La foudre

(Lettre à Justine — 7 février 2014)

 

    La foudre, Justine, la foudre. Rien moins que le feu du ciel, pour vous anéantir.

    C’est que rien, Justine, ni les malheurs de la vertu ni les prospérités du vice, n’est parvenu à vous faire revenir de ce qu’une infinité de scélérats appellent vos chimères.

    C’est que personne, Justine, aucun de vos persécuteurs n’a été capable de vous faire changer de manière de sentir, d’être, de penser.

    La foudre, Justine, la foudre éclaire votre victoire et la défaite de vos tyrans, les soi-disant athées qui en appellent au ciel pour en finir avec cet être que rien ne peut réduire : vous Justine, la prétendue dévote et sotte vertueuse.

    À eux tous, les petits despotes, contre vous seule, Justine, ils ne sont jamais assez forts pour vous vaincre, quoiqu’ils soient chaque jour plus nombreux et qu’ils fassent société contre votre singularité. Faut les voir, Justine, à bout d’idée, s’agglutinant autour de votre corps foutroyé — traversé de la bouche au vagin par le foutre de Dieu —, ricaner et remercier le ciel, vaincus devant votre chair défigurée, devant vous, Justine, le plus beau corps du monde devenu masse inanimée.

    Votre façon de penser, Justine, ne peut être approuvée par qui se moque de votre naïveté, se donne l’air entendu d’être du côté des scélérats, de leur réalité et de leur conformisme. Au contraire d’eux, Justine, vous n’avez pas la folie d’adopter une façon de penser pour les autres.

    Votre façon de penser est le fruit de vos réflexions ; elle tient à votre existence, Justine, à votre organisation, à votre corps — votre corps féminin. Ce n’est pas votre façon de penser qui fait votre malheur, Justine, — lesdits malheurs de la vertu —, c’est celle des autres : c’est leur réalisme, et non pas votre surréalisme ; c’est leur grégarisme, et non pas votre isolisme, Justine.






« cet être que rien ne peut réduire » : expression de Launay, gouverneur de la Bastille, à propos de Sade qui y était prisonnier.
« […] rien ne sera capable dans le monde de me faire revenir ni de mes habitudes ni de ma façon de penser. » (Sade, lettre à son épouse, Paris, la Bastille, 15 septembre 1783.)
« Ma façon de penser, dites-vous, ne peut être approuvée. Eh, que m’importe ? Bien fou est celui qui adopte une façon de penser pour les autres ! Ma façon de penser est le fruit de mes réflexions ; elle tient à mon existence, à mon organisation. Je ne suis pas le maître de la changer ; je le serais, que je ne le ferais pas. Cette façon de penser que vous blâmez fait l’unique consolation de ma vie ; elle allège toutes mes peines en prison, elle compose tous mes plaisirs dans le monde et j’y tiens plus qu’à la vie. Ce n’est point ma façon de penser qui a fait mon malheur, c’est celle des autres. […] Plus ils [mes tyrans] continuent leurs vexations, plus il enracinent mes principes dans mon cœur […] » (Sade, lettre à son épouse, Paris, la Bastille, début novembre 1783.)