseur ; rien ne s’allie, près des grands, comme ces deux états, et les prêtres un peu intrigants les exercent communément très bien à la fois.

124 On nous avait fait, dans Justine, la mauvaise chicane de n’avoir introduit sur la scène que des scélérats masculins. Nous voici, grâce au ciel ! à l’abri de ces reproches désolants. Hélas ! le mal, l’une des premières lois de la nature, se manifeste à peu près d’une manière égale sur toutes les productions de la nature ; plus les individus sont sensibles, et plus la main de cette nature atroce les courbe sous les lois invincibles du mal ; et voilà d’où vient que les femmes s’y portent avec plus de chaleur et plus de raffinements que les hommes. Mais tous sont mauvais parce qu’ils doivent l’être ; il n’y a d’absurde et d’injuste dans tout cela que les lois de l’homme, osant avoir l’imbécile et vaine prétention de réprimer ou de combattre celles de la nature.

125 Les putains de cette nation sont extrêmement recherchées dans les pays étrangers. Leur extrême complaisance, leur adresse, leur libertinage et leur beauté leur obtiennent une préférence décidée sur les prostituées des autres nations, presque toujours laides, maladroites et sales.

126 La plus fameuse de l’Italie.

127 Peu d’hommes savent se faire soigner après leur décharge : anéantis, ils se retirent froidement, et ne pensent plus à rien. Des soins qui suivent l’éjaculation dépend, néanmoins, la vigueur nécessaire à regoûter de nouveaux plaisirs, et à se retirer des anciens dans un état moins abattu. Ces soins consistent à se faire bien exactement sucer, à se faire consoler et manier les couilles, et à appliquer des linges très chauds. Il est également utile d’avaler, après la crise, des restaurants ou des spiritueux. Ces derniers, employés en lotions sur les couilles, sont aussi d’un excellent usage.

128 On ne désire jamais plus vivement un vit au derrière que quand on vient d’être fouetté, et jamais plus vivement le fouet qu’en venant d’être foutu. Il est inouï comme ces deux plaisirs-là se servent et s’enchaînent.

129 Ces charmantes créatures, que l’opinion des sots flétrit avec tant de bêtise, portent dans la société les mêmes qualités que dans le plaisir : elles sont toujours plus vives, plus aimables, plus spirituelles que les autres ; presque toutes ont des grâces, des talents, de l’imagination : et pourquoi donc leur en vouloir d’un tort qui n’appartient qu’à la nature ? Lourds sectateurs des plaisirs ordinaires, vous les blâmez parce qu’elles vous refusent ; mais que l’on analyse celles qui vous aiment, on les trouvera toujours presque aussi bêtes que vous.

130 Ce serait ici le cas, sans doute, d’examiner l’absurdité révoltante qu’il y a de pleurer un mort. Il faudrait bien plutôt se réjouir, puisqu’en périssant, il s’affranchit de toutes les peines de la vie. D’ailleurs, notre chagrin, nos larmes ne peuvent lui servir à rien, et elles nous affectent désagréablement. Il en est de même des cérémonies de l’enterrement d’un mort, et du respect que l’on pourrait avoir encore pour lui : tout cela est inutile, superstitieux. On ne doit à un cadavre que de le mettre dans une bonne terre, où il puisse germer promptement, et se métamorphoser, avec vitesse, en ver, en mouche ou en végétaux, ce qui est difficile dans les cimetières. Si l’on veut rendre un dernier service à un mort, c’est de le faire mettre au pied d’un arbre fruitier, ou dans un gras pâturage ; c’est tout ce qu’on lui doit : tout le reste est absurde. (Voyez ce qui est dit sur cette matière, plus haut, page 881.)